Le temps de cerveau disponible des utilisateurs de Google Chrome

Elliott Brown - CC byNous nous faisons régulièrement l’écho de la concurrence entre les navigateurs Mozilla Firefox et Google Chrome, et ce au sein même de la communauté du Libre.

Faites comme vous voulez mais ce petit rappel sur les réelles motivations de Google n’est pas inutile, car on comprend alors mieux pourquoi Google fournit tant d’efforts pour développer et faire connaître son navigateur[1].

Et nous sommes tout d’un coup bien loin du Mozilla Manifesto

Le véritable intérêt de Chrome pour Google : l’utilisateur captif

Why is Chrome so important to Google? It’s a ‘locked-in user’

Larry Dignan – 14 avril 2011 – ZDNet
(Traduction Framalang : Vincent, Don Rico et Goofy)

Au départ, le navigateur Chrome n’est apparu que comme un projet secondaire de plus pour l’entreprise Google. Bien sûr, c’est un navigateur rapide. Bien sûr, Google a engrangé d’impressionnantes parts de marché en un temps record. Et bien sûr Google a donné un coup de fouet au développement des navigateurs.

Mais l’importance véritable de Chrome – qui explique pourquoi Google fait un tel battage publicitaire pour son navigateur dans le monde entier –, se résume à la valeur du capital client (NdT : customer lifetime value) de l’utilisateur de Chrome.

Au cours d’une conférence de presse sur les revenus de l’entreprise, on a demandé au directeur financier Patrick Pichette quelle était l’importance de Chrome, et sa réponse est édifiante.

En fait, Chrome a deux aspects distincts. Côté pile c’est une arme tactique, côté face c’est une arme stratégique. Chrome bouscule vraiment le Web et il offre un avantage extraordinaire : dès qu’un internaute l’adopte, il accède directement à ses requêtes Google via la barre d’adresses au lieu d’avoir à trouver la barre de recherche. D’un point de vue stratégique, il est intégré dans le système d’exploitation Chrome OS. D’un point de vue tactique, nous avons la garantie que tous les utilisateurs de Chrome restent captifs du moteur de recherche Google.

Nikesh Arora, directeur commercial chez Google, a lui aussi donné son analyse du retour sur investissement du marketing de Chrome.

Nous avons plus de 120 millions d’utilisateurs quotidiens et 40% d’entre eux sont arrivés récemment après notre campagne de publicité. L’usage de Chrome a progressé de 30% d’un trimestre à l’autre. Je pense donc que la stratégie de Chrome est la bonne. Voilà comment nous diffusons Chrome : soit les gens l’adoptent d’eux-mêmes, soit ils le font suite à nos efforts de marketing, ou bien encore nous travaillons avec des partenaires qui nous aident à le promouvoir.

Dans ce contexte, nous avons donc estimé que la campagne marketing produit finalement un retour sur investissement bien meilleur que lorsque nous devons passer des accords de partenariat. Vous verrez un jour ou l’autre que les coûts d’acquisition du trafic et celui du marketing de Chrome sont interchangeables. Quand nous investissons dans le marketing de Chrome, c’est autant que nous n’avons pas à sortir pour le coût d’acquisition du trafic. Vous pouvez donc vous attendre à ce que nous continuions à mener cette stratégie pour Chrome parce qu’il ne s’agit pas seulement pour nous d’un avantage spécifique de Chrome, mais parce que nos autres produits liés à Chrome en bénéficient. Le temps consacré à Chrome par chaque utilisateur a donc pour nous une valeur phénoménale.

Si l’on extrait l’essentiel de ces commentaires, voici ce qu’on peut retenir de Chrome :

  • Chaque utilisateur de Chrome contribue par son usage à l’amélioration de la qualité de la recherche.
  • Chaque utilisateur de Chrome utilisera Google de façon massive et presque exclusive.
  • Google peut dépenser moins en coût d’acquisition du trafic.
  • L’entreprise n’a pas besoin de dépenser autant pour la diffusion de son produit – pensez par exemple au budget consacré à la boîte de recherche dans Firefox (NdT : et qui fait vivre en grande partie Mozilla).
  • Enfin, il y a de grandes chances que l’utilisateur captif augmente encore sa consommation de produits Google à mesure que l’entreprise développe ses applications pour Chrome et les fonctionnalités sociales qui gravitent autour.

Au passage, Chrome permet aussi à Google de mieux faire respecter les standards des navigateurs, mais ce retour sur investissement semble décidément bien naïf comparé au profit que représente le temps de cerveau disponible de l’utilisateur de Chrome.

Notes

[1] Crédit photo : Elliott Brown (Creative Commons By-Sa)




J’ai signé la lettre pour l’open data à Toulouse

David Chemouil - Open Data ToulouseL’open data est dans tous ces états actuellement !

Il y a deux ans, nous avions publié un article intitulé S’il te plaît… dessine-moi une ville libre. Il sagissait en l’occurrence de Vancouver mais depuis de nombreuses autres cités se sont emparées de la question, et commencent à y apporter des réponses en impliquant leurs administrés.

Quitte à ce que ce soit les administrés eux-mêmes qui suggèrent fortement l’idée à leurs leaders politiques locaux, comme c’est le cas ici pour Toulouse, qui souhaite emboîter le pas à Rennes, Paris ou Nantes pour faire vivre ses données publiques.

Open Data Toulouse – Entretien avec David Chemouil

Bonjour pouvez-vous vous présenter succinctement ?

J’ai 36 ans, je suis chercheur en informatique à Toulouse, où je vis avec ma compagne et ma fille. Très sensible à la question du logiciel libre (je suis tombé dedans il y a un peu plus de 15 ans pendant mes études), je suis aussi administrateur de l’April depuis cette année.

Mais dans le cas présent, je suis surtout point de contact d’un collectif s’intéressant à une question connexe, celle de l’open data à Toulouse et sa région.

Qu’est-ce que l’open data ?

L’open data, c’est un mouvement international qui promeut la libération des données publiques non-nominatives.

