Des Framapads plus beaux, grâce à une belle contribution

Framapad, c’est un de nos plus anciens services. C’est une page d’écriture, en ligne, ou vos ami·e·s peuvent venir collaborer en direct à la rédaction d’un texte. Un « Google docs », mais sans Google, sans pistage et même sans inscription !

C’était déjà pratique…

Le principe est simple : vous allez sur Framapad.org, vous décidez de la durée de vie de votre pad et de son nom, vous cliquez sur « Créer un pad » et… ayé, vous êtes dessus. Il ne vous reste plus qu’à choisir votre pseudo (si vous voulez que vos potes vous reconnaissent) et votre couleur d’écriture !

Oh, et si vous avez des ami·e·s (ou juste des gens avec qui vous collaborez, hein), il vous suffit de leur copier/coller l’adresse web du pad dans un message pour qu’iels viennent travailler avec vous sur votre texte, chacun avec son pseudo, chacune avec sa couleur d’écriture. Quand on arrive, ça ressemble à ça :

 

Framapad n’est pas développé par nos soins : c’est une instance (une installation sur un serveur) du logiciel libre Etherpad (ou Etherpad-lite pour être précis), et vous pouvez retrouver d’autres instances hébergées par La Quadrature du Net, le chaton Infini, les activistes de RiseUp et bien, bien d’autres !

… et maintenant c’est Beau !

Nous venons de procéder à une mise à jour d’Etherpad (vers la version 1.7.5) sur nos serveurs… Et désormais, Framapad, ça ressemble à ça :

 

Alors oui, c’est un peu injuste, car derrière cette mise à jour il y a de nombreuses contributions qui rendent le code plus solide, plus résilient, plus pratique aussi… Mais forcément, les changements esthétiques sautent aux yeux. Et en même temps, dans un milieu du logiciel libre qui (souvent) peine à améliorer l’expérience des utilisatrices et utilisateurs, il nous semble important de le faire remarquer !

Grâce à quelques modifications de CSS (les feuilles de styles des sites web), Etherpad est devenu plus lisible, plus aéré, plus pratique à utiliser. Cela signifie concrètement que vous aurez beaucoup moins de « non mais je veux pas utiliser ton truc, c’est moche et je comprends pas » lorsque vous proposerez une telle alternative à GoogleDocs !

Pour la petite histoire contributopique

Cette contribution qui améliore le look et la lisibilité d’Etherpad, nous la devons à Sébastian Castro, développeur principal de GoGoCarto, et mrflos, connu du monde du libre pour être le co-auteur de YesWiki. C’est en leur qualité de Geeks du Mouvement Colibris qu’ils se sont intéressés à Etherpad. En effet, nous accompagnons depuis deux ans déjà ce mouvement dans sa démarche de dégoogliser les pratiques de ses plus de 300 000 membres. C’est dans ce but que mrflos leur a concocté le site colibris-outilslibres.org qui rassemble plusieurs services libres :

Seulement voilà : fidèles à la devise du mouvement auquel ils participent, Sébastian et mrflos n’ont pas voulu simplement « utiliser » Etherpad, mais ils ont souhaité faire leur part. Et c’est ainsi qu’après avoir fait des tests et des bidouilles pour améliorer le look de l’Etherpad des Colibris, mrflos a fait remonter leur contribution à la communauté.

 

Après plus de 3 mois d’affinages du code, de discussions (plus de 60 commentaires variés sur la proposition), la contribution a trouvé sa place dans le code officiel d’Etherpad, et pourra être plus facilement utilisée par des milliers d’utilisateur·ices.

Depuis la sortie de la nouvelle version (la 1.7.5), toutes les instances Etherpad (dont Framapad) peuvent désormais profiter d’un thème plus clair, lisible, et qui facilite l’adoption d’outils libres par un plus grand nombre de gens !

Une fois encore, ceci n’est qu’une des milliers d’histoires de contributions libres que l’on pourrait raconter. Elle montre simplement que, lorsque l’on part à la rencontre de communautés différentes de la sienne, cela donne lieu à des contributions que nous n’aurions pas forcément imaginées ;).




Raconteuses, raconteurs, à vos claviers ! Graphistes, graphistes, à vos tablettes !

Voilà déjà bien longtemps qu’à Framasoft on ne se limite pas au logiciel libre mais qu’on accueille avec plaisir tout ce qui relève de la culture libre.

Grâce à Cyrille, qui nous l’a fait connaître et signe l’article ci-dessous, voilà un bon bout de temps aussi que nous aimons la plateforme Storyweaver : pour ceux qui ne le connaissent pas encore, ce site indien offre de très nombreuses ressources en « littérature jeunesse » comme on dit à la médiathèque de votre coin, sous licence libre, creative commons by.

Sur la plateforme Storyweaver vous pouvez :

bandeau dessiné : READ (lire) des enfants s’emparent de livres dans un cadre verdoyant type parc avec une "boite à livres"

  • Lire des récits illustrés (Read) en français, en anglais et dans 151 autres langues. Le site annonce aujourd’hui : 12789 récits et 2 009 586 lectures ! Les histoires sont adaptées à divers niveaux de jeunes lecteurs ou lectrices, d’une grande diversité culturelle et géographique. On peut les lire sur grand écran, sur tablette, les télécharger en .pdf, se constituer une bibliothèque hors-connexion etc. On trouve même quelques histoires avec des animations en .gif !
  • Écouter en lisant (Readalong). Pour l’instant des récits en anglais sont disponibles et agréables à écouter, on peut suivre le texte sur l’image un peu comme un karaoké. Excellent si vous avez l’intention d’initier vos jeunes enfants à une autre langue.

bandeau dessiné TRANSLATE (traduire) avec des animaux (flamant, caméléon, serpent) et une petite fille qui tous tirent la langue.

  • Traduire (Translate) : la traduction s’effectue page par page avec une interface facile à prendre en main. N’hésitez pas à ajouter votre contribution à cette richesse partagée ! Ajoutez aux traductions de Cyrille et à celles de Goofy notamment.

Bandeau coloré CREATE (Créer) avec un marché en Inde, quelques étals de vendeuses de légumes ou fruits. Texte sur l’image (traduction) « Créer une histoire avec plus de 10 000 images » et un bouton à cliquer « Créez une histoire maintenant »

  • Créer (Create) c’est-à-dire construire une histoire en associant images et textes. Une banque d’images est déjà disponible mais vous pouvez en ajouter d’autres bien sûr. Voilà une contribution bien sympathique qui sera appréciée d’un grand nombre d’enfants, y compris dans le monde si votre récit est traduit.

Cyrille vous explique justement les modalités du concours de création qui est lancé (plus que 10 jours !)

Concours de littérature de jeunesse

Le site Storyweaver a lancé depuis le 20 mars (le jour de la journée mondiale du conte) et jusqu’au 20 avril son concours annuel « Raconter, Remixer, Ravir » (« Retell, Remix and Rejoice » en VO).

Le concours est ouvert à 10 langues et pour la première année au français !

un homme sur fond jaune lance une toupie à fouet. la tpoupie verte est au premier plan, en pleine rotation. Le texte sur l’image dit (traduction) "c’est lemoment de faire tourner votre toupie en 10 langues" - c’est l’annonce du concours entre le 20 mars et le 20 avril
capture d’écran : l’annonce du concours sur Storyweaver

En quoi consiste le concours ?

Vous devez créer une histoire originale pour l’un de ces niveaux

  • niveau 1 : lecteurs ou lectrice débutant⋅e⋅s, phrases courtes, histoire de moins de 250 mots
  • niveau 2 : lecteur ou lectrice plus à l’aise, histoire de 250 à 600 mots.

Les niveaux de lecture sont définis sur le site.

Pour illustrer votre histoire vous pouvez piocher dans la banque d’illustrations du site .

séries de vignettes affichant quelques-unes des images disponibles pour créer un récit
Capture d’écran : la banque d’images de Storyweaver

Ces images peuvent d’ailleurs être le point de départ pour votre inventer votre histoire.

Personnellement, je vous conseille, si vous le pouvez, de prendre des illustrations réalisées par le même artiste afin de conserver une cohérence de style dans votre histoire.

Quels sont les thèmes retenus cette année ?

Quatre thèmes ont été choisis cette année. Comme ils sont relativement larges, nul doute que votre histoire pourra s’inscrire dans une de ces catégories.

Histoires de famille, d’amis et de quartier : histoires qui explorent les relations des enfants avec la famille, les ami⋅e⋅s et même les animaux domestiques, ainsi que leur environnement et leur voisinage.

Histoires drôles : thèmes qui utilisent l’humour pour raconter une histoire et promettent de vous faire rire.

Histoires sportives
: histoires qui impliquent de pratiquer un sport et la communauté qui l’entoure. Connaissez-vous un sportif ou une sportive inspirant⋅e qui mérite son histoire? Nous écoutons !

Histoires d’école
: La vie dans une école, les amitiés à l’école, les enseignant⋅e⋅s, le temps passé à l’école et même le déjeuner à l’école!

Que gagne-t-on ?

Trois finalistes gagneront des livres ainsi qu’une session individuelle de conseil éditorial avec l’un des éditeurs (attention, à mon avis, surement en anglais, à confirmer). Un grand gagnant aura la chance de voir son livre ré-illustré.

Et si on ne fait pas partie des finalistes, on a le plaisir de voir son histoire vivre en étant soit traduite, soit réadaptée par d’autres personnes.

C’est parti !

Pour participer, il faut avoir plus de 18 ans et accepter de placer son histoire sous licence libre.

Après avoir créé un compte sur le site, allez-y lancez-vous dans votre première histoire sans complexe.

Une petite vidéo en anglais (attention c’est YouTube) est disponible pour vous aider à inventer votre première histoire :

S’il vous reste des questions, vous pouvez écrire à storyweaver@prathambooks.org




Mobicoop : prenez part au covoiturage libre !

Mobicoop, la première plateforme gratuite et collaborative de covoiturage, a lancé le 18 mars dernier la campagne Prenez votre part, prenez le pouvoir ! afin d’ouvrir sa gouvernance à celles et ceux qui souhaitent s’investir au sein de la coopérative.

Mobicoop agit sur les domaines du covoiturage, de l’autopartage entre particulier·ères et du transport solidaire. Les services sont proposés sans commission et sont basés sur les principes coopératifs. Et chez Framasoft, ces principes nous parlent. Nous avons donc donné la parole à Bastien Sibille, président de Mobicoop.

Bonjour Bastien ! Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour ! Alors je me présente rapidement car Mobicoop est un projet coopératif porté par des centaines de coopérateur⋅rice⋅s et je pense que ma trajectoire personnelle n’a pas grand intérêt ;-). Je suis engagé depuis 20 ans pour développer les innovations sociales numériques. Président de covoiturage-libre depuis 2015 et donc de Mobicoop depuis la transformation de l’association en coopérative fin 2018. J’ai beaucoup milité, depuis le début des années 2000, pour les biens communs en général et pour le libre en particulier, notamment à travers l’association Vecam puis l’association internationale du logiciel libre.

