Aujourd’hui, c’est la Fête des Administrateurs Système ! Le moment de dire merci à ces hommes et ces femmes de l’ombre, sans qui notre vie informatique serait très différente… Chez Framasoft, nous envoyons plein de bisous à notre admin sys à nous, Luc (alias Framasky) !
Aujourd’hui, quittons un peu l’ambiance morose et faisons un petit point sur l’avancement du projet Dégooglisons Internet…
Ça dégooglise pépère
Bon. On n’va pas s’mentir, entre les religio-zinzins amoureux de la gâchette qui flinguent à tout-va et nos propres politico-zinzins qui mettent le pays entier sur écoute, soi-disant pour repérer les religio-zinzins susnommés (même si, en fait, on les repérait déjà avant), l’année 2015, pour l’instant, c’est pas folichon.
Mais trêve de Sirius Black sinistrose, parlons un peu de ce qui va bien.
Par exemple, chez nous, à Framasoft, on se débrouille. On dégooglise, petit à petit, comme on l’avait annoncé à l’automne dernier.
Déjà, puisque Google a décidé de fermer sa forge et Sourceforge de déféquer dans la sienne, on s’est dit que c’était le moment d’ouvrir notre forge à nous au public.
Comme on est un peu monomaniaques, on a aussi sorti plein de Framatruc et de Framabidules.
Bon, du coup, sur les noms, on a aussi essayé d’innover un peu :
(Au passage, je vous conseille d’accéder à http://huit.re/caca/, ça vaut le détour !)
Le summum de l’innovation a été atteint à l’AG de janvier où nous avons tenté de nous mettre d’accord sur le nom du moteur de recherche. Autant vous dire que ça n’a pas été de la Framatarte…
Après 12 heures de discussions arrosées acharnées, nous avons finalement décidé de couper la poire en trois.
Ça a l’air d’être un peu le boxon, comme ça, mais on consolide aussi l’existant, notamment notre tête d’affiche Framapad qui prend du poil de la bête !
Et puis bien sûr, votre serviteur n’est pas en reste puisque, non seulement Framasoft héberge le nouveau blog BD libre « Grise Bouille », mais plus de 30 dessins ont également été ajoutés à GéGé*, le Générateur de Geektionnerd !
Remarquez que, question nom, ça partait déjà en sucette.
Voilà… dégoogliser, ça ne se fait pas en un jour, mais on avance.
Et surtout, n’oubliez pas que la dégooglisation, c’est avant tout avec vous et même chez vous qu’il faut la faire !
Et bien sûr, vous pouvez retrouver ces nombreux projets en ligne :
L’été arrive, avec lui son lot de vacances, siestes… et des moments où l’on prend enfin le temps de lire, tranquillement installé sur sa serviette, son fauteuil, sa chaise longue…
Le petit Dupuis-Morizeau est comme ses parents : il ne se sépare jamais des 3-4 livres qu’il dévore à tour de rôle. Pour ne pas surcharger sa valise, il lit des ebooks sur son téléphone, attendant son prochain anniversaire afin de pouvoir lire sur une tablette (comme son beau-père, féru de BD) ou une liseuse (comme sa mère, qui aime son confort de lecture).
C’est en pensant à la famille Dupuis-Morizeau que nous avons ouvert un catalogue de livres électroniques Libres : Framabookin !
Le Domaine Public et Framabook à portée de doigt
Framabookin (prononcez « bouquine ») est un catalogue OPDS. Derrière cet acronyme barbare (Open Publication Distribution System) se cache en fait la possibilité de présenter, sur un seul lien, toute une collection de livres électroniques avec leurs couvertures, résumés, auteurs, etc. Une base de données dans laquelle vous pouvez regarder, rechercher, et (re)trouver l’ouvrage que vous désiriez.
Il vous suffit donc de suivre notre tutoriel pour ajouter ce catalogue dans votre application de lecture préférée (par exemple l’application libre FBReader) ou fureter dans son interface web depuis le navigateur de votre tablette/liseuse pour accéder, en deux tapotages et trois glissés, à tous les livres libres que nous avons collectés pour vous.
Afin de fournir ce catalogue, nous avons hébergé un dépôt de la collection Bibebook. Bibebook, c’est une équipe de passionné-e-s qui ont pris des ouvrages du domaine public pour en faire des ebooks bien édités, aux données claires et joliment formatées… en somme, faits pour être agréablement lus sur liseuses. Malgré une surcouche de droits éditoriaux (licence CC-BY-SA) sur des ouvrages relevant du domaine public, il faut reconnaître que leur travail éditorial est admirable et qu’ils nous permettent ainsi d’aisément proposer les grand classiques de notre culture tels Hugo, Zola et Baudelaire, à portée de wifi.
Bien entendu, nous avons aussi inclus dans ce catalogue la collection des Framabooks. Du roman de Lily Bouriot aux BD de Gee en passant par nos manuels ou la biographie de Richard Stallman, toute la collection des livres concoctés par la communauté Framasoft pour votre plus grand plaisir est présente au rendez-vous et n’attend plus que votre dévorante envie de lire.
À vous de créer les catalogues de vos rêves
Framabookin n’a pas vocation à devenir LE catalogue du Libre, pas plus que Framasoft ne souhaite se transformer en GAFAM Libriste. Auteur-e-s, inutile donc de vous précipiter sur votre clavier pour nous envoyer votre dernier ouvrage sous licence libre afin que nous l’y intégrions : nous n’avons pas une armée de bénévoles prête à devenir un comité éditorial (mais n’hésitez pas à proposer vos ouvrages à la collection framabook).
Comme toujours avec nos services de la campagne Degooglisons Internet, l’objectif est triple :
Vous sensibiliser au fait que quelques grands acteurs (Amazon, Google livres, Itunes bookstore) monopolisent la diffusion de la culture numérique, malgré le boulot formidable de projets alternatifs (Gutenberg, Wikisource, Bibebook, etc.) ;
Vous démontrer qu’il est possible (et facile) d’héberger soi-même son propre catalogue, de proposer ses collections de livres Libres pour sa famille, son établissement scolaire, son association, son entreprise…
Vous inciter à essaimer, à devenir vous même le concurrent d’Amazon & consorts, en vous proposant un tutoriel qui retrace pas à pas comment nous avons fait pour héberger Framabookin.
Bonnes Lectures !
Alors oui : LE catalogue rassemblant TOUS les ebooks libres francophones reste à inventer… Mais en attendant d’avoir la joie de relayer une telle initiative, nous avons hâte de découvrir VOTRE catalogue, celui qui reflètera vos goûts et vos choix éditoriaux.
Et surtout, d’ici là, nous vous proposons de faire comme la famille Dupuis-Morizeau et de farfouiller parmi des centaines et des centaines d’ouvrages Libres qui se téléchargent sur n’importe quel appareil en allant à une seule adresse :
Être auteur libriste, c’est vraiment agréable. Comme on n’est plus dans la méfiance de son lectorat, la relation devient complicité. On reçoit des tonnes d’aide pour un crowdfunding, on se fait héberger gratis pour écrire un roman (qui-est-en-retard-pas-taper ^^), on recoit des dons régulièrement… Et puis parfois y’en a qui abusent.
Le droit d’auteur, c’est pour les peureux
Mes pièces de théâtre, mes romans et même mes vidéos sont dans le Domaine Public Vivant. Par le biais de la licence CC-0, je propose un contrat à qui n’en veut : vous pouvez faire ce que vous voulez de mes œuvres. Les distribuer, les diffuser, en faire des spectacles, les modifier, traduire, adapter, remixer… et même les revendre. À chaque fois que je parle de cela, entre ami-e-s ou en conférence, me revient inlassablement la même question :
« Mais, Pouhiou, que ferais-tu si quelqu’un se mettait à vendre tes œuvres sans rien te reverser ? »
La réponse, elle est simple, et elle m’a été donnée par l’artiste-peintre Gwenn Seemel : faire des bisous à qui s’intéresse assez à mon œuvre pour vouloir la vendre, voir comment ce vendeur fait (et le copier si ça m’intéresse : il n’y a pas d’exclusivité !) ; et surtout : tout raconter de cette histoire sur les Internets.
