Et l’homme créa la vie… mais déposa un brevet dans la foulée

Liber - CC by-saGrande première : des chercheurs américains sont récemment parvenus à créer une cellule bactérienne vivante dont le génome est synthétique.

Il n’en fallait pas plus pour que la presse vulgarise l’évènement en nous posant cette spectaculaire question : et si l’homme venait de créer la vie ?

C’est aller un peu vite en besogne nous précise le célèbre scientifique français Joël de Rosnay : « Craig Venter, l’auteur de la fameuse publication dans Science, n’a pas créé la vie, il a fait un copier coller du génome d’une bactérie qui existe dans la nature ». Mais il reconnaît cependant que « c’est la première fois qu’un être vivant n’a pas d’ancêtre, qu’il a pour père un ordinateur ».

Nous voici donc en présence d’un être vivant dont le père serait partiellement un ordinateur. Or qui manipule cet ordinateur ? Craig Venter et son équipe, et si l’homme est avant tout un biologiste c’est également un homme d’affaire, ce ne sont pas des fonds publics mais privés qui financent ses recherches. Ainsi Le Monde nous révèle que « Venter, qui aurait déjà investi 40 millions de dollars dans ce projet, a déposé un portefeuille de brevets pour protéger son concept de Mycoplasma laboratorium, hypothétique machine à tout faire des biotechnologies ».

Une vie qui n’est alors qu’information et données entrées dans un ordinateur mais dont l’exploitation et l’accès sont strictement contrôlés et réservés aux entreprises qui l’ont enfantée. Cela ressemble à de la mauvaise science-fiction. C’est pourtant peut-être le monde qui nous attend demain. Et l’Apocalypse arrivera plus tôt que prévu[1].

Sauf si… sauf si on insuffle là aussi un peu d’esprit « open source », nous dit cet article du The Economist traduit ci-dessous.

Avoir ou non la possibilité de « hacker la vie », telle sera l’une des questions fondamentales de ce siècle.

Et l’homme créa la vie…

And man made life

20 mai 2010 – The Economist Newspaper
(Traduction Framalang : Martin, Olivier et Don Rico)

La vie artificielle, porteuse de rêves et de cauchemars, est arrivée.

Créer la vie est la prérogative des dieux. Au plus profond de sa psyché, malgré les conclusions rationnelles de la physique et de la chimie, l’homme a le sentiment qu’il en est autrement pour la biologie, qu’elle est plus qu’une somme d’atomes en mouvement et en interaction les uns avec les autres, d’une façon ou d’une autre insufflée d’une étincelle divine, d’une essence vitale. Quel choc, alors, d’apprendre que de simples mortels ont réussi à créer la vie de façon artificielle.

Craig Venter et Hamilton Smith, les deux biologistes américains qui en 1995 ont démêlé pour la première fois la séquence d’ADN d’un organisme vivant (une bactérie), ont fabriqué une bactérie qui possède un génome artificiel – en créant une créature vivante sans ascendance (voir article). Les plus tatillons pourraient chipoter sur le fait que c’est seulement l’ADN d’un nouvel organisme qui a été conçu en laboratoire, les chercheurs ayant dû utiliser l’enveloppe d’un microbe existant pour que l’ADN fasse son travail. Néanmoins, le Rubicon a été franchi. Il est désormais possible de concevoir un monde où les bactéries (et à terme des animaux et des plantes) seront conçues sur ordinateur et que l’on développera sur commande.

Cette capacité devrait prouver combien l’Homme maîtrise la nature, de façon plus frappante encore que l’explosion de la première bombe atomique. La bombe, bien que justifiée dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, n’avait qu’une fonction de destruction. La biologie, elle, s’attache à « mettre en culture » et « faire croître ». La biologie synthétique, terme sous lequel on regroupe cette technologie et des tas d’autres moins spectaculaires, est très prometteuse. À court terme, elle devrait permettre d’obtenir de meilleurs médicaments, des récoltes moins gourmandes en eau (voir article), des carburants plus écologiques, et donner une nouvelle jeunesse à l’industrie chimique. À long terme, qui peut bien savoir quels miracles elle pourrait permettre d’accomplir ?

Dans cette perspective, la vie artificielle semble être une chose merveilleuse. Pourtant, nombreux sont ceux qui verront cette annonce d’un mauvais œil. Pour certains, ces manipulations relèveront plus de la falsification que de la création. Les scientifiques n’auraient-ils plus les pieds sur terre ? Leur folie conduira-t-elle à l’Apocalypse ? Quels monstres sortiront des éprouvettes des laboratoires ?

Ces questionnements ne sont pas infondés et méritent réflexion, même au sein de ce journal, qui de manière générale accueille les progrès scientifiques avec enthousiasme. La nouvelle science biologique a en effet le potentiel de faire autant de mal que de bien. « Prédateur » et « maladie » appartiennent autant au champ lexical du biologiste que « mettre en culture » et « faire croître ». Mais pour le meilleur et pour le pire, nous y voilà. Créer la vie n’est désormais plus le privilège des dieux.

Enfants d’un dieu mineur

Il est encore loin le temps où concevoir des formes de vie sur un ordinateur constituera un acte biologique banal, mais on y viendra. Au cours de la décennie qui a vu le développement du Projet Génome Humain, deux progrès qui lui sont liés ont rendu cet événement presque inévitable. Le premier est l’accélération phénoménale de la vitesse, et la chute du coût, du séquençage de l’ADN qui détient la clé du « logiciel » naturel de la vie. Ce qui par le passé prenait des années et coûtait des millions prend maintenant quelques jours et coûte dix fois moins. Les bases de données se remplissent de toutes sortes de génomes, du plus petit virus au plus grand des arbres.

Ces génomes sont la matière première de la biologie synthétique. Tout d’abord, ils permettront de comprendre les rouages de la biologie, et ce jusqu’au niveau atomique. Ces rouages pourront alors êtres simulés dans des logiciels afin que les biologistes soient en mesure de créer de nouvelles constellations de gènes, en supposant sans grand risque de se tromper qu’elles auront un comportement prévisible. Deuxièmement, les bases de données génomiques sont de grands entrepôts dans lesquels les biologistes synthétiques peuvent piocher à volonté.

Viendront ensuite les synthèses plus rapides et moins coûteuses de l’ADN. Ce domaine est en retard de quelques années sur l’analyse génomique, mais il prend la même direction. Il sera donc bientôt à la portée de presque tout le monde de fabriquer de l’ADN à la demande et de s’essayer à la biologie synthétique.

C’est positif, mais dans certaines limites. L’innovation se porte mieux quand elle est ouverte à tous. Plus les idées sont nombreuses, plus la probabilité est élevée que certaines porteront leurs fruits. Hélas, il est inévitable que certaines de ces idées seront motivées par une intention de nuire. Et le problème que posent les inventions biologiques nuisibles, c’est que contrairement aux armes ou aux explosifs par exemple, une fois libérées dans la nature, elles peuvent proliférer sans aide extérieure.

La biologie, un monde à part

Le club informatique Home Brew a été le tremplin de Steve Jobs et d’Apple, mais d’autres entreprises ont créé des milliers de virus informatiques. Que se passerait-il si un club similaire, actif dans le domaine de la biologie synthétique, libérait par mégarde une bactérie nocive ou un véritable virus ? Imaginez qu’un terroriste le fasse délibérément…

Le risque de créer quelque chose de néfaste par accident est sans doute faible. La plupart des bactéries optent pour la solution de facilité et s’installent dans de la matière organique déjà morte. Celle-ci ne se défend pas, les hôtes vivants, si. Créer délibérément un organisme nuisible, que le créateur soit un adolescent, un terroriste ou un État-voyou, c’est une autre histoire. Personne ne sait avec quelle facilité on pourrait doper un agent pathogène humain, ou en choisir un qui infecte un certain type d’animal et l’aider à passer d’une espèce à une autre. Nous ne tarderons toutefois pas à le découvrir.

Difficile de savoir comment répondre à une telle menace. Le réflexe de restreindre et de bannir a déjà prouvé son efficacité (tout en restant loin d’être parfait) pour les armes biologiques plus traditionnelles. Mais celles-ci étaient aux mains d’états. L’omniprésence des virus informatiques montre ce qu’il peut se produire lorsque la technologie touche le grand public.

