Wikipédia face aux institutions, par Éric Bruillard

Éric Bruillard est professeur au STEF – ENS Cachan.

L’article ci-dessous reprend une présentation faite le 15 décembre 2012 lors des Rencontres Wikimédia, à l’université Paris Descartes.

Remarque : Vous pouvez également accéder directement à la version ODT et PDF du document.

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Wikipédia face aux institutions

Éric Bruillard – décembre 2012

Introduction

Il y a cinq ans, en mars 2007, j’avais écrit un article intitulé « Wikipédia : la rejeter ou la domestiquer ». J’avançais l’idée, qui a souvent été mal comprise, que Wikipédia ne pouvait pas « avoir une présence reconnue dans l’enseignement en France, ses principes mêmes (neutralité) n’étant pas compatibles avec les valeurs de l’école laïque et républicaine française, valeurs qui conduisent à privilégier certains points de vue et à en interdire d’autres ». J’ajoutais que Wikipédia pouvait cependant avoir une place, d’une part comme projet encyclopédique avec des participations actives à ce projet, comme faire écrire des articles à des élèves, et, d’autre part, comme une encyclopédie à laquelle beaucoup auraient recours, dans une posture de consommateur.

Ces deux directions ont été effectivement suivies, et des utilisations constructives sont repérables dans l’enseignement secondaire ou supérieur, quoique la « consommation » est certainement beaucoup plus développée que la participation. Mais Wikipédia aurait-elle maintenant une présence reconnue dans l’éducation ?

Dans un premier temps, nous allons tenter de situer les discours généraux sur Wikipédia, notamment dans l’éducation nationale. Ensuite, nous verrons en quoi Wikipédia est maintenant une véritable institution, statut qui n’est pas sans poser de nouvelles questions. Enfin nous traiterons la question de l’évaluation des articles de cette encyclopédie : une évaluation interne s’est installée alors que l’évaluation externe ne semble pas beaucoup progresser : serait-ce révélateur de relations encore difficiles avec un projet collectif que l’on a toujours du mal à appréhender ?

Wikipédia : quoi de neuf depuis 2007 ?

Le premier constat que l’on peut faire, sans avoir spécialement besoin de l’étayer, est celui de la croissance impressionnante du projet Wikipédia : une présence très importante (notamment via Google), des utilisations qui se multiplient, notamment dans l’éducation, de nouveaux projets associés…

Pourtant, face à ce formidable déploiement, on s’aperçoit, notamment à travers le discours d’étudiants ou d’enseignants, d’une méconnaissance persistante du fonctionnement de Wikipédia, d’idées reçues tenaces, d’utilisations contestées, d’interrogations sur la fiabilité…

Wikipedia nous aide d’ailleurs à cerner ce que qu’est une idée reçue : « une opinion, située entre le stéréotype, le cliché et le lieu commun », précisant qu’elle a « la particularité de s’admettre aisément » parce qu’elle est « très répandue, que celui qui la transmet la considère très souvent comme évidemment démontrée ; elle est agréable à admettre, parce qu’elle répond (le plus souvent simplement) à une question redondante, ou gênante, ou complexe : elle aide à ne plus réfléchir et s’impose insidieusement ». Justement, un peu de réflexion s’impose.

Comme il est possible à n’importe qui de créer ou modifier le contenu d’un article, que ce n’est pas réservé à des spécialistes, il ne semble pas possible qu’il y ait des articles de qualité et on ne peut en aucun cas s’en remettre à Wikipédia. Ce discours de sagesse populaire continue à être très souvent énoncé. Prenons juste un seul exemple : “Wikipedia is a free, web-based, collaborative, multilingual encyclopedia project. Anybody is able to change, add or remove articles on Wikipedia. This of course is prone to many problems as some authors may be: biased, vandalise the article or write incorrect information.”

Les études comparatives qui ont été menées attestent du contraire et l’expérience quotidienne de nombre d’entre nous montre qu’on lui fait malgré tout confiance. Peu d’études nouvelles sont disponibles. La seule étude récente est intitulée Assessing the accuracy and quality of Wikipedia entries compared to popular online encyclopaedias A preliminary comparative study across disciplines in English, Spanish and Arabic. Mais les auteurs remercient la Wikimedia Foundation pour son soutien financier. D’autres institutions ne sont sans doute intéressées à financer une évaluation des articles de Wikipedia, préférant laisser planer le doute et les idées reçues.

Quelle présence officielle dans l’éducation ?