Les données publiques, ce sont en gros les informations exploitées et conservées par les services publics (collectivités locales, État, mais on peut aussi penser à certaines sociétés privées travaillant directement pour les services publics). Ces données concernent des sujets très variés : cela peut aller d’informations sur la pollution dans une ville à la position des arbres entretenus par les jardiniers de la ville, ou encore le budget d’une ville ou d’une région et sur quels postes il est utilisé… Ou bien la position des bus en temps-réel…

Or, la plupart de ces informations se trouve de nos jours sous forme informatisée dans diverses bases de données. Vient alors l’idée, assez naturelle, que ces données pourraient la plupart du temps être rendues publiques (en tenant compte de la loi, bien sûr, d’où l’exclusion des données nominatives du champ de l’open data). Pour quoi faire ? Eh bien, pour des utilisations très variées.

Sur le plan socio-économique, cela permet d’imaginer des applications que les acteurs publics n’ont pas nécessairement les moyens de mettre en œuvre, ou alors dont personne n’a l’idée sauf une personne ingénieuse. Cela permet aussi de lever des barrières organisationnelles (par exemple, le fait que les informations relatives à des moyens de transport différents ne sont pas reliées, pas forcément à cause d’une mauvaise volonté mais plutôt pour des raisons structurelles). Parmi les applications déjà proposées dans des initiatives similaires, on a par exemple des sites web calculant des itinéraires adaptés aux personnes à mobilité réduite, empruntant des voies sur lesquelles il n’y a pas de gravier, les trottoirs sont tous équipés de passages bateau, etc. Ou alors des sites proposant des itinéraires empruntant à la fois la marche, le vélo de location, le bus et le train…

Sur un plan plus citoyen et politique, on peut utiliser les données pour évaluer les politiques publiques. De ce côté là, l’association Regards Citoyens propose plusieurs applications, notamment une intéressante sur le redécoupage de la carte électorale, qui permet d’en estimer son impact sur la représentation des partis politiques.

Outre ces raisons, on peut aussi penser qu’il n’est pas anormal que ces données, dont la collecte et la maintenance sont financées par les impôts, soient accessibles aux citoyens.

Pourquoi l’open data et les logiciels libres vont très bien ensemble ?

J’y vois au moins deux raisons.

En premier lieu, on sent bien qu’il y a une parenté entre ces deux domaines, avec l’idée que des objets techniques porteurs de connaissances -les logiciels, les données-  ont vocation à être librement accessibles, reproductibles, diffusables, modifiables, etc. On parle souvent à leur propos de bien non-rivaux, ce qui signifie que les donner à quelqu’un n’enlève pas de connaissance à celui qui a donné.

Toutefois, il y a aussi des différences entre logiciels et données. Pour cette raison, des licences spécifiques ont été proposées pour ces dernières. Celle que nous préconisons pour Toulouse est l’Open Database License v1.0. Il n’y aucune originalité de notre part là dedans, c’est la licence préconisée par de nombreux tenants de l’open data. En gros, elle permet le partage des données, la création d’œuvres à partir des données, leur adaptation. Elle impose aussi des devoirs : l’origine des données ou œuvres basées sur les données doit être clairement tracée, la licence doit être préservée (clause de réciprocité analogue au copyleft des licences GNU) et l’ouverture doit être préservée (il s’agit là d’une clause qui permet de se protéger des menottes numériques que sont les DRM).

Je disais qu’il y avait au moins deux raisons. Pour la seconde, il me semble qu’un certain nombre de logiciels faisant usage des données publiques ont vocation à être libres. Pour les raisons usuelles qu’invoquent les défenseurs du logiciel libre bien sûr, mais aussi parce que certaines applications à teneur politique doivent pouvoir être étudiées. Afin de vérifier, sinon l’objectivité des calculs, au moins étudier les choix faits par les concepteurs de l’application.

Qui est open data Toulouse, pourquoi avoir créé ce collectif et que souhaitez-vous à court et à long terme ? quels sont les éventuels obstacles a lever ?

Open Data Toulouse, c’est un collectif qui s’est créé un peu par hasard. Un collègue et moi-même nous intéressions au départ à la question du déplacement dans l’agglomération, en particulier pour favoriser les déplacements domicile-travail pas trop, voire pas du tout, polluants. En particulier, comment encourager les usagers à ne pas avoir envie de prendre leur voiture ? Il nous est vite apparu qu’il manquait à Toulouse des informations publiques relatives aux transports, mises à jour en temps-réel. Par exemple, si je dois attendre le bus 30 minutes sous la pluie, ce n’est pas la même chose que si je reçois un avertissement à mon bureau me disant que le bus sera là dans 5 minutes. De même, si le train a une panne, inutile que j’aille jusqu’à ma gare habituelle, mieux vaut que je prenne un bus spécifique. Mais il faut pouvoir en être averti.

De fil en aiguille, nous avons pris conscience que le problème était plus général et rejoignait la question de l’open data. Nous avons donc rencontré diverses personnes, associations et sociétés et mis au point une lettre commune, fondée sur celle élaborée pour la même raison à Nantes par l’association LiberTIC (merci à cette dernière pour nous avoir permis cette réutilisation). Nous avons adressé cette lettre le 4 avril à M. Pierre Cohen, Président du Grand Toulouse.

Par cette lettre, nous souhaitons surtout montrer à M. Cohen et son administration que cette question remporte l’adhésion de beaucoup de monde. Nous avons quelques contacts au Grand Toulouse et il semble que cette idée soit accueillie positivement. Évidemment, tout reste à faire, et il ne suffira pas, le cas échéant, de déclarer l’ouverture des données. La mise en œuvre de cette ouevrture nécessite, encore une fois, une licence satisfaisante (comme l’ODbL v1.0) et implique aussi des efforts (mise à disposition des données sur un serveur, mise à jour régulière, etc.). La réunion de ces facteurs, c’est la liste des obstacles potentiels. Pour les surmonter, nous comptons sur des réunions de sensibilisation, mais il nous faut aussi, pour être pris au sérieux, de nombreuses signatures.

Pour finir, nous visons à court terme le lancement de l’open data dans le Grand Toulouse. Mais il s’agit seulement d’un début, bien sûr. Nous comptons à plus long terme sur l’effet d’entraînement du Grand Toulouse vis-à-vis des autres collectivités : les autres communes environnantes mais aussi le département, la région, d’autres services publics, etc.

On parle également d’open data à Rennes, Nantes ou Paris. Vous pouvez-nous en dire plus et etes-vous en relations avec les acteurs de ces villes pour fédérer les actions ?