Le Domaine Public Vivant des saloupiauds.
Et voilà que ça arrive. Voilà que je retrouve, par hasard sur les Internets mes deux premières pièces de théâtre vendues à moins de 4 € en ebook sur Amazon : Tocante, un Cadeau Empoisonné et sa suite AndroGame, un Sex-Toy Angélique. Un vendeur que je n’identifie pas, mais qui lui me mentionne en tant qu’auteur (quitte à faire de mon prénom une tautologie en me nommant « POUHIOU Pouhiou »).
Au départ, franchement, je me réjouis. Je n’aurais jamais pris le temps de déposer ces fichiers sur Amazon, je le considère comme un ogre sans tête ni respect.
Mais très vite, je déchante… C’est sale. C’est parfaitement légal, hein, mais c’est franchement un travail de saloupiaud. Et ce pour plusieurs raisons :
Les ebooks utilisés sont les fichiers que j’ai réalisés moi-même, sans aucun ajout éditorial. Le seul « apport » est la conversion de ces fichiers au format .mobi, ce que n’importe quelle moulinette sait faire, et que les personnes enfermées par l’achat d’un Kindle peuvent réaliser à l’aide du logiciel libre Calibre.
Les méta-données ont été faites selon la méthode de La Rache par un robot programmé avec les pieds. Mon nom en capslock. Les résumés de ces pièces sont en fait les premiers mots des fichiers epub… Donc un sous-titre dans le cas de Tocante, et la dédicace pour AndroGame. Cela vous place en position de vache à lait qui ne saura même pas que la première pièce est un suspense humoristique sur la mort et le suicide, et que la deuxième est une comédie confrontant un homme qui ne veut plus de son pénis et un ange qui aimerait bien en avoir un.
Last but not least, c’est une arnaque pour les personnes enfermées dans le magasin Amazon. Aucun moyen de savoir que ces œuvres relèvent du Domaine Public Vivant (à moins de payer …) et encore moins de savoir qu’on peut les télécharger librement et gratuitement sur mon site.
Bonus saleté : c’est une infraction claire aux Conditions Générales d’Utilisation de KDP (la plate-forme d’édition d’Amazon) qui stipulent que l’on doit fixer ses prix afin que l’ebook soit le moins cher sur le marché (or sur mon site, c’est gratuit !).
Et le saloupiaud est… Amazon itself !
Cela fait plus d’un an que je suis au courant. Plus d’un an que j’ai vu cette arnaque et que je n’ai pas pris le temps de faire quoi que ce soit, parce que je préfère créer et militer que gueuler (et tenter de gagner ma vie entre deux, parce qu’il parait qu’il le faut ^^).
Je parle souvent de cet exemple en conférence, en disant que je m’en fous. Aujourd’hui, en préparant un article blog pour Framasoft, j’en reparle avec les copaings de l’asso. On s’amuse à lâcher des commentaires sur les pages amazon de Tocante et d’AndroGame avec Framasky. Je twitte ça, content d’avoir pris le temps de troller un peu…
Jusqu’à ce que, sur Twitter, @JulioDeLaPampaS m’envoie l’identité du saloupiaud qui vend mal mes ebooks en contrevenant aux CGU d’Amazon… Je vous le donne en mille :
Oui.
Oui.
J’ai vérifié : Amazon Media EU S. à r. l. c’est bel et bien Amazon.
Ça vous dit une shitstorm sur Amazon ?
Alors voilà, j’écris enfin cet article que je me devais de faire depuis plus d’un an.
Pour vous demander votre aide.
Parce que c’est légal ET c’est sale.
Si vous avez un compte Amazon qui traîne (je vous en supplie, n’en créez pas un pour l’occasion !) venez vous amuser à commenter et dénoncer le fait que quiconque achètera ça se fait juste pomper du fric pour rien par le deuxième A de GAFAM. Noyons ces pages sous des commentaires drôles et libres (ou sous des sujets de forums qui, eux, ne sont pas modérés ^^) que je lirai avec délices :
Si vous avez le temps et l’envie, allez télécharger mes œuvres sur mon site web et vendez-les à votre tour sur Amazon, et ailleurs, partout où vous voulez… Faites de la concurrence au robot-sagouin d’Amazon, submergez leur publication pourrie sous la marée des vôtres, en proposant un joli résumé, de belles méta-données, et gardez l’argent bien mérité (ou profitez-en pour soutenir Framasoft ^^).
Si vous êtes une librairie en ligne (ou un diffuseur d’ebook), proposez-les sur votre catalogue en montrant que vous faites un meilleur boulot que le robot-boulet d’Amazon et je promets de parler de vous.
Si vous aimez le théâtre, pensez aussi à les lire, les partager, voire à les produire sur scène (je rêve d’en être un jour le spectateur, moi qui les ai jouées si longtemps !).
Parce que c’est à Nous.
Ces œuvres sont dans notre Domaine Public. En proposant cette licence, j’ai voulu qu’elles vous appartiennent à vous comme à moi. Parce que nous sommes bien plus forts et importants qu’une multi-nationale sourde et aveugle.
Je vous fais confiance pour défendre ce qui nous appartient, et que personne, pas même le géant Amazon, ne peut tenter de s’approprier ni d’enclore impunément.
Les bisous préconisés par Gwenn Seemel, j’ai pas envie de les faire à Amazon, mais à vous.
EDIT 01 : Amazon est synchro, juste en publiant cet article, je reçois des emails comme quoi mes commentaires sont refusés car ils ne respectent pas les « Guidelines » du commentaire Amazon. Quelle surprise !
EDIT 02 : Sur twitter, Jiminy Panoz me signale que tous les ebooks vendus via KDP (plate-forme d’auto publication) ont « Amazon EU Sàrl » comme vendeur… et que la meilleure manière de troller c’est d’utiliser le bouton « signaler un prix inférieur » comme sur l’image ci-dessous ! Amusez-vous bien !
#FixCopyright : le bilan du vote par Julia Reda
Hier, la commission JURI du Parlement européen s’est réunie pour voter la version finale du rapport Reda, le rapport visant à dépoussiérer et harmoniser le droit d’auteur au niveau européen) avant que de le présenter au parlement.
Julia Reda a présenté sur son blog une analyse détaillée de ce qu’est devenu le rapport après des mois de tractations afin qu’il soit accepté par l’ensemble de la commission.
L’équipe framalang, armée de cafetières et de courage, a œuvré toute la nuit pour vous fournir une traduction de cette analyse. Sachez que la directive qui résultera de ce rapport durera au moins quinze ans… D’où l’importance d’avoir fait peser nos voix dans le débat aujourd’hui (et jusqu’à la séance plénière du Parlement entérinant le rapport en une directive).
Le Rapport Reda est adopté : un tournant dans le débat sur le droit d’auteur.
Aujourd’hui, la commission des affaires juridiques du Parlement européen (Ndt : la commission JURI) a approuvé à une large majorité une version amendée de mon rapport d’évaluation du droit d’auteur (le texte adopté n’est pas encore disponible, je mettrai un lien vers le document dès qu’il sera mis en ligne).
Le rapport, dans sa version modifiée, a été accepté par tous les groupes politiques — les deux seuls votes contre provenant de parlementaires européens de l’extrême-droite française (Front national).
