Paul Ariès et le logiciel libre ont-ils des choses à se dire ?

Un internaute a eu l’idée de compiler les interventions de Paul Ariès (et uniquement celles-ci), lors de l’émission Ce soir ou jamais du 1er avril dernier consacrée à l’actualité économique : bouclier fiscal, taxe carbone. situation de la Grèce, etc. Vous trouverez cette vidéo à la fin du billet.

Montage oblige, il n’y a plus ni dialogue ni débat, et on mouche ainsi facilement l’autre invité qu’était Alain Madelin (ce qui, je le confesse, ne m’a pas dérangé). Mais j’ai néanmoins trouvé cela fort intéressant et parfois très proche de certains articles parus dans la rubrique « Hors-sujet ou presque » du Framablog, où il s’agit souvent, avec moult précautions, de voir un peu si le logiciel libre et sa culture sont solubles dans le politique, l’économique, l’écologique ou le social.

Paul Ariès était ainsi présenté sur le site de l’émission :

Paul Ariès est politologue, directeur du journal Le Sarkophage qui se veut un journal d’analyse critique de la politique de Nicolas Sarkozy, rédacteur au mensuel La Décroissance, collaborateur à Politis et organisateur du « Contre-Grenelle de l’Environnement ». Paul Ariès est considéré par ses adversaires comme par ses défenseurs comme « l’intellectuel de référence » du courant de la décroissance. Auteur d’une trentaine d’essais, il vient de publier « La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance » (La Découverte), et un pamphlet intitulé « Cohn Bendit, l’imposture » (Max Milo).

Extrait (autour de la 13e minute) :

On peut reprocher tout ce que l’on veut au système capitaliste et à cette société d’hyper-consommation, mais il faut reconnaître que c’est une société diablement efficace. Pourquoi ? Parce qu’elle sait susciter le désir et le rabattre ensuite sur la consommation de biens marchands. Or, comme le désir est illimité, on va désirer toujours plus de consommation.

Donc, si on veut être a la hauteur il ne s’agit pas de vouloir faire la même chose mais en moins. Il faut avoir un principe aussi fort à opposer. Et à mes yeux la seule chose aussi forte que l’on peut opposer au toujours plus, c’est la gratuité. Parce que la gratuité, on l’a chevillée au corps. C’est le souvenir du paradis perdu, c’est le sein maternel, c’est les relations amoureuses, amicales, associatives, c’est les services publics, c’est le bien commun.

Le bon combat pour les XXIe siècle, ce n’est pas de manifester pour l’augmentation du pouvoir d’achat, c’est de manifester pour la défense et l’extension de la sphère de la gratuité.

Sémantiquement parlant, on se méfie beaucoup sur ce blog et ailleurs de cette notion de « gratuité ». Alors j’ai eu envie d’en savoir plus et je suis tombé sur ce tout aussi intéressant article (issu du site du NPA) : La révolution par la gratuité de Paul Ariès.

Extrait :

Il ne peut y avoir de société de la gratuité sans culture de la gratuité, comme il n’existe pas de société marchande sans culture marchande. Les adversaires de la gratuité le disent beaucoup mieux que nous. John H. Exclusive est devenu aux Etats-Unis un des gourous de la pensée « anti-gratuité » en publiant Fuck them, they’re pirates (« Qu’ils aillent se faire foutre, ce sont des pirates »). Il y explique que le piratage existe parce que les enfants sont habitués à l’école à recopier des citations d’auteurs, à se prêter des disques, à regarder des vidéos ensemble, à emprunter gratuitement des livres dans les bibliothèques, etc. L’école (même américaine) ferait donc l’éducation à la gratuité.

Les milieux néoconservateurs proposent donc de développer une politique dite de la «gratuité-zéro» qui serait la réponse du pouvoir aux difficultés des industries « culturelles » confrontées au développement des échanges gratuits, via les systèmes « peer-to-peer ». La politique à promouvoir sera totalement à l’opposé et passera par la généralisation d’une culture de la (quasi)gratuité. Nous aurons besoin pour cela de nouvelles valeurs, de nouveaux rites, de nouveaux symboles, de nouvelles communications et technologies, etc. Puisque les objets sont ce qui médiatisent le rapport des humains à la nature quels devront être le nouveau type d’objets de la gratuité ?

L’invention d’une culture de la gratuité est donc un chantier considérable pour lequel nous avons besoin d’expérimenter des formules différentes mais on peut penser que l’école sera un relais essentiel pour développer une culture de la gratuité et apprendre le métier d’humain, et non plus celui de bon producteur et consommateur. Parions que la gratuité ayant des racines collectives et individuelles beaucoup plus profondes que la vénalité en cours, il ne faudrait pas très longtemps pour que raison et passion suivent…

Je ne sais pas ce que vous en penserez mais j’ai comme eu l’impression que l’auteur ignorait tout simplement l’existence du logiciel libre, qui n’est pas cité une seule fois dans ce long article.

Est-ce que la « gratuité » de Paul Ariès ne ressemble pas finalement à la « liberté » du logiciel libre (dont la gratuité n’est qu’une éventuelle conséquence) ? Cette liberté du logiciel libre n’est-elle pas plus forte, subversive, et au final plus pertinente et efficace pour étayer les arguments de Paul Ariès ?

Voici quelques unes des questions qui me sont donc venues en tête à la lecture du passage vidéo ci-dessous[1] :

—> La vidéo au format webm

Une vidéo qui fait écho, plus ou moins directement, aux billets suivants du Framablog :

Notes

[1] Merci à Dd pour la conversion de la vidéo au format Ogg sur Blip.tv.




CoursdeProfs.fr : une affligeante initiative aveuglément relayée par la grande presse

Silviadinatale - CC byLorsque j’ai découvert il y a peu CoursDeProfs.fr j’en suis resté bouche bée. Et j’ai encore du mal à croire qu’on ait pu oser un tel projet, l’un des pires qui ait été lancé dans l’éducation depuis des années. La seule et unique consolation c’est qu’il n’émane pas de l’institution mais du secteur privé.

De quoi s’agit-il exactement ? D’un site qui propose aux enseignants de déposer leurs cours et aux visiteurs de les consulter. « Venez échanger et partager votre savoir », peut-on lire en accueil. Le slogan est au diapason : « Partageons ! »

Sympa, non ? Jusqu’ici tout va bien. Et, sourire aux lèvres, on pense alors naïvement être en présence d’une sorte de forge communautaire de contenus éducatifs, interopérables et sous licences libres. Quelque chose qui ressemblerait à une Académie en ligne qui aurait gommé tous ses défauts, ou plus sûrement à un Sésamath étendu cette fois-ci à toutes les disciplines et à tous les niveaux.

Grossière erreur, car l’état d’esprit qui anime le projet se trouve précisément aux antipodes de ce modèle. Pour tous ceux qui comme nous participent à diffuser le logiciel libre et sa culture au sein de l’Éducation nationale, c’est plus qu’une déception, c’est une véritable provocation.

Prenez le meilleur de Sésamath et Wikipédia en essayant de faire exactement le contraire, et vous obtiendrez CoursDeProfs.fr !

Que ce site rencontre le succès, que les profs embarquent nombreux consciemment ou non dans cette supercherie[1], et je serais obligé de « faire mon Jospin 2002 », c’est-à-dire en prendre acte et quitter séance tenante aussi bien Framasoft que mon métier d’enseignant pour m’en aller cultiver des tomates bios en Ardèche.

Or l’hypothèse n’est pas à exclure quand on voit avec quelle coupable complaisance l’initiative est unanimement relayée et saluée par nos grands médias, illustrant par là-même leur désolante méconnaissance du sujet.

J’ai vainement cherché le moindre début de critique constructive non seulement sur ces mainstream médias mais également dans la blogosphère et je n’ai strictement rien trouvé. C’est ce qui m’a poussé à rédiger ce billet, histoire d’apporter un peu la contradiction (quitte aussi à prendre le risque de leur faire ainsi une injuste publicité).

Ceci étant dit, CoursDeProfs apporte une très mauvaise réponse à d’excellentes questions. Les enseignants souhaitent-ils se regrouper pour créer et échanger ensemble ? Les élèves et leurs parents souhaitent-ils avoir facilement et librement à disposition des ressources éducatives de qualité sur Internet ?

Des médias complices et ignorants

Je tire mon chapeau au service marketing de CoursdeProfs.fr. Non seulement ils ont eu une prestigieuse couverture médiatique mais en plus les articles sont dithyrambiques.

Jugez plutôt :

Le Nouvel Obs : Une plate-forme collaborative pour les profs

Le site CoursDeProfs.fr s’est ouvert officiellement ce lundi 15 mars, pour le plus grand bonheur des enseignants. Concrètement, le site propose aux profs de mettre en commun leurs cours et devoirs avec un seul mot d’ordre : « Partagez vos expériences et vos savoirs ».

Libération : Des cours Net et sans bavures

Vous êtes prof de maths et vous avez déjà fait faire vingt fois les mêmes exercices sur le tracé des triangles aux différentes classes que vous avez eues. Le problème, c’est que vous êtes à court d’idées… Ou alors prof débutant de physique-chimie, vous vous demandez comment organiser la séance de travaux pratiques sur l’utilisation de l’oscilloscope transparent, d’autant que votre classe de terminale S est plutôt dissipée. Rassurez-vous : le site CoursDeProfs.fr, lancé avant-hier, est censé vous aider. Il se présente comme la première plateforme d’échanges de cours entre professeurs. Le but : favoriser « le partage de savoirs et d’expériences » et faire ainsi mentir le cliché selon lequel chaque prof travaille dans son coin sans se soucier de ce que font les autres.

Le Parisien : Des cours gratuits en ligne

Une salle des profs virtuelle, géante et ouverte à tous : où les enseignants peuvent se retrouver et s’échanger leurs cours, où les parents peuvent aussi « débouler » pour retrouver la leçon de maths du fiston absent la semaine dernière, et les élèves venir vérifier qu’ils ont bien noté le cours, voire compléter la leçon… Ce lieu de rêve, c’est l’objectif de Coursdeprof.fr, qui a inauguré hier la première plate-forme communautaire du genre, qui puisse rassembler tous les profs de France autour de leur métier : leur permettre de transmettre leurs connaissances, la somme de tous les cours préparés dans la solitude de leurs bureaux, où ils échouent à nouveau après avoir été dispensés en classe.

L’Entreprise.com (L’Express) : Les profs parlent aux profs

C’est sans doute le premier réseau social fait par des enseignants pour des enseignants. A l’origine de CoursDeProfs.fr. quatre associés : Nicolas Duflos, ingénieur en informatique et télécommunications, inspirateur du projet ; Gabriel Tabart, prof d’EPS, Xavière Tallent, conseil en marketing et communication et Christophe Claudel fondateur de la SII Itelios[2].

