L’enseignante Christine Mytko ou l’exception qui devrait être la règle

Christine Mytko - Curriki - CC by-ncC’est la rentrée des classes. Et nous publions, à l’occasion, la traduction d’un entretien avec une enseignante américaine impliquée dans ce que l’on appelle les Ressources Éducatives Libres, ces ressources placées sous licence libre et qui offrent aux utilisateurs les mêmes droits que ceux d’un logiciel libre : utilisation, étude, modification, duplication et diffusion. Face au casse-tête du « tous droits réservés », elles représentent une formidable opportunité pour l’éducation. Une opportunité d’usage mais aussi de remix et de création collective. Une opportunité qui met l’accent sur le partage et la coopération au détriment de l’individualisme et de la compétition.

Le problème c’est que vos enfants ont encore aujourd’hui une chance infime de rencontrer de tels professeurs dans leur classe cette année.

Pourquoi ? Principalement à cause de la scandaleuse et irresponsable politique de l’autruche du ministère de l’Éducation Nationale qui ne s’est toujours pas décidé à les encourager. Aussi hallucinant que cela paraisse, rien, absolument rien d’envergure n’est prévu pour les mettre en avant. Aucune trace dans les programmes officiels, aucune directive adressée aux enseignants. Et cela dure depuis des lustres.

Cela va même au delà de la belle ignorance ou de la simple indifférence, il suffit de parcourir ces quelques anciens articles du Framablog pour s’en convaincre :

L’aggiornamento n’a toujours pas eu lieu. C’est une « culture propriétaire » et non une « culture libre » qui règne encore au sein du ministère et qui influence tous ses fonctionnaires. Voilà la triste vérité.

Dans ce contexte hostile on ne s’étonnera pas que les enseignants de la trempe de Christine Mytko[1] demeurent pour le moment minoritaires. Il en existe bien sûr, mais leur sensibilisation s’est bien moins faite grâce à l’école que malgré l’école. C’est pourquoi d’ailleurs un site comme le nôtre continue malheureusement d’avoir sa modeste utilité, mais qu’il est dur de nager à contre-courant alors que nous devrions plutôt tous surfer sur la vague du bon sens.

Au cours de l’interview ci-dessous publiée à l’origine sur le blog du site des Creative Commons, Christine Mytko constate que c’est la méthode « CASE » qui prévaut encore chez les enseignants. C’est l’acronyme anglais de « Copy And Steal Everything » signifiant que tout le monde fait à peu près n’importe quoi avec le respect des licences. Il suffit effectivement de passer une journée devant la photocopieuse d’une salle des professeurs pour s’en rendre compte.

On fait n’importe quoi mais comme on ne reçoit aucune information et qu’on ne s’expose à aucune sanction, il n’y a aucune raison de modifier son comportement. Un comportement que l’on retrouvera alors naturellement par ricochet chez les élèves de ces enseignants, c’est-à-dire nos enfants.

C’est entendu, l’école à d’autres chats plus importants à fouetter actuellement que ce détail des licences des ressources. Certes mais sans vouloir être grandiloquent « l’école du XXIe siècle sera libre ou ne sera pas ». Alors autant s’y préparer sérieusement dès maintenant et ne plus faire de chaque jour qui passe un jour de perdu.

Éducation et politique pédagogique libres : Entretien avec Christine Mytko, du site Curriki

Curriki’s Christine Mytko: Open Education and Policy

Jane Park – 5 août 2010 – Creative Commons Blog
(Traduction Framalang : Don Rico)

Au début de l’année 2010, nous avons annoncé une refonte de nos projets consacrés à l’éducation et un soutien accru au mouvement des REL, les Ressources Éducatives Libres (NdT: OER en anglais, pour Open Educational Resources). En ce sens, nous avons redoublé d’efforts pour accroître la quantité d’informations disponibles sur notre site. Outre la mise en ligne d’une nouvelle page d’acueil pour notre rubrique Éducation et notre portail consacré aux REL, sur laquelle nous expliquons le rôle que jouent les Creative Commons en tant qu’infrastructure technique et juridique, nous avons réalisé une série d’entretiens destinés à exposer les obstacles que rencontrent les REL et les chances qu’elles ont de trouver leur place dans notre paysage pédagogique.

Un changement de politique au niveau local, national et international constitue l’un des vecteurs les plus probants pour la promotion des REL. Il y a peu, nous avons eu la chance d’interroger Christine Mytko, qui milite pour l’adoption des REL à l’échelle locale dans le cadre de son métier d’enseignante et en tant que validatrice principale de la rubrique scientifique du site Curriki. De par son statut de professeure, Christine Mytko apporte un point de vue précieux sur l’éducation et la politique libres, et nous offre un bon aperçu de la façon dont on perçoit le copyright, l’utilisation des Creative Commons et des REL dans le monde éducatif.

Vous êtes enseignante et validatrice de la section scientifique de Curriki, que l’on décrit comme le « wiki nouvelle génération » pour l’enseignement primaire et secondaire. Pouvez-vous nous décrire brièvement qui vous êtes et ce qui vous a conduite aux fonctions que vous occupez aujourd’hui ? Quelle est d’après vous la mission de Curriki, et comment ce site aide-t-il les enseignants ?

J’ai passé la majeure partie de ma carrière à enseigner les sciences dans des collège publics. Il y a trois ans, j’ai eu la chance de trouver un poste qui allie mes deux passions : la science et la technologie. À l’heure actuelle, je suis intervenante en sciences chez les maternelles et professeure de technologie dans un petit collège de Berkeley, en Californie.

En 2007, j’ai posé ma candidature pour un temps partiel chez Curriki. Comme de nombreux enseignants, je cherchais à arrondir mes fins de mois. J’ai alors découvert une communauté d’éducateurs dévoués à la création collaborative et au partage de ressources libres. Membre de l’équipe de modération de Curriki, je suis chargée de valider les contenus scientifiques que l’on nous soumet et de fournir une notation et des retours publics au contributeur. Si besoin est, je participe aussi à d’autres projets. En ce moment, je travaille avec un professeur de chimie afin de réviser et soumettre un manuel de chimie numérique open-source dans le cadre de la California Learning Resource Network’s Free Digital Textbook Initiative.

Comme on peut le lire en page d’accueil du site, la mission de Curriki est de « fournir des ressources et des programmes libres de grande qualité aux enseignants, étudiants et parents du monde entier. » Certains l’auront deviné, son nom est un jeu sur les mots « curriculum » (NdT: « programme d’enseignement » en anglais) et wiki. Le dépôt de Curriki contient un choix riche pour les programmes d’enseignement, allant des plans de leçons à des séquences complètes, disponibles pour plusieurs matières, niveaux et langues. Curriki offre d’autres ressources tels que des manuels scolaires, des supports multimédia, et des projets collaboratifs.

Tout le contenu présent sur Curriki est partagé sous la licence Creative Commons Paternité (CC-BY), ce qui l’inscrit solidement dans l’espace des REL. Savez-vous pourquoi Curriki a choisi la CC-BY pour ses ressources en ligne ? Si vous l’ignorez, quel avantage présente la CC-BY comparé à du contenu « Tous droits réservés » ?

Les contributeurs de Curriki sont libres de placer leur contenu soit dans le domaine public soit sous une licence CC de leur choix, mais le contrat de licence par défaut est en effet le CC-BY. Je ne connais pas les raisons qui ont poussé Curriki à la choisir, mais c’est une excellente décision. La CC-BY confère aux enseignants la possibilité de remixer, partager et distribuer des ressources afin qu’elles soient les plus pertinentes pour leur programme d’enseignement.

La souplesse offerte par la licence CC-BY permet d’adapter le contenu très vite. La révision d’un manuel scolaire s’étale sur un cycle de sept ans. Le contenu de Curriki, lui, peut être mis à jour et « publié » en quelques secondes, et la communauté peut corriger les éventuelles erreurs tout aussi rapidement. De nombreux sujets, surtout en sciences et en technologie, évoluent si vite que l’enseignement ne peut se permettre d’être dépendant des cycles de publication trop longs des ouvrages propriétaires.

À l’heure actuelle, la Californie et le Texas sont les plus gros acheteurs de manuels traditionnels « Tous droits réservés », et les éditeurs se coupent en quatre pour répondre aux exigences de ces états. Les enseignants des autres états (et autres pays) sont contraints à composer avec ces limitations propriétaires. Des initiatives de REL telle que Curriki permettent néanmoins de modifier librement des outils afin qu’ils correspondent le mieux à leurs besoins pédagogiques et culturels. En créant ou en mettant à disposition un tel contenu dans des dépôts publics, les enseignants n’auront plus à travailler chacun dans leur coin et ne seront plus forcés à constamment « réinventer la roue ». Plus on donnera à partager librement du contenu de qualité au sein de communautés d’enseignants, moins on passera de temps à adapter de la matière propriétaire, ce qui permettra aux enseignants de consacrer davantage de leur temps, qui est précieux, à d’autres domaines importants de l’enseignement.

Décrivez-nous un projet pédagogique auquel vous avez intégré du contenu sous CC et/ou des REL. Quelles difficultés avez-vous rencontrées, vous ou vos élèves, en recherchant ou en utilisant des ressources sur le web ? Comment relateriez-vous cette expérience à des enseignants qui souhaitent attribuer les bonnes licences à leurs propres ressources pour la recherche et la découverte des REL ? Que doivent savoir ces professeurs ?

Pour mes cours de technologie, je fais en sorte désormais que tous les supports médias incorporés aux devoirs soient sous Creative Commons, dans le domaine public ou dépourvus de tout copyright. Au début, après des années à pouvoir piocher sans restriction dans Google Images, mes élèves se sont sentis très restreints dans leurs choix, mais nous avons débattu de ce qui sous-tend le copyright et les solutions alternatives à celui-ci, et nombre d’entre eux ont compris l’importance de respecter les droits.

Il existe de nombreuses sources d’excellente qualité pour aider les enseignants et les élèves à utiliser des ressources sous Creative Commons en cours. La page de recherche des Creative Commons, Wikimedia Commons, la section CC de Flickr et l’option de recherche avancée de Google sont des outils fantastiques pour trouver des images placées sous licence alternative. Pour la musique, des sites tels que Jamendo sont formidables.

Au départ, la terminologie a présenté des difficultés pour mes collégiens. Bien qu’il n’y ait que six contrats CC principaux, mes élèves ont été déroutés par des termes tels que « Paternité » (NdT: Attribution en anglais) et « Pas de modification » (NdT: No Derivatives en anglais). Le fait que Google emploie des formulations légèrement différentes (« réutilisation autorisée » et « réutilisation avec modification autorisée ») dans ses filtres de recherche n’a pas arrangé les choses. Mais les jeunes ont vite apprivoisé les termes et les procédures, et en l’espace de quelques cours, ils accédaient aisément à du contenu sous licence « Certains droits réservés » et l’utilisaient à bon escient. Évidemment, je leur demande de définir des droits d’utilisation pour leurs travaux, ce qui renforce la compréhension des licences et les pousse à réfléchir soigneusement aux droits qui comptent pour eux.

