Et si la « catastrophe » Windows 8 profitait aux jeux sous Linux ?

On le sait, le manque de jeux disponibles nativement sous GNU/Linux est l’un des freins à sa massive adoption.

L’arrivée de Windows 8, prochain système d’exploitation de Microsoft, peut pourtant (et paradoxalement) changer la donne. Non seulement la nouvelle interface Metro risque d’en déstabiliser plus d’un mais en plus le contrôle accru des applications via le futur « Windows Store » pourrait pousser de plus en plus d’éditeurs de logiciels à s’intéresser aux alternatives libres et ouvertes.

C’est ainsi que le très respecté concepteur de jeux vidéos Gabe Newell a récemment décidé de joindre la critique à la pratique en portant par précaution plusieurs titres sous GNU/Linux (dont le célèbre Left 4 Dead 2).

Espérons que cette heureuse initiative ne reste pas isolée…

Comedy Nose - CC by

Newell de Valve : Windows 8, « la catastrophe » qui pousse Valve à supporter Linux

Valve’s Newell: Windows 8 “catastrophe” driving Valve to embrace Linux

Peter Bright – 25 juillet 2012 – ArsTechnica
(Traduction Framalang : Lolo le 13, esperolinuxien, Amine Brikci-N, ZeHiro, Martin)

Le portage de Steam sur Linux est une protection contre l’échec de Windows 8.

Le directeur de Valve – ancien employé de Microsoft – Gabe Newell a qualifié Windows 8 de « catastrophe pour tout le monde, qu’on soit acteur ou utilisateur de PC » lors d’une conférence consacrée aux jeux vidéos, le Casual Connect à Seattle. Le PDG de Valve a poursuivi en indiquant que, en conséquence de l’apparition de Windows 8, « nous allons perdre une partie des PC/OEM, qui quitteront le marché. Je pense que les marges vont être réduites à néant pour un nombre certain d’entreprises ».

Gabe Newell fait valoir que l’un des derniers éléments qui empêchent les gens de passer sous Linux est le manque de jeux. Valve travaille actuellement à porter Left 4 Dead 2 et d’autres titres Steam sous Linux, dans une dynamique que Newell décrit comme une « stratégie de couverture ». Si ses prédictions sur Windows 8 se vérifient, il déclare qu’il « sera bon d’avoir des alternatives pour se protéger contre cette éventualité. »

La piètre opinion que Newell porte sur le prochain système d’exploitation majeur de Microsoft est connue depuis quelques temps. Quand Michael Larabel de Phoronix a visité le campus de Valve à Bellevue, dans l’état de Washington, en avril de cette année pour prendre connaissances des efforts de la société à porter Steam sur Linux, il avait indiqué que la « vision négative de Newell pour Windows 8 et l’avenir de Microsoft était impressionnante ».

Newell n’est pas une tierce partie désintéressée. Valve tire de l’argent des commissions qu’il prend sur les ventes de Steam. Windows 8, avec son « Windows Store » intégré, concurrence cette source de revenus. Des fonctionnalités, comme une intégration au Xbox Live, pourraient rendre le « Windows Store » et Windows 8 plus attrayants pour les joueurs et les développeurs, au détriment de Steam.

Cependant, l’autre aspect de ce « Store » – sa nature fermée et contrôlée – l’inquiète également. Il a attribué le succès de Valve à la nature ouverte du PC, indiquant que cette société « n’existerait plus » sans le PC ou sans « l’ouverture de la plateforme ». Cette ouverture est aujourd’hui menacée. Newell affirme qu’il existe une « forte tentation » à fermer la plateforme, car les développeurs « voient ce qu’il peuvent tirer de celle-ci lorsqu’ils en limitent l’accès à la concurrence, et ils se disent C’est vraiment excitant ».

Crédit photo : Comedy Nose (Creative Commons)




L’open data favorise-t-il nécessairement l’open source ?

Voici une question simple posée, excusez du peu, sur un des blogs du site de la Commission européenne.

On vous la pose donc à notre tour et vous attend dans les commentaires 🙂

A priori la réponse semble évidemment positive mais c’est peut-être plus compliqué que cela sur le terrain…

OpenSourceWay - CC by-sa

« Les gouvernements qui adoptent l’open data vont également adopter l’open source »

Governments that embrace open data will also switch to open source

Gijs Hillenius – 30 juin 2012 – Euopean Commission
(Traduction Framalang : Goofy, Antoine)

Les experts de l’open data s’accordent à dire que les administrations publiques qui comprennent les bénéfices qu’elles peuvent tirer de rendre publiques leurs données vont également plus utiliser du libre et de l’open source. L’open data et l’open source sont en effet souvent confrontés aux mêmes résistances : un manque de formation initiale et une crainte de l’effet qu’ils peuvent avoir sur l’organisation.

« Utiliser des logiciels propriétaires pour l’open data n’est pas aussi utile et pertinent que d’utiliser des logiciels libres », indique Jeanne Holm, l’évangéliste de data.gov, l’initiative open data du gouvernement Américain. « Il est plus facile pour les organisations, mêmes celles qui ont peu de moyens, de commencer à travailler sur des séries de données publiques avec des logiciels open source. Ce type de logiciels réunit le savoir de toute la communauté ».

Holm a été une des oratrices de la conférence sur l’interopérabilité sémantique qui a eu lieu à Bruxelles le 18 juin 2012. « Je suis une fervente avocate de l’open source, je ne suis donc pas impartiale. Cependant, ces logiciels fournissent aux gouvernements un moyen de moderniser leurs systèmes informatiques sans devenir aussi rapidement obsolète qu’avec des solutions propriétaires ».

Pour Holms, les administrations publiques ne devraient plus considérer l’open source comme controversé. « Toutes n’en voient pas encore les bénéfices car l’open source les éloigne parfois de leur situation confortable ».

Une explication similaire est donnée par Julia Glidden, une experte du e-gouvernement et la directrice générale de la société britannique 21c Consultancy. Les services IT peuvent avoir des millions de prétextes pour ne pas utiliser l’open source, selon elle. « Ils peuvent montrer du doigt le manque d’ergonomie, de robustesse, de sécurité et d’autres limitations techniques ».

De grands dépensiers

Glidden déclare que la migration en faveur de l’open source est largement une affaire de gestion du changement. L’open source menacerait la carrière des responsables informatiques. Cela change la relation qu’ils ont avec les gros vendeurs d’informatique et impacte négativement les budgets importants qui leurs sont alloués. « Ils considèrent l’open source comme une menace pour leur carrière et leur position acquise au sein de l’organisation. ». Pour elle, il en va de même pour l’open data. « Ils craignent, par exemple, de perdre leur emploi en cas d’utilisation abusive de ces données ».

De manière plus positive, les administrations publiques peuvent maintenant obtenir de l’aide sur le marché pour utiliser de l’open source dit-elle. On a atteint un seuil d’acceptation critique. « Il y a des vendeurs, des prestataires de service. Ce n’est pas le cas pour l’open data. Il y a besoin de consultants pour les aider à changer d’approche avec ce genre de partage de l’information ».

D’après Glidden, l’open data et l’open source se renforcent mutuellement. « La gouvernance fermée est morte, c’est juste une question de temps. Ils vont migrer vers de l’open source, ils feront de même pour l’open data ».

La philosophie du gouvernement

Katleen Janssen, une chercheuse au centre interdisciplinaire pour le droit et les TIC à l’Université catholique de Louvain est moins convaincue de l’existence d’un lien direct entre open data et open source. « Si l’open data fait partie de la philosophie des administrations publiques, elles vont également migrer vers de l’open source. Cependant, si elles pratiquent l’open data parce que tout le monde le fait ou parce qu’elles y sont contraintes, l’effet sera plus restreint ».

Crédit photo : OpenSourceWay (Creative Commons By-Sa)




Défaite humiliante et définitive d’ACTA au Parlement européen !

ACTA : Victoire totale pour les citoyens et la démocratie ! nous annonce La Quadrature du Net qui n’est pas pour rien dans ce résultat (et qui mérite notre plein soutien).

Ce n’est qu’un début… mais en attendant, nous nous associons à la joie du moment avec cette traduction du pirate Rick Falkvinge.

ACTA 4th July

VICTOIRE ! ACTA subit une défaite humiliante et définitive au Parlement européen

VICTORY! ACTA Suffers Final, Humiliating Defeat In European Parliament

Rick Falkvinge – 4 juillet 2012 – Site personnel
(Traduction Framalang : Ypll, Goofy, Martin)

Aujourd’hui à 12h56, le Parlement européen avait le choix entre le rejet final d’ACTA et la poursuite de l’incertitude. Par un vote écrasant, 478 à 39, le Parlement a décidé de rejeter ACTA une bonne fois pour toutes. Cela signifie que ce traité trompeur est maintenant mort au niveau mondial.

C’est un jour de fête. C’est le jour où les citoyens d’Europe et du monde ont vaincu les bureaucrates non élus, qui étaient courtisés par le lobby des plus riches entreprises de la planète. Le champ de bataille n’était pas un quelconque bureau dans une administration mais les représentants du peuple – le Parlement européen – qui ont finalement décidé de faire leur travail en beauté, et de représenter le peuple contre les intérêts particuliers.

La route vers cette victoire fut sombre, difficile, et en aucun cas sûre.

ACTA 4th July

Illustration : Le vote final sur ACTA au Parlement européen : 39 pour, 478 contre.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il y a six mois la situation semblait très sombre. Il semblait certain qu’ACTA passerait en silence et dans l’indifférence totale. Les forces défendant les droits des citoyens ont essayé de le faire passer devant la Cour européenne de justice pour tester sa légalité et pour gagner un peu de temps. Et là, quelque chose s’est produit.

Un monstre du nom de SOPA est apparu aux États-Unis. Des milliers de sites web se sont couverts de noir le 18 janvier et des millions de protestations se sont exprimées, laissant le Congrès en état de choc devant l’ampleur de la colère populaire contre certains intérêts privés. SOPA en est mort.

Dans ce sillage, comme les citoyens s’étaient rendus compte qu’ils n’avaient pas besoin d’accepter de tels abus d’entreprises sans broncher et en tendant l’autre joue, la communauté a braqué ses projecteurs sur ACTA. La lutte a continué en beauté pour vaincre ce monstre. Début février, il y a eu des manifestations dans toute l’Europe, laissant le Parlement européen tout aussi choqué.