Elle : Rattraper les cours manqués sur CoursDeProfs.fr

Un excellent complément pour les profs qui peuvent ainsi « confronter leurs idées et leurs façons de faire » (…) Preuve de son succès, à l’heure où nous écrivons, le site est surbooké et nous invite à nous reconnecter ultérieurement.

La Tribune : Le partage d’expérience fait son chemin chez les enseignants

Les concepteurs espèrent obtenir le label de ressource « reconnue d’intérêt pédagogique » (RIP). Ils déposeront un dossier en ce sens auprès du ministère de l’Education nationale avant l’été[3].

J’ai également noté un passage télé (France 2 – Télématin – 16 mars) et un passage radio (France Culture – Rue des écoles – 17 mars), deux fleurons de notre service… public !

Donc si je résume, « le partage d’expérience fait son chemin chez les enseignants » (La Tribune), un « grand bonheur » (Nouvel Obs), un « lieu de rêve » (Le Parisien) que CourdDeProfs.fr, ce « premier réseau social fait par des enseignants pour des enseignants » (L’Express), cette « première plate-forme d’échanges de cours entre professeurs » (Libération).

Or à y regarder de plus près, le rêve cache peut-être un cauchemar. Et désolé si ce qui va suivre est susceptible de venir un peu gâcher la fête.

Des cours aux multiples verrous artificiels

On sait comment cela se passe. La boîte balance son communiqué de presse et les rédactions choisissent ou non de s’en saisir. Mais lorsqu’elles s’en saisissent, on est en droit d’attendre d’elles un minimum d’investigation, de mise à distance et de contextualisation, en bref faire son boulot de journaliste et non du publireportage.

Et c’est d’autant plus coupable que lorsqu’une startup s’insère dans l’éducation « pour le bien de tous », la vigilance devrait être naturellement de mise (cf les beaux discours de Microsoft à l’école souvent évoqués sur ce blog).

Nos grands médias sont-ils vraiment allés sur CoursDeProfs.fr voir un peu comment cela se déroulait concrètement ? Permettez-moi d’en douter, parce que dans le détail, la plate-forme possède de nombreux et criants défauts.

CoursDeProfs - Copie d'écranAfin d’illustrer mon propos par l’exemple, j’ai choisi au hasard un document du site dans ma discipline, à savoir les mathématiques.

Nous sommes en Sixième pour un Cours sur les fractions (cf copie d’écran ci-contre).

Première remarque : ce cours est d’un classicisme absolu. Ouvrez n’importe quel manuel scolaire de ce niveau et ce sera identique mais plus riche et mieux mis en forme et en page. Ici, la valeur pédagogique ajoutée est pour ainsi dire nulle. Cela n’augure rien de bon quant au reste du contenu du site.

Mais regardons surtout comment se présente le document « mis en ligne » afin de mieux comprendre ce qu’on entend par echange, partage et collaboration chez CoursdeProfs.fr.

  • Le cours ne possède aucune licence. Par défaut il est donc placé sous le régime du droit d’auteur le plus classique et donc le plus restrictif, c’est-à-dire qu’il est propriété exclusive de son auteur et que vous ne pouvez rien faire avec tant que vous ne lui avez pas demandé l’autorisation. Les licences de type Creative Commons sont ignorées par les créateurs du site alors qu’elles ont justement été conçues pour favoriser le partage.
  • Le cours est dans une cage. Il est en effet totalement encapsulé au format propriétaire Flash. On peut certes le voir (en un unique endroit) mais pas le « toucher » puisque, conséquence directe du (mauvais) choix du format, on ne peut ni imprimer le document ni l’enregistrer. Quant à vouloir faire du copier/coller (comme l’autoriserait n’importe quelle page Web rédigée au format standard et ouvert HTML), ce n’est même pas la peine d’y penser.
  • Il y a un lien « Version gratuite » en haut à droite. Cliquez dessus et vous obtiendrez un fichier PDF du cours aux caractéristiques un peu particulières puisque entièrement zébré d’un horrible marqueur CoursDeProfs.fr qui recouvre tout le document (cf image ci-dessous) et toujours interdit au copier/coller (alors que tout fichier PDF non vérouillé permet normalement l’opération).
  • Il y a également un gros lien « Télécharger » en haut à droite. Cliquez dessus et l’on vous proposera de télécharger le cours aux formats suivants : PDF (enfin modifiable et permettant le copier/coller), DOC, DOCX, ODT et RTF. Sauf qu’il vous en coûtera 1,20 €, (45% pour l’auteur, le reste pour CoursDeProfs.fr). Comme il n’y a que les enseignants qui éprouvent ce besoin de pouvoir modifier et personnaliser le document, on se retrouve à devoir payer un collègue pour jouir pleinement de son cours ! De plus ceci ne vous donne alors qu’un « droit d’usage et de modification du document à des fins personnelles ». En aucun cas vous ne pouvez le copier, l’éditer et le donner à un tiers ou renvoyer la version modifiée sur le site (toujours à cause de l’absence de licence). Cela s’apparente au modèle fermé de l’iTunes d’Apple (DRM inclus). L’amélioration collective des documents est volontairement rendue impossible dans cet écosystème.

Pour rappel les créateurs du site affirment haut et fort dans tous les coins du site que leur projet n’est là que pour favoriser l’échange, le partage et la collaboration !

Mais de qui se moque-t-on ?

Si l’existence même de CoursDeProfs.fr est révélatrice d’une triste situation française, sa médiatisation béate l’est tout autant. Ce n’est pas ici que l’on trouvera des arguments pour nuancer la « crise de la presse ».

Libre comparaison

CoursDeProfs - Exemple de PDF tatouéOn ne le répètera jamais assez (surtout que les médias ne l’entendent visiblement toujours pas) : il n’est aujourd’hui pas responsable de développer du contenu collaboratif numérique à l’école sans s’inspirer du logiciel libre et prendre en compte sa culture et ses modes opératoires.

Qu’est-ce qu’un logiciel libre ? C’est un logiciel qui possède les quatre libertés fondamentales suivantes : la liberté d’exécuter le programme, la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, la liberté de redistribuer des copies, et la liberté d’améliorer le programme et de publier les améliorations. Ce sont des libertés qui sont tournées vers les utilisateurs. La liberté d’étude et d’amélioration nécessite d’avoir accès au code source du programme, c’est-à-dire à son secret de fabrication.

Essayons de transposer cela à la situation en reprenant notre Cours sur les fractions et en l’imaginant donc sous licence libre (par exemple la Creative Commons By dont on a déjà dit le plus grand bien lorsqu’il s’agit d’éducation).

La liberté d’exécuter le programme c’est la liberté de pouvoir lire le cours n’importe où, n’importe quand et sur n’importe quel ordinateur (et non sur un seul site Web). La liberté d’étude correspond à l’accès sans la moindre entrave à la source du document (dans un format ouvert, par exemple ODT, et non sur un PDF bridé), la liberté de copie signifie que vous pouvez copier et distribuer le cours autant de fois que vous le souhaitez à qui vous voulez, enfin la liberté d’amélioration vous autorise à modifier le cours comme bon vous semble et là encore à copier et distribuer cette version modifiée autant de fois que vous le souhaitez à qui vous voulez.

Bien sûr, tout dépend de votre objectif, mais si il s’agit réellement de partager et transmettre du savoir (certains appellent cela l’éducation) alors c’est bien ce dernier modèle qui est le plus pertinent parce qu’il favorise par essence la circulation et la bonification du cours.

Cela figure d’ailleurs noir sur blanc dans la première des douze propositions formulées par l’AFUL (et ignorées par les médias) suite à la publication du rapport Fourgous : « Les logiciels et les ressources numériques acquises, développées ou produites avec participation de fonds publics doivent être placées sous licence libre et disponibles dans un format ouvert afin de permettre leur libre partage : les utiliser, étudier, modifier, redistribuer librement. ».

J’ajoute qu’un tel modèle est centré sur la ressource (qui a un ou plusieurs auteurs) et non sur les auteurs (qui a une ou plusieurs ressources).

On mesure alors l’écart abyssal qui nous sépare de CoursDeProfs.fr puisque, comme nous l’avons vu plus haut, ce dernier ne respecte aucune des quatre libertés.

Ce modèle théorique que nous appelons de nos vœux est-il massivement déployée à l’Éducation nationale ? Non, car nous sommes encore minoritaires. Non car les grands médias nous ignorent encore trop souvent. Mais on y travaille et le temps joue clairement en notre faveur.

Lorsque nous dénonçons les errances de l’Académie en ligne ou les délires juridiques de l’usage des « œuvres protégées » en classe, c’est parce que nous estimons nous en écarter. Lorsque nous mettons en avant des initiatives comme Weblettres ou Sésamath (dont le projet Kidimath s’adresse lui directement et réellement aux élèves soit dit en passant), c’est parce qu’il nous semble nous en approcher.

0/20

En plus d’ignorer superbement la culture libre, la contradiction fondamentale d’un projet comme CoursDeProfs.fr c’est que, ne provenant pas de l’institution mais d’une entreprise privée, il doit nécessairement penser dès le départ son modèle économique. Il y a eu une idée (plutôt bonne du reste), il y a eu dépenses pour la concrétiser et il faut qu’il y ait à plus ou moins court terme retour sur investissement.

Outre le fait que le site affiche déjà de la publicité (Google) et dispose d’un espace annonceurs, ce qui n’est jamais bon lorsque l’on s’adresse à un public scolaire, les créateurs du projet ont imaginé le système complexe et artificiel décrit ci-dessus pour pouvoir tirer quelques subsides de l’aventure.

Un système pervers où les enseignants sont invités à se vendre et s’acheter leurs cours, à faire circuler l’argent entre eux, tout en étant fortement taxés au passage par CoursDeProfs.fr.

C’est indéniable, les enseignant se sont précarisés ces dernières années et les débuts de carrière sont de plus en plus difficiles. Et nombreux sont désormais ceux qui se jettent dans la gueule d’Acadomia et consors pour arrondir les fins de mois. Mais de là à imaginer qu’ils vont se mettre à monnayer leurs cours aux collègues pour que ces derniers puissent les adapter à leurs besoins… Ils ne l’ont jamais fait en salle des profs (qui n’est pas une salle de marché), ils ne vont pas commencer maintenant !

Il faut bien que quelqu’un le dise : CoursDeProfs.fr devrait transformer son projet en, disons, un site de poker en ligne et oublier ses velléités éducatives. J’invite tous les collègues à ne surtout pas y aller. Ce n’est pas à une petite startup de porter sur ses épaules un tel projet qui doit naître et vivre à l’intérieur même du service public qu’est l’Éducation nationale.