Nous avons été un peu en contact avec LiberTIC à Nantes qui a été moteur dans l’open data sur place. Et nos homologues parisiens nous ont contacté aujourd’hui ! De fait, nous sommes intéressés par tout retour d’expérience et éventuellement collaboration sur le sujet.

Peut-on signer la lettre quand bien même nous ne sommes pas Toulousain ?

Tout à fait, la question de l’open data concerne tout le monde. Ceci dit, nous espérons tout de même une forte participation des habitants du Grand Toulouse ainsi que des environs (je songe en particulier à toutes les personnes qui travaillent dans l’agglomération toulousaine mais n’y habitent pas). C’est évidemment la première chose que regarderont M. Cohen et l’administration du Grand Toulouse.

J’ajoute, pour les personnes qui signeraient, qu’elles ne doivent pas hésiter à sensibiliser leur entourage à signer aussi !




Le saviez-vous ? Microsoft contribue au noyau Linux !

—> La vidéo au format webm




J’ai mal à mon Gmail ou le piège du code JavaScript non libre

Rovlls - CC byCertains résistent encore mais nombreux sont les visiteurs (et rédacteurs) de ce site à posséder un compte de messagerie Google Gmail.

Il faut dire que, techniquement parlant, c’est une excellente application en ligne[1].

Mais il ne faut pas oublier de dire aussi que, techniquement parlant, l’application est propulsée par du code JavaScript qui est malheureusement non libre, avec toutes les conséquences (néfastes) que cela implique.

Or puisqu’il existe une version simplifiée de Gmail, épurée de ce code, cela signifie d’abord que l’on peut s’en passer et ensuite que cette surcouche pourrait fort bien devenir libre.

C’est la proposition de la Free Software Foundation qui nous invite à faire pression sur Google pour qu’il accepte ce pas dans la bonne direction.

Évitons les pièges du JavaScript de Gmail

Avoid the pitfalls of the JavaScript Trap on Gmail

Matt Lee – 30 mars 2011 – FSF.org
(Traduction Framalang : Goofy et Penguin)

Nous lançons aujourd’hui la première phase d’une série d’opérations à mener pour utiliser les sites Web les plus populaires sans leur code JavaScript propriétaire.

Vous n’êtes peut-être pas conscient des dangers du JavaScript, un problème que nous avons intitulé le piège JavaScript, lorsque du logiciel propriétaire est exécuté dans le navigateur de votre ordinateur.

Nous concentrerons notre première opération sur le service Gmail de Google.

Le piège JavaScript

Lorsque vous visitez un site Web comme Gmail, votre navigateur va télécharger et exécuter plusieurs milliers de lignes de code JavaScript. Le code JavaScript n’est pas différent de langages comme Pyhon, C++ ou Ruby (les applications qui sont exécutées sur nos ordinateurs et qui sont écrites dans ces langages doivent être des logiciels libres, afin que nous puissions les exécuter, les modifier et les partager si nous en avons envie). Le JavaScript d’aujourd’hui n’est plus le JavaScript d’autrefois, il est désormais utilisé pour écrire de puissantes applications côté serveur grâce à des logiciels libres comme Node.js et le moteur JavaScript V8.

De plus, nous avons vu récemment des entreprises comme Research In Motion (les fabricants du BlackBerry) recommander à leurs clients de désactiver complètement le JavaScript du navigateur WebKit de leurs téléphones à cause de la découverte d’un problème de sécurité. Même si les logiciels libres qui intègrent du JavaScript peuvent également avoir des problèmes de sécurité, cet exemple illustre le fait que nous avons un réel besoin d’avoir accès au code qui s’exécute sur nos ordinateurs, et de pouvoir le modifier.

Ce que JavaScript pourrait faire

Il est évident que le JavaScript est une technologie très puissante et très utile lorsqu’elle se trouve entre de bonnes mains. De nombreux développeurs de logiciels libres ont ainsi écrits des extensions et des améliorations pour des sites populaires grâce à des outils comme GreaseMonkey. Il existe une flopée de scripts Greasemonkey libres pour Gmail. L’existence de tels scripts montre à la fois que le JavaScript de Gmail n’est pas trivial, mais également que des utilisateurs pourraient faire des contributions intéressantes et utiles si le code JavaScript était publié en tant que logiciel libre pour leur permettre de le modifier.

Par ailleurs, des sites comme Gmail, Twitter et Facebook utilisent beaucoup trop de JavaScript pour proposer leurs services. La preuve en est que les mêmes services en version mobile proposent pratiquement les mêmes fonctionnalités sans JavaScript. Là où la nécessité du JavaScript se fait sentir il peut être publié en tant que logiciel libre, et là où ces raffinements supplémentaires sont facultatifs, on peut fournir une version basique du site qui n’a pas besoin de JavaScript.

Google a fait un premier pas vers cet objectif en développant une version du site Gmail en « Version HTML simplifiée », qui ne dépend donc pas d’un copieux code JavaScript pour proposer une interface utilisateur. Google propose également les protocoles IMAP et POP qui permettent d’accéder aux comptes Gmail sans passer du tout par la case site Web. Ces initiatives constituent toutes deux des avancées positives vers un idéal plus vaste.

Notre requête à Google : une étape de plus dans la bonne direction

Si vous utilisez Gmail, demandez gentiment mais fermement à Google d’être « logiciel libre friendly » en publiant le code JavaScript de Gmail sous une licence libre. En acceptant de le faire, Google permettrait aux utilisateurs qui accordent de l’importance aux libertés logicielles d’utiliser Gmail dans une version avancée, et de proposer des contributions et modifications utiles à tout le monde.

Nous serions ravis de recevoir vos réactions et suggestions, ainsi que les démarches que vous proposez pour les sites les plus connus. Vous pouvez dès maintenant ajouter vos idées et contributions sur le wiki de LibrePlanet.

Notes

[1] Crédit photo : Rovlls (Creative Commons By)




4 questions à J. Zimmermann, porte-parole d’une Quadrature du Net à soutenir

Soutien - La Quadrature du Net - Geoffrey Dorne - CC by-nc-saDepuis trois ans la Quadrature agite le Net sans relâche pour qu’il reste cet espace de liberté où tant de belles initiatives ont pu prendre forme et se développer, à commencer par le logiciel libre.