Si la neutralité de l’éducation nationale française l’invite à ne pas citer de marque ou de nom de produit dans ses programmes officiels, sauf exception, elle est conduite à veiller sur ce qui est proposé. Une recherche sur le site officiel Eduscol atteste de la présence de Wikipédia.

On trouve des revues de presse ; un dossier déjà ancien sur les usages pédagogiques ; des recommandations, des définitions issues de Wikipédia, le fait que Wikipedia offre une nouvelle fonctionnalité (l’exportation de pages au format epub, ce qui permet de constituer une sélection d’articles à consulter hors ligne sur une liseuse ou sur smartphone).

On trouve également référence à Wikipedia dans des sujets de bac, des ressources pour la résolution de problèmes, des dossiers pédagogiques… mais avec le plus souvent des modes de citation approximatifs (cf page 2 de ce document). Dans les ressources pour la classe terminale générale et technologique, Physique-chimie, Série S (Eduscol), on trouve 10 références à Wikipédia.

Ce bref tour d’horizon nous en apprend plus sur le système éducatif que sur Wikipédia. Cette dernière apparaît pratique et très utile, mais demeure un motif récurrent de complaintes, attestant des difficultés (ou de l’incapacité ?) du système éducatif à traiter les évolutions en cours sur les savoirs, leur diffusion, leur mise en question… Une utilisation parfois « honteuse », que l’on peut rapprocher des usages des calculatrices en collège il y a quelques années[1] : une sur utilisation, une maîtrise très diversifiée et un manque de formation des élèves. Au début du collège, utiliser la calculatrice est considéré comme une tricherie, il ne faudrait s’en servir que pour contrôler les résultats des opérations que l’on fait à la main. Mais dès la 4e, la tricherie est quelque sorte légalisée, notamment avec les fonctions trigonométriques, et ceux qui ont acquis une bonne maîtrise des calculatrices, sont alors avantagés. Le système éducatif prend peu en charge, voire pas du tout, la formation des élèves à cette maîtrise.

Wikipédia - Eduscol

Wikipédia dans le site Eduscol – 10 décembre 2012

Les objets informatiques spécifiques du système éducatif ne sont pas bien traités par Wikipédia. Ainsi, l’article ENT est encore une ébauche de piètre qualité. On retrouve une même ébauche, non signalée comme telle, sur l’expression « manuel numérique », page modifiée pour la dernière fois le 28 juin 2010[2]. C’est une version quasi « ministérielle » qui est proposée, la page « discussion » n’est pas ouverte et aucun article dans une autre langue n’est associé. Ce n’est toutefois par mieux en anglais où l’article “digital textbook” est une présentation du programme de ministère de l’éducation de Corée du Sud ! Les exemples sont coréens, avec des liens vers Toshiba et Fujitsu. Il s’agit d’un article sur le projet coréen, et pas sur l’initiative californienne par exemple.

Enfin, pour clore ce rapide tour d’horizon, un site de l’académie de Montpellier propose de « créer un manuel numérique à l’aide de Wikipédia ». Il est écrit : « Wikipédia est une excellente ressource pour construire un livre numérique dans le but d’explorer un sujet ou d’entamer une recherche documentaire. Pour inciter les étudiants à utiliser Wikipédia comme outil de départ plutôt que comme finalité d’une recherche, un enseignant peut facilement fournir à ses étudiants une collection d’articles de références sous la forme d’un livre numérique. Retrouvez les différentes étapes de création d’un livre numérique dans un mode opératoire mis à disposition sur le site “Prof Web”. »

Si on clique sur l’adresse indiquée, on retrouve le même paragraphe à la virgule près, puis un petit mode d’emploi. Tous les éléments sont présents : citation et même copié-collé. Un exemple mais avec la parapluie de la bonne pratique (il faut utiliser simplement comme point de départ). On se sert de Wikipedia mais d’une manière non risquée !!! On ne cherche pas à comprendre, mais à trouver une pratique que l’on considère légitime et que les autres ne pourront pas contester.

Cette méfiance persistante sur un projet maintenant très établi ne cache-t-elle pas des caractéristiques encore mal connues ou mal comprises. Et Wikipedia, s’il est encore regardé de travers par les institutions, ne serait-il pas aussi une institution ?

Wikipédia est une institution

En effet, pour la recherche, une simple interrogation sur Wikipedia dans Google Scholar produit de très nombreux résultats ; depuis 2011 : 45 700 résultats ; depuis 2012 : 23 100 résultats (à titre de comparaison, on obtient pour les mêmes dates concernant Britannica : 13100 / 7320). Dans les travaux auxquels on accède, il y a des études sur le fonctionnement même de Wikipédia : contenus, conflits, participation, etc. ; des outils pour Wikipédia.