Les observateurs de la biologie synthétique les plus sensés favorisent une approche différente : l’ouverture. C’est une manière d’éviter de restreindre le bon dans un effort tardif de contrer le mal. Le savoir ne se perd pas, aussi le meilleur moyen de se défendre est-il de disposer du plus d’alliés possible. Ainsi, lorsqu’un problème se présente, on peut rapidement obtenir une réponse. Si l’on peut créer des agents pathogènes sur ordinateur, il en va de même pour les vaccins. Et à l’instar des logiciels open source qui permettent aux « gentils sorciers » de l’informatique de lutter contre les « sorciers maléfiques » (NdT : white hats vs black hats), la biologie open source encouragerait les généticiens œuvrant pour le bien.

La réglementation et, surtout, une grande vigilance seront toujours nécessaires. La veille médicale est déjà complexe lorsque les maladies sont d’origine naturelle. Dans le cas le la biologie synthétique, la surveillance doit être redoublée et coordonnée. Alors, que le problème soit naturel ou artificiel, on pourra le résoudre grâce à toute la puissance de la biologie synthétique. Il faut encourager le bon à se montrer plus malin que le mauvais et, avec un peu de chance, on évitera l’Apocalypse.

Notes

[1] Crédit photo : Liber (Creative Commons By-Sa)




Activisme et Hacktivisme sur Internet

José Goulã - CC by-saUn billet très court qui s’interroge furtivement sur l’efficacité réelle ou supposée de l’activisme sur Internet.

Lorsque d’un simple clic, vous décidez d’adhérer au groupe de l’apéro Facebook de votre ville, non seulement cela ne vous engage pas à grand-chose mais en plus l’action proposée est plutôt vide de sens. D’autant que rien ne nous dit que vous vous rendrez bien le jour J sur le lieu du rendez-vous.

Est-ce de l‘activisme ?

Non.

En revanche lorsque vous mettez les pieds dans un projet de logiciels libres, vous voici embarqué dans une aventure riche et complexe tendant vers un objectif commun : l’amélioration collective du code[1]. Il y a un cadre, une finalité, des outils techniques et des modes opératoires bien précis pour y arriver.

Et si les mouvements de résistance aux brevets logiciels, à l‘ACTA , à DADVSI, à Hadopi… ont pu rencontrer quelques succès, c’est aussi voire surtout parce qu’ils se sont fortement inspirés des modèles d’organisation et de développement du logiciel libre.

Est-ce que cette fois-ci c’est de l’activisme ?

Oui, mais c’est surtout de l’hacktivisme.

Tout ça pour dire qu’à l’ère du réseau, mettre un peu d’hacktivisme dans son activisme participe à augmenter vos chances de réussite 😉

À quoi bon être hacktiviste ?

What’s the Point of Hacktivism?

Glyn Moody – 5 juin 2010 – Open…
(Traductions Framalang : Olivier Rosseler)

Grâce à l’Internet, rien de plus aisé que de participer à de grands débats ; crise environnementale, oppression, injustice. C’est même trop simple : d’un clic votre e-mail s’en va, on ne sait où, d’un clic voilà votre avatar affublé de ce magnifique bandeau de protestation. Si vous pensez que ça a un quelconque effet, lisez le blog Net Effect tenu par Evgeny Morozov, vous changerez rapidement d’avis (d’ailleurs, lisez-le tout court, il est très bien rédigé).

Alors, à quoi bon ? En fait, ce genre d’hacktivisme peut avoir des effets, Ethan Zuckerman en parle très bien dans son article Overcoming apathy through participation? – (not)my talk at Personal Democracy Forum (NdT : Vaincre l’apathie par la participation ? ma présentation (pas de moi) au Personal Democracy Forum). Il y développe une idée qui me parle tout particulièrement :

Si l’on émet l’hypothèse que l’activisme, comme la majorité de ce qui se fait en ligne, est caractérisé par une distribution de Pareto, on peut alors supposer que pour 1000 sympathisants plutôt passifs on a 10 activistes vraiment engagés et 1 meneur qui émerge. Et si l’assertion « la participation engendre la passion » est vraie, cette longue traine (NdT : de la distribution de Pareto) pourrait être un terrain glissant ascendant d’où émergent plus de meneurs que dans les mouvements classiques.

Les lecteurs les plus attentifs auront fait le lien avec le succès des modèles open source qui permettent aux meneurs naturels de se démarquer de tous les participants. Cette méthode a déjà fait ses preuves, tous ceux à qui on n’aurait pas donné leur chance autrement et qui ont pu ainsi prouver leur valeur en sont témoins. Pour moi, cela justifie amplement la nécessité d’encourager l’hacktivisme, dans l’espoir de faire émerger quelque chose de similaire dans d’autres sphères.

Notes

[1] Crédit photo : José Goulã (Creative Commons By-Sa)




L’État de l’Oregon adopte Google Apps Education pour ses écoles

Avinash Kunnath - CC byLa nouvelle est passée totalement inaperçue dans les médias et la blogosphère francophones alors qu’elle revêt pourtant selon moi de la plus haute importance. Parce que c’est peut-être rien moins que l’éducation de demain qui se cache ici derrière cet évènement.

Un État américain, en l’occurrence l’Oregon, vient tout juste de décider d’adopter la solution Google Apps Education pour toutes ses écoles publiques.

Nous vous proposons ci-dessous la double traduction du blog de Google qui annonce fièrement la nouvelle ainsi qu’une explication enthousiaste, voire complaisante, issue du célèbre site Mashable.

J’aurais l’occasion dans un futur billet de revenir plus en détails sur Google Apps Education en pointant effectivement ses nombreux avantages mais également ses criants défauts. Histoire de nuancer quelque peu le caractère parfois légèrement « bisounours » des propos tenus dans ce billet.

Mais retenons pour le moment que les données des élèves dans les nuages des serveurs Google ne font pas peur à l’Oregon (cf les termes du contrat). C’est un choix de l’administration publique, c’est un État tout entier (qui concernent plusieurs centaines de milliers d’élèves) et ça va donner de sérieuses billes à Google pour convaincre d’autres futures institutions scolaires d’en faire autant. Surtout si les journalistes ne font rien d’autre que d’applaudir benoîtement.

Retenons également que contrairement à nos trois étudiants de l’Université Yale, aucune voix de lycéens ou de leurs parents n’est venue contrarier la bonne marche du projet en demandant quelques (légitimes) explications et précisions.

PS : À ceux qui s’étonneront du choix de la photographie ouvrant cet article[1], je l’ai trouvée en tapant « Oregon » dans Flickr. Ce sont les pom-pom girls de l’équipe de football américain des Oregon Ducks et elles me semblaient toutes indiquées pour illustrer ironiquement le côté « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » de cette actualité.

Alis volat propriis : L’État de l’Oregon fait entrer Google Apps dans toutes ses écoles

Alis volat propriis: Oregon’s bringing Google Apps to classrooms statewide

Jaime Casap (Google Apps Education Manager) – 28 avril 2010 – The Official Google Blog
(Traduction Framalang : Étienne)

Ayant grandi dans le quartier de Hell’s Kitchen à Manhattan pendant les années 70, je n’ai pas reçu d’éducation en matière de technologie. Mes enseignants notaient mes copies, et l’idée de collaborer à un projet avec mes camarades n’était pas envisageable, où que ce soit et pour quoi que ce soit. Il va sans dire que nous n’avions pas d’ordinateur à la maison, et que l’idée de travailler sur Internet était encore un rêve pour l’élève que j’étais.

Les choses ont changé, bien sûr, depuis que j’ai quitté l’école, et des gens travaillent ardemment à amener la technologie dans les salles de classe, pour aider les élèves a apprendre et les professeurs à enseigner. Aujourd’hui, l’Oregon franchit une étape majeure dans cette direction. C’est le premier à ouvrir Google Apps Education aux écoles publiques de tout un État.

À partir d’aujourd’hui, le département de l’éducation de l’Oregon offre Google Apps à toutes les académies de l’État, aidant ainsi les professeurs, les personnels administratifs et les élèves à utiliser Gmail, Docs, Sites, Video, Groups et plus encore, au sein des établissements scolaires du primaire et du secondaire. Le financement des écoles a subi des coupes importantes ces dernières années, et l’Oregon n’y fait pas exception. Cette démarche permettra au département de l’éducation d’économiser 1,5 millions de dollars par an, une somme rondelette pour un budget en difficulté.