L’année dernière, nous nous faisions l’écho d’un appel de Benjamin Bayart pour la Quadrature puisse poursuivre son action.

Un an et quelques belles batailles législatives plus tard, la Quadrature du Net lance une nouvelle et cruciale campagne de financement[1].

L’occasion de faire le point et de revenir avec son porte-parole Jérémie Zimmermann sur les origines, les motivations et les objectifs de cet indispensable mégaphone citoyen dont la portée dépend directement de notre propre implication.

4 questions à Jérémie Zimmermann

Un entretien réalisé par Siltaar pour Framasoft

1. D’où vient « La Quadrature du Net » exactement ?

De cinq co-fondateurs: Philippe Aigrain, Christophe Espern (aujourd’hui retiré), Gérald Sédrati-Dinet, Benjamin Sonntag et moi-même.

Nous étions à la base 5 hackers[2], tous passionnés de logiciels libres et engagés dans les combats pour le logiciel libre, contre les brevets sur les logiciels, contre la DADVSI et pour une infrastructure informationnelle libre.

Avec l’élection de Nicolas Sarkozy, nous avons vu dans son programme, en filigrane, une attaque violente des libertés sur Internet. C’est pour cela que nous avons créé la Quadrature du Net. Pour agir et avant tout pour permettre à chacun de réagir.

Nous avons donc appris de nos expériences associatives et militantes respectives, et choisi de créer une « non-structure », une association de fait, sans président ni membres, qui ne représente que la voix de ses co-fondateurs. Nous défendons une vision d’Internet conforme à ses principes initiaux de partage de la connaissance et d’ouverture, plutôt qu’un Internet « civilisé » basé sur le contrôle et la répression.

Aujourd’hui, je vois la Quadrature du Net comme une caisse à outils. Nous fabriquons des outils (analytiques ou techniques) pour permettre à tous les citoyens de comprendre les processus visant à attaquer leurs libertés individuelles en ligne, et à réagir en participant au débat démocratique.

2. Plusieurs initiatives de la Quadrature ont été largement relayées sur le Web (blackout contre Hadopi, campagne d’appel des députés européens pour l’amendement 138 ou la déclaration écrite n°12), où en sommes-nous aujourd’hui ?

Les résultats sont nombreux et dans l’ensemble très positifs. Nous en sommes les premiers surpris. Outre les victoires législatives (nous avons joué un rôle dans le rejet de l’HADOPI 1, puis la décision du Conseil Constitutionnel la décapitant, dans le vote par deux fois à 88% du Parlement européen du célèbre amendement 138 interdisant les restrictions d’accès sans intervention du juge, etc.), nous avons à notre actif un certain nombre de victoires non-législatives (peser sur des rapports parlementaires européens comme le rapport Lambrinidis, le rapport Medina, ou porter et compléter la « déclaration écrite n°12 » contre ACTA, etc.).

Prenons l’exemple de l’accord multilatéral ACTA : un infect contournement de la démocratie par les gouvernements visant à imposer de nouvelles sanctions pénales dans le cadre de la guerre contre le partage. Nous avons joué un rôle majeur en Europe, notamment en fuitant des versions de travail du document et en alertant les eurodéputés. Le texte définitif, quoiqu’encore très dangereux, est très largement influencé par nos actions, et si nous avons aujourd’hui une maigre chance de le faire rejeter dans son ensemble au parlement européen (vote autour de l’été, à suivre…), c’est sans doute le fruit de ces longues années d’efforts. Et il reste beaucoup à faire : Sur ACTA comme sur tout le reste des dossiers, nos adversaires ont des hordes de lobbyistes payés à plein temps pour tirer la corde dans la direction opposée.

Mais c’est surtout en dehors des textes législatifs eux-mêmes, en complément, que notre action a été je pense la plus utile : à créer un contexte politique autour de ces questions de libertés fondamentales et d’Internet. Il s’agit désormais d’un sujet que les députés et eurodéputés craignent, car ils savent que cela intéresse beaucoup de monde, ils l’ont vu lors de certaines campagnes que nous avons montées et qui les ont surpris. De la même façon dans de nombreux cercles politiques, institutionnels ou universitaires, ces sujets deviennent de plus en plus importants, et chacun commence à réaliser combien ils seront déterminants pour le futur de nos sociétés. L’affaire des câbles diplomatiques fuités par Wikileaks ou la révolte Égyptienne en ont été des exemples flagrants.

Un autre exemple : la question de la neutralité du Net. C’était un obscur dossier technique jusqu’à ce que nous contribuions à en faire un des enjeux-clé de la révision des directives européennes du Paquet Télécom, au point que les eurodéputés obligent la Commission à s’en saisir, ce qui a généré de nombreux articles de presse. Aujourd’hui en France, une mission d’enquête parlementaire composée de députés UMP (Laure de la Raudière) et PS (Corinne Erhel) étudie ce sujet et rendra bientôt un rapport, probablement assorti d’une proposition législative. C’est un sujet qui fait aujourd’hui débat.

Nous nous attachons à des sujets fondamentaux, qui dépassent les clivages politiques traditionnels. Nos victoires se marquent donc esprit par esprit, et nos objectifs sont à des termes qui vont au delà de ceux des mandats électoraux. D’un autre côté ce sont des dossiers souvent complexes, mêlant technologie, droit, éthique et économie… Il nous faut donc faire un travail de fourmis sur les dossiers, tout en rugissant parfois comme des lions pour se faire entendre ! Mais cela ne fonctionnerait pas sans votre soutien à nos actions, si chacun ne participait pas un peu, à son échelle et selon ses moyens.

3. Quelles sont les prochaines batailles qui se profilent à l’horizon pour la défense de la neutralité du Net ?

La bataille de l’ACTA est sans doute l’un des enjeux les plus importants auxquels nous avons eu à faire face depuis bien longtemps. Cet accord[3] prévoit entre autres de nouvelles sanctions pénales pour le fait d’« aider ou faciliter » des « infractions au droit d’auteur à échelle commerciale ». Cela veut dire tout et son contraire. N’importe quelle compagnie d’Internet (fournisseur d’accès, plate-forme d’hébergement ou fournisseur de service) tomberait potentiellement dans cette définition. La seule solution pour elle pour éviter de lourdes sanctions qui compromettraient son activité serait de se transformer en police privée du droit d’auteur sur le Net, en filtrant les contenus, en restreignant l’accès de ses utilisateurs, etc. Exactement ce que souhaitent les industries du divertissement qui sont à l’origine de cet accord, déguisé en banal accord commercial, dans le cadre de la guerre contre le partage qu’elles mènent contre leurs clients.