Issus de son fonctionnement même, l’encyclopédie fournit des corpus très utiles pour les linguistes, notamment les paraphrases et modifications locales dans l’historique des révisions des articles, conduisant à améliorer les performances d’applications de TAL : traduction automatique, question-réponse, génération…

Encore plus intéressant, dans un processus d’institutionnalisation de Wikipédia, le projet Semanticpedia associe le ministère de la culture, l’INRIA et Wikimedia France. Cette collaboration vise à « réaliser des programmes de recherche et développement appliqués à des corpus ou des projets collaboratifs culturels, utilisant des données extraites des projets Wikimédia ». Il s’agit notamment de fournir des données culturelles accessibles à tous, dans une version Web sémantique structurée ; en gros devenir la référence pour la culture avec des modes d’interrogation très avancés dans des formes de déclaration sémantique.

Wikipédia est même vu comme un nouvel outil d’évaluation : une évaluation de la réputation ponctuelle, la fréquentation de Wikipédia étant considéré comme outil de mesure ; mais aussi, l’influence qu’une personne a sur un pays ou même sur une civilisation, qui pourrait être mesurée en fonction des liens menant à sa page Wikipédia.

Ainsi, Wikipédia est devenu outil de référence, même s’il s’en défend. C’est déjà un attracteur très puissant pour les recherches et, selon Kien Quach Tat[3] (2011), au Vietnam, Wikipédia est ce qui permet aux lycéens de valider une information trouvée sur un autre site.

Quelle implication du fait que Wikipédia est une institution ? Peut-on être en dehors de Wikipédia ? Comme elle devient la référence, peut-on continuer à l’ignorer, si une information nous concernant est fausse, peut-on encore traiter cela par le mépris ou l’absence de réaction n’est pas une sorte d’acquiescement ? En tous cas, si Wikipedia gère très efficacement les vandalismes, on sait qu’elle est mal armée pour lutter contre des organisations qui cherchent à imposer leur point de vue. Un projet d’émancipation ne s’est-il pas transformé en un instrument de domination ? On n’en est pas (encore) là ! Demeure une question clé : comment évaluer un article de Wikipédia ?

Comment évaluer un article de Wikipédia ?

En 2007, Wikipédia précisait qu’elle n’avait pas les moyens de juger de la crédibilité d’une information et que la fondation cherchait des solutions à cette absence de validation du contenu des articles, notamment « par l’ajout de systèmes de notation, d’identification des versions non vandalisées et par des collaborations avec des chercheurs et des enseignants » (Bruillard, 2007). Des avancées importantes ont été réalisées. Wikipédia évalue elle-même les articles qu’elle produit. Ainsi, l’article Projet :Évaluation est consacré à « déterminer l’état des articles de Wikipédia selon deux critères : leur importance et leur avancement ».

Mais quelle évaluation externe peut-on trouver ?

Quand on lance la requête « évaluation article Wikipédia », via Google, environ 16 900 000 de résultats (0,42 secondes) sont fournis. Mais la grande majorité de ces résultats correspondent à des articles de Wikipedia. La requête « évaluer un article de Wikipédia » -wikipedia.org ne donne aucun résultat. Enlever les guillemets dans la requête conduit à 8 040 000 résultats (0,19 secondes). Que trouve-t-on ?

D’abord des conseils, il s’agit d’évaluer le nombre et la qualité des sources, de consulter l’historique (combien de personnes y ont contribué, et quand), de consulter l’évaluation de l’article et surtout de le comparer à d’autres sources !

Le tutoriel Cerise propose d’autres conseils :

  • « Voir si le plan est bien construit et détaillé
  • Juger de la qualité de la rédaction : syntaxe, orthographe, synthèse, illustration, …
  • Repérer les liens vers les notes et les définitions
  • Voir s’il y a une bibliographie récente et mise à jour
  • Voir s’il y a un portail sur le thème sélectionné. »

Les guides de la BU de l’université de Rennes 2 dans une page sur « évaluer l’information » consacre un petit encart à Wikipédia en conseillant de regarder les avertissements sur les pages, la date de création (onglet “historique”) et les débats (onglet “discussion”). Cela renvoie à un article du Monde.fr et étrangemenent, aux évaluations internes de Wikipédia.