Au fait : c’est quoi le problème avec BlaBlaCar ?

On pense qu’imposer une commission sur les trajets est contraire à l’idée d’une mobilité vraiment écologique et accessible à tou⋅te⋅s… Mais sinon on n’a pas vraiment de problème avec Blablacar, notre horizon est beaucoup plus large 😉 ! Pour nous, se déplacer c’est naturel et partager son moyen de mobilité un acte social simple. Avec le développement actuel des plateformes (Uber, Drivy, etc), la mobilité devient un business. Beaucoup de personnes en sont exclues (personnes âgées, personnes handicapées, à faibles revenus, vivant sur des territoires ruraux). Le double enjeu actuel fondamental de la mobilité : la réduction des pollutions liées aux transports par la réduction de l’usage de la voiture, et l’accessibilité de toutes et tous à la mobilité, n’est pas suffisamment pris en compte par ces modèles de plateformes numériques !

Que s’est-il passé ces deux dernières années pour que vous deveniez Mobicoop ?

En 2017, après 6 ans de route, l’association a relevé deux constats :

  • le covoiturage peut et doit être un bien commun, c’est-à-dire un service de transport au service de tou⋅te⋅s, dont les richesses doivent rester entre les mains de ses utilisateur⋅rice⋅s.
  • l’offre de Covoiturage-libre devait s’améliorer, tant au niveau quantitatif (nombre de trajets) que qualitatif (expérience utilisateur⋅rice).

Pour aller dans ce sens, il fallait prendre le tournant et devenir une coopérative pour une mobilité plus partagée : partage de la gouvernance selon le grand principe 1 personne = 1 voix. Tout le monde peut prendre une part et devenir acteur⋅rice pour une mobilité différente, vraiment écolo, inclusive et solidaire.

Aujourd’hui, comment fonctionne concrètement Mobicoop ?

L’équipe s’est agrandie et on se développe autour de 3 axes :

  • le covoiturage : toujours libre et sans commission, il sera bientôt possible de faire un don à la coopérative lors d’un trajet ;
  • l’autopartage entre particulier⋅ère⋅s : mise à disposition de son véhicule pour quelqu’un⋅e qui n’en a pas. Le principe de Mobicoop reste en effet toujours de réduire le nombre de voitures !
  • la mobilité solidaire : pour être vraiment inclusive, Mobicoop sait s’appuyer sur un grand réseau de bénévoles qui peuvent conduire des personnes exclues de la mobilité en raison de leur âge, santé, adresse, revenu…

La plateforme de covoiturage est en ligne et fonctionne grâce à ses 350 000 utilisateur⋅rice⋅s. L’autopartage et la mobilité solidaire sont en cours de développement. Et on a mis en place une gouvernance coopérative la plus inclusive possible, avec des modèles très participatifs (par exemple, tirage au sort d’un membre du CA au sein de l’AG).

En quoi le fait que ça soit une SCIC (et d’ailleurs, c’est quoi une SCIC ?) change-t-il quelque chose à l’affaire ?

Une SCIC c’est une Société coopérative d’intérêt collectif. C’est un des statuts possibles pour une coopérative (les autres sont les SCOP ou les coopératives de consommateurs par exemple) et c’est celui qui nous correspond le mieux. Dans une SCIC, les collectivités peuvent aussi devenir membres. L’objet d’une SCIC est de fournir des services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale : c’est le cas d’une mobilité partagée, non ?

D’ailleurs, c’est quoi l’intérêt de devenir membre coopérateur⋅ices de Mobicoop ?

L’intérêt, il est d’abord social et écologique : on se bat pour un autre modèle de développement des services de la mobilité. Être membre Mobicoop, c’est surtout faire partie de ce grand mouvement, initié par d’autres dans différents domaines : la finance éthique, l’énergie, la consommation, les médias… On fait notre part, et on invite tout le monde à prendre une part ! On dit aussi que prendre une part, c’est prendre le pouvoir : dans ce grand mouvement pour les biens communs, on est plus directement lié⋅e⋅s aux décisions qui nous concernent. Sur le principe 1 personne = 1 voix, chacun⋅e a son mot à dire sur la gouvernance de la coopérative : lors des assemblées générales, et même au Conseil d’Administration…

Et, donc, le code de Mobicoop est libre. Pourquoi avoir fait ce choix ? Qu’est-ce que cela apporte ?

Ce choix était juste une évidence. Comment avoir une approche coopérative sincère dans son ouverture à tous, tout en ne permettant pas à n’importe qui de s’approprier et de s’investir dans nos projets de logiciels ? La bataille de la mobilité partagée est culturelle avant tout : passer de la logique propriétaire sur son automobile à une logique de commun. Avoir un code libre, ça nous apporte de la cohérence dans cette bataille culturelle : nous promouvons une culture des communs de manière systémique.

Quelle est la licence de ce code ? Croyez-vous qu’elle va plaire à tonton Stallman ?

Notre code est en double licence AGPL/propriétaire. Tonton Stallman râlerait forcément un peu… Mais c’est que nous n’avons pas exactement les mêmes objectifs que la FSF. Notre hiérarchie d’objectifs place en effet en premier l’impact écologique et social visé par nos solutions de mobilité, et en deuxième la nature libre de nos services. Le deuxième est un moyen essentiel pour le premier, mais reste au registre des moyens et pas des fins. Par prosaïsme, on ne s’interdit donc pas de vendre du service à des clients qui voudraient une plate-forme en code fermé. Deux raisons sous-tendent cette idée : les ressources financières de ce client profiteraient à la coopérative dans son ensemble et un client en plus c’est toujours plus d’impact écologique et social et plus de pouvoir pour notre position dans cette bataille culturelle de la mobilité partagée.

Quels sont vos espoirs pour cette plateforme ?

Une mobilité partagée tout à fait libre : plus personne seul⋅e dans sa voiture, plus personne bloqué⋅e chez soi, moins de bagnoles, plus de rossignols !

S’attaquer à l’une des (rares) licornes françaises, c’est un vrai pari ! Comment comptez-vous y arriver ?

On s’appuie sur une magnifique et grande communauté de 350 000 personnes qui résistent depuis 2011 ! Grâce à l’équipe élargie des développeurs, nos services vont être très performants, et surtout plus accessibles. On croit aussi que les gens sont attirés par les alternatives aux quasi-monopoles qui dictent leurs faits et gestes ! Enfin, le mouvement écolo actuel prouve que l’enjeu est de plus en plus pris en compte dans les décisions des gens. Et puis, chaque membre est responsable de la coopérative… alors ce sera de plus en plus facile 😉

On ouvre l’open-bar Utopique ! Dans votre Contributopia à vous, il y a quoi et ça se passe comment ?

Dans notre Contributopia à nous, une bascule culturelle a enfin été faite. Pour leur mobilité – comme pour le reste – la majorité ne se perçoit plus dans un dualisme client d’un fournisseur tout puissant ou propriétaire jouissant seul de sa liberté, mais selon un nouveau référentiel usager⋅ère ou contributeur⋅rice de trajets ou voitures partagées en commun selon des règles équitables. De telles bascules ont déjà eu lieu dans l’histoire. Avec Internet qui refaçonne en profondeur nos imaginaires de collaboration, cette bascule paraît tout à fait à portée de main. Et le logiciel libre, précurseur dans cette résurgence des communs, a montré la voie de longue date !

Et comme souvent sur le Framablog, on vous laisse le mot de la fin !

Aujourd’hui, il est possible de Prendre sa part ! Pour ce grand mouvement pour basculer vers la mobilité partagée, rendez-vous sur http://lacampagne.mobicoop.fr ! Merci à tou⋅te⋅s de partager cette campagne à vos connaissances : ensemble, nous libérons la mobilité, parce qu’être mobile, c’est être libre !




Elle veut casser les GAFAM… vraiment ?

Le rejet des GAFAM fait son chemin y compris dans leur fief, aux U.S.A, pourrait-on se réjouir en constatant par exemple que Google est mis à nu (article en anglais) par le Comité judiciaire du Sénat des États-Unis.

Il est même question à la fin de cet article de protéger par des lois et d’encadrer plus strictement les usages numériques des mineurs. Quelque chose serait-il en train de changer au pays de la libre-entreprise ?

On pourrait de même se réjouir de voir Elizabeth Warren, une candidate démocrate à la présidence et farouche opposante de Trump, publier un appel récent au titre ravageur et programmatique : « Voici comment nous pouvons briser les Big tech ».

Cependant, comme va l’exposer de façon documentée Christophe Masutti ci-dessous, il y a loin de la critique des GAFAM qu’elle articule à la remise en question du système libéral qui pourrait en être la conséquence logique…

 

Casser les GAFAM… et recommencer

par Christophe Masutti

Dans les années 1970, l’économiste américaine Susan Strange théorisait l’économie politique des États-Unis relativement aux intérêts de marché. Elle démontrait dans ses travaux comment la stabilité économique des États-Unis ne dépendait pas du seul pilier des intérêts territoriaux assurés par leur puissance militaro-financière.

Les jeux se jouaient à la fois sur les marchés intérieurs et extérieurs : conditions d’accès aux marchés, production de produits financiers, investissements et firmes multinationales. Elle identifiait plusieurs couches structurelles sur lesquelles devait reposer toute velléité impérialiste, c’est-à-dire la construction de plusieurs types d’hégémonies. La plupart d’entre elles dépendaient à la fois de grandes entreprises et de l’organisation des créneaux économiques que le pouvoir politique américain était capable de dessiner (imposer) sur le globe.

Aujourd’hui, nous connaissons bien évidemment nombre de ces structures et en particulier les structures de la connaissance, celles qui reposent pour l’essentiel sur les technologies de l’information et de la communication et qui sont maîtrisées en grande partie, voire en totalité, par des firmes américaines. Pour ce qui concerne Internet : Google-Alphabet, Amazon, AT&T, Microsoft, etc. (du côté chinois, le même jeu est en train de se dérouler et il importe de ne pas le perdre de vue).

Les processus qui ont permis l’émergence de ces firmes hégémoniques ne se résument pas uniquement aux pratiques de ces dernières. Leur manque d’éthique, l’organisation savante du vol de nos données personnelles, les implications de cette industrie de la data sur nos libertés d’expression, nos vies privées et la démocratie, ne sont pas la recette unique de leur position dominatrice.

On pourrait éternellement disserter sur ces pratiques, démontrer à quel point elles sont néfastes. Il n’en demeure pas moins que si la situation est telle, c’est parce que des stratégies structurelles sont à l’œuvre. Il s’agit de plusieurs pouvoirs : l’état de guerre permanent orchestré par les États-Unis depuis la fin de la Guerre du Vietnam, la transformation ultra-technologique de l’économie financière, les contraintes de marché imposées aux peuples (et pas seulement ceux des pays défavorisés) par des accords iniques, et enfin les technologies de l’information (depuis au moins l’histoire naissante des communications câblées, et à travers tout le XXe siècle). Ces éléments constituent ce que le sociologue et économiste John B. Foster et l’historien des médias Robert W. McChesney appellent le capitalisme de surveillance1, c’est à dire le résultat de ces stratégies hégémoniques et dont la puissance de surveillance (et donc de contrôle) est assurée par les GAFAM (mais pas seulement).