Concernant la mise à disposition de mes travaux sous forme de REL, je n’ai pas fini d’apprendre. Avant de rejoindre l’équipe de Curriki, j’hésitais à « publier » mes ressources sous licence libre. Après avoir consacré tant de temps et d’énergie à créer certaines préparations, il me semblait aberrant de les distribuer gratuitement sur Internet. Depuis quelques années, j’ai toutefois compris les avantages que présentent les contenus libres, et je publie sur Curriki, sous licence CC-BY, certains de mes travaux autrefois jalousement gardés. À présent, je partage sans restriction mes nouveaux travaux. Je me sens plus à l’aise pour utiliser et créer des ressources libres, et j’espère à présent passer à l’étape supérieure et collaborer avec d’autres enseignants.

Quelles sont les idées erronées ou les inquiétudes les plus répandues chez les professeurs concernant le partage de leur travail ? Pensez-vous que dans le secondaire, le professeur moyen connaisse l’existence de licences alternatives comme les Creative Commons ? Quelles politiques sont menées au niveau des établissements ou des institutions pour aider les professeurs à partager leur travail ?

Je suis certaine que le professeur moyen ignore jusqu’à l’existence même des solutions alternatives ouvertes. La plupart de mes collègues appliquent toujours la méthode CASE, Copy and Steal Everything (NdT: Tout copier, tout voler). Je ne pense pas que les enseignants utilisent des ressources de cette manière par paresse ou volonté de nuire. Quiconque a enseigné un jour sait l’ampleur du travail qu’il faut accomplir en très peu de temps. Parfois, copier une activité (souvent placée sous copyright) et la déposer dans le casier d’un collègue, ce n’est qu’une question de survie. Même parmi les professeurs qui sont conscients des problèmes de copyright, beaucoup invoquent le « fair use » (NdT: usage raisonnable en droit anglo-saxon, plus ou moins proche du droit de citation). Le problème, c’est que ces personnes surestiment souvent les protections et les privilèges que leur confère le fair use. En outre, nous sommes très peu formés sur le copyright et le fair use, et encore moins sur les Creative Commons et les REL. En plus de ne pas connaître ses responsabilités, un enseignant du secondaire ignore les droits et les autres solutions dont il dispose pour partager son travail.

Un certain nombre de blocages empêchent les enseignants de penser au partage de leurs ressources. Tout d’abord, créer un programme d’enseignement prend tellement de temps que beaucoup sont réticents à partager leurs cours parce qu’ils estiment que le produit de leurs efforts leur appartient. D’autres ont le sentiment que leur travail n’est pas assez bon. Et même pour ceux qui surmontent ces obstacles psychologiques, il reste les questions techniques sur la façon dont ils partageront leur travail sous licence libre. Aucun des établissements où j’ai travaillé n’avait mis en place une politique ou une plage de temps pour le partage des ressources. En discutant avec des collègues, j’ai découvert qu’eux aussi déploraient cette même absence de volonté de la part de leurs établissements. Même dans les rares cas où l’on tentait de donner des directives dans ce sens, les professeurs choisissaient souvent de ne pas les appliquer. À l’heure actuelle, la plupart des enseignants n’ont ni l’accès, ni la formation, ni le soutien nécessaires pour participer en confiance au mouvement des REL.

Curriki fournit un gros travail pour indiquer à quelles standards pédagogiques des divers états des USA correspondent ses ressources. Pouvez-vous nous expliquer cela fonctionne ? Quels avantages et difficultés cela présente-il ? En quoi est-ce utile ?

Ce travail ne fait pas partie de mes attributions chez Curriki, mais je peux vous donner un avis personnel, en tant qu’enseignante et membre de Curriki. Lorque l’on consulte une ressource sur notre site, quatre onglets apparaissent – Contenu, Détails, Standards, et Commentaires. Cliquer sur l’onglet Standards permet à l’utilisateur de voir à quels programmes elle correspond, ainsi que de l’associer aux standards d’un autre état. Le procédé est très intuitif : l’utilisateur parcourt une série de menus et choisit les standards qui lui paraissent appropriés.

Le bénéfice principal sera sans doute la possibilité de rechercher des ressources répondant à un standard voulu en passant par la page que je viens de mentionner. Le plus grand défi consiste à associer les différents standards à nos ressources existantes et futures. Curriki s’appuie en grande partie sur la communauté pour que ce chantier s’accélère. Pour l’heure, les couples standards/normes ne sont établis que pour la moitié des états, et même ces regroupements sont incomplets.

On parle beaucoup des REL en ce qui concerne les politiques pédagogiques, surtout sur la question des manuels scolaires libres. À votre avis, quel est l’avenir du manuel scolaire pour le primaire et le secondaire ? Comment souhaiteriez-vous que cela se traduise dans les politiques éducatives ?

Comme de nombreux enseignants, j’ai le sentiment que le règne du manuel scolaire touche à sa fin. En tant que professeur de sciences, j’ai rarement été dépendante d’un manuel pour préparer mes cours, et je m’appuie davantage sur des ressources que je trouve en ligne ou que je crée moi-même. Grâce aux REL, je profite mieux de la création et du partage de travaux au sein d’une communauté collaborative. La science et la technologie se prêtent bien à une adoption précoce de la philosophie du libre, mais je suis convaincue que d’autres matières suivront bientôt.

Les manuels ne pourront conserver leur mainmise actuelle. Un article récent du New York Times indiquait que « même les éditeurs de manuels traditionnels reconnaissent que l’époque où l’on modifiait quelques pages dans un livre afin d’en vendre une nouvelle version était révolue. » Les manuels scolaires coûtent cher et sont vite obsolètes. Pour corriger les erreurs qu’ils contiennent, il faut attendre l’édition suivante. En comparaison, les REL sont très bon marché voire gratuites, constamment mises à jour, et faciles à corriger. Il serait formidable que l’argent économisé si l’on préférait les REL abordables aux coûteux manuels servait à acquérir des outils pédagogiques supplémentaires et financer des formations pour les enseignants. Ou mieux encore, que les administrations puissent employer ces fonds à payer les enseignants pour qu’ils se réunissent et collaborent à la création de REL sur leur temps de travail.

Pour terminer, à quoi « ressemble » un environnement d’enseignement et d’apprentissage qui exploite avec succès les immenses possibilités des REL ? Avez-vous des considérations à nous faire partager… des inquiétudes, des espoirs, des prédictions ?

Un environnement d’apprentissage efficace se doit d’être bien pensé, attrayant, motivant, et souple. Les REL sont toujours d’actualité, on peut aisément et en toute légalité les adapter aux besoins des élèves. Une communauté de REL peut fournir aux enseignants les ressources et le soutien nécessaires pour répondre aux attentes de la catégorie d’élèves à laquelle ils s’adressent. Des ressources partagées librement permettent à d’autres de gagner d’innombrables heures de travail individuel redondant, et grâce à eux, les professeurs ne sont plus prisonniers d’un programme pédagogique propriétaire.

Les établissements scolaires commencent à comprendre les économies que permet l’abandon du modèle actuel de manuels scolaires, et je prédis que les éditeurs s’adapteront aux exigences du marché. J’espère que les établissements reconnaîtront enfin que les enseignants sont une ressource précieuse, des professionnels qualifiés, et qu’ils méritent une contrepartie pour le temps qu’ils passent à créer leurs programmes de cours.

Dans l’idéal, la salle de classe devrait être un espace où les élèves ne sont pas que des consommateurs passifs de ressources et de documents multimédia, mais plutôt des collaborateurs actifs, qui synthétisent et publient leur travail. J’espère que dès le plus jeune âge on apprendra aux élèves à utiliser le travail d’autres personnes de façon appropriée, et qu’on les encouragera à partager leurs travaux sous une licence libre avec certains droits réservés au lieu de se rabattre sur la solution par défaut du copyright classique, ou pire, ne pas les partager du tout. Je veux que mes élèves et mes collègues comprennent qu’en partageant des ressources, ils contribuent à constituer une réserve de matériel pédagogique qui servira à d’autres bien au-delà des murs de leur salle de classe. C’est un changement important dans la philosophie pédagogique actuelle, mais des sites tels que Curriki constituent un grand pas dans la bonne direction.

Notes

[1] Crédit photo : Christine Mytko (Creative Commons By-Nc)




Plaidoyer pour étudier le droit à l’école

Zara - CC by-saUn jour que je questionnais une élève sur ses pratiques numériques qui me semblaient un peu confuses, j’ai eu cette curieuse mais révélatrice réponse : « si je peux techniquement le faire, je ne vois pas pourquoi je me l’interdirais, de toutes les façons tout le monde le fait, et puis ça ne fait pas de mal à une mouche ».

L’élève étant manifestement de bonne foi (et bonne élève de surcroît), cet épisode me plongea dans un abîme de perplexité. Ici la possibilité de faire vaut droit de faire !

Effectivement, au sens propre du terme, on ne fait physiquement pas de mal à une mouche. Point besoin d’explication pour comprendre d’emblée que ce n’est pas bien de voler l’orange du marchand et que si d’aventure l’on s’y essayait on pourrait se faire prendre. Il en va autrement sur Internet où non seulement il est très facile et sans risque de voler l’orange, mais on ne sent pas spontanément que l’on est en train de commettre un délit puisqu’on ne dépossède pas le marchand de son orange, on ne fait que la copier[1].

J’eus alors l’idée de jeter un œil du côté des programmes officiels de l’institution scolaire. Et voici ce que je lus noir sur blanc dans celui de l’ECJS au lycée : « Le seul savoir nouveau auquel il faut initier les élèves, grâce à l’ECJS, concerne le droit, trop ignoré de l’enseignement scolaire français. Il s’agit de faire découvrir le sens du droit, en tant que garant des libertés, et non d’enseigner le droit dans ses techniques. »

Le droit serait donc trop souvent ignoré. Il est rare de voir l’Éducation nationale nous faire un tel aveu. Surtout lorsque, comme nous le rappelle l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi ». Et puis il y a cette phrase à graver dans le marbre : « Il s’agit de faire découvrir le sens du droit en tant que garant des libertés ».

À sa décharge, reconnaissons que du temps d’avant Internet, un jeune était bien peu souvent confronté directement et personnellement à des questions juridiques. Mais la situation a changé aujourd’hui avec l’avènement des nouvelles technologies. Pas un jour sans qu’il ne rencontre, implicitement ou explicitement, des problèmes de vie privée, de droits d’auteur, de contrats ou de licences d’utilisation. Et rien ne distingue à priori un adulte internaute connecté au Net d’un adolescent internaute connecté au Net.

Un Internet qui est par essence ouvert, permissif et partageur. Rappelons-nous ce qui a été joliment dit dans un article précédent : « La copie est pour les ordinateurs ce que la respiration est pour les organismes vivants ».

Nous voici donc projetés dans un nouveau monde étrange où la copie est naturelle et donne accès à un formidable univers de possibles. Elle est tellement naturelle qu’il est presque impossible d’ériger des barrières techniques pour la limiter. Tôt ou tard elles seront levées. Si pour diverses raisons vous voulez la contraindre ou l’abolir, l’arsenal technique est vain. Il n’y a que la loi qui puisse vous secourir. Une loi non coercitive qui n’apporte pas automatiquement avec elle ses verrous numériques. Elle dit simplement ce qui doit ou ne doit pas être. Elle demande avant tout une posture morale. C’est pourquoi, ici plus qu’ailleurs, elle nécessite une éducation.