Avec Google Apps, les élèves de l’Oregon peuvent créer des sites Web ou envoyer des messages à leurs enseignants autour d’un projet. Leurs documents et leurs messages vivent leur vie en ligne, dans le « cloud » (NdT : le nuage), toujours accessibles pour y travailler depuis une salle de classe ou un laboratoire informatique, à la maison ou à la bibliothèque municipale. Et au lieu de, seulement, noter une copie une fois le travail rendu, les professeurs de l’Oregon peuvent accompagner en temps réel les élèves sur leur documents, et les guider au fur et à mesure. Il est essentiel que les élèves apprennent à se servir des outils technologiques dont ils auront besoin au cours de leur vie, et l’Oregon aide ses élèves dans ce sens, tout simplement.

Je suis ébahi de voir à quel point la technologie a évolué depuis que j’ai quitté l’école, et à quel point nous devons continuer dans cette direction pour nous assurer que les enfants aient accès à ces outils dans les classes. Les outils en ligne tels que les Google Apps sont une façon, pour les enseignants, les élèves, et maintenant un État tout entier, de répondre au problème. Oh, et « alis volat propriis » ? C’est la devise de l’Oregon. Celà signifie « Elle vole de ses propres ailes ». Très à propos pour un État qui s’oriente ainsi vers le « cloud ».

Pourquoi les écoles s’ouvrent à Google Apps

Why Schools are Turning to Google Apps

Greg Ferenstein – 28 avril 2010 – Mashable
(Traduction Framalang : Olivier)

Aujourd’hui, les écoles publiques de l’Oregon s’offrent à Google Apps, 400 000 étudiants, enseignants et personnels administratifs auront désormais accès à un système d’e-mail et de chat, des outils de collaboration dans les nuages et un service de streaming multimedia. Les décisions affectant tout un état sont habituellement aprement contestées, chaque point étant sujet à débat.

Mais l’histoire entre Google Apps et le système éducatif est fascinante à bien des égards. Nous avons interviewé les architectes de ce plan ainsi que ceux qui utilisent Google dans les salles de classe. Voici les trois avantages qui s’en dégagent : 1) les écoles font des économies, 2) les résultats scolaires et la motivation s’en ressentent, à la hausse, et 3) les étudiants sont mieux préparés aux communications numériques dans le monde réel.

Les économies

L’argent est souvent le nerf de la guerre lorsqu’on parle de réforme de l’éducation et l’avantage est clairement dans le camp de Google. Le ministère de l’éducation de l’Oregon estime pouvoir économiser 1,5 million de dollars par an. Même le relativement modeste Maine Township District 207 dans l’Illinois, qui a déjà adopté Google Apps, estime ses économies à 160 000 dollars chaque année.

Google Apps Education est gratuit. Les économies proviennent principalement de l’abandon des logiciels de messagerie et de bureautique, auxquelles il faut ajouter les coûts de la maintenance informatique et des mises à jours matérielles. D’après Steve Nelson, vice-président technologie de Oregon Virtual Schools, ces économies peuvent être ré-investies pour déployer un service de streaming multimédia qui fait la part belle aux créations des étudiants, ce qui, ajoute-t-il, « n’était pas économiquement faisable » avant l’arrivée de Google.

Henry Thiele, responsable informatique pour le district 207, s’avoue « surpris du nombre d’écoles qui ne connaissent même pas Google Apps ». Et si elles en entendent parler, poursuit-il, elles cherchent toujours le petit piège. Thiele répond simplement « Il n’y a pas de piège ».

Résultats et motivation à la hausse

« Les étudiants qui participent à ce programme progressent beaucoup plus rapidement en lecture que ce à quoi nous sommes habitués », s’enthousiasme Thiele. Il fait référence à un cours d’anglais où un ordinateur portable a été confié à des élèves de 3ème considérés en difficulté. Dans le District 207, on espère voir une progression de 3 points en moyenne sur les tests de lecture cette année, mais les scores des élèves en difficulté devraient stagner ou régresser. Alors que les scores de ceux qui en revanche participent au programme ont fait un bond de 8 à 10 points. Google Apps n’est pas le seul facteur à l’origine de ce progrès, mais son coût dérisoire et sa nature collaborative ont rendu le programme 1-to-1 (un ordinateur pour chaque élève) possible.

Jason Levy, chef d’établissement, qui a participé à l’introduction de Google Apps dans les écoles du district 339 de New York (voir ce reportage vidéo), a observé que 47% des étudiants atteignent désormais la moyenne en mathématiques contre 27% auparavant. De plus, Thiele et Levy font état d’une plus grande concentration et de moins de problèmes disciplinaires. D’après Levy « leur comportement s’est amélioré, l’absentéisme a diminué et les exclusions temporaires sont plus rares ».

Les remarques de ces deux enseignants reflètent l’avis général puisque les expérimentations réalisées dans d’autres classes confirment que mêler technologie et éducation accroît l’intérêt des élèves.

Ça n’est pas très difficile à comprendre « On dit souvent que les gamins ne savent pas se concentrer ou garder leur concentration. Ma foi, je n’y arrive pas non plus » avoue Levy. S’appuyer sur le besoin des enfants de se socialiser et sur leurs facultés d’adaptation à la technologie est un moyen naturel de tirer partie de leur curiosité.

Se préparer au monde réel

Non seulement les étudiants bénéficient des avantages de la collaboration et d’une familiarisation accrue avec l’informatique, mais Google Apps les aide aussi à se préparer pour le monde réel de manière innovante. Grâce à Google Sites, les futurs ingénieurs tiennent à jour un portofolio numérique de leurs projets d’étude. La somme numérique de tous leurs travaux universitaires parlera certainement plus à leurs futurs employeurs que quelques tirets dans un CV.

L’un des professeurs du Maine Township utilise Google Spreadsheets pour faire sortir la science du carcan des livres. Les étudiants réalisent de vrais expériences et regroupent toutes leurs données dans des tableaux en ligne. Ici, les élèves mettent littéralement les mains dans le cambouis, ils mesurent l’influence du sol sur la croissance des plantes et traitent leurs données grâce aux outils informatiques, comme les vrais scientifiques. Ce modèle, pas bien sorcier, semble être un moyen peu onéreux et motivant pour aider le Ministère de l’Éducation a atteindre le but qu’il s’est fixé d’accroître la compétitivité scientifique des États-Unis au travers de l’ambitieux programme « Race to the Top ».

Conclusion

« Les fonctionnalités apportées sont absolument stupéfiantes » ajoute Nelson. Effectivement, tous ceux que j’ai interviewé ne trouvaient que du positif à l’introduction de Google Apps dans un contexte d’enseignements. Quoiqu’on pense de Google en tant que société, ses contributions au système éducatif américain sont remarquables.

L’adoption par les écoles de Google Apps est un signe que l’informatique dans les nuages se démocratise. Le perfectionnement de ces outils, ainsi que leur avantage économique font des applications Web une alternative intéressante pour les écoles en manque de moyens. Peut-être faut-il voir dans l’adoption de Google Apps par l’Oregon un signe avant coureur d’une éducation qui se fera de plus en plus dans les nuages.

Notes

[1] Crédit photo : Avinash Kunnath (Creative Commons By)




Un cas d’école : Quand trois étudiants de l’université Yale résistent à Google

Law Keven - CC by-saSi il y a bien une constante lorsqu’une décision est prise dans l’éducation autour des nouvelles technologies, c’est de rarement prendre la peine de consulter les principaux intéressés, c’est-à-dire les élèves et les étudiants eux-mêmes !

C’est ce que nous rappelle en creux cette intervention de trois étudiants de la prestigieuse Université Yale, surpris à juste titre de voir arriver, sans la moindre concertation, la messagerie Gmail de Google dans leur établissement.

L’annonce en a été faite le 9 février dernier sur le site d’actualité de l’université : Google to run Yale e-mail.

Mais deux jours plus tard, paraissait sur le même site la réaction de nos étudiants, traduite ci-dessous, dont le titre est un malicieux clin d’œil à la devise de leur université : Lux et Veritas (Lumière et Vérité).

Saluons au passage l’existence de ce site d’actualités Yale Daily News qui ouvre ses colonnes au débat et à la contestation (cf les nombreux commentaires sous le billet d’origine). Les universités françaises s’honoreraient de s’en inspirer.