Les partis politiques ont changé d’avis et proclamé leur opposition à ACTA en solidarité avec les manifestions citoyennes sur tout le continent, après avoir compris à quel point cette législation étaient commandée sans aucune honte par des entreprises complices qui pensaient que c’était déjà fait. Ils ont essayé, retenté, et forcé jusqu’à aujourd’hui, de reporter le vote d’ACTA pour qu’il se passe dans la plus grande indifférence du public et des activistes.

Hélas, ils ne comprennent pas le Net. Et il y a un point clé ici : le Net n’oublie jamais.

Mais le message à retenir ici, c’est que nous, les activistes, avons fait ça. Tout le monde au Parlement européen se relaie pour rendre hommage à tous les activistes partout en Europe et dans le monde, qui ont attiré leur attention sur le fait que c’était une vraie saleté, que ce n’était pas une proposition à approuver comme les autres, mais en fait une proposition de législation réellement dangereuse. Tout le monde remercie les activistes pour cela. Oui, vous. Vous devriez vous pencher en arrière, sourire et vous filer des tapes dans le dos. Chacun d’entre nous a de très bonnes raisons d’être fier aujourd’hui.

Et maintenant ?

En théorie, ACTA pourrait toujours s’appliquer entre les États-Unis et plusieurs États de plus petite taille. Dix États étaient en négociation, et six d’entre eux doivent le ratifier pour qu’il entre en vigueur. En théorie, cela pourrait devenir un traité entre les États-Unis, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle Zélande, l’Australie et la Suisse. (Mais attendez, le Sénat mexicain a déjà rejeté ACTA. Tout comme l’Australie et la Suisse, en pratique. Eh bien… alors un traité entre les États-Unis et le Maroc, dans l’éventualité peu probable que les États-Unis le ratifient réellement et formellement. Vous voyez l’issue qui se dessine.)

Comme il était expliqué précédemment sur TorrentFreak, sans le soutien de l’Union européenne, ACTA est mort. Il n’existe pas.

Le Commissaire européen responsable du traité, Karel de Gucht, a déclaré qu’il n’allait tenir compte d’aucun rejet et le re-soumettre au Parlement européen jusqu’à son adoption. Cela n’arrivera pas. Le Parlement fait très attention à sa dignité et ne tolère pas ce genre de mépris, heureusement. C’est quelque chose d’assez nouveau dans l’histoire démocratique de l’Union européenne – la première fois où j’ai vu le Parlement se battre pour sa dignité était pour le Paquet Télécom, quand la Commission a pareillement tenté de faire adopter de force la riposte graduée (au contraire, le Parlement a rendu cette riposte graduée illégale dans toute l’Union européenne).

Une bonne partie des dangers d’ACTA reviendra sous d’autres noms. Pour les lobbyistes, c’est le travail de sape ordinaire contre les pouvoirs, jusqu’à ce qu’ils cèdent. Juste un jour de boulot comme un autre. Nous devons rester vigilants contre les intérêts particuliers qui reviendront encore et encore à la charge, jusqu’à ce que nous nous assurions que la route législative leur soit complètement bloquée. Nous devons rester vigilants.

Mais pas aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous fêtons un travail extraordinairement bien mené.

Aujourd’hui, le 4 juillet, l’Europe célèbre une journée d’indépendance vis-à-vis des intérêts particuliers américains.

Aujourd’hui, nous avons défendu nos droits les plus fondamentaux contre les géants de l’industrie, et nous avons gagné.

Félicitations à nous tous, et merci à tous les frères et les sœurs sur les barricades, partout dans le monde, qui ont rendu cela possible.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa




L’esprit de partage, une révolution de l’esprit #Sharism

Issu du verbe anglais to share qui veut dire partager, le « Sharism » est reconnu par Wikipédia.

Cela ne signifie pas que le concept, exposé ici par le chinois Isaac Mao, soit nécessairement valide, d’autant que le style verse parfois un peu trop dans le new age, mais il méritait selon nous un nouveau petit coup de projecteur.

Cet article a été rédigé en décembre 2008 (avant, par exemple, le réel avènement des réseaux sociaux). Il a été traduit initialement par Olivier Heinry sur son site.

Joi Ito - CC by

L’esprit de partage, une révolution de l’esprit

Sharism: A Mind Revolution

Isaac Mao – Décembre 2008 – Creative Commons By
(Traduction : Olivier Heinry)

Alors que le peuple du World Wide Web communique plus pleinement et plus librement par le biais des médias sociaux et que l’on assiste à une explosion des contenus 2.0, la dynamique interne d’une telle explosion créative se doit d’être étudiée de plus près. Quelle est la motivation de ceux qui rejoignent ce mouvement et quel futur vont-ils engendrer ? L’un des aspects clés consiste en la surabondance de respect de la part de la communauté et de capital social accumulés par ceux qui partagent.

La motivation clé des Médias Sociaux et l’esprit animant le Web 2.0 forment un changement de paradigme nommé Esprit de Partage. L’esprit de partage suggère une réorientation des valeurs individuelles. On le voit à l’œuvre dans les contenus générés par les utilisateurs. C’est l’allégeance des Creative Commons. Il fait partie des initiatives culturelles futuro-centriques. L’esprit de partage est également un exercice mental que tout un chacun peut essayer, une attitude socio-psychologique destinée à transformer un univers étendu et isolé en un Cerveau Social hyper-intelligent.

La doctrine du neurone

Le partagisme est encodé dans le Génome Humain. Bien qu’éclipsés par les nombreux pragmatismes du quotidien, la théorie du l’Esprit de Partage trouve sa source dans les neurosciences et l’étude du modèle opératoire du cerveau humain. Bien qu’il nous soit impossible de décrire le fonctionnement du cerveau dans son ensemble, nous disposons d’un modèle du mécanisme de fonctionnement du système nerveux et de ses neurones. Un neurone n’est pas qu’une simple cellule de l’organisme, mais un processeur biologique très puissant et excitable électriquement. Des groupes de neurones forment des réseaux intensément interconnectés, qui, en modifiant la force/résistance des synapses situées entre les cellules, peuvent traiter de l’information, ainsi qu’apprendre. Un neurone , en partageant des signaux chimiques avec ses voisins, peut se retrouver intégré à des motifs plus significatifs qui maintiennent le neurone actif et vivant. De plus, cette simple logique peut être répétée et amplifiée, puisque tous les neurones fonctionnent sur un principe similaire de connexion et de partage. A l’origine, le cerveau est des plus ouverts. Un réseau neuronal existe qui partage activité et information, et je pense que ce modèle du cerveau devrait inspirer des idées comme aider à prendre des décisions concernant les réseaux humains.

Ainsi, notre cerveau privilégie le partage par la nature même de son système, ce qui signifie de profondes implications pour les processus créatifs. A chaque fois que vous avez l’intention de créer, il vous sera plus aisé de générer des idées plus créatives si vous conservez à l’esprit la notion de processus de partage. Le processus de formation des idées n’est pas linéaire, mais ressemble plus à une avalanche d’amplifications le long d”un chemin de réflexion. Il se déplace avec le momentum d’une boule de neige créative. Si votre système cognitif interne encourage le partage, vous pouvez alors construire une boucle de rétroaction de bonheur, qui vous aidera à son tour à générer d’autant plus d’idées. C’est une sorte d’effet papillon, où la petite quantité d’énergie créative que vous aurez dépensé vous rendra, vous et le monde , plus créatifs.

Cependant, les décisions prises au quotidien par la plupart des adultes ont une créativité plutôt faible, seulement parce qu’ils ont désactivé leurs chemins de partage. Les gens aiment en général partager ce qu’ils créent, mais dans une culture qui leur enjoint de protéger leurs idées, les gens deviennent convaincus du danger du partage. Le sens du partage est alors affaibli dans leur esprit et découragé au sein de leur société. Mais si nous pouvons encourager une personne à partager, alors ses chemins de partage resteront ouverts. L’esprit de partage restera en mémoire dans son esprit, tel un instinct. Si elle rencontre au futur une situation de choix créatif, son choix sera : « Partage ».

Ces déclics de l’esprit sont trop subtils pour être perçus. Mais du fait que le cerveau,et la société, sont des systèmes connectés, l’accumulation de ces micro-attitudes, de neurone en neurone, et d’individu en individu, peut aboutir à un comportement manifeste. Il est aisé de pouvoir dire si une personne, un groupe, une entreprise, une nation sont enclins au partage ou pas. Pour ceux qui ne le sont pas , ce qu’ils défendent comme « biens culturels » et « propriété intellectuelle » ne sont que des excuses pour le statu quo gardant une communauté fermée. Une grande partie de leur « culture » sera protégée, mais le résultat net consiste en la perte directe de bien des précieuses idées, et dans la perte subséquente de tous les gains potentiels de leur partage. Cette connaissance perdue est un trou noir dans nos vies, qui pourrait bien avaler d’autres valeurs également.

La culture du non-partage nous guide à tort avec sa séparation absolue des espaces privé et public. Toute activité créatrice devient un choix binaire entre public et privé, ouvert et fermé, ce qui entraîne la naissance d’un fossé dans le spectre de la connaissance. Bien que ce fossé puisse devenir le lieu d’une réelle créativité, les craintes liées à la vie privée rendent ce fossé difficile à combler. Nous ne devrions pas nous étonner du fait que la plupart des gens, pour demeurer en sécurité, ne partagent que de façon privée et restent donc « fermés ». Elles craignent peut-être que l’Internet ne soit un risque potentiel qu’elles ne peuvent combattre seules. Paradoxalement, moins vous partagerez, moins vous en aurez le pouvoir.

Les nouvelles technologies et la montée de l’esprit de partage

Remontons en 1999, à l’époque où il n’y avait que quelques centaines de blogs de pionniers sur la planète, et sans doute pas plus de dix lecteurs à suivre chacun de ces blogs. L’histoire humaine est ainsi faite : un événement important avait lieu sans que le reste du monde ne le réalise. Le changement induit par l’arrivée de publications en ligne simples d’usage déclencha une révolution douce en moins de cinq ans. Les gens ont fait rapidement et facilement la transition depuis la simple consultation de blogs à l’ajout de commentaires et la participation à des discussions en ligne, jusqu’à réaliser soudainement qu’ils pouvaient eux-même devenir blogueurs. Plus de blogueurs a généré plus de lecteurs, et plus de lecteurs ont créé encore plus de blogs. Ce fut une révolution virale.

