La promiscuité sans fil des réseaux WiFi publics

David Goehring - CC-BySe connecter à un Wifi public dans un parc, une gare ou un café [1] pour accéder à Internet, c’est un peu comme passer par la salle d’attente du médecin avant une consultation. Dans les deux cas, vous avez confiance en votre destination [2], mais vous êtes au préalable enfermé dans un espace avec des étrangers, tous plus ou moins malades.

En effet, le WiFi d’un café vous connecte, comme la salle d’attente, avec votre entourage direct, sans que vous ayez rien demandé. Or, si votre dossier médical est confidentiel, il suffit de faire tomber ses papiers dans une salle d’attente pour que toutes les personnes présentes puissent les lire, et il suffit de se connecter (via un WiFi public) à un service qui n’utilise pas le protocole HTTPS pour que votre entourage connecté puisse s’immiscer dans votre session et votre intimité.

Les coupables ? Les sites conservant à votre place des éléments de votre vie privée d’une part, et proposant d’autre part et sans la protection du petit cadenas qui dénote de l’utilisation du protocole HTTPS, de « garder votre session ouverte » grâce à un cookie. Si vous y prenez garde, ce n’est pas le cas des services en ligne de votre banque.

Toutefois, si l’auteur est assez pessimiste dans son petit billet complémentaire (reproduit ici à la suite du premier) face aux moyens de protection à notre disposition, il existe plusieurs extensions Firefox pour limiter les risques sans trop se compliquer la vie, citons (sur les bons conseils de Goofy) HTTPS Everywhere, et Force-TSL. De plus, il me semble également assez simple de se connecter, où qu’on soit, d’abord à un VPN personnel, ou directement en SSH sur son serveur à soit (voir l’extension Foxyproxy de Firefox), pour surfer ensuite l’esprit tranquille et sans laisser de traces locales, comme si on était à la maison. D’ailleurs, votre WiFi chez vous, il est protégé comment ?

Quand le berger prévient les moutons à New York City

Herding Firesheep in New York City

Gary LosHuertos – 27 octobre 2010 – TechnologySufficientlyAdvanced.blogspot.com
Traduction Framalang : Goofy, Pablo, cheval_boiteux

On a beaucoup parlé de Firesheep ces derniers jours. Cette extension gratuite pour Firefox récolte pour vous les cookies qui sont envoyés depuis un réseau WiFi non protégé n’utilisant pas le protocole SSL. Vous la mettez en route, elle collecte les cookies de Facebook, Twitter et de 24 autres sites (par défaut). Ensuite, vous pouvez voler l’identité d’un compte et obtenir l’accès sous cette identité.

L’extension n’a rien de scandaleux en elle-même. Si vous êtes un développeur un peu compétent, vous savez depuis longtemps que cette faille existait, n’est-ce pas ? Mais quid du reste du monde ? Tous ces gens qui n’ont jamais entendu parler de cette nouvelle menace si facile d’accès, qui n’ont pas été alertés par leurs amis, qui ne regardent pas Engadget, ni Slashdot, ni ABC Pronews7 à Amarillo ?

Je me suis dit que j’allais faire passer le message et aider les béotiens après leur travail, puisqu’il y a un grand Starbucks tout près de chez moi. J’y suis allé, j’ai acheté un peu de nourriture malsaine, j’ai ouvert mon portable et lancé Firesheep. Moins d’une minute plus tard, j’avais cinq ou six identités disponibles dans le panneau latéral. Trois d’entre elles étaient sur Facebook.

Absolument rien de surprenant ; Firesheep n’est pas magique, et tous ceux qui vont au Starbucks savent qu’un tas de gens y mettent à jour leur statut Facebook sans faire attention, tout en sirotant leur café au lait. J’ai pensé que j’allais y passer un peu plus de temps, j’ai donc écouté un peu de musique, parlé à quelques amis, et le plus important (mais pas le plus simple) je n’ai navigué sur aucun site avec le protocole standard HTTP (et surtout pas sur Facebook évidemment).

Environ une demi-heure plus tard, j’avais récolté entre 20 et 40 identités. Puisque Facebook était de loin le service le plus représenté (et qu’il détient plus d’informations personnelles que Twitter) j’ai décidé d’envoyer aux utilisateurs des messages depuis leur propre compte, pour les avertir des risques auxquels ils s’exposaient. J’ai fait un modèle de message sympa qui précisait la localisation du Starbucks, la nature de la vulnérabilité, et comment y remédier. J’ai envoyé des messages aux 20 personnes autour de moi.

J’ai nettoyé le panneau latéral, retiré mes écouteurs, et j’ai attendu. J’ai entendu quelqu’un marmonner un juron pas très loin, et me suis demandé si mon message en était la cause. Pendant le quart d’heure suivant, je n’ai entendu strictement personne parler de ce qui venait se passer (pourtant ceux qui fréquentent les Starbucks ne sont le plus souvent pas du genre à tenir des conversations discrètes). Pourtant, j’ai pu vraiment constater une nette chute du nombre d’identités que je pouvais récolter quand j’ai relancé Firesheep.

C’était un soulagement — en voilà qui avaient compris le message. Avec un peu de chance, ils allaient alerter leurs amis, mettre à l’abri leur femme et leurs enfants. J’ai de nouveau nettoyé le panneau latéral, et après une vingtaine de minutes de conversations impromptues j’ai vu que cinq identités que j’avais déjà croisées étaient revenues dans mon troupeau.

C’était assez surprenant. Avaient-ils reçu le premier message ? Je me suis mis sur leur compte avec leurs identifiants, et en effet ils l’avaient reçu. L’un d’entre eux était même sur Amazon.com, site contre lequel j’avais mis en garde dans mon premier message. Je l’ai choisi pour première cible : j’ai ouvert sa page perso sur Amazon, j’ai repéré un truc sur lequel il avait récemment jeté un coup d’œil et lui ai envoyé un mot : « non, c’est pas sérieux » sur Facebook depuis son propre compte, avec un clin d’œil sur ses goûts musicaux.

J’ai encore une fois effacé les identités, attendu dix minutes, et lorsque j’ai à nouveau rassemblé mon troupeau avec Firesheep, il était parti. Mais il y en avait encore quatre qui restaient là. Peut-être, me suis-je dit, qu’ils ont cru que c’était un message d’avertissement automatique les ciblant au hasard (bien que j’aie mentionné leur localisation dans un rayon d’une trentaine de mètres). Donc, un dernier message était nécessaire.

J’ai bricolé un très court message (le premier était peut-être trop long ?) et je l’ai envoyé aux quatre, une fois encore avec leur propre compte :

« C’était vraiment pas une blague l’avertissement sur la sécurité. Je n’enverrai plus d’autre message après celui-ci –– à vous de prendre sérieusement en main votre propre sécurité. Vous êtes au Starbucks XYZ connecté de façon non sécurisée, et absolument n’importe qui peut accéder à votre compte avec l’outil approprié nécessaire (et disponible à tous). »

Vingt minutes ont passé, et tous les quatre utilisaient encore Facebook frénétiquement. Encore une fois, j’ai envisagé qu’ils auraient pu ne pas recevoir le message, mais en vérifiant leur compte j’ai vu qu’ils l’avaient bel et bien reçu.

Voilà ce qu’il y a de plus choquant à propos de la sécurité sur Internet : ce n’est pas que nous soyons tous scotchés sur un réseau global qui tient avec des bouts de sparadrap et laisse béants d’horribles failles de sécurité ; ce n’est pas non plus qu’un outil librement disponible puisse récolter des cookies d’authentification ; et ce n’est toujours pas qu’il y ait des gens pas du tout au courant de l’un ni de l’autre. Ce qui est absolument incompréhensible, c’est qu’après avoir été averti d’un danger (et sur son propre compte !) on puisse tranquillement ignorer l’avertissement, et reprendre le fil de ses activités.

Mais enfin j’ai tenu parole et n’ai pas envoyé d’autre message. J’ai rangé mon matériel, fait un petit tour dans le café, et reconnu plusieurs personnes auxquelles j’avais montré leur vulnérabilité. Je n’avais pas laissé d’indices sur ma propre identité, moins par crainte de rétorsion que parce que l’intrusion dans la vie privée est encore plus traumatisante quand elle est commise par un étranger complet, dont on n’a pas la moindre chance de découvrir l’identité.

En revenant chez moi, j’ai réfléchi à ce que cette expérience révélait de notre société. Peu importe le nombre de mesures de sécurité que nous procurons au monde entier, il y aura toujours des gens qui laisseront la porte ouverte, même s’ils ont été victimes d’une intrusion. Le maillon le plus faible de la sécurité c’est et ce sera toujours la décision de l’utilisateur.

De retour dans mon appartement, j’ai commencé à m’installer — et c’est le moment où je me suis rendu compte que pendant toute la soirée j’avais eu la braguette grande ouverte. La preuve par neuf finalement : nous nous baladons tous avec des vulnérabilités qu’il nous reste à découvrir.

Addendum

Herding Firesheep Addendum

Gary LosHuertos – 04 novembre 2010 – TechnologySufficientlyAdvanced.blogspot.com
Traduction Framalang : Siltaar, RaphaelH, Goofy

À la suite du billet précédent, je me suis dit qu’en voulant faire court j’avais omis quelques informations. Ceci sert donc d’addendum à mon précédent billet, et a été rédigé de la manière la plus courte possible.

Le message original envoyés aux clients était le suivant :

Comme vous utilisez Facebook sans chiffrement dans un Starbucks, votre compte a été compromis. Je ne suis qu’un amical client du Starbucks qui a souhaité vous prévenir de cette vulnérabilité.

Vous pouvez en apprendre davantage en cherchant des informations sur « Firesheep ». Il n’y a pas vraiment de solutions disponibles pour protéger votre compte Facebook lorsque vous êtes connectés à un réseau public, et je vous recommande donc simplement de ne pas vous y connecter lorsque vous êtes dans un Starbucks. Cette faille affecte également Twitter, Amazon.com, Google (mais pas Gmail), et quantité d’autres services.

Votre mot de passe n’a pas été compromis. Vous déconnecter de Facebook est tout ce que vous avez besoin de faire.