Sur la Teluq, Marc Couture, dans son cours sur l’évaluation de la crédibilité des documents en ligne, traite du cas particulier de « la crédibilité de Wikipédia ». Il constate que les critères généraux ne s’appliquent qu’imparfaitement aux articles de Wikipédia. Ainsi, ceux reliés à l’insertion dans la littérature spécialisée : « Ce critère prendra donc une valeur toute relative compte tenu à la fois du rôle que joue une encyclopédie dans la littérature scientifique ou savante, et de la difficulté à évaluer le nombre de références à un article de Wikipédia. » Les critères sur l’auteur ne sont pas applicables, les autres (la validation du contenu, forme et la structure du document) sont soit sans garantie soit réfèrent aux classements et processus internes de Wiipédia.

Cherchant dans les sources en anglais, on trouve de nouveau beaucoup de redondances, avec une référence citée, reprise, tronquée dans la Wikipedia anglaise. Un article intitulé Wikipedia:Researching with Wikipedia n’a pas d’équivalent en français avec la recommandation rituelle : “Wikipedia should be a starting place for research, not an end destination and independent confirmation of any fact presented is advised”.

Cet article fournit un lien avec une page sur l’évaluation des articles de Wikipédia, page que l’on retrouve ici (source Phoebe Ayers, en octobre 2006). En fait, ce texte donne tous les éléments pour évaluer un article, les autres sources n’en sont souvent qu’une reprise tronquée. Au bout du compte, c’est une source datée de 2006 (et qui est peut-être antérieure) qui donne les meilleures informations et fait le point le plus complet sur les modes d’évaluation des articles.

Mais est-ce que les procédures d’évaluation préconisées sont opérationnelles ? Autrement dit, peut-on appliquer ces processus dans des utilisations courantes, c’est-à-dire hors situations particulières (notamment scolaires) et de nécessités de vérification. On peut raisonnablement penser que non, si je m’en réfère à mes propres utilisations et ce que peuvent dire les étudiants. Qui confronte systématiquement ce qui est écrit dans un article de Wikipédia à d’autres sources ?

Ce que l’on peut regretter, c’est l’absence de cartographie thématique, alors que l’on imagine qu’il y a des zones de fiabilités différentes, des repérages a priori pourraient guider le lecteurs (les articles dans le domaine X sont plutôt fiables, alors que dans le domaine Y c’est problématique), des marques reconnaissables. Alors que l’on comprend qu’il faut consulter l’historique et les discussions, il y a peu d’outils de visualisation nous donnant une image interprétable ; en conséquence, historique et discussions restent très difficiles à analyser rapidement. En effet, il s’agit de prendre en compte la dynamique collective et temporelle et de pouvoir juger une ressource de par l’histoire de sa construction et des discussions qui l’ont accompagnée. Mais comment le faire rapidement et de manière fiable sans instrumentation. History Flows[4] proposait des visualisations intéressantes. Mais il ne semble pas que ce travail ait été repris et il demeure mal connu.

Des enjeux de formation : guider des consommateurs via des passeurs outillés

L’évaluation dépend bien évidemment dépend de la finalité, du public visé, etc. et on pourrait refuser une sorte d’évaluation intrinsèque des articles de Wikipédia. Mais le jugement sur cette qualité a des incidences fortes, notamment sur les représentations sociales de ce projet encyclopédique. Chacun a ses propres croyances sur Wikipédia, mais il n’y a pas de « sagesse collective » ou de connaissance collective nous en donnant une image moins naïve. Comment juger de la qualité ? On voit que la question est délicate : qualité proportionnelle ou inversement proportionnelle au nombre de contributeurs ; processus linéaire d’accroissement avec quelques accidents ou des formes de plateau, voire des régressions ? La qualité des collaborations aurait un effet sur la qualité des articles.

Selon une étude récente, les changements apportés pour assurer la qualité des articles, avec de nouveaux contributeurs nombreux, aurait un effet négatif sur le recrutement de ces nouveaux contributeurs découragés par les mécanismes mis en place. Ainsi, incontestablement, un processus de professionnalisation a été organisé, processus qui a un effet dissuasif. D’un autre côté, on s’aperçoit que les « consommateurs », rôle que nous prenons tous à un moment ou à un autre pour Wikipédia, ont du mal à sortir d’une vision très naïve et se satisfont d’une sorte de « bonne pratique » paravent : on n’utiliserait que pour commencer une recherche, on ne s’arrêterait jamais sur un article de Wikipédia. Comportement que très peu de personnes adoptent, sauf dans des contextes très particuliers. Alors que l’on propose des modèles à discuter de perméabilité entre concepteurs et consommateurs, on s’aperçoit que pour Wikipédia, il y a d’un côté des concepteurs très instrumentés et d’un autre côté des consommateurs très peu outillés. Entre les deux, on peut s’interroger sur les connaissances, les instruments pour les « médiateurs » (enseignants, documentalistes, etc.). Ne devraient-ils pas en savoir collectivement beaucoup plus que les « simples » utilisateurs ?