Au travers de ce rapport, le Parlement reconnaît qu’une réforme du droit d’auteur est d’une urgente nécessité, pas seulement pour améliorer le Marché unique numérique, mais aussi pour faciliter l’accès à la culture et à la connaissance à tous les Européens. Ce rapport appelle la Commission européenne à prendre en compte une grande variété de mesures pour permettre aux lois qui régissent le droit d’auteur de se mettre en phase avec les réalités en perpétuelle évolution du numérique ; et d’améliorer l’accès transfrontalier à la diversité culturelle européenne, en allant plus loin que les réformes annoncées depuis longtemps par les commissaires.
Ce rapport marque un tournant dans l’approche du droit d’auteur en Europe : après des décennies pendant lesquelles les lois se sont concentrées sur l’introduction de nouvelles restrictions pour protéger les intérêts des ayants droit, il s’agit de la plus forte demande à ce jour de reconsidérer les droits du public — des utilisateurs, des institutions culturelles, des scientifiques ainsi que des auteurs, qui bâtissent aujourd’hui sur les fondations d’hier. C’est un appel à la réduction du flou juridique que les Européens subissent dans leurs interactions de tous les jours avec les contenus soumis au droit d’auteur, tout en protégeant les créateurs contre l’exploitation. Les propositions émises dans ce rapport, si elles sont mises en œuvre, n’auront aucun effet négatif important sur les revenus des créateurs, mais augmenteront grandement la capacité de chacun à participer à la culture et à l’éducation.
Pour la première fois, le Parlement demande des normes minimales pour les droits du public, conservés précieusement dans une liste d’exceptions au droit d’auteur, dont l’application par les États membres a été jusqu’ici complètement facultative. Le rapport met l’accent sur le fait que l’usage de ces exceptions ne peut pas être entravé par des contrats restrictifs et que les dispositifs de gestion numérique des droits (DRM) ne peuvent restreindre votre droit à faire une copie privée d’un contenu légalement acquis.
L’introduction de nouvelles exceptions est aussi posé, nommément à savoir :
autoriser les bibliothèques et les archives à numériser leurs collections efficacement ;
permettre le prêt de livres électroniques via Internet ;
autoriser les analyses automatiques de grandes portions de texte et de données (exploitation de texte et de données).
Pas de majorité parlementaire pour la majorité du public
Ceci étant dit, atteindre un consensus sur ce rapport a nécessité des concessions. Il s’est avéré impossible de construire une majorité parlementaire autour de plusieurs idées relevant du bon sens et demandées par la grande majorité de ceux qui ont répondu à la consultation publique que l’Union a conduite l’an dernier, des idées qui ont été complétées par des études scientifiques et des témoignages d’experts.
Le rapport ne demande plus à ce que toutes les exceptions soient obligatoires sur l’ensemble du territoire européen, ce qui aurait empêché de fermer à la frontière les droits des Européens à interagir avec des œuvres sous droit d’auteur.
Il n’y a pas eu de majorité pour une norme flexible et ouverte, ce qui aurait permis à la législation de couvrir de futurs développements qu’on ne peut prévoir à ce jour.
Au lieu de réduire sensiblement les délais de protection du droit d’auteur, ce qui aurait résorbé l’effet « trou noir du 20e siècle » où une large partie de notre histoire culturelle récente est devenue indisponible car elle n’est plus commercialement viable, mais est encore protégée, le Parlement n’a pu se résoudre qu’à appeler à la fin des extensions des délais de protection, et à éliminer les allongements nationaux à la durée de protection, comme en France où les héros de guerre bénéficient de 30 années supplémentaires pour leurs œuvres.
Les œuvres créées par des institutions publiques vont encore être sujettes au droit d’auteur, apparemment pour les protéger du peuple souverain qui a financé leur création, on demande seulement à la Commission de simplifier leur réutilisation.
Les grands groupes politiques n’ont pas seulement tourné le dos à ces idées qui ont rencontré un immense soutien populaire, selon la consultation ; ils ont spécifiquement insisté pour que la mention du nombre sans précédent de réponses d’utilisateurs finaux soit supprimée du rapport.
Nous avons assisté à un succès sans précédent de participation à la vie politique sur ces questions de droit d’auteur — et nous devons le rappeler régulièrement à nos représentants politiques. Il est inacceptable qu’autant de voix soient ignorées.
La nécessité d’un compromis a aussi eu pour conséquence un affaiblissement significatif du langage dans le rapport. Là où mon rapport initial posait des exigences audacieuses, la version finale demande maintenant seulement à la Commission d’évaluer certaines idées. Malheureusement, cela ne permet pas de mettre le Parlement en position de force dans le débat qui va suivre sur la proposition de loi.
Nous avons essuyé deux coups durs.
Sur certains points, il était impossible d’arriver à un compromis, donc cela s’est soldé par un vote :
Au sujet de la liberté de panorama, un amendement a été adopté avec le soutien du groupe S&D (Ndt : Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen), précisant que l’usage commercial d’enregistrements et de photographies d’œuvres dans des lieux publics requiert la permission des ayants droit , disposition qui menace le travail de nombreux artistes et la légalité de plateformes commerciales de partage de photos comme Instagram et Flickr. Les réalisateurs de documentaires, par exemple, devraient demander la permission de tous les architectes, ainsi que celle de tous les artistes, dont les constructions, graffitis ou statues apparaissent dans le film.
Du fait de l’abstention des deux parlementaires GUE/NGL (Ndt : Confederal Group of the European United Left/Nordic Green Left, Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique), nous n’avons pas été en mesure de faire adopter un amendement autorisant la citation audio-visuelle, de manière à ce que le droit de citation ne s’applique plus qu’aux textes, mais soit étendu à toutes les formes d’expression culturelle. Cela signifie que les YouTubers et les podcasters resteront hors-la-loi, et que des pratiques aussi communes et répandues que les détournements en GIF resteront illégales.
Mais nous avons aussi contré beaucoup de propositions néfastes
Plus de 550 amendements ont été enregistrés pour modifier mon rapport initial — parmi lesquels des douzaines qui auraient eu des effets négatifs durables sur les droits collectifs et les libertés sur Internet. Durant les négociations, j’ai pu prévenir un grand nombre de ces menaces. Quelques exemples :
Les rapporteurs fictifs représentant les groupes PPE (Ndt : European People’s Party, Parti populaire européen) et ECR (Ndt : European Conservatives and Reformists Group, groupe des Conservateurs et Réformistes européens) ainsi que onze autres députés européens ont fait enregistrer cinq amendements qui cherchaient tous à effacer toute mention positive du domaine public (des œuvres non protégées par les droits d’auteur ou dont la durée de protection a expiré). Le rapport final maintient un vigoureux appel à sauvegarder notre richesse culturelle commune et à garantir que les œuvres appartenant au domaine public restent dans le domaine public quand elles sont numérisées.
La tentative d’un membre allemand du PPE de demander l’introduction d’un droit de copie connexe pour les éditeurs de presse a aussi été rejetée. En Allemagne et en Espagne, l’introduction d’une telle loi a entraîné des restrictions importantes à l’usage des liens internet et a fait peser une énorme menace sur l’innovation sur le Web, tout en n’apportant aucun gain réel aux éditeurs d’information.
Le rapporteur fictif du PPE, accompagné de onze autres députés européens, a soumis un amendement statuant que les « solutions fondées sur le marché » étaient la réponse qui permettrait aux bibliothèques de prêter des livres numériques — rejetant le fait que les bibliothèques ont besoin d’une base légale élargie pour prêter en ligne de la même façon qu’elles en ont une pour leur travail hors-ligne. La version suivante ne contient pas ces termes, et insiste sur le fait que le chemin à suivre est une exception légale pour le prêt numérique.