Au fait, l’Ardèche, c’est un terreau fertile pour les tomates bios ?

Notes

[1] Crédit photo : Silviadinatale (Creative Commons By)

[2] 1 prof sur 4 parmi les créateurs suffit à leur faire dire que c’est « fait par des enseignants pour des enseignants » !

[3] On saura ainsi si ce label RIP vaut encore quelque chose.




À propos de la formation aux logiciels libres, par Jean-Pierre Archambault

Extra Ketchup - CC by-sa« Le libre est à la fois une réponse concrète à des problèmes concrets et un outil de réflexion pour penser les problématiques générales de l’immatériel et la connaissance », nous dit ici Jean-Pierre Archambault, qui n’en est pas à son premier article sur le Framablog.

C’est pourquoi la question de la formation aux logiciels libres est l’un des enjeux majeurs de l’éducation de demain[1].

Il s’agit bien entendu d’être capable de les utiliser. Mais bien au-delà il s’agit aussi et surtout de comprendre qu’ils s’inscrivent dans une culture. Une culture de la collaboration, de la création, de l’autonomie et du partage qui ne doit plus être absent du cursus scolaire de nos étudiants.

À propos de la formation aux logiciels libres

La question est souvent posée de savoir s’il y a une spécificité de la formation aux logiciels libres. La licence d’un programme n’est pas forcément choisie lors de son écriture. Un traitement de texte reste un traitement de texte. Et une procédure récursive n’est pas intrinsèquement copyleft ou copyright. Nous allons examiner la question du point de vue des logiciels, de la culture informatique, des méthodes organisationnelles de réalisation des logiciels libres, de la portée sociétale du libre et des besoins pédagogiques des enseignants.

Former aux outils logiciels

Qu’il faille former à Linux comme on forme à Unix, Mac OS X ou Vista va de soi. Idem pour OpenOffice, FireFox ou The Gimp. Ce sont des systèmes et des applications qu’il faut connaître pour s’en servir « intelligemment ». Mais un système d’exploitation, un traitement de texte ou un tableur sont des outils conceptuels compliqués et complexes de par les objets qu’ils traitent et la multitude de leurs fonctionnalités. Il faut veiller à ne pas entrer dans le tunnel sans fin de la formation à la version n d’un progiciel, puis n+1, d’un usager « presse-boutons ». On connaît ce genre de pratiques pour des produits propriétaires dont les versions défilent à grande vitesse, enrichies de fonctionnalités dont l’utilisateur lambda n’a pas nécessairement besoin. Mais qui peuvent présenter des avantages financiers et des rentes de situation pour des officines de formation. Il faut donc pouvoir s’appuyer sur une appropriation initiale des concepts généraux des traitements de texte, tableurs et gestionnaires de bases de données.

L’informatique, le numérique étant partout dans la société, la question posée est celle de la culture générale de l’homme, du travailleur et du citoyen du 21è siècle. Il s’agit là des trois missions fondamentales des systèmes éducatifs. Le libre, c’est le code source que l’on connaît. Et pas la « boîte noire » miraculeuse qui fait tout pour vous : curieuse d’ailleurs cette représentation mentale qu’ont certains de la prothèse du cerveau qu’est l’ordinateur, que l’on pourrait utiliser sans la connaître ni la comprendre. De ce point de vue, le libre s’inscrit pleinement dans la vision qui considère que les usagers de l’informatique doivent comprendre et maîtriser les outils conceptuels qu’ils utilisent. Les créateurs d’informatique aussi, bien évidemment.

Maurice Nivat nous invite opportunément à relire André Leroy Gourhan qui nous a appris que l’outil n’est rien sans le geste qui l’accompagne et l’idée que se fait l’utilisateur de l’outil de l’objet à façonner[2]. Et d’ajouter : « Ce qui était vrai de nos lointains ancêtres du Neanderthal, quand ils fabriquaient des lames de rasoir en taillant des silex est toujours vrai : l’apprentissage de l’outil ne peut se faire sans apprentissage du geste qui va avec ni sans compréhension du mode de fonctionnement de l’outil, de son action sur la matière travaillée, ni sans formation d’une idée précise de la puissance de l’outil et de ses limites ».

Enseigner l’informatique pour donner une culture générale

Il faut donc former à l’outil. Il faut donner une culture générale informatique à l’ « honnête homme » de notre époque. Or, si une option d’informatique générale a existé au lycée dans les années quatre-vingt, elle a été supprimée au début des années quatre-vingt-dix. La ligne pédagogique selon laquelle les apprentissages doivent se faire à travers les usages de l’outil informatique dans les différentes disciplines existantes, et cela suffit, l’avait emporté, pour des raisons diverses (elle prendra la forme du Brevet informatique et internet, le B2i). Une longue « traversée du désert » commençait. Pour autant, des voix se faisaient entendre. Elles disaient que l’informatique étant partout (dans les autres disciplines scolaires), elle devait être quelque part en particulier, à un moment donné, sous la forme d’une discipline scolaire en tant que telle car la seule utilisation d’un outil, matériel ou conceptuel, ne suffit pas pour le maîtriser.

Gérard Berry, qui avait intitulé sa leçon inaugurale au Collège de France « Pourquoi et comment le monde devient numérique »[3], déclarait dans une interview au journal Le Monde, le 15 avril 2009 : « Du point de vue de l’enseignement de l’informatique, la France rentre résolument dans le XXe siècle. »[4]. Il regrettait que l’« on confonde la notion de computer literacy avec celle de computer sciences ». Et il ajoutait : « Dans les établissements scolaires, on a fait le choix d’enseigner les usages. C’est très insuffisant. C’est la différence entre apprendre à conduire et comprendre comment marche une voiture. Les jeunes quittent le lycée sans connaissance de la science informatique. C’est une aberration ! » .

L’association EPI (Enseignement Public et Informatique) et le groupe ITIC de l’ASTI ont pris ces dernières années de nombreuses initiatives en faveur d’un enseignement de l’informatique au lycée sous la forme d’une discipline d’enseignement général : audiences auprès des autorités de la République, tables rondes, séminaires, textes divers, propositions de programmes scolaires pour le lycée…[5]. Un tel enseignement doit comporter des apprentissages corrrespondant aux grands domaines de la science informatique, à savoir l’algorithmique et la programmation, la théorie de l’information, les machines et leurs architectures, les réseaux, Internet, les bases de données.

Dans le cadre de la réforme du lycée, un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » a été créé en Terminale S pour la rentrée 2012. Dans son discours devant le Conseil supérieur de l’Éducation, le 10 décembre 2009, s’exprimant sur cette réforme du lycée, Luc Chatel a notamment déclaré : « A l’heure de la société de l’information et de la connaissance, la France a besoin plus que jamais de compétences scientifiques en informatique. Aujourd’hui l’informatique représente 30 % de la recherche et développement dans le monde. Aujourd’hui l’informatique est partout. Nous ne pouvons pas manquer ce rendez-vous majeur et c’est la raison pour laquelle nous proposons en série S une spécialisation « informatique et sciences du numérique » »[6].

Tous ceux qui se sont prononcés en faveur d’une telle mesure se félicitent. Parmi ceux-ci, et ce n’est pas un hasard, figure l’APRIL (« Promouvoir et défendre le logiciel libre »). Dans un communiqué de presse, le 5 janvier 2010, l’association, rappelant qu’«elle a toujours été favorable à ce que l’informatique soit une composante à part entière de la culture générale scolaire de tous les élèves sous la forme notamment d’un enseignement d’une discipline scientifique et technique », souligne « cette première et importante avancée signe d’une certaine rupture »[7]. Elle mentionne que « l’expérience de ces dernières années a clairement montré que le B2i ne fonctionnait pas. Son échec prévisible tient notamment à des problèmes insolubles d’organisation, de coordination et de cohérence des contributions supposées et spontanées des disciplines enseignées. De plus ne sont pas explicitées les connaissances scientifiques et techniques correspondant aux compétences visées. »

Le rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l’école par le numérique, « Réussir l’école numérique », remis au Ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel le 15 février dernier, va dans le même sens[8]. Il met en évidence la portée de cet enseignement de l’informatique : « En créant une matière Informatique et sciences du numérique en terminale, le gouvernement français ouvre enfin la voie de l’apprentissage du numérique et redonne à l’école son rôle d’éducateur. » Et rappelle qu’en définitive le B2i ne correspond pas aux enjeux car « il ne permet pas d’acquérir une culture informatique, permettant de comprendre les techniques sous-tendant le fonctionnement des divers outils numériques… ne prenant pas en compte les connaissances techniques de base nécessaires ».

Le libre, une science

Si le libre est une composante à part entière de l’informatique, il n’en comporte pas moins des spécificités, qui doivent donner lieu à des enseignements dédiés, notamment dans le Supérieur. Il existe une « science du logiciel libre ». Voir l’article de Roberto Di Cosmo auquel nous nous référons ci-après[9].

Si les collaborations avec des partenaires dispersés géographiquement ne datent pas d’aujourd’hui, avec Internet la situation a radicalement changé. La question est posée de savoir sur quels principes scientifiques se fondent des projets comme Wikipédia ou Linux, exemples extrêmes de travail massivement collaboratif. Et de savoir comment en améliorer la stabilité et la fiabilité. Dans le développement du noyau Linux, chaque erreur, ou chaque fonction manquante ou obsolète, peut entraîner des dysfonctionnements majeurs rendant l’ensemble inutilisable. Malgré tout, le « phénomène Linux » a abouti à des versions de plus en plus complètes, fonctionnelles et stables. En fait, le succès des logiciels libres de qualité reposent sur des approches méthodologiques très structurées. L’organisation modulaire du code source, la sélection sévère des contributions et l’existence d’un noyau central de développeurs s’assurant de la cohérence de l’ensemble jouent un rôle essentiel dans la réussite de Linux. Mais la taille atteinte par Linux est telle que l’on est aux limites de ce qui peut être maîtrisé en s’appuyant sur les capacités organisationnelles des communautés. Les logiciels libres sont donc devenus un champ d’étude à part entière pour les informaticiens. Il faut résoudre des questions scientifiques (par exemple, comment gérer rapidement la modification d’un appel de fonction résultant de l’ajout, du changement ou de la suppression d’un paramètre ?). Le projet Coccinelle a fourni une contribution majeure en introduisant la notion de « patch sémantique ». Le projet Mancoosi vise à développer des algorithmes efficaces pour permettre aux utilisateurs d’exprimer leurs préférences lors de mises à jour et d’obtenir des installations personnalisées.