Si nous laissons la Commission européenne et les États Membres s’entendre pour imposer entre-autres de nouvelles sanctions pénales, alors que ces dernières sont normalement du ressort des parlements, la porte serait ouverte à toutes les dérives. Un tel contournement de la démocratie pourrait laisser des traces durables. Nous devons tout faire pour que l’ACTA soit rejeté par les eurodéputés.

La question de la neutralité du Net est elle aussi complètement fondamentale. Il faut que nous nous battions pour avoir accès à du vrai Internet, cet Internet universel qui connecte tout le monde à tout. Internet, et les bénéfices sociaux et économiques qui en découlent, dépendent de sa neutralité, c’est à dire du fait que nous pouvons tous accéder à tous les contenus, services et applications de notre choix, et également en publier. C’est ainsi que nous pouvons par exemple accéder à tous ces logiciels libres, à Wikipédia, mais également y contribuer, ou créer dans son garage une start-up qui deviendra peut-être le prochain moteur de recherche dominant, ou un petit site qui deviendra un jour une incontournable référence comme Framasoft 😉

Si un opérateur commence à discriminer les communications, que ce soit en fonction de l’émetteur, du destinataire ou du type de contenus échangés, alors ça n’est plus Internet. C’est ce qui est fait en Chine ou en Iran pour des raisons politiques, mais également ce que font Orange, Bouygues et SFR lorsque pour des raisons économiques lorsqu’ils interdisent la voix sur IP, l’accès aux newsgroups ou aux réseaux peer-to-peer (évidemment dans le but de vous vendre leurs propres services, souvent moins compétitifs et bien plus chers).

Nous devons nous battre pour cet Internet que nous construisons chaque jour, que nous aimons et qui nous appartient à tous. C’est cet Internet universel le vrai Internet « civilisé », et non celui vu par Nicolas Sarkozy et les industries qu’il sert, dans lequel nos libertés s’effaceraient derrière un contrôle centralisé malsain et dangereux pour la démocratie.

4. Quel rôle pouvons-nous jouer ?

Dans tous ces dossiers, il est indispensable de comprendre que La Quadrature du Net ne sert à rien sans les centaines, les milliers de citoyens qui la soutiennent, chacun à leur échelle, participent à ses actions, suivent cette actualité et en parlent autour d’eux…

Au jour le jour, il est possible de participer sur le terrain, par exemple sur notre wiki, notre liste de discussion ou notre canal IRC. Des tâches précises comme le développement de nos outils (Mémoire Politique, le Mediakit, nos bots IRC, etc. ), le webdesign et la création de matériaux de campagne (affiches, bannières, infographies, clips, etc.), ou la participation à notre revue de presse ont toutes, constamment, besoin de nouvelles participations.

Il est également indispensable de participer en prenant connaissance des dossiers et en relayant nos communications et nos campagnes, en contactant les élus (députés et eurodéputés), en discutant avec eux de ces sujets pour les persuader jusqu’à établir une relation de confiance, pour pouvoir les alerter le moment venu.

Devant des enjeux d’une importance aussi cruciale, rappelons-nous cette célèbre parole de Gandhi : « Quoi que vous ferez, ce sera forcément insignifiant, mais il est très important que vous le fassiez tout de même. ».

Enfin, si pour des raisons diverses et variées il n’est pas possible de contribuer à ces tâches, il est toujours possible de nous soutenir financièrement, idéalement par un don récurrent.

Il est de notre devoir, tant qu’il nous reste encore entre les mains un Internet libre et ouvert, donc neutre, d’agir pour le protéger.

Soutien - La Quadrature du Net - Geoffrey Dorne - CC by-nc-sa

Notes

[1] Crédit illustrations : Geoffrey Dorne (licence Creative Commons By-Nc-Sa)

[2] Au sens étymologique, des passionnés de technologie aimant comprendre le fonctionnement des choses et les faire fonctionner mieux.

[3] ACTA = Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ou Accord Commercial Anti-Contrefaçon. Il s’agit d’un accord multilatéral entre 39 pays, dont les 27 États-Membres européens.




Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire – par Laurent Chemla

Evil Erin - CC byOn trouve un article puissant et inédit de Laurent Chemla en ouverture (ou prolégomènes) du tout récent framabook AlternC Comme si vous y étiez.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé[1].

Autant s’y faire. Et, contrairement à d’autres, nous nous y faisons très bien 😉

Pour rappel toute l’équipe l’AlternC vous attend à La Cantine lundi 28 mars prochain (de 19h à 22h) pour fêter simultanément la sortie du livre, les dix ans d’AlternC et la version 1.0 du logiciel !

Remarque : Ce n’est pas le premier article de Chemla que nous reproduisons sur le Framablog (cf L’avenir d’Internet). Par ailleurs je le remercie de m’avoir ouvert les yeux en 1999 avec Internet : Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth.

Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire

Laurent Chemla – juillet 2010 – Licence Creative Commons By-Sa

Plus que jamais, à l’heure où j’écris ces lignes, Internet est la cible des critiques du pouvoir. Il serait responsable de toutes les dérives, de toutes les ignominies, il nous ramènerait aux pires heures de notre histoire et serait le lieu de toutes les turpitudes.

Bon. Depuis longtemps, je dis qu’il est normal – de la part de ceux qui disposaient de l’exclusivité de la parole publique – de s’inquiéter de l’avènement d’un outil qui permet à tout un chacun de s’exprimer. Pas de quoi s’étonner, dès lors, des attaques furieuses que subit le réseau.

Tant qu’il ne s’agit que de mots…

Oh bien sûr, le législateur étant ce qu’il est, il tente souvent d’aller au delà des mots. Il fait aussi des lois. C’est son métier.

Or donc – sans volonté d’exhaustivité – nous avons vu depuis 1995 un certain nombre de tentatives de « régulation », de « contrôle », voire même de « domestication ». Il y a eu la loi Fillon, la commission Beaussant, la LCEN, la DADVSI, la LSI, la LSQ, et plus récemment HADOPI et LOPPSI. Beaucoup d’acronymes et de travail législatif pour un résultat plus que mince : ce qui n’a pas été retoqué par le Conseil Constitutionnel s’est toujours avéré inapplicable.