Pour préciser mes motivations, laisser un compte Facebook sans protection ne signifie pas seulement que quelqu’un peut regarder vos photos, vos coups de cœurs et messages. Un compte Facebook compromis donne à quelqu’un d’autre l’accès à votre identité, lui permettant de se faire passer pour vous auprès de vos amis, ruinant potentiellement des relations. S’il est possible de rattraper les choses ensuite, le temps et l’énergie que ça demande sont importants, surtout pour quelqu’un qui a beaucoup d’amis. Quelqu’un envoyant un faux message à l’un de vos amis n’est peut être pas un gros problème, mais un faux message envoyé à 500 de vos amis est déjà plus gênant. D’autant plus qu’il peut y avoir des collègues de travail, des membres de votre famille, ou des clients dans ces 500 personnes.

Concernant la légalité de mes actions : ça n’était pas l’objet de mon article. On peut toujours spéculer sur fait que je finisse en prison, mais c’est hors sujet par rapport à ce dont je parle dans mon billet : les sites non protégés comme Facebook et Twitter sont dangereux pour leurs utilisateurs. Il semble plus intéressant de consacrer son énergie à faire passer le mot plutôt que de troller sur mon éventuelle incarcération.

Enfin concernant ce que les utilisateurs peuvent faire, la meilleure réponse à l’heure actuelle est : rien. Ne vous connectez pas aux réseaux non protégés pour utiliser ces sites web, ou bien utilisez une application qui n’utilise pas d’authentification par cookie non protégée (pour ce que j’en sais, l’application Facebook pour iPhone ne le ferait pas). Assurez-vous que votre réseau WiFi domestique est chiffré en WPA, voire en WPA2 (le WEP est trivialement déchiffrable). Si vous utilisez Facebook au travail sur une connection sans-fil, vérifiez le chiffrement du réseau. La faille de sécurité ne vient pas seulement de Firesheep, elle vient du manque de protection des connexions. La menace la plus grande vient des outils automatisés qui existent depuis des années [3].

Notes

[1] Crédit : CarbonNYC David Goehring Creative Commons By

[2] Et le sujet ici, n’est pas savoir si cette confiance est bien placée…

[3] Voir la magie des Google Cars expliquées par PCINpact ou ZDNet par exemple…




FramaDVD Ecole : des ressources libres pour l’école primaire

FramaDVD EcoleDans la série « projets Framasoft », je voudrais le FramaDVD. Et plus exactement le « FramaDVD École ».

Rappel : le FramaDVD est une compilation des meilleurs logiciels libres pour Windows, sélectionnés par Framasoft, auxquels nous avions ajouté le liveCD Ubuntu, ainsi que de très nombreuses ressources libres (textes, vidéos, musiques, photos, etc) afin de montrer que la culture libre allait aujourd’hui bien plus loin que le logiciel libre. Co-réalisé avec une équipe d’étudiants aussi dynamiques que sympathiques, ce DVD 100% libre a été largement diffusé depuis sa sortie (en septembre 2009). Une mise à jour est d’ailleurs prévue pour les prochaines semaines.

Mais l’un des avantages du 100% libre, c’est entre autre la possibilité de décliner un projet libre existant pour l’adapter à différents besoins.

Et c’est ce qui s’est passé avec le FramaDVD École. Cyrille Largillier, directeur et professeur des écoles, membre déjà très actif du projet Framakey, s’est proposé de créer un DVD destiné à favoriser l’usage des TUIC à l’école primaire. Et, pour joindre l’utile à l’agréable, favoriser l’usage des logiciels et de la culture libre dans ces mêmes écoles.

—> La vidéo au format webm

En plus d’un projet libre, il s’agit bien là d’un projet collaboratif. Il a en effet été conçu avec l’aide d’autres communautés. Notamment :

  • ASRI Education : pour l’intégration de sa distribution GNU/Linux particulièrement légère, adaptée aux enfants et aux adultes ;
  • EducOO : pour l’intégration d’OOo4kids, une suite bureautique dérivée d’OpenOffice, elle aussi adaptée aux enfants, dont nous vous avions déjà parlé ici ;
  • Okawix (ou plus exactement la société Linterweb, qui a développé le logiciel libre Okawix) : grâce à Okawix, le FramaDVD École intègre l’excellente encyclopédie pour enfants Vikidia, en version hors ligne, pour les écoles ou les foyers où Internet n’est pas ou peu disponible.

Après plusieurs mois de travaux, nous sommes donc fiers de vous annoncer la naissance du FramaDVD École !

Conçu spécifiquement pour les élèves et les enseignants des écoles, le FramaDVD École, doté de nombreuses fonctionnalités, comprend notamment :

• Plus de 130 logiciels libres à installer, pour Windows, répartis en 5 catégories principales :
1. Général : des logiciels pour tous (bureautique, graphisme, Internet…)
2. Élève : pour travailler dans toutes les disciplines de l’école primaire ;
3. Enseignant : pour aider les professeurs à préparer leur classe ;
4. Handicap : pour faciliter l’intégration des élèves en situation de handicap ;
5. Jeux : pour se divertir intelligemment ;

• Des copies d’écran ou des vidéos et des notices qui présentent les fonctionnalités de chaque logiciel ;

• Des tutoriels qui expliquent comment utiliser ces logiciels en classe ;

• Des ressources pédagogiques libres;

• Des textes, vidéos, images et sons utilisables et diffusables librement;

• Un installateur de logiciels qui permet en quelques clics d’ajouter très rapidement de nombreuses applications sur son ordinateur;

L’encyclopédie pour enfants Vikidia disponible hors-ligne, sur le DVD, grâce au logiciel Okawix;

Une distribution GNU/Linux particulièrement adaptée aux écoles, ASRI Éducation.

Le DVD est bien évidemment en libre téléchargement.

Cette compilation représente une contribution pour le développement des TUIC (Techniques Usuelles de l’Information et de la Communication) et en particulier des logiciels libres dans les classes.

La liste des applications et contenus est visible sur la page du projet.

Par ailleurs, il sera possible d’ici quelques semaines d’acheter ce DVD à bas prix sur notre boutique en ligne : EnVenteLibre.org. Si vous êtes intéressés, merci de remplir le formulaire dédié afin que nous puissions faire presser le DVD en quantité suffisante.

Enfin, suivant le succès des ventes du DVD, une partie des bénéfices sera redistribué aux communautés participantes, et nous envisageons un programme inspiré du “Get 1 Give 1” d’OLPC qui permettrait de faire parvenir gratuitement des exemplaires dans les pays à faible connectivité.

Bons téléchargements [1] !

Téléchargement et informations complémentaires sur la page officielle du FramaDVD Ecole.

Notes

[1] Le miroir principal est proposé par nos amis suisses de l’EPFL, qu’ils en soient ici grandement remerciés. Si vous souhaitez participer au réseau de miroirs, vous pouvez nous aider.




Logiciel libre et développement durable, même combat ?

416style - CC-byAu détour d’une conférence sur les tendances 2010 de l’Open Source à l’OpenWorldForum, j’ai assisté à la présentation, captivante, des enjeux croisés de l’écologie et du logiciel libre, résumé en « FreenIT » par un duo peu ordinaire. En effet, l’un s’annonce comme journaliste et passionné d’environnement et l’autre (respectivement) comme ingénieur expert en « innovation ouverte et logiciel libre ». Leur présentation s’attachait à mettre en valeur les avantages intrinsèques des logiciels libres dans la quête d’une informatique écologiquement responsable vers laquelle l’industrie et les grandes entreprises se tournent enfin [1].

Enthousiasmé par leur démonstration, je pris contact avec eux à l’issue de la présentation, pour évoquer la possibilité de faire passer leur message jusqu’à vous chers lecteurs, dans la droite lignée de nos explorations de la société, à la recherche des applications de la culture du libre. Après les « AMAP », qui mettent de l’écologie dans les assiettes de collectifs qui s’auto-organisent pour échapper aux injonctions des grandes surfaces, voici donc le « Green IT » qui met de l’écologie derrière nos écrans.

On retrouve, dans ce texte de synthèse rédigé pour le Framablog, les notions clés du succès en matière de développement durable, tel que le fameux « penser global, agir local », que l’on retrouve dans le logiciel libre sous la forme d’un « bidouiller dans son coin, et penser aux autres », ou encore une évocation du « leadership par l’exemple » qui prévalut dès le début en matière politique sur Internet, cet espèce de laisser-faire, un peu utopique, sans laisser-aller. Enfin, je citerai encore la notion d’énergie grise, qui vient malheureusement contrebalancer les discours commerciaux des fabriquants en matière de décroissance de la consommation énergétique des nouvelles générations de composants informatiques.

Logiciel libre et Green IT : même combat ?

Frédéric Bordage et François Letellier – GreenIT.fr

Les connaissances des communautés open source et les principales caractéristiques des logiciels libres sont particulièrement bien adaptées à la profondeur et à l’urgence des enjeux du développement durable. Démonstration.

L’humanité fait face à trois problèmes environnementaux majeurs : le dérèglement climatique, l’écroulement de la biodiversité et l’épuisement des stocks de ressources non renouvelables. La prise de conscience a été (trop) longue, et l’urgence aujourd’hui est réelle : nous n’avons qu’une génération pour trouver et mettre en œuvre les solutions à ces défis. Quel rapport entre ce constat, iconifié par des personnages tels que le Commandant Cousteau, Al Gore ou Nicolas Hulot, et notre quotidien d’informaticiens ? Que peuvent les geeks face à ces enjeux planétaires ?

Toujours poussés plus loin vers les mondes virtuels, nous avons tendance à oublier qu’octets et instructions consomment substrats et énergie. Une consommation qui se traduit par des nuisances que notre écosystème ne peut pas absorber indéfiniment. Les informaticiens peuvent, s’ils le souhaitent, réduire rapidement l’empreinte de l’informatique sur l’environnement. Mais plus encore, la communauté du logiciel libre détient des savoirs transversaux qui font défaut aux acteurs du développement durable. Explication.