Wikipedia est un excellent analyseur des évolutions éducatives : un discours rituel sur la nécessité de développer des utilisations du « numérique », une présence effective mais comme une espèce de sous culture, acceptable parce qu’elle rend des services, pratique mais décriée. Wikipedia est une mine pour les chercheurs, c’est aussi un projet en avance dans le domaine de la culture et dans celui du Web sémantique. Mais comment maîtriser cette technologie collective ? On ne perçoit pas encore bien toutes les potentialités et limites de l’écriture collective. Une tension apparaît : si on apprend par l’écriture, des contraintes de forme trop fortes découragent, l’exigence de qualité risque de conduire à un élitisme par trop restrictif. Il faudrait professionnaliser les intermédiaires, afin de palier le manque d’instrumentation, notamment permettant de visualiser des processus de construction pour juger une production. La question de l’expertise des éducateurs se pose avec une certaine urgence. Pourquoi n’arrive pas à se développer un regard plus professionnel sur les productions de ce travail collectif ?

Crédit photo : Kalexanderson (Creative Commons By)

Notes

[1] Voir par exemple, Bruillard Éric (1994). Quelques obstacles à l’usage des calculettes à l’école : une analyse, Grand N, n°53, p. 67-78.

[2] Page consultée le 6 mars 2013

[3] Kien Quach Tat (2011).. Recherche d’information sur le web et moteurs de recherche : le cas des lycéens. Thèse soutenue le 16 décembre 2011 à l’ENS de Cachan

[4] Viégas Fernanda B., Wattenberg Martin, Dave Kushal (2004). Studying Cooperation and Conflict between Authors with history flow Visualizations. In CHI 2004, April 24–29, 2004, Vienna, Austria. ACM.




Geektionnerd : PRISM

Signalons au passage que le tome 5 de GKND How I met your sysadmin est en cours de publication 😉

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Linkeo

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Crime d’impression, par Cory Doctorow (copiez cette histoire)

Début 2006, Cory Doctorow publiait une courte nouvelle de science-fiction qui à peine sept ans plus tard, avec l’explosion de l’impression 3D (et le climat ambiant de guerre contre la bidouille et le partage) prend malheureusement déjà des accents prémonitoires…

Printcrime - Cory Doctorow

Crime d’impression

Printcrime

Cory Doctorow – janvier 2006 – Nature.com
(Traduction : Rigas Arvanitis, relecture aKa)

Copiez cette histoire

Les flics ont bousillé l’imprimante de papa quand j’avais huit ans. Je me souviens son odeur de pellicule fondue dans le micro-ondes et le regard d’intense concentration de papa quand il la remplissait de produit, ainsi que l’odeur de produit chaud qui en sortait.

Les flics sont rentrés les matraques à la main, l’un d’eux récitait l’ordre d’arrestation dans un haut-parleur. C’était un des clients de papa qui l’avait dénoncé. La iPolice payait en produits pharmaceutiques de haute qualité : des produits d’amélioration des performances, des suppléments de mémoire, des booster métaboliques. Le type de produits qui coûtent une fortune dans une pharmacie ; le type de produits que l’ont pouvait imprimer à la maison, si on n’avait pas peur de voir sa cuisine envahie soudain par des mecs gros et gras, les matraques à la main, cassant tout sur leur passage.

Ils ont aussi détruit le buffet de grand-mère, celui qu’elle avait ramené de la campagne. Ils ont aussi détruit notre petit réfrigérateur et le purificateur d’air sous la fenêtre. Mon oiseau a échappé à la mort en se cachant dans un coin de la cage quand l’un des flics gros et gras transformait la cage en un amas de fil de fer informes sous sa botte.

Papa, ce qu’il a souffert ! Quand ils ont fini, il donnait l’impression de s’être battu contre toute une équipe de rugby. Ils le traînèrent à la porte et laissèrent les journaleux le regarder de près avant de le pousser dans la voiture, tandis qu’un porte-parole disait au monde que l’organisation criminelle de papa était responsable de contrebande pour au moins 20 millions et que mon papa, parfait méchant désespéré, avait résisté pendant son arrestation.