La seule chose qui reste, c’est le principe d’irresponsabilité pénale des intermédiaires techniques (LCEN). Grand succès !

On pourrait imaginer que le pouvoir apprendrait quelque chose d’une telle suite d’échecs. On pourrait penser, par exemple, qu’il mesurerait le risque de vouloir créer des lois d’exceptions selon qu’on s’exprime sur Internet ou ailleurs. Que nenni : aujourd’hui encore, j’apprends qu’une député vient de se ridiculiser en proposant d’encadrer le journalisme « en ligne ».

J’ai hâte. On en rigole d’avance.

Mais qu’est qui rend Internet si imperméable à ces tentatives réitérées de contrôle ? J’y vois (au moins) quatre raisons majeures :

La première (dans tous les sens du terme) est historique. À la demande de l’armée américaine, qui souhaitait trouver une parade au risque d’une attaque nucléaire contre son réseau de télécommunication, Internet a été inventé à la fin des années 1960 (dans l’Amérique de Woodstock et de la lutte contre la guerre du Vietnam) par de jeunes universitaires qui rêvaient d’un monde dans lequel l’accès à un réseau mondial de communication serait un droit pour tous (pour que son impact social soit positif)[2].

À l’époque de Mac Luhan, les bases théoriques du futur réseau sont toutes influencées par l’utopie du « village global » et teintées d’idéologie libertaire. Le principe selon lequel la rédaction d’une RFC (texte définissant un des standards d’Internet) doit être ouverte à tous, scientifique ou non – et son contenu libre de droit – est adopté en avril 1969.

Quoi d’étonnant dès lors si le résultat est un réseau presque entièrement décentralisé et non hiérarchique ? Après tout, c’est bien ce que l’armée américaine avait demandé à ses jeunes ingénieurs : un réseau centralisé est facile à détruire (il suffit d’attaquer le centre).

Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
Internet est difficile à détruire.
Donc Internet est difficile à contrôler.

Il faudrait, pour qu’Internet soit plus aisément « domestiquable », que ses bases théoriques mêmes soient revues (à l’exemple du Minitel pour lequel l’émission de contenus était soumise à l’approbation préalable de France Telecom). Mais comment démanteler l’existant et interdire l’utilisation d’une technologie ayant fait ses preuves à tous ceux qui l’ont adoptée depuis des années ?

Et surtout – c’est la seconde raison qui fait d’Internet un bastion dont la prise semble bien difficile – le réseau est international.

On peut, même si c’est difficile à envisager, imaginer qu’un pays impose à ses citoyens l’usage d’une technologie « contrôlée » plutôt qu’une autre, trop permissive. Mais quel pouvoir pourrait faire de même à l’échelle du monde ?

Et comment, dès lors qu’il existerait ne serait-ce qu’un seul endroit dans le monde qui protège la liberté totale de communication (comme c’est le cas depuis peu de l’Islande), empêcher les citoyens et les entreprises du monde entier d’exporter dans ce lieu une communication désormais dématérialisée ?

Pour y parvenir, il faudra non seulement pouvoir contrôler tel ou tel réseau imaginaire, mais aussi réussir à interdire toute communication internationale… Mission impossible. Et puis, comment imaginer la fin des « paradis numériques » dans un monde qui n’a jamais réussi à obtenir celle des paradis fiscaux ?

Internet est supranational.
Il existera toujours des paradis numériques.
Donc l’information ne pourra jamais être contrôlée.

D’autant plus – et c’est la troisième raison majeure qui rend dangereuse toute tentative de contrôle des réseaux – qu’Internet est devenu désormais une source de croissance non négligeable. Une croissance qui dépend d’une législation pérenne et qui surtout va faire l’objet d’une concurrence effrénée entre les pays.

On n’imagine pas aujourd’hui une grande entreprise, telle que Google ou Facebook, avoir son siège social dans un pays dont la fiscalité n’est pas, disons, encourageante. Comment imaginer que demain une entreprise innovante, source d’emplois et d’impôts, se créera dans un pays dont la législation imposerait un contrôle trop strict de l’information diffusée ?

Tout contrôle nécessite une infrastructure plus chère, tant humaine que technique. Il va de soi qu’une entreprise capitaliste choisira plutôt, si elle a le choix, le pays d’accueil dont la législation numérique sera la plus laxiste, qui récupérera du coup les emplois et les impôts (et je ne dis pas que c’est bien : je dis juste que c’est dans ce monde là qu’on vit).

Et même avant d’en arriver là : imaginons qu’un pays impose le filtrage à la source de tout contenu illégal (en passant outre la difficulté technique inhérente). Quel entrepreneur de ce pays osera se lancer dans un nouveau projet novateur, sachant qu’il sera immédiatement copié par un concurrent vivant, lui, dans un paradis numérique et qui ne sera pas soumis aux mêmes contraintes ?

Internet est solide, c’est vrai, mais l’innovation reste fragile, et est souvent l’oeuvre de petites structures très réactives et pécuniairement défavorisées. Les lois votées à l’emporte-pièces sans tenir compte de cette fragilité-là sont autant de balles tirées dans le pied de la société toute entière.

La concurrence est mondialisée.
Une législation de contrôle coûte cher.
Donc les lois de contrôle d’Internet sont source de délocalisation.

Malgré tout il existe bel et bien des règles de vie supranationales et qui s’imposent à tout pays se voulant un tant soit peu démocratique. Mais si.

Je vais citer ici l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Lisez-la bien :

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Elle a été rédigée en 1948. Bien avant Internet, même si à la lire on a l’impression qu’elle a été écrite spécialement pour lui. Car en effet, il n’existait pas grand chose, avant Internet, pour « recevoir et répandre sans considération de frontière les informations et les idées ». Il faut croire que ses rédacteurs étaient visionnaires…

Comment s’étonner, à la lecture de cet article, du nombre de censures que notre Conseil Constitutionnel a opposé aux diverses velléités de contrôle que le pouvoir a tenté d’imposer depuis 15 ans ?

Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit.
Donc tout contrôle d’Internet risque d’être contraire aux droits de l’homme.