Un député allemand du groupe PPE a fait enregistrer un amendement explicitement laudateur envers les verrous numériques qui empêchent souvent les utilisateurs d’exercer les droits qui leur sont conférés par les exceptions aux droits d’auteur. Le compromis, à l’inverse, proclame de façon non équivoque que le droit de faire des copies privées ne doit pas être limité par la technique.
Plusieurs amendements proposés par le rapporteur fictif du groupe ADLE (Ndt : groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe) et plusieurs députés européens du groupe S&D appelaient à criminaliser le partage de liens amenant sur des pages contenant des reproductions non-autorisées d’œuvres soumises au droit d’auteur — criminalisant les liens hypertextes, la pierre angulaire sur laquelle est construite le Web. À la fin, nous avons trouvé un compromis en oubliant totalement ce sujet, ce qui garantit que le rapport n’aggravera pas la situation actuelle.
C’est une étape d’un long voyage[1]
Le combat n’est pas terminé : le 9 juillet, la séance plénière — la totalité des 751 députés — se prononcera sur le rapport. Nous pouvons encore remporter des victoires contre les parties les plus néfastes de ce texte.
Je continuerai à me battre contre les mauvaises idées qui se sont glissées dans ce rapport, et pour demander à ce que de bonnes y soient intégrées.
Je compte sur vous !
[1] la route est longue, mais la voie est libre ! 😉
Action politique et biens communs en Catalogne
Le mois dernier, les médias ont abondamment montré et commenté la victoire électorale des militants de la mouvance « Indignés ». Ils ont en revanche plus parcimonieusement évoqué le programme, l’esprit et les convictions des responsables qui vont bientôt être aux commandes de Barcelone.
Le témoignage de l’universitaire Mayo Fuster Morell suggère que les valeurs et les pratiques du Libre ne sont pas étrangères à cette victoire, ce qui pourrait — rêvons un peu — servir d’exemple à d’autres pays européens confrontés à l’austérité. Ce relatif investissement du Libre dans le champ de la politique a de quoi nous réjouir : voilà longtemps que le Libre n’est pas seulement du code ou de l’art. Culture et objets libres gagnent aussi du terrain désormais. À Barcelone, on en est peut-être au libre citoyen.
Le 24 mai, les candidats de la liste « Barcelone en commun » (Barcelona en Comú) ont remporté les élections municipales en réunissant sur leur nom un quart des suffrages exprimés. « Maintenant Madrid », une candidature aussi liée à l’éthique des communs, est devenue une force clé pour la gouvernance de la ville de Madrid. Ce ne sont que deux des nombreuses surprises survenues hier lors des élections municipales et régionales en Espagne. Ces villes pourraient donner le signal d’un changement politique plus vaste. Les résultats électoraux ont ouvert la voie à un scénario optimiste pour une chance de victoire aux élections nationales à la fin de cette année, ou même à un mandat plus ambitieux encore, une coalition européenne des pays du Sud contre l’austérité.
Irruption de candidatures citoyennes
Le Parti populaire et le Parti socialiste restent les principaux partis politiques, comme c’est le cas depuis la transition démocratique de la fin des années 70, mais le pouvoir politique habituel a encaissé une grosse claque. La part de ces deux formations a chuté de 65 % lors des précédentes élections il y a 4 ans à 52 % au niveau national. Le renouvellement ou plutôt le changement des forces politiques en présence a été provoqué […] par la création de nouveaux partis : tel est le cas pour les « Citoyens », qui se sont imposés avec force comme un nouveau protagoniste de poids dans la vie politique. Cette irruption des candidatures citoyennes a été aussi impressionnante que rapide. Elle a contribué à l’augmentation d’au moins 5 points de la participation au scrutin.
Seulement quatre ans après que les Indignés du mouvement du 15 mai se sont mobilisés pour « une vraie démocratie maintenant » en opposition aux hommes politiques « qui ne nous représentent pas » et à la « dictature des marchés », l’impact de leur mouvement est désormais si visible qu’il ne peut plus être démenti. Les listes de candidature sont pleines de personnes venant du réseau des mouvements sociaux. Pour en donner une idée, Ada Colau, militante connue pour ses actions contre l’expulsion des activistes et des squatters va être le prochain maire de Barcelone. C’est l’ironie de l’Histoire : une militante anti-expulsion « expulse » les politiciens traditionnels de la mairie. Si l’on regarde la trajectoire des leaders du mouvement, on peut également dire que le cycle a démarré avec le mouvement anti-mondialisation (l’origine de Colau ou de Pablo Iglesias, le leader de Podemos/Yes we can), mais qu’il a réussi à mobiliser une fois encore la génération qui s’est battue contre le régime de Franco pour ramener la démocratie en Espagne (c’est de là que vient Manuela Carmena de « Madrid maintenant », une juge en retraite et très probable future maire de Madrid).
En ce qui concerne leurs programmes, la première chose à souligner est la place centrale réservée aux plans d’urgence pour secourir les citoyens qui étouffent sous les politiques d’austérité, tels que la mise en œuvre de différentes variantes d’un revenu de base, et la révision de la privatisation des services publics. Un code d’éthique existe pour contrôler les personnels politique en ce qui concerne la transparence, la fin de leurs privilèges (par ex. une limitation des indemnités à 29 000 € par an) et leur engagement à soutenir les initiatives citoyennes.
Au-delà du poids politique, c’est fascinant d’un point de vue organisationnel. En moins d’un an et sans aucun lien avec les mondes politique, économique, judiciaire ni avec le pouvoir médiatique existant, des citoyens ordinaires joignant leurs forces ont été capables de conquérir des positions importantes dans le système politique. Une victoire de David contre Goliath. Pour cela, ils ont associé le financement participatif, les programmes collaboratifs, les assemblées de voisinage, et le vote en ligne. Ils ont aussi, comme le leader de Podemos, bâti leur succès sur la popularité obtenue par leur propre programme télé.
Que disait la chanson ? « Prenons d’abord Barcelone, puis nous prendrons Manhattan ? » En effet, certains travaillent là-dessus. Une délégation d’activistes de New-York a parcouru l’Espagne pendant la campagne afin d’apprendre de cette expérience et « d’exporter » un tel soulèvement du peuple dans leurs propres villes. Il y a de nombreuses leçons et idées à en tirer. Voici quelques sources d’inspiration que je vous suggère d’envisager, pour démarrer un processus similaire dans d’autres pays.
L’effet CC
Un des combats citoyens (surtout chez les jeunes) qui a précédé et ensuite nourri le mouvement du 15 mai a vu le jour en réaction contre une loi imposée par le gouvernement, réprimant le partage en ligne et la culture libre (Loi Sinde de décembre 2010). Dans une large mesure, ce mouvement de culture collaborative sur le Web a réagi comme le fit Lessig en 2008, qui est passé des « Creative Commons » à « Change Congress » (« Changeons le Congrès ») . Au départ concentré sur les politiques sectorielles en lien avec la propriété intellectuelle et la régulation d’Internet, il a évolué pour appréhender le fait que défendre ces libertés est nécessaire pour transformer le système politique dans son ensemble. Au cours de cette évolution, les modèles de la culture libre et du travail collaboratif sont devenus une voie à suivre pour organiser la protestation politique.
[…]
En somme, les secteurs ayant de l’expertise dans les méthodes de co-création et coopérant grâce aux ressources en ligne ont un grand potentiel politique.