Ils n’en appelaient pas forcément à rejeter le projet. Juste à plus de transparence, en se posant ensemble en amont quelques légitimes questions lorsqu’il s’agit de confier nos données à Google et à ses serveurs dans les nuages.

Je ne sais si cette opportune intervention est directement à l’origine de la décision, mais toujours est-il que l’Université a accepté peu de temps après de retarder la migration, annoncé dans un nouvel article également traduit ci-dessous, validant par là-même leurs doutes et leurs arguments.

Nous ne manquerons pas de vous tenir au courant de la décision finale de l’Université.

Si tous les étudiants ressemblaient à nos trois compères, nul doute que l’on serait plus vigilant face aux risques des marchandisation de l’école. Nul doute également que le logiciel libre et sa culture seraient plus souvent évalués, encouragés et adoptés[1].

Lux et Veritas et Gmail, par Csar, Kamdar et Slade

Csar, Kamdar and Slade: Lux et Veritas et Gmail

Christian Csar, Adi Kamdar et Francesca Slade – 11 février 2010 – Yale Daily News
(Traduction Framalang : Barbidule et Quentin)

Nous dépendons de l’e-mail pour à peu près tout. c’est le moyen idéal pour organiser des évènements, sensibiliser les gens, diffuser des annonces officielles. Le mail est constamment présent dans la vie de tous les membres de Yale. A ce titre, toute modification radicale dans la manière dont fonctionne ce système – comme le possible passage à un système hébergé par Google – mérite un débat approfondi. Bien que le système basé sur Gmail possède de nombreux avantages, cela n’excuse pas l’opacité qui a entouré le processus de transition jusqu’ici. Le degré de frustration envers le service e-mail actuel est indéniablement haut – beaucoup d’étudiants veulent quelque chose de mieux, et Gmail est une possibilité. La substantielle fraction d’étudiants qui transfèrent leur e-mail de leur boîtes Yale vers leur compte Gmail verraient d’un bon oeil une transition vers Gmail. Et même si de nombreux étudiants se réjouiront de l’arrivée de Gmail, un tel changement ne devrait résulter que d’un processus transparent avec un dialogue ouvert entre toutes les parties prenantes.

La transition telle qu’elle est envisagée aujourd’hui laisse sans réponses plusieurs questions fondamentales.

Nous avons cru comprendre que Google ne facturerait rien à l’université, par exemple, et nous nous interrogeons sur ce que Google retire de cette générosité – hormis bien évidemment l’accès à nos mails. Sans un processus de planification transparent, au cours duquel les étudiants ont la possibilité de poser ce genre de questions, il est difficile de ne pas être un minimum méfiant.

Les étudiants qui utilisent Gmail pour leur e-mail de Yale font pour le moment un choix individuel, ils sont libres d’arbitrer entre les indéniables avantages de Gmail et leurs propres inquiétudes. Ainsi, nous sommes en train d’écrire cet article sur Google docs. Cependant, quand l’ensemble du système de mails bascule sur Gmail, ces inquiétudes ne sont plus seulement l’affaire de quelques individus, elles concernent l’institution elle-même. Les problèmes collectifs de la faculté, de l’équipe et des étudiants doivent par conséquent être étudiés avant que Yale change pour Gmail.

Car malgré tous les avantages de Gmail, il subsiste quelques réelles inquiétudes. En tant qu’étudiants, nous avons besoins d’être assurés que Yale a signé un contrat avec Google garantissant un certain nombre de points. Pour l’instant, le passage à Gmail repose sur la générosité de Google, qui fournit un service gratuitement et sans publicité. Si à l’avenir Google décide de facturer ce service, quelles seront les conséquences pour Yale ? Nous ignorons quel contrôle la Direction des Systèmes Informatiques (DSI) et l’Université auront sur les données, leur sauvegarde, leur sécurité et leur migration. Nous ignorons où les serveurs Gmail seront situés, et quelles dispositions légales sur la protection des données personnelles s’appliqueront dans cette juridiction. A Brown, par exemple, d’après le site de l’Université, les mails peuvent être stockés « dans des datacenters situés hors des États-Unis ». De plus, personne n’a précisé quel sera l’accès que Google, avec ses algorithmes de data-mining, aura aux mails de Yale. Même si Google et la DSI ont toutes les réponses, nous avons au moins le droit de nous poser ces questions.

Enfin, Google n’est pas infaillible. Au cours des huit derniers mois, Gmail a connu six coupures, dont certaines prolongées. Et la seule compensation qu’offre Google – y compris aux clients qui paient – ce sont des jours gratuits. Quels sont les mécanismes mis en place par Yale en cas de coupure ? Comment pouvons-nous être sûrs que Gmail ne délivrera pas accidentellement des mails aux mauvaises personnes, comme ce fut le cas lors de la transition vers Gmail à l’université de Brown ?

Seul un processus de décision transparent permettra de répondre à ces questions que posent les étudiants. C’est pourquoi nous demandons à l’administration d’ouvrir un large dialogue avant que la DSI ne s’engage dans une démarche de sous-traitance du mail des étudiants actuels et futurs. Même si la décision de basculer est déjà arrêtée, il n’y a aucune raison valable pour dissimuler les choses et refuser d’entendre les préoccupations de ceux qui utiliseront quotidiennement le système. Le mail est trop important pour que son fonctionnement soit secret. Avec comme devise Lux et Veritas, Yale devrait comprendre la nécessité d’éclairer les conséquences de ce changement.

Christian Csar et Francesca Slade sont co-président du Club d’Informatique des Etudiants de Yale et sont étudiants l’un à l’Université Silliman, et l’autre à l’Université Pierson. Adi Kamdar est étudiant en deuxième année à l’Université Calhoun, il est également président des Etudiants de Yale pour une Culture Libre.

Le service informatique repousse le passage à Gmail

ITS delays switch to Gmail

David Tidmarsh – 30 mars 2010 – Yale Daily News
(Traduction Framalang : Quentin)

Le passage vers Google comme fournisseur de courriels de l’Université Yale est suspendu à une date ultérieure.

La migration de la messagerie de l’université de l’ancien Horde vers Gmail (et la suite de services de communication et de collaboration Google Apps Education) est suspendue, en attendant les résultats d’une étude impliquant davantage la participation des professeurs et des étudiants. En effet, après une série de réunions entre les étudiants, leurs professeurs et les administrateurs en février dernier, les officiels du département informatique ont décidé de mettre ce changement en attente, a dit le doyen adjoint pour les sciences et la technologie, Steven Girvin.

« Il y avait suffisamment de préoccupations exprimées pour que la consultation et la participation de la communauté deviennent nécessaires », dit-il dans un email envoyé au site d’actualités de l’université.

L’idée de passer à Google Apps Education – incluant des programmes populaires tels que Gmail, Google Calendar et Google Docs – résulte de réunions internes au service informatique qui se sont déroulées cet hiver, a dit le professeur d’informatique Michael Fischer. Mais lorsque le service informatique a notifié ce changement aux représentants des professeurs et aux administrateurs en février, des réserves ont été exprimées, et les officiels du département informatique ont décidé d’organiser un comité pour discuter de cette situation.

« De nombreux membres de ce comité ont pensé que le service informatique avait pris une décision trop hâtive sans l’approbation globale de l’université », a dit Fischer.

« Les gens se sont principalement intéressés à des questions techniques sur la conduite du changement en se demandant Comment pouvons-nous faire ? » dit-il. « Mais personne ne s’est réellement demandé : Devons-nous le faire ? ».

Fischer classe les inquiétudes à propos du passage à Gmail en trois catégories : les problèmes liés au cloud computing (le transfert des informations des serveurs de l’université vers Internet), les risques et les inconvénients technologiques, et les problèmes idéologiques.

Google enregistre toutes les données dans trois datacenters choisis aléatoirement, parmi les nombreux dont il dispose à travers le monde, de façon à garantir leur accès et à pouvoir continuer à travailler si l’un d’entre eux tombe en panne. La problème c’est que ces données sont alors théoriquement soumises aux lois des pays qui les hébergent. Il a ajouté que Google n’est pas prêt de fournir au service informatique la liste de pays susceptibles d’héberger ces données, il ne consent qu’à donner une liste d’une quinzaine de pays où les données ne seront pas stockées.