Les blogueurs génèrent sur Internet une information vivante et à jour, et sont connectés les uns aux autres par RSS, hyperliens, commentaires, trackbacks et citations. Le fine granularité des contenus peut alors combler les interstices entre notre expérience lacunaire, et ainsi écrire une nouvelle histoire de l’humanité. Une fois que vous êtes devenu un blogueur, une fois que vous avez accumulé autant de capital social sur un aussi petit site, il est devenu difficile d’arrêter. Cela ne peut s’expliquer par une théorie de la dépendance. C’est une impulsion de partage. C’est l’énergie des mêmes qui veut circuler de bouche à oreille et d’esprit à esprit. C’est plus que l’e-mail. C’est l’esprit de partage.

Les blogueurs souhaitent toujours garder à l’esprit le contexte social de leurs articles, en se demandant : « Qui donc va lire ceci ? » Les blogueurs sont agiles en ce qu’ils ajustent leur tonalité -et leur niveau de vie privée – pour faire avancer leurs idées sans se mettre en danger. Il s’agirait du sens du terme adéquat, plutôt que d’une auto-censure. Mais une fois que les blogs ont atteint leur masse critique, ils se sont étendus pour devenir la blogosphère. Ce dernier point a requis un système de réseaux sociaux plus délicat, ainsi qu’une architecture de partage de contenus. Mais les gens savent désormais qu’ils maîtrisent une palette plus large de relations. A la façon dont Flickr nous permet de partager des photos, mais en toute sécurité. Le respect de la vie privée de Flickr à base de cases à cocher peut paraître étrange au nouvel utilisateur, mais elle peut vous permettre de jouer avec les ressorts mentaux de l’esprit de partage. En cochant une case, nous pouvons choisir de partager , ou pas. De mes propres observations, j’ai pu constater que des photographes sur Flickr deviennent plus réceptifs à l’idée de partage, tout en conservant toute la latitude voulue dans leurs choix.

L’émergence rapide d’applications sociales qui communiquent et coopèrent, en permettant à tout un chacun de diriger des contenus d’un service à un autre, laisse les utilisateurs libres de pomper leurs mêmes au travers d’un écosystème faits de pipelines. Cette capacité d’interconnexion permet aux mêmes de se déplacer au travers de multiples réseaux sociaux, et de potentiellement atteindre une énorme audience. En conséquence de quoi, ce système de micro-pipelines rend les médias sociaux viables en tant qu’alternative aux mass-média traditionnels. Ces nouvelles technologies ressuscitent l’esprit de partage dans notre culture de la fermeture.

Pratique locale, bénéfice global

Si jamais vous avez perdu votre esprit de partage du fait d’un mauvais environnent culturel ou éducatif, il est ardu de le retrouver. Mais ce n’est pas impossible. Une pratique assidue peut mener à un rétablissement complet. Vous pouvez vous représenter l’esprit de partage comme une pratique spirituelle. Mais vous devrez pratiquer quotidiennement. Sinon, vous perdriez le pouvoir de partager. Définitivement.

Vous pourriez avoir besoin de quelques chose qui vous motive, vous empêche de revenir à un état d’esprit fermé. Voici une idée : afficher sur votre bureau une note portant la mention : « Que veux-tu partager aujourd’hui ? ». Sans blague. Par la suite, si jamais vous tombez sur quoi que ce soit d’intéressant, partagez-le ! La façon la plus simple à la fois pour commencer et continuer à partager consiste à utiliser de multiples logiciels sociaux. Le premier même que vous souhaitez partager sera peut être de peu de taille, mais vous pourrez l’amplifier par le biais des nouvelles technologies. Listez les noms de personnes de votre réseau personnel, et invitez-les à rejoindre un nouveau logiciel social. Au début, vous aurez peut-être du mal à voir les bénéfices de l’esprit de partage. Le vrai test consiste alors à voir si vous pouvez suivre le feedback que vous obtenez de ce que vous partagez. Vous réaliserez que quasiment toutes vos activités de partage vont générer des résultats positifs. Le bonheur que vous ressentirez n’est que la récompense la plus immédiate, même s’il y en a d’autres.

Le premier type de récompense que vous obtiendrez arrivera sous la forme de commentaires. Vous saurez alors que vous avez suscité de l’intérêt, de l’appréciation, de l’excitation. La seconde récompense sera l’accès à tout ce que les amis de votre réseau auront partagé. Du fait que vous les connaissez et avez confiance en eux, vous serez d’autant plus intéressés par ce qu’ils partagent. Mais le troisième type de récompense est plus important encore. Tout ce que vous partagez sera transféré, remis en circulation et publié une nouvelle fois au travers des propres réseaux de vos amis. Cet effet de cascade porte alors votre parole aux masses mises en réseau. Les progrès des logiciels de réseaux sociaux font que la vitesse de propagation devient celle d’un clic de souris. Vous devriez rencontrer l’esprit de partage. Vous êtes sur le point de devenir connu, et ce rapidement.

Ce qui nos amène au quatrième et dernier type de retour, qui fait sens non seulement pour vous, mais également pour la société toute entière. Si vous l’avez choisi, vous autorisez autrui à créer des œuvres dérivées à partir de ce que vous aurez partagé. Ce simple choix peut facilement faire boule de neige et induire de nouvelles créations le long du chemin du partage de la part de personnes situés à des endroits clés du réseau et qui sont toutes aussi passionnées que vous pour créer et partager. Après plusieurs cycles de développement, une vaste œuvre créatrice peut jaillir de votre décision de partager. Bien sûr, vous recevrez le crédit que vous avez demandé, et que vous méritez. Et c’est tout à fait logique de vouloir en être rémunéré. Mais dans tous les cas vous en obtiendrez quelque chose de tout aussi essentiel : du Bonheur.

Plus il y aura de créateurs dans l’esprit de partage, plus ce sera facile de parvenir à un état d’équlibre et d’équité pour les Médias Sociaux tissés par les gens eux-même. Les médias ne seront pas contrôlés par une seule personne, mais reposeront sur la distribution régulière du réseautage social. Ces « Partagéros » (Héros Partageurs) deviendront naturellement les leaders d’opinion de la première vague de Média Social. Cependant, les droits sur ces médias appartiendront à tous. Vous devenez à la fois producteur et consommateur dans un tel système.

L’esprit de partage protège vos droits

Bien des questions restent malgré tout en suspens à propos de l’esprit de partage comme initiative dans une nouvelle ère, la principale étant celle du copyright. Un des soucis est que n’importe quelle perte de contrôle sur des contenus protégés par copyright conduira à une baisse conséquente de la richesse individuelle, ou simplement en une perte de contrôle. Il y a 5 ans, j’aurais considéré cela comme possible. Mais les choses changent aujourd’hui. L’environnement de partage est plus protégé que vous ne pourriez penser. Bien des nouveaux logiciels sociaux vous facilitent l’établissement des conditions d’utilisation de votre chemin de partage. Tout violation de ces termes a leur égard vous sera reprochée non seulement par la loi, mais par votre communauté. Votre auditoire, qui bénéficie de ce que vous partagez, peut aussi tenir lieu de gardien de vos droits. Cela paraît idéal, même pour le détenteur de droits traditionnels.

De plus, en mesurant la portée des récompenses immédiates et à venir liées au partage, vous vous direz peut-être en fin de compte que le copyright et les « Tous droits réservés » sont bien éloignés de vous. Vous apprécierez trop les bénéfices du partage pour vous soucier de savoir qui détient une copie. Plus il y a de gens à remixer vos œuvres, plus vous aurez un retour important, voici la nouvelle formule économique.

Je voudrais souligner que le sens du partage n’équivaut pas au Communisme, ni au Socialisme. Pour ce qui est des Communistes endurcis, ils ont souvent violé la nature encline au partage des gens pour les forcer à abandonner leurs droits comme leurs biens. Le Socialisme, ce Communisme attendri, a, d’après notre exprience, également montré bien peu de respect envers ces droits. Dans ces systèmes, l’état détient toute propriété. Dans l’esprit de partage, vous pouvez conserver vos droits si vous le voulez. Mais je préfère partager. Et c’est ainsi que j’ai choisi de propager des idées, et la prosperité.

L’esprit de partage est entièrement basé sur votre propre consensus. Ce n’est pas trop difficile à comprendre, surtout depuis que des mouvements liés au copyleft comme la Free Software Foundation et les Creative Commons existent déjà depuis plusieurs années. Ces mouvements redéfinissent un spectre plus flexible de licences pour que les développeurs comme les utilisateurs finaux puissent marquer leurs travaux. Du fait que ces nouvelles licences peuvent être reconnus autant par les humains que les machines, il devient de plus en plus facile de partager à nouveau ces travaux dans les nouveaux écosystèmes en ligne.

L’esprit du Web, un cerveau social

L’esprit de partage est celui de l’ère du Web 2.0. Il a à la fois la consistance d’une Épistémologie naturalisée et celle d’une Axiologie modernisée, mais contient également les promesses du pouvoir d’une nouvelle philosophie de l’Internet. L’esprit de partage va transformer le monde en un Cerveau Social émergeant, un hybride mis en réseau de personnes et de logiciel. Nous sommes les Neurones en Réseau connecté par les synapses du Logiciel Social. Il s’agit d’une saut de l’évolution, un petit pas pour nous mais un pas de géant pour la société humaine. Avec ces nouvelles technologies « velues » fleurissant autour de nous , nous sommes en mesure de générer plus de connectivité et d’augmenter le débit de nos liens sociaux. Plus nous , neurones sociaux, serons ouverts et intensément connectés, meilleur sera l’environnement de partage, pour tous. Plus notre intelligence sera collective, plus la sagesse marquera nos actions. Les gens ont toujours trouvé de meilleures solutions par la conversation. Désormais, nous pouvons le mettre en ligne.

L’esprit de partage sera la politique exercée par la prochaine super puissance globale. Il ne s’agira pas d’un pays, mais d’un nouveau réseau humain relié par le Logiciel Social. Il s’agit peut-être d’un rêve lointain, de même que une politique publique de partage bien conçue n’est sans doute pas pour demain. Mais les idées que je soulève peuvent améliorer dès aujourd’hui les gouvernements. Nous pouvons intégrer nos systèmes démocratiques émergents comme déjà existants avec de nouvelles toponymies sociales (basées sur l’indexation sociale et collaborative d’information) pour permettre aux gens d’émettre des requêtes, de partager des données et remixer les informations pour des usages publics. L’intelligence collective d’un vaste environnement de partage équitable peut être le gardien du temple de nos droits, et le chien de garde des gouvernements. Dans le futur, la politique pourra être exercée de manière plus nuancée, par le biais de la micro-participation de la communauté de l’esprit du partage. Cette « Démocratie Émergente » se déroule plus en temps réel que lors de sessions parlementaires. Elle élargira la panoplie de nos choix, au-delà des options binaires offertes par référendums par « Oui » ou « Non ». La démocratie représentative en deviendra plus prompte à réagir et plus diligente, parce que nous nous représenterons nous-même au sein du système.