Le modèle « d’innovation cachée » de Wikipédia
Même s’il existe de grandes innovations dans les structures, il faut que le discours soit « simple » voire « strict ». Mako Hill a étudié comment Wikipédia a pu réussir en 2001 alors que d’autres tentatives de création d’encyclopédie en ligne avaient échoué. Une de ses conclusions est que Wikipédia a adopté un concept très simple à comprendre, tout en étant très innovant dans son fonctionnement. Il s’est fermement accroché à la notion traditionnelle d’encyclopédie : une idée vieille de plusieurs siècles qui est simple à comprendre. De la même façon, on peut dire la même chose ici. Le discours qui a pu faire grossir les votes en faveur d’un profond changement politique en Espagne n’est ni avant-gardiste ni particulièrement innovant, mais il est populaire, compréhensible par chacun et relié aux besoins fondamentaux. Quelques points se rapprochent de la démocratie radicale proche de Laclau et Mouffe. C’est un « combat » de bon sens, pour obtenir une hégémonie. Pendant ce temps, des modèles plus avant-gardistes, comme les nouveaux partis ayant un discours « innovant » et une identité sur Internet tels le Parti pirate ou le Parti X, sont pertinents en terme de conception d’organisation mais ne parviennent pas à mobiliser les votes du grand public (aux dernières élections européennes, le parti X a recueilli 0,64 % des voix). En somme, il faut des méthodes innovantes associées à un discours pour le peuple, en lien avec un programme portant sur les besoins fondamentaux.
La base et le sommet
Ces principes d’organisation ne sont ni du sommet vers la base, ni de la base vers le sommet, ils sont « de la base et du sommet ». Pour être plus précis : « un sommet facilement identifiable travaillant pour une base disséminée ». Ces forces s’appuient sur des leaders forts, mais aussi sur le développement d’une base collaborative et libre d’agir. Un concept-clé est le « débordement ». Il se réfère à la capacité de perdre le contrôle du processus, et à la liberté d’agir laissée à ceux qui s’engagent dans le processus. L’augmentation de la créativité des actions et des soutiens hors du contrôle du « parti » semble être un des points pertinents dans le succès de ces méthodes (c’est le cas pour le mouvement de création graphique autour des candidatures). De plus, il n’existe pas de frontière précise entre qui est membre du « parti » et qui ne l’est pas, il n’y a pas de rituels pour dire qui est dedans et qui n’y est pas, c’est l’implication personnelle au travers de l’action qui permet d’être membre. Les leaders ont tout de même une présence forte, leurs visages sont devenus des symboles-clé du processus (c’est-à-dire que sur le bulletin de vote ne figure pas le logo du parti mais la photo du leader). Des symboles visuels sur un Internet visuel mais, même avec Internet, la télévision reste toujours un moyen-clé de communication. En particulier, l’association des leaders et de la télévision est un moyen-clé de communication vers les milieux populaires, ceux qui ne sont pas touchés par les mouvements sociaux de la classe moyenne relayés par Internet. La crédibilité des leaders se construit sur leur capacité à communiquer et sur un engagement social de longue date. Les candidatures féminines – peu importe leur âge – (les femmes sont en tête de liste dans des villes comme Barcelone, Madrid et Valence) ont une plus grande capacité à augmenter les votes car elles transmettent l’idée de changement et dirigent de façon plus démocratique. Comme le dit le prochain maire de Barcelone, Ada Colau (une Zapatiste d’origine) : « conduite par l’obéissance aux ordres du peuple ». La position du leader est construite « pour » la base et non « au-dessus » d’elle. En somme, un leader social et très reconnaissable, mais une participation disséminée et non contrôlée.
Une fois encore, ce ne sont que trois visions « impressionnistes » du processus d’émancipation du peuple en Espagne. Il reste encore beaucoup à venir. 2015 est l’année du changement, cela continuera donc. En attendant, il est temps de fêter cela. Je vous laisse avec la rumba « run run » chantée par le prochain maire de Barcelone :
Ci-dessus, Ada Colau, dans un clip de campagne très joyeux. Le refrain de la rumba dit : « défendre le bien commun ». Pour voir et entendre la vidéo sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=wB6NDWKDyKg
L’équipe Framabook est très fière de vous annoncer la sortie de son premier manuel scolaire : Thermodynamique de l’ingénieur. Ce manuel universitaire, à destination des étudiant-e-s comme de leurs enseignant-e-s, est signé Olivier Cleynen, et disponible sous la licence CC-BY-SA…
L’occasion d’une rencontre drôle et intéressante avec cet auteur qui a fait le pari du livre Libre !
Bon, Olivier, je serai honnête, on se demande comment tu as pu en arriver là. Tu n’es pas un poussin de l’année qui découvre le monde du Libre : si j’en crois ton ancien blog, dès ton premier billet en 2007 tu déclares ta flamme au logiciel libre, en établissant du reste un lien très net entre logiciel libre et société libre. Pourrais-tu te présenter succinctement et évoquer ta trajectoire de libriste ?
Ma trajectoire n’est en fait pas réellement exceptionnelle. Je suis ingénieur aéronautique de formation et j’ai découvert le logiciel libre et son univers pendant mes études. Il y a des gens pour qui ça « prend » plus que pour d’autres… en 2006 j’ai co-fondé puis dirigé à plein temps pendant deux ans une association à but non-lucratif de promotion du logiciel libre qui ressemblait un peu à Framasoft. J’ai essayé sans succès d’en vivre, puis, je suis devenu prof en école d’ingénieurs : c’est là que j’ai commencé ce livre. J’effectue maintenant une thèse de doctorat dans l’espoir de me faire une petite place dans l’enseignement supérieur.
Question No124 (mais, à la demande d’Olivier, la voici en 2e position) : pourrais-tu résumer la thermodynamique en un tweet (140 signes) ?
Bon, je tente l’expérience, mais j’ai droit à plusieurs essais, alors…
« Tiens, je me demande comment le frigo fait pour refroidir le pack de bières alors qu’il est déjà plus froid que dehors… »
« Comment ça, le moteur de voiture n’a que 30% d’efficacité ? On est obligés de rejeter 70% de la chaleur par le pot d’échappement ? »
« @JamesPrescottJoule Au fait, c’est quoi, chaud ? Une sorte de fluide bizarre invisible ? Est-ce qu’on peut fabriquer du chaud ? »
« @WilliamThomsonKelvin Et 40°C, c’est deux fois plus chaud que 20°C ? Et si oui, alors qu’est-ce qui est deux fois plus chaud que -10°C ? »
« @LudwigEduardBoltzmann Pourquoi ma tasse de thé chaud va toujours se refroidir toute seule, et jamais se réchauffer ? HEIN, POURQUOI ???? »
La réponse à chacun de ces tweets demande de comprendre ce que c’est que la chaleur, comment on la fabrique, comment on la détruit, comment on la transforme. C’est ce qu’on appelle thermodynamique. De là, les physiciens enchaînent sur tout un tas de questionnements : la notion d’échelle microscopique ou macroscopique, la notion d’état, d’équilibre, le sens des transformations, etc. Les ingénieurs (le camp dont je fais partie) cherchent plutôt à bidouiller la chaleur dans des machines, et se servent de la thermodynamique pour comprendre les moteurs et les rendre plus efficaces, ou plus puissants, ou plus réactifs, etc. Quoi qu’il en soit, c’est passionnant : on commence par étudier de petits ballons de gaz, et on finit par prédire la fin de l’univers ! Ah zut, la réponse fait plus de 140 caractères !
Pourquoi avoir choisi de porter tout ton effort et pendant si longtemps (plusieurs années tout de même !) sur ce manuel de thermodynamique ? Les livres existants n’étaient pas suffisants ?