Freen IT as in Free & Green IT

Le courant de pensée du « Green IT » cherche à réduire l’empreinte écologique des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Pour réduire l’empreinte des TIC, il faut se concentrer sur l’essentiel. Contrairement au discours marketing des éditeurs et des constructeurs, les phases de fabrication et de fin de vie d’un ordinateur consomment plus d’énergie et génèrent nettement plus de nuisances environnementales que la phase d’utilisation. En clair : si vous décidez de remiser tous vos serveurs et postes de travail, encore fonctionnels, pour les remplacer par d’autres nettement moins énergivores… vous faites fausse route. Les constructeurs vous remercieront, pas la planète. En effet, l’énergie grise liée aux équipements informatique ne cesse de croître, quand leur consommation en fonctionnement s’affiche à la baisse.

Les deux grands défis du « Green IT » consistent à :

  • prolonger la durée d’utilisation des matériels existants;
  • et à réduire les besoins, en termes d’énergie et de ressources, sur la phase d’utilisation.

Ce qui signifie mettre le holà à la gloutonnerie des logiciels. Microsoft Office 2010 sous Windows Vista nécessite par exemple 70 fois plus de ressources qu’Office 97 sous Windows 98… Les documents produits sont-ils 70 fois plus percutants ou créés 70 fois plus vite ? Non. La gabegie logicielle est indéfendable.

Le logiciel libre à la rescousse

C’est la couche logicielle qui pilote les besoins en ressources matérielles d’un ordinateur. Or, d’un point de vue technique, les logiciels libres sont architecturés autour d’un noyau qui répond à 80% des besoins essentiels. Autour de ce noyau viennent se connecter des extensions qui répondent aux besoins moins répandus. Cet écosystème évolue. Si une fonction devient incontournable, elle est intégrée au noyau. Cette architecture modulaire et évolutive minimise les ressources matérielles (puissance processeur, mémoire vive, etc.) nécessaires. On obtient donc des logiciels performants même sur des matériels modestes ou anciens, ce qui permet d’allonger la durée d’utilisation du matériel… ou de redonner une seconde vie à un matériel d’occasion.

Généralement alliée à une gratuité d’accès, la parcimonie des logiciels libres (systèmes d’exploitation en tête) rend viable la filière du reconditionnement des équipements d’occasion. Le « Libre » apporte une réponse pragmatique, ici et maintenant, aux deux premiers défis du « Green IT » : faire durer le matériel, économiser les ressources. En outre, le découplage entre logiciel et support technique (qui peut être fourni par différents acteurs de la communauté) évite l’obsolescence programmée imposée par des éditeurs propriétaires et monopolistiques. En raccourcissant la durée de leur support technique, ces derniers poussent en effet à la consommation de nouvelles versions de logiciels plus gourmands, et donc de matériels plus puissants pour les faire tourner.

Au delà des aspects techniques, les communautés du libre reposent sur une organisation pyramidale dont les processus sont transparents. Ces deux propriétés garantissent un travail rapide et efficace qui pousse les chefs de projet et les développeurs à bien faire leur travail (un code efficace par exemple) et à prendre leurs responsabilités. Le pouvoir du créateur du logiciel est contrecarré par le pouvoir des utilisateurs. Les utilisateurs peuvent « forker » un projet du jour au lendemain. On ne peut donc pas verrouiller les utilisateurs et leur imposer un rythme de mise à jour.

D’autre part, le modèle économique du libre est quantitatif. Seule l’adhésion du plus grand nombre garantit au créateur du logiciel des revenus confortables et pérennes. Les communautés open source ont dissocié les revenus liés au service d’une part, de ceux potentiels liés à la vente de copies du logiciel d’autre part. Ainsi distribué gratuitement, et facilement localisé, les logiciels open-source peuvent toucher rapidement le plus grand nombre. Ouverture et gratuité facilitent une adoption large et rapide.

Des principes valables pour le développement durable ?

A-t-on intérêt à appliquer ces principes – architecture modulaire, méritocratie éclairée par le contre-pouvoir des utilisateurs, standardisation, découplage des revenus directs du produit, etc. – aux problématiques du développement durable ? Tout porte à le croire.

D’une part, nous n’avons qu’une génération pour diviser notre empreinte écologique par un facteur 4 [2]. Jamais l’humanité n’a fait face à un défi d’une telle ampleur. Pour tenir ce pari, nous devons aller plus vite que jamais auparavant dans l’histoire humaine. Le modèle d’adoption – très rapide – des logiciels libres doit donc être une source d’inspiration pour les acteurs du développement durable.

Que nous apprennent les communautés open source ? Sans standard, point de salut. La (presque) totalité des logiciels libres s’appuient sur des standards reconnus (qu’ils ont contribué à faire émerger et / ou à forger) pour s’assurer de la pérennité des développements. On touche ici au caractère « durable » des développements. Pour s’imposer dans le temps, les solutions du développement durable devront s’appuyer sur la même approche de standards ouverts. Et ce d’autant plus que les problématiques sont mondiales. Par exemple, pour être efficaces (c’est à dire économiser de l’énergie), les compteurs électriques intelligents devront tous parler le même protocole. Or, seul un protocole normalisé et ouvert sera adopté rapidement.

D’autre part, pour aboutir rapidement, ces standards devront être forgés par une méritocratie éclairée. L’échec de Copenhague l’a démontré, la recherche d’un consensus mondial est impossible en l’état. En revanche, rien n’empêche un ensemble de pays de proposer une solution pertinente, dont l’évolution sera dictée par toutes les parties prenantes.

Enfin, d’un point de vue plus philosophique, l’architecture technique d’un logiciel libre montre que ses créateurs sont « près de leurs ressources ». Ces « décroissants du logiciel » montrent à leur façon qu’une débauche de moyens n’est pas toujours nécessaire pour atteindre un objectif. En d’autres termes, le développement ne sera réellement durable que s’il ponctionne le strict minimum des ressources disponibles. Cette ascèse est déjà une règle fondamentale d’un grand nombre de projets open source.

Pour conclure, il nous semble évident que :

  • les logiciels libres constituent une réponse pertinente pour réduire l’empreinte environnementale des TIC;
  • que les modes d’organisations des communautés correspondent bien aux enjeux mondiaux du développement durable;
  • et que les principes fondamentaux des projets open source garantissent une adoption rapide et durable des solutions, un point clé des enjeux du développement durable.

Votre avis ?

Frédéric Bordage et François Letellier contribuent au blog collectif GreenIT.fr qui fédère la communauté francophone des acteurs du Green IT.

Notes

[1] Crédit photo : 416style – Creative Commons Paternité

[2] Voir « Facteur 4 » dans le glossaire pointé.




Docteur Word et Mister Doc font de la résistance à l’Éducation nationale

Les inspecteurs de l’Éducation nationale représentent l’autorité pédagogique des enseignants. Ils sont écoutés et respectés. Ce sont un peu « les professeurs des professeurs ».

En cette nouvelle rentrée scolaire, les enseignants d’une académie sont sollicités par leurs inspecteurs pour fournir un travail en vue de préparer au mieux un changement de programme dans leur discipline. C’est une procédure tout à fait classique de consultation de la base.

Ce qui l’est peut-être moins, c’est la recommandation technique ci-dessous :

Afin de faciliter la gestion des très nombreuses productions attendues, il est impératif de n’utiliser que la fiche-réponse (un fichier au format Word à compléter) pour envoyer vos productions. Vos fichiers (un par situation d’évaluation produite) doivent être lisibles avec une installation standard de Word et aucun autre fichier ne doit être joint à votre envoi.

Vos fichiers doivent être nommés de la façon suivante (en remplaçant XXX par le numéro de votre établissement) : XXX-1.doc, XXX-2.doc, etc.

Nous vous serions reconnaissants de respecter scrupuleusement ces consignes afin d’éviter un travail important et fastidieux au groupe de relecture.

Nous sommes d’accord, les inspecteurs sont aussi faillibles et ne peuvent pas être des experts partout. Mais quelle confusion entre le logiciel (Word) et le format (doc) ! Et quel mauvais exemple renvoyé à des enseignants habitués à ce que la parole de leurs inspecteurs soit parole d’évangile !

Word, en installation « standard », désigné par ses élites Grand Facilitateur de travail à l’Éducation nationale ! Cela se passe encore comme ça à l’école française en septembre 2010…

Il y a certainement moyen de faire autrement. Pouvez-vous aider nos inspecteurs dans les commentaires ?




Quand le Café Pédagogique nous révèle que les profs ne respectent pas le droit

Jason Clapp -  CC byPas vu, pas pris !

Au détour d’un article consacré au cahier de texte électronique qui implique le partage de ressources numérisées sur Internet, le Café Pédagogique nous fait cet étonnant aveu : « Les enseignants sont souvent amenés à utiliser en cours des documents dont ils ne possèdent pas les droits. Leur demander de mettre sur des cahiers de textes accessibles en ligne tous les documents de cours risque de les mettre en danger. »

Vous avez bien lu.

On ne s’alarme nullement d’une situation qui voit les enseignants « souvent amenés à utiliser en cours des documents dont ils ne possèdent pas les droits ». On s’inquiète uniquement du fait que la mise en ligne de ces documents « risque de les mettre en danger »  !

Chers parents, vous l’ignoriez sûrement mais vous confiez donc vos enfants à des adultes dont la fonction demande une attitude exemplaire et qui pourtant ici ne respectent pas la législation en vigueur.

Les enseignants ont cependant, si ce n’est une excuse, tout du moins quelques circonstances atténuantes.

En effet si ils choisissent de se mettre ainsi délibérément hors-la-loi c’est parce qu’ils souhaitent donner à leurs élèves le maximum d’informations pertinentes. Et tant pis si il faut « souvent » outrepasser un droit d’auteur pour mieux y arriver. Ils ont de bonne foi beaucoup de mal à concevoir qu’il y puisse y avoir des barrières à la diffusion désintéressée de la connaissance, d’autant que la technique actuelle n’a jamais autant favorisé sa potentielle transmission. Et l’on revisite une fois plus la tension entre un monde marchand et le monde non marchand par excellence qui est censé être celui de l’école[1].