L’Esprit de Partage aura pour résultat une plus grande justice sociale. Dans un environnement de partage sain, tout signe d’injustice peut se retrouver amplifié afin d’attirer l’attention du public. Toute victime peut obtenir un support aussi effectif qu’instantané de ses pairs et des pairs de ses pairs. Les procédures de justice prendront la forme de pétitions émises par le biais de multiples canaux interconnectés. Par ces outils, chacun d’entre nous peut devenir mieux socialisé, et la société plus individualisée. Nous ne sommes plus forcés d’agir seuls. La démocratie émergente n’existera qu’une fois que l’Esprit de Partage sera devenu le bréviaire de la majorité. Puisque l’Esprit de Partage peut améliorer la communication, la collaboration comme la compréhension mutuelle, je crois qu’il a sa place au sein du système éducatif. L’Esprit de Partage peut s’appliquer à n’importe quel discours culturel, communauté de pratique (Community of Practice) ou contexte de résolution de problème. C’est également un antidote à la dépression sociale, la perte du sens du partage ne faisant que tirer notre société vers le bas. Dans les pays totalitaires actuelles ou passés, ce cycle décadent est encore plus visible. Le monde futur sera un hybride d’humain et de machine qui permettra des prises de décisions meilleures et plus rapides, n’importe où, n’importe quand. Le flot d’information entre les esprits deviendra plus flexible et plus productif. Ces vastes réseaux de partage créeront un nouvel ordre social : une Révolution de l’Esprit.

Crédit photo : Joi Ito (Creative Commons By)




Ce qui s’est passé la nuit dernière, dans un cinéma de Melbourne

Inauguré en 1936, L’Astor Theatre est un cinéma bien connu des habitants de Melbourne. En janvier dernier on y a programmé un film qui a bien failli ne pas être projeté.

Pourquoi ? Parce que le cinéma actuel est en train de faire sa « révolution numérique » et que comme on peut dès lors facilement copier un film, les distributeurs ont mis plus un système complexe de protection (l’équivalent des DRM pour la musique) qui peut s’enrayer et laisser les propriétaires des salles démunis et impuissants face au problème.

C’est le témoignage d’une des personnes qui gèrent le cinéma Astor que nous vous proposons ci-dessous[1].

Thomas Hawk - CC by-nc

Ce qui s’est passé la nuit dernière

What Happened Last Night

Tara Judah – 26 janvier 2012 – The Astor Theatre Blog
(Traduction Framalang : Antistress, Lamessen, Penguin, HgO, Étienne, ZeHiro, kabaka, Penguin, Lamessen)

Nous avons tous des nuits que nous préférerions oublier. Mais parfois, il est préférable d’en parler le lendemain matin. Et étant donné que nous avons une relation étroite (nous le cinéma, vous le public), c’est probablement mieux de vous dire ce qui s’est passé et, plus important, pourquoi ça c’est passé ainsi.

La nuit dernière nous avons eu un retard imprévu, non désiré et désagréable lors de notre projection de Take Shelter – la première partie de notre mercredi de l’horreur.

J’utilise les mots imprévu, non désiré et désagréable parce que nous aimerions que vous sachiez que c’était aussi désagréable pour vous que pour nous – et aussi que c’était quelque chose de totalement hors de notre contrôle. En tant que cinéma il y a de nombreux aspects de votre expérience que nous maîtrisons et qui sont sous notre responsabilité ; l’atmosphère des lieux lorsque vous vous rendez à l’Astor est quelque chose sur lequel nous travaillons dur et pour lequel nous déployons tout notre talent, même si là aussi de nombreux facteurs extérieurs entrent en jeu. Mais parfois ces facteurs extérieurs que nous essayons d’accommoder sont tels que la situation nous échappe et, par conséquent, tout ce que nous pouvons faire est d’essayer de corriger le problème du mieux que nous le pouvons et le plus rapidement possible.

Le paysage de l’industrie cinématographique change rapidement. La plupart d’entre vous le sait déjà parce que nous partageons avec vous ces changements sur ce blog. L’année dernière, nous avons ainsi installé un nouveau projecteur numérique ultramoderne, un Barco 32B 4K. Les raisons qui nous y ont conduit étaient multiples et variées. Qu’elles aient été endommagées voire détruites avec le temps, ou rendues, volontairement ou non, indisponibles par leur distributeurs, un nombre croissant de bobines 35 mm disparaît réduisant ainsi le choix de notre programmation (et je ne vous parle même pas des différents problèmes de droits de diffusion des films).

L’arrivée de la projection numérique et l’accroissement de la disponibilité de versions numériques des films cultes et classiques nous ont effectivement offerts quelques belles opportunités de vous présenter des films autrement confinés au petit écran (dont Taxi Driver, Docteur Folamour, South Pacific, Oklahoma ! et Labyrinthe, pour n’en citer que quelques uns). Les grands studios des industries culturelles sont donc en train de se diriger vers ce qui a été salué comme étant une « révolution numérique ». Le terme lui-même est effrayant. Tandis que la projection numérique possède de nombreux avantages, elle recèle également des pièges. Ce que nous observons en ce moment est le retrait des bobines de film de 35 mm en faveur de la projection numérique, le plus souvent au format DCP (Digital Cinema Package).

Or contrairement aux pellicules de 35mm qui sont des objets physiques, livrés en bobines et qui sont projetées grâce à un projecteur mécanique, les DCP sont des fichiers informatiques chargés à l’intérieur d’un projecteur numérique qui, par bien des aspects, se résume à un ordinateur très sophistiqué. Puisque le fichier est chargé dans le projecteur, le cinéma peut en conserver une copie ad vitam aeternam, s’il y a assez d’espace sur son serveur. C’est pourquoi, après avoir eux même engendré cette situation, les studios et les distributeurs verrouillent les fichiers pour qu’ils ne puissent être projetés qu’aux horaires planifiés, réservés et payés par le cinéma. Ceci signifie que chaque DCP arrivé chiffré que vous ne pouvez ouvrir qu’avec une sorte de clé appelée KDM (Key Delivery Message), Le KDM déverrouille le contenu du fichier et permet au cinéma de projeter le film. Il dépend évidemment du film, du projecteur du cinéma mais aussi de l’horaire, et n’est souvent valide qu’environ 10 min avant et expire moins de 5 min après l’heure de projection programmée. Mis à part le fait évident que le programme horaire des projections doit être précisément suivi, cela signifie aussi que le projectionniste ne peut ni tester si le KDM fonctionne, ni vérifier la qualité du film avant le début de la projection. Ce n’est à priori pas un probléme. Mais lorsqu’il y en a un…

Lorsqu’il y a un problème, nous obtenons ce qui s’est produit la nuit dernière.

Le KDM que nous avions reçu pour Take Shelter ne fonctionnait pas. Nous avons découvert cela dix minutes environ avant la projection. Comme nous sommes un cinéma, et que nous avons des projections le soir, nous ne pouvions pas simplement appeler le distributeur pour en obtenir un nouveau, car ils travaillent aux horaires de bureau. Notre première étape fut donc d’appeler le support téléphonique ouvert 24h sur 24 aux Etats-Unis. Après avoir passé tout le processus d’authentification de notre cinéma et de la projection prévue, on nous a dit que nous devions appeler Londres pour obtenir un autre KDM pour cette séance précise. Après avoir appelé Londres et avoir authentifié de nouveau notre cinéma et notre projection, on nous a dit qu’ils pouvaient nous fournir un autre KDM, mais pas avant que le distributeur ne l’autorise aussi. Cela voulait dire un autre délai de 5-10 minutes pendant que nous attendions que le distributeur confirme que nous avions en effet bien le droit de projeter le film à cet horaire. Une fois la confirmation reçue, nous avons attendu que le KDM soit émis. Le KDM arrive sous la forme d’un fichier zip attaché dans un mail, qui doit donc être ensuite dézippé, sauvegardé sur une carte mémoire et copié sur le serveur. Cela prend à nouveau 5-10 minutes. Une fois chargé, le projecteur doit reconnaître le KDM et débloquer la séance programmée. Heureusement, cela a fonctionné. Néanmoins, jusqu’à ce moment-là, nous ne savions absolument pas, tout comme notre public, si le nouveau KDM allait fonctionner ou non, et donc si la projection pourrait ou non avoir lieu.

Il ne s’agit que d’un incident dans un cinéma. Il y a des milliers et des milliers de projections dans des cinémas comme le nôtre à travers le monde, qui rencontrent les mêmes problèmes. Si nous avions projeté le film en 35 mm, il aurait commencé à l’horaire prévu. Le projectionniste aurait préparé la bobine, l’aurait mise dans le projecteur et alignée correctement avant même que vous vous ne soyiez assis, zut, avant même que nous n’ayions ouvert les portes pour la soirée. Mais c’est une situation que l’industrie du cinéma a créée et qu’elle va continuer de vendre comme étant supérieure au film 35mm.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’avantages au cinéma numérique, mais je dis qu’il y a aussi des problèmes. Et pire encore, des problèmes qui sont hors de notre contrôle et qui nous font paraître incompétents.

Nous employons des projectionnistes parfaitement formés au cinéma Astor, vous savez, le genre qui ont plus de 20 ans d’expérience chacun, qui avaient une licence de projectionniste (à l’époque où ce genre de chose existait), et si une bobine de film venait à casser, ou que le projecteur avait besoin de maintenance, ou si une lampe devait être changée, ils étaient qualifiés et capables de résoudre le problème sur le champ.

Avec le numérique cependant, il n’existe pas de compétence dans la résolution des problèmes : cela nécessite avant tout des appels téléphoniques, des e-mails et des délais. Le fait que moi, qui n’ai reçu que la formation la plus élémentaire et la plus théorique en projection, je sois capable d’être une partie de la solution à un problème, démontre clairement comment l’industrie s’est éloigné de l’essence même du média cinéma.

Nous ne disons pas que le numérique c’est le mal, mais nous voulons que vous sachiez ce qui est en jeu. L’industrie du cinéma est déterminée à retirer les pellicules de la circulation, ils déclarent ouvertement qu’il n’y aura plus de pellicules dans le circuit de distribution cinématographiques dans quelques années. Il existe déjà des cas aux Etats-Unis où certains studios ont refusé d’envoyer des bobines de films 35 mm aux cinémas. La pression mise sur les cinémas indépendants pour, dixit, se convertir au numérique est un sujet qui mérite toutefois un autre billet, mais une autre fois.