« Yale est une communauté internationale et multiculturelle d’étudiants », a-t-il dit. « Les étudiants devraient avoir le droit de savoir ce qu’il advient de leurs données tant qu’ils sont sur notre campus. »

« Quand bien même toutes les données soient stockées sur le sol américain, la taille et la visibilité de Google la rend plus susceptible d’être attaqué par des individus malintentionnés », a déclaré Fischer.

Avec cette décision et ce partenariat, Yale va peut-être perdre le contrôle de ses données et donner l’impression d’approuver la politique de Google (dont les gros datacenters laissent une grande empreinte carbone). « De plus », poursuit Fischer, « Google Apps est proposé dans une taille unique pour toute sa clientèle, avec tous les risques inhérents à cette monoculture Google ».

Le doyen adjoint Vharles Long a dit mercredi dernier qu’il ne connaissait pas la décision du comité mais qu’elle serait annotée par de nombreux membres de l’université concernés par la sécurité des communications à l’intérieur du système Google.

« J’ai entendu dire que les étudiants sont déjà tous sur Gmail » a t-il dit, « mais ils sont également concernés par le devenir de leurs données personnelles dans le respect des législations en vigueur ».

« Le service informatique met en place des propositions de procédures afin d’obtenir des retours de la communauté et pouvoir ainsi prendre une décision plus avertie dans les mois à venir », ajoute Fischer.

Au départ, le service informatique avait planifié une transition par étapes depuis Horde vers Gmail à partir de l’été prochain, en faisant passer directement les nouveaux et les étudiants en première année sur Gmail tout en offrant aux autres la possibilité de rester sur Horde si ils le désirent.

A ce stade, Fischer estime que le passage à Google Apps Education ne se fera pas avant l’été de l’année suivante, avec une promotion 2015 qui sera la première à adopter le nouveau système dès le début de leur première année.

Google a été récemment au centre de nombreuses controverses concernant les problèmes de vie privée, de sécurité et de propriété intellectuelle. Ainsi l’introduction récente de Google Buzz autorisait automatiquement les utilisateurs de Gmail à voir les contacts des membres de leur carnet d’adresses. La société a également été critiquée pour sa censure des résultats de recherche en coopération avec le gouvernement chinois, même si Google a récemment inversé cette politique en fermant son site Web chinois.

Notes

[1] Crédit photo : Law Keven (Creative Commons By-Sa)




Vu à la télé – Le logiciel libre pour nos enfants demain ?

Le logiciel libre pour nos enfants demain ?

C’est la question que l’on se pose depuis des années, en se désespérant de constater que l’Éducation nationale ne fait pas grand chose pour que ce demain devienne aujourd’hui.

Mais nous ne sommes pas les seuls, parce que c’est aussi la question que posait le 17 mars dernier le titre de la chronique « Clair et Net » d’Emma Rota dans l’émission Les Maternelles de France 5 (reproduite et transcite ci-dessous).

Elle y mettait en avant les trois projets éducatifs libres bien connus ici que sont Abuledu, Sésamath et OOo4Kids.

Pour ce dernier projet, elle pointait directement vers un billet « énervé » du Framablog : 0,01% du budget licences Microsoft pour soutenir et déployer OOo4Kids à l’école ! Force est de constater que l’argument du manque de soutien a été bel et bien repris et de quelle manière :

« Si ces enseignants optent pour le logiciel libre à l’école c’est parce qu’ils adhèrent à une éthique que personne ne peut décemment rejeter : notre école publique n’est pas un lieu marchand ; donc il devrait être interdit de laisser toute la place à des logiciels propriétaires type ceux de Microsoft (…) Ce qui ne veut pas dire que ces initiatives n’ont pas un coût (…) Et vous serez d’accord avec moi pour décréter que c’est au ministère de l’éducation nationale de les financer un minimum. »

Après merci Emmanuelle, merci Emma !
😉

—> La vidéo au format webm

Le logiciel libre pour nos enfants demain ?

URL d’origine du document

Emma Rota – 17 mars 2010 – Clair et Net / Les Maternelles

Il y a un mois est sorti dans le silence le plus total un rapport de 326 pages commandé par le ministère de l’éducation nationale intitulé « Réussir l’école numérique ». Il s’agit d’un recueil de 12 000 contributions et témoignages d’enseignants, d’élèves, de parents d’élèves qui démontrent combien l’usage de l’ordinateur et d’internet à l’école est un facteur d’égalité des chances et de réussite scolaire. Le rapport préconise la connexion en haut débit pour 100% des écoles d’ici 2012.

Pour rappel, lorsque je faisais cette même chronique il y a maintenant 8 ans à cette même place (ça ne nous rajeunit pas) je rapportais déjà les mêmes genres de vœux pieux de la part du ministère de l’éducation nationale… 😉

Et nous on aime les vœux pieux. Surtout lorsqu’on reçoit en parallèle des mails d’instituteurs excédés qui disent en substance – et c’est la réalité du terrain, tous les chiffres le démontrent - : « nous ne recevons pas le moindre centime de l’état, ce que nous bâtissons de numérique dans nos écoles c’est avec notre énergie toute personnelle et les deniers de notre collectivité locale ».

D’où, vous l’aurez compris, l’énorme disparité du matériel, des logiciels et du savoir numérique selon l’école primaire que fréquente ou que va fréquenter votre enfant…

C’est pourquoi aujourd’hui j’ai décidé de mettre à l’honneur trois belles initiatives numériques montées par des instits, avec leur passion et sur leur temps personnel.

1 – Allons d’abord sur le fantastique site www.abuledu.org, né en 1998 – il y a déjà 12 ans, par un instit passionné de Pessac.

C’est aujourd’hui un site qui propose une liste énorme de logiciels éducatifs scolaires pour les élèves de la maternelle à l’université. Pour y accéder, on clique sur ce qu’ils appellent « le Terrier » et regardez la liste : je vous propose de tester « A nous les nombres » par exemple : un petit logiciel de maths qui permet à l’enfant de dénombrer des barques ou des éléphants en s’amusant. Ou encore le logiciel « Associations » qui lui est pour les enfants dès la fin de la maternelle : il permet d’entendre le son associé à un mot et associé à une image, des exercices pour débuter l’apprentissage de la lecture.

Tous ces logiciels sont des logiciels libres : c’est à dire que leur créateur a voulu dès le départ que tous les enseignants et élèves de la France entière puisse en profiter s’ils le désirent ; chacun de ces logiciels est copiable, distribuable et même modifiable si on veut y apporter des changements soi même ! C’est la différence d’avec un logiciel propriétaire du type Word qui, en plus d’être payant ne va pouvoir être partagé avec personne…

2 – Seconde initiative qui elle aussi connaît actuellement une adhésion phénoménale dans le milieu enseignant : www.sesamath.net Des logiciels libres pour les enseignants ET les élèves pour rendre plus ludique l’apprentissage des mathématiques à tous les âges. Tenez vous bien, quasi 9000 profs de maths ont abonnés à ce site, c’est à dire le quart des profs de maths en France ! Ils profitent des exercices interactifs, des cours et des corrections animés tout en échangeant sur leur manière d’enseigner. Car il est là le principal attrait du logiciel libre éducatif?: partager son savoir, évoluer dans sa manière d’enseigner et donc forcément enrichir ses élèves qui je le rappelle, sont nos enfants. Et personnellement je rêve que mon fils lorsqu’il sera à l’école primaire puisse bénéficier de la curiosité d’enseignants de la trempe de ceux qui sont sur ces sites là…

3 – Enfin troisième initiative à encourager car elle est en train de se construire, on la voit sur cette vidéo.

il s’agit d’une suite bureautique spécialement conçue pour les 7/12 ans avec un design simplifié et adapté aux enfants, avec un traitement de texte et un tableur aux outils simplifiés eux aussi.

Si ces enseignants optent pour le logiciel libre à l’école c’est parce qu’ils adhèrent à une éthique que personne ne peut décemment rejeter : notre école publique n’est pas un lieu marchand ; donc il devrait être interdit de laisser toute la place à des logiciels propriétaires type ceux de Microsoft alors qu’il existe d’autres solutions plus neutres.

Ce qui ne veut pas dire que ces initiatives n’ont pas un coût. Elles ont un coût comme toute chose sur cette Terre, au moins le coût de la sueur et du temps de celui qui le fabrique.

Et vous serez d’accord avec moi pour décréter que c’est au ministère de l’éducation nationale de les financer un minimum. Surtout lorsque l’on se souvient à quel point il s’extasie depuis 10 ans sur les prouesses des outils numériques dans ses écoles.