Il reste néanmoins un point crucial : la question des monopoles. Lorsqu’une économie a tendance à se retrouver sclérosée par quelques monopoles qui assurent à eux seuls de multiples secteurs d’activité (rappelons la multiplicité des activités de Google-Alphabet), et couvrent une grande part des capitaux financiers disponibles au détriment de la dynamique économique2, le problème de ces monopoles… c’est que l’économie politique à l’œuvre commence à se voir un peu trop bien.

Quels que soient les partis au pouvoir aux États-Unis, c’est cette politique qui a toujours primé. L’effet de ce conditionnement se fait sentir y compris chez les plus audacieux intellectuels. Les plus prompts à critiquer les pratiques sournoises des GAFAM le feront toujours au nom des libertés des individus, au nom de la vie privée, au nom du droit, mais très peu d’entre eux finissent par reconnaître que, finalement, c’est une critique du capitalisme qu’il faut faire. Y compris, et surtout, une critique des principes politiques qui encouragent les stratégies hégémoniques.

Lorsque le capitalisme et le libéralisme sont considérés comme les seuls systèmes capables de sauvegarder la démocratie, on en vient à des poncifs. Il me revient par exemple ce refrain stupide du milieu des années 1990, où l’on répétait à l’envi que là où McDonald s’installait, la paix s’installait. La démocratie a peu à peu été réduite à la somme des libertés que chacun peut exercer dans un marché capitaliste, c’est-à-dire un marché où les biens finissent toujours par être détenus par quelques-uns, détenteurs de fait du pouvoir politique.

Cette difficulté à penser la démocratie autrement qu’à travers le prisme libéral, est parfaitement illustrée par le récent ouvrage de Shoshana Zuboff3. Cette dernière démontre avec brio comment les stratégies des Gafam et consorts se révèlent être un hold-up sur nos vies et donc sur la démocratie. Elle décortique de manière méthodique la manière dont ces pratiques modifient nos comportements, modèlent le marché et nous privent de notre autonomie. Comprendre aussi : notre autonomie en tant qu’agents économiques, nos libertés de choix et de positionnement qui font le lit d’une certaine conception d’un marché redistributif fondé sur la concurrence et l’échange. En somme les monopoles cassent ce marché, brisent le contrat social (celui d’Adam Smith plus que celui de Rousseau) et brisent aussi l’équilibre libéral sur lequel est censé reposer un capitalisme qui dure, celui fondé sur la propriété privée, etc.

Peu importent finalement les solutions alternatives, y compris libérales, que l’on puisse opposer à ces modèles : si S. Zuboff ne parvient pas à aller au bout de sa démonstration4, c’est qu’elle ne critique que les mécanismes économiques et techniques du capitalisme de surveillance et se refuse à admettre qu’il s’agit d’une économie politique dont il faudrait analyser les principes et les remplacer.

Toutes ces considérations pourraient en rester au stade du débat d’idées. Ce n’est pas le cas. Les conceptions politiques qui ont permis justement l’émergence des monopoles américains du Web et leur hégémonie semblent avoir la peau bien plus dure qu’on ne le pensait. Cela alors même que leurs effets sur les libertés sont pointés du doigt. Tout se passe comme si la seule cause à défendre n’était qu’un credo libéral et pas n’importe lequel.

La candidate du parti démocrate , résolument opposée à D. Trump pour les prochaines élections présidentielles de 2020, publiait récemment par l’intermédiaire de son équipe sur la plateforme Medium.com un article au titre apparemment incisif : « Here’s how we can break up Big Tech« 5 (« Voici comment nous pouvons briser les Big tech »). La guerre au capitalisme de surveillance est-elle officiellement déclarée aux plus hauts niveaux des partis politiques ? Cette ancienne conseillère de B. Obama, dont les positions publiques et acerbes à l’encontre des requins de la finance mondiale lui ont valu une certaine renommée, a-t-elle trouvé le moyen de lutter contre les inégalités sociales et financières que créent les modèles économiques des Big Tech ?

En fait, non. Son texte est l’illustration des principes énoncés ci-dessus même si le constat a le mérite d’être lucide :

Les grandes entreprises technologiques d’aujourd’hui ont trop de pouvoir – trop de pouvoir sur notre économie, notre société et notre démocratie. Elles ont écrasé la concurrence, utilisé nos renseignements personnels à des fins lucratives et faussé les règles du jeu contre tout le monde. Ce faisant, elles ont nui aux petites entreprises et étouffé l’innovation.

À lire Elizabeth Warren, les outils de régulation économique se résument en fait à l’organisation d’un espace concurrentiel libre et non faussé. Son argumentation est intéressante : si les grands monopoles en sont arrivés là, c’est parce, profitant d’un manque de régulation, ils ont roulé les consommateurs. Ces derniers seraient les dindons de la farce, et se retrouvent après tant d’années les instruments involontaires du pouvoir des GAFAM.

Elizabeth Warren, qui semble trop agressive au milliardaire Warren Buffet, veut-elle vraiment en finir avec les GAFAM ? Photo Edward Kimmel (CC BY-SA 2.0)

 

La posture d’E. Warren est alors très confortable : elle réfute d’emblée l’idée que l’apparition de ces monopoles est le fruit d’une politique hégémonique (celle qui favorisait justement l’apparition de monopoles américains à l’échelle du globe) menée tant par les démocrates que par les conservateurs. Au contraire : c’est sur les individus uniquement, et à leur détriment, que se seraient bâti ces monopoles. Dès lors c’est en libérateur que le parti démocrate pourra intervenir, avec E. Warren à sa tête, pour défaire les liens des individus et leur rendre leur vie privée, leurs droits et, carrément, une vraie démocratie.

Cela dit, comme nous l’avons vu, cette démocratie ne s’exerce que dans un certain cadre, celui d’une concurrence maîtrisée et juste. Pour E. Warren, il est alors temps de « démanteler Amazon, Facebook et Google », d’une part en durcissant les règles anti-trust (en souvenir d’un âge d’or de la régulation contre les conglomérats) et, d’autre part, en distinguant l’utilitaire des plate-formes (les conditions techniques d’accès, les structures) et les services aux utilisateurs. Les entreprises qui posséderaient l’utilitaire (par exemple un fournisseur d’accès Internet) seraient alors réputées accomplir un service public (qui, au besoin, pourrait très bien être régulé à coup de subventions) et ne pourraient pas posséder les deux faces du modèle économique. Inversement, les entreprises qui assurent des services ne pourraient pas « coincer » les utilisateurs sur leur système.

Il y a deux conclusions que l’on tire de cette proposition de E. Warren. La première, c’est qu’il est désormais acté que les entreprises de la Tech sont à même d’accomplir du service d’intérêt public : loin d’être nationalisées, au contraire, de nombreuses solutions pourront toujours être externalisées par les États en toute confiance (tout comme Kaa hypnotise le jeune Mowgli) puisque, en théorie, cela ne risquera plus de créer de distorsion de concurrence. L’autre conclusion est que ces nouvelles dispositions n’interviennent évidemment que sur le territoire des États-Unis : on joue là encore sur la régulation des multinationales sur le marché intérieur et dont les effets se feront sentir sur le marché extérieur. Ici il s’agit de multiplier les acteurs, créer des « petits » Gafam qui auront alors l’avantage de se présenter auprès de l’Europe comme des acteurs économiques si différents et à chaque fois pleinement compatibles avec les lois européennes ressenties comme protectionnistes. Il restera cependant que les technologies, elles, demeureront des émanations de l’American tech. Certes l’innovation sera moins bridée par les monopoles actuels, mais ces mini-gafam continueront d’assurer l’hégémonie tout en s’inscrivant de manière moins frontale sur les marchés mondiaux face à (ou avec) d’autres géants chinois.

Oui, parfois les libertés individuelles ont bon dos. On peut construire toutes sortes d’argumentations sur cette base, y compris celle qui consiste à rebattre les cartes et recommencer… Si vous voulez vous aussi jouer ce jeu de dupes, signez la pétition de la Team Warren.


  1. John Bellamy Foster et Robert W. McChesney, « Surveillance Capitalism. Monopoly-Finance Capital, the Military-Industrial Complex, and the Digital Age », Monthly Review, 07/2014, vol. 66.
  2. Par exemple, on peut comparer aux États-Unis le nombre de salariés employés par les firmes multinationales de la Silicon Valley, pour des sommets de capitaux financiers jamais atteins jusqu’à présent et le nombre de salariés que l’industrie automobile (plutôt nationale) employait jusqu’à un passé récent. Le résultat n’est n’est pas tant de pointer que les Big tech emploient moins de monde (et il y a tout de même une multitude de sous-traitants) mais qu’en réalité l’organisation de cette économie crée des inégalités salariales radicales où les plus qualifiés dans les nœuds monopolistiques concentrent toute la richesse. Les chômeurs laissés pour compte dans cette transformation de l’économie manufacturière en économie de service constituent un déséquilibre évident pour l’économie américaine et qui s’est traduit récemment en crise financière.
  3. Shoshana Zuboff, Das Zeitalter Des ÜberwachungsKapitalismus, Frankfurt, Campus Verlag, 2018 ; Shoshana Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power, New York, Public Affairs, 2019.
  4. C’est un peu ce que montre Sébastien Broca dans une lecture critique du livre de S. Zuboff. S. Broca, « Surveiller et prédire », La vie des idées, 07/03/2019.
  5. Elizabeth Warren, « Here’s how we can break up Big Tech », Medium.com, 08/03/2019.



Un positionnement clair de l’association Framasoft

On nous demande souvent de nous positionner sur un sujet ou un autre. Nous avons donc pris un temps pendant notre AG pour réfléchir à la question.