Toutes ces actions de recherche se traduiront dans des enseignements universitaires, pour le libre mais aussi l’informatique en général.

Penser l’immatériel

Dans leur rapport sur l’économie de l’immatériel, Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet attirent l’attention sur le fait que, dans cette économie, « l’incapacité à maîtriser les TIC constituera (…) une nouvelle forme d’illettrisme, aussi dommageable que le fait de ne pas savoir lire et écrire ». Ils mettent en évidence les obstacles qui freinent l’adaptation de notre pays à l’économie de l’immatériel, notamment « notre manière de penser », invitant à changer un certain nombre de « nos réflexes collectifs fondés sur une économie essentiellement industrielle »[10]. Il faut former à l’informatique.

John Sulston, prix Nobel de médecine, évoquant en décembre 2002 dans les colonnes du Monde Diplomatique les risques de privatisation du génome humain, disait que « les données de base doivent être accessibles à tous, pour que chacun puisse les interpréter, les modifier et les transmettre, à l’instar du modèle de l’open source pour les logiciels ». Il existe une transférabilité de l’approche du libre à la réalisation et la mise à disposition des biens informationnels en général. On a pu le constater à l’occasion des vifs débats qui ont accompagné la transposition par le Parlement en 2006 de la directive européenne sur les Droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), ou plus récemment avec la loi Hadopi. Le libre, ses approches et ses méthodes, ses façons efficaces de produire des biens de connaissance qui relèvent du paradigme de la recherche scientifique, ses modèles économiques et ses réponses en termes de propriété intellectuelle, est omniprésent dans les problématiques de l’immatériel. Il faut former à l’informatique libre. Les élèves et les étudiants, travailleurs et citoyens d’aujourd’hui ou de demain, doivent en avoir entendu parler lors de leur scolarité et de leurs études. Le libre est à la fois une réponse concrète à des problèmes concrets et un outil de réflexion pour penser les problématiques générales de l’immatériel et la connaissance.


Production collaborative de ressources pédagogiques

La création de logiciels libres est un travail collaboratif : cette manière de créer du savoir à plusieurs est particulièrement importante si nous voulons préparer les plus jeunes à entrer dans une société du savoir partagé. Certains d’entre eux seront enseignants. Les enseignants ont besoin de documents, de contenus pédagogiques. Pour se former et pour enseigner. Et ils sont bien placés pour les concevoir et les produire eux-mêmes. L’on sait la transférabilité de l’approche du logiciel libre à la réalisation des contenus pédagogiques. Tout le monde, ou presque, connaît les réalisations remarquables de l’association Sésamath[11], « vaisseau-amiral » de la production collaborative de ressources pédagogiques libres, qui a obtenu un prix spécial de l’UNESCO.

Et il faut attacher une licence à un contenu produit. Les Creative Commons sont de mieux en mieux connues mais il reste du chemin à parcourir. Il faut faire connaître leurs modalités juridiques au service de l’objectif général, clairement exprimé, de favoriser la diffusion et l’accès pour tous aux oeuvres de l’esprit, en conciliant les droits légitimes des auteurs et des usagers. Creative Commons renverse le principe de l’autorisation obligatoire. Il permet à l’auteur d’autoriser par avance, et non au coup par coup, certains usages et d’en informer le public. Il est autorisé d’autoriser. C’est incontournable à l’heure d’Internet et du numérique car, sinon, toute vie intellectuelle serait impossible si l’on ne pouvait parler librement des oeuvres et s’il fallait, pour la moindre citation, demander l’autorisation à l’auteur ou à ses héritiers.

Que de nombreux autres enseignants, à la manière de Sésamath, fabriquent des contenus libres dans des démarches de mutualisation et de coopération est une raison supplémentaire de former au libre.

Jean-Pierre Archambault
CNDP-CRDP de Paris, coordonnateur du pôle de compétences logiciels libres du SCEREN

Notes

[1] Extra Ketchup (Creative Commons By-Sa)

[2] « L’informatique, science de l’outil », Maurice Nivat (à paraître dans EpiNet 124) http://www.epi.asso.fr/

[3] Leçon inaugurale le 17 janvier 2008, Cours Séminaires du Collège de France, par Gérard Berry titulaire de la chaire d’innovation technologique Liliane Bettencourt http://www.college-de-france.fr/default/EN/all/inn_tec2007/

[4] « Gérard Berry : L’informatique est une science », de Christian Bonrepaux dans le Cahier Éducation du Monde daté du 16 avril 2009. http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/04/15/gerard-berry-l-informatique-est-une-science_1181041_3224.html

[5] $http://www.epi.asso.fr/blocnote/blocsom.htm#itic On pourra aussi se référer, pour les élèves à partir de l’école primaire, à la version francaise de « Computer Science Unplugged » : http://interstices.info/jcms/c_47072/enseigner-et-apprendre-les-sciences-informatiques-a-l-ecole

[6] http://www.education.gouv.fr/cid49972/reforme-du-lycee-discours-devant-le-conseil-superieur-de-l-education.html

[7] http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d1001a.htm

[8] http://www.reussirlecolenumerique.fr/

[9] « La science du logiciel libre », Roberto Di Cosmo, La Recherche n°436, décembre 2009 – Professeur à l’Université Paris 7, Roberto Di Cosmo « porte » le projet de centre de recherche sur le logiciel libre de l’INRIA.

[10] Rapport remis à Thierry Breton en décembre 2006.

[11] http://www.sesamath.net




Inauguration du CF2L – Allocution du président de l’Université Paris Diderot

Le 5 février 2010 était inauguré à l’Université Paris Diderot le premier Centre de Formation Logiciels Libres (ou CF2L) dans le cadre de l’Université numérique Paris Île-de-France (UNPIdF).

Nous en avions annoncé ici-même la création et participé à diffuser le programme.

Cet évènement témoigne de l’intérêt croissant de l’université en général et de celles d’Île-de-France en particulier pour le logiciel libre. J’en veux pour preuve supplémentaire la présence de deux présidents et un vice-président d’université lors de cette inauguration.

Partie prenante de la formation, Framasoft était représenté par Pierre-Yves Gosset et moi-même. D’ordinaire les traditionnels discours officiels ont quelque chose de lisse et de convenu. Or nous avons été très agréablement surpris par l’acuité et la justesse des propos tenus ce soir-là. C’est aussi à cela que l’on mesure le chemin parcouru.

Mention spéciale à Vincent Berger, président de l’Université Paris Diderot et hôte de la manifestation, dont l’intervention m’a tant et si bien marquée que je n’ai pu m’empêcher de l’aborder pour lui demander l’aimable autorisation de la reproduire sur le Framablog.

Qu’il en soit ici chaleureusement remercié. Pour son accord, mais aussi et surtout pour être à la tête d’une université qui fait la part belle à un logiciel libre malicieusement associé ici à un oxymore.

CF2L - Inauguration - Jean-Baptiste Yunes

De gauche à droite sur le photographie ci-dessus[1] :

  • Michel Moreau-Belliard – Chef de projet de l’Université Numérique Paris Île-de-France (UNPÎdF)
  • Vincent Berger – Président de l’Université Paris Diderot
  • Jean-Claude Colliard – Président de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’Université Numérique Paris Île-de-France (UNPÎdF)
  • Arnaud Ducruix – Vice-Président de l’Université Paris Descartes, représentant Axel Kahn, Président de l’Université Paris Descartes

Intervention Président Berger

Inauguration du Centre de Formation aux Logiciels Libres
Vendredi 5 février 2010
Salle des thèses, Université Paris Diderot

Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,

Nous le savons tous et vous le savez mieux que quiconque, la société de l’information qui est la nôtre est une société de la circulation : circulation des savoirs, circulation des données, circulation des signes. Qui a accès aux moyens de cette communication peut espérer prendre part à cette société de l’information et en être un acteur.

On sait combien l’économie du partage des savoirs est aujourd’hui un enjeu complexe. On sait aussi combien le large accès aux moyens de l’information est un enjeu politique au sens le plus large et le plus noble du terme. L’accès à ces moyens d’information conditionne la réalité de l’exercice démocratique dans un monde aux cultures et aux pratiques toujours plus intégrées et globalisées.

Dans ce contexte, on sait quel est le rôle charnière de l’université. Sa mission hier comme aujourd’hui est de garantir l’accès du plus grand nombre à des savoirs et à des compétences complexes. Son rôle dans l’économie de la connaissance et de l’information lui enjoint de jouer un rôle ambitieux et volontaire dans la promotion et la diffusion d’une culture du partage.

En cela, la pratique universitaire — qu’elle soit pédagogique ou scientifique, qu’elle se déploie dans une salle de TD ou un laboratoire — participe du même esprit que celle du logiciel libre. La dynamique collégiale, l’énergie collective qui ont rendu le développement du logiciel libre possible relève de la même éthique du partage que celle de la recherche et de l’enseignement.

Les outils numériques ouverts ont connu un essor tel qu’aujourd’hui ils répondent à la quasi intégralité de nos besoins en technologie informatique. Accompagner leur développement, former les utilisateurs et les développeurs à leur utilisation et à leur développement, est désormais aussi la tâche de l’université. Le Centre de Formation aux Logiciels Libres (CF2L) répond à cet impératif.

Dans sa conception et sa gestation, ce Centre est aussi exemplaire d’une autre forme de dynamique collaborative que nous défendons aussi : celle qui doit permettre à des universités de dépasser leur logique propre pour faire advenir des synergies porteuse d’avenir, porteuse de nouveau. C’est le cas de l’Université Numérique Paris Ile de France, pilotée par l’université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, dont l’une des actions est d’offrir en mutualisation des formations à destination des personnels, quels qu’ils soient, appartenant aux universités franciliennes. C’est aussi le cas du RTC (Regional Training Center), aujourd’hui hébergé par l’Université Paris Descartes, une initiative de l’Université numérique et d’Apple pour former les personnels des universités de la région parisienne aux usages du numérique. En 2011 devrait ouvrir aussi un centre de formation aux outils Microsoft.

Le Centre de Formation que nous inaugurons aujourd’hui s’inscrit dans ce même esprit. Il témoigne de l’investissement ancien de notre établissement dans l’usage et la défense du logiciel libre. L’UFR d’informatique a eu, dès le début des années 80, une action très volontariste dans l’usage et la promotion du numérique ouvert, avec la pratique d’Unix par exemple. L’Université a, dès les années 90 promu l’usage systématique de systèmes d’exploitation libres au sein du Service Commun de Ressources Informatiques Pédagogiques et Technologiques (le SCRIPT), dirigé aujourd’hui par Olivier Cardoso. De nombreux enseignements s’appuient sur des logiciels libres.