J’ai tout vu sur mon téléphone. En regardant les restes du salon sur l’écran, je me suis demandé comment on pouvait imaginer, en voyant notre modeste petite maison, que c’était là la demeure d’un baron du crime organisé. Evidemment, ils emportèrent l’imprimante et la montrèrent comme un trophée aux journaleux.

La petite étagère où elle se trouvait auparavant paraissait comme un autel bien vide dans la cuisine. Quand je me suis rendu à la maison pour récupérer mon pauvre petit canari affolé, j’y ai posé un robot de cuisine qui avait été monté avec des pièces imprimées par notre imprimante, afin de ne pas attendre plus d’un mois avant d’avoir à imprimer de nouvelles pièces mobiles et des accessoires. A cette époque, je savais monter et démonter n’importe quel objet imprimé.

A mes 18 ans, ils ont relâché papa de prison. Je ne l’avais visité que trois fois : le jour de mes 10 ans, le jour de mes 50 ans et à la mort de maman. Cela faisait 2 ans que je ne l’avais pas vu et il était devenu l’ombre de lui-même. Il avait été handicapé suite à une bagarre en prison et jetait en permanence des coups d’œil derrière lui. J’étais pas fière quand le taxi nous a lâché devant la maison et j’essayais de garder mes distances à côté de ce squelette ruiné et boiteux qui montait les marches.

« Lanie, » dit-il en s’asseyant, « Tu es une fille intelligente, je le sais. Tu saurais pas, par hasard, où je peux me procurer une imprimante et un peu de produit ? »

Je serrais les poings si fort que mes ongles s’enfonçaient dans ma paume. Je fermais les yeux : « Tu as été 10 ans en prison, papa. 10 ans ! Tu ne vas pas risquer de rempiler en imprimant encore des robots et des produits pharmaceutiques, des portables et des chapeaux de mode ? »

Il sourit. « Je ne suis pas stupide, Lanie. J’ai appris la leçon. Aucun portable et aucun chapeau ne vaut la peine d’aller en prison. Je ne vais plus imprimer ces trucs, plus jamais. » Il avait une tasse de thé à la main qu’il sirotait comme si c’était un verre de whisky. Il ferma ses yeux et s’étendit sur la chaise.

« Viens là, Lanie, laisse moi te souffler à l’oreille. Laisse moi te dire ce que j’ai décidé pendant ces 10 ans passés derrière les barreaux. Viens écouter ton stupide papa. »

Je sentis un peu de honte pour l’avoir rabroué. Il avait l’air d’avoir perdu la boule, c’était clair. Dieu seul savait ce qu’on lui avait fait subir à la prison. « Oui, papa ? » dis-je en me penchant vers lui.

« Lanie, je vais imprimer des imprimantes. Des tas d’imprimantes. Une pour chacun. Ça oui, ça vaut la peine d’aller en prison. Ça vaut tout l’or du monde. »




Geektionnerd : Dépêches Melba XI

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Sources :

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Geektionnerd : Rapport Lescure

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Lire librement Fitzgerald ? — pas avant 2021

L’actualité du cinéma remet périodiquement en lumière des œuvres littéraires qui peuvent ainsi trouver un nouveau lectorat. À condition toutefois de pouvoir y accéder librement sans attendre que plusieurs générations d’éditeurs et d’ayants droits aient tiré un substantiel profit des droits qu’ils confisquent pour un temps toujours plus indéterminé.

Tel est le cas dans cet article pour le roman Gatsby le magnifique, qui aurait dû être élevé depuis quelques années dans le domaine public aux États-Unis, mais qui demeure pour longtemps encore sous copyright. Ce qui n’apportera ni profit intellectuel ni profit économique.

Rappelons que le terme de copyright est conservé dans cette traduction en raison du contexte américain, mais que cette notion n’a pas de fondement juridique en droit français, qui ne connaît que les dispositions du Code de la propriété intellectuelle.

Pourquoi Gatsby le magnifique n’est-il pas encore dans le domaine public ?

Article original de Parker Higgins sur le site de l’Electronic Frontier Foundation : Why Isn’t Gatsby in the Public Domain?

Traduction Framalang : , Michael, Garburst, Shanx, Slystone, Asta, goofy

Quand le film Gatsby le magnifique débarque dans les cinémas de tout le pays, il porte à l’écran l’histoire connue par des millions de lecteurs de ce classique de la littérature, souvent appelé proverbialement « le grand roman américain ». Voici un fait que peu de gens connaissent : même si le livre a été publié il y a maintenant presque 90 ans et fait partie de longue date de notre patrimoine culturel, il n’est pas encore entré dans le domaine public.