Parmi les membres de Framasoft, nous avons trouvé :

  • des petits et des grandes, des petites, des grands ;
  • des maigres et des qui font plus envie que pitié ;
  • des qui mangent de la viande et des végés, aussi des végans ;
  • des qui vont voter (pas beaucoup) et des qui vont pas ;
  • des qui causent (beaucoup) et des qui se taisent ;
  • des qui dorment à poil et des pilous-pilous ;
  • des barbu·e·s et des glabres, aussi des moustachu·e·s ;
  • des modestes et des qui cabotinent ;
  • des hétéros et des homos, et des qu’on sait pas (parce qu’en vrai on s’en fout) ;
  • des jeunes et des moins jeunes ;
  • des qui font du sport et des qu’aiment pas ça ;
  • des avec des cheveux et des chauves ;
  • des études longues et des cycles courts ;
  • des geek cis et des geeks non-binaires ;
  • des adeptes du vélo, du skate, de la trottinette, de la bagnole, du tramway, du métro, de la descente à skis et de la chevauchée en armure ;
  • des qui tricotent et des qui cuisinent, et des qui cumulent ;
  • des licornes et des zèbres, et pis des chatons ;
  • des malades et des qui pètent la santé ;
  • des fonctionnaires, et des du privé, et des des communs ;
  • des qui boivent et des qui rigolent quand même ;
  • des lève-tôt, des couche-tard, des lève-tard, des couche-tôt, des insomniaques et des qu’il leur faut leurs dix heures ;
  • des qui demandent la parole et des qui la prennent ;
  • un raton-laveur ;
  • des qui s’énervent et des qui se retiennent ;
  • des qui écrivent (beaucoup) et des qui agissent ;
  • des qui savent coder et des qui pataugent dans Git ;
  • des atypiques en majorité qui savent garder patience avec la minorité typique ;
  • des collapsologues et des optimistes (pas beaucoup) ;
  • des littéraires, des matheux, et des qui savent tout faire et qui m’énervent ;
  • des qui sont de Paris, des de Lyon, des de Toulouse, de la Picardie, de l’Alsace et la Lorraine, des qu’on sait même pas situer sur la framacarte ;
  • des anarchistes (beaucoup) et des macronistes (nan, j’déconne, faut pas pousser).

 

Nous n’avons trouvé qu’un seul sujet sur lequel tout le monde est d’accord :

la Terre est plate.

 




Désinformation, le rapport – 3

La traduction suivante est la suite et la continuation du travail entamé la semaine dernière sur le long rapport final élaboré par le comité « Digital, Culture, Media and Sport » du Parlement britannique, publié le 14 février dernier, sur la désinformation et la mésinformation.

Maintenant que le décor est posé, on aborde les questions réglementaires. Après avoir clairement défini ce qu’est une fake news, que nous avons traduit par « infox » et que les auteurs regroupent sous le terme plus précis de « désinformation », il est question de définir une nouvelle catégorie de fournisseurs de service pour caractériser leur responsabilité dans les préjudices faits à la société ainsi que des solutions pour protéger le public et financer l’action des structures de contrôle.

Le groupe Framalang a en effet entrepris de vous communiquer l’intégralité du rapport en feuilleton suivant l’avancement de la traduction.

Vous trouverez le texte intégral en suivant ce lien vers le PDF original (3,8 Mo).

La traduction est effectuée par le groupe Framalang, avec l’aide de toutes celles et ceux qui veulent bien participer et pour cet opus :

Traducteurs : Khrys, Lumibd, Maestox, simon, Fabrice, serici, Barbara, Angie, Fabrice, simon

La réglementation, le rôle, la définition et la responsabilité juridique des entreprises de technologie

Définitions

11. Dans notre rapport intermédiaire, nous avons désavoué le terme d’« infox » puisqu’il a « pris de nombreux sens, notamment une description de toute affirmation qui n’est pas appréciée ou en accord avec l’opinion du lecteur » et nous avons recommandé à la place les termes de « mésinformation » ou de « désinformation ». Avec ces termes viennent « des directives claires à suivre pour les compagnies, organisations et le Gouvernement  » liées à «  une cohérence partagée de la définition sur les plateformes, qui peuvent être utilisées comme la base de la régulation et de l’application de la loi »1.

12. Nous avons eu le plaisir de voir que le Gouvernement a accepté notre point de vue sur le fait que le terme « infox » soit trompeur, et ait essayé à la place d’employer les termes de « désinformation » et de « mésinformation ». Dans sa réponse, le gouvernement a affirmé :

Dans notre travail, nous avons défini le mot « désinformation » comme la création et le partage délibérés d’informations fausses et/ou manipulées dans le but de tromper et d’induire en erreur le public, peu importe que ce soit pour porter préjudice, ou pour des raisons politiques, personnelles ou financières. La « mésinformation » se réfère au partage par inadvertance de fausses informations2.

13. Nous avons aussi recommandé une nouvelle catégorie d’entreprises de réseaux sociaux, qui resserrent les responsabilités des entreprises de technologie et qui ne sont pas forcément « une plateforme » ou un « éditeur ». le gouvernement n’a pas du tout répondu à cette recommandation, mais Sharon White, Pdg de Of.com a qualifié cette catégorie de « très soignée » car les « plateformes ont vraiment des responsabilités, même si elles ne génèrent pas les contenus, concernant ce qu’elles hébergent et promeuvent sur leur site ».3.

14. Les entreprises de réseaux sociaux ne peuvent se cacher derrière le fait qu’elles seraient simplement une plateforme, et maintenir qu’elles n’ont elles-mêmes aucune responsabilité sur la régulation du contenu de leurs sites. Nous répétons la recommandation de notre rapport provisoire, qui stipule qu’une nouvelle catégorie d’entreprises technologiques doit être définie qui renforcera les responsabilités des entreprises technologiques et qui ne sont pas forcément « une plateforme » ou un « éditeur ». Cette approche voudrait que les entreprises de technologie prennent leur responsabilité en cas de contenu identifié comme étant abusif après qu’il a été posté par des utilisateurs. Nous demandons au gouvernement de prendre en compte cette nouvelle catégorie de compagnies technologiques dans son livre blanc qui va paraître prochainement.

Préjudices et réglementation en ligne

15. Plus tôt dans le cadre de notre enquête, nous avons écouté le témoignage de Sandy Parakilas et Tristan Harris, qui étaient tous deux à l’époque impliqués dans le Center for Human Technology, situé aux États-Unis. Le centre a compilé un « Recueil de Préjudices » qui résume les « impacts négatifs de la technologie qui n’apparaissent pas dans les bilans des entreprises, mais dans le bilan de la société ».4 Le Recueil de Préjudices contient les impacts négatifs de la technologie, notamment la perte d’attention, les problèmes de santé mentale, les confusions sur les relations personnelles, les risques qui pèsent sur nos démocraties et les problèmes qui touchent les enfants.5.

16. La prolifération des préjudices en ligne est rendu plus dangereuse si on axe des messages spécifiques sur des individus suite à des « messages micro-ciblés », qui jouent souvent sur les opinions négatives qu’ont les gens d’eux-mêmes et des autres et en les déformant. Cette déformation est rendue encore plus extrême par l’utilisation de « deepfakes » 6 audio et vidéos qui sonnent et ressemblent à une personne existante tenant des propos qui ne lui appartiennent pas.7 Comme nous l’avons dit dans notre rapport intermédiaire, la détection de ces exemples ne deviendra que plus complexe et plus difficile à démasquer au fur et à mesure de la sophistication des logiciels 8.

17. Le ministre de la santé, le député Hon Matthew Hancock, a récemment mis en garde les sociétés informatiques, notamment Facebook, Google et Twitter, qu’elles étaient en charge de la suppression des contenus inappropriés, blessants suite à la mort de Molly Russel, qui à 14 ans s’est suicidée en novembre 2017. Son compte Instagram contenait du contenu en lien avec la dépression, l’auto-mutilation et le suicide. Facebook, propriétaire d’Instagram, s’est déclaré profondément désolé de l’affaire.9 Le directeur d’Instagram, Adam Mosseri, a rencontré le secrétaire de la Santé début février 2019 et déclaré qu’Instagram n’était pas « dans une situation où il était nécessaire de traiter le problème de l’auto-mutilation et du suicide » et que cela revenait à arbitrer entre « agir maintenant et agir de manière responsable » 10

18. Nous relevons également que dans son discours du 5 février 2019, la députée Margot James, ministre du numérique dans le département du numérique, de la culture, des médias et du sport a exprimé ses craintes :

La réponse des principales plateformes est depuis trop longtemps inefficace. Il y a eu moins de 15 chartes de bonne conduite mises en place volontairement depuis 2008. Il faut maintenant remettre absolument en cause un système qui n’a jamais été suffisamment encadré par la loi. Le livre blanc, que le DCMS produit en collaboration avec le ministère de l’intérieur sera suivi d’une consultation durant l’été et débouchera sur des mesures législatives permettant de s’assurer que les plateformes supprimeront les contenus illégaux et privilégieront la protection des utilisateurs, particulièrement des enfants, adolescents et adultes vulnérables. 11

Le nouveau Centre pour des algorithmes et des données éthiques

19. Comme nous l’avons écrit dans notre rapport intermédiaire, les sociétés fournissant des réseaux sociaux tout comme celles fournissant des moteurs de recherche utilisent des algorithmes ou des séquences d’instructions pour personnaliser les informations et autres contenus aux utilisateurs. Ces algorithmes sélectionnent le contenu sur la base de facteurs tels que l’activité numérique passée de l’utilisateur, ses connexions sociales et leur localisation. Le modèle de revenus des compagnies d’Internet repose sur les revenus provenant de la vente d’espaces publicitaires et parce qu’il faut faire du profit, toute forme de contenu augmentant celui-ci sera priorisé. C’est pourquoi les histoires négatives seront toujours mises en avant par les algorithmes parce qu’elles sont plus fréquemment partagées que les histoires positives.12

20. Tout autant que les informations sur les compagnies de l’internet, les informations sur leurs algorithmes doivent être plus transparentes. Ils comportent intrinsèquement des travers, inhérents à la façon dont ils ont été développés par les ingénieurs ; ces travers sont ensuite reproduits diffusés et renforcés. Monica Bickert, de Facebook, a admis « que sa compagnie était attentive à toute forme de déviance, sur le genre, la race ou autre qui pourrait affecter les produits de l’entreprise et que cela inclut les algorithmes ». Facebook devrait mettre plus d’ardeur à lutter contre ces défauts dans les algorithmes de ses ingénieurs pour éviter leur propagation.
13

21. Dans le budget de 2017, le Centre des données Ethiques et de l’innovation a été créé par le gouvernement pour conseiller sur « l’usage éthique, respectueux et innovant des données, incluant l’IA ». Le secrétaire d’état a décrit son rôle ainsi:

Le Centre est un composant central de la charte numérique du gouvernement, qui définit des normes et des règles communes pour le monde numérique. Le centre permettra au Royaume-Uni de mener le débat concernant l’usage correct des données et de l’intelligence artificielle.14

22. Le centre agira comme un organisme de recommandation pour le gouvernement et parmi ses fonctions essentielles figurent : l’analyse et l’anticipation des manques en termes de régulation et de gestion; définition et orchestration des bonnes pratiques, codes de conduites et standards d’utilisations de l’Intelligence Artificielle; recommandation au gouvernement sur les règles et actions réglementaires à mettre en place en relation avec l’usage responsable et innovant des données. 15

23. La réponse du gouvernement à notre rapport intermédiaire a mis en lumière certaines réponses à la consultation telle que la priorité de l’action immédiate du centre, telle que « le monopole sur la donnée, l’utilisation d’algorithme prédictifs dans la police, l’utilisation de l’analyse des données dans les campagnes politiques ainsi que l’éventualité de discrimination automatisée dans les décisions de recrutement ». Nous nous félicitons de la création du Centre et nous nous réjouissons à la perspective d’en recueillir les fruits de ses prochaines travaux.