Il y deux faces à la réponse. D’une part, je trouve la plupart des livres français de thermodynamique terriblement tristes et ennuyeux. Je trouve dommage de se casser la tête à résoudre des équations qu’on comprend à peine pendant deux semestres, si c’est pour ressortir de la thermodynamique sans jamais avoir étudié le fonctionnement d’un turboréacteur. J’avais envie de faire un cours « pour futur-es ingénieur-es curieux-ses », et avec le temps le cours a pris la forme d’un livre.
Mais la plus grande motivation est que je n’ai rien trouvé de libre à me mettre sous la dent ! La thermodynamique de l’ingénieur est terminée depuis 150 ans et les technologies que l’on y étudie aujourd’hui ont toutes au moins 50 ans : un livre de thermo, c’est donc essentiellement un remix. C’est dur de voir que ces équations, ces raisonnements et ces schémas qui font partie du patrimoine scientifique et public au sens large, sont affublés d’une mention « reproduction interdite ». Dans certains livres, c’est même écrit à toutes les pages…
De ce point de vue, non, les livres existants n’étaient pas suffisants. Je trouve que ce n’est pas assez bien de pousser des étudiants à acheter un livre vendu quarante euros (un par matière…) qui leur défend solennellement d’en repiquer le contenu. C’est triste de voir un éditeur distribuer les JPG des figures aux seuls profs qui engendreront quarante ventes d’un livre. Et c’est frustrant, lorsqu’on débute un cours, de devoir tout ré-écrire et dessiner depuis zéro, du premier diagramme pression-volume jusqu’au dernier schéma de turbine.
J’ai construit le livre que j’avais envie de trouver quand j’ai commencé. Tu peux le copier, le reprendre, le ré-utiliser. Un schéma t’intéresse ? Tu télécharges le PDF, tu cliques sur la légende, et te voilà face au fichier source sur Wikimedia Commons, que tu peux modifier selon tes besoins. Tu préfères un format « polycopié » du chapitre 8 avec des grandes marges ? Tu pointes ton navigateur sur http://thermodynamique.ninja/ et tu imprimes. Tu veux reprendre une série d’équations en LaTeX sans les retaper, ou tu veux soumettre un patch pour corriger une erreur ? La même page web te pointe vers le dépôt git du projet. Tout ça se fait sans demander de permission, il suffit de respecter les termes de la licence Creative Commons : BY-SA pour le texte et la plupart des figures, et CC-0 pour les schémas les plus simples.
Dis-donc je l’ai parcouru ton ouvrage, d’accord il est parfaitement bien rangé dans des tiroirs avec un sommaire et des sous-parties aux petits oignons mais tout de même ça déborde de partout : histoire des sciences, biographies de quelques savants, une série de cours progressifs, des schémas et des croquis, des trucs pour aller plus loin… et surtout des exercices avec des cas de figure qui impliquent l’étudiant… brr ça fait un peu peur tout ça non ?
Alors, il ne faut pas avoir peur : c’est un gros livre, on n’est pas obligé de tout lire ! On s’y retrouve facilement, il est construit pour qu’on puisse aussi le survoler rapidement.
En ce qui concerne les exemples résolus et les exercices, j’admets que c’est parfois un peu riche, mais c’est le prix à payer pour qui veut étudier des cas concrets, car il faut plus de contexte. Six années d’enseignement en école d’ingénieurs ont fait le tri : les exercices qui « percutent » sont aussi ceux pour lesquels il faut un peu s’impliquer. Et puis je trouve juste plus cool d’avoir sous les yeux une photo de l’hélicoptère dont je calcule la consommation de carburant.
Les parties historiques (une par chapitre) sont, elles, parfaitement accessoires. Le but est de se construire une culture d’ingénieur/e et de scientifique : comprendre que pendant longtemps, on comprenait à peine ce que l’on faisait en thermodynamique, et voir aussi comment la technologie des moteurs a chamboulé le monde. Philippe Depondt, enseignant-chercheur en physique (à qui je voue une admiration sans fin pour avoir écrit le génial L’entropie et tout ça), a accepté d’écrire la moitié d’entre elles, et j’ai complété l’autre moitié. Peut-être est-ce que nous nous sommes laissé emporter ? Mais regrette-t-on d’apprendre, après avoir étudié un chapitre difficile, que la première personne à avoir montré que la chaleur n’a pas de poids a aussi été agent secret, architecte, instituteur et ministre de guerre philanthrope ? Ou qu’un geek thermodynamicien frustré s’est construit sa propre turbine à vapeur pour pouvoir ridiculiser toute la Royal Navy avec son bateau ?
et maintenant (roulements de tambour) dis-nous pourquoi c’est devenu un framabook, pourquoi cet éditeur ? tu es grillé chez les éditeurs classiques ? Travailler avec des gens qui n’avaient jamais fait de thermodynamique, ça ne t’a pas posé problème ?
Je n’ai pas eu l’occasion de chercher d’autres éditeurs, mais dans la mesure où la publication sous licence libre a toujours fait partie intégrante du projet, j’imagine que je n’aurais pas eu beaucoup de succès. Je suis et soutiens la progression de Framasoft depuis longtemps, et je suis très honoré que le comité ait accepté de produire un Framabook pour étudiants ingénieurs.
Quant au processus d’édition, il n’y a pas que les connaissances en thermodynamique qui comptent. Le comité m’a encouragé pour trouver un confrère, Nicolas Horny, qui veuille bien relire le livre sous son aspect technique (qu’il en soit remercié…). Mais je compte surtout le travail incroyable de Mireille Bernex, qui est à l’origine de centaines d’améliorations de langage et de clarifications dans le livre, et de beaucoup d’autres contributeurs que je n’ai pas la place de citer ici. Enfin, après quinze mois d’édition, je ne suis toujours pas venu à bout de la patience de Christophe Masutti, qui coordonne le projet Framabook. Bref, le plus important est de partager le désir de produire un manuel de qualité, et de ce point de vue, je suis comblé.
On dit souvent que le Libre et l’éducation portent plusieurs valeurs communes. Pour toi, quel est l’intérêt pour les enseignants et les étudiants de disposer d’un ouvrage sous licence libre ?
L’avantage pratique du livre libre est bien sûr sa gratuité. L’étudiant/e et l’enseignant/e peuvent le télécharger à tout moment, sur n’importe quel équipement, et s’en servir, en repiquant/reprenant/remixant le contenu du livre, sans demander la permission à qui que ce soit ni rentrer dans l’illégalité.
Il me semble que cette gratuité est un point important. Dans l’enseignement, le véritable ajout de valeur économique se fait dans la transmission, la réappropriation, et la création du savoir et des connaissances : en classe, en amphithéâtre, pendant le travail de groupe ou le travail personnel. En revanche, il n’y a aucune valeur économique intrinsèque à l’accès à la connaissance : sinon, il suffirait de s’acheter des livres pour devenir ingénieur ! Je préfère donc que l’argent dans l’éducation, privée ou publique, soit consacré aux activités (payer cher les profs et l’environnement de travail) plutôt que l’accès à l’information (faire chuter le coût des livres et ouvrir l’accès aux bibliothèques).
L’utilisation de contenus sous licence libre est aussi, selon moi, une démarche intellectuelle plus claire et pérenne. Lorsqu’un/e prof ou étudiant/e reprend une image du site internet d’Airbus, par exemple, il y a toute une liste de restrictions associées à sa réutilisation : on ne peut s’en servir que pour dire du bien d’Airbus, on ne peut pas la modifier comme on le veut, les conditions de l’utilisation commerciale sont floues, et la permission peut être retirée à tout moment. La reprise de documents dans le cadre de la courte citation française, ou du fair use américain, ou des innombrables accords particuliers passés par l’un ou l’autre éditeur avec tel ou tel gouvernement, est un véritable casse-tête juridique et laisse beaucoup d’incertitudes. Je préfère dire : tiens, reprends mon beau schéma de centrale à vapeur pour en faire ce que tu veux : les termes de la licence CC-BY-SA sont clairs et elle est irrévocable. C’est un bon ingrédient pour cuisiner quelque chose qui, fondamentalement, n’est qu’un remix des connaissances humaines actuelles.