Oui, dans la pratique, je peux tout faire ou presque sur Internet, mais ai-je le droit de tout faire ? Et si tel n’est pas le cas, ai-je bien compris pourquoi on me le refuse ?

Non pas une éducation passive qui se contenterait d’égréner les grandes lois en vigueur. Mais une éducation active qui met en avant celles que les jeunes rencontrent même sans le savoir au quotidien. Une éducation qui interroge ces lois en même temps qu’elle en donne connaissance. D’où viennent-elles ? Comment ont-elles évolué ? Sont-elles toujours pertinentes aujourd’hui ? Une éducation qui ne s’interdit pas l’analyse critique en prenant conscience qu’à l’heure du réseau on peut réellement le cas échéant se donner les moyens de participer à leurs « mises à jour »

Dans le cas contraire, nous prenons le risque que la réponse de mon élève devienne la réponse de toute une génération.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, alors c’est le chaos qui nous guette et vous obtenez une armée de « rebelles sans cause » sur laquelle vous ne pouvez pas vous appuyer. On a ainsi pu dire, lors du débat sur la loi Hadopi, que l’on était en face de la « génération du partage ». Rien n’est moins vrai malheureusement, le partage existant bien moins dans la tête des jeunes que dans le paramétrage par défaut de leurs logiciels de P2P. Preuve en est qu‘ils se ruent désormais sur les plateformes de direct download (RapidShare, MegaVideo…) où tout est centralisé sur un unique serveur, où le partage a pour ainsi dire disparu.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, comment voulez-vous de plus expliquer à un jeune ce qu’est un logiciel libre. Il n’y verra aucune différence avec un logiciel gratuit ou piraté. Il n’aura alors plus d’autres qualités que celle de son usage, et à ce petit jeu-là c’est souvent le logiciel commercial cracké qui l’emporte.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, « l’Alternative Libre » ne sera ni comprise ni soutenue. Si adhésion, enthousiasme et énergie il y a chez ceux qui la défendent, c’est parce qu’ils savent que tout autour on érige des murs toujours plus hauts. Que ces murs puissent aujourd’hui facilement être franchis ou contournés n’est pas le plus important ici. C’est aussi en respectant scrupuleusement toutes les conditions d’utilisation, même les plus drastiques, des projets numériques que l’on découvre qu’il existe d’autres logiciels, d’autres encyclopédies, d’autres cartes du monde ou d’autres manières de faire de la musique.

Tout membre de la « Communauté du Libre » possède un minimum de connaissances juridiques. En face de la moindre ressource, son premier réflexe est de s’enquérir de sa licence. Quels sont mes droits et mes devoirs ? Quelles sont les conditions de son usage, de sa copie, de sa modification ? Il n’est ainsi guère étonnant qu’il soit l’un des seuls à réellement lire et respecter les contrats d’utilisation lorsqu’il installe un logiciel ou s’inscrit à un service Web. Ce savoir-là ne s’est pas construit grâce à l’école (parfois même malgré l’école). Il a été acquis sur le tas, en autodidacte, parce que, motivé, il a simplement cherché à comprendre de quoi il s’agissait. Se faisant notre membre s’est donné des clés pour mieux appréhender le monde contemporain, pour mieux y participer aussi.

On le retrouvera dès lors logiquement en première ligne de batailles DADVSI, Hadopi, ACTA, Brevets logiciels ou neutralité du réseau, qui sont autant des batailles politiques et techniques que des batailles juridiques qui ne peuvent être gagnées sans une connaissance précise et pointue de la legislation du moment. D’ailleurs, comme c’est curieux, ces batailles sont menées pour que le droit soit véritablement le « garant des libertés » et non l’inverse !

Ces batailles sont aussi menées au nom d’une certaine idée de la justice. On peut bien sûr s’y opposer parce qu’on en a une autre idée mais aussi longtemps que le droit sera ignoré à l’école, ce qui risque surtout d’arriver c’est de ne pas avoir d’idée du tout ! Méconnaissance et indifférence sont nos pires adversaires ici. Elles nous condamnent à faire partie d’une minorité d’initiés éclairés ne réussissant pas à trouver assez de renforts pour peser durablement sur le cours des évènements.

Oui, il y a urgence à démocratiser et « faire découvrir le sens du droit en tant que garant des libertés » à la jeune génération qui manque cruellement de répères en la matière, à un moment où, Internet oblige, de plus en plus de questions se posent tout de suite à elle. Différer à plus tard son étude revient non seulement à s’en remettre aveuglement entre les mains des experts mais surtout à prendre le risque de devenir un spectateur passif et inculte de l’évolution actuelle de nos sociétés.

Il est dit que « concourir à la formation de citoyens libres, autonomes, et exerçant leur raison critique dans une cité à laquelle ils participent activement est une des missions fondamentales du système éducatif ». Impossible de ne plus y inclure le droit dans ce noble et ambitieux objectif.

Notes

[1] Crédit photo : Zara (Creative Commons By-Sa)




De la motivation au sein d’une communauté

Il est fort probable que vous ayez déjà vu la vidéo ci-dessous. Elle m’est revenue en mémoire à la faveur du précédent billet De la confiance au sein d’une communauté dont elle lui fait en quelques sorte écho.

Cette vidéo me passionne dans le fond et dans la forme.

Le fond c’est son sujet, à savoir la motivation. Qu’est-ce qui nous motive au juste ?, se demande ici Dan Pink, en fustigeant l’efficacité des récompenses traditionnelles, argent en tête de gondole.

Pour vous la résumer, rien de tel que ce commentaire glané sur le site Rue89 :

« Des études comportementales scientifiques, indubitablement indépendantes du complot socialo-communiste mondial (MIT, unversité de Chicago et Carnegie, financées par la banque fédérale US), démontrent que, si l’amélioration de la productivité d’une tâche mécanique peut-être induite par sa récompense en terme de rémunération, ce n’est pas le cas des tâches cognitives et créatives.

Dans ce cas, le principe de la carotte est plutôt contre-productif. Pour les œuvres humaines plus compliquées que le travail à la chaine, en effet, les trois facteurs identifiés comme induisant une amélioration de la créativité, de la productivité et de la qualité sont :

  • Autonomy, qui se traduit comme ça se prononce.
  • Mastery, le développement personnel et la recherche de l’expertise.
  • Purpose, le but de l’activité, qui sera autant de motivation qu’il satisfait aux critères éthiques et moraux du collaborateur.

Ces résultats, outre qu’ils expliquent l’efficacité de modèles de développement coopératifs tels que Linux ou Wikipédia, remettent en question les dogmes du management, voire de notre modèle économique.

  • Taf à la con où humain = machine : motivation = thunes.
  • Taf intelligent où humain = 1 cerveau au bout des bras : motivation = autonomie + développement personnel + éthique.

C’est-à-dire le contraire de l’idéologie globalement à l’œuvre dans l’organisation de nos sociétés. »

Rien d’étonnant à ce que les deux plus célèbres projets libres soient cités en exemple parce qu’ils corroborent à merveille la théorie. On prend d’ailleurs bien soin de souligner que la participation à ces projets se fait après le boulot (alimentaire ?), sur notre temps libre.

Confiance et motivation ont assurément contribué à leur réussite. Et comme par hasard c’est ce qui semble faire le plus défaut aujourd’hui dans le monde du travail (cf par exemple les interventions de Bernard Stiegler sur la déprolétarisation et l’économie de la contribution).

Mais la forme de la vidéo est tout aussi remarquable, c’est-à-dire la mise en graphique, réalisée par la société londonienne Cognitive Media pour le compte de la RSA (Royal Society for the encouragement of Arts, Manufactures & Commerce), qui suit, illustre et structure visuellement en temps réel les propos de Dan Pink. Le dessin sollicite autrement la vue et donne sens à ce que l’on entend, apportant véritablement quelque chose en plus.

Il est vrai que cela a un côté un peu violent, parce qu’on est en quelque sorte bombardé d’informations multi-directionnelles. Mais ne pouvant prendre notre souffle, on est comme happé par l’exposé. Impossible d’en sortir ou de s’ennuyer, sauf à complètement se déconnecter.

À l’heure de la rentrée scolaire qui s’en vient à grands pas, l’enseignant que je suis trouve cette approche pédagogique extrêmement intéressante. Non seulement j’ai bien compris (alors que je n’ai qu’un piètre niveau d’anglais) mais je crois déjà, en une seule vision, en avoir retenu l’essentiel, sachant que, malgré la densité du discours, on fait tenir le tout en une dizaine de minutes top chrono[1] !

Et si jamais quelque chose vous a échappé, il suffit de la regarder à nouveau, quand vous voulez sur Internet, sans compter que, cerise sur le gâteau, vous obtenez à la fin un énorme, unique et cohérent poster de tous les dessins effectués prêt à être imprimé !

Le format est donc tout bonnement excellent (faudrait que Thierry Stœhr en consacre un billet sur son blog dédié, si ne c’est déjà fait).

Je me prends déjà à rêver d’une forge libre pleine à craquer de ce genre d’animations. Ce sont mes élèves qui seraient contents ! Mais aurait-on alors besoin des profs ? Si, oui, quand même un peu je pense 😉

D’ailleurs à ce propos, je suggère aux collègues d’anglais de trouver un prétexte pour montrer un jour cette vidéo à leurs lycéens, ça en vaut la peine et pourrait faire l’objet d’un intéressant débat dans la foulée, surtout si quelques uns ne savent pas encore ce qu’est Linux ou comment fonctionne Wikipédia.

Bon, il serait peut-être temps de la montrer, cette vidéo après une telle introduction…

—> La vidéo au format webm

URL d’origine de la vidéo sur RSA.org et au format Ogg sur TinyOgg.

Il en existe aussi une version sous-titrée en français, mais c’est presqu’alors impossible de suivre les dessins en direct live ! (mieux vaut plutôt écouter Dan Pink dire à peu près la même chose lors d’une conférences TED, autre format riche et pertinent).

Remarque : Il y a d’autres animations sur RSA.org sur des sujets aussi passionnants que l’empathie de notre civilisation, la question de l’éthique et de la charité et la crise du capitalisme.

Notes

[1] Note : L’article sur La Confiance a été peu parcouru, un commentaire me faisant de suite remarquer qu’il souffrait d’un syndrome qui affectie souvent ce blog, le syndrome TLDR, à savoir « Too Long; Didn’t Read » soit « Trop long pour être lu ». Il aurait dû lui aussi faire l’objet d’une telle animation !




De la confiance au sein d’une communauté

Notsogoodphotography - CC bySi j’ai demandé l’autorisation à son auteur d’exhumer et reproduire ici-même un de ses articles pourtant déjà vieux de presque dix ans, c’est parce qu’il touche à une notion simple mais essentielle : la confiance.

La grande chance, ou plutôt la grande force, du logiciel libre, et dans son sillage de toute la culture libre, c’est de bénéficier dès le départ d’un certain niveau de confiance.

Pourquoi ? Parce que la licence libre qui l’accompagne.

C’est cette mise sous licence libre qui non seulement donne son nom au logiciel libre mais qui, de par les garanties offertes, favorise l’émergence d’une communauté autour du projet et tisse des liens solides entres ses membres.