La loi en Allemagne et en France

24. D’autres pays ont légiféré contre le contenu malveillant sur les plateformes numériques. Comme nous l’avons relevé dans notre rapport intermédiaire, les compagnies d’internet en Allemagne ont été contraintes initialement de supprimer les propos haineux en moins de 24 heures. Quand cette auto-régulation s’est montrée inefficace, le gouvernement allemand a voté le Network Enforcement Act, aussi connu sous le nom de NetzDG, qui a été adopté en janvier 2018. Cette loi force les compagnies technologiques à retirer les propos haineux de leurs sites en moins de 24 heures et les condamne à une amende de 20 millions d’euros si ces contenus ne sont pas retirés16. Par conséquent, un modérateur sur six de Facebook travaille désormais en Allemagne, ce qui prouve bien que la loi peut être efficace.17.

25. Une nouvelle loi en France, adoptée en novembre 2018 permet aux juges d’ordonner le retrait immédiat d’articles en ligne s’ils estiment qu’ils diffusent de la désinformation pendant les campagnes d’élection. La loi stipule que les utilisateurs doivent recevoir « d’informations qui sont justes, claires et transparentes » sur l’utilisation de leurs données personnelles, que les sites doivent divulguer les sommes qu’elles reçoivent pour promouvoir des informations, et la loi autorise le CSA français à pouvoir suspendre des chaînes de télévision contrôlées ou sous influence d’un état étranger, s’il estime que cette chaîne dissémine de manière délibérée des fausses informations qui pourraient affecter l’authenticité du vote. Les sanctions imposées en violation de la loi comprennent un an de prison et une amende de 75000 euros18.

Le Royaume-Uni

26. Comme la Commissaire de l’Information du Royaume-Uni, Elisabeth Denham, nous l’a expliqué en novembre 2018, il y a une tension entre le modèle économique des médias sociaux, centré sur la publicité, et les droits humains tels que la protection de la vie privée. « C’est notre situation actuelle et il s’agit d’une tâche importante à la fois pour les régulateurs et le législateur de s’assurer que les bonnes exigences, la surveillance et sanctions sont en place » 19. Elle nous a dit que Facebook, par exemple, devrait en faire plus et devrait faire « l’objet d’une régulation et d’une surveillance plus stricte »20. Les activités de Facebook dans la scène politique sont en augmentation; l’entreprise a récemment lancé un fil d’actualités intitulé « Community Actions » avec une fonctionnalité de pétition pour, par exemple, permettre aux utilisateurs de résoudre des problèmes politiques locaux en créant ou soutenant des pétitions. Il est difficile de comprendre comment Facebook sera capable d’auto-réguler une telle fonctionnalité; plus le problème local va être sujet à controverse et litiges, plus il entrainera de l’engagement sur Facebook et donc de revenus associés grâce aux publicités 21.

Facebook et la loi

27. En dépit de toutes les excuses formulées par Facebook pour ses erreurs passées, il semble encore réticent à être correctement surveillé. Lors de la session de témoignage verbal au « Grand Comité International », Richard Alland, vice-président des solutions politiques de Facebook, a été interrogé à plusieurs reprises sur les opinions de Facebook sur la régulation, et à chaque fois il a déclaré que Facebook était très ouvert au débat sur la régulation, et que travailler ensemble avec les gouvernements seraient la meilleure option possible :

« Je suis ravi, personnellement, et l’entreprise est vraiment engagé, de la base jusqu’à notre PDG — il en a parlé en public — à l’idée d’obtenir le bon type de régulation afin que l’on puisse arrêter d’être dans ce mode de confrontation. Cela ne sert ni notre société ni nos utilisateurs. Essayons de trouver le juste milieu, où vous êtes d’accord pour dire que nous faisons un travail suffisamment bon et où vous avez le pouvoir de nous tenir responsable si nous ne le faisons pas, et nous comprenons quel le travail que nous avons à faire. C’est la partie régulation22. »

28. Ashkan Soltani, un chercheur et consultant indépendant, et ancien Responsable Technologique de la Commission Fédérale du Commerce des USA 23, a questionné la volonté de Facebook à être régulé. À propos de la culture interne de Facebook, il a dit : « Il y a ce mépris — cette capacité à penser que l’entreprise sait mieux que tout le monde et tous les législateurs » 24. Il a discuté de la loi californienne pour la vie privée des consommateurs 25 que Facebook a supporté en public, mais a combattu en coulisses 26.

29. Facebook ne semble pas vouloir être régulé ou surveillé. C’est considéré comme normal pour les ressortissants étrangers de témoigner devant les comités. En effet, en juin 2011, le Comité pour la Culture, les Médias et le Sport 27 a entendu le témoignage de Rupert Murdoch lors de l’enquête sur le hacking téléphonique 28 et le Comité au Trésor 29 a récemment entendu le témoignage de trois ressortissants étrangers 30. En choisissant de ne pas se présenter devant le Comité et en choisissant de ne pas répondre personnellement à aucune de nos invitations, Mark Zuckerberg a fait preuve de mépris envers à la fois le parlement du Royaume-Uni et le « Grand Comité International », qui compte des représentants de neufs législatures dans le monde.

30. La structure managériale de Facebook est opaque pour les personnes extérieures, et semble conçue pour dissimuler la connaissance et la responsabilité de certaines décisions. Facebook a pour stratégie d’envoyer des témoins dont ils disent qu’ils sont les plus adéquats, mais qui n’ont pas été suffisamment informés sur les points cruciaux, et ne peuvent répondre ou choisissent de ne pas répondre à nombre de nos questions. Ils promettent ensuite d’y répondre par lettre, qui —sans surprise— échouent à répondre à toutes nos questions. Il ne fait pas de doute que cette stratégie est délibérée.

Régulateurs britanniques existants

31. Au Royaume-Uni, les principales autorités compétentes — Ofcom, l’autorité pour les standards publicitaires 31, le bureau du commissaire à l’information 32, la commission électorale 33 et l’autorité pour la compétition et le marché 34 — ont des responsabilités spécifiques sur l’utilisation de contenus, données et comportements. Quand Sharon White, responsable de Ofcom, est passé devant le comité en octobre 2018, après la publication de notre rapport intermédiaire, nous lui avons posé la question si leur expérience comme régulateur de diffusion audiovisuelle pourrait être utile pour réguler les contenus en ligne. Elle a répondu :

« On a essayé d’identifier quelles synergies seraient possibles. […] On a été frappé de voir qu’il y a deux ou trois domaines qui pourraient être applicable en ligne. […] Le fait que le Parlement 35 ait mis en place des standards, ainsi que des objectifs plutôt ambitieux, nous a semblé très important, mais aussi durable avec des objectifs clés, que ce soit la protection de l’enfance ou les préoccupations autour des agressions et injures. Vous pouvez le voir comme un processus démocratique sur quels sont les maux que l’on croit en tant que société être fréquent en ligne. L’autre chose qui est très importante dans le code de diffusion audiovisuelle est qu’il explicite clairement le fait que ces choses peuvent varier au cours du temps comme la notion d’agression se modifie et les inquiétudes des consommateurs changent. La mise en œuvre est ensuite déléguée à un régulateur indépendant qui traduit en pratique ces objectifs de standards. Il y a aussi la transparence, le fait que l’on publie nos décisions dans le cas d’infractions, et que tout soit accessible au public. Il y a la surveillance de nos décisions et l’indépendance du jugement 36 ».

32. Elle a également ajouté que la fonction du régulateur de contenu en ligne devrait évaluer l’efficacité des compagnies technologiques sur leurs mesures prises contre les contenus qui ont été signalés comme abusifs. « Une approche serait de se dire si les compagnies ont les systèmes, les processus, et la gouvernance en place avec la transparence qui amène la responsabilité publique et la responsabilité devant le Parlement, que le pays serait satisfait du devoir de vigilance ou que les abus seront traités de manière constante et efficace ».37.

33. Cependant, si on demandait à Ofcom de prendre en charge la régulation des capacités des compagnies des réseaux sociaux, il faudrait qu’il soit doté de nouveaux pouvoirs d’enquête. Sharon White a déclaré au comité « qu’il serait absolument fondamental d’avoir des informations statutaires, réunissant des pouvoirs sur un domaine large ».38.

34. UK Council for Internet Safety(UKCIS) est un nouvel organisme, sponsorisé par le Ministère du Numérique, de la Culture, des Médias et du Sport, le Ministère de l’Éducation et le Ministère de l’Intérieur, il réunit plus de 200 organisations qui ont pour but de garantir la sécurité des enfants en ligne. Son site web affirme « si c’est inacceptable hors ligne, c’est inacceptable en ligne ». Son attention tiendra compte des abus en lignes comme le cyberharcèlement et l’exploitation sexuelle, la radicalisation et l’extrémisme, la violence contre les femmes et les jeunes filles, les crimes motivés par la haine et les discours haineux, et les formes de discrimination vis à vis de groupes protégés par l’Equality Act.39. Guy Parker, Pdg d’Advertising Standards Authority nous a informé que le Gouvernement pourrait se décider à intégrer les abus dans la publicité dans leur définition d’abus en ligne40.

35. Nous pensons que UK Council for Internet Safety devrait inclure dans le périmètre de ses attributions « le risque envers la démocratie » tel qu’identifié dans le « Registre des Préjudices » du Center for Human Technology, en particulier par rapport aux reportages profondément faux. Nous notons que Facebook est inclus en tant que membre d’UKCIS, compte tenu de son influence éventuelle, et nous comprenons pourquoi. Cependant, étant donné l’attitude de Facebook dans cette enquête, nous avons des réserves quant à sa bonne foi des affaires et sa capacité à participer au travail d’UKCIS dans l’intérêt du public, par opposition à ses intérêts personnels.

36. Lorsqu’il a été demandé au Secrétaire du Numérique, de la Culture, des Médias et des Sports, le Très Honorable député Jeremy Wright, de formuler un spectre des abus en ligne, sa réponse était limitée. « Ce que nous devons comprendre est à quel point les gens sont induits en erreur ou à quel point les élections ont été entravées de manière délibérée ou influencée, et si elle le sont […] nous devons trouver des réponses appropriées et des moyens de défense. Cela fait partie d’un paysage bien plus global et je ne crois par que c’est juste de le segmenter41. Cependant, une fois que nous avons défini les difficultés autour de la définition, l’étendue et la responsabilité des abus en ligne, le Secrétaire d’État était plus coopératif lorsqu’on lui a posé la question sur la régulation des compagnies de réseaux sociaux, et a déclaré que le Royaume-Uni devrait prendre l’initia

37. Notre rapport intermédiaire recommandait que des responsabilités juridiques claires soient définies pour les compagnies technologiques, afin qu’elles puissent prendre des mesures allant contre des contenus abusifs ou illégaux sur leurs sites. À l’heure actuelle, il est urgent de mettre en œuvre des règlements indépendants. Nous croyons qu’un Code d’Éthique obligatoire doit être implémenté, supervisé par un régulateur indépendant, définissant ce que constitue un contenu abusif. Le régulateur indépendant aurait des pouvoirs conférés par la loi pour surveiller les différentes compagnies technologiques, cela pourrait créer un système réglementaire pour les contenus en ligne qui est aussi effectif que pour ceux des industries de contenu hors ligne.