Autre élément à décharge et non des moindres : le détail de cette législation en vigueur. On nous parle hypocritement de « licence globale pour l’éducation » ou « d’exception pédagogique », mais la réalité est tout autre. Les accords entre le ministère et les industries culturelles sont d’une telle complexité que les enseignants sur le terrain n’ont pas d’autre option que la radicale dualité d’un partage impossible ou d’un partage illégal.

Nous avions consacré un article entier au diktat des ayants droits vis-à-vis de leurs « œuvres protégées » à l’école. La situation n’a guère évolué depuis car voici ce que l’on peut lire aujourd’hui sur le très officiel site Educnet, à la page Exceptions au droit d’auteur à des fins pédagogiques ou de recherche.

Ne riez pas. Pour que ces exceptions soit autorisées, il faut, je cite :

  • « une déclaration faite par le chef d’établissement (en ligne ou via un formulaire) des œuvres utilisées ;
  • l’envoi aux ayants-droits d’identifiants pour pénétrer sur l’intranet ou l’extranet à des fins de vérification ; d’éventuelles visites de contrôle d’agents assermentés représentant les ayants-droits ;
  • en respectant les limites de volume, différents suivant les secteurs concernés :
    • pour la musique : un extrait doit être inférieur à 30’’ et en tout état de cause inférieur à 10% de la totalité de l’œuvre (15% si il y plusieurs extraits)
    • pour les livres : un extrait est inférieur à 5 pages consécutives d’un livre, en tout état de cause inférieur à 20% à la pagination totale par travail pédagogique
    • pour les manuels scolaires : un extrait doit être inférieur à 5 pages consécutives, dans la limite de 5% de la pagination totale par travail pédagogique et par an ;
    • pour l’audio-visuel : un extrait doit être inférieur ou égal à 6’, en tout état de cause ne pas excéder 10% du total (15% dans el cas de plusieurs extraits)
    • pour la presse : deux articles d’une même parution sans excéder 10% de la parution
    • pour les arts visuels : pas d’extraits, pas plus de 20 œuvres par travail pédagogique, avec une limite dans la définition de la reproduction ou représentation numérique (72 dpi et 400X400 pixels)
  • en précisant le titre de l’œuvre, le nom de l’auteur ;
  • dans le seul cas où les œuvres ont été acquises légalement. »

La prochaine fois que vous rencontrerez un enseignants, demandez-lui, d’abord si il connaît, puis si il respecte, les conditions d’utilisation des « exceptions au droit d’auteur à des fins pédagogiques ou de recherche ». Vous ne manquerez pas de le mettre mal à l’aise. Rien de tel alors pour casser la gêne que de lui parler de l’alternative que constituent les Ressources Éducatives Libres.

Il faut tout faire pour encourager les professeur à les utiliser. Parce qu’elles permettent de retourner dans la légalité tout en construisant ensemble de nouvelles ressources. Parce qu’elles mettent aussi indirectement la pression sur les industries culturelles pour que ce soit elles qui s’adaptent à l’école et non l’inverse !

Tel est aussi ce que nous avons voulu dire récemment en publiant coup sur coup un billet sur une enseignante d’exception et un billet sur une association d’exception.

D’autant que de tout cela le Café Pédagogique ne vous parlera pas, fâché qu’il est depuis longtemps avec le logiciel libre et sa culture.

Notes

[1] Crédit photo : Jason Clapp (Creative Commons By)




Voyage en Sésamathie

Pink Sherbet Photography - CC bySouvent citée en ces lieux, l’association de professeurs de mathématiques Sésamath est certainement le mariage français le plus réussi entre éducation et logiciels libres.

Tellement réussi qu’il commence assez logiquement à être l’objet d’études.

Voyage en Sésamathie – Une étude sociologique de la coordination au sein d’un projet éditorial en sources ouvertes est le mémoire de Master 2 en Sociologie et anthropologie des sociétés contemporaines (Université Lille 1) rédigé en juin 2010 par Clément Bert-Erboul[1].

Il n’est pas anodin de trouver référence aux « sources ouvertes » à même le titre, parce que sans l’ouverture du réseau, des ressources, des formats et des logiciels, Sésamath ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui[2].

Résumé du mémoire

URL d’origine du document (Sesablog)

Clément Bert-Erboul – juin 2010

Cette étude porte sur l’analyse sociologique d’un collectif numérique producteurs de contenus numériques sous licences libres, l’association Sésamath, réunion « numérique » d’enseignants de mathématiques. Par collectifs numériques, on entend des collectifs qui sont nés de l’interaction via l’Internet, et non pas, comme c’est le cas traditionnellement, via l’institutionnel, le professionnel, l’associatif ou le voisinage. Le collectif numérique étudié, l’association Sésamath, qui produit des contenus numériques sous licences libres, dont des manuels scolaires faisant références dans la profession, sur le modèle des logiciels libres, c’est-à-dire des biens numériques librement publiables, utilisables, et modifiables. Ces contenus sont construits en marge du marché dans des domaines où sa logique d’accumulation ne l’avait pas mené (notamment en matière d’innovation et de coordination).

Ces collectifs numériques et leurs productions posent deux grandes questions à la sociologie, qui constitueront les deux grands thèmes du mémoire de M2, la question de l’engagement et celle de la coopération.

À travers l’association Sésamath et de ses projets nous illustrons la construction des motivations des acteurs et les modalités de coopération au sein d’un collectif numérique. L’observation des canaux de communication et la retranscription des discours font apparaître différents modes éditoriaux reposant sur l’échange asynchrone permis par les licences libres. Ces échanges sont d’intensité et de contenus variables. Le réseau relationnel est parfois contracté, parfois dilaté, les discussions sont tantôt productives, tantôt politiques.

Le mémoire en version intégrale (PDF)

Notes

[1] Petit bémol de pinailleur libriste : Il est écrit que « ce document est copyright Clément Bert-Erboul, vous pouvez le copier et le redistribuer, tant qu’il ne subit pas de modification et que sa redistribution ne génère pas de revenu ». La licence Creative Commons By-Nc-Nd eut peut-être été un choix plus judicieux eu égard au sujet traité.

[2] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)




Appel à projet : L’Hadopi à l’école ? Oui mais en ECJS !

Skippyjon - CC byCela fait partie des mauvaises surprises de son adoption : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet et demande à l’éducation nationale de renforcer l’information et la prévention auprès des jeunes qui lui sont confiés », peut-on lire sur le très officiel site Educnet du ministère.

Puis juste en dessous : « Ainsi les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur »[1].

Et voici donc l’enseignant que je suis contraint devant ses élèves à se transformer en porte-parole d’une loi qu’il critique dans ses grandes largeurs. Dès lors comment faire lorsque l’on est très loin de considérer que « l’Hadopi favorise la diffusion de la création sur Internet » ? Renier quelques uns de ses principes ou désobéir à son employeur qu’est l’État, tel est le cruel dilemme !

Il y a pourtant une issue, et c’est ce même site Educnet qui nous montre la voie : « L’ensemble de ces démarches d’information doit s’inscrire dans une stratégie globale de l’établissement, de l’école, qui favorise le dialogue avec les élèves, leur appropriation des droits et devoirs des internautes citoyens et responsables qu’ils sont en puissance : rédaction d’une charte des usages d’internet, informations et débats pendant les heures de vie de classe ou d’ECJS, sensibilisation à l’occasion de l’utilisation d’un outil spécifique. »

Informations et débats pendant les heures d’ECJS, voilà l’option retenue par ce billet, en appelant enseignants (en charge ou non de l’ECJS cette année), élèves, parents d’élèves et acteurs de la « bataille » Hadopi de bonne volonté à se joindre au projet, d’autant qu’il est fortement suggéré d’inviter des intervenants extérieurs à entrer dans les classes pour participer.

Parce que, comme nous allons nous en rendre compte ci-après, on peut, en toute légalité et dans le même mouvement, respecter le vœu du législateur et interpeller les élèves sur la genèse, la rédaction et l’application de cette loi.

L’ECJS Késako ?

L’Éducation civique, juridique et sociale, ou ECJS, est un enseignement relativement méconnu parmi la pléthore de matières que compte le lycée. Peut-être parce qu’elle propose un certain nombre d’originalités.

Tout d’abord c’est une discipline jeune puisque créé en 2001. Ensuite, elle ne dispose pas de professeur attitré et est dispensée par n’importe quel autre professeur de l’établissement scolaire (traditionnellement ce sont plutôt les enseignants d’histoire ou de sciences économiques qui s’y collent, mais rien n’empêche un professeur de mathématiques de se porter candidat). Mais c’est surtout une discipline qui, à de rares exceptions près, n’ajoute pas de nouvelles connaissances puisqu’il s’agit avant tout de les réinvestir pour y faire « l’apprentissage de la citoyenneté » dans le cadre du dispositif pédagogique novateur qu’est le « débat argumenté ».

Toutes séries confondues, l’horaire alloué est d’une demi-heure par semaine pour les trois niveaux que sont la Seconde, la Première et la Terminale, que l’on transforme généralement en deux heures une fois par mois ou une heure deux fois par mois. L’ECJS n’est pas incluse dans l’examen final du baccalauréat.

Mais il est génial ce programme d’ECJS !

En gardant l’Hadopi dans un coin de notre tête, prenons le temps de parcourir ensemble le programme officiel d’ECJS. Car comme vous allez vous en rendre compte, c’est une lecture riche d’enseignements.

Je m’excuse par avance de la longueur des extraits ci-dessous. Il s’agit de mieux appréhender ce qui fait la spécificité et la noble ambition de l’ECJS (que de nombreux parents d’élèves ignorent totalement). Il s’agit également de comprendre en quoi un débat argumenté autour de l’Hadopi y aurait toute sa place, en permettant aussi bien d’expliquer cette loi que de la critiquer. Il s’agit enfin de commencer à percevoir qu’au delà d’Hadopi c’est par la porte de l’ECJS que pourrait un jour entrer cette grande absente de l’école qu’est la « culture libre ».

En voici une sélection des Principes généraux.

Concourir à la formation de citoyens est une des missions fondamentales du système éducatif. Au sein du dispositif de rénovation des lycées, la création d’un enseignement d’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) constitue une des principales innovations. Le nombre d’heures qui lui est globalement accordé étant modeste, c’est dans ses objectifs et par ses méthodes que cette innovation doit être significative.