Ce que j’aimerais vous apporter ici, c’est notre ressenti de la nuit dernière : l’industrie cinématographique est en train de changer et ce changement nous fait aujourd’hui perdre le contrôle. Nous sommes en relation avec vous, notre public, mais j’ai l’impression que quelqu’un essaie de nous séparer. Nous voulons continuer à vous donner l’expérience que vous attendez et que vous méritez quand vous venez dans notre cinéma, et nous voulons que vous sachiez que, même si on ne peut pas vous promettre que cela ne se reproduira pas, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour continuer à nous battre pour cette relation, et le premier pas pour réparer les dégâts causés par la nuit dernière est d’être honnête sur ce qui s’est passé, et pourquoi cela s’est passé ainsi.

Ecrit par Tara Judah pour le cinéma Astor.

Notes

[1] Crédit photo : Thomas Hawk (Creative Commons By-Nc)




La petite fille muette réduite au silence par Apple, les brevets, la loi et la concurrence

Maya est une petite fille de 4 ans qui ne peut pas parler.

Muette, jusqu’au jour où ses parents lui installent une application iPad qui lui permet pour la première fois d’entrer réellement en communication avec les autres.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur de monde si cette application ne se trouvait pas attaquée par des concurrents pour viol de brevets et si Apple, sans même attendre la fin du procès, ne décida soudainement de retirer l’application de son store, avec toutes les terribles conséquences potentielles pour Maya et les autres enfants dans son cas[1].

Une histoire racontée par la mère de Maya. Une histoire nécessairement subjective et dans l’émotion, mais qui révèle une situation contemporaine où des logiques contradictoires finissent par mettre l’humain entre parenthèses…

PS : On vous épargnera le couplet affirmant péremptoirement qu’avec un logiciel libre sur plateforme libre cela ne se serait pas produit 🙂

Katie Tegtmeyer - CC by

Maya, réduite au silence

The Silencing of Maya

Uncommon Sense – 11 juin 2012
(Traduction Framalang : Goofy, Lamessen, Clochix)

Il y a onze semaines, j’ai parlé ici des problèmes qui menacent la voix de ma fille. Maya a quatre ans et ne peut pas parler.

Elle utilise une application, Speak for Yourself (SfY), pour communiquer, et les créateurs de cette application sont poursuivis en justice pour viol de brevet par Prentke Romich Company (PRC) et Semantic Compaction Systems (SCS), deux entreprises bien plus grosses qui créent des terminaux pour communiquer (mais pas d’applications pour iPad). Vous pouvez lire ici l’article original, et vous trouverez les nombreux articles de presse suscités par cette affaire. Maya est sur le point de devenir une victime bien réelle, très humaine et pour tout dire adorable des lois sur les brevets.

Après ce billet, deux choses importantes sont arrivées. D’abord, j’en ai appris un peu plus sur les lois relatives aux brevets. Bien que dans le pire des scénarios (dans notre cas, un jugement défavorable à Speak for Yourself) le juge puisse supprimer l’application, il était aussi tout à fait possible que PRC et SCS obtiennent juste un dédommagement pécuniaire. Cela m’a permis de me relaxer un peu et de ne plus être terrorisée à l’idée que SfY (sur laquelle Maya compte) puisse soudainement lui être arrachée ou disparaître. L’autre nouvelle, de loin la plus excitante, est que Maya a fait des progrès stupéfiants dans son utilisation de l’application. Dans mon premier billet, j’imaginais un futur dans lequel Maya pourrait réellement « parler » avec des phrases, et partager ses pensées… À présent, quelques semaines seulement plus tard, nous vivons ce futur. Elle demande poliment des choses, en tapant sur la tablette « Je veux un gâteau s’il te plaît ». Elle fait des blagues, comme regarder par la fenêtre le soleil radieux, taper « aujourd’hui il pleut » et éclater de rire (que voulez-vous que je vous dise, les enfants de quatre ans ne font pas les meilleures blagues). Et il y a deux jours, elle a regardé mon mari lorsqu’il est entré et a tapé « Papa, je t’aime. ».

Cela change la vie. Vraiment.

Maya peut nous parler, distinctement, pour la première fois de sa vie. Nous sommes suspendus à chacun de ses mots. Nous avons appris qu’elle aime égrener les jours de la semaine, est très intéressée par la météo, et aime prétendre que ses poupées sont en train de conduire le bus scolaire (souvent) et de travailler (parfois). Cette application ne lui a pas seulement permis d’exprimer ses besoins, mais aussi ses pensées. Elle nous a offert la possibilité de connaître notre enfant à un niveau totalement différent. J’étais tellement occupée à profiter dans la joie de cette nouvelle réalité que j’en avais presque oublié le procès en cours.

Jusqu’à lundi dernier. Quand Speak for Yourself a été retiré de l’Appstore iTunes…

Il a disparu ! Il n’existe plus.

Nous y sommes.

Conformément à ce court document, voila ce qui s’est passé : PRC/SCS a contacté Apple et a demandé que Speak for Yourself soit retiré de l’Appstore iTunes, affirmant que l’application violait ses brevets. à son tour, Apple a contacté SfY et a demandé une réponse à ces accusations. L’avocat de SfY a répondu, expliquant à Apple pourquoi cette demande n’était pas fondée, renvoyant Apple vers la procédure judiciaire en cours, et soulignant que PRC/SCS n’avait pas demandé au tribunal une injonction ordonnant le retrait de l’application de la boutique. Pendant des mois, il ne s’est rien passé… Mais le 4 juin Apple a informé SfY que l’application avait été retirée, en raison du conflit non résolu avec PRC/SCS.

Alors maintenant, que va-t-il arriver à la voix de Maya ?

Pour le moment, nous avons toujours l’application, chargée par précaution sur son iPad et présent sur mon compte iTunes, et Maya ne sait absolument pas que quelque chose a changé. Dave et moi en revanche, en sommes bien conscients. Nous vivons dans la crainte de cette menace imminente. Avec le retrait de SfY de la boutique iTunes, l’équipe SfY a perdu la possibilité d’envoyer des mises à jour ou corrections aux gens qui utilisent actuellement cette application. À ce stade, une mise à jour du système d’exploitation des iPads par Apple (qui fait des mises à jours relativement régulièrement) pourrait rendre SfY inutilisable (parce que si le nouveau système d’exploitation n’était pas compatible avec le code de SfY, l’équipe n’aurait pas la possibilité de reconfigurer l’application pour la rendre compatible avec le nouvel OS et envoyer la version mise à jour). Notre application peut cesser de fonctionner, et Maya serait à nouveau incapable de parler, personne ne serait en mesure de nous aider.

Mais il y a une autre menace, peut-être encore plus sombre. Qu’est ce qui se passerait si PRC/SCS contactait Apple et leur demandait de supprimer à distance les copies de Speak for Yourself qui ont déjà étés achetés, en faisant valoir que l’application a (prétendument) enfreint leurs brevets illégalement, et précisant qu’ils veulent complètement supprimer son existence ? Avant la semaine dernière, je n’aurais (naïvement) jamais pensé qu’une démarche aussi agressive, à l’encontre de centaines de jeunes innocents muets soit imaginable. Maintenant, cela devient un véritable souci. Avant la semaine dernière, j’aurais (naïvement) pensé que même si une telle demande était formulée, Apple ne l’aurait jamais accepté sans une injonction de justice les forçant à le faire. Désormais, il semble que ce soit tout à fait possible.


La suppression de Speak for Yourself ne semble pas juste. Actuellement ça parait même totalement injuste. Et franchement, ça dépasse mon entendement. Je ne suis pas une femme de loi, et il y a deux choses sur la légalité de ces événements que je ne comprend tout simplement pas.

D’abord, je ne comprend pas pourquoi PRC/SCS serait allé demander à Apple le retrait de l’application de l’App Store. Il y a déjà des discussions entre PRC et SfY au tribunal. Pourquoi n’y a-t-il pas eu une injonction déposée auprès du tribunal pour stopper la vente de l’application ? Cela aurait permis un procès en bonne et due forme, et un juge impartial aurait pu décider si le retrait était justifié ou non.

Et puis, je ne comprend pas pourquoi Apple a décidé de retirer l’application. Ils ont reçu une réponse d’un avocat, expliquant que les allégations de violation n’étaient pas valides et que le tribunal n’avait pas ordonné le retrait de l’application de l’App store. Cette application n’est pas un jeu, c’est une nécessité, une voix irremplaçable pour les personnes handicapées. Comment Apple a pu décider de la retirer aussi arbitrairement ?

Je ne suis pas impartial, mais je ne vois pas non plus comment Prentke Romich pourrait penser que procéder à ce retrait est raisonnable ou éthique. PRC est une société qui a près de cinquante ans d’âge et dont l’intégralité de la clientèle est composée d’enfant et d’adultes qui ne peuvent pas parler. Leur devise (mise en évidence en haut de leur Page Facebook) est « Nous croyons que tout le monde mérite une voix ». Comment peuvent-ils concilier l’énoncé de leur mission et le retrait stratégique de Speak for Yourself du marché, bloquant l’accès à de nouveaux utilisateurs muets et provoquant potentiellement le retrait de l’application pour des utilisateurs actuels qui l’utilisent comme leur unique voix ?

Ma fille ne peut pas parler sans cette application.

Elle ne peut pas nous poser de questions. Elle ne peut pas nous dire qu’elle est fatiguée, ou qu’elle veut un yaourt pour le déjeuner. Elle ne peut pas dire à son père qu’elle l’aime.

Personne ne devrait avoir le pouvoir de lui retirer ça.

Qu’est ce qui va se passer si on perd SfY ? Je n’en ai aucune idée. Comme je l’ai déjà expliqué, nous avons essayé d’autres applications de communication et nous n’avons jamais trouvé quelque chose qui corresponde aussi bien à Maya. Fait intéressant, nous avons examiné avec soin la possibilité d’acheter un appareil de communication de PRC, et rencontré l’un de leurs représentants en novembre, neuf semaines avant un message sur mon mur Facebook me présentant SfY (et sept semaines avant son apparition dans l’AppStore). Nous avons examiné leurs dispositifs, et nous avons été déçu de constater qu’ils n’étaient pas adaptés pour Maya. Pour nous, ce n’était pas un choix entre un dispositif coûteux contre un application « pas chère ». Il s’agissait d’un dispositif inefficace (pour Maya) face à une application qu’elle comprenait et adoptait immédiatement. La seule application, le seul système qu’elle ait immédiatement adopté comme son propre moyen de communication.