38. Comme nous l’avons énoncé dans notre rapport intermédiaire, un tel Code d’Éthique devrait ressembler à celui du Broadcasting Code publiée par Ofcom, qui se base sur des lignes directrices définies dans la section 319 du Communications Acts de 2003. Le Code d’Éthique devrait être mis au point par des experts techniques et supervisés par un régulateur indépendant, pour pouvoir mettre noir sur blanc ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas sur les réseaux sociaux, notamment les contenus abusifs et illégaux qui ont été signalés par leurs utilisateurs pour être retirés, ou qu’il aurait été facile d’identifier pour les compagnies technologiques elles-mêmes.

39. Le processus devrait définir une responsabilité juridique claire pour les compagnies technologiques de prendre des mesures contre les contenus abusifs et illégaux sur leur plateforme et ces compagnies devraient mettre en place des systèmes adaptés pour marquer et retirer des « types d’abus » et s’assurer que les structures de cybersécurité soient implémentées. Si les compagnies techniques (y compris les ingénieurs informaticiens en charge de la création des logiciels pour ces compagnies) sont reconnues fautifs de ne pas avoir respecté leurs obligations en vertu d’un tel code, et n’ont pas pris de mesure allant contre la diffusion de contenus abusifs et illégaux, le régulateur indépendant devrait pouvoir engager des poursuites judiciaires à leur encontre, dans l’objectif de les condamner à payer des amendes élevées en cas de non-respect du Code.

40. C’est le même organisme public qui devrait avoir des droits statutaires pour obtenir toute information de la part des compagnies de réseaux sociaux qui sont en lien avec son enquête. Cela pourrait concerner la capacité de vérifier les données qui sont conservées sur un utilisateur, s’il demandait ces informations. Cet organisme devrait avoir accès aux mécanismes de sécurité des compagnies technologiques et aux algorithmes, pour s’assurer qu’ils travaillent de manière responsable. Cet organisme public devrait être accessible au public et recevoir les plaintes sur les compagnies des réseaux sociaux. Nous demandons au gouvernement de soumettre ces propositions dans son prochain livre blanc.

Utilisation des données personnelles et inférence

41. Lorsque Mark Zuckerberg a fourni les preuves au congrès en avril 2018, dans la suite du scandal Cambridge Analytica, il a fait la déclaration suivante : « Vous devriez avoir un contrôle complet sur vos données […] Si nous ne communiquons pas cela clairement, c’est un point important sur lequel nous devons travailler ». Lorsqu’il lui a été demandé à qui était cet « alterego virtuel », Zuckerberg a répondu que les gens eux-mêmes possèdent tout le « contenu » qu’ils hébergent sur la plateforme, et qu’ils peuvent l’effacer à leur gré42. Cependant, le profil publicitaire que Facebook construit sur les utilisateurs ne peut être accédé, contrôlé ni effacé par ces utilisateurs. Il est difficile de concilier ce fait avec l’affirmation que les utilisateurs possèdent tout « le contenu » qu’ils uploadent.

42. Au Royaume-Uni, la protection des données utilisateur est couverte par le RGPD (Règlement Général de Protection des Données)43. Cependant, les données « inférées » ne sont pas protégées ; cela inclut les caractéristiques qui peuvent être inférées sur les utilisateurs et qui ne sont pas basées sur des informations qu’ils ont partagées, mais sur l’analyse des données de leur profil. Ceci, par exemple, permet aux partis politiques d’identifier des sympathisants sur des sites comme Facebook, grâce aux profils correspondants et aux outils de ciblage publicitaire sur les « publics similaires ». Selon la propre description de Facebook des « publics similaires », les publicitaires ont l’avantage d’atteindre de nouvelles personnes sur Facebook « qui ont des chances d’être intéressées par leurs produits car ils sont semblables à leurs clients existants » 44.

43. Le rapport de l’ICO, publié en juillet 2018, interroge sur la présomption des partis politques à ne pas considérer les données inférées comme des données personnelles:

« Nos investigations montrent que les partis politiques n’ont pas considéré les données inférées comme des informations personnelles car ce ne sont pas des informations factuelles. Cependant, le point de vue de l’ICO est que ces informations sont basées sur des hypothèses sur les intérets des personnes et leurs préférences, et peuvent être attribuées à des individus spécifiques, donc ce sont des informations personnelles et elles sont soumises aux contraintes de la protection des données 45. »

44. Les données inférées sont donc considérées par l’ICO comme des données personnelles, ce qui devient un problème lorsque les utilisateurs sont informés qu’ils disposent de leurs propres données, et qu’ils ont un pouvoir sur où les données vont, et ce pour quoi elles sont utilisées. Protéger nos données nous aide à sécuriser le passé, mais protéger les inférences et l’utilisation de l’Intelligence Artificielle (IA) est ce dont nous avons besoin pour protéger notre futur.

45. La commissaire à l’information, Elizabeth Denham, a souligné son intérêt sur l’utilisation des données inférées dans les campagnes politiques lorsqu’elle a fourni des preuves au comité en novembre 2018, déclarant qu’il y a eu :

« Un nombre dérangeant de manque de respect des données personnelles des votants et des votants potentiels. Ce qui s’est passé ici est que le modèle familier aux gens du secteur commercial sur le ciblage des comportements a été transféré – je pense transformé – dans l’arène politique. C’est pour cela que j’appelle à une pause éthique, afin que nous puissions y remédier. Nous ne voulons pas utiliser le même modèle qui nous vend des vacances, des chaussures et des voitures pour collaborer avec des personnes et des votants. Les gens veulent plus que ça. C’est le moment pour faire un pause pour regarder les codes, regarder les pratiques des entreprises de réseaux sociaux, de prendre des mesures là où ils ont enfreint la loi. Pour nous, le principal but de ceci est de lever le rideau et montrer au public ce qu’il advient de leurs données personnelles 46. »

46. Avec des références explicites sur l’utilisation des « publics similaires » de Facebook, Elizabeth Denham a expliqué au comité qu’ils « devaient être transparents envers les [utilisateurs] privés. Ils ont besoin de savoir qu’un parti politique, ou un membre du parlement, fait usage des publics similaires. Le manque de transparence est problématique47. Lorsque nous avons demandé à la commissaire à l’information si elle pensait que l’utilisation des « publics similaires » était légal selon le RGPD, elle a répondu : « Nous avons besoin de l’analyser en détail sous la loupe du RGPD, mais je pense que le public est mal à l’aise avec les publics similaires, et il a besoin que ce soit transparent » 48. Les gens ont besoin de savoir que l’information qu’ils donnent pour un besoin spécifique va être utilisé pour inférer des informations sur eux dans d’autres buts.

47. Le secrétaire d’état, le très honorable membre du parlement Jeremy Wright, nous a également informé que le framework éthique et législatif entourant l’IA devait se développer parallèlement à la technologie, ne pas « courir pour [la] rattraper », comme cela s’est produit avec d’autres technologies dans le passé 49. Nous devons explorer les problèmes entourant l’IA en détail, dans nos enquêtes sur les technologies immersives et d’addictives, qui a été lancée en décembre 2018 50.

48. Nous soutenons la recommandation de l’ICO comme quoi les données inférées devraient être protégées par la loi comme les informations personnelles. Les lois sur la protection de la vie privée devraient être étendues au-delà des informations personnelles pour inclure les modèles utilisés pour les inférences sur les individus. Nous recommandons que le gouvernement étudie les manières dont les protections de la vie privée peuvent être étendues pour inclure les modèles qui sont utilisés pour les inférences sur les individus, en particulier lors des campagnes politiques. Cela nous assurerait que les inférences sur les individus sont traitées de manière aussi importante que les informations personnelles des individus.

Rôle accru de l’OIC et taxe sur les entreprises de technologie

49. Dans notre rapport intérimaire, nous avons demandé que l’OIC soit mieux à même d’être à la fois un « shérif efficace dans le Far West de l’Internet » et d’anticiper les technologies futures. L’OIC doit avoir les mêmes connaissances techniques, sinon plus, que les organisations examinées51. Nous avons recommandé qu’une redevance soit prélevée sur les sociétés de technologie opérant au Royaume-Uni, pour aider à payer ces travaux, dans le même esprit que la façon dont le secteur bancaire paie les frais de fonctionnement de l’autorité de régulation Financière 52 51.

50. Lorsque l’on a demandé au secrétaire d’État ce qu’il pensait d’une redevance, il a répondu, en ce qui concerne Facebook en particulier: « Le Comité est rassuré que ce n’est pas parce que Facebook dit qu’il ne veut pas payer une redevance, qu’il ne sera pas question de savoir si nous devrions ou non avoir une redevance »53. Il nous a également dit que « ni moi, ni, je pense franchement, l’OIC, ne pensons qu’elle soit sous-financée pour le travail qu’elle a à faire actuellement. […] Si nous devons mener d’autres activités, que ce soit en raison d’une réglementation ou d’une formation supplémentaires, par exemple, il faudra bien qu’elles soient financées d’une façon ou d’une autre. Par conséquent, je pense que la redevance vaut la peine d’être envisagée »54.

51. Dans notre rapport intermédiaire, nous avons recommandé qu’une redevance soit prélevée sur les sociétés de technologie opérant au Royaume-Uni pour soutenir le travail renforcé de l’OIC. Nous réitérons cette recommandation. La décision du chancelier, dans son budget de 2018, d’imposer une nouvelle taxe de 2% sur les services numériques sur les revenus des grandes entreprises technologiques du Royaume-Uni à partir d’avril 2020, montre que le gouvernement est ouvert à l’idée d’une taxe sur les entreprises technologiques. Dans sa réponse à notre rapport intermédiaire, le gouvernement a laissé entendre qu’il n’appuierait plus financièrement l’OIC, contrairement à notre recommandation. Nous exhortons le gouvernement à réévaluer cette position.

52. Le nouveau système indépendant et la nouvelle réglementation que nous recommandons d’établir doivent être financés adéquatement. Nous recommandons qu’une taxe soit prélevée sur les sociétés de technologie opérant au Royaume-Uni pour financer leur travail.




Désinformation, le rapport – 2

La traduction suivante est la suite et la continuation du travail entamé la semaine dernière sur le long rapport final élaboré par le comité « Digital, Culture, Media and Sport » du Parlement britannique, publié le 14 février dernier, sur la désinformation et la mésinformation.