Que signifie « éduquer à la citoyenneté » dans un système scolaire ? Deux réponses sont possibles. L’une consiste à faire de la citoyenneté un objet d’étude disciplinaire, au même titre que les mathématiques, la physique, la littérature etc. ; la citoyenneté s’apprendrait à l’école avant de s’exercer dans la vie du citoyen. L’autre réponse part de l’idée que l’on ne naît pas citoyen mais qu’on le devient, qu’il ne s’agit pas d’un état, mais d’une conquête permanente ; le citoyen est celui qui est capable d’intervenir dans la cité : cela suppose formation d’une opinion raisonnée, aptitude à l’exprimer, acceptation du débat public. La citoyenneté est alors la capacité construite à intervenir, ou même simplement à oser intervenir dans la cité. Cette dernière réponse peut être mise en oeuvre au lycée aujourd’hui.

Lorsqu’une pratique éducative consiste à transmettre un savoir sous forme d’une succession d’évidences sanctionnées par les autres, l’élève apprend en outre autre chose que ces contenus : il apprend que le savoir est détenu par des autorités, il a la tentation de ne le recevoir que passivement, il commence par admettre qu’il peut être délégué à « ceux qui savent ». Appliquée à l’ECJS, une telle pratique formerait des citoyens passifs, percevant le savoir comme déconnecté de ses enjeux sociaux, économiques et politiques. Certes, on ne crée pas le savoir, on le reçoit ; il est énoncé et validé par quelqu’un qui fait autorité. Mais le savoir n’est pas seulement quelque chose de transmis ; on doit aussi se l’approprier. L’élève pourra exercer sa citoyenneté grâce au savoir, mais un savoir reconstruit par lui, dans une recherche à la fois personnelle et collective.

L’éducation civique, juridique et sociale doit être abordée comme un apprentissage, c’est à dire l’acquisition de savoirs et de pratiques. Grâce à ce processus doit s’épanouir, à terme, un citoyen adulte, libre, autonome, exerçant sa raison critique dans une cité à laquelle il participe activement. Ainsi se constitue une véritable morale civique ; celle-ci contient d’abord une dimension civile fondée sur le respect de l’autre permettant le « savoir-vivre ensemble » indispensable à toute vie sociale, mais elle suppose aussi une nécessaire dimension citoyenne faite d’intérêt pour les questions collectives et de dévouement pour la chose publique.

Le seul savoir nouveau auquel il faut initier les élèves, grâce à l’ECJS, concerne le droit, trop ignoré de l’enseignement scolaire français. Il s’agit de faire découvrir le sens du droit, en tant que garant des libertés, et non d’enseigner le droit dans ses techniques.

C’est cette dernière citation qui m’a servi de base pour mon article Plaidoyer pour étudier le droit à l’école. Or justement, avec l’Hadopi en ECJS, on améliore illico la situation.

La suite donne quelques détails sur la pratique pédagogique du débat argumenté.

Mobilisant un ensemble de connaissances disponibles, l’ECJS doit satisfaire la demande exprimée par les lycéens lors de la consultation de 1998 sur les savoirs, de pouvoir s’exprimer et débattre à propos de questions de société. Le débat argumenté apparaît donc comme le support pédagogique naturel de ce projet, même s’il ne faut pas s’interdire de recourir à des modalités pédagogiques complémentaires.

Faire le choix du débat argumenté n’est ni concession démagogique faite aux élèves ni soumission à une mode ; c’est choisir une méthode fructueuse. Le débat argumenté permet la mobilisation, et donc l’appropriation de connaissances à tirer de différents domaines disciplinaires (…) Il fait apparaître l’exigence et donc la pratique de l’argumentation. Non seulement il s’agit d’un exercice encore trop peu présent dans notre enseignement, mais au-delà de sa technique, il doit mettre en évidence toute la différence entre arguments et préjugés, le fondement rationnel des arguments devant faire ressortir la fragilité des préjugés. Il doit donc reposer sur des fondements scientifiquement construits, et ne jamais être improvisé mais être soigneusement préparé. Cela implique qu’il repose sur des dossiers élaborés au préalable par les élèves conseillés par leurs professeurs, ce qui induit recherche, rédaction, exposés ou prises de parole contradictoires de la part d’élèves mis en situation de responsabilité et, ensuite, rédaction de comptes rendus ou de relevés de conclusions.

Le débat doit reposer sur le respect d’autrui et donc n’autoriser aucune forme de dictature intellectuelle ou de parti pris idéologique.

Le dossier documentaire sur lequel se fonde le débat est le témoin de la progression de cette démarche. Il peut prendre des formes variables : présentation de textes fondateurs ou de textes de loi, sélection d’articles de presse, collecte de témoignages, recherche ou élaboration de documents photographiques, sonores ou vidéo. C’est ici que l’ECJS peut utiliser toutes les modalités interactives de la recherche documentaire actuelle.

L’objectif de ce billet est de suggérer aux enseignants en charge de l’ECJS de faire d’Hadopi l’un de leurs sujets de débats argumentés. Nous pourrions par exemple regrouper les volontaires dans une liste de discussion dédiée qui serait un espace d’échanges autour du projet. Et de commencer alors à envisager ensemble une liste de ressources à intégrer dans le dossier documentaire, aidant ainsi les élèves à faire un premier tri.

Dans le cadre de la liberté des choix pédagogiques, les élèves doivent acquérir des méthodes à travers lesquelles ils seront initiés à l’étude des règles juridiques et des institutions. On peut ainsi, à propos de situations concrètes, enseignées ou vécues, et sans préjuger de l’usage d’autres pratiques, identifier trois moments remarquables.

– Le premier moment étudie les circonstances et les conditions de l’invention de la règle ou de l’institution. On a trop tendance à oublier l’origine et l’histoire des règles (…) L’histoire est donc ici très particulièrement mobilisée ; étudier les conditions de naissance d’une règle, en montrant qu’elle est une production historique et non un a priori absolu, contribue à humaniser la règle de droit : ce n’est plus un dogme mais une règle de vie.

– Le deuxième moment privilégie l’étude des usages de la règle par les acteurs sociaux concernés. La règle n’est pas nécessairement utilisée comme ses inventeurs l’avaient imaginé : la pratique d’une règle peut s’éloigner des principes qui ont guidé sa fondation. Il faut donc conduire l’élève à se demander pourquoi les acteurs sont amenés à utiliser une règle dans un sens plutôt que dans un autre.

– Le troisième moment s’attache aux discours produits sur les règles. Chaque époque produit des discours qui tentent de justifier rationnellement les règles existantes. D’une époque à une autre, d’un lieu à un autre, ces discours peuvent différer jusqu’à être contradictoires.

Je ne sais pas ce que vous en penserez mais ces trois moments s’accordent parfaitement bien avec la jeune histoire (non achevée) de la loi Hadopi 😉

Quant au passage suivant, c’est une invitation lancée à tous :

De très nombreux professeurs, par leur savoir, leur culture, leur implication dans la vie du lycée, ont vocation à contribuer à cet enseignement. La participation d’intervenants extérieurs, témoins dans un champ social étudié, est évidemment souhaitable.

Vient ensuite le détail du programme pour chaque niveau du lycée. L’intitulé de celui de Seconde est : De la vie en société à la citoyenneté.


L’actualité locale, nationale et internationale fournit de nombreux matériaux qui permettent aux enseignants de construire un débat sérieux sur un sujet civique, politique, juridique ou social mettant en évidence une dimension de la citoyenneté. Le choix d’un événement ou d’une combinaison d’événements dans l’actualité doit répondre à deux soucis : d’une part être susceptible d’intéresser les élèves, d’autre part permettre d’éclairer une des dimensions de la citoyenneté.

L’Hadopi, pardi ! Avec cette étrange particularité que certains élèves par leurs pratiques numériques vont se sentir directement visés par la loi !

La première tâche face à un événement consiste à confronter les sources d’information pour, en les croisant, attester de la réalité de ce qui va être étudié. L’événement brut n’existe pas en lui-même, il n’existe qu’à travers le médium qui le fait connaître et il est différemment reçu selon les représentations dominantes du moment. Prendre de la distance par rapport aux faits communiqués est donc essentiel à l’éducation du citoyen.

La vie quotidienne dans la cité fournit des occasions de réflexion sur la nécessaire civilité des rapports humains en tant que première condition de l’exercice de la citoyenneté. On peut le montrer à partir de l’étude de manifestations d’incivilité ; on peut aussi utiliser différents faits de la vie sociale. La citoyenneté ne se réduit pas à la simple civilité. Elle implique la participation à une communauté politique.

L’intitulé du programme de Première est : Institutions et pratiques de la citoyenneté.

Il entre parfaitement en résonance avec le sujet qui est le nôtre quand on pense aux actions de protestations issues d’Internet et à des associations telles que La Quadrature du Net.

Dans notre régime politique, celui de la démocratie représentative, la participation politique prend essentiellement la forme de l’élection de représentants du peuple, mais aussi d’autres formes : participation au débat public, actions collectives… Le principe de la représentation apparaît comme le fondement de la légitimité dans toute société moderne et peut être ainsi un moyen d’aborder les grands problèmes politiques contemporains.

Ainsi, le fait politique peut être abordé à travers l’idée de représentation. Dans tous les domaines qu’elle structure – Assemblée Nationale, partis, syndicats, associations, lycées… – la représentation crée une mise à distance entre représentants et représentés tout en les mettant en relation. Ces deux mouvements produisent, selon les époques et à des rythmes variables, des tensions continues, inévitables dans les sociétés démocratiques : tensions entre les différentes institutions, entre ces institutions et le monde vécu par les citoyens.

Ces tensions, source de conflits inévitables, sont constitutives du sens moderne du politique. On pourra les analyser en montrant que les sociétés démocratiques s’efforcent de les gérer par des pratiques politiques qui sont conformes aux principes du droit et excluent le recours à la violence.