Cela ne constitue évidemment pas un gage absolu de succès (cf Comment détruire votre communauté en 10 leçons), mais c’est tout de même un sacré avantage lorsque l’on sait combien cette confiance peine à s’installer dans des structures plus « classiques ».

Le texte ci-dessous est de Jean-Yves Prax qui travaille à Polia Consulting, une société de conseil en Knowledge Management.

Il ne se focalise nullement sur le logiciel libre en tant que tel mais ne s’aventure pas non plus jusqu’à la relation amoureuse[1]. Il se limite ici « à une analyse de la confiance dans un environnement professionnel (même si cette limite ne supprime pas complètement les facteurs affectifs et moraux, loin s’en faut), et principalement dans le champ de l’action collective au sein d’une communauté : travail en équipe, partage de connaissance, mutualisation de compétence, décision collective, process… ».

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Le rôle de la confiance dans la performance collective

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”Texte de la conférence faite par Jean-Yves Prax pour l’ouverture du KMForum 2001, le mardi 25 septembre 2001, au Palais des Congrès, Porte Maillot, Paris.

La confiance est un facteur déterminant de la performance collective et en particulier dans le cas des communautés virtuelles ou/et d’équipes dont la production est à forte intensité immatérielle. Même si, d’expérience ou d’intuition, nous partageons tous cette conviction, les mécanismes de création de la confiance restent énigmatiques et peu maîtrisables : la confiance, qu’est-ce que c’est ? comment la créer ? A quelle rationalité obéit-elle ?

Analyser la confiance, c’est aborder l’un des aspects les plus délicat du fonctionnement d’une communauté.

La confiance, qu’est-ce que c’est ?

La littérature sur le sujet est abondante et les définitions très diverses et variées, par exemple :

  • La confiance analysée d’un point de vue rationnel, comme un choix raisonné, par exemple le ratio effort-bénéfice d’une action individuelle au sein d’un collectif ; on entend parler d’indice de confiance, de ce qui est maîtrisable ; la notion peut être utile en cas de délégation.
  • La confiance analysée d’un point de vue normatif, conforme à un label, une certification : par exemple, nous sommes capables de confier notre santé et notre vie à un médecin parfaitement inconnu au seul prétexte qu’il a obtenu un diplôme national, diplôme que nous ne vérifions même pas, alors que nous hésiterons à confier les clefs de notre véhicule à un laveur de voitures.
  • Une confiance par intuition, par croyance, qui ne suppose pas de véritable délibération critique, elle est affective, esthétique, c’est-à-dire purement émotionnelle et par conséquent tout à fait irrationnelle. Beaucoup de comportement racistes sont typiquement dans ce registre (la fameuse "note de sale gueule") mais si vous ne le croyez pas, essayez donc d’aller solliciter un emprunt à votre banquier en babouches !
  • La confiance vue d’un point de vue social, basé sur une sorte « d’engagement de moyens » issu d’un code partagé (souvent implicite) de devoirs réciproques, de valeurs morales et d’éthique. « Il n’a pas réussi, mais il a fait tout ce qu’il pouvait ».

La perspective rationnelle se définit comme « une attente sur les motivations d’autrui à agir conformément à ce qui était prévu dans une situation donnée ». Elle considère l’individu comme un acteur rationnel, prévisible, et sa rationalité est confortée par le fait que ses choix et ses actes sont gagnants, utiles. Cette définition de la confiance, largement présente dans le monde professionnel, a des avantages et des limites.

  • L’avantage majeur est qu’il n’y a pas confusion entre « confiance » et « affinité » ; une personne peut acheter un livre par amazon.com, car elle a confiance dans le système de paiement et de livraison, mais aucune affinité. Ne vous est-il jamais arrivé, impressionné par le professionnalisme d’un individu que vous n’aimez pas beaucoup, de dire « il est bon et je lui fais entièrement confiance, mais je ne passerais pas mes vacances avec lui ».
  • La limite réside dans la prévision de rationalité : un individu confronté à un système complexe : environnement incertain, jeu de contraintes, choix difficiles, n’agit pas toujours de la façon qui était prévue et n’obtient pas toujours les résultats escomptés. Les freins à l’innovation se cachent dans ce domaine : un individu sera freiné dans ses idées et initiatives dès le départ, non pas à cause d’une analyse du projet, mais tout simplement parce qu’il dérange l’ordre établi.

La théorie de la rationalité en économie voudrait que les choix individuels s’appuient sur des raisonnements utilitaires :

  • Si je préfère A à B et B à C, alors je préfère A à C ;
  • Toute décision est fondée sur un calcul coût-bénéfice, ou sur une analyse de risque.

Dans la vraie vie, cette rationalité n’existe pas ! En effectuant leurs choix les hommes n’obéissent pas aux lois bayésiennes de la décision :

  • ils accordent trop de poids à l’information qui leur est parvenue en dernier ;
  • ils ne sont pas sensibles à la taille de l’échantillon, c’est même souvent l’inverse[2],
  • ils réagissent plus à la forme qu’au fond.

La perspective sociale considère qu’un individu n’est pas évalué uniquement par ses résultats mais aussi en tant qu’acteur social ; il peut conforter les prévisions ou de les décevoir, à condition qu’il le fasse dans le respect de ses obligations morales et d’un certain nombre de codes.

Une intentionnalité limitée au champ d’interaction

Comme nous le constatons, le champ d’investigation est immense, mais on peut singulièrement le réduire si l’on accepte l’hypothèse d’une confiance limitée au domaine d’interaction ; je m’explique : lorsqu’on fait confiance à une autre personne, ce n’est pas dans l’absolu, c’est dans un domaine précis, qui est le champ d’interaction prévu ; ainsi une jeune adolescente qui accepte de sortir au cinéma avec son ami lui fait confiance par rapport à un certain nombre de critères ; ces critères ne sont pas les mêmes que ceux qui dicteront le choix du futur directeur général d’une firme internationale, ou encore d’un guide de haute montagne.

Nous nous limiterons ici à une analyse de la confiance dans un environnement professionnel (même si cette limite ne supprime pas complètement les facteurs affectifs et moraux, loin s’en faut), et principalement dans le champ de l’action collective au sein d’une communauté : travail en équipe, partage de connaissance, mutualisation de compétence, décision collective, process…

Si l’on prend soin de distinguer la confiance de l’affinité, alors on devine que, dans un groupe de travail ou une équipe, la confiance est en forte interaction avec la compétence : chaque membre fait confiance à un individu pour sa capacité à…

Alors la question devient : « comment créer dans une équipe les conditions de la confiance mutuelle ? »

Comment créer la confiance ?

L’approche de la compétence que propose R. Wittorski[3] nous renseigne sur le processus de création de confiance au sein d’un groupe ; selon lui, la compétence s’élabore à partir de cinq composantes :

La composante cognitive : elle est constituée de deux éléments : les représentations et les théories implicites (paradigmes) ; on distingue les représentations cognitives (savoirs et schèmes d’interprétation) et les représentations actives (construction par l’auteur du sens de la situation).

  • La composante affective : c’est l’un des moteurs de la compétence. Elle regroupe trois éléments : l’image de soi (valorisation de notre personne), l’investissement affectif dans l’action (plaisir de ce que l’on fait), l’engagement (motivation). Le premier élément suggère à quel point elle est influencée par l’environnement social immédiat : un jugement positif ou négatif agira directement sur l’image de soi et aura pour effet de renforcer ou casser la motivation (voir l’effet Pygmalion ci-dessous).
  • La composante sociale : elle représente la reconnaissance par l’environnement immédiat de la pratique de l’individu ou du groupe et aussi l’image que ces derniers se font de cette reconnaissance ; ce dernier point indique que la composante sociale comporte également le choix que l’acteur fera de « ce qui est montrable ». La stratégie du connaisseur n’est pas tant de connaître mais de faire savoir qu’il connaît.
  • La composante culturelle : elle représente l’influence de la culture sociale sur les compétences.
  • La composante praxéologique : elle renvoie à la pratique dont le produit fait l’objet d’une évaluation sociale ; il s’agit de la partie observable (évaluable) de la compétence.
L’effet Pygmalion

Nous opterons pour une approche mixte, à la fois rationnelle, sociale et affective de la confiance, c’est à dire l’ensemble des facteurs permettant la collaboration entre les membres d’une équipe, basées sur le respect mutuel, l’intégrité, l’empathie, la fiabilité. Les cinq composantes citées ci-dessus sont à la fois l’image de soi même, et l’image de soi vu à travers le regard des autres. Le groupe agit comme un miroir grossissant ; en psychologie, on appelle cela l’effet Pygmalion : "La prédiction faite par un individu A sur un individu B finit par se réaliser par un processus subtil et parfois inattendu de modification du comportement réel de B sous la pression des attentes implicites de A".

Il s’agit d’un mécanisme amplificateur en boucle : un jugement négatif de A casse la confiance de B en lui même, ce qui se voit et a pour effet de renforcer A dans son jugement négatif initial[4].

La confiance dans le partage de connaissances

Au cours de nos missions de Knowledge Management, nous avons pu interroger un certain nombre de professionnels de tous niveaux sur la question : « qu’est-ce qui favorise (ou empêche) le partage de connaissance dans un groupe de travail ? » Tous ont spontanément insisté sur le caractère primordial de la confiance dans une équipe et ils ont précisé les facteurs susceptibles de la créer :

1. Réciprocité (jeu gagnant-gagnant)

J’accepte de donner mes idées, mon ingéniosité, mon expérience au groupe, mais j’attends que les autres membres en fassent autant ; chacun veille à respecter un équilibre en faveur d’une performance collective. Ce mécanisme de surveillance exclut le « passager clandestin », c’est à dire celui qui à l’intention de recueillir les fruits du travail du groupe sans y avoir vraiment contribué.

2. Paternité (identité, reconnaissance)

J’accepte de donner une bonne idée à mon entreprise, et de voir cette dernière transformée en une innovation majeure ; mais je ne tolèrerais jamais de voir l’idée signée du nom de mon chef à la place du mien. Il s’agit d’un fort besoin de reconnaissance de la contribution d’un individu au sein d’un groupe.

3. Rétroaction (feed-back du système)

L’erreur est la première source d’apprentissage ; à condition d’avoir un feed-back du système.

L’enfant apprend par un processus répétitif de type essai-erreur-conséquence :

  • essai : il faut que l’organisation encourage les initiatives, les « stratégies tâtonnantes » afin de développer l’autonomie et la créativité ; comment un enfant apprendrait t’il à marcher s’il avait peur d’être ridicule ?
  • erreur : elle doit être documentée et communiquée (feed-back) ; la conséquence la plus immédiate sera d’éviter aux autres de la reproduire !
  • conséquence : c’est le point le plus fondamental ; un système est apprenant dans la mesure où il délivre à l’individu le feedback sur son action, ce qui lui permet immédiatement d’évaluer l’impact de son action sur le système. C’est ce qui pose problème dans les très grandes organisations : l’individu peut faire tout et son contraire, dans la mesure où il n’a jamais de réponse du système , il ne saura jamais évaluer le bien-fondé de ses actions et progresser.