Un autre schéma qui devient évident une fois qu’on a lu le manuel… si, si !
(CC-BY-SA Olivier Cleynen)
Pour vendre beaucoup d’exemplaires, j’espère que tu feras comme certains profs d’université et que ton cours sera incompréhensible si tes étudiants n’achètent pas ton livre…
Ce serait sournois, n’est-ce pas ? Et pourtant, c’est une pratique courante dans les universités aux États-Unis : beaucoup de cours sont ancrés sur un livre particulier, que les étudiants doivent absolument avoir sous la main s’ils veulent réussir.
Avant de nous indigner, il faut comprendre le pourquoi du comment de la chose. Construire un cours universitaire, c’est un travail pharaonique. Structurer un corps de connaissances, le sectionner en morceaux de 120 minutes digestes, ré-exprimer des notions complexes, illustrer tout cela, et construire des exercices intéressants : on peut y consacrer un temps infini, que les profs n’ont pas. Ancrer un cours sur un manuel en particulier, et donc sur une « recette » déjà éprouvée, permet à un/e prof de se consacrer au véritable apport de valeur qu’il/elle doit générer : rendre un cours passionnant, créer un environnement de travail où les étudiants vont se prendre au jeu et s’épanouir. On ne peut tout de même pas demander à chaque prof de ré-écrire toute la thermodynamique !
En enjoignant tous les étudiants à travailler sur un seul livre, le problème de l’accès à l’information est réglé dès le premier cours du semestre, et le reste du temps est consacré à l’exploration, l’appropriation des connaissances. L’alternative classique à la française, le tableau à craie et le maigre polycopié, n’a rien de mirobolant. Qui aurait cru qu’en 2015, l’apprentissage de la thermodynamique puisse encore se faire en recopiant au stylo sur du papier l’information qu’un prof trace avec un caillou blanc poussiéreux sur un mur noir devant 200 personnes ?
En parallèle, les revenus importants qui découlent de ces ventes poussent les éditeurs et les auteurs à produire des manuels de très haute qualité. Nous parlons de pavés de 500 ou 1000 pages, magnifiquement illustrés, soigneusement structurés, hyper accessibles, bref, de vrais outils de travail et de découverte qui donnent immédiatement envie de s’y plonger. On se prend vite de passion pour n’importe quelle discipline avec cela !
Le revers de la médaille est le prix supporté par les étudiants, en termes économiques et de libertés.
L’argent, d’abord : à 200 dollars le livre, l’accès à l’information indispensable au suivi d’un cours devient un obstacle très important à franchir, quel que soit le mode de financement (état, bourses, fonds propres ou emprunts).
En termes de libertés, le coût est plus subtil. Les éditeurs et distributeurs ont tout intérêt à restreindre le marché du livre d’occasion, et font mettre à jour les livres à un rythme effréné ; à chaque fois, la numérotation et l’énoncé de nombreux exercices est modifié (ce qui décourage l’utilisation d’anciennes éditions en cours). Les livres sont couramment proposés en location, sous forme papier (par Amazon notamment) mais aussi sous forme numérique. Voilà des livres dans le nuage, qui ne marchent que lorsqu’on est connecté sur le campus, ou bien seulement pendant un semestre. Certains livres en ligne sont financés avec de la publicité, et on peut imaginer que l’ensemble des données personnelles recueillies à propos des lecteurs est exploité. On retrouve les éditeurs dans les tribunaux et au Congrès, où ils tentent de faire interdire la revente aux USA des livres qu’ils commercialisent au quart du prix en Inde. Bref, on retrouve là l’ensemble des problèmes éthiques et sociétaux associés à un système de distribution fermé, et qui s’immisce dans les ordinateurs et les tablettes des étudiants.
Vu d’ici le problème peut sembler être très étatsunien, mais je suis convaincu que la recherche d’une meilleure qualité d’enseignement nous y confrontera tous tôt ou tard (en fait, à l’instant même où nous abandonnerons cette cochonnerie de tableau à craie…). Je pense que la publication de livres universitaires libres peut être une partie de la réponse. Un programme d’études où tu peux télécharger, remixer, imprimer librement tous les livres ? — Vous pensez, c’est comme construire toute une pile de logiciels libres qui fonctionne sur n’importe quel ordinateur, ou bien écrire toute une encyclopédie sous licence libre : c’est totalement impossible…
#FixCopyright : deux visions d’une journée au Parlement Européen
Nous poursuivons notre série d’articles sur le rapport Reda avec le récit de la journée « Meet the New Authors » par deux créateurs de contenu différents. Cette journée, organisée par l’eurodéputée Julia Reda et son cabinet, avait pour but de montrer la création qui se fait par et pour internet, et de donner voix à ces artistes qui ne veulent pas que l’on emprisonne des pirates et entérine une guerre au partage « en leur nom ».
Étrangement, voici deux créateurs qui ne se connaissent pas, qui ont vécu une expérience différente de cette journée, et qui pourtant en repartent avec la même réserve…
Le lundi 20 avril dernier a eu lieu au Parlement européen de Bruxelles un évènement organisé par l’eurodéputée Julia Reda et son équipe. Intitulée « Meet the New Authors », la journée donnait la parole aux artistes, journalistes, philosophes qui mettent le Web au centre de leur processus de création et qui, pour la plupart, voient dans les propositions du rapport Reda une manière d’engager un dialogue nécessaire sur l’évolution du droit d’auteur au regard des défis qui s’offrent à nous — qu’il s’agisse de la baisse de revenu des artistes, du piratage, des nouveaux moyens de financement et de diffusion, des restrictions territoriales ou de l’essor d’une culture indépendante et diversifiée. J’avais la chance d’être invité à m’exprimer aux côtés de l’écrivain Cory Doctorow, de la réalisatrice Lexi Alexander, du youtubeur et écrivain Pouhiou, du cyberphilosophe Alexander Bard, de Brit Stakston et de Martin Shibbye du projet journalistique Blank Spot, du photographe Jonathan Worth et du réalisateur Nicolas Alcala — autant de créateurs et d’innovateurs aux parcours très instructifs. Autant dire que la journée a été pour moi très inspirante.
À notre arrivée, un déjeuner avait été préparé dans un salon du Parlement. Autour de la table, Julia Reda, son équipe et les invités, mais aussi quelques eurodéputés — certains acquis aux idées du rapport, d’autres plus sceptiques — invités à partager un moment de discussion informelle. Cory Doctorow engage une conversation animée avec la députée assise à côté de moi. Il parle vite, et même si je considère avoir un niveau d’anglais assez correct, certaines phrases m’échappent. Je participe à l’échange, qui devient vite une tentative de convaincre la députée du bien-fondé de certaines idées. Elle est ouverte à la discussion, écoute nos arguments, semble en prendre note. À ma droite, Brit Stakston et Martin Shibbye m’expliquent comment ils ont sorti un journal de ses ennuis financiers grâce au crowdfunding. Un peu plus tard, dans le panel dans lequel elle s’exprime, Brit Stakston expliquera, entre autres choses passionnantes, qu’il faut toujours si possible faire coïncider la fin d’un crowdfunding avec une fin de mois — le moment où les internautes reçoivent leur salaire, et où ils sont donc plus enclins à la générosité. Pas bête. Un peu plus loin, Pouhiou est en grande discussion avec l’excentrique cyberphilosophe, qui lors du tour de présentation a affirmé être plus riche que nous ne pourrions jamais en rêver. Je ne comprends pas le thème de leur discussion, mais je crois entendre que ça parle de sexe et que c’est très animé. D’une manière générale, quand il s’empare d’un sujet, ça s’énerve assez vite. Le cinquantenaire — crâne rasé, barbe de hipster et short d’écolier — aime catalyser l’attention.