En ce sens, la représentation politique désigne le processus par lequel des gouvernants sont légitimés par l’élection pour parler au nom du peuple et habilités à décider en son nom. L’interrogation sur les formes de la représentation politique et les problèmes qu’elle rencontre peut servir de point de départ à la réflexion. Celle-ci mérite enfin d’être enrichie par l’analyse d’un ensemble de concepts : pouvoir, domination, autorité, violence, et leur mise en relation à travers des faits précis. Il est en effet recommandé d’étudier ce thème en partant d’un exemple.

Le citoyen se définit par l’exercice de la souveraineté politique dans la Cité à laquelle il appartient. L’exercice de la citoyenneté ne saurait donc se réduire ni à la possession de droits fondamentaux, ni à l’exercice du droit électoral : il implique la prise en compte de toutes les formes de la participation politique. La démocratie se définit comme le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ; cela exclut le pouvoir d’une autorité qui ne tirerait pas sa légitimité du peuple mais d’une source extérieure ou réputée supérieure. La démocratie implique donc la participation active des citoyens.

Celle-ci concerne autant la participation au débat public censé éclairer les décisions collectives que la prise de ces décisions elle-même. Elle peut donc prendre différentes formes. Le thème précédent met en évidence l’importance dans une démocratie de la participation au processus de désignation de représentants élus. Celui-ci insiste sur les autres dimensions : la participation à l’espace du débat public où se forme l’opinion publique, ce qui implique l’analyse critique des moyens de communication de masse et de leurs effets (y compris de l’Internet, des forums et du courrier électronique), la participation aux associations civiles, sociales et politiques, notamment à l’échelon local, la participation à des groupes défendant des intérêts, par exemple les syndicats et la participation à des actions collectives, locales ou nationales, sur des objectifs sociaux ou civiques.

Il ne s’agit pas bien sûr d’étudier toutes les formes de participation politique et d’actions collectives mais d’en choisir une manifestation qui puisse à la fois faire sens et susciter l’intérêt des élèves.

Si l’État républicain garantit les libertés individuelles et les droits du citoyen, les devoirs du citoyen sont la contrepartie et la condition de ces droits. Toutefois, l’État semble exercer une pression dont le citoyen prétend parfois s’affranchir (fraudes, désobéissance à la loi, incivisme, dégradation des biens publics, destruction de la propriété collective). Il importe donc de montrer en quoi le respect de la loi et de ses devoirs par le citoyen n’est pas un conditionnement à l’obéissance ; c’est, tout au contraire, son choix libre et raisonné d’institutions sans lesquelles les libertés, les droits et la sécurité ne pourraient exister.

L’intitulé du programme de Terminale est : La citoyenneté à l’épreuve des transformations du monde contemporain.

C’est à mon avis ici qu’un débat sur l’Hadopi trouverait le plus naturellement sa place. On aurait presque l’impression qu’il a été rédigé en pensant à cette loi 😉

En classe terminale, il s’agit de montrer que les exigences de droit, de justice, de liberté et d’égalité qui caractérisent l’État et les sociétés démocratiques sont confrontées à de nouveaux défis qui mettent à l’épreuve la citoyenneté, notamment les évolutions de la science et de la technique, les exigences renouvelées de justice et d’égalité, la construction de l’Union européenne et la mondialisation économique, culturelle, juridique et politique. Ces évolutions obligent les hommes à toujours repenser leurs droits et leurs libertés, ce qui suscite des débats dans l’espace public. La tension entre les intérêts particuliers et l’intérêt général, des expressions nouvelles de violence et d’atteinte aux libertés, exigent des réponses juridiques sans cesse adaptées. Le débat démocratique amène à interroger les normes et les valeurs sur lesquelles repose le droit et à les confronter à des conceptions différentes de l’éthique et à l’idée de droits de l’Homme.

Les progrès des sciences et des techniques dans tous les champs de l’activité humaine, la production, la consommation, la médecine… bouleversent les formes de l’existence, les rapports des hommes entre eux, la perception de l’espace et du temps, le corps humain lui-même. Ils suscitent des interrogations et des exigences nouvelles en matière de droits, de justice, de liberté, de responsabilité, de sécurité, par exemple dans les domaines de la bioéthique, de la prévention des risques naturels ou techniques, de la mondialisation des réseaux de communication, de la santé, de la qualité de la vie, de l’environnement, de l’avenir de la planète… Ils modifient aussi les conditions d’exercice de la citoyenneté.

Faut-il fixer des limites aux progrès des sciences et des techniques et en fonction de quels principes ? Comment État et citoyen peuvent-ils contrôler démocratiquement ces transformations ? Comment garantir l’indépendance des décisions démocratiques dans des domaines qui requièrent des savoirs spécialisés ? Quel rôle les experts doivent-ils jouer ? Existe-t-il un risque de technocratie ? Peut-on garantir un égal accès de tous les citoyens aux bénéfices des sciences et des techniques ? Face à ces complexités et à ces défis, comment permettre l’exercice de la citoyenneté ?

Que de questions intéressantes en perspective ! Comme évoqué ci-après, on pourra également élargir le débat à la situation dans les autres pays européens (en analysant par exemple le succès du Parti Pirate suédois).


La citoyenneté s’est construite historiquement dans le cadre national. Le projet européen, depuis un demi siècle, a conduit à la construction d’institutions qui sont aujourd’hui à l’origine de nombreuses décisions de notre vie collective. Une grande partie du droit national, dans les pays de l’Union européenne, est désormais de source européenne. D’un point de vue juridique, il n’existe pas aujourd’hui de citoyenneté européenne indépendante de la citoyenneté nationale ; d’un point de vue politique, tout ce qui donne une réalité concrète au principe de citoyenneté reste, pour l’instant et pour l’essentiel, national. L’Union européenne crée un niveau d’institutions supérieur et complémentaire aux institutions nationales. Elle amène à repenser les questions de la souveraineté, de l’égalité, de la liberté, de la sécurité, par exemple dans le domaine de l’économie, de l’harmonisation des législations, de l’ouverture des frontières et de la circulation des personnes et des biens, de la construction de forces armées plurinationales.

Le terme de mondialisation désigne un processus pluriséculaire complexe fait de mutations géographiques, économiques, culturelles, juridiques et politiques. Il s’accompagne d’une prise de conscience à l’échelle du monde de la perturbation des équilibres physiques de la planète et de l’homogénéisation relative du monde vivant. L’ensemble de ces mutations, par exemple le délitement apparent de la notion de frontière nationale, la concentration de pouvoirs au sein d’entreprises transnationales, le rôle accru des institutions internationales, les transferts de souveraineté des États-nations, la vitesse des transformations techniques et des communications, engendre de nouveaux défis qui mettent la citoyenneté à l’épreuve.

Ouf, merci d’avoir tenu jusque là ! J’espère vous avoir convaincu que ce fort pertinent programme d’ECJS est tout ce qu’il y a de plus « Hadopi compatible » et que le caractère controversée de cette loi (qui pour une fois met tout le monde d’accord) se prête magnifiquement à la méthode du débat argumenté.

Ainsi donc l’ECJS nous « couvre » et ne nous condamne pas à relayer benoîtement la « propagande » Hadopi !

Entendons-nous bien, il ne s’agit surtout pas de remplacer une propagande par une autre mais d’offrir aux élèves les conditions d’un réel débat (ceci étant dit, rien n’empêche de proposer aux élèves, dans le corpus documentaire, des ressources sur la « culture libre », en leur faisant comprendre pourquoi elle peut être considérée comme une « alternative à l’Hadopi »).

Chaque classe étant différente et l’enseignant étant avant tout présent pour animer et assurer les bonnes conditions du débat, on ne peut en rien présager de ce qu’il adviendra et des conclusions qu’en tireront nos lycéens. Mais l’essentiel sera bien là : au travers de l’exemple Hadopi ils auront fait ensemble un apprentissage de la citoyenneté, et réciproquement !

Se joindre au projet

Le projet consiste donc à faire d’Hadopi l’un des thèmes des débats argumentés de l’ECJS au lycée.

Comment procédér ?

J’ai bien quelques idées (confuses) à priori mais l’essentiel est de se regrouper et de voir cela ensemble. Parce qu’il est bien plus amusant de faire les choses collectivement, et puis c’est une habitude des lieux. Il serait bien sympathique de se constituer ainsi un petit réseau de personnes partageant la volonté de sensibiliser les élèves non seulement sur l’Hadopi mais sur les libertés numériques en général (qui le temps passant finiront presque par se confondre avec les libertés tout court). Surtout qu’on pourrait très bien envisager d’organiser plus tard d’autres débats connexes à Hadopi comme la neutralité du réseau, la vie privée, le Libre Accès, les biens communs, etc.

Pour ce qui me concerne, je n’ai pas d’ECJS cette année mais je suis tout à fait disposé et disponible pour participer et intervenir dans les classes si les professeurs d’ECJS de mon établissement m’y invitent (avec ma double-casquette prof et Framasoft). Et comme nous en sommes encore au tout début d’année, je compte leur suggérer dès maintenant de faire d’Hadopi l’un de leurs débats argumentés en offrant mes services (tout étant conscient que je suis novice dans la pratique du « débat argumenté » qui me semble beaucoup plus facile à dire qu’à faire).

Ainsi donc le projet s’adresse avant tout aux enseignants en charge de l’ECJS cette année mais aussi à tous les autres professeurs intéressés qui voudraient s’associer avec les premiers. Il s’adresse également à tous les parents de lycéens qui souhaiteraient voir le professeur d’ECJS de leurs enfants aborder ce sujet (ce qui peut commencer par leur indiquer le lien vers cet article du Framablog).

Il s’adresse enfin à tous les intervenants extérieurs potentiels (personne physiques mais aussi personnes morales, je pense aux associations ou à tout autre structure qui pourrait devenir partenaire ou partie prenante du projet). Imaginez-vous faire venir conjointement Jérémie Zimmermann et Franck Riester devant un parterre de lycéens passionnés, ça aurait de la gueule ! Nous pourrions du reste tenter de médiatiser les venues des personnalités les plus emblématiques d’Hadopi (surtout si l’on décide tous de faire ce cours à peu près au même moment). Nous montrerions ainsi à la population que non seulement l’école se soucie d’informer comme il se doit sur Hadopi mais que certains vont plus loin en profitant de l’ECJS pour que les élèves mettent la loi sur le grill 😉

J’invite donc les personnes intéressées à se manifester dans les commentaires et/ou à m’envoyer un message via le formulaire de contact du site. Je créerai un groupe Facebook dédié une liste de discussion dédiée et nous travaillerons alors ensemble à la réalisation de ce projet.