Dans un groupe, l’erreur doit être admise, c’est un signe très fort de la confiance et du fonctionnement effectif du groupe. En revanche on ne devrait jamais laisser quelqu’un la dissimuler.

4. Sens (unité de langage, de valeurs)

Une connaissance strictement personnelle ne peut être partagée que par l’utilisation d’un code et d’une syntaxe connue d’un groupe social, qu’il soit verbal ou non verbal, alphabétique ou symbolique, technique ou politique En faisant partie de la mémoire collective, le langage fournit à chaque individu des possibilités de son propre développement tout en exerçant un fort contrôle social sur lui. Ainsi, le langage est à la fois individuel, communicationnel et communautaire.

Mais ce n’est pas tant un problème de traduction que de sens : dans une conversation, deux interlocuteurs peuvent arriver à partager des mêmes points-de-vue s’ils établissent un processus de coopération : écoute active, participation, questionnement, adaptation sémantique, feed-back, reformulation. En effet, si le mot, comme symbole collectif, appartient à la communauté linguistique et sémantique, le sens qu’il recouvre est purement individuel car il est intimement lié à l’expérience et à l’environnement cognitif dans lequel se place l’individu.

La confiance, une construction incrémentale

Les auteurs et nos expériences s’accordent sur la nature incrémentale du processus de construction de la confiance ; dans certains domaines commerciaux, par exemple, on dit « il faut 10 ans pour gagner la confiance d’un client, et 10 minutes pour la perdre ! ».

Cette notion est largement étayée par le modèle de Tuckman qui voit quatre état chronologiques (ontologiques) majeurs dans le développement d’un groupe : formation, turbulence, normalisation, performance[5].

La confiance se construit, puis se maintient ; alors qu’il est difficile de distinguer un processus standard de construction de la confiance, en revanche, il semble qu’un modèle en 5 composantes puisse rendre compte de son maintien : instantanée, calculée, prédictive, résultat, maintien.

La confiance instantanée

A l’instant même de la rencontre, un individu accorde à l’autre un « crédit de confiance » ; c’est un processus instantané mais limité, peu fondé ni étayé, donc fragile, sous haute surveillance ; une sorte de confiance sous caution. C’est ce qui permet à des gens qui sont parachutés dans des groupes temporaires de pouvoir travailler ensemble, par exemple dans les équipes de théâtre ou de production cinématographique, dans les équipages d’avion, dans les staffs médicaux, etc.

Cette confiance se base principalement sur deux facteurs :

  • On estime que les autres membres ont été sélectionnés par rapport à des critères de fiabilité, compétence, valeurs, etc. On a affaire à la notion de tiers-certificateur, dont on verra plus loin que le rôle peut être capital.
  • On suppose qu’il y a réciprocité : si je n’accorde pas ma confiance à l’autre, alors l’autre en fera autant et il nous sera impossible de construire la moindre relation.

Ce type d’équipe se met très vite au travail et devient performant sans passer par les longues et progressives étapes de maturation.

La confiance calculée

Cette étape est franchie lorsque les acteurs attendent qu’une collaboration apporte un certain bénéfice. La confiance trouve alors sa source dans la conformité ou non de l’exécution d’une tâche collaborative particulière ; par exemple, la confiance d’un client dans une entreprise générale qui construit sa maison peut être assortie de mécanismes de contrôle et de clauses de pénalités de façon à maîtriser des dérives ou des comportements opportunistes.

L’une des façons de créer un climat de confiance est de mettre en place des procédures, comme la définition des rôles et responsabilités, des mécanismes de reporting, etc.

La confiance prédictive

Dans le process prédictif, la confiance est largement basée sur le fait que les acteurs se connaissent bien : ils se basent sur le comportement passé pour prédire le comportement à venir. Les acteurs qui n’ont pas la possibilité d’avoir des relations ou expériences communes réclameront des séances d’entraînement, des réunions ou d’autres dispositifs leur permettant de mieux se connaître.

La confiance basée sur le résultat

Dans ce mécanisme, la confiance est basée sur la performance de l’autre. Au départ, cette confiance dépend des succès passés ; elle sera encore renforcée si l’autre accomplit sa tâche avec succès, et rompue si des problèmes sont rencontrés. Ce mécanisme est particulièrement important dans les communautés virtuelles où les acteurs ne se connaissent pas, ne peuvent pas voir comment les autres travaillent ; ils ne peuvent juger que sur le résultat : délai, qualité des produits

La confiance intensive

Finalement la confiance intensive suppose que les deux parties identifient et acceptant les objectifs, finalités et valeurs de l’autre.

La confiance dans les communautés virtuelles

Le texte ci-dessous est le résultat d’une expérience menée avec quatre groupes d’étudiants devant effectuer une travail commun à distance en utilisant des outils de groupware et de visioconférence.

L’expérience a montré que la confiance jouait un rôle primordial dans la qualité du travail collaboratif et que l’usage d’un outil présentait de nombreux risques de sérieusement l’entamer, voire la détruire. Un certain nombre de comportements ont été révélés comme porteurs de danger :

  • s’enflammer : s’énerver tout seul et se décharger dans un longue tirade écrite ;
  • poser des requêtes ou assigner des tâches irréalisables ;
  • ignorer les requêtes ; ne pas répondre à ses mails ;
  • dire du mal ou critiquer quelqu’un ;
  • ne pas remplir ses engagements.

Bien entendu on se doute que ce genre de comportement n’est pas fait pour améliorer la confiance, mais il se trouve que l’usage d’un outil les rend davantage possibles qu’une interaction physique. En effet, dans une conversation face-à-face, il se produit des sortes de micro-boucles qui ont la vertu de désamorcer des conflits par une meilleure compréhension des points-de-vue de chacun. La plupart des crises sociales sont des crises du langage et du sens.

Le tableau ci-dessous résume les facteurs qui renforcent ou au contraire diminuent l’établissement de la confiance dans une communauté.

La confiance est renforcée quand :

  • La communication est fréquente, les membres sont bien informés et partagent leurs compréhensions.
  • Les messages sont catégorisés ou formatés, ce qui permet aux récepteurs une économie de temps.
  • Les tâches, rôles et responsabilités sont bien définis, chaque membre connaît ses propres objectifs.
  • Les membres tiennent leurs délais et leurs échéances.
  • Il y a un esprit positif permanent, chaque membre reçoit des encouragements et un feed-back.
  • Les membres s’entraident mutuellement.
  • Les attentes personnelles et celles du groupe ont été clairement identifiées.
  • Les membres ont le même niveau d’engagement.

La confiance est affaiblie quand :

  • Il y a peu de communication, les idées ne sont pas partagées.
  • Les membres ne sont pas réactifs ; certains messages urgents restent sans réponse.
  • Les objectifs n’ont pas été clairement définis.
  • Les délais et livrables n’ont pas été clairement définis.
  • L’esprit n’est pas positif et il n’y a pas de feed-back ou celui ci est systématiquement négatif.
  • Les attentes personnelles et celles du groupe n’ont pas été identifiées.
  • Les membres cherchent plutôt à esquiver, à éviter de contribuer.
  • Les membres ne s’engagent pas vraiment.

Ces facteurs contribuent à une performance du groupe élevée ou faible, qui elle-même contribue par une boucle de retour à la motivation des acteurs pour coopérer. On peut parler d’une véritable spirale de la confiance.

La spirale de la confiance

A partir des différents éléments cités ci-dessus, on peut donc évoquer un processus cumulatif, une sorte de spirale, qui peut être positive ou négative :

  • au départ, un acteur va contribuer au groupe sur la base d’une « confiance instantanée », donc forcément limitée ;
  • en fonction de la contribution des autres, du côté positif du feed-back et éventuellement de la performance constatée, cet acteur sera incité à renforcer sa contribution.

En sens opposé, on peut vite imaginer comment se crée un « processus contre-productif » où la dimension sociale d’un groupe joue dans le sens contraire de la compétence individuelle et finit par démotiver complètement la personne. En d’autres termes, si on oppose une personne compétente à un système déficient, le système gagne à tous les coups.

La compétence individuelle, 6ème facteur de performance collective

Dans cet esprit, une étude nord-américaine a démontré que la compétence individuelle n’intervenait qu’en sixième position comme facteur de performance collective ; les spécifications des produits, le système organisationnel, les feed-back du système aux actions étant des préalables à l’efficacité collective :

  1. Spécifications claires (produit de sortie, standards )
  2. Support organisationnel (ressources, priorités, processus, rôles )
  3. Conséquences personnelles (reconnaissance des autres )
  4. Feedback du système (résultat d’une action)
  5. Savoir-être de l’individu (physique, mental, émotionnel)
  6. Compétence et savoir individuel

Cela tend à montrer que les dispositifs de formation professionnelle sont certes nécessaires, mais qu’il peuvent être très dispendieux s’ils ne s’inscrivent pas dans une démarche globale, incluant une refonte des organisations (modes de fonctionnement de l’équipe, management), du système d’évaluation et de reconnaissance (objectifs, réalisation, évaluation de la performance), des processus (modélisation des tâches et des compétences), des spécifications produits.

Les conventions du travail collaboratif

Revenons à nos équipes virtuelles ; il semblerait qu’un certain nombre de conventions ou protocole favorisent l’établissement d’un niveau de confiance suffisant pour un travail collaboratif efficace. Ces conventions se regroupent en cinq catégories :

  • Catégorie : Intégrité
    • Caractéristiques : honnêteté, éthique, loyauté, respect, fiabilité et engagement
    • Facteurs et comportements : être honnête, tenir ses engagements,être réactif, être droit et loyal, être fiable
  • Catégorie : Habilitation
    • Caractéritiques : savoirs, savoir-faire, compétences individuelles et collectives
    • Facteurs et comportements : mettre en application avec succès les savoirs, compétences, partager les expériences, les bonnes pratiques
  • Catégorie :Ouverture
    • Caractéristiques : volonté de partager des idées et des informations, intérêt aux autres, apprendre des erreurs
    • Facteurs et comportements : informer les autres,partager librement les idées et les informations, être curieux,donner un feed-back positif,reconnaître ses erreurs
  • Catégorie : Charisme
    • Caractéristiques :empathie, envie de bien faire, bonne volonté, générosité
    • Facteurs et comportements : s’entraider,être amical, être courtois,avoir de la considération,rester humble,savoir apprécier le travail des autres
  • Catégorie : Attentes
    • Caractéristiques : bénéfice potentiel, cohérence, évaluation
    • Facteurs et comportements : être à l’écoute des attentes, rechercher un consensus ou des compromis, rester cohérent sur les attentes

Ce qui est important dans cette énumération de facteurs, c’est qu’ils n’ont pas tous la même importance par rapport au processus cumulatif de construction de la confiance :

  • Certains sont mineurs, ils seront corrigés en temps réel : quelqu’un oublie de communiquer une information, le groupe lui fait remarquer, il s’en excuse ; c’est une mise au point nécessaire.
  • Certains sont « proportionnels » : tout le monde n’a pas le même charisme et cela n’empêche pas forcément un groupe de fonctionner.
  • Certains sont majeurs et définitifs : c’est notamment le cas des facteurs regroupés dans la catégorie « intégrité » ; une trahison sera perçue comme une atteinte définitive à la confiance.