J’ouvre ici une parenthèse, j’aime beaucoup l’expression « logiciel libre » qui a le charme des oxymores, comme « la force tranquille . Je me rappelle que lorsque j’étais étudiant en Maths spé, on employait une technique d’intégration qui répondait au nom épatant de « méthode de la variation de la constante ». Le programme d’une révolution, en somme.

Le « logiciel libre » ressemble à la variation de la constante, parce que justement, le logiciel est une succession d’actions élémentaires qui sont censées s’enchaîner « logiquement », c’est-à-dire tout le contraire de la liberté. Je me rappelle aussi de mon sujet de philosophie au baccalauréat, qui s’intitulait « l’acte libre existe-il ? ». Je ne soupçonnais pas un instant que cette courte question deviendrait, bien au delà du petit tracas d’une dissertation de trois heures, le questionnement de toute une vie. Récemment, dans le cadre des discussions sur l’attribution des primes à l’université, nous avons été amenés à discuter de l’excellence, du mérite. Nous nous sommes vite rendu compte que la complexité de la discussion résidait dans le fait que nous touchions ici foncièrement à la question de la liberté. Si quelqu’un réussit davantage dans ses recherches simplement parce qu’il est plus intelligent, parce que le logiciel de ses gènes l’a programmé à être doué de capacités hors normes, peut-on parler de mérite ? Si c’est au contraire son éducation qui l’a programmé à faire preuve des qualités nécessaires pour atteindre l’excellence, où est le mérite ? Le mérite n’est-il pas lié intimement à la possibilité d’un acte libre ? La vie dans son ensemble est-elle un enchaînement logiciel d’actions complexes mais logiques, où laisse-t-elle place à la libre construction de son destin ? Cette expression, le « logiciel libre », m’évoque donc cet éternel sujet de philosophie.

Mais revenons à notre inauguration. Le Centre de Formation implanté à Paris Diderot constitue la suite logique de cet investissement de longue date dans l’économie du logiciel libre. Développé en partenariat avec Paris Descartes, il est aussi un exemple concret des partenariats lancés entre nos deux établissements afin de renforcer notre action commune dans le paysage universitaire francilien et national.

On le sait la liberté a de nombreux visages. L’économie ouverte du logiciel libre est de celle qui permettront demain, comme aujourd’hui, un plus libre partage des compétences informatiques. Nous ne pouvons que nous féliciter de la création de ce centre et remercier tous les collègues qui ont travaillé à sa mise en place, dont Jean-Baptiste Yunès et Thierry Stoehr qui ont été la cheville ouvrière du projet et qui défendent avec une énergie inlassable le développement des TICE et du logiciel libre dans notre établissement.

L’action citoyenne de notre établissement passe aussi par le soutien à cette action et je souhaite réaffirmer que, parmi les nombreux chantiers qui sont les nôtres, le développement de ces technologies engage notre avenir pédagogique. Il engage aussi notre mission de diffusion des savoirs. De cette diffusion nous sommes aussi comptables avec vous.

Je vous remercie.

Notes

[1] Crédit photo : Université Paris Diderot




Avec Thibaud, 9 ans, la relève est assurée !

D Sharon Pruitt - CC byLa semaine dernière, le message suivant est tombé dans notre boîte à mails :

« Bonjour, je suis un enfant de 9/10ans que s’intéresse à l’informatique (je programme php/html/js/… tous les langages Web). Je souhaite vous remercier pour cette suite de logiciels libres et portables Framakey, mais je n’ai pas d’argent (10€ en tout). Je ne souhaite pas poster ce message sur le forum car j’aurais le honte (je pense). Merci pour tout et bonne continuation. J’espère que vous deviendrez riches (c’est pas tout de suite…). Thibaud »

Effectivement c’est pas pour tout de suite ! Mais sache que ça n’est pas le but non plus 😉

Par contre, un tel message vaut bien tout l’or du monde ! Pas courant de programmer si jeune (et d’utiliser notre Framakey), alors en le remerciant à mon tour pour sa gentille missive, j’ai eu envie d’en savoir plus en lui posant quelques questions[1].

Voici ses réponses. Elles n’ont pas été retouchées, si ce n’est quelques petites fautes d’orthographe de-ci de-là.

Entretien avec Thibaud

Bonjour Thibaud, peux-tu te présenter rapidement ?

Je m’appelle Thibaud, j’ai 9 ans, presque 10. Je suis en CM1 et j’habite dans une maison à 2 étages à Blanquefort (Gironde).

Tu nous as écrit pour nous signaler que tu était passionné d’informatique. D’où te vient cette passion : de l’école ? de ta famille ?

Cela vient de moi, personne ne m’a aidé au début.

Tu développes en PHP, Javascript et HTML. Où as-tu appris ces langages ? Dans des livres ? Sur Internet ? A l’école ? Parce que d’autres personnes t’ont initié ?

Le Html, c’est mon père. Le Javascript, le PHP et le CSS, c’est moi (avec l’aide de Google).

Peux-tu nous décrire quelques uns des programmes que tu as créé ?

En fait j’ai plutôt créé des menus car le reste je le dois au site de scripts EditeurJavascript.com : HTML (10%), Javascript (65%), PHP (20%) et CSS (5%).

Aussi, je modifie les jeux pour les rendre compatibles avec tous les navigateurs (surtout ceux des consoles et téléphones portables).

Quels sont les sites internet que tu fréquentes et que tu préfères ?

Google.com, framakey.org, dsi.fr.nf (mon site à moi) et donc editeurjavascript.com.

Comment as-tu découvert la Framakey ?

J’ai rencontré la Framakey sur un forum en cherchant « logiciel pour clé USB ». J’était très content car je change souvent de maison (2/3 fois par semaine).

Comment l’utilises-tu (tu bootes sur Linux ou uniquement avec Windows) ? Sur plusieurs ordinateurs ?

Je l’utilise uniquement sur Windows car tout ma famille a Windows et mon portable (à moi) ne marche avec aucun Linux (ni avec Windows…), c’est dommage.

Utilises-tu l’ordinateur à l’école et si oui comment et pourquoi ? Cela t’intéresse ou bien tu t’ennuies un peu, à cause de tes connaissances au dessus de la moyenne ?

On utilise que Firefox et Open Office pour les exposés et les rédactions. Remarque : il n’y a pas autre chose… à part le système d’exploitation (Windows XP). À l’école ça ne m’ennuie pas car le maître me dit d’aider les autre qui en ont besoin (tout le monde :)).

Aider les autre ça fait passer le temps qui lui n’est pas long… une demi-heure par semaine. C’est vrai, je suis « largement » au dessus de la moyenne de la classe (la moyenne est basse, hi!hi!hi!)

Quelle est ta configuration matérielle et logicielle ?

J’ai tous les logiciels portables Framakey et ça me suffit. Ma mère me prête son ordinateur fixe maintenant qu’elle a un portable. Chez mon père, je programme pas trop car son ordi est sur Vista et il y a un mot de passe administrateur…

Tu as une connexion à Internet dans ta chambre ? Tes parents te laissent-ils surfer autant que tu veux sans regarder ce que tu visites ?

Dans mes deux maisons il y a une connexion wi-fi avec mots de passe, dans des endroits « libres » de la maison.

Oui mes parent me laissent mais JE NE TCHATE JAMAIS. Je joue aux jeux sur mon site pour mobile depuis ma Nintendo DS(i). Mes parent surveillent juste l’heure du coucher (max 21h30/22h).

Cela t’arrive de télécharger des choses « illégalement » ? (de la musique, des films, des jeux, des logiciels, etc.)

JAMAIS !!! (mais mon père…)

Sais-tu ce qu’est un logiciel libre ? Comprends-tu pourquoi un site comme Framasoft souhaite que l’on utilise plus de logiciels libres ?

Un logiciel libre est un logiciel public sur lequel tout le monde a tous les droits. La différence est que le logiciel non libre, tout le monde n’a pas tous les droits ! Oui je comprends : c’est pour qu’on puisse s’entraider sans avoir à demander a une quelconque personne et qu’on n’ait pas à payer 150€ pour taper du texte et dessiner sur l’ordinateur.

Quels conseils donnerais-tu à un camarade qui voudrait lui aussi se mettre à programmer ?

Prends Framakey et Linux !

Penses-tu qu’Internet puisse participer à rendre le monde meilleur et si oui pourquoi ?

Oui car on peut partager nos connaissances et nos avis.

Notes

[1] Crédit photo : D Sharon Pruitt (Creative Commons By)




Rapport Fourgous : Le communiqué de l’April et les propositions de l’AFUL

Torres21 - CC by-saNous avons déjà par deux fois évoqué le rapport de la mission parlementaire du député Jean-Michel Fourgous sur la modernisation de l’école par le numérique. D’abord en extrayant les passages qui touchent de près ou de loin le logiciel libre et sa culture, et ensuite en demandant à François Elie de nous en faire une lecture critique.

Nous vous proposons ci-dessous, et l’une après l’autre, les réactions de l’April et de l’AFUL que nous avons malicieusement choisi de réunir ici dans un même billet.

Dans son communiqué, l’April prend acte de certaines avancées tout en regrettant la timidité des mesures préconisées. L’Aful quant à elle se veut constructive en faisant état de douze propositions, non pas pour « réussir l’école numérique » mais, nuance, pour « réussir le numérique à l’école »[1].

April / Rapport Fourgous : une reconnaissance partielle des apports fondamentaux du libre à l’éducation

URL d’origine du document

Paris, le 4 mars 2010. Communiqué de presse.

L’April se félicite que certaines de ses positions soient reprises dans le rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous[2] sur la modernisation de l’école par le numérique mais regrette qu’après avoir montré que le logiciel libre est une approche privilégiée pour réussir l’école numérique, il ne propose aucune mesure concrète pour tirer parti de cette opportunité.

Le rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l’école par le numérique a été remis le 15 février 2010 au Ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel.

L’April en tant qu’observateur attentif de l’évolution de l’usage et de l’enseignement de l’informatique dans le système éducatif[3] a contribué à cette mission[4] dans le cadre de la consultation préalable. Elle se félicite de la prise en compte, même partielle, de sa contribution mais regrette que le logiciel libre ne soit cité que marginalement et ne fasse l’objet d’aucune mesure concrète alors qu’il est un élément central des solutions possibles.

Le rapport précise que le libre permet, entre autres de lutter contre la fracture numérique mais aussi qu’il favorise l’apprentissage des fonctionnalités plus que des outils. Il est également précisé que « en apprenant à utiliser des fonctionnalités plus que des outils, le libre habitue les élèves à la pluralité, à la diversité »[5].