Cette application est sa seule voix.

Le fait que la capacité de ma fille à parler soit suspendu au verdict d’une guerre de brevet entre deux entreprises dépasse mon entendement. C’est une question de brevet, une question d’argent, une question juridique, une question de business. Il n’y a plus de place pour l’humain dans ce business contre business arbitré par le judiciaire. La décision de PRC de se battre pour faire retirer cette application de l’AppStore n’est pas seulement une action agressive contre Speak for Yourself, C’est une attaque indirecte contre mon enfant, les autres enfants qui utilisent cette application, et ceux qui étaient prêts à l’utiliser mais ne peuvent maintenant plus le faire.

Si vous voulez prêter votre voix à ce combat, diffusez cette histoire. Ce n’est pas normal, et les gens devraient en avoir connaissance.

NdT : Vous trouverez en fin d’article d’origine une liste de liens connexes ainsi qu’un billet complément rédigé dans la foulée.

Notes

[1] Crédit photo : Katie Tegtmeyer (Creative Commons By)




Vous avez fait de moi un pirate

Le premier tour des élections législatives françaises vient de s’achever avec des résultats encourageants pour un Parti Pirate qui faisait ici ses réels premiers pas en politique et qui aura eu le mérite de se faire connaître et susciter l’adhésion et l’enthousiasme d’un certain nombre d’entre nous[1].

Et avec des témoignages comme celui ci-dessous la dynamique n’est pas prête de s’arrêter…

Sommes-nous tous devenus (ou en passe de devenir) des Georges Nevers ?

Remarque : Voir aussi le billet Pourquoi je suis un pirate ! de notre ami Ploum.

Kevin Dooley - CC by

Vous avez fait de moi un pirate

Georges Nevers – juin 2012 – Licence Creative Commons Zero

Lobbyistes des droits d’auteurs, majors, sociétés de gestion, félicitations : consommateur consciencieux, en quatre ans, vous avez réussi à faire de moi un vulgaire pirate.

À l’école de la contrefaçon

Il y a quatre ans donc, je finissais tout juste mes études. Mon passage par l’université n’avait pas entamé mes convictions concernant le droit d’auteur : je mettais alors un point d’honneur à respecter scrupuleusement ce droit, et je considérais alors la contrefaçon numérique comme un moyen irresponsable de satisfaire ses envies de produits culturels.

Comprenez bien qu’une telle attitude est assez rare chez un étudiant. En effet, ce milieu est très performant lorsqu’il s’agit de partager des contrefaçons, certaines universités disposant même de systèmes officieux de partage de masse interne. Bref, la plupart des étudiants profitent tout naturellement des possibilités offertes par la technologie, et confirment l’habitude de partager des contrefaçons qu’ils ont souvent acquise dès le lycée.

Loin d’affaiblir mes convictions inhabituelles, mon passage à l’université les avait même plutôt affermies par quelques cours qui m’avaient permis de mieux comprendre le système de droit d’auteur, et par ma plongée dans le logiciel libre, qui me permis d’approfondir ses implications. Les licences qui fondent le logiciel libre sont en effet basées sur le droit d’auteur, et l’effort de diffusion de ces logiciels est également opposé à la contrefaçon de logiciels propriétaires qui contribue à leur maintien.

Un consommateur idéal… ou presque

À la fin de mes études, j’étais donc un consommateur comme vous devez en rêver, achetant régulièrement de la musique du prix fort dans une boutique en ligne tout à fait légale. Seule ombre au tableau, je n’appréciais pas particulièrement les pratiques des majors du disque dans le domaine des verrous numériques, et la loi DADVSI m’avait laissé un goût un peu amer. Pour autant, je considérais alors ces sociétés comme un mal nécessaire.

J’étais en effet largement opposé aux verrous numériques. Ces mesures anti-copie me gênaient dans mon utilisation d’exemplaires licites, alors qu’elles ne s’appliquaient pas aux copies contrefaites disponibles gratuitement. Ces verrous me donnaient en quelque sorte l’impression d’être puni pour mon honnêteté ; pour éviter cela je refusais tout simplement d’acheter des œuvres ainsi protégées.

Une saga de lois et de mesures

Là-dessus, j’avais donc vu passer la loi DADVSI qui sacralisait ces mesures. Je remarquai notamment que, par ma contribution à la redevance pour la copie privée, je finançais des exploitants qui, par des mesures techniques protégées par cette loi, interdisaient de facto la mise en œuvre de ce droit de copie privée. Je vis la jurisprudence évoluer à ce sujet, un juge décidant que la copie privée n’était plus un droit mais une exception non garantie au droit d’auteur.

Puis ce fut le périple de la loi Création et Internet, qui introduisait, sans doute pour la première fois dans le droit français, une présomption de culpabilité et un renversement de la charge de la preuve. Je ne détaillerai pas l’accouchement au forceps de cette loi, qui fut âprement défendue dans sa version originale par des gens anéfé incompétents, malgré son caractère non seulement anticonstitutionnel, mais surtout contraire à la déclaration des droits de l’homme. Opposé à cette loi pour ces raisons, je fus également peiné d’être en tant que tel assimilé par ses promoteurs à un vil pirate. Je crois que ce fut le déclic qui commença à modifier ma conception : moi, consommateur modèle, respectueux du droit d’auteur comme peu de gens, cohérent par mes actes avec cette conviction, on me considérait comme un pirate ! Pire encore, on m’attaquait par cette loi et diverses actions passées sur lesquelles j’avais fermé les yeux avec complaisance !

Une fois la loi Création et Internet laborieusement mise en place, j’étais donc prêt à considérer les événements suivants sous un nouveau jour. Je vis par exemple la SACEM attaquer une école pour avoir osé faire chanter à ses enfants une chanson d’Hugues Aufray lors d’une fête sans profit, et ce chanteur, scandalisé par cette action en justice, s’acquitter lui-même des droits d’exploitation de sa propre chanson. Je vis l’auteur du logiciel Freezer, un outil permettant la mise en œuvre du droit à la copie privée sur la plate-forme Deezer, se faire condamner à 6 mois de prison. Tout dernièrement, j’ai assisté avec consternation à l’élaboration du traité ACTA, élaboré entre des gouvernements et des sociétés privées hors de tout contrôle démocratique, dans un secret que je pensais réservé aux décisions militaires ; l’idée d’accords secrets entre des gouvernements et des entreprises privées ne m’évoque d’ailleurs qu’un seul mot : la corruption, ici au plus haut niveau de décision mondiale.

La fin d’un monde…

Les exemples sont multiples et je ne saurais en donner une liste exhaustive. Tous ces événements ont progressivement changé le jugement que je portais aux majors et aux sociétés de gestion, passant de la bienveillance à la déception, puis au dégoût, et finalement au rejet pur et simple. Après la création de l’HADOPI, la boutique en ligne où j’achetais ma musique a décidé de postuler au label « PUR », ce qui m’a convaincu de cesser de me fournir chez eux. Après leur avoir fait part de cette décision et de sa motivation, j’ai eu la surprise de recevoir une réponse de leur part, indiquant qu’ils comprenaient tout à fait ma décision, et qu’ils s’attendaient effectivement à ce genre de rejet.

L’affaire Freezer a achevé de me convaincre de l’iniquité des sociétés de gestion et des majors, de sorte que je considère aujourd’hui ces entreprises comme des organisations nuisibles. En particulier, l’achat de musique me semble maintenant immoral, dans la mesure où il finance ces organisations qui devraient disparaître. En comparaison, le partage de contrefaçon me semble désormais un moindre mal.

En l’espace de quatre ans, les lobbyistes du droit d’auteur ont donc, par leurs actions diverses, réussi à me convertir au point de faire de moi un pirate ordinaire. Enfin presque : quoique me livrant régulièrement à la contrefaçon, je garde encore quelques scrupules à ce sujet, mais au train où ces entreprises défendent leur cause, je pense qu’elles viendront rapidement à bout de mes dernières réticences.

Sociétés de gestion, majors, je vous souhaite que mon cas soit isolé, mais je n’en crois rien. Dans les milieux que je fréquente, j’ai pu constater la dégradation continue de votre image de marque auprès de vos propres clients, qui confine parfois à la haine. Pendant tout ce temps, vous avez pu remarquer qu’un parti pirate est né en Suède, puis a essaimé dans le monde entier et remporte par endroits ses premiers succès électoraux. Alors qu’à sa création, je raillais son nom de « pirate », j’envisage aujourd’hui sérieusement de m’inscrire à ce parti. Pensiez-vous vraiment que la voie de la contrainte et de la peur était un bon choix pour conserver vos clients ?

Georges Nevers
Texte placé sous licence CC0 (trad. non officielle sur le Framablog)

Notes

[1] Crédit photo : Kevin Dooley (Creative Commons By)




Entretien avec trois candidats du Parti Pirate aux legislatives 2012

Le dimanche 10 juin prochain aura lieu le premier tour des élections législatives françaises.

Dans plus d’une centaine de circonscriptions, vous avez le choix entre aller à la pêche, voter pour un parti traditionnel ou, et c’est nouveau, apporter votre voix au Parti Pirate (PP) et ainsi donner de la voix aux thèmes qu’ils soutiennent et qui nous sont chers.

Rencontre avec Carole Fabre (candidate pour la 3ème circonscription de Haute-Garonne), Pierre Mounier et David Dufresne (respectivement candidat et suppléant pour la 15ème circonscription de Paris) que nous connaissions avant qu’ils ne se présentent et qui ont bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.

Espoir et énergie communicative. À force de pousser de tous les côtés, nous finirons bien par faire bouger les lignes 🙂

Carole Fabre

Bonjour à tous les trois, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

Carole Fabre (CF) : Actuellement, je fais du conseil formation autour des usages du web, j’essaie d’amener le partage, la collaboration, la réciprocité, les liens, l’éthique, la responsabilité numérique, que ce soit pour la veille, pour l’identité numérique, pour les médias sociaux, pour le management, etc … Je donne aussi des cours ponctuellement.

David Dufresne (DD) : Punk un jour, punk toujours. Je suis aussi journaliste à l’ancienne, et réalisateur de webdocumentaires. Incapable de tenir une guitare, je pianote sur mon clavier toutes la journée. Ma première connexion remonte à 1994. Je passais par un prestataire américain, CompuServe. On payait en dollars. Et certains mois, la parité franc/dollar jouait de sales tours.