Ah les vœux pieux, les vœux pieux…




Lâchons prise en débranchant la prise

Batintherain - CC by-saOn parle beaucoup de libération sur ce blog. Mais l’acte de libération ultime n’est-il pas devenu celui de se couper momentanément ou plus durablement de l’Internet ?

Au diable la rédaction frénétique de mon blog pour être parmi les premiers à annoncer ce que des centaines d’autres annonceront. Au diable la consultation des commentaires et statistiques de ce même blog.

Les mails, tweets et fils RSS peuvent s’accumuler, mes amis Facebook gesticuler et me stimuler… Je n’en ai cure. Ils vivront très bien sans moi. Je ne suis pas inspensable à l’Internet. Mais l’Internet ne m’est pas inspensable non plus[1].

Je ne dois plus être esclave de ma propre vanité.

Tel un joueur invétéré qui demande de lui-même au patron de son casino préféré de ne plus le faire entrer, je me choisis un proche et lui confie la mission de changer tous mes mots de passe avec ceux de son choix qu’il gardera pour lui, même si je l’en supplie plus tard de me les dévoiler.

Je n’ai plus la tête dans le flux. Ouf ! Je respire !

PS : Ce court billet « à contre-courant » fait écho à notre célèbre et bien plus dense traduction du même auteur : Est-ce que Google nous rend idiot ?

Exode

Exodus

Nicholas Carr – 8 avril 2010 – Blog de l’auteur
(Traduction Framalang : Joan Charmant)

Cela a-t-il commencé ?

James Sturm, le dessinateur, n’en peut plus d’Internet :

Ces dernières années, Internet est passé d’une simple distraction à quelque chose qui semble plus sinistre. Même quand je ne suis pas à mon ordinateur, je suis conscient que JE NE SUIS PAS À MON ORDINATEUR et je fais des plans pour pouvoir RETOURNER À MON ORDINATEUR. J’ai tenté diverses stratégies pour limiter le temps que je passe en ligne : laisser mon portable au bureau quand je rentre à la maison, le laisser à la maison quand je vais au bureau, un moratoire sur l’utilisation les samedis. Mais rien n’a fonctionné très longtemps. De plus en plus d’heures de ma vie s’évaporent sur YouTube… La communication de base a laissé la place à des heures de vérification compulsive de mes mails et de surf sur le web. L’Internet m’a rendu esclave de ma vanité : je contrôle le positionnement de mes livres sur Amazon toutes les heures, je suis constamment en train de chercher les commentaires et discussions sur mes travaux.

Il n’est pas tout à fait prêt pour divorcer d’avec le Web. Mais il a décidé de tenter une séparation de quatre mois. Comme Edan Lepucki, il a demandé à quelqu’un de lui changer les mots de passe de tous ses comptes, juste pour être sûr.

Je sais qu’on ne reviendra jamais à l’ère pré-Internet, mais je voudrais juste progresser un peu plus lentement.

La déconnexion est la nouvelle contre-culture.

Notes

[1] Crédit photo : Batintherain (Creative Commons By-Sa)




Paul Ariès et le logiciel libre ont-ils des choses à se dire ?

Un internaute a eu l’idée de compiler les interventions de Paul Ariès (et uniquement celles-ci), lors de l’émission Ce soir ou jamais du 1er avril dernier consacrée à l’actualité économique : bouclier fiscal, taxe carbone. situation de la Grèce, etc. Vous trouverez cette vidéo à la fin du billet.

Montage oblige, il n’y a plus ni dialogue ni débat, et on mouche ainsi facilement l’autre invité qu’était Alain Madelin (ce qui, je le confesse, ne m’a pas dérangé). Mais j’ai néanmoins trouvé cela fort intéressant et parfois très proche de certains articles parus dans la rubrique « Hors-sujet ou presque » du Framablog, où il s’agit souvent, avec moult précautions, de voir un peu si le logiciel libre et sa culture sont solubles dans le politique, l’économique, l’écologique ou le social.

Paul Ariès était ainsi présenté sur le site de l’émission :

Paul Ariès est politologue, directeur du journal Le Sarkophage qui se veut un journal d’analyse critique de la politique de Nicolas Sarkozy, rédacteur au mensuel La Décroissance, collaborateur à Politis et organisateur du « Contre-Grenelle de l’Environnement ». Paul Ariès est considéré par ses adversaires comme par ses défenseurs comme « l’intellectuel de référence » du courant de la décroissance. Auteur d’une trentaine d’essais, il vient de publier « La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance » (La Découverte), et un pamphlet intitulé « Cohn Bendit, l’imposture » (Max Milo).

Extrait (autour de la 13e minute) :

On peut reprocher tout ce que l’on veut au système capitaliste et à cette société d’hyper-consommation, mais il faut reconnaître que c’est une société diablement efficace. Pourquoi ? Parce qu’elle sait susciter le désir et le rabattre ensuite sur la consommation de biens marchands. Or, comme le désir est illimité, on va désirer toujours plus de consommation.

Donc, si on veut être a la hauteur il ne s’agit pas de vouloir faire la même chose mais en moins. Il faut avoir un principe aussi fort à opposer. Et à mes yeux la seule chose aussi forte que l’on peut opposer au toujours plus, c’est la gratuité. Parce que la gratuité, on l’a chevillée au corps. C’est le souvenir du paradis perdu, c’est le sein maternel, c’est les relations amoureuses, amicales, associatives, c’est les services publics, c’est le bien commun.

Le bon combat pour les XXIe siècle, ce n’est pas de manifester pour l’augmentation du pouvoir d’achat, c’est de manifester pour la défense et l’extension de la sphère de la gratuité.

Sémantiquement parlant, on se méfie beaucoup sur ce blog et ailleurs de cette notion de « gratuité ». Alors j’ai eu envie d’en savoir plus et je suis tombé sur ce tout aussi intéressant article (issu du site du NPA) : La révolution par la gratuité de Paul Ariès.

Extrait :

Il ne peut y avoir de société de la gratuité sans culture de la gratuité, comme il n’existe pas de société marchande sans culture marchande. Les adversaires de la gratuité le disent beaucoup mieux que nous. John H. Exclusive est devenu aux Etats-Unis un des gourous de la pensée « anti-gratuité » en publiant Fuck them, they’re pirates (« Qu’ils aillent se faire foutre, ce sont des pirates »). Il y explique que le piratage existe parce que les enfants sont habitués à l’école à recopier des citations d’auteurs, à se prêter des disques, à regarder des vidéos ensemble, à emprunter gratuitement des livres dans les bibliothèques, etc. L’école (même américaine) ferait donc l’éducation à la gratuité.

Les milieux néoconservateurs proposent donc de développer une politique dite de la «gratuité-zéro» qui serait la réponse du pouvoir aux difficultés des industries « culturelles » confrontées au développement des échanges gratuits, via les systèmes « peer-to-peer ». La politique à promouvoir sera totalement à l’opposé et passera par la généralisation d’une culture de la (quasi)gratuité. Nous aurons besoin pour cela de nouvelles valeurs, de nouveaux rites, de nouveaux symboles, de nouvelles communications et technologies, etc. Puisque les objets sont ce qui médiatisent le rapport des humains à la nature quels devront être le nouveau type d’objets de la gratuité ?

L’invention d’une culture de la gratuité est donc un chantier considérable pour lequel nous avons besoin d’expérimenter des formules différentes mais on peut penser que l’école sera un relais essentiel pour développer une culture de la gratuité et apprendre le métier d’humain, et non plus celui de bon producteur et consommateur. Parions que la gratuité ayant des racines collectives et individuelles beaucoup plus profondes que la vénalité en cours, il ne faudrait pas très longtemps pour que raison et passion suivent…

Je ne sais pas ce que vous en penserez mais j’ai comme eu l’impression que l’auteur ignorait tout simplement l’existence du logiciel libre, qui n’est pas cité une seule fois dans ce long article.

Est-ce que la « gratuité » de Paul Ariès ne ressemble pas finalement à la « liberté » du logiciel libre (dont la gratuité n’est qu’une éventuelle conséquence) ? Cette liberté du logiciel libre n’est-elle pas plus forte, subversive, et au final plus pertinente et efficace pour étayer les arguments de Paul Ariès ?