Nous retrouvons là les positions défendues par l’April. Selon Benoît Sibaud, vice-président : « Notre association est, en matière éducative, attachée à la formation d’utilisateurs autonomes, éclairés et responsables. Nous considérons que les logiciels libres constituent, de par la transparence technologique qui les définit et les valeurs de partage qui les fondent, l’un des leviers les plus précieux à la disposition de la communauté enseignante pour l’enseignement à et par l’informatique ».

Plus loin l’accent sur les « pratiques coopératives et collaboratives » des enseignants est mis. À nouveau le rapport préconise de « favoriser le développement de ressources libres »[6]. De nombreuses structures encadrant la mutualisation de ressources pédagogiques libres entre enseignants existent déjà. Citons Sésamath, EducOOo[7], Scideralle[8] ou encore Ofset[9]. Le rapport fait explicitement référence à l’April par la voix de Benoît Sibaud : « Les enseignants devraient ainsi être incités à partager leurs travaux en protégeant ceux-ci par l’emploi de licences de libre diffusion du type Creative CommonsBySA, GNU Free Documentation License ou Licence Art Libre ».

L’April regrette cependant que ces points n’aient pas été davantage pris en compte dans la liste des priorités définies par la mission et que le libre ne soit cité que marginalement. Il est préconisé de généraliser les manuels numériques sans se préoccuper de la façon dont les enseignants pourraient se les approprier. Pour faire sienne une ressource pédagogique, un enseignant doit pouvoir justement l’adapter à son public, à sa situation pédagogique et à ses pratiques. Les manuels numériques actuels ne le permettent pas, ils sont vendus dans des formats rarement modifiables voire l’interdisent sur le plan légal. Il est regrettable que le rapport n’incite pas à encourager de façon institutionnelle des regroupements d’enseignants tels Sésamath[10] qui ont justement déjà produit des manuels numériques libres de mathématiques reconnus pour leur qualité pédagogique[11]. À la place un fonds de développement à seule destination d’éditeurs privés semble préconisé.

Sur le plan de l’exception pédagogique, l’April regrette de ne voir aucune mesure claire destinée à mettre un terme à l’insécurité juridique qui fait partie du métier d’enseignant. Il est certes préconisé de créer (en urgence) cette exception dans le système juridique du droit d’auteur alors qu’il suffirait dans un premier temps de favoriser la mutualisation entre professionnels de l’éducation et le développement de ressources libres. Concernant le B2i, le rapport va dans le sens des conclusions de l’April[12] ?et de nombreux autres acteurs comme l’EPI et le groupe ITIC-ASTI[13] car : « le B2i ne prend pas en compte ni la capacité à pouvoir se former tout au long de la vie, ni les connaissances techniques de base nécessaires pour comprendre les outils numériques ». L’April ne peut que se réjouir de voir mentionné que « La mise en place d’une matière informatique est une nécessité dans une société où tout fonctionne via le numérique »[14].

Enfin concernant les tableaux numériques interactifs (TNI), « la France comptera 50 000 TNI en 2010 »[15] le rapport n’évoque pas les problèmes d’interopérabilité. Chaque fabriquant de tableau développe son propre format qui ne peut être utilisé qu’avec leurs propres logiciels. Ces formats sont propriétaires et fermés et empêchent donc toute mutualisation avec des professeurs utilisant d’autres marques. En cas de mutation dans un autre établissement, tout le travail réalisé par le professeur peut être tout simplement inutilisable si le fabricant n’est plus le même. Il conviendrait donc de définir un cahier des charges national afin d’élaborer un format commun et interopérable pour les ressources utilisant les TNI. Rappelons que sous l’impulsion du BECTA[16] britannique un format de fichier ouvert destiné aux applications de type TNI a été publié[17]. Ce format est endossé par le projet European Schoolnet dont est d’ailleurs membre le Ministère de l’Éducation Nationale. Plusieurs fabricants de TNI ayant accepté de prendre en charge ce format, il nous semble ainsi naturel que son intégration soit requise dans les appels d’offre à venir.

En vertu des points mentionnés ci-dessus, l’April appelle le gouvernement à enfin mettre en place une véritable politique publique d’utilisation des logiciels, ressources libres et formats ouverts dans l’éducation. C’est là une opportunité à saisir dans l’intérêt des élèves et de l’école numérique. Enfin, l’April rappelle la nécessité forte de mettre en place un enseignement de l’informatique en tant que tel dès le Collège.

AFUL / Douze propositions pour l’école à l’ère numérique

URL d’origine du document

Suite à la publication du rapport FOURGOUS « Réussir l’école numérique », l’AFUL, l’ADULLACT et SCIDERALLE font douze propositions pour « Réussir le numérique à l’école ».

Le rapport Fourgous, dense, riche et touffu, semble hésiter entre une école numérique fondée sur le collaboratif et la richesse de ressources partagées d’une part, et d’autre part une école numérique qui serait le marché tout trouvé d’une industrie du numérique en mal de clients.

« Il y aura deux manières de rater l’école numérique : ne pas réussir à intégrer le numérique dans les situations d’enseignement, réduire le système éducatif à n’être qu’un client pour des industries numériques. Nous devons craindre davantage ce second danger » François Élie.

Nous vous invitons donc à découvrir nos propositions et à en discuter sur la liste dédiée à l’usage des logiciels libres dans l’éducation du groupe de travail Éducation de l’AFUL.

Douze propositions pour « réussir le numérique à l’école » :

  1. Liberté – Les logiciels et les ressources numériques acquises, développées ou produites avec participation de fonds publics doivent être placées sous licence libre et disponibles dans un format ouvert afin de permettre leur libre partage : les utiliser, étudier, modifier, redistribuer librement.
  2. Égalité – Avant de viser des solutions dites innovantes, il faut privilégier l’équipement et la disponibilité des ressources pour le plus grand nombre, par la mutualisation et des mécanismes de péréquation.
  3. Fraternité – Le travail collaboratif entre les élèves, les professeurs, les associations partenaires de l’école et tous les acteurs de l’éducation, en particulier les collectivités, doit être encouragé et soutenu.
  4. Un observatoire permanent composé de spécialistes de la mesure est chargé d’évaluer en continu et avec précision les impacts de tel ou tel usage lié au numérique dans les domaines scolaire et para-scolaire.
  5. La mise en œuvre de dispositifs TICE efficaces ou innovants est prise en compte dans l’évolution de la carrière des enseignants.
  6. Les Inspections sont chargées dans toutes les matières d’organiser, de maintenir et de faire croître le recensement, la production collaborative et l’indexation de contenus libres, avec des enseignants volontaires rémunérés pour ce travail. Les éditeurs (privés ou non) peuvent évidemment utiliser ce fonds pour proposer des manuels scolaires. Le modèle de Sésamath peut être une piste à suivre.
  7. Les collectivités et l’État conjuguent leurs efforts pour mutualiser leurs ressources et faire produire et maintenir un patrimoine de logiciels libres d’usage administratif et pédagogique à destination des 70 000 écoles et établissements scolaires français, par souci d’efficience, d’interopérabilité et d’égalité républicaine.
  8. L’école numérique s’appuie pour le développement et la maintenance de ses infrastructures matérielles, logicielles et documentaires, ainsi que pour la formation continue et l’accompagnement des enseignants, sur un réseau structuré de Centres de Ressources Informatiques.
  9. Les possibilités offertes par les nouvelles technologies dans le domaine du travail asynchrone ou distant sont explorées pour faciliter la liaison école-famille et améliorer les liens entre l’école et les élèves ne pouvant s’y rendre.
  10. L’informatique devient une discipline à part entière, dont l’enseignement obligatoire dès le primaire est réalisé par des professeurs ayant le diplôme requis dans cette spécialité ou ayant bénéficié d’une formation qualifiante. La gestion des compétences, l’accompagnement des enseignants et la formation initiale et continue font l’objet du plus grand soin.
  11. Afin de garantir l’égalité des chances, les collectivités et l’État mutualisent leurs efforts pour offrir un vaste support en ligne gratuit à l’échelle nationale, animé par des professeurs nommés dans la 31e académie : l’académie en ligne. Ces professeurs sont formés au tutorat en ligne.
  12. Les activités de production en ligne des élèves (écriture dans Wikipédia, site web, blog…) peuvent être intégrées dans un portfolio qui leur est proposé.

Ces douze propositions au format PDF.

Notes

[1] Crédit photo : Torres21 (Creative Commons By-Sa)

[2] Pour le consulter: http://www.reussirlecolenumerique.fr/. Voir aussi Libres extraits du rapport Fourgous sur la modernisation de l’école par le numérique (par A. Kauffmann), Rapport Fourgous – Notes de lecture de François Elie et Douze propositions pour l’école à l’ère numérique

[3] Voir notamment Jean Louis Gagnaire interpelle le ministère de l’éducation nationale à propos de la plateforme SIALLE, Audition de l’April à la mission e-educ, site du groupe de travail éducation de l’April

[4] Former les citoyens de demain : lettre de l’April à Jean-Michel Fourgous

[5] Réussir l’école numérique – Rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l’école par le numérique, page 259

[6] Réussir l’école numérique – Rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l’école par le numérique, Page 285

[7] EducOOo.org «  L’association EducOOo a pour vocation d’aider à la mutualisation de ressources éducatives libres autour de la suite bureautique OpenOffice.org. Elle encadre aussi le développement d’OOo4kids qui est une version d’OpenOffice.org spécialement adaptée pour les élèves de l’enseignement primaire voire début du secondaire »

[8] Scideralle, issue du projet AbulÉdu, Scideralle se fixe pour mission de soutenir et promouvoir des projets visant à fournir à tout public des logiciels et ressources libres pour l’éducation

[9] Ofset a été créée pour développer des logiciels libres éducatifs et des ressources afférentes pour le système GNU

[10] Sesamath.net « L’association Sésamath a pour vocation essentielle de mettre à disposition de tous des ressources pédagogiques et des outils professionnels utilisés pour l’enseignement des Mathématiques via Internet. »

[11] Les manuels Sésamath ont été préfacés par une Inspectrice Générale de l’Éducation Nationale de mathématiques

[12] Option « Informatique et sciences du numérique » au lycée : une première avancée avant un mouvement de fond ?

[13] http://www.epi.asso.fr/revue/docu/d0912a.htm

[14] Réussir l’école numérique – Rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l’école par le numérique, page 189.

[15] Réussir l’école numérique – Rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l’école par le numérique, page 72.

[16] Le BECTA est l’équivalent de la SDTICE en Grande-Bretagne : http://www.becta.org.uk/

[17] Le format "Interactive Witheboard Common File Format" (IWBCF) dont on peut d’ores et déjà télécharger les spécifications sur la page BECTA de SourceForge




Centre de Formation Logiciels Libres : Demandez le programme !