Pierre Mounier (PM) : Je suis professeur de lettres ; je travaille aujourd’hui dans l’édition numérique de sciences humaines et sociales en libre accès.

Qu’est-ce qui, dans votre CV, peut expliquer cet engagement ? Est-ce votre premier pas en politique ? Et dans la vie associative ?

CF : Dès la fin des années 80, j’ai eu un ordinateur personnel et je suis connectée à Internet depuis 1996. J’ai rapidement compris que le numérique allait changer considérablement nos façons de faire et qu’Internet nous ouvrait des voies inédites pour plus de partage et de collaboration.

Petit à petit, il s’est dessiné un chemin nouveau, une autre façon d’envisager les relations humaines, les liens sociaux; la puissance du réseau des réseaux est devenue incontournable. Elle nous a montré une autre voie possible en nous connectant aux autres dans le monde entier, un accès inépuisable aux connaissances, une entraide pour apprendre, l’autonomie pour publier, une voie plus libre, plus responsable !

Mais cette liberté fait peur, surtout à ceux qui dirigent, aux experts, aux enseignants, …, à tous ceux qui pensent avoir autorité sur d’autres. Alors ils reculent et je n’ai pas envie de reculer mais d’avancer. C’est pourquoi j’ai rejoint le Parti Pirate. Je n’avais jamais envisagé avant de rejoindre un parti politique, les trouvant tous à mille lieues des préoccupations essentielles, les regardant fonctionner avec leurs petits pouvoirs, leurs petites visions, leurs fonctions à privilégier.

Non, la politique ce n’était pas pour moi. Mais la virulence qui s’est accentuée, et cela dans le monde entier, contre les libertés acquises, numériques ou pas numériques, a fait que j’ai sauté le pas. Insidieusement, certains tentent de faire d’Internet une simple télévision pour consommateur, certains tentent de surveiller et de punir la liberté d’expression, certains tentent de nous mettre en fichiers, certains tentent d’empêcher le partage. Et toutes ces tentatives ricochent par effet induit dans la vie de tous les jours. Vidéosurveillance, vidéo-protection, fichage biométrique, scanners corporels dans les aéroports, brevetage du vivant … bientôt les marchandises seront plus libres que les humains.

Je ne peux cautionner cela et rester à attendre sans rien faire. La société qui advient est basée sur le numérique, que ce soit la création monétaire, les logiciels boursiers, le vote électronique, …, toute la communication, tous les échanges. Il est temps de décider ce que l’on désire vraiment comme société.

Une autre raison m’a poussée à me porter candidate. Je milite activement depuis 3 ans pour l’instauration d’un revenu de base pour tous. Et le Parti Pirate français le propose en mesure compatible avec le programme national.

DD : Il y a très longtemps, en 2000, l’un de mes livres était intitulé « Flics et Pirates du Net » (écrit avec Florent Latrive)… Autant dire que la question du « piratage » me travaille depuis un certain temps. A dire vrai, depuis 18 ans maintenant, mon travail se partage entre le Net et les questions liées aux libertés (individuelles, collectives).

La nuit, je milite pour un Net ouvert et non marchand; le jour, je réalise des films et écrit des enquêtes sur la police, la justice. Le Parti Pirate rejoint mes deux préoccupations, en quelque sorte. Oui, premier engagement au sens engagement-parti-politique; oui, première carte politique. Pour être franc: je suis le premier étonné, moi qui suis d’ordinaire si réfractaire à toute idée de hiérarchie. Mais le PP est assez foutraque, et plein d’énergie, pour être excitant.


PM : je me suis intéressé aux enjeux politiques et sociaux d’Internet et du numérique à partir de la fin des années 90. J’ai créé un site, Homo Numericus, qui m’a permis d’explorer la révolution numérique dans ses différentes dimensions. J’ai bien vu lors des premières lois qui ont été adoptées sur la sujet qu’il y avait un décalage considérable entre les usages réels des internautes et la manière dont la classe politique traditionnelle considère et prétende réguler ces usages.

J’ai été proche de plusieurs associations de défense des libertés sur Internet et j’ai participé à plusieurs des mobilisations à l’occasion du vote sur ces lois. Et à chaque fois, j’ai été déçu par la faiblesse et le manque de retentissement de ces mobilisations. Tout se passe encore comme si les questions politiques liées au numérique relevaient encore d’un autre monde virtuel sans prise avec la vie réelle. C’est pour cela que j’ai cherché une autre forme d’engagement, qui cherche à prendre pied dans le réel, sur le terrain même des politiques, en établissant un rapport de force, en présentant des candidats aux élections.

Pas n’importe quel engagement : le Parti Pirate. Alors pourquoi lui et pas un autre ? Où se situe son originalité et son espoir ?

CF : Comme une vague générationnelle, le Parti Pirate, présent dans 64 pays, déferle sur le monde ancien. Ce n’est pas un parti enfermé dans ses frontières, il y a quelque chose de beaucoup plus fort, beaucoup plus important que les vaines revendications des autres partis politiques complètement sclérosés, incapables de lever le nez hors de leurs privilèges; Je ressens un souffle de liberté avec le Parti Pirate, d’ailleurs les libertés sont au cœur du programme politique. Liberté, un mot, que l’on a très rarement entendu pendant les présidentielles…

DD : Comme Carole, parce que je crois que le PP peut déferler sur le monde ancien, le bousculer, le hacker et le hâcher menu. Il faudra du temps, il faudra même passer — peut-être ? — par une forme de durcissement du discours, mais c’est jouable. Et plus que tentant. Certains adhérents du PP revendiquent le ni droite ni gauche. Pas moi. Je comprends bien l’idée (« ni droite ni gauche, devant ! »), qui est séduisante sur bien des points, elle reste pour l’heure trop floue. Personnellement, je suis venu au PP pensant y trouver un levier pour hacker la gauche de gauche.

PM : j’ai été conquis par cette idée de démocratie directe qui est au cœur du Parti Pirate. Le Parti Pirate est né de l’Internet. Il en porte la culture politique : horizontal, peu de délégation, ouvert aux contributions de tous, se coordonnant de manière flexible et réactive.

Peut-on vous qualifier de « power user » d’Internet et si oui en quoi cela a pu faciliter le rapprochement avec le Parti Pirate et ses thèmes de prédilection ?

CF : Oui, je dois être « power user », c’est ça 🙂 (voir réponses plus haut)

DD : Je suis Interneto-dépendant, littéralement. C’est affreux, et délicieux. J’imagine que bien des lecteurs du Framablog ressentent la même chose. Ma grande (et bonne) surprise a été de voir, en arrivant au PP, que ce n’était pas, justement, les Internautes Anonymes. Tous les sympathisants ne sont pas forcément des « power users ». On est loin de l’image des réunions de Geeks parfois, et c’est très bien ainsi. Ça montre que le PP fédère large.

PM : Oui, c’est évident. Je travaille avec Internet, je vis sur Internet et je considère le cyberespace comme ma patrie d’adoption. Mais en même temps : n’est-ce pas le cas d’un très grand nombre de personnes ? Ne sommes-nous pas tous des power users ?

La plupart des enquêtes le montrent : les usages des nouvelles technologies sont très répandus et intensifs, souvent sur un mode de communication particulier. Tout le secteur tertiaire travaille en permanence sur ordinateur. Les services de communication en ligne ont des millions d’utilisateurs, les smartphones ont un taux de pénétration considérable.

Ce qui est caractéristique de nos trois profils en revanche, c’est que nous sommes des médiateurs : formateur, journaliste et enseignant. Nous ne sommes donc pas nécessairement plus « geeks » que d’autres, mais je crois que nous sommes dans des positions qui nous amènent à avoir une conscience plus aiguë de ces nouveaux usages et de leurs implications politiques.

La « grande presse » a consacré de nombreux articles à la présence du Parti Pirate lors de ces élections. Est-ce déjà un succès en soi et êtes-vous satisfait de la manière dont les journalistes ont parlé de vous ?

DD : La presse a besoin de nouveauté, et il ne faut pas s’y tromper: l’incroyable couverture récente du PP doit beaucoup à cet aspect des choses. Les résultats de dimanche, bien sûr, seront importants pour la suite que la presse voudra bien accorder, ou non, au PP. L’essentiel est que le nom ait circulé dans les rédactions, que le PP se soit fait une petite place, que nous ayons, par exemple, été repris du Figaro à TF1, du Monde à Europe 1, sur la question du vote par Internet des Français de l’étranger, au point que le Quai d’Orsay se soit senti contraint de nous répliquer. Ou que Marianne, en nous rangeant dans les « farfelus », se soit vu immédiatement contredit sur Twitter.

Malgré le retentissement récent, tout reste à faire. Je pense qu’on peut être plus inventifs, plus percutants, plus pirates. D’autant que nous butons sur un sacré conservatisme de la part des journalistes politiques. Ne pas comprendre que ce qui se joue aujourd’hui d’un point de vue technologique est aussi crucial que les combats écologiques lancés par les Verts est, au mieux, une preuve de cécité de leur part; au pire, une faute professionnelle.

CF : C’est un premier pas. Il est vrai que les succès électoraux en Allemagne nous ouvrent la voie. Localement, c’est assez amusant, la première fois que la Dépêche du Midi nous a cité, ils ont mis PP Parti Populaire… ils n’avaient jamais entendu parler du Parti Pirate !

En général, nous sommes encore trop qualifiés de geeks et d’informaticiens à lunettes, les journaliste ont du mal à voir que nos revendications dépassent largement Internet. Peu signalent par exemple que nous nous engageons à suivre la charte anti-corruption de Anticor. Dès qu’on parle de transparence politique ils sont assez surpris et tentent de nous faire revenir sur le téléchargement 😉

PM : Oui, et je dois avouer que c’est une surprise pour moi. La plupart des mouvements politiques et mouvements sociaux d’un type nouveau traversent une longue période à leurs débuts au cours de laquelle les médias ne leur donnent aucune visibilité et, pire, déforment leur positionnement et leurs propositions. Je trouve que cela n’a pas été trop le cas au cours de cette campagne. J’ai noté beaucoup de curiosité de la part des journalistes qui ont cherché à comprendre sincèrement ce qu’était ce mouvement.