Sauf à s’exonérer des grands principes fondamentaux, et donc à vivre dans une société totalitaire, le contrôle ou le filtrage d’Internet se heurtera toujours à la liberté d’expression. Les états peuvent l’accepter, et à l’instar de l’Islande décider d’en profiter, ou refuser de le voir et, à l’instar de la France, se heurter sans cesse à un mur en essayant encore et encore de réguler ce qui ne peut l’être.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé.

Autant s’y faire.

Notes

[1] Crédit photo : Evil Erin (Creative Commons By)

[2] J.C.R Licklider et Robert Taylor, The Computer as a Communication Device in Science and Technology, April 1968.




Une France qui s’annonce terrifiante pour Internet et les libertés numériques

Fabrice Epelboin nous révèle aujourd’hui que ReadWriteWeb met fin à ses éditions européennes, avec toutes les questions que cela pose quant au devenir et aux archives de la version française de RWW.

C’est le risque lorsque l’on dépend d’une maison mère américaine et que les articles n’ont jamais eu l’honneur d’une licence Creative Commons (sauf justement ce dernier billet où Epelboin à décidé de s’affranchir de la tutelle dans un dernier baroud d’honneur).

Notez bien que pareille mésaventure peut arriver à tous ceux qui placent du contenu sur Facebook, Twitter ou Google (autant dire à tous le monde). Puisque en vous inscrivant à ces services vous adhérez à des conditions dont il est bien stipulé qu’elles peuvent changer à tout moment si le propriétaire en décide ainsi. Par exemple si les actionnaires de ces sociétés décident d’en modifier le modèle économique CQFD.

Merci au passage à Fabrice Epelboin[1] et à RWW France pour la pertinence et la pugnacité de leurs informations, reportages et analyses (cf l’excellente compilation Chroniques de l’Infowar 2010 De l’Hadopi à Wikileaks à conserver au cas où). Nous n’étions pas de trop pour tenter d’apporter un autre son de cloche face à des institutions publiques et privées qui ont la fâcheuse tendance à prendre le Net et les nouvelles technologies par le mauvais bout de la lorgnette.

Mais ce qui m’a le plus marqué c’est la conclusion du billet. Un peu comme si l’auteur s’était lâché en livrant véritablement le fond de sa pensée. Et cette pensée est d’autant plus pro-fonde que le gus sait de quoi il parle :

« Les temps qui viennent en France sont terrifiants pour internet et les libertés numériques. Du point de vue des lois qui s’y appliquent, nous ne sommes plus, sur l’internet Français, dans une démocratie.

Avec quelques gus dans un garage, nous avons réussi a sensibiliser pas mal de monde à ce problème, mais force est de reconnaître que nous avons, au mieux, mis des bâtons dans les roues d’un char d’assaut qui écrase toutes les velléités de liberté sur internet, et veut le civiliser comme il a colonisé hier ceux qu’il qualifiait de sauvages.

Un autre monde est possible, mais en France, ça va prendre du temps. Une fois de plus, le pays va prendre un retard considérable en matière de numérique, au point que sa place dans le monde de demain est désormais totalement compromise, mais ça, même sans comprendre quoi que ce soit à la neutralité du net ou aux enjeux sociétaux d’Hadopi et de Loppsi, vous avez du vous en apercevoir. »

Aux dernières nouvelles Fabrice Epelboin s’en irait rouler sa bosse en Tunisie. Parce qu’il souhaite désormais « construire avec » et non plus « lutter contre ».

Il reste une place dans l’avion ?




Avec Open Mesh les humains sont les routeurs (et sauvent les révolutions)

Tanakawho - CC byAyant tiré ses propres conclusions de la révolte tunisienne, l’Égypte décida, le 28 janvier dernier, de couper Internet pour neutraliser les moyens de communication et ainsi contrecarrer les manifestations anti-Moubarak.

Et tout d’un coup, ce qui était un extraordinaire avantage devint une formidable faiblesse.

Comment faire dès lors pour se prémunir d’une telle décision radicale et continuer à assurer l’un des droits de plus en plus fondamental de ce nouveau millénaire ?

Comme pour la Freedom Box, une piste de solution est à rechercher du côté du réseau maillé avec l’originalité de jouer nous-mêmes le rôle de routeurs Internet[1] :

« L’idée fondatrice d’OpenMesh est que nous puissions utiliser de nouvelles techniques pour créer un réseau Internet secondaire dans les pays comme la Libye, la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord et d’autres régimes répressifs dans lesquels les citoyens ne peuvent pas communiquer librement. En créant des routeurs mobiles qui se connectent entre eux, nous pourrions créer un réseau auquel les téléphones portables et les ordinateurs personnels se connecteraient. La première priorité serait de relier les personnes entre elles, la seconde de les relier au reste du monde. Sur un second front, nous pourrions utiliser des connexions intermittentes par satellite afin que les citoyens de ces pays puissent mettre en ligne et télécharger des informations avec le reste du monde… »

Les humains sont les routeurs

Humans are the routers

Shervin Pishevar – 27 février 2011 – Techcrunch.com
(Traduction Framalang : Naar, Pandark et Goofy)

Le 7 janvier 2010, j’étais convié à un petit dîner privé avec la secrétaire d’État Hillary Clinton au département d’État avec l’inventeur de Twitter, Jack Dorsey, Eric Schmidt, le PDG de Google et quelques autres. Nous étions là pour parler des technologies et des questions diplomatiques du XXIe siècle. Au cours de la discussion, j’ai remarqué près de moi la petite table sur laquelle Thomas Jefferson rédigea le premier jet de la Déclaration d’Indépendance. J’étais inspiré par l’Histoire qui nous entourait pendant que nous discutions de celle qui s’ouvrait devant nous. Je faisais face à Mme Clinton quand elle m’a posé une question à laquelle j’ai répondu : « Madame la Secrétaire d’État, le dernier bastion de la dictature est le routeur ». Cette soirée a fait germer certaines des idées au cœur de l’important discours de la secrétaire d’État au sujet des libertés sur Internet le 21 janvier 2010.