CF2L - La salle de formation - Jean-Baptiste YunesEn décembre dernier nous vous annoncions la création d’un Centre de Formation Logiciels Libres (ou CF2L) dans le cadre de l’Université numérique Paris Île-de-France (UNPIdF), par l’entremise de Thierry Stœhr interviewé pour l’occasion.

C’est désormais chose faite. Il y a un un site (www.cf2l.unpidf.fr), un mail (cf2l AT unpidf.fr) mais surtout un programme qui commence demain avec la Découverte d’une plate-forme libre, GNU/Linux[1].

Il reste encore des places, alors n’hésitez pas à faire tourner l’information (sur twitticabook et ailleurs), a fortiori si vous connaissez de près ou de loin du personnel des universités franciliennes.

CF2L Formations 2009/2010

  • Découverte d’une plate-forme libre, GNU/Linux – 26/02
  • Les formats des fichiers et les problèmes d’interopérabilité, d’ouverture, d’archivage – 12/03
  • Le Web avec Firefox et le courriel avec Thunderbird – 19/03 ou 12/04
  • La bureautique avec OpenOffice.org – 03/05
  • Produire des documents avec LaTeX – 16/04 ou 17/05
  • La création et la retouche d’images avec Gimp et Inkscape – 07/05
  • La mise en page et la publication (PAO) avec Scribus – 14/06
  • Le calcul formel avec Sage/Maxima – 04/06
  • Le traitement des données avec Octave et Scilab – 28/06
  • La chaîne éditoriale numérique de création de documents multimédia avec Scenari – 21/05
  • Les réseaux sociaux avec le logiciel Elgg – 31/05
  • Les plates-formes de formation libres Dokeos, Claroline, Moodle, Sakai – 18/06
  • Gestion d’une salle de ressources et déploiement d’images disques – 02/07

Pour s’inscrire et obtenir de plus amples informations, rendez-vous sur le site dédié à la formation.

Notes

[1] Crédit photo : Jean-Baptiste Yunes




Rapport Fourgous – Notes de lecture de François Elie

François ElieFrançois Elie est co-fondateur et président de l’Adullact[1] ainsi que vice-président de l’Aful[2], professeur agrégé de philosophie et élu de la ville et de l’agglomération d’Angoulème dont il a été longtemps en charge des nouvelles technologies.


Vous comprendrez alors aisément pourquoi lorsqu’a été mis en ligne le rapport Fourgous Réussir l’école numérique[3] (dont nous avons publié ici-même quelques libres extraits), nous lui avons demandé son avis, qui a pris la forme d’une note de lecture que nous vous proposons ci-dessous.


François Elie est également l’auteur du livre Économie du logiciel libre[4] dont la première phrase annonce la couleur : « Cet ouvrage s’adresse à ceux qui font, vendent, utilisent ou achètent du logiciel libre, c’est-à-dire tôt ou tard… à tout le monde ».


Et puis l’on se souvient de sa lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007[5]. Elle reste plus que jamais d’actualité. Mais nous en sommes déjà à mi-mandat et le constat est là. « En vous demandant de prendre la mesure des enjeux du développement du logiciel libre pour la France, j’écris ces mots en tremblant: l’avenir en effet nous jugera. Ceux qui pouvaient agir et ne l’auront pas fait porteront une lourde responsabilité devant l’histoire ».


Le rapport Fourgous est une belle occasion d’agir, a fortiori si l’on prend ces quelques notes en considération.

Remarque : Vous pouvez également voir sur le Framablog cette interview de François Elie réalisée par Intelli’n TV à l’occasion de la sortie de son livre.

Notes de lecture du rapport Fourgous par François Elie

Précaution


Même si je suis un geek, très loin d’être un technophobe, je crois pour d’assez fortes raisons comme Alain que « l’enseignement doit être résolument retardataire »[6] (relire les Propos sur l’éducation). On ne commence pas par la fin !

Pour ce qui nous occupe, ce qu’il faut craindre, ce sont les séductions du numérique. Apprendre le clavier avant de savoir écrire ? Non ! L’école doit éclairer et exercer l’esprit. Elle doit nous rendre libres, et non nous habituer/enchaîner à telle ou telle interface. Alors on aurait peut-être du parler de l’école à l’ère du numérique. Mais cela n’a pas d’importance si ce n’est qu’affaire de mots. Disons qu’il faut vraiment craindre l’école numérisée.

Le numérique ?


Je n’ai pas vu que le rapport définisse le numérique. En philosophie nous avons tendance à nous méfier des fausses évidences. Le numérique, tout le monde saist ce que c’est ! Pas si sûr. Alors je développe un instant. Car au fait, c’est quoi le numérique ?


La codification digitale de l’information sur des supports informatiques a deux conséquences énormes.


La première conséquence : là où l’imprimerie avait édifié une interface de pouvoir entre celui qui écrit et celui qui lit, l’internet rend à chacun le pouvoir d’écrire. L’école à l’ère du numérique n’est pas une école où l’on apprend surtout à lire, mais une école où l’on apprend aussi à écrire.

Le rapport le mentionne, 41% des jeunes ont un blog. Pensera-t-on à l’inclure dans leur e-portfolio ? Apprend-on aux enfants à écrire dans Wikipédia? Est-ce le pays qui a fait naître l’Encyclopédie de Diderot (et où Arago a racheté le brevet du daguerréotype pour le donner au monde) doit aider au financement de Wikipédia ? Mais je pose peut-être de mauvaises questions. Le rapport mentionne la création, la participation, comme ingrédient et adjuvant des enseignements, sans doute. L’école numérique peut être plus enthousiasmante: elle peut être le lieu où l’on accède au savoir, où l’on apprend à le produire et à le partager.


La seconde conséquence : dans le monde du numérique, copier n’est pas reproduire[7]. La diffusion du savoir peut se faire à coût marginal nul.

Cela change tout (ou devrait tout changer) de la façon dont l’école se situe par rapport aux éditeurs de contenu. Cela bouscule les systèmes juridiques, les modèles économiques. On sent comme une hésitation dans le rapport sur ce point. J’y reviendrai.

Sur le contexte

Analogie avec l’arrivée de la télévision – J’appartiens à la génération qui a vu se développer la télévision: on ne s’en est pas servi ou si peu ou si mal à l’école. Il y aurait eu là un instrument formidable pour accompagner la massification. Il y avait là aussi une menace terrible. L’école n’a pas réussi à en faire un instrument, sans doute faut-il le regretter. Elle a su résister à s’en faire l’instrument. Il faut s’en féliciter. Il y aura deux manières de rater l’école numérique : ne pas réussir à intégrer le numérique dans les situations d’enseignement, réduire le système éducatif à n’être qu’un client pour des industries numériques. Nous devons craindre davantage ce second danger.


Souvenir

La France qui était un géant de l’informatique est devenue un nain. Elle a retardé par exemple son entrée de plain pied dans l’internet grâce/à cause du minitel. Il me semble qu’il faut considérer cela comme un élément de contexte. Parmi les freins: notre aptitude à nous tirer des balles dans le pied, à ne pas voir nos atouts. Que serait une ligne Maginot numérique ?


Sur la méthode. Il est toujours important de regarder ce qui se fait ailleurs. mais attention à « l’herbe est toujours plus verte ailleurs ». Il faut aussi regarder ici, d’ailleurs. Regarder ailleurs ce qu’on nous envie! On s’extasie à l’étranger sur le développement du logiciel libre en France et sur Sésamath (Serons-nous les derniers à nous en apercevoir, et à miser vraiment, réellement sur nos atouts, pas sur ceux que nous envions aux autres). Et puis on ne gagne pas les guerres avec les armes de la précédente.

Comment ne pas partager le diagnostic du rapport ?

  • En France, l’orientation ressemble trop à une sélection par l’échec.
  • « L’impact du milieu socio-économique de l’élève a en France une très forte influence sur ses résultats scolaires ». Autrefois on disait « l’ascenseur social est cassé ».
  • « La France fait partie des pays dans lesquels l’écart de performance entre les élèves est le plus important, même s’il y a peu d’élèves brillants et une forte proportion d’élèves très faibles ». Ce que je réponds à des amis qui me demandent si le niveau baisse: « non, l’écart se creuse ».
  • Le discours tenu sur les enseignants et sur l’école est catastrophique. La (dernière) priorité du rapport: « médiatiser les enjeux du numérique en valorisant le travail des enseignants ».
  • « 97% des enseignants sont équipés d’un ordinateur à leur domicile et si 94% l’utilisent pour la préparation de leurs cours, seuls 12% des enseignants utilisent les Tice dans un quart de leurs cours ». On les décourage ou quoi ? Pourquoi feraient-ils davantage ? Ils seraient mieux notés, mieux payés, mieux considérés ?

Il me semble qu’il faut fixer des objectifs, évaluer. Comment mesurer si les mesures préconisées ont été efficaces ? Finalement, plutôt que d’expérimenter sans évaluer, je me demande s’il ne suffirait pas parfois de seulement mesurer… On gagnerait du temps !


On mentionne l’Académie en ligne. Dispose-t-on d’une évaluation de ses premiers résultats ?

Sur le rapport, dans son ensemble

Ce n’est pas toujours très lisible, trop d’items, où l’on trouve mélangés des détails d’équipement et des principes. Sans doute la loi du genre.


J’ai tendance à penser qu’il faut réfléchir aux buts avant de réfléchir aux moyens. J’observe que le rapport commence par mesurer que le haut débit n’est pas assez utilisé en France et l’on y parle d’abord « équipement ». Revenons aux fondamentaux: aux frontons de nos écoles figure la devise de la République: liberté, égalité, fraternité. Regardons comment le numérique pourrait aider l’école à redevenir ou rester l’école.


  • La liberté – Je la vois dans les logiciels libres, et dans les ressources libres. Nous sommes le pays des Lumières. C’est là que le monde nous attend. Le rapport l’évoque, mais très timidement.

  • L’égalité – Le rapport ne s’indigne pas assez de ce qu’introduit actuellement le numérique à l’école: l’inégalité! Entre les collectivités de rattachement, entre les écoles, entre les classes, entre les élèves. Il n’y a pas besoin de développer en détail. On lutte contre la fracture numérique en grattant la plaie. Equiper c’est bien, rétablir l’égalité c’est mieux!

  • La fraternité – Il faut encourager le travail collaboratif, la coopération, la coopétition, les formes de communication asynchrones et distantes, la production d’un patrimoine commun de ressources. Entre les élèves évidemment, entre les enseignants sans doute, mais aussi et surtout entre tous les acteurs (en particulier ceux qui financent, et qui peuvent massivement mutualiser).