Avant le dessert, nous partons avec Cory Doctorow et Lexi Alexander pour une conférence de presse. La salle n’est pas bondée, mais les journalistes attentifs. Face à mon hésitation entre utiliser Julien Simon et mon nom d’auteur, Lexi Alexander me suggère de toujours me présenter en tant que Neil Jomunsi — question d’image et de marketing. Je sais qu’elle a raison, mais autant je n’ai aucun mal à utiliser mon nom de plume par écrit, j’ai encore un peu de mal à l’employer à l’oral. Va pour Neil, donc. Après une introduction de Julia Reda, nous expliquons en deux mots la raison de notre présence et notre vision du problème face aux journalistes. Cory Doctorow et Lexi Alexander sont beaucoup plus rompus que moi à l’exercice — d’ailleurs, je ne savais même pas qu’on m’inviterait à la conférence de presse et je n’avais rien préparé. Heureusement, il y a des traducteurs : je peux m’exprimer en français. J’improvise. Première vraie conférence de presse pour moi, ça se passe mieux que je le pensais, mais c’est impressionnant. La session est chronométrée, nous devons partir à 14h pour les panels.
Le grand amphithéâtre est plutôt bien rempli quand nous arrivons. Je m’installe sur la scène à côté de Pouhiou, déjà assis, de la modératrice Jennifer Baker, du cyber-philosophe Alexander Bard et de la réalisatrice Lexi Alexander. Nous expliquons pourquoi nous sommes favorables à telle réforme ou à tel point du rapport, expliquons les problèmes que nous rencontrons et les solutions que nous aimerions voir mises en place. Le ton monte vite, s’accélère, s’envenime même un peu. Je ne suis pas très à l’aise quand il s’agit de hausser la voix, je préfère des discussions posées, pas facile de trouver le rythme. La salle, remplie en partie de membres du Parti Pirate, est acquise à la cause et applaudit sitôt qu’une pique est adressée à l’industrie culturelle. Quand le président d’une société d’auteurs prend la parole lors des questions du public, les pannelistes le rembarrent. D’une manière générale, j’ai l’impression que le débat autour du droit d’auteur manque de nuances : soit on est pour une réforme, soit on est contre. Quand on est pour, c’est qu’on veut « supprimer le droit d’auteur » selon ceux qui s’opposent à toute réforme. Quand on ne veut rien changer, c’est qu’on est un « vieux con passéiste qui n’a rien compris à internet » selon les partisans de la réforme. Il n’y a pas d’entre-deux et je trouve ça assez dommage, ça me fait penser à ces discussions sur l’allaitement où chacun campe sur ses positions. À la fin du panel, j’ai l’impression que tout le monde a dit ce qu’il avait à dire, mais que le débat n’a pas vraiment avancé. C’est une des choses que je retiendrai de cette journée : il faut de la nuance, tout le temps et le plus possible. Discuter avec tout le monde. Nous avons à apprendre des deux côtés. D’ailleurs, à la fin de la session, je vais discuter avec le représentant de la société d’auteurs. Le dialogue est franc, plutôt cordial une fois qu’il constate que je n’ai rien d’un ayatollah. On s’accorde à dire qu’il faudrait davantage de discussions posées entre les différents « camps », peut-être loin du public et des caméras qui ne font qu’exacerber les tensions.
J’écoute le second panel, celui auquel participe Cory Doctorow, avec grande attention. Le ton est plus posé, moins revendicatif, moins énervé aussi, du coup je le trouve beaucoup plus intéressant. Cory Doctorow a l’habitude de participer à de tels évènements : on sent qu’il a de l’expérience. Chaque phrase qu’il prononce donne l’impression d’être tirée d’un puits de bon sens, une punchline toutes les minutes, la salle écoute, oreilles grandes ouvertes. Ce type est passionnant. Quand je lui demande plus tard quel est son secret, il m’explique qu’il suffit de participer à ce genre de conférence des dizaines de fois par an et que l’habitude fait le reste. C’est un auteur très accessible, un « pro », qui fait le boulot et reste d’égale humeur tout du long. Les anglo-saxons savent faire ressentir une certaine proximité là où beaucoup d’auteurs européens que j’ai rencontrés n’y arrivent pas. C’est un truc que j’aimerais bien apprendre — surmonter ma timidité surtout, qui peut vu de l’extérieur ressembler à une certaine froideur. Doctorow a sorti un livre l’année dernière « Information doesn’t want to be free », que j’avais dévoré en numérique à sa sortie. Il nous en explique quelques axes forts. Les crowfunders suédois poursuivent la discussion, suivis du photographe Jonathan Worth qui publie une partie de ses images sous licence Creative Commons et de Nicolas Alcala, auteur du projet transmedia et sous Commons « Le Cosmonaute ». Ce dernier semble assez désabusé, presque déçu, de son expérience. Mais il nous expliquera au dîner que même si cela avait été dur, il a encore beaucoup de projets à venir.
Nous terminons la journée par une présentation plus complète du livre de Cory Doctorow par l’auteur lui-même, qui se termine en séance de dédicace. L’équipe — qui a fait du super boulot tout au long de la journée — a prévu des dizaines d’exemplaires gratuits à distribuer, que l’écrivain dédicace à tours de bras au terme des questions-réponses. On prend quelques photos, puis nous terminons la soirée dans un bar-restaurant près du Parlement. Nous sommes une bonne cinquantaine et l’atmosphère bruyante n’est pas forcément propice à la réflexion : pas grave, nous en profitons pour causer et rire autour d’une bière — il faut dire que la pression retombe. Des mails sont échangés, des pseudos Twitter aussi, et tout le monde se quitte sur les coups de 23h-minuit. Bruxelles bruisse de politique en permanence, mais elle semble plutôt calme une fois la nuit tombée.
J’ai trouvé cette journée vraiment enrichissante, et elle m’a beaucoup inspiré pour les semaines et les mois à venir. Je remercie Julia Reda et son équipe de m’y avoir convié, et j’aurai l’occasion d’expliquer plus en détails les conséquences directes des réflexions dans lesquelles elle m’a plongé. En attendant, je ne peux que vous conseiller de lire (ou de relire, ce que je suis en train de faire) le livre de Cory Doctorow. Cet ouvrage est un phare dans la brume des questions nébuleuses qui se posent à nous autour d’une éventuelle réforme positive du droit d’auteur et j’invite chacun à en prendre connaissance.
Neil Jomunsi
NotaBene : le bilan en vidéo
Benjamin Brillaud est le créateur de NotaBene, une chaîne YouTube sur la thématique de l’Histoire. Il est aussi à l’origine du collectif des Vidéastes d’Alexandrie (des vidéos à thématique culturelle sur YouTube). Il a surtout été très enthousiaste dès que l’idée a circulé sur les réseaux de faire une vidéo soutenant le rapport REDA, et c’est lui qui s’est chargé de monter/réaliser cette vidéo « Nos Créations sont Hors la Loi » (en travaillant au passage à rassembler les troupes et les énergies).
Tous les vidéastes ont été invités à assister à cette journée Meet The New Authors. Finalement, seuls Fujixguru (le papa de l’internet), lui et moi avons pu nous y rendre. Il tire de cette journée un reportage vidéo (attention c’est sur YouTube et non-libre ^^) très intéressant ainsi qu’une conclusion en demi-teinte…