Oui, alors même que F. Scott Fitzgerald est mort il y a 73 ans (et donc est peu susceptible d’être sollicité pour créer davantage de chefs-d’œuvres), Gatsby le magnifique est toujours limité par le copyright.

En fait, il ne sera pas totalement libre pour le public américain avant le 1er janvier 2021 ; et encore, seulement si les durées de copyright ne sont pas encore une fois prolongées. Grâce à la loi Sonny Bono de 1998 sur l’extension du copyright, aucune œuvre publiée aux États-Unis n’entrera dans le domaine public avant 2019. Certains pays ont des lois légèrement plus saines sur le copyright, mais le représentant américain au commerce travaille ardemment à tirer profit des accords internationaux comme le TPP pour élargir le champ du copyright partout dans le monde.

Pire encore, une décision dramatique de la Cour suprême en 2012 a décidé que même une fois dans le domaine public, des œuvres peuvent en être retirées sur décision du Congrès. Entre les extensions excessives des durées de copyright et l’incertitude sur le statut du domaine public, créer de nouvelles œuvres fondées sur le domaine public est devenu difficile et risqué.

Nous ressentons concrètement les effets pernicieux des extensions du copyright tous les jours. Par exemple, une étude datant de l’année dernière sur les livres d’Amazon a révélé que les livres publiés après la date limite critique de 1923 sont bien moins disponibles que d’autres livres même plus âgés d’un siècle. Le résultat c’est que la littérature du XXe siècle a disparu de l’histoire des livres.

Couverture du roman The Great Gatsby

Et le problème ne s’arrête pas aux livres. Une autre étude par un professeur d’économie au MIT s’est penchée sur une archive de magazines sur le baseball, qui incluait des numéros dans le domaine public, et d’autres qui sont encore assujettis au régime du copyright. Par opposition, les images des numéros dans le domaine public peuvent être numérisées et redistribuées, si bien que leur disponibilité a énormément amélioré la qualité (et donc accru la lecture et l’investissement dans l’édition) des articles de Wikipédia sur les joueurs de baseball de cette époque.

Vous pouvez vous soucier ou non de certains joueurs de baseball des années 60, mais cette situation se répète encore et encore dans différents secteurs. Au nom de la préservation des profits pour une poignée d’ayants droit, notre histoire culturelle part en miettes dans un flou artistique légal qui nous est imposé.

Un domaine public réduit à la portion congrue ne nous vole pas seulement les œuvres passées, mais aussi nos œuvres futures qui pourraient se baser sur un domaine public élargi. Les ayants droit ont le pouvoir de bloquer des œuvres dérivées simplement en refusant d’accorder la licence pour ces œuvres. Et si on ne peut pas retrouver la trace ou confirmer l’identité des ayants droit, ce qui est tout à fait possible quand on discute d’œuvres qui ont presque un siècle, la difficulté d’obtenir une licence peut stopper tout simplement la production.

Ironiquement, cela cause du tort aussi à ces mêmes studios qui ont initialement fait du lobbying en faveur de la loi pour l’extension du copyright. Adapter des œuvres célèbres est un moyen puissant d’atteindre un public déjà familiarisé avec les personnages et l’histoire ; un vaste public est le terreau fertile pour de nouvelles œuvres. Par exemple, les premiers films de Disney exploitaient librement le domaine public pour proposer des versions des contes de fées classiques, mais son lobbying pour toujours plus de restrictions sur le droit d’auteur a privé les autres (et le public) des mêmes possibilités.

Le réalisateur de Gatsby, Baz Luhrmann, a lui-même tiré avantage du domaine public avec son film « Roméo+Juliette » en 1996. Le film était, bien sûr, une version très modernisée et adaptée de la pièce classique de Shakespeare, exactement le genre de chose qu’un ayant droit pourrait interdire en raison d’une « intégrité artistique », s’il existait une entreprise commerciale « Shakespeare » aussi douée pour le lobbying que Disney ou la MPAA.

Mais le film a aussi été un succès populaire et critique, rapportant presque 150 millions de dollars de recettes au box office, et le monde du cinéma se serait appauvri sans lui. Il devrait être évident pour Hollywood que le domaine public joue un rôle important en faveur d’une culture prospère, aussi bien sur le plan artistique que sur le plan économique. Augmenter la portée du copyright peut avoir paru un bon moyen de garantir les profits annuels, mais finalement le prix à payer est fort élevé aussi bien pour Hollywood que pour l’intérêt général.

Crédit photo : Bill Mc Intyre – licence CC BY-NC-SA 2.0





Même la Bible n’échappe pas à la guerre du copyright !