Voici quelques unes des questions qui me sont donc venues en tête à la lecture du passage vidéo ci-dessous[1] :

—> La vidéo au format webm

Une vidéo qui fait écho, plus ou moins directement, aux billets suivants du Framablog :

Notes

[1] Merci à Dd pour la conversion de la vidéo au format Ogg sur Blip.tv.




CoursdeProfs.fr : une affligeante initiative aveuglément relayée par la grande presse

Silviadinatale - CC byLorsque j’ai découvert il y a peu CoursDeProfs.fr j’en suis resté bouche bée. Et j’ai encore du mal à croire qu’on ait pu oser un tel projet, l’un des pires qui ait été lancé dans l’éducation depuis des années. La seule et unique consolation c’est qu’il n’émane pas de l’institution mais du secteur privé.

De quoi s’agit-il exactement ? D’un site qui propose aux enseignants de déposer leurs cours et aux visiteurs de les consulter. « Venez échanger et partager votre savoir », peut-on lire en accueil. Le slogan est au diapason : « Partageons ! »

Sympa, non ? Jusqu’ici tout va bien. Et, sourire aux lèvres, on pense alors naïvement être en présence d’une sorte de forge communautaire de contenus éducatifs, interopérables et sous licences libres. Quelque chose qui ressemblerait à une Académie en ligne qui aurait gommé tous ses défauts, ou plus sûrement à un Sésamath étendu cette fois-ci à toutes les disciplines et à tous les niveaux.

Grossière erreur, car l’état d’esprit qui anime le projet se trouve précisément aux antipodes de ce modèle. Pour tous ceux qui comme nous participent à diffuser le logiciel libre et sa culture au sein de l’Éducation nationale, c’est plus qu’une déception, c’est une véritable provocation.

Prenez le meilleur de Sésamath et Wikipédia en essayant de faire exactement le contraire, et vous obtiendrez CoursDeProfs.fr !

Que ce site rencontre le succès, que les profs embarquent nombreux consciemment ou non dans cette supercherie[1], et je serais obligé de « faire mon Jospin 2002 », c’est-à-dire en prendre acte et quitter séance tenante aussi bien Framasoft que mon métier d’enseignant pour m’en aller cultiver des tomates bios en Ardèche.

Or l’hypothèse n’est pas à exclure quand on voit avec quelle coupable complaisance l’initiative est unanimement relayée et saluée par nos grands médias, illustrant par là-même leur désolante méconnaissance du sujet.

J’ai vainement cherché le moindre début de critique constructive non seulement sur ces mainstream médias mais également dans la blogosphère et je n’ai strictement rien trouvé. C’est ce qui m’a poussé à rédiger ce billet, histoire d’apporter un peu la contradiction (quitte aussi à prendre le risque de leur faire ainsi une injuste publicité).

Ceci étant dit, CoursDeProfs apporte une très mauvaise réponse à d’excellentes questions. Les enseignants souhaitent-ils se regrouper pour créer et échanger ensemble ? Les élèves et leurs parents souhaitent-ils avoir facilement et librement à disposition des ressources éducatives de qualité sur Internet ?

Des médias complices et ignorants

Je tire mon chapeau au service marketing de CoursdeProfs.fr. Non seulement ils ont eu une prestigieuse couverture médiatique mais en plus les articles sont dithyrambiques.

Jugez plutôt :

Le Nouvel Obs : Une plate-forme collaborative pour les profs

Le site CoursDeProfs.fr s’est ouvert officiellement ce lundi 15 mars, pour le plus grand bonheur des enseignants. Concrètement, le site propose aux profs de mettre en commun leurs cours et devoirs avec un seul mot d’ordre : « Partagez vos expériences et vos savoirs ».

Libération : Des cours Net et sans bavures

Vous êtes prof de maths et vous avez déjà fait faire vingt fois les mêmes exercices sur le tracé des triangles aux différentes classes que vous avez eues. Le problème, c’est que vous êtes à court d’idées… Ou alors prof débutant de physique-chimie, vous vous demandez comment organiser la séance de travaux pratiques sur l’utilisation de l’oscilloscope transparent, d’autant que votre classe de terminale S est plutôt dissipée. Rassurez-vous : le site CoursDeProfs.fr, lancé avant-hier, est censé vous aider. Il se présente comme la première plateforme d’échanges de cours entre professeurs. Le but : favoriser « le partage de savoirs et d’expériences » et faire ainsi mentir le cliché selon lequel chaque prof travaille dans son coin sans se soucier de ce que font les autres.

Le Parisien : Des cours gratuits en ligne

Une salle des profs virtuelle, géante et ouverte à tous : où les enseignants peuvent se retrouver et s’échanger leurs cours, où les parents peuvent aussi « débouler » pour retrouver la leçon de maths du fiston absent la semaine dernière, et les élèves venir vérifier qu’ils ont bien noté le cours, voire compléter la leçon… Ce lieu de rêve, c’est l’objectif de Coursdeprof.fr, qui a inauguré hier la première plate-forme communautaire du genre, qui puisse rassembler tous les profs de France autour de leur métier : leur permettre de transmettre leurs connaissances, la somme de tous les cours préparés dans la solitude de leurs bureaux, où ils échouent à nouveau après avoir été dispensés en classe.

L’Entreprise.com (L’Express) : Les profs parlent aux profs

C’est sans doute le premier réseau social fait par des enseignants pour des enseignants. A l’origine de CoursDeProfs.fr. quatre associés : Nicolas Duflos, ingénieur en informatique et télécommunications, inspirateur du projet ; Gabriel Tabart, prof d’EPS, Xavière Tallent, conseil en marketing et communication et Christophe Claudel fondateur de la SII Itelios[2].

Elle : Rattraper les cours manqués sur CoursDeProfs.fr

Un excellent complément pour les profs qui peuvent ainsi « confronter leurs idées et leurs façons de faire » (…) Preuve de son succès, à l’heure où nous écrivons, le site est surbooké et nous invite à nous reconnecter ultérieurement.

La Tribune : Le partage d’expérience fait son chemin chez les enseignants

Les concepteurs espèrent obtenir le label de ressource « reconnue d’intérêt pédagogique » (RIP). Ils déposeront un dossier en ce sens auprès du ministère de l’Education nationale avant l’été[3].

J’ai également noté un passage télé (France 2 – Télématin – 16 mars) et un passage radio (France Culture – Rue des écoles – 17 mars), deux fleurons de notre service… public !

Donc si je résume, « le partage d’expérience fait son chemin chez les enseignants » (La Tribune), un « grand bonheur » (Nouvel Obs), un « lieu de rêve » (Le Parisien) que CourdDeProfs.fr, ce « premier réseau social fait par des enseignants pour des enseignants » (L’Express), cette « première plate-forme d’échanges de cours entre professeurs » (Libération).

Or à y regarder de plus près, le rêve cache peut-être un cauchemar. Et désolé si ce qui va suivre est susceptible de venir un peu gâcher la fête.

Des cours aux multiples verrous artificiels

On sait comment cela se passe. La boîte balance son communiqué de presse et les rédactions choisissent ou non de s’en saisir. Mais lorsqu’elles s’en saisissent, on est en droit d’attendre d’elles un minimum d’investigation, de mise à distance et de contextualisation, en bref faire son boulot de journaliste et non du publireportage.

Et c’est d’autant plus coupable que lorsqu’une startup s’insère dans l’éducation « pour le bien de tous », la vigilance devrait être naturellement de mise (cf les beaux discours de Microsoft à l’école souvent évoqués sur ce blog).

Nos grands médias sont-ils vraiment allés sur CoursDeProfs.fr voir un peu comment cela se déroulait concrètement ? Permettez-moi d’en douter, parce que dans le détail, la plate-forme possède de nombreux et criants défauts.

CoursDeProfs - Copie d'écranAfin d’illustrer mon propos par l’exemple, j’ai choisi au hasard un document du site dans ma discipline, à savoir les mathématiques.

Nous sommes en Sixième pour un Cours sur les fractions (cf copie d’écran ci-contre).

Première remarque : ce cours est d’un classicisme absolu. Ouvrez n’importe quel manuel scolaire de ce niveau et ce sera identique mais plus riche et mieux mis en forme et en page. Ici, la valeur pédagogique ajoutée est pour ainsi dire nulle. Cela n’augure rien de bon quant au reste du contenu du site.