J’invite également les quelques rares enseignants qui ont déjà essayé de parler d’Hadopi en ECJS (je sais qu’il y en a) à venir nous apporter leur témoignages.

J’invite enfin tous les lecteurs du Framablog à relayer l’information, parce que non seulement notre attaché de presse est encore en vacances mais en plus nous ne possédons pas d’attaché de presse.

Nous l’avons déjà constaté, rares sont les temps scolaires où les élèves sont confrontés aux thèmes qui nous sont chers. Puisse ce modeste projet contribuer à modifier un peu la donne.

Notes

[1] Crédit photo : Skippyjon (Creative Commons By)




L’enseignante Christine Mytko ou l’exception qui devrait être la règle

Christine Mytko - Curriki - CC by-ncC’est la rentrée des classes. Et nous publions, à l’occasion, la traduction d’un entretien avec une enseignante américaine impliquée dans ce que l’on appelle les Ressources Éducatives Libres, ces ressources placées sous licence libre et qui offrent aux utilisateurs les mêmes droits que ceux d’un logiciel libre : utilisation, étude, modification, duplication et diffusion. Face au casse-tête du « tous droits réservés », elles représentent une formidable opportunité pour l’éducation. Une opportunité d’usage mais aussi de remix et de création collective. Une opportunité qui met l’accent sur le partage et la coopération au détriment de l’individualisme et de la compétition.

Le problème c’est que vos enfants ont encore aujourd’hui une chance infime de rencontrer de tels professeurs dans leur classe cette année.

Pourquoi ? Principalement à cause de la scandaleuse et irresponsable politique de l’autruche du ministère de l’Éducation Nationale qui ne s’est toujours pas décidé à les encourager. Aussi hallucinant que cela paraisse, rien, absolument rien d’envergure n’est prévu pour les mettre en avant. Aucune trace dans les programmes officiels, aucune directive adressée aux enseignants. Et cela dure depuis des lustres.

Cela va même au delà de la belle ignorance ou de la simple indifférence, il suffit de parcourir ces quelques anciens articles du Framablog pour s’en convaincre :

L’aggiornamento n’a toujours pas eu lieu. C’est une « culture propriétaire » et non une « culture libre » qui règne encore au sein du ministère et qui influence tous ses fonctionnaires. Voilà la triste vérité.

Dans ce contexte hostile on ne s’étonnera pas que les enseignants de la trempe de Christine Mytko[1] demeurent pour le moment minoritaires. Il en existe bien sûr, mais leur sensibilisation s’est bien moins faite grâce à l’école que malgré l’école. C’est pourquoi d’ailleurs un site comme le nôtre continue malheureusement d’avoir sa modeste utilité, mais qu’il est dur de nager à contre-courant alors que nous devrions plutôt tous surfer sur la vague du bon sens.

Au cours de l’interview ci-dessous publiée à l’origine sur le blog du site des Creative Commons, Christine Mytko constate que c’est la méthode « CASE » qui prévaut encore chez les enseignants. C’est l’acronyme anglais de « Copy And Steal Everything » signifiant que tout le monde fait à peu près n’importe quoi avec le respect des licences. Il suffit effectivement de passer une journée devant la photocopieuse d’une salle des professeurs pour s’en rendre compte.

On fait n’importe quoi mais comme on ne reçoit aucune information et qu’on ne s’expose à aucune sanction, il n’y a aucune raison de modifier son comportement. Un comportement que l’on retrouvera alors naturellement par ricochet chez les élèves de ces enseignants, c’est-à-dire nos enfants.

C’est entendu, l’école à d’autres chats plus importants à fouetter actuellement que ce détail des licences des ressources. Certes mais sans vouloir être grandiloquent « l’école du XXIe siècle sera libre ou ne sera pas ». Alors autant s’y préparer sérieusement dès maintenant et ne plus faire de chaque jour qui passe un jour de perdu.

Éducation et politique pédagogique libres : Entretien avec Christine Mytko, du site Curriki

Curriki’s Christine Mytko: Open Education and Policy

Jane Park – 5 août 2010 – Creative Commons Blog
(Traduction Framalang : Don Rico)

Au début de l’année 2010, nous avons annoncé une refonte de nos projets consacrés à l’éducation et un soutien accru au mouvement des REL, les Ressources Éducatives Libres (NdT: OER en anglais, pour Open Educational Resources). En ce sens, nous avons redoublé d’efforts pour accroître la quantité d’informations disponibles sur notre site. Outre la mise en ligne d’une nouvelle page d’acueil pour notre rubrique Éducation et notre portail consacré aux REL, sur laquelle nous expliquons le rôle que jouent les Creative Commons en tant qu’infrastructure technique et juridique, nous avons réalisé une série d’entretiens destinés à exposer les obstacles que rencontrent les REL et les chances qu’elles ont de trouver leur place dans notre paysage pédagogique.

Un changement de politique au niveau local, national et international constitue l’un des vecteurs les plus probants pour la promotion des REL. Il y a peu, nous avons eu la chance d’interroger Christine Mytko, qui milite pour l’adoption des REL à l’échelle locale dans le cadre de son métier d’enseignante et en tant que validatrice principale de la rubrique scientifique du site Curriki. De par son statut de professeure, Christine Mytko apporte un point de vue précieux sur l’éducation et la politique libres, et nous offre un bon aperçu de la façon dont on perçoit le copyright, l’utilisation des Creative Commons et des REL dans le monde éducatif.

Vous êtes enseignante et validatrice de la section scientifique de Curriki, que l’on décrit comme le « wiki nouvelle génération » pour l’enseignement primaire et secondaire. Pouvez-vous nous décrire brièvement qui vous êtes et ce qui vous a conduite aux fonctions que vous occupez aujourd’hui ? Quelle est d’après vous la mission de Curriki, et comment ce site aide-t-il les enseignants ?

J’ai passé la majeure partie de ma carrière à enseigner les sciences dans des collège publics. Il y a trois ans, j’ai eu la chance de trouver un poste qui allie mes deux passions : la science et la technologie. À l’heure actuelle, je suis intervenante en sciences chez les maternelles et professeure de technologie dans un petit collège de Berkeley, en Californie.

En 2007, j’ai posé ma candidature pour un temps partiel chez Curriki. Comme de nombreux enseignants, je cherchais à arrondir mes fins de mois. J’ai alors découvert une communauté d’éducateurs dévoués à la création collaborative et au partage de ressources libres. Membre de l’équipe de modération de Curriki, je suis chargée de valider les contenus scientifiques que l’on nous soumet et de fournir une notation et des retours publics au contributeur. Si besoin est, je participe aussi à d’autres projets. En ce moment, je travaille avec un professeur de chimie afin de réviser et soumettre un manuel de chimie numérique open-source dans le cadre de la California Learning Resource Network’s Free Digital Textbook Initiative.

Comme on peut le lire en page d’accueil du site, la mission de Curriki est de « fournir des ressources et des programmes libres de grande qualité aux enseignants, étudiants et parents du monde entier. » Certains l’auront deviné, son nom est un jeu sur les mots « curriculum » (NdT: « programme d’enseignement » en anglais) et wiki. Le dépôt de Curriki contient un choix riche pour les programmes d’enseignement, allant des plans de leçons à des séquences complètes, disponibles pour plusieurs matières, niveaux et langues. Curriki offre d’autres ressources tels que des manuels scolaires, des supports multimédia, et des projets collaboratifs.

Tout le contenu présent sur Curriki est partagé sous la licence Creative Commons Paternité (CC-BY), ce qui l’inscrit solidement dans l’espace des REL. Savez-vous pourquoi Curriki a choisi la CC-BY pour ses ressources en ligne ? Si vous l’ignorez, quel avantage présente la CC-BY comparé à du contenu « Tous droits réservés » ?

Les contributeurs de Curriki sont libres de placer leur contenu soit dans le domaine public soit sous une licence CC de leur choix, mais le contrat de licence par défaut est en effet le CC-BY. Je ne connais pas les raisons qui ont poussé Curriki à la choisir, mais c’est une excellente décision. La CC-BY confère aux enseignants la possibilité de remixer, partager et distribuer des ressources afin qu’elles soient les plus pertinentes pour leur programme d’enseignement.

La souplesse offerte par la licence CC-BY permet d’adapter le contenu très vite. La révision d’un manuel scolaire s’étale sur un cycle de sept ans. Le contenu de Curriki, lui, peut être mis à jour et « publié » en quelques secondes, et la communauté peut corriger les éventuelles erreurs tout aussi rapidement. De nombreux sujets, surtout en sciences et en technologie, évoluent si vite que l’enseignement ne peut se permettre d’être dépendant des cycles de publication trop longs des ouvrages propriétaires.

À l’heure actuelle, la Californie et le Texas sont les plus gros acheteurs de manuels traditionnels « Tous droits réservés », et les éditeurs se coupent en quatre pour répondre aux exigences de ces états. Les enseignants des autres états (et autres pays) sont contraints à composer avec ces limitations propriétaires. Des initiatives de REL telle que Curriki permettent néanmoins de modifier librement des outils afin qu’ils correspondent le mieux à leurs besoins pédagogiques et culturels. En créant ou en mettant à disposition un tel contenu dans des dépôts publics, les enseignants n’auront plus à travailler chacun dans leur coin et ne seront plus forcés à constamment « réinventer la roue ». Plus on donnera à partager librement du contenu de qualité au sein de communautés d’enseignants, moins on passera de temps à adapter de la matière propriétaire, ce qui permettra aux enseignants de consacrer davantage de leur temps, qui est précieux, à d’autres domaines importants de l’enseignement.

Décrivez-nous un projet pédagogique auquel vous avez intégré du contenu sous CC et/ou des REL. Quelles difficultés avez-vous rencontrées, vous ou vos élèves, en recherchant ou en utilisant des ressources sur le web ? Comment relateriez-vous cette expérience à des enseignants qui souhaitent attribuer les bonnes licences à leurs propres ressources pour la recherche et la découverte des REL ? Que doivent savoir ces professeurs ?