Le saviez-vous ? Aussi étrange que cela puisse sembler on est loin de pouvoir affirmer que la Bible est dans le domaine public !

Pourquoi ? Parce que sa traduction dans le langage courant n’est elle généralement pas dans le domaine public et est donc soumise aux droits d’auteur classiques.

C’est pourquoi on trouve bien des version intégrales françaises sur Internet mais dont la traduction remonte à plus de cent ans, comme celle de L. Segond (1910) ou J.N. Darby (1872). Si on veut faire usage d’une traduction plus moderne, on se retrouve avec le tous droits réservés de l’éditeur de la traduction.

Du coup, certains, comme ici en Suède, souhaitent proposer leur propre traduction pour la placer directement dans le domaine public. Mais c’est alors sans compter sur les ayants droit qui font tout pour bloquer l’initiative. Choquant non, qu’on soit ou non chrétien !

NYC Wanderer - CC by-sa

Les créateurs d’une Bible dans le domaine public menacés par un procès par les tenants du monopole du copyright sur la Bible

Creators Of Public-Domain Bible Threatened With Lawsuit By Other Bible’s Copyright Monopoly Holders

Nick Falkvinge – 15 avril 2013 – Blog personnel
(Traduction : wikimoine, Axl, fcharton, Moosh, MFolschette + anonymes)

La religion est un gros marché. La Bible chrétienne, comme n’importe quel livre, est sous un monopole de copyright — ou, pour être précis, toute traduction de moins de 100 ans environ est sous un monopole de copyright, et les personnes citant la Bible chrétienne rapportent beaucoup d’argent en termes de licences aux propriétaires de ces copyrights. Quelques militants, considérant que ce n’était pas cohérent avec la religion, ont décidé de créer une alternative libre, pour finalement être menacés de poursuites juridiques.

Un groupe de militants suédois de la culture/connaissance libre a décidé de retraduire la Bible chrétienne en langage courant, en utilisant des sources qui ne sont plus couvertes par le copyright. Ils ont ensuite mis le résultat de leurs travaux dans le domaine public. Le nom de ce projet était Free Bible (pour : « Bible libre »).

C’est un objectif louable, évidemment, indépendamment de vos convictions religieuses. Le projet a été attaqué à plusieurs reprises par les défenseurs des monopoles et des traductions dominantes, prétextant que le projet « n’était pas nécessaire », étant donné que tout le monde pouvait citer leur Bible.

C’est effectivement le cas, mais uniquement parce que la loi précise spécifiquement que les détenteurs du copyright ne peuvent s’opposer au droit de citation. De plus, une personne annonçant « nous donnons l’autorisation à X aujourd’hui, donc vous n’avez pas besoin d’une alternative libre » me laisse un arrière-goût très amer. Le but d’un tel projet est en premier lieu de retirer la possibilité même d’une personne à autoriser ou refuser une telle permission, et non de d’obtenir un droit ponctuel.

Les conditions de licence pour citer la Bible sous copyright ont beaucoup changé dans la nuit où le le projet Free Bible a été annoncé : ils sont passés de frais considérables pour chaque reproduction au delà d’une très petite quantité, quel que soit le contexte, à des frais de licence pour un usage commercial seulement. Une version dans le domaine public est toujours justifiée, mais cela souligne la possibilité de briser un monopole.

Cependant, la situation s’est considérablement aggravée. La semaine dernière, les détenteurs du monopole ont envoyé une lettre menaçant de procès les traducteurs de la Free Bible s’ils ne mettaient pas à jour une page de blog (!) pour correspondre aux nouveaux termes de la licence (!!). La page de blog en question expliquait les raisons d’être du projet Free Bible, et décrivait pourquoi une version dans le domaine public était nécessaire, en mettant en avant les contraintes de licence pour l’utilisation du livre de nos jours.

Pour ajouter l’insulte à la blessure, cette lettre de menace n’a à peu près aucun poids légal. La page était exacte au moment de son écriture, et, de plus, on ne peut pas en Suède accuser une organisation de calomnie ou de diffamation — seulement un individu. Aussi, cette lettre de menace est doublement inconvenante, et elle confirme le besoin d’une version libre de l’œuvre en question.

Certains Chrétiens ne font pas vraiment aux autres ce qu’ils souhaiteraient que les autres fassent pour eux. De ce point de vue, le perpétuel droit des détenteurs du copyright semble prévaloir, où qu’il soit.

Crédit photo : NYC Wanderer (Creative Commons By-Sa)