Conclusion : le rôle de la confiance dans la connaissance collective

Une fois admis que la subjectivité, l’affectif, l’émotion, gouverne nos représentations individuelles, on conçoit que le processus de construction collective d’une représentation passe nécessairement par une étape de mise en commun des perceptions, de confrontation, de négociation et de délibération de ces différentes subjectivités. Ce processus nécessite des qualités humaines d’empathie, de « reliance  »[6] davantage que des capacités d’analyse.

En ce sens, l’organisation n’est pas tant un système de « traitement de l’information » mais bien de « création de connaissance collective ». C’est là que réside l’enjeu humain du Knowledge Management.

Du Knowledge Management au knowledge enabling

Partant de ces considérations sur la nature de la connaissance, profondément engrammée dans l’individu en tant que sujet, on peut en déduire qu’on ne manage pas la connaissance, comme on manage un objet ; le terme Knowledge Management, que j’utilise volontiers, est en fait un abus de langage ; tout au plus peut on manager les conditions dans lesquelles la connaissance peut se créer, se formaliser, s’échanger, se valider, etc. Les anglo-saxons parleraient de knowledge enabling.

Cela permet également d’introduire une précision fondamentale : le management de la connaissance collective est avant tout une problématique de flux ; ce qui est important c’est de manager les transitions entre tous les états de la connaissance : tacite, implicite, explicite, individuel, collectif, etc. Tous les outils du KM (socialisation, formalisation, médiatisation, pédagogie) doivent se focaliser sur l’optimisation de ces flux de transition.

Notes

[1] Crédit photo : Notsogoodphotography – CC by (Creative Commmons By)

[2] « Un mort c’est un drame, dix morts c’est un accident, mille morts c’est une statistique »

[3] R. Wittorski, De la fabrication des compétences, Education permanente, n°135, 1998-2

[4] Alain, dans Dieux déguisés, nous décrit magnifiquement l’effet Pygmalion : « J’ai souvent constaté, avec les enfants et avec les hommes aussi, que la nature humaine se façonne aisément d’après les jugements d’autrui, …Si vous marquez un galérien, vous lui donnez une sorte de droit sauvage. Dans les relations humaines, cela mène fort loin, le jugement appelant sa preuve, et la preuve fortifiant le jugement… La misanthropie ne mène à rien. Si vous vous défiez, vous serez volé. Si vous méprisez, vous serez haï. Les hommes se hâtent de ressembler au portrait que vous vous faites d’eux. Au reste essayez d’élever un enfant d’après l’idée, mille fois répétée à lui, qu’il est stupide et méchant; il sera tel… »

[5] Les termes originaux de Tuckman forming, storming, norming, performing sont assez difficiles à traduire. Beaucoup d’auteurs français traduisent notamment Storming par conflit ; je pense que, dans le mot anglais storming, comme par exemple dans brainstorming, il y a une connotation de chaos créatif, de nécessité de passer d’un état à un autre ; l’adolescence pourrait être une bonne métaphore. De même « Performing » doit être compris au sens de la « représentation d’un orchestre » où l’on entend une pâte musicale unique, au sein de laquelle il est impossible de dissocier un instrument.

[6] Le mot est d’Edgar Morin




Le Loup et le Chien

Simaje - CC byLe petit garçon s’ennuyait tout seul chez lui.

Il avait un devoir scolaire à faire pour le lendemain mais il préférait contempler le panorama, par la fenêtre du douzième étage de son appartement : trois barres d’immeuble identiques au sien entourant un parking et un parc, les murs de la résidence, plus loin la route et puis encore plus loin la rivière qu’il aimait bien, même si on ne pouvait plus s’y baigner l’été. Trop polluée avaient dit les autorités.

La vue n’avait rien d’extraordinaire en soi mais elle lui était familière. Et puis c’était amusant de voir tout ça de si haut perché.

Il y avait des enfants qui jouaient juste en bas, dans le parc. Il en connaissait quelques uns. Mais il n’avait pas le droit de les rejoindre. Sa maman disait que ce n’était pas sûr et que c’était de « mauvaises fréquentations ».

Il trouvait que sa maman exagérait parce que tout cela se passait à l’intérieur de la résidence. Une résidence protégée par une enceinte et contrôlée en son unique point d’entrée par un gardien et des caméras de surveillance. En plus chaque immeuble avait ses propres caméras, et pour y pénétrer il y avait un digicode puis un interphone. Le code changeait souvent mais en ce moment c’était « 3142 ». C’est drôle, non, la valeur approchée de Pi arrondie au millième ! Il était fier d’avoir trouvé cela tout seul.

Bon, alors, ce devoir scolaire… Il n’avait pas vraiment d’excuses parce que, contrairement à d’habitude, c’était pas mal intéressant. Il fallait apprendre par coeur la fable de La Fontaine Le Loup et le Chien.

C’est l’histoire d’un loup qui jalouse la vie tranquille et confortable d’un chien jusqu’à ce qu’il découvre que « le prix à payer pour sa sécurité c’est d’être tenu en laisse ». C’est la maîtresse qui disait cela comme ça et c’est vrai qu’elle formulait bien les choses la maîtresse.

Quand elle l’a lu pour la première fois devant nous, elle a posé le livre, s’est assurée que tout le monde avait bien compris et elle a demandé si on préférait le loup ou le chien. Au début, c’était un peu le silence dans la classe. On cherchait surtout à savoir ce que la maîtresse voulait qu’on réponde. Et quand on a pigé qu’elle voulait justement qu’on soit pas d’accord, alors on s’est détendu et on a répondu comme on voulait. Moi, j’ai choisi le chien mais j’étais bien content que la maîtresse ne me demande pas pourquoi.

Le problème, c’est que même quand je les aime bien, je ne suis pas très fort en poésie. Je retiens pas tout et j’ai du mal à me concentrer longtemps sur une tâche. Je le sais puisque c’est ce qu’on me dit depuis la maternelle.

Alors le petit garçon se remit à sa fenêtre. Et il vit alors plusieurs caravanes s’engager puis parcourir lentement la route…

Ils s’en vont, pensa-t-il spontanément. Et cela ne l’étonna pas.

C’est normal, non, pour des « gens du voyage » de s’en aller ailleurs au bout d’un moment ! Sauf que là, il en était sûr, le départ avait été un peu forcé. Et puis d’abord on ne dit pas gens du voyage mais Roms.

Il avait appris cela – et d’autres choses encore comme la signification des mots « nomade » et « sédentaire » – parce que depuis leur arrivée, un mois auparavant, on en parlait souvent dans le quartier, à l’école et même à table avec les parents. On en parlait souvent mais on n’en parlait pas avec eux.

Ils s’étaient installés pas loin, à quelques centaines de mètres, mais là encore interdiction familiale formelle d’aller y voir de plus près. Pourtant, maman, contrairement à papa, elle en disait plutôt du bien à table. Elle disait que c’était une communauté ancestrale, avec une riche culture, qui se montrait solidaire et ne s’était pas perdue dans l’individualisme et le consumérisme, et que c’était à nous de nous adapter et non l’inverse. Alors papa lui souriait et lui répondait qu’il ne tenait qu’à elle de tous les inviter ce soir à dormir dans notre salon. Et maman, ça n’avait pas l’air de l’amuser que papa dise ça. Elle répondait un peu énervée qu’il fallait qu’il arrête de faire son malin et que c’était de la « responsabilité des pouvoirs publics », expression que j’avoue je ne comprenais pas bien – « individualisme » et « consumérisme » non plus d’ailleurs – mais vu l’état de maman, ce n’était vraiment pas la peine d’en rajouter.

C’est dommage parce que je lui aurais bien aussi demandé sur le ton de la provocation pourquoi on disait souvent à la récré que « c’étaient tous des voleurs » ! Moi j’y croyais pas, même si je me demandais comment ils faisaient pour vivre. Faut dire que je me posais aussi d’autres questions moins importantes à leur sujet. Je me disais par exemple qu’ils n’avaient sûrement pas de connexion Internet et que ça doit faire bizarre aujourd’hui de vivre sans. D’ailleurs, nous aussi on est des voleurs. Ben oui, puisqu’on télécharge tous sur Internet !


En tout cas, ils avaient éprouvé toutes les peines du monde à s’installer de manière provisoire quelque part. Même quand le terrain était vide depuis des années, il possédait toujours un propriétaire. Et celui-ci ne tardait pas à se manifester pour refuser vigoureusement leur venue et leur demander plus ou moins gentiment de quitter les lieux. On les avait ainsi déjà déplacés quatre fois. Et c’était visiblement une fois de trop.

Voici donc tout ce que se disait le petit garçon, le nez collé à la fenêtre, en voyant défiler cet étrange cortège.

Il y avait des gens qui marchaient à côté des caravanes, sans se dire un mot, ou alors doucement parce qu’on n’entendait rien de loin. Lorsque la dernière caravane disparut de son champ de vision, il resta un moment suspendu puis se souvint qu’il avait une poésie à mémoriser.

À la réflexion, il se dit qu’il préférait peut-être le loup finalement.

Crédit photo : Simaje (Creative Commons By)




Les AMAP : c’est quoi ? c’est bien !

Mzelle Biscotte - CC by-saIl y a quelques semaines, nous tentions une nouvelle escapade parmi les Hors-sujet… ou presque du blog en vous parlant de Couchsurfing, cette pratique sociale et solidaire qui prend le contre-pied des canons de la société de consommation, et remise au goût du jour par le réseau des réseaux.

Aujourd’hui, nous poursuivons l’exploration en évoquant une autre pratique solidaire aux valeurs humanistes proches de celles portées par le logiciel libre.

Il ne s’agit pas d’un site ou d’un projet, mais d’un véritable phénomène de société, émergeant enfin en France : les AMAP. Ces Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne, poussent en effet comme des champignons et il est fortement probable qu’elles soient déjà plus nombreuses que les GUL[1] en France comme on peut s’en convaincre en se promenant sur le site Réseau-AMAP.org[2].

Les AMAP proposent tout simplement une autre façon de faire ses courses alimentaires. À l’image de l’émergence de GNU/Linux et des logiciels libres face à Windows et aux logiciels privateurs, les AMAP se composent d’hommes et de femmes qui ont décidé de s’organiser pour ne plus subir un système jugé déloyal, représenté par les coopératives agricoles et la grande-distribution, qui imposent aux paysans une agriculture intensive et polluante, tout en achetant à des prix irresponsablement bas des denrées que le consommateur paye au prix fort.

Ensemble, ils ont imaginé une autre solution, et elle fonctionne tellement bien qu’aujourd’hui, que l’on profite de l’air pur de la campagne, ou du bruit des villes, on a sûrement une AMAP à proximité. Et si elle se révèle trop éloignée, c’est qu’il y a la place pour en créer une nouvelle plus près 🙂

D’ailleurs, une fois qu’on a pris l’habitude de ne plus consommer passivement, tout s’illumine !