Il s’agit cette fois de poser le décor. Participants, méthodes de travail, acteurs audités. Une bonne mise en bouche qui vous rendra impatient⋅e de lire les articles suivants.

Le groupe Framalang a en effet entrepris de vous communiquer l’intégralité du rapport en feuilleton suivant l’avancement de la traduction.

Vous trouverez le texte intégral en suivant ce lien vers le PDF original (3,8 Mo).

La traduction est effectuée par le groupe Framalang, avec l’aide de toutes celles et ceux qui veulent bien participer et pour cet opus :
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Introduction et contexte

1. Le Rapport Provisoire du Comité DCMS, « Désinformation et infox », a été publié en juillet 2018 55. Depuis l’été 2018, le Comité a tenu trois audiences supplémentaires pour y entendre témoigner les organismes de réglementation du Royaume-Uni et le gouvernement, et nous avons reçu 23 autres témoignages écrits 56. Nous avons également tenu un “International Grand Commitee”57 en novembre 2018, auquel ont participé des parlementaires de neuf pays : Argentine, Belgique, Brésil, Canada, France, Irlande, Lettonie, Singapour et Royaume-Uni.

2. Notre longue enquête sur la désinformation et la mésinformation a mis en lumière le fait que les définitions dans ce domaine sont importantes. Nous avons même changé le titre de notre enquête de « infox » à « désinformation et infox », car le terme “infox” a développé sa propre signification très connotée. Comme nous l’avons dit dans notre rapport préliminaire les “infox” ont été utilisées pour décrire un contenu qu’un lecteur pourrait ne pas aimer ou désapprouver. Le président américain Donald Trump a qualifié certains médias de « faux médias d’information » et d’être « les véritables ennemis du peuple »58.

3. Nous sommes donc heureux que le gouvernement ait accepté les recommandations de notre rapport provisoire et, au lieu d’utiliser l’expression “infox”, il utilise l’expression « désinformation » pour décrire « la création et le partage délibérés de renseignements faux ou manipulés qui visent à tromper et à induire en erreur le public, soit dans le but de nuire, soit pour leur procurer un avantage politique, personnel ou financier »59.

4. Ce rapport final s’appuie sur les principales questions mises en évidence dans les sept domaines couverts dans le rapport provisoire : la définition, le rôle et les responsabilités juridiques des plateformes de médias sociaux ; le mauvais usage des données et le ciblage, fondé sur les allégations Facebook, Cambridge Analytica et Aggregate IQ (AIQ), incluant les preuves issues des documents que nous avons obtenus auprès de Six 4 Three à propos de la connaissance de Facebook de donnés de partages et sa participation dans le partage de données ; les campagnes électorales ; l’influence russe dans les élections étrangères l’influence des SCL dans les élections étrangères; et la culture numérique. Nous intégrons également les analyses réalisées par la société de conseil 89up, les données litigieuses relatives à la base de données AIQ que nous avons reçues de Chris Vickery.

5. Dans le présent rapport final, nous nous appuyons sur les recommandations fondées sur des principes formulés dans le rapport provisoire. Nous avons hâte d’entendre la réponse du gouvernement à ces recommandations d’ici deux mois. Nous espérons que cette réponse sera beaucoup plus complète, pratique et constructive que leur réponse au rapport provisoire publié en octobre 2018. 60 Plusieurs de nos recommandations n’ont pas reçu de réponse substantielle et il est maintenant urgent que le gouvernement y réponde. Nous sommes heureux que le Secrétaire d’État, le très honorable député Jeremy Wright, ait décrit nos échanges comme faisant partie d’un « processus itératif » et que ce rapport soit « très utile, franchement, pour pouvoir alimenter nos conclusions futures avant la rédaction du Livre Blanc » et que nos opinions fassent partie des considérations du gouvernement. 61 Nous attendons avec impatience le livre blanc du gouvernement dénommé Online Harms, rédigé par le Ministère du Numérique, de la Culture, des Médias et des Sports et le Ministère de l’Intérieur, qui sera publié au début de 2019, et qui abordera les questions des préjudices en ligne, y compris la désinformation. 62 Nous avons réitéré plusieurs des recommandations figurant dans notre rapport provisoire, demeurées sans réponse de la part du gouvernement auxquelles le gouvernement n’a pas répondu. Nous présumons et nous nous espérons que le gouvernement réponde à la fois aux recommandations du présent rapport final et à celles du rapport provisoire restées sans réponse.

6. Ce rapport final est le fruit de plusieurs mois de collaboration avec d’autres pays, organisations, parlementaires et particuliers du monde entier. Au total, le Comité a tenu 23 séances d’audiences, reçu plus de 170 mémoires écrits, entendu 73 témoins, posé plus de 4 350 questions lors de ces audiences et eu de nombreux échanges de correspondance publique et privée avec des particuliers et des organisations.

7. Il s’agit d’une enquête collaborative, dans le but de s’attaquer aux questions techniques, politiques et philosophiques complexes qui sont en jeu et de trouver des solutions pratiques à ces questions. Comme nous l’avons fait dans notre rapport provisoire, nous remercions les nombreuses personnes et entreprises, tant nationales qu’internationales, y compris nos collègues et associés en Amérique, d’avoir bien voulu nous partager leurs opinions et informations. 63

8. Nous aimerions également souligner le travail réalisé par d’autres parlementaires qui se sont penchés sur des questions semblables en même temps que notre enquête. Le Comité permanent canadien de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique a publié en décembre 2018 un rapport intitulé « Démocratie menacée : risques et solutions à l’ère de la désinformation et du monopole des données » 64 . Ce rapport souligne l’étude du Comité canadien sur la violation des données personnelles impliquant Cambridge Analytica et Facebook, et les questions concernant plus largement l’utilisation faite des données personnelles par les média sociaux et leur responsabilité dans la diffusion d’information dites fake news ou dans la désinformation . Leurs recommandations concordent avec bon nombre des nôtres dans le présent rapport.

9. La commission du Sénat américain sur le renseignement mène actuellement une enquête sur l’ampleur de l’ingérence de la Russie dans les élections américaines de 2016. Grâce à l’ensemble des données fournis par Facebook, Twitter et Google au Comité du renseignement, sous la direction de son groupe de conseillers techniques, deux rapports tiers ont été publiés en décembre 2018. New Knowledge , une société travaillant sur l’intégrité de l’information, a publié “The Tactics and Tropes of the Internet Research Agency” (La stratégie et la rhétorique de l’agence de renseignement sur internet), qui met en lumière les tactiques et les messages utilisés par ladite agence pour manipuler et influencer les américains, rapport qui inclus un ensemble de présentations, des statistiques éclairantes, des infographies et un présentation thématique de mèmes 65. The Computational Propaganda Research Project (Le projet de recherche sur la propagande informatique) et Graphikap ont publié le second rapport, qui porte sur les activités de comptes connus de l’Internet Research Agency, utilisant Facebook, Instagram, Twitter et YouTube entre 2013 et 2018, afin d’influencer les utilisateurs américains 66. Ces deux rapports seront intégrés au rapport du Comité du renseignement en 2019.

10. La réunion du Grand Comité International qui s’est tenue en novembre 2018 a été le point culminant de ce travail collaboratif. Ce Grand Comité International était composé de 24 représentants démocratiquement élus de neuf pays, incluant 11 membres du Comité du DCMS, qui représentent au total 447 millions de personnes. Les représentants ont signé un ensemble de principes internationaux lors de cette réunion. 67 Nous avons échangé des idées et des solutions en privé et en public, et nous avons tenu une séance de témoignage oral de sept heures. Nous avons invité Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, l’entreprise de média social qui compte plus de 2,25 milliards d’utilisateurs et qui a réalisé un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars en 2017, à témoigner devant nous et devant ce Comité ; il a choisi de refuser, par trois fois68. Cependant, dans les 4 heures qui ont suivi la publication des documents obtenus auprès de Six4Three – concernant la connaissance et la participation au partage de données par Facebook, M. Zuckerberg a répondu par un message sur sa page Facebook 69. Nous remercions nos collègues du “International Grand Commitee” pour leur participation à cette importante session, et nous espérons pouvoir continuer notre collaboration cette année.

 




Le Libre peut-il faire le poids ?

Dans un article assez lucide de son blog que nous reproduisons ici, Dada remue un peu le fer dans la plaie.

Faiblesse économique du Libre, faiblesse encore des communautés actives dans le développement et la maintenance des logiciels et systèmes, manque de visibilité hors du champ de perception de beaucoup de DSI. En face, les forces redoutables de l’argent investi à perte pour tuer la concurrence, les forces tout aussi redoutables des entreprises-léviathans qui phagocytent lentement mais sûrement les fleurons du Libre et de l’open source…

Lucide donc, mais aussi tout à fait convaincu depuis longtemps de l’intérêt des valeurs du Libre, Dada appelle de ses vœux l’émergence d’entreprises éthiques qui permettraient d’y travailler sans honte et d’y gagner sa vie décemment. Elles sont bien trop rares semble-t-il.

D’où ses interrogations, qu’il nous a paru pertinent de vous faire partager. Que cette question cruciale soit l’occasion d’un libre débat : faites-nous part de vos réactions, observations, témoignages dans les commentaires qui comme toujours sont ouverts et modérés. Et pourquoi pas dans les colonnes de ce blog si vous désirez plus longuement exposer vos réflexions.


L’économie du numérique et du Libre

par Dada

Republication de l’article original publié sur son blog

Image par Mike Lawrence (CC BY 2.0)

 

Avec des projets plein la tête, ou plutôt des envies, et le temps libre que j’ai choisi de me donner en n’ayant pas de boulot depuis quelques mois, j’ai le loisir de m’interroger sur l’économie du numérique. Je lis beaucoup d’articles et utilise énormément Mastodon pour me forger des opinions.

Ce billet a pour origine cet entretien de Frédéric Fréry sur France Culture : Plus Uber perd, plus Uber gagne.

Ubérisation d’Uber

Je vous invite à vraiment prendre le temps de l’écouter, c’est franchement passionnant. On y apprend, en gros, que l’économie des géants du numérique est, pour certains, basée sur une attitude extrêmement agressive : il faut être le moins cher possible, perdre de l’argent à en crever et lever des fonds à tire-larigot pour abattre ses concurrents avec comme logique un pari sur la quantité d’argent disponible à perdre par participants. Celui qui ne peut plus se permettre de vider les poches de ses actionnaires a perdu. Tout simplement. Si ces entreprises imaginent, un jour, remonter leurs prix pour envisager d’être à l’équilibre ou rentable, l’argument du « ce n’est pas possible puisque ça rouvrira une possibilité de concurrence » sortira du chapeau de ces génies pour l’interdire. Du capitalisme qui marche sur la tête.

L’investissement sécurisé

La deuxième grande technique des géants du numérique est basée sur la revente de statistiques collectées auprès de leurs utilisateurs. Ces données privées que vous fournissez à Google, Facebook Inc,, Twitter & co permettent à ces sociétés de disposer d’une masse d’informations telle que des entreprises sont prêtes à dégainer leurs portefeuilles pour en dégager des tendances.