Passons directement, quasi un an plus tard,au 25 janvier 2011 — un jour qui devait marquer l’Histoire aux côtés de dates comme le 4 juillet 1776. La décision de l’Égypte de bloquer entièrement Internet et le réseau de télécommunications mobiles a été l’une des premières salves dans une guerre de munitions électroniques. Sur ce nouveau front, les humains sont les routeurs, et armés des nouvelles technologies, ils ne pourront plus jamais être bloqués ni réduits au silence.

J’étais debout depuis des jours, partageant et tweetant les informations au fur et à mesure de leur apparition. J’avais deux amis proches en Égypte, qui me transmettaient des informations quand ils le pouvaient. Le jour où l’Égypte a bloqué Internet et le réseau mobile, je me suis souvenu de ce que j’avais dit à la secrétaires d’État Clinton. La seule ligne de défense contre le filtrage et le blocage par un gouvernement des communications et de la coordination entre ses citoyens via les réseaux de communication était de créer un nouveau type de technologies de communication que les gouvernements auraient du mal à bloquer : un réseau maillé, sans fil, dédié. J’ai appelé cette idée OpenMesh et l’ai tweettée.

Au cours des heures qui ont suivi, grâce au travail commun des volontaires, le projet OpenMesh prenait forme, avec un nom de domaine, un site web et un forum. Un volontaire, Gary Jay Brooks, tech-entrepreneur du Michigan, s’est proposé comme directeur bénévole pour coordonner le travail. Une autre société au Canada a offert bénévolement des spécifications pour un mini-routeur mobile pouvant être dissimulé dans une poche, et dont la fabrication ne nous coûterait que 90 dollars par unité. Un autre pionnier des communications s’est manifesté pour faire don d’importants brevets dans ce domaine.

L’idée fondatrice d’OpenMesh est que nous puissions utiliser de nouvelles techniques pour créer un réseau Internet secondaire dans les pays comme la Libye, la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord et d’autres régimes répressifs dans lesquels les citoyens ne peuvent pas communiquer librement. En créant des routeurs mobiles qui se connectent entre eux, nous pourrions créer un réseau auquel les téléphones portables et les ordinateurs personnels se connecteraient. La première priorité serait de relier les personnes entre elles, la seconde de les relier au reste du monde. Sur un second front, nous pourrions utiliser des connexions intermittentes par satellite afin que les citoyens de ces pays puissent mettre en ligne et télécharger des informations avec le reste du monde. OpenMesh se veut un lieu d’échange d’informations pour connecter les meilleures idées existantes et mettre les outils entre les mains de tous.

Le réseau OpenMesh est un type de réseau au sein duquel chacun des nœuds reliés au réseau peut agir comme un routeur indépendant ou un dispositif intelligent, qu’il dispose ou non d’une connexion à Internet. Les réseaux maillés sont incroyablement robustes, avec des connexions continues qui peuvent se reconfigurer autour de chemins brisés ou bloqués en « sautant » de nœud en nœud jusqu’à ce que la destination soit atteinte, comme un autre appareil sur le réseau ou une liaison vers Internet. Quand un accès local à Internet est disponible, ils peuvent augmenter le nombre de personnes capables de s’y connecter. Lorsqu’il n’y en a pas, les réseaux maillés peuvent permettre aux personnes de communiquer ensemble même si les autres formes de communication électronique sont hors d’usage. Les dispositifs sont compatibles avec la plupart des ordinateurs équipés du wifi et fonctionnent sur les systèmes Microsoft Windows, Apple OS X et Unix existants, ainsi que les appareils mobiles iPhone et Android. Un réseau open source offre de plus une solution adaptable qui engage des frais réduits tout en évitant les erreurs du passé et les verrous des constructeurs. Combinés à du matériel ouvert, ces réseaux rendent plus facile une maintenance évolutive et leur amélioration sur le long terme.

Nous allons établir, construire, soutenir et distribuer un firmware Mesh open source qui permettra aux citoyens du monde de communiquer sans téléphone ni câblo-opérateur. Le produit brut d’OpenMeshProject.org sera libre et gratuit à télécharger et utiliser. La technologie sera distribuée et maintenue comme projet open source GPL v2. Cela signifie que tout le monde peut utiliser ou modifier le logiciel. Notre travail en tant que communauté sera de soutenir le projet. Nous aiderons à créer des standards. Nous aiderons les communautés à créer des réseaux maillés. Nous ferons pression sur les fabricants d’équipement pour qu’ils rejoignent l’initiative du Projet Open Mesh. L’idée tourne entièrement autour de la technologie sans fil qui nous permettra de communiquer ensemble sans ligne, ni câble, ni fibre. Nous construirons un réseau privé capable de couvrir des pays entiers. Nous donnerons le pouvoir aux citoyens de demain. Au final, une grand-mère pourra trouver ce disque dans la rue, rentrer à la maison, installer le CD dans son ordinateur portable et rejoindre le réseau maillé en deux clics. Après quoi elle commencera à voir les autres sur son réseau, à cliquer pour y appeler d’autres membres, rejoindre des conversations multi-utilisateurs ou chercher des amis en ligne pour discuter. Nous, en tant que communauté d’OpenMeshProject.org, faciliterons la construction et le soutien de ce projet. Nous construirons tous ensemble un maillage. Nous inviterons les gens à participer et à proposer de nouvelles innovations. En travaillant ensemble, nous pouvons assurer les communications qui seront nécessaires demain.

La liberté de communiquer fait partie de nos droits fondamentaux. Le XXIe siècle sera défini par le principe qu’aucun gouvernement, aucun pouvoir ne devra jamais bloquer ni brider le droit de tous les hommes et femmes de communiquer ensemble. Mon rêve le plus cher, c’est que de mon vivant, les dictatures soient bannies de cette planète et qu’une véritable démocratie non limitée fleurisse partout. Il est temps que cessent nos marchés faustiens avec les dictateurs brutaux pour des intérêts à court terme et qu’ils soient remplacés par une nouvelle alliance avec les citoyens du monde entier qui recherchent la liberté. OpenMesh est un premier pas qui aidera à créer un monde où une telle alliance pourra se maintenir, un monde où les personnes courageuses armées de ces nouveaux outils ne pourront plus jamais être contraintes ni muselées.

Note de l’éditeur : L’auteur invité Shervin Pishevar est le fondateur du projet OpenMesh et de SGN, ainsi qu’un Business angel actif.

Notes

[1] Crédit photo : Tanakawho (Creative Commons By)