Voyez par vous-même : en se rapprochant du G.U.L. le plus proche, on installe un système d’exploitation libre sur sa machine, et rapidement au fil des discussions, on lance le site FDN dans son Firefox. De là, on libère sa connexion Internet et on commence à produire l’Internet qu’on consomme… Dès lors, pour peu qu’on aide à tenir le stand de l’association (par exemple au Village du Libre de la fête de l’Huma) on risque fortement de rencontrer d’autres membres qui vous présentent à leur tour : Énercoop, la coopérative d’intérêt collectif des producteurs et consommateurs d’électricité 100% renouvelable, qui permet de s’affranchir d’EDF. Et finalement, lorsqu’on a décidé d’avancer tant que la voie serait libre, on se rend compte que la route s’allonge sous les pieds, sans cul de sac, jusqu’à trouver naturel de prévenir son AMAP qu’on ne viendra pas chercher son panier pendant deux semaines puisqu’on s’évade en co-voiturage pour des vacances à l’aventure en Couchsurfing, ou avec les enfants en club CPN

Je vous présente donc « Framap », l’innocent nouveau projet de Framasoft, qui tient en un billet de blog…

Un article rédigé à Kervelgan près de Baud en Bretagne, par mon frère Denys. Et attention, Daphné K. n’a qu’à bien se tenir car il est lui aussi guitariste et poète à ses heures !

Framap : Favoriser la Reconnaissance des « Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne »

Denys Descarpentries – 19 août 2010

Dans un monde où les entreprises seraient délocalisées pour augmenter les profits des grands actionnaires, dans un monde où les agriculteurs n’auraient d’autre choix pour survivre que de s’agrandir et de produire de façon intensive, à grand renfort d’engrais et de pesticides ; dans un monde qui ressemblerait étrangement au nôtre donc, quels seraient les leviers d’action des consommateurs non consentants ?

Une piste qui a fait ses preuves est celle des « consom’acteurs » qui se réunissent en AMAP (Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) et s’émancipent des circuits de grande-distribution, tout en mangeant bon et bio.

Le principe des AMAP est relativement simple. Il s’agit de mettre en relation un groupe de consommateurs et une ou plusieurs fermes locales, pour organiser une distribution hebdomadaire de paniers, composés de « produits de la ferme ». C’est un contrat solidaire entre d’un côté des producteurs qui s’engagent à nous fournir toutes les semaines des produits bio et d’un autre des consommateurs qui paient à l’avance la totalité de leur consommation pour une période donnée[3].

En ce qui me concerne, je suis adhérent d’une AMAP avec mon amie depuis deux ans. Nous nous fournissons en légumes, lait, produits laitiers (beurre, fromages, crème fraîche, desserts…), en pain, œufs, miel, jus de pomme et en cidre (et oui, nous habitons en Bretagne ^^). Nous avons un contrat avec chacun des 7 producteurs membres de l’AMAP et les intérêts que nous y trouvons sont nombreux. Je vais les classer en trois catégories : les aspects économiques, environnementaux et sociaux (les initiés remarqueront au passage qu’il s’agit là des trois piliers du développement durable…!).

L’aspect économique

Pour les producteurs adhérents, l’aspect économique est le plus important. Le fait de recevoir la totalité des paiements au début de chaque période permet aux agriculteurs de compter sur une trésorerie suffisante pour réaliser des investissements lourds. Ces investissements sont nécessaires pour faire évoluer leur outil de travail, et à plus forte raison en agriculture biologique où les techniques d’élevage et de culture sans « produit artificiel » et dans le respect du bien-être des animaux demandent des outils spécifiques.

Pour les « amapiens » que nous sommes, il s’agit en revanche du point le plus délicat. En effet cela demande de faire un chèque environ tous les 6 mois, ce qui représente une grosse sortie d’argent à prévoir dans le budget. En fonction des AMAP, il est tout de même possible de faire plusieurs chèques pour un même producteur et d’étaler ainsi les versements.

Concernant le budget alimentation, il faut bien se rendre compte d’une part que les produits bio achetés à l’AMAP ne sont pas plus chers que sur les marchés et si vous habitez en ville, ils sont même moins chers que dans les grandes surfaces. Et ensuite, que même s’il faut toujours se rendre dans les magasins pour acheter les produits qui ne sont pas proposés par l’AMAP (tout bonnement le « non alimentaire »), les passages en supermarché sont beaucoup moins fréquents. Cela entraîne des économies de déplacement et une baisse notable des achats impulsifs des lots en super promo exposés en tête de gondole ou des produits qu’on ne pensait pas acheter avant d’entrer dans le magasin mais sur lesquels on craque quand on a le malheur d’aller faire les courses le ventre vide… Au final, nous observons que notre budget pour les courses n’a pas changé, alors que désormais nous mangeons bio et que nous contribuons activement à tous les autres aspects développés dans cet article.

Le dernier aspect économique (et non le moindre) c’est que les producteurs de l’AMAP sont des producteurs locaux. Cela permet de maintenir un tissu économique autour de chez nous, évite de passer par des intermédiaires qui s’enrichissent sur notre dos et celui des agriculteurs et cela réduit les coûts environnementaux liés aux transports des marchandises par camion ou pire, par avion. Il s’agit donc de lutter à notre échelle contre une forme de délocalisation bien réelle : celle des productions agricoles. D’ailleurs, soit dit en passant, lorsqu’on achète des produits en supermarché la logique reste la même : mieux vaut accorder sa préférence aux fruits et légumes du terroir, ou à défaut « origine France », par rapport aux autres provenances. Mais nous débordons déjà là sur le second aspect.

L’aspect environnemental

Il s’agit de l’aspect le plus facilement identifiable des AMAP. Les producteurs qui nous fournissent s’inscrivent dans une démarche d’agriculture biologique. Ils conduisent leurs cultures sans utiliser de produits synthétiques polluants tels que les engrais de laboratoire et les pesticides (herbicides, insecticides, fongicides, etc…). Pour la conduite des animaux, les hormones et les antibiotiques sont interdits et le bien-être animal est également un critère d’évaluation à respecter pour être labellisé.

Une autre facette de l’aspect environnemental se trouve dans la sauvegarde de la biodiversité. Les producteurs n’étant pas soumis aux contraintes de la grande distribution, ils peuvent « se faire plaisir » en cultivant des légumes méconnus[4] ou d’anciennes variétés presque oubliées (à l’heure des productions intensives et uniformisées) malgré leurs qualités. Je vous recommande de tester certaines espèces de tomates roses et biscornues[5] absolument délicieuses mais délaissées car ne répondant pas aux standards « toute ronde et bien rouge » ! Ou encore les délicieuses chips de panais, une espèce de grosse carotte blanche et savoureuse. Cette découverte de nouveaux légumes dans les paniers s’apparente un peu à ouvrir les « dragées surprises de Bertie Crochue » dans Harry Potter : on ne sait pas sur quoi on va tomber ! Des fois on aime, et parfois moins… Heureusement, il y a un panier d’échange où l’on peut remplacer ce qu’on n’aime pas par des légumes qu’on préfère, à condition d’y avoir goûté au moins une fois ! D’ailleurs nous sommes régulièrement surpris avec mon amie par la saveur des légumes bio, tellement meilleurs que ceux qu’on trouve dans le commerce (et ce n’est pas un cliché).

Quand le panier contient des espèces méconnues, notre producteur (qui est un passionné), accompagne toujours le sac d’un petit mot pour expliquer de quelle variété de légume il s’agit, préciser son histoire et indiquer comment le cuisiner facilement. Ainsi, il s’agit non seulement de faire revivre certaines espèces mieux adaptées à nos sols et à nos climats, mais également de piquer les curiosités, ajoutant toujours un peu de surprise à la découverte de la composition du panier de la semaine.

L’aspect social

Après avoir détaillé les aspects les plus matériels de l’affaire, abordons maintenant ce volet, un peu plus « bonus », un peu moins quantifiable, mais où pour ma part, je trouve aussi mon compte : l’aspect social. Tout d’abord, quand on est enfermé toute la journée chez soi et que l’on ne voit quasiment personne (quand on travaille à domicile par exemple, ou quand on cherche du travail), c’est pas plus mal d’avoir rendez-vous avec son panier de courses et donc avec les autres adhérents de l’AMAP par la même occasion. Comme ça on sort un peu de la maison (au moins une fois dans la semaine…) et on rencontre des personnes qui partagent des valeurs communes. Comme la distribution en elle-même est assez rapide, ça laisse du temps pour engager des discussions. Les profils classiques que l’on rencontre sont des couples d’enseignants (souvent à l’origine de la création de l’AMAP), beaucoup de jeunes dans la trentaine [6], des actifs de la classe moyenne (si si, il y en a encore) et bien sûr des écologistes convaincus.

Ensuite, pour approfondir les connaissances et surtout pour faciliter le bon déroulement des distributions, tous les adhérents sont conviés à s’inscrire à tour de rôle pour prêter main-forte aux agriculteurs, au moins une fois par semestre. On s’inscrit par trinôme, en fonction des places disponibles, ce qui nous amène à passer l’heure de distribution avec d’autres personnes et à voir défiler l’ensemble des adhérents (dont certains qu’on ne verrait pas autrement à cause des impératifs horaires propres à chacun). Les missions des « amapiens » de permanence sont : d’aider les producteurs à installer les tables, de porter les produits (cagettes, bidons de lait…) des camionnettes jusqu’aux tables, de peser les légumes et de les mettre en sachet pour gagner du temps pendant la distribution, puis de tout débarrasser à la fin. Cela nous permet également de voir l’envers du décors et de participer au groupe.

Enfin, nous sommes invités occasionnellement (une à deux fois par semestre) à venir apporter notre aide directement sur la ferme d’un des producteurs adhérents. Cela présente plusieurs avantages pour chaque partie. Tout d’abord c’est un renfort bienvenu pour l’agriculteur (arrachage de mauvaises herbes, récolte de plants de pomme de terre…). C’est également l’occasion pour l’agriculteur de nous présenter sa ferme et comment il travaille, et on est bien entendu invité à poser toutes nos questions. Mais c’est surtout un bon prétexte pour prendre l’apéro tous ensemble après le travail et la visite, puis de sortir les salades, les tartes au fromage de chèvre ou les pains d’épices que chacun a préparé chez lui la veille (avec les produits de l’AMAP évidemment) et de se faire un bon repas dans une ambiance conviviale, au soleil (même en Bretagne) à la campagne, en échangeant nos convictions associatives (et nos meilleures recettes).

C’est dans ce contexte et dans cette ambiance qu’en fonction de l’âge et du dynamisme de l’AMAP, d’autres services peuvent se mettre en place. Nous avons par exemple commencé cette année un service de « prêts de matériel » pour des outils qu’on n’a pas forcément tous chez soi (taille-haies, perceuses…). C’est vraiment le côté associatif de l’AMAP qui ressort. D’ailleurs dans le même état d’esprit, un des derniers courriels en date qui a circulé dans notre AMAP proposait de s’intéresser à la possibilité d’héberger soi-même sa boîte aux lettres électronique via une connexion Internet du fournisseur d’accès « dont vous êtes le héros », un certain FDN.fr[7].

Conclusion

Pour conclure ce billet, je ne serais pas tout à fait honnête si je ne vous faisais pas part des quelques inconvénients que j’ai pu constater au cours de mes deux années d’AMAP. Tout d’abord, comme je l’ai déjà mentionné, il faut payer tous les paniers au début du semestre. Au moins le budget est fixe, et puis c’est un réel atout pour les petits producteurs, mais il faut pouvoir sortir l’argent.