Je m’amuse souvent à raconter que si les séries et les films se ressemblent beaucoup, ce n’est pas uniquement parce que le temps passe et qu’on se lasse des vieilles ficelles, c’est aussi parce que les énormes investissements engagés dans ces productions culturelles sont basés sur des dossiers mettant en avant le respect d’un certain nombre de « bonnes pratiques » captant l’attention du plus gros panel possible de consommateurs ciblés.

Avec toutes ces données, il est simple de savoir quel acteur ou quelle actrice est à la mode, pour quelle tranche d’âge, quelle dose d’action, de cul ou de romantisme dégoulinant il faut, trouver la période de l’année pour la bande annonce, sortie officielle, etc. Ça donne une recette presque magique. Comme les investisseurs sont friands de rentabilité, on se retrouve avec des productions culturelles calquées sur des besoins connus : c’est rassurant, c’est rentable, c’est à moindre risque. Pas de complot autour de l’impérialisme américain, juste une histoire de gros sous.

Cette capacité de retour sur investissement est aussi valable pour le monde politique, avec Barack OBAMA comme premier grand bénéficiaire ou encore cette histoire de Cambridge Analytica.

C’est ça, ce qu’on appelle le Big Data, ses divers intérêts au service du demandeur et la masse de pognon qu’il rapporte aux grands collecteurs de données.

La pub

Une troisième technique consiste à reprendre les données collectées auprès des utilisateurs pour afficher de la pub ciblée, donc plus efficace, donc plus cher. C’est une technique connue, alors je ne développe pas. Chose marrante, quand même, je ne retrouve pas l’étude (commentez si vous mettez la main dessus !) mais je sais que la capacité de ciblage est tellement précise qu’elle peut effrayer les consommateurs. Pour calmer l’angoisse des internautes, certaines pubs sans intérêt vous sont volontairement proposées pour corriger le tir.

Les hommes-sandwichs

Une autre technique est plus sournoise. Pas pour nous autres, vieux loubards, mais pour les jeunes : le placement produit. Même si certain Youtubeurs en font des blagues pas drôles (Norman…), ce truc est d’un vicieux.

Nos réseaux sociaux n’attirent pas autant de monde qu’espéré pour une raison assez basique : les influenceurs et influenceuses. Ces derniers sont des stars, au choix parce qu’ils sont connus de par leurs activités précédentes (cinéma, série, musique, sport, etc.) ou parce que ces personnes ont réussi à amasser un tel nombre de followers qu’un simple message sur Twitter, Youtube ou Instagram se cale sous les yeux d’un monstrueux troupeau. Ils gagnent le statut d’influenceur de par la masse de gens qui s’intéresse à leurs vies (lapsus, j’ai d’abord écrit vide à la place de vie). J’ai en tête l’histoire de cette jeune Léa, par exemple. Ces influenceurs sont friands de plateformes taillées pour leur offrir de la visibilité et clairement organisées pour attirer l’œil des Directeurs de Communication des marques. Mastodon, Pixelfed, diaspora* et les autres ne permettent pas de spammer leurs utilisateurs, n’attirent donc pas les marques, qui sont la cible des influenceurs, ces derniers n’y dégageant, in fine, aucun besoin d’y être présents.

Ces gens-là deviennent les nouveaux « hommes-sandwichs ». Ils ou elles sont contacté⋅e⋅s pour porter tel ou tel vêtement, boire telle boisson ou pour seulement poster un message avec le nom d’un jeu. Les marques les adorent et l’argent coule à flot.

On peut attendre

Bref, l’économie du numérique n’est pas si difficile que ça à cerner, même si je ne parle pas de tout. Ce qui m’intéresse dans toutes ces histoires est la stabilité de ces conneries sur le long terme et la possibilité de proposer autre chose. On peut attendre que les Uber se cassent la figure calmement, on peut attendre que le droit décide enfin de protéger les données des utilisateurs, on peut aussi attendre le jour où les consommateurs comprendront qu’ils sont les seuls responsables de l’inintérêt de ce qu’ils regardent à la télé, au cinéma, en photos ou encore que les mastodontes du numérique soient démantelés. Bref, on peut attendre. La question est : qu’aurons-nous à proposer quand tout ceci finira par se produire ?

La LowTech

Après la FinTech, la LegalTech, etc, faites place à la LowTech ou SmallTech. Je ne connaissais pas ces expressions avant de tomber sur cet article dans le Framablog et celui de Ubsek & Rica d’Aral. On y apprend que c’est un mouvement qui s’oppose frontalement aux géants, ce qui est fantastique. C’est une vision du monde qui me va très bien, en tant que militant du Libre depuis plus de 10 ans maintenant. On peut visiblement le rapprocher de l’initiative CHATONS.

Cependant, j’ai du mal à saisir les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour sa réussite.

Les mentalités

Les mentalités actuelles sont cloisonnées : le Libre, même s’il s’impose dans quelques domaines, reste mal compris. Rien que l’idée d’utiliser un programme au code source ouvert donne des sueurs froides à bon nombre de DSI. Comment peut-on se protéger des méchants si tout le monde peut analyser le code et en sortir la faille de sécurité qui va bien ? Comment se démarquer des concurrents si tout le monde se sert du même logiciel ? Regardez le dernier changelog : il est plein de failles béantes : ce n’est pas sérieux !

Parlons aussi de son mode de fonctionnement : qui se souvient d’OpenSSL utilisé par tout le monde et abandonné pendant des années au bénévolat de quelques courageux qui n’ont pas pu empêcher l’arrivée de failles volontaires ? Certains projets sont fantastiques, vraiment, mais les gens ont du mal à réaliser qu’ils sont, certes, très utilisés mais peu soutenus. Vous connaissez beaucoup d’entreprises pour lesquelles vous avez bossé qui refilent une petite partie de leurs bénéfices aux projets libres qui les font vivre ?

Le numérique libre et la Presse

Les gens, les éventuels clients des LowTech, ont plus ou moins grandi dans une société du gratuit. L’autre jour, je m’amusais à comparer les services informatiques à la Presse. Les journaux ont du mal à se sortir du modèle gratuit. Certains y arrivent (Mediapart, Arrêts sur Image : abonnez-vous !), d’autres, largement majoritaires, non.

Il n’est pas difficile de retrouver les montants des subventions que l’État français offre à ces derniers. Libération en parle ici. Après avoir noué des partenariats tous azimuts avec les GAFAM, après avoir noyé leurs contenus dans de la pub, les journaux en ligne se tournent doucement vers le modèle payant pour se sortir du bourbier dans lequel ils se sont mis tout seuls. Le résultat est très moyen, si ce n’est mauvais. Les subventions sont toujours bien là, le mirage des partenariats avec les GAFAM aveugle toujours et les rares qui s’en sont sortis se comptent sur les doigts d’une main.

On peut faire un vrai parallèle entre la situation de la Presse en ligne et les services numériques. Trouver des gens pour payer l’accès à un Nextcloud, un Matomo ou que sais-je est une gageure. La seule différence qui me vient à l’esprit est que des services en ligne arrivent à s’en sortir en coinçant leurs utilisateurs dans des silos : vous avez un Windows ? Vous vous servirez des trucs de Microsoft. Vous avez un compte Gmail, vous vous servirez des trucs de Google. Les premiers Go sont gratuits, les autres seront payants. Là où les journaux généralistes ne peuvent coincer leurs lecteurs, les géants du numérique le peuvent sans trop de souci.

Et le libre ?

Profil de libriste sur Mastodon.

Dans tout ça, les LowTech libres peuvent essayer de s’organiser pour subvenir aux besoins éthiques de leurs clients. Réflexion faite, cette dernière phrase n’a pas tant que ça de sens : comment une entreprise peut-elle s’en sortir alors que l’idéologie derrière cette mouvance favorise l’adhésion à des associations ou à rejoindre des collectifs ? Perso, je l’ai déjà dit, j’adhère volontiers à cette vision du monde horizontale et solidaire. Malgré tout, mon envie de travailler, d’avoir un salaire, une couverture sociale, une activité rentable, et peut-être un jour une retraite, me poussent à grimacer. Si les bribes d’idéologie LowTech orientent les gens vers des associations, comment fait-on pour sortir de terre une entreprise éthique, rentable et solidaire ?

On ne s’en sort pas, ou très difficilement, ou je n’ai pas réussi à imaginer comment. L’idée, connue, serait de s’attaquer au marché des entreprises et des collectivités pour laisser celui des particuliers aux associations sérieuses. Mais là encore, on remet un pied dans le combat pour les logiciels libres contre les logiciels propriétaires dans une arène encerclée par des DSI pas toujours à jour. Sans parler de la compétitivité, ce mot adoré par notre Président, et de l’état des finances de ces entités. Faire le poids face à la concurrence actuelle, même avec les mots « éthique, solidaire et responsable » gravés sur le front, n’est pas évident du tout.

Proie

Si je vous parle de tout ça, c’est parce que j’estime que nous sommes dans une situation difficile : celle d’une proie. Je ne vais pas reparler de l’achat de Nginx, de ce qu’il se passe avec ElasticSearch ou du comportement de Google qui forke à tout va pour ses besoins dans Chrome. Cette conférence vue au FOSDEM, The Cloud Is Just Another Sun, résonne terriblement en moi. L’intervenant y explique que les outils libres que nous utilisons dans le cloud sont incontrôlables. Qui vous certifie que vous tapez bien dans un MariaDB ou un ES quand vous n’avez accès qu’a une boite noire qui ne fait que répondre à vos requêtes ? Rien.

Nous n’avons pas trouvé le moyen de nous protéger dans le monde dans lequel nous vivons. Des licences ralentissent le processus de digestion en cours par les géants du numérique et c’est tout. Notre belle vision du monde, globalement, se fait bouffer et les poches de résistance sont minuscules.

skieur qui dévale une pente neigeuse sur fond de massif montagneux, plus bas
Le Libre est-il sur une pente dangereuse ou en train de négocier brillamment un virage ? Page d’accueil du site d’entreprise https://befox.fr/

Pour finir

Pour finir, ne mettons pas complètement de côté l’existence réelle d’un marché : Nextcloud en est la preuve, tout comme Dolibarr et la campagne de financement réussie d’OpenDSI. Tout n’est peut-être pas vraiment perdu. C’est juste très compliqué.

La bonne nouvelle, s’il y en a bien une, c’est qu’en parlant de tout ça dans Mastodon, je vous assure que si une entreprise du libre se lançait demain, nous serions un bon nombre prêt à tout plaquer pour y travailler. À attendre d’hypothétiques clients, qu’on cherche toujours, certes, mais dans la joie et la bonne humeur.

 

Enfin voilà, des réflexions, des idées, beaucoup de questions. On arrive à plus de 1900 mots, de quoi faire plaisir à Cyrille BORNE.

 

Des bisous.