Pour mes cours de technologie, je fais en sorte désormais que tous les supports médias incorporés aux devoirs soient sous Creative Commons, dans le domaine public ou dépourvus de tout copyright. Au début, après des années à pouvoir piocher sans restriction dans Google Images, mes élèves se sont sentis très restreints dans leurs choix, mais nous avons débattu de ce qui sous-tend le copyright et les solutions alternatives à celui-ci, et nombre d’entre eux ont compris l’importance de respecter les droits.

Il existe de nombreuses sources d’excellente qualité pour aider les enseignants et les élèves à utiliser des ressources sous Creative Commons en cours. La page de recherche des Creative Commons, Wikimedia Commons, la section CC de Flickr et l’option de recherche avancée de Google sont des outils fantastiques pour trouver des images placées sous licence alternative. Pour la musique, des sites tels que Jamendo sont formidables.

Au départ, la terminologie a présenté des difficultés pour mes collégiens. Bien qu’il n’y ait que six contrats CC principaux, mes élèves ont été déroutés par des termes tels que « Paternité » (NdT: Attribution en anglais) et « Pas de modification » (NdT: No Derivatives en anglais). Le fait que Google emploie des formulations légèrement différentes (« réutilisation autorisée » et « réutilisation avec modification autorisée ») dans ses filtres de recherche n’a pas arrangé les choses. Mais les jeunes ont vite apprivoisé les termes et les procédures, et en l’espace de quelques cours, ils accédaient aisément à du contenu sous licence « Certains droits réservés » et l’utilisaient à bon escient. Évidemment, je leur demande de définir des droits d’utilisation pour leurs travaux, ce qui renforce la compréhension des licences et les pousse à réfléchir soigneusement aux droits qui comptent pour eux.

Concernant la mise à disposition de mes travaux sous forme de REL, je n’ai pas fini d’apprendre. Avant de rejoindre l’équipe de Curriki, j’hésitais à « publier » mes ressources sous licence libre. Après avoir consacré tant de temps et d’énergie à créer certaines préparations, il me semblait aberrant de les distribuer gratuitement sur Internet. Depuis quelques années, j’ai toutefois compris les avantages que présentent les contenus libres, et je publie sur Curriki, sous licence CC-BY, certains de mes travaux autrefois jalousement gardés. À présent, je partage sans restriction mes nouveaux travaux. Je me sens plus à l’aise pour utiliser et créer des ressources libres, et j’espère à présent passer à l’étape supérieure et collaborer avec d’autres enseignants.

Quelles sont les idées erronées ou les inquiétudes les plus répandues chez les professeurs concernant le partage de leur travail ? Pensez-vous que dans le secondaire, le professeur moyen connaisse l’existence de licences alternatives comme les Creative Commons ? Quelles politiques sont menées au niveau des établissements ou des institutions pour aider les professeurs à partager leur travail ?

Je suis certaine que le professeur moyen ignore jusqu’à l’existence même des solutions alternatives ouvertes. La plupart de mes collègues appliquent toujours la méthode CASE, Copy and Steal Everything (NdT: Tout copier, tout voler). Je ne pense pas que les enseignants utilisent des ressources de cette manière par paresse ou volonté de nuire. Quiconque a enseigné un jour sait l’ampleur du travail qu’il faut accomplir en très peu de temps. Parfois, copier une activité (souvent placée sous copyright) et la déposer dans le casier d’un collègue, ce n’est qu’une question de survie. Même parmi les professeurs qui sont conscients des problèmes de copyright, beaucoup invoquent le « fair use » (NdT: usage raisonnable en droit anglo-saxon, plus ou moins proche du droit de citation). Le problème, c’est que ces personnes surestiment souvent les protections et les privilèges que leur confère le fair use. En outre, nous sommes très peu formés sur le copyright et le fair use, et encore moins sur les Creative Commons et les REL. En plus de ne pas connaître ses responsabilités, un enseignant du secondaire ignore les droits et les autres solutions dont il dispose pour partager son travail.

Un certain nombre de blocages empêchent les enseignants de penser au partage de leurs ressources. Tout d’abord, créer un programme d’enseignement prend tellement de temps que beaucoup sont réticents à partager leurs cours parce qu’ils estiment que le produit de leurs efforts leur appartient. D’autres ont le sentiment que leur travail n’est pas assez bon. Et même pour ceux qui surmontent ces obstacles psychologiques, il reste les questions techniques sur la façon dont ils partageront leur travail sous licence libre. Aucun des établissements où j’ai travaillé n’avait mis en place une politique ou une plage de temps pour le partage des ressources. En discutant avec des collègues, j’ai découvert qu’eux aussi déploraient cette même absence de volonté de la part de leurs établissements. Même dans les rares cas où l’on tentait de donner des directives dans ce sens, les professeurs choisissaient souvent de ne pas les appliquer. À l’heure actuelle, la plupart des enseignants n’ont ni l’accès, ni la formation, ni le soutien nécessaires pour participer en confiance au mouvement des REL.

Curriki fournit un gros travail pour indiquer à quelles standards pédagogiques des divers états des USA correspondent ses ressources. Pouvez-vous nous expliquer cela fonctionne ? Quels avantages et difficultés cela présente-il ? En quoi est-ce utile ?

Ce travail ne fait pas partie de mes attributions chez Curriki, mais je peux vous donner un avis personnel, en tant qu’enseignante et membre de Curriki. Lorque l’on consulte une ressource sur notre site, quatre onglets apparaissent – Contenu, Détails, Standards, et Commentaires. Cliquer sur l’onglet Standards permet à l’utilisateur de voir à quels programmes elle correspond, ainsi que de l’associer aux standards d’un autre état. Le procédé est très intuitif : l’utilisateur parcourt une série de menus et choisit les standards qui lui paraissent appropriés.

Le bénéfice principal sera sans doute la possibilité de rechercher des ressources répondant à un standard voulu en passant par la page que je viens de mentionner. Le plus grand défi consiste à associer les différents standards à nos ressources existantes et futures. Curriki s’appuie en grande partie sur la communauté pour que ce chantier s’accélère. Pour l’heure, les couples standards/normes ne sont établis que pour la moitié des états, et même ces regroupements sont incomplets.

On parle beaucoup des REL en ce qui concerne les politiques pédagogiques, surtout sur la question des manuels scolaires libres. À votre avis, quel est l’avenir du manuel scolaire pour le primaire et le secondaire ? Comment souhaiteriez-vous que cela se traduise dans les politiques éducatives ?

Comme de nombreux enseignants, j’ai le sentiment que le règne du manuel scolaire touche à sa fin. En tant que professeur de sciences, j’ai rarement été dépendante d’un manuel pour préparer mes cours, et je m’appuie davantage sur des ressources que je trouve en ligne ou que je crée moi-même. Grâce aux REL, je profite mieux de la création et du partage de travaux au sein d’une communauté collaborative. La science et la technologie se prêtent bien à une adoption précoce de la philosophie du libre, mais je suis convaincue que d’autres matières suivront bientôt.

Les manuels ne pourront conserver leur mainmise actuelle. Un article récent du New York Times indiquait que « même les éditeurs de manuels traditionnels reconnaissent que l’époque où l’on modifiait quelques pages dans un livre afin d’en vendre une nouvelle version était révolue. » Les manuels scolaires coûtent cher et sont vite obsolètes. Pour corriger les erreurs qu’ils contiennent, il faut attendre l’édition suivante. En comparaison, les REL sont très bon marché voire gratuites, constamment mises à jour, et faciles à corriger. Il serait formidable que l’argent économisé si l’on préférait les REL abordables aux coûteux manuels servait à acquérir des outils pédagogiques supplémentaires et financer des formations pour les enseignants. Ou mieux encore, que les administrations puissent employer ces fonds à payer les enseignants pour qu’ils se réunissent et collaborent à la création de REL sur leur temps de travail.

Pour terminer, à quoi « ressemble » un environnement d’enseignement et d’apprentissage qui exploite avec succès les immenses possibilités des REL ? Avez-vous des considérations à nous faire partager… des inquiétudes, des espoirs, des prédictions ?

Un environnement d’apprentissage efficace se doit d’être bien pensé, attrayant, motivant, et souple. Les REL sont toujours d’actualité, on peut aisément et en toute légalité les adapter aux besoins des élèves. Une communauté de REL peut fournir aux enseignants les ressources et le soutien nécessaires pour répondre aux attentes de la catégorie d’élèves à laquelle ils s’adressent. Des ressources partagées librement permettent à d’autres de gagner d’innombrables heures de travail individuel redondant, et grâce à eux, les professeurs ne sont plus prisonniers d’un programme pédagogique propriétaire.

Les établissements scolaires commencent à comprendre les économies que permet l’abandon du modèle actuel de manuels scolaires, et je prédis que les éditeurs s’adapteront aux exigences du marché. J’espère que les établissements reconnaîtront enfin que les enseignants sont une ressource précieuse, des professionnels qualifiés, et qu’ils méritent une contrepartie pour le temps qu’ils passent à créer leurs programmes de cours.

Dans l’idéal, la salle de classe devrait être un espace où les élèves ne sont pas que des consommateurs passifs de ressources et de documents multimédia, mais plutôt des collaborateurs actifs, qui synthétisent et publient leur travail. J’espère que dès le plus jeune âge on apprendra aux élèves à utiliser le travail d’autres personnes de façon appropriée, et qu’on les encouragera à partager leurs travaux sous une licence libre avec certains droits réservés au lieu de se rabattre sur la solution par défaut du copyright classique, ou pire, ne pas les partager du tout. Je veux que mes élèves et mes collègues comprennent qu’en partageant des ressources, ils contribuent à constituer une réserve de matériel pédagogique qui servira à d’autres bien au-delà des murs de leur salle de classe. C’est un changement important dans la philosophie pédagogique actuelle, mais des sites tels que Curriki constituent un grand pas dans la bonne direction.

Notes

[1] Crédit photo : Christine Mytko (Creative Commons By-Nc)