Ensuite, on ne sait pas à l’avance ce qu’on va avoir dans son panier… Mais une chose est sûre, ce sont des produits bios et ce sont des produits de saison (ce qui permet au passage d’apprécier à nouveau le rythme des saisons : non, on ne mange pas de haricots verts en hiver !).

Enfin, il n’y a presque pas de pause dans les distributions. Les agriculteurs prennent rarement de vacances et donc il faut être là toutes les semaines pour la distribution car on n’est pas remboursé d’un panier que l’on n’a pas pu venir chercher. Une solution consiste à proposer son panier à quelqu’un d’autre quand on n’est pas là… on peut donc faire passer un mot à l’AMAP la semaine précédente pour savoir si quelqu’un est intéressé pour le racheter, mais c’est quand même quelque chose à prévoir. Avec mon amie, on préfère offrir le panier à nos voisins, pour leur faire découvrir le concept et peut être les compter prochainement comme de nouveaux adhérents 🙂

Car, si la voie est libre, la route est encore longue…

Notes

[1] Trois sites qui recensent les Groupes d’Utilisateurs de GNU/Linux en France : l’annuaire de l’AFUL, l’InterLUG, et l’initiative TrouveTonGUL.

[2] Crédit photo : Mzelle Biscotte (Creative Commons By-Sa)

[3] Il y a souvent deux saisons de production : « printemps/été » et « automne/hiver ».

[4] Voici un lien vers le blog de l’association « Le Sens de l’Humus » qui expérimente différentes méthodes d’agriculture biologique autour des murs à pêche de Montreuil. Vous y trouverez plusieurs billets présentant ces « légumes méconnus ».

[5] Tomates rose de Berne

[6] En majorité des filles, et pas forcément en couple 😉

[7] Note de Siltaar : et cette anecdote authentique n’est pas de mon fait !




Les jeunes ne jurent que par Apple (et se foutent du logiciel libre ?)

Multitrack - CC byIndépendamment de la question financière, que choisirait actuellement un jeune bachelier si il avait le choix de s’équiper en matériel high tech ?

Ce n’est qu’une impression mais il semblerait bien que tous ou presque souhaitent désormais posséder du Apple : MacBook, iPod, iPhone, iPad…

Deux liens qui corroborent cette impression.

Le premier lien est économique. Un cabinet financier américain vient tout juste de dégrader la notation de Microsoft estimant que l’éditeur ne parvenait pas à séduire les jeunes générations (source ZDNet). Ainsi 70% des étudiants entrant à l’université possèderaient un Mac[1].

Cela fait beaucoup quand même ! Mais justement le second lien est académique. Le département Information Technology and Communication de l’Université de Virginie nous propose d’intéressantes statistiques sur l’équipement informatique de ses étudiants de première année.

On peut y constater de notables évolutions de 1997 à nos jours. Comme on s’y attendait les étudiants tendent à être tous équipés, et au profit aujourd’hui presque exclusif de l’ordinateur portable. Mais pour quel OS ? Et là effectivement la comparaison est édifiante. Les courbes de Windows et de Mac suivent des chemins diamétralement opposés. En 2004, nous avions 89% pour Windows et 8% pour le Mac. En 2009 c’est 56% de Windows et 43% de Mac. On est encore loin des 70% évoqués plus haut, mais au train où vont les choses, c’est apparemment pour bientôt.

Pourquoi avoir choisi l’année 2004 comme repère ? Parce qu’ils étaient alors 77 étudiants à avoir un autre OS que Windows ou Mac (autrement dit un OS libre). Or ils ne sont plus que 8 en 2010, soit 0,3% !

D’où cette double question que je soumets à votre sagacité : Est-ce que selon vous Apple fascine réellement toute la jeunesse ? Et si oui cela a-t-il, dès aujourd’hui et pire encore demain, des conséquences sur le logiciel libre ?

À parcourir ces trois récents articles du Framablog : Pourquoi je n’achèterai pas un iPad, La fin du Web ouvert – Apple ou la banlieue riche du Web et Combien de futurs hackers Apple est-il en train de tuer ?, je crains déjà votre réponse. Et me demande dans la foulée si cela ne met pas une nouvelle fois en exergue la faillite absolue en amont de l’école (et des parents) quant à la sensibilisation au logiciel libre et sa culture.

Notes

[1] Crédit photo : Multitrack (Creative Commons By)




Quand les universités espagnoles montrent l’exemple

Cenatic - CC byPrenant des allures de « Courrier International du Libre » (mais sans les albums de Prince), le Framablog vous propose aujourd’hui la traduction non pas d’un classique billet repéré sur les blogs américains mais d’un bout de revue de presse espagnole.

En effet, promenant ma souris sur le site de la précieuse « Asociación de Internautas » espagnole, qui regroupe depuis 12 ans la plupart des organisations de protection des utilisateurs d’Internet en Espagne et constitue le fer de lance en matière de défense de la neutralité du réseau chez eux (on se demande ce que je faisais là…), je suis tombé sur la revue de presse tenue par le groupe d’utilisateurs de Linux de l’association, le Linux-GUAI.

Et là, merveille ! Plein d’actualités espagnoles croustillantes sur GNU/Linux et les logiciels libres. Informant la branche extrémiste hispanophone autonome de Framalang (la bien nommée FramEspagnol) de ma trouvaille, nous partîmes joyeusement sur le chemin de la traduction.

Le premier sujet ayant retenu notre attention concerne l’éducation. Il s’agit des avancées espagnoles dans un domaine où la France a encore de gros progrès à accomplir (on y travaille cependant) : l’adoption des logiciels libres par les universités[1].

Et aujourd’hui, ce n’est pas un, mais deux articles (pour le même prix !) que nous vous avons traduits pour illustrer le sujet. Bonne lecture 😉

L’université espagnole fait le pari de soutenir le logiciel libre

La Universidad española apuesta por impulsar el software libre

EFE – 1 mars 2010 – ADN.es
(Traduction Framalang : Burbumpa, Thibz, TV, Goofy, Siltaar et Barbidule)

L’Université espagnole a décidé d’ « encourager l’utilisation de logiciels libres » afin ne pas dépendre des grandes entreprises d’informatique lors du développement d’applications spécifiques, que ce soit pour la gestion des établissements ou pour favoriser la communication au sein de la communauté universitaire.

C’est l’une des recommandations adoptées lors de la réunion de la Commission Sectorielle des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) de la Conférence des Recteurs des Universités Espagnoles (CRUE) qui s’est tenue à l’école universitaire d’études entrepreneuriales de Bilbao.

L’utilisation de ce type de technologies, selon des sources appartenant à l’Université du Pays Basque (UPV), permettra de plus au professeur et à l’élève ayant une formation dans les nouvelles technologies d’intervenir dans son développement, « ce qui est certainement une excellente façon d’employer les connaissances des universitaires ayant des compétences dans ce domaine ».

Un autre avantage, comme l’a souligné l’UPV, est que le logiciel libre permet l’implantation des langues minoritaires dans les différentes applications dans la mesure où des personnes intéressées et ayant des connaissances informatiques suffisantes voudront bien s’impliquer dans ce développement.

Lors de la réunion d’aujourd’hui, un catalogue des nouvelles applications qui ont déjà été implantées ou qui vont l’être sous peu dans les différentes institutions a été présenté. Cela va des plateformes d’enseignement en-ligne aux blogs et aux réseaux sociaux.

L’objectif, ont insisté les différentes sources, « est de placer les universités en position de référence dans le domaine des nouvelles technologies, ce qui les conduirait à ce qu’on pourrait appeler l’Université 2.0 ».

Plus de 80 personnes en lien avec les nouvelles technologies dans le monde universitaire et représentant les 71 universités publiques et privées de la CRUE ont assisté à la réunion.

Par ailleurs, le gouvernement basque a fait son entrée aujourd’hui au Conseil du CENATIC (Centre National de Référence pour l’Application des TIC basées sur des Sources Ouvertes), une fondation publique nationale dont la mission est de promouvoir et de diffuser l’usage des logiciels libres et open source.

Avec l’entrée du Pays Basque, ce sont maintenant 8 communautés autonomes qui sont présentes au Conseil de cette entité, en plus du Ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce au travers de Red.es ("réseau.espagne", site de se nsibilisation, de soutien et d’information sur la question des réseaux), ainsi que 4 grandes entreprises du domaine technologique.

60% des serveurs des universités espagnoles sont basés sur des logiciels libres

El 60% de los servidores de las universidades españolas se basan en software libre

Fecha – 10 mars 2010 – ComputerWorld / IDG.es
(Traduction Framalang : Burbumpa, TV, Goofy, Quentin, Siltaar et Barbidule)

Selon une étude présentée par le CENATIC (Centre National de Référence d’Application des TIC basées sur l’open-source), la quasi totalité des Universités et des Centres de R&D espagnols utilisent des logiciels libres dans leur fonctionnement quotidien.

Dans la partie « Étude sur la situation actuelle du logiciel libre dans les universités et centres de recherche espagnols », le rapport souligne que 60% des serveurs des universités espagnoles sont basés sur des logiciels libres. Le chiffre atteint 67% pour le courrier électronique, 87% si l’on considère les outils de gestion, de même que 42% des bases de données, 67% des systèmes antispams, 40% des campus à distance, ou 44% des solutions d’administration électronique.

L’étude révèle également que 83% des universités ont des groupes de recherche sur ce type de logiciel, qui travaillent sur le transfert de technologies de ses outils vers l’industrie. Dans 57% des universités, il existe aussi des associations d’usagers de soutien aux logiciels libres et 90% d’entre elles ont créé des unités d’enseignement en rapport avec les technologies ouvertes.

Selon Javier Uceda, président de la section TIC de la Conférence des Recteurs d’Universités Espagnoles, « durant la réalisation de ce rapport nous avons découvert que les Universités et les Centres de Recherche et Développement espagnols participent elles aussi à cette réalité technologique qu’est le logiciel libre ; il apporte des bénéfices en termes de coûts, d’adaptabilité et d’ indépendance, et est devenu une composante essentielle de la recherche en Espagne ». De son côté, Miguel Jaque, Directeur du CENATIC, a affirmé que « le logiciel libre occuppe une place importante ans le quotidien des enseignants et des chercheurs dans le cadre universitaire espagnol. Parier sur le logiciel libre, c’est parier sur le futur des technologies dans le domaine de l’éducation supérieure et la recherche en Espagne ».

Le rapport a été élaboré par le CENATIC à travers l’Observatoire National du Logiciel de Code Source Libre (ONSFA) en collaboration avec le groupe Libresoft de l’Université Roi Juan Carlos de Madrid et le groupe CRUE-TIC-SL (groupe de travail de la Conférence des Recteurs dédié à l’étude du logiciel libre) de la Commission TIC de la Conférence des Recteurs d’Universités Espagnoles. Il contient les résultats d’une enquête sur l’usage des technologies open source dans l’Université espagnole, comme par exemple l’étude de 25 cas d’implantation, développement et promotion des technologies de code source libre, et une sélection de 20 projets de Recherche et Développement autour du logiciel open source financés par des programmes d’envergure nationale et européenne.

Notes

[1] Crédit photo : Cenatic (Creative Commons By)