Mesure 2 – Tableau numérique interactif

Je suis un peu surpris que dans un rapport d’un tel niveau on préconise en mesure 2 le déploiement d’un outil particulier.


D’autant que les videoprojecteurs intègrent désormais cette fonction[8] ! Mais pas exactement au même prix…


Ces matériels doivent être interopérables ! Actuellement ce n’est pas le cas. Il y a des établissements avec des TBI de plusieurs marques différentes, incompatibles et a fortiori non interopérables.

Mon inquiétude générale


Mon inquiétude, c’est que l’école soit vue après ce rapport par les industriels comme un simple marché pour leurs produits. L’école vaut mieux que cela. Oui au « serious game » ! Mais par exemple le critère d’évaluation ne sera pas la santé de l’industrie du serious game, mais le progrès des élèves. Si l’on voulait faire du serious game libre, avec des systèmes-auteurs à libre disposition ce serait possible! Mais est-ce cela que l’on veut ?


Je vais prendre un exemple plus parlant.

À propos des handicapés

La situation des personnes handicapées en matière de nouvelles technologies est alarmante. Oui, les nouvelles technologies sont un formidable instrument d’accessibilité. Mais à quel prix ? Dans cette niche les marchands ne sont pas exactement des philanthropes. Vous savez combien coûte un système mécanique pour tourner les pages d’un livre ? Est-ce qu’il serait utile de financer un système de visio-conférence libre ? Vous imaginez les conséquences pour le développement du télétravail ? Le frein, ce n’est pas l’usage des outils, c’est le coût exhorbitant des outils ! Il faut choisir entre promouvoir les usages et promouvoir les outils.


Promouvoir vraiment les usages (et l’économie qui va avec) c’est libérer les outils !


Plutôt que d’aider les gens à se payer des logiciels… libérons les logiciels. L’économie autour des usages est plus rentable que le commerce sur les outils.

Sur l’enseignement de l’informatique

C’est une très bonne chose ! Au sein du groupe ITIC[9], j’ai suivi ce dossier. C’est une chose qui me tient à coeur. Mais s’est-on demandé pourquoi cet enseignement n’existait pas, avait été supprimé ?


Il faut aller au bout des choses: créer une inspection d’informatique, proposer un concours, avec une certification ouverte à la VAE[10]. Tout cela est bel et bon.


L’enjeu de fond reste toujours quand même : faut-il enseigner à utiliser ou à maîtriser. Je ne suis pas rassuré sur ce point. Faut-il enseigner à « maîtriser l’utilisation » ? La Finlande, c’est le pays où sont nés Linux et Nokia. Excusez du peu. Il faut croire qu’ils ont du chercher à vraiment comprendre comment ça marchait !

Sur l’enseignement des langues

Sur les langues j’ai écrit[11] l’an dernier à tous les départements, toutes les régions, au ministère, pour leur dire qu’il serait intelligent d’investir dans le développement d’LLSOLL[12], le labo de langue libre qu’avait commencé la ville de Genève.


Je suis un peu désabusé, même si j’observe qu’en matière de langues on met le paquet dans la réforme de la seconde (avec une inquiétude sur l’enseignement de l’allemand, mais c’est une autre histoire…).

Naïveté ?

Le logiciel qui renforce l’estime de soi « bravo, continue ». Les enfants ne sont pas dupes… Pour parler philosophie, disons que le désir de reconnaissance d’un sujet n’est pas exactement le désir d’être reconnu par un objet.

ADNE


L’idée d’une structure de coordination nationale est-elle une bonne idée ? Cela me rappelle la formule de Clémenceau : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission ».


Va pour l’Agence pour l’Accompagnement au Développement du Numérique dans l’Education (ADNE). La vraie question c’est: que devra-t-elle faire ?


Ce serait l’occasion pour faire du collaboratif entre acteurs de l’école, pour donner l’exemple : on n’enseigne que ce qu’on est !

Opportunité pour le soutien scolaire

Accompagnement à la scolarité. Il faut impliquer les enseignants, en profiter pour transformer les relations avec les élèves. Sinon les élèves iront chercher tous chercher ailleurs.


Il manque une offre logicielle de qualité en la matière ? Il faut faire développer, la mettre en libre et distribuer partout. Il y a 70.000 établissements scolaires. On paie 1 fois le développement en amont et on économise 70.000 licences. Cela devrait s’appeler de l’efficience non ?

À moins que l’on se prépare à faire payer 70.000 fois ceci, et 70.000 cela.

Les ENT

Le développement des ENT[13] a été un poème… On aurait voulu qu’ils ne se développent pas ou le plus lentement possible qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Passons…


Au lieu de se mettre autour d’une table et de financer en mutualisant un système libre qui puisse 1) être déployé vite et bien et 2) être maintenu correctement partout, on a laissé chacun se débrouiller, et on y est encore…


La région Ile de France vient de notifier un marché pour un ENT libre. I had a dream…

Mesure 27 – Développer un ENT spécifique pour le premier degré aux fonctionnalités adaptées, en particulier cahier de textes, et de liaison, pour la relation école-familles.

Si les enseignants doivent rentrer leurs notes, pourquoi l’Institution ne développerait pas en libre (ou ne racheterait pas un logiciel de notes pour le mettre sous licence libre), pour une ergonomie commune.

La forge de l’Adullact[14] l’accueillera avec plaisir.

À propos du haut débit


C’est très bien de mettre du très haut débit partout. Mais il faudra aller au bout de la démarche. Est-ce que cela va nous conduire à nous déplacer… pour avoir tout à disposition, comme dans le télétravail, qui existe déjà: on se déplace… pour télétravailler ! Le rapport le mentionne : le temps et le lieu de l’école vont devoir changer. Décidement le haut débit pour tous, ça touche à tout !


L’école numérique ce n’est pas l’école + le haut débit…

Mesure 14 – Exception pédagogique

Comme suppléant de Bernard Lang au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistisque[15], je crains que voter une exception pédagogique en urgence ne soit une contradiction dans les termes. Le test en trois étapes peut-il passer ?


Il y a pourtant une solution simple et très rapide à mettre en place : miser vraiment sur les ressources libres et ouvertes (logiciels et ressources documentaires).

Sur le pilotage

Je n’ai pas compris le but. Ou alors il n’est pas lisible. Mutualisation ?

Dommage qu’il ne soit pas question des développements logiciels d’ENT (à partir de la souche de Dijon par exemple[16]).

Mesure 23 – Favoriser les ressources libres et la mise à disposition de ressources non payantes


À première vue c’est formidable. Mais la mesure précédente, la 22, est un fonds pour soutenir l’édition propriétaire. Doit-on comprendre alors que l’on va encourager/favoriser les ressources libres… sans argent.

Pourtant elles sont comme les logiciels : elle sont gratuites une fois qu’elles ont été payées… Dire (tandis qu’on finance par ailleurs les marchands) à ceux qui produisent bénévolement un patrimoine libre avec le souci du bien commun « Bravo, merci, continuez », ce n’est pas vraiment les y encourager !

Le collaboratif

Sésamath est présenté comme une référence (son influence sur d’autres associations professionnnelles dans d’autres matières que les mathématiques en atteste assez). Le rapport encourage-t-il l’Institution à promouvoir à grande échelle cette exception française ? Et dans toutes les matières ?


Il y a comme une hésitation dans le rapport. Il faudrait que les enseignants collaborent, coopèrent, surtout pour se former. Le fait qu’ils aillent jusqu’à produire des contenus, et les plus adaptés, semble un peu embêtant…


Comment dire aux enseignants: collaborez, tandis que les contenus et les logiciels s’achèteraient ailleurs. Ca va forcément clocher quelque part.

Mutualisation : qui paie ?

Une certitude: ce sont les collectivités qui paieront. Habituellement c’est celui qui paie qui finalement décide. (C’est celui met la pièce dans le juke-box qui choisit la musique).


Il y a deux scénarios possibles:


  • Mutualisation tous azimuts: on rétablit et on assure l’égalité en pariant sur les ressources logicielles et documentaires libres et ouvertes (ENT, visio-conférences, laboratoires de langue, forges de développement de ressources, outils d’administration, etc.)

  • Pas de mutualisation, les régions, départements et communes riches s’équipent richement et le fossé se creuse.

Dans les deux cas l’industrie du numérique se développera… mais dans le second cas l’école numérique sera une autre école.

Priorité forges de développement : ce qu’il faudrait bâtir

Le rapport parle de la mise en place de plate-formes collaboratives. Plus que des lieux de rencontre, ce sont des lieux de production: les places de marchés sont là, pas ailleurs !

C’est là que se produisent les ressources (logicielles et documentaires).


Conclusion:


Pourvu qu’on ne soit pas en train de passer à côté d’une opportunité formidable, en se trompant sur ce qu’est l’Economie Numérique. On risque de déplacer un modèle de l’édition (d’outils et de contenus) qui est totalement inadapté, et qui va se fonder sur des modèles instables et transitoires. Cela fera peut-être la fortune de quelques habiles, mais l’école en tirera-t-elle bénéfice? C’est ce que je saurais dire…


Ce que j’espère ? Que les collectivités, qui vont payer, aillent vers la mutualisation, pour produire ensemble des resssources libres. Mais je ne sais pas si ce choix sera fait, car il n’est pas simple d’organiser cette mutualisation et d’inventer. Mais à coup sûr nous aurions là une école à donner au monde !


De toutes manières, nous aurons l’école numérique que nous méritons.

Notes

[1] Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales : http://adullact.org et http://adullact.net

[2] Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres : http://aful.org

[3] Le rapport Fourgous dans son intégralité + brochure de synthèse

[4] Économie du logiciel libre – François Elie – Éditions Eyrolles – Novembre 2008

[5] Lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 – François Elie – Février 2007

[6] Voir cette formule reprise par André Maurois

[7] Pour le dire d’un mot: pour reproduire une automobile dans le monde réel, il faut en construire une; mais copier une ressource numérique ou un logiciel n’est pas le reconstruire, c’est le copier, et la copie du logiciel fonctionne aussi, et le livre est en deux exemplaires! Il est évident qu’on ne peut pas penser l’articulation de la production et de la diffusion des objets numériques comme dans le monde de choses !

[8] Voir Deux nouveaux vidéoprojecteurs « révolutionnaires» présentés au Bett 2010

[9] Groupe de travail ITIC au sein de l’ASTI

[10] VAE pour la Validation des Acquis de l’Expérience

[11] La lettre au sujet de la mutualisation du projet LLSOLL

[12] LLSOLL (Laboratoire de langues en Standards Ouverts et Logiciels Libres)

[13] ENT pour Espace numérique de travail

[14] Forge Adullact

[15] Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique

[16] Le projet Eole