Mais regardons surtout comment se présente le document « mis en ligne » afin de mieux comprendre ce qu’on entend par echange, partage et collaboration chez CoursdeProfs.fr.

  • Le cours ne possède aucune licence. Par défaut il est donc placé sous le régime du droit d’auteur le plus classique et donc le plus restrictif, c’est-à-dire qu’il est propriété exclusive de son auteur et que vous ne pouvez rien faire avec tant que vous ne lui avez pas demandé l’autorisation. Les licences de type Creative Commons sont ignorées par les créateurs du site alors qu’elles ont justement été conçues pour favoriser le partage.
  • Le cours est dans une cage. Il est en effet totalement encapsulé au format propriétaire Flash. On peut certes le voir (en un unique endroit) mais pas le « toucher » puisque, conséquence directe du (mauvais) choix du format, on ne peut ni imprimer le document ni l’enregistrer. Quant à vouloir faire du copier/coller (comme l’autoriserait n’importe quelle page Web rédigée au format standard et ouvert HTML), ce n’est même pas la peine d’y penser.
  • Il y a un lien « Version gratuite » en haut à droite. Cliquez dessus et vous obtiendrez un fichier PDF du cours aux caractéristiques un peu particulières puisque entièrement zébré d’un horrible marqueur CoursDeProfs.fr qui recouvre tout le document (cf image ci-dessous) et toujours interdit au copier/coller (alors que tout fichier PDF non vérouillé permet normalement l’opération).
  • Il y a également un gros lien « Télécharger » en haut à droite. Cliquez dessus et l’on vous proposera de télécharger le cours aux formats suivants : PDF (enfin modifiable et permettant le copier/coller), DOC, DOCX, ODT et RTF. Sauf qu’il vous en coûtera 1,20 €, (45% pour l’auteur, le reste pour CoursDeProfs.fr). Comme il n’y a que les enseignants qui éprouvent ce besoin de pouvoir modifier et personnaliser le document, on se retrouve à devoir payer un collègue pour jouir pleinement de son cours ! De plus ceci ne vous donne alors qu’un « droit d’usage et de modification du document à des fins personnelles ». En aucun cas vous ne pouvez le copier, l’éditer et le donner à un tiers ou renvoyer la version modifiée sur le site (toujours à cause de l’absence de licence). Cela s’apparente au modèle fermé de l’iTunes d’Apple (DRM inclus). L’amélioration collective des documents est volontairement rendue impossible dans cet écosystème.

Pour rappel les créateurs du site affirment haut et fort dans tous les coins du site que leur projet n’est là que pour favoriser l’échange, le partage et la collaboration !

Mais de qui se moque-t-on ?

Si l’existence même de CoursDeProfs.fr est révélatrice d’une triste situation française, sa médiatisation béate l’est tout autant. Ce n’est pas ici que l’on trouvera des arguments pour nuancer la « crise de la presse ».

Libre comparaison

CoursDeProfs - Exemple de PDF tatouéOn ne le répètera jamais assez (surtout que les médias ne l’entendent visiblement toujours pas) : il n’est aujourd’hui pas responsable de développer du contenu collaboratif numérique à l’école sans s’inspirer du logiciel libre et prendre en compte sa culture et ses modes opératoires.

Qu’est-ce qu’un logiciel libre ? C’est un logiciel qui possède les quatre libertés fondamentales suivantes : la liberté d’exécuter le programme, la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, la liberté de redistribuer des copies, et la liberté d’améliorer le programme et de publier les améliorations. Ce sont des libertés qui sont tournées vers les utilisateurs. La liberté d’étude et d’amélioration nécessite d’avoir accès au code source du programme, c’est-à-dire à son secret de fabrication.

Essayons de transposer cela à la situation en reprenant notre Cours sur les fractions et en l’imaginant donc sous licence libre (par exemple la Creative Commons By dont on a déjà dit le plus grand bien lorsqu’il s’agit d’éducation).

La liberté d’exécuter le programme c’est la liberté de pouvoir lire le cours n’importe où, n’importe quand et sur n’importe quel ordinateur (et non sur un seul site Web). La liberté d’étude correspond à l’accès sans la moindre entrave à la source du document (dans un format ouvert, par exemple ODT, et non sur un PDF bridé), la liberté de copie signifie que vous pouvez copier et distribuer le cours autant de fois que vous le souhaitez à qui vous voulez, enfin la liberté d’amélioration vous autorise à modifier le cours comme bon vous semble et là encore à copier et distribuer cette version modifiée autant de fois que vous le souhaitez à qui vous voulez.

Bien sûr, tout dépend de votre objectif, mais si il s’agit réellement de partager et transmettre du savoir (certains appellent cela l’éducation) alors c’est bien ce dernier modèle qui est le plus pertinent parce qu’il favorise par essence la circulation et la bonification du cours.

Cela figure d’ailleurs noir sur blanc dans la première des douze propositions formulées par l’AFUL (et ignorées par les médias) suite à la publication du rapport Fourgous : « Les logiciels et les ressources numériques acquises, développées ou produites avec participation de fonds publics doivent être placées sous licence libre et disponibles dans un format ouvert afin de permettre leur libre partage : les utiliser, étudier, modifier, redistribuer librement. ».

J’ajoute qu’un tel modèle est centré sur la ressource (qui a un ou plusieurs auteurs) et non sur les auteurs (qui a une ou plusieurs ressources).

On mesure alors l’écart abyssal qui nous sépare de CoursDeProfs.fr puisque, comme nous l’avons vu plus haut, ce dernier ne respecte aucune des quatre libertés.

Ce modèle théorique que nous appelons de nos vœux est-il massivement déployée à l’Éducation nationale ? Non, car nous sommes encore minoritaires. Non car les grands médias nous ignorent encore trop souvent. Mais on y travaille et le temps joue clairement en notre faveur.

Lorsque nous dénonçons les errances de l’Académie en ligne ou les délires juridiques de l’usage des « œuvres protégées » en classe, c’est parce que nous estimons nous en écarter. Lorsque nous mettons en avant des initiatives comme Weblettres ou Sésamath (dont le projet Kidimath s’adresse lui directement et réellement aux élèves soit dit en passant), c’est parce qu’il nous semble nous en approcher.

0/20

En plus d’ignorer superbement la culture libre, la contradiction fondamentale d’un projet comme CoursDeProfs.fr c’est que, ne provenant pas de l’institution mais d’une entreprise privée, il doit nécessairement penser dès le départ son modèle économique. Il y a eu une idée (plutôt bonne du reste), il y a eu dépenses pour la concrétiser et il faut qu’il y ait à plus ou moins court terme retour sur investissement.

Outre le fait que le site affiche déjà de la publicité (Google) et dispose d’un espace annonceurs, ce qui n’est jamais bon lorsque l’on s’adresse à un public scolaire, les créateurs du projet ont imaginé le système complexe et artificiel décrit ci-dessus pour pouvoir tirer quelques subsides de l’aventure.

Un système pervers où les enseignants sont invités à se vendre et s’acheter leurs cours, à faire circuler l’argent entre eux, tout en étant fortement taxés au passage par CoursDeProfs.fr.

C’est indéniable, les enseignant se sont précarisés ces dernières années et les débuts de carrière sont de plus en plus difficiles. Et nombreux sont désormais ceux qui se jettent dans la gueule d’Acadomia et consors pour arrondir les fins de mois. Mais de là à imaginer qu’ils vont se mettre à monnayer leurs cours aux collègues pour que ces derniers puissent les adapter à leurs besoins… Ils ne l’ont jamais fait en salle des profs (qui n’est pas une salle de marché), ils ne vont pas commencer maintenant !

Il faut bien que quelqu’un le dise : CoursDeProfs.fr devrait transformer son projet en, disons, un site de poker en ligne et oublier ses velléités éducatives. J’invite tous les collègues à ne surtout pas y aller. Ce n’est pas à une petite startup de porter sur ses épaules un tel projet qui doit naître et vivre à l’intérieur même du service public qu’est l’Éducation nationale.

Au fait, l’Ardèche, c’est un terreau fertile pour les tomates bios ?

Notes

[1] Crédit photo : Silviadinatale (Creative Commons By)

[2] 1 prof sur 4 parmi les créateurs suffit à leur faire dire que c’est « fait par des enseignants pour des enseignants » !

[3] On saura ainsi si ce label RIP vaut encore quelque chose.