Le meilleur exemple pour moi est l’article d’Yves Eudes dans le Monde qui établit une coupe sociologique objective du mouvement et qui a appris, je crois, beaucoup aux adhérents du Parti Pirate eux-mêmes… Par contre, cet article a été classé dans la rubrique…. Technologies. C’est caractéristique.L’engouement médiatique a beaucoup été le fait des secteurs culture et technologies de la presse, mais n’a pas encore touché le cœur du cœur du système médiatique : les journalistes politiques de la presse nationale qui ne nous ont pas encore repérés dans leur radar.

Le Parti Pirate a été très actif pour dénoncer le vote électronique des français de l’étranger. En quoi est-ce une affaire importante pragmatiquement et symboliquement parlant ?

CF : Encore une fois, nous comprenons et maîtrisons le numérique et savons que le numérique c’est piratable 🙂 … A partir de ce constat, il y a des choses que nous ne pouvons pas faire. Le vote électronique est incontrôlable. Peut-être un jour arriverons nous à sécuriser le vote électronique mais pas actuellement. Au-delà des problèmes techniques et de la non vérification possible par les citoyens, l’ironie est que c’est une entreprise privée d’Espagne qui s’occupe de gérer ce vote …

DD : À mes yeux, cette affaire constitue un enjeu majeur dans le sens où c’est un peu de la démocratie qu’on confisque, avec des dysfonctionnements patents, une privatisation partielle du vote, une opacité réelle. C’est bien parce que nous défendons Internet que nous nous devons de traquer les abus des pouvoirs publics et des sociétés privées. Le vote électronique des français de l’étranger est apparu au fil des jours pour ce qu’il est : un cheval de Troie.

Les Partis Pirates suédois et allemand ont une longueur d’avance. De plus lors des récentes manifestations contre ACTA on a pu voir l’Est de l’Europe beaucoup plus mobilisée que l’Ouest, France incluse. Y a-t-il une raison à cela et n’est-ce pas un indicateur défavorable quant à ces prochaines élections ?

CF : Même si nous parlons beaucoup d’ACTA entre acteurs du numérique sur Internet et que l’on sent tout de même un revirement positif de la situation au niveau européen, le problème est que la plupart des citoyens n’en ont jamais entendu parler ! Il faut expliquer encore et encore. En tout cas ce n’est vraiment pas au cœur des débats des autres partis politiques pour ces élections, que dis-je au cœur, c’est complètement absent. Et oui, c’est défavorable, car le grand public ne comprend pas encore l’importance de ces enjeux.

DD : La France est un pays terriblement passéiste et passablement frileux. Avec un Front National si fort, et une gauche parlementaire qui a si peur de son ombre, tout semble bloqué. Depuis déjà un paquet de temps, et pour longtemps. Nos voisins, moins auto-centrés, ont compris bien avant nous l’importance de la… révolution numérique. Sincèrement, oui, la bataille ne fait que commencer de ce côté_-ci du Rhin. C’est ce qui en fait, aussi, sa beauté: tout est à faire.

PM : Nous sommes un pays technophobe et c’est une malédiction qui nous frappe de manière renouvelée. Beaucoup de gens pensent que la politique s’arrête aux déclarations de principe (le « fétichisme des principes » est une autre de nos malédictions) et ne voient pas du tout comment il peut y avoir des enjeux politiques dans ce qu’ils considèrent comme des « affaires de garagistes » (sic, citation réelle).

Il y a bien une tradition intellectuelle française qui s’intéresse à la chose technique et à ses enjeux sociaux et politiques ; les encyclopédistes, Saint Simon, Simondon, Latour, Serres. Mais elle est isolée et minoritaire, rarement dominante à chacune des époques considérées. Or, c’est un vrai handicap, alors que nous vivons à une époque complètement dominée par des enjeux techno-scientifiques. Peut-on faire évoluer les mentalités et intéresser les français aux enjeux politiques des choix technologiques ? Je pense que la montée en puissance d’un Parti Pirate en France peut y contribuer.

David Dufresne

Cory Doctorow a pu dire qu’il est fondamental de gagner la bataille actuelle contre le copyright car elle fait figure de laboratoire pour les autres batailles à venir entre le citoyen, les multinationales et les états affaiblis. D’accord pas d’accord ?

CF : Entièrement d’accord. Si les droits d’auteur et les brevets ont pu être profitables au XIXème siècle, ils sont maintenant complètement obsolètes. Nous devons repenser tout cela.

Quand on voit que certains tentent maintenant de breveter aussi le vivant … c’est impensable de s’approprier nos biens communs, breveter des gènes humains, des gènes animaux, des gènes de plantes. Quelle société cela préfigure t-il ? Avons-nous envie de tout marquer et de tout jouer en bourse ? Les dégâts sont bien déjà assez suffisants avec le marché des matières premières et des matières alimentaires.

PM : Oui, absolument. La conférence de Cory Doctorow devant le Chaos Computer Club si mes souvenirs sont bons est un moment historique qui a donné un sens politique général a un combat qui pouvait sembler à la fois pointu et un peu secondaire parce que concernant seulement la consommation culturelle.

Le logiciel libre est un des pionniers et un des piliers de la révolution à venir. Délire ou prophétie ?

CF : Prophétie, oui ! Quand on voit que près de 95% des serveurs dans le monde sont sous Unix et non pas sous Windows, nous nous devons de demander pourquoi c’est mieux fabriqué. Et comment ça se fabrique. Là encore, la pédagogie est indispensable, peu de personnes savent.

L’autre jour, je me demandais : « et si on ouvrait les codes de la loi et qu’on puisse les améliorer, et même en faire un fork pour simplifier, repartir sur des bases saines et non pas un empilement où plus personne ne comprend plus rien. » 🙂

Mais sans aller aussi loin, on constate déjà que des initiatives voient le jour dans d’autres domaines que les logiciels : des plans partagés et améliorés de moteur, des systèmes agricoles, des systèmes d’eau potables, etc.

C’est en fait naturel à l’être humain, pouvoir comprendre, contribuer, améliorer, cela s’est toujours fait. La propriété généralisée à toute chose est finalement assez récente dans l’histoire de l’humanité. Si le silex avait été breveté et privatisé, nous ne serions peut-être pas là aujourd’hui. 🙂 Et la roue, hein, la roue…

DD : C’est moins l’outil libre que sa confection qui importe. Ce que le logiciel libre bouleverse, c’est cette forme de société de contribution qu’il annonce. Cette notion de pot commun, de partage, de désintéressement parfois provisoire, qu’importe. Mais nous avons un effort de pédagogie à mener: seule la communauté du Libre sait de quoi il s’agit. Hors de celle-ci, libre et free, gratuit et open source, sont des notions encore mal comprises et qui semblent vidées de leur caractère politique.

PM : Ni l’un ni l’autre : le logiciel libre est aujourd’hui un des piliers fondamentaux de la révolution en cours (et non à venir). Mais cela implique de devoir résoudre des problèmes que pose ce mouvement continu d’élargissement du « libre » à d’autres secteurs d’activités que la conception logicielle.

Et sur ce chemin, la voie est étroite entre une forme d’intransigeance aristocratique et parfois puriste qui empêche la greffe de prendre d’un côté, et ce qui constituerait une dilution tellement importante qu’on n’y retrouverait plus l’esprit originel de l’autre : logiciel libre, art libre, culture libre, creative commons, libre accès, open data, on a là une galaxie qui témoigne d’une dynamique positive. Cette dynamique ne peut exister que parce qu’une certaine souplesse est permise, mais aussi parce qu’un sens et des limites sont données.

Occupy, Anonymous, Indignados, Wikileaks sont des mots clés qui vous parlent ?

CF : Yep ! Tous ces mouvements dénoncent les opacités, les corruptions qui entachent notre civilisation et chacun à leur manière agit soit par Internet, soit dans la rue. Au Parti Pirate, on attaque par un autre biais, on tente de hacker la politique.

DD : + 1, Carole. Le Parti Pirate est un allié, sincère, de tous ces mouvements. Ils sont le signe du changement réel, d’une prise de conscience à la fois mondiale et citoyenne. Non violente pour certains, intrusives et hors la loi pour d’autres. Le phénomène des casseroles à Montréal s’inscrit aussi dans cet élan. Et ce n’est pas pour rien que les Anonymous ont infiltré les serveurs de la police canadienne dans le même temps ou diffusé des vidéos gênantes sur la collusion médias-politiques.

PM : Oui. Mais je me permets d’insister sur un fait : toutes ces initiatives qui procèdent de mouvements sociaux de fond n’ont pas encore trouvé de débouché politique. Je crois qu’on a tous un peu vécu sur le mythe qu’un pouvoir en place ne peut résister longtemps à des manifestations, occupations, assemblées populaires, mobilisations citoyennes, révélations compromettantes.

L’expérience politique de ces dernières années est que ce n’est pas tout à fait le cas. Et même lorsqu’il y a alternance, cela ne signifie pas nécessairement que les revendications que portent ces mouvements soient mieux représentées. Il y a donc une situation potentielle de danger avec des mouvements sociaux d’un côté qui se développent, bouillonnent, élaborent des propositions, et de l’autre un monde politique qui tourne en rond et continue sa petite musique sans que l’un n’arrive à embrayer sur l’autre.

Je ne dis pas que la Parti Pirate soit aujourd’hui en mesure d’être le débouché politique des ces mouvements. Ce serait très prétentieux et inexact. Mais je pense que c’est la direction dans laquelle nous devons aller. Pour moi, un des enjeux après les élections pour le Parti Pirate est de construire patiemment des liens solides avec ces mouvements, et d’autres, pour nourrir sa réflexion et son programme de l’expertise citoyenne qui s’y développe.

L’Europe semble bloquée par « la crise », une économie financiarisée injuste et incontrôlable et des mouvements identitaires de repli sur soi. Est-ce la bonne période pour « faire de la politique autrement” ?

CF : Plus que jamais, et il y a même urgence, tant que nous avons les moyens. La pauvreté, l’injustice amènent aux révoltes et aux guerres, et après il est beaucoup plus difficile d’agir.

DD : Si nous n’avons pas peur de nous-mêmes, si nous arrivons à nous regrouper autour de thèmes forts et précis, c’est déjà le cas en partie, tout est possible. Justement parce que nous sortons totalement des clivages et des raisonnements classiques, tous porteurs de repli.

PM : PLUS QUE JAMAIS. La crise financière et économique est d’abord une crise de la démocratie. La véritable question est moins de savoir quelles seraient les « bonnes » mesures à prendre que de savoir comment faire en sorte que les mesures qui sont prises soient voulues et soutenues par l’ensemble de la population ; en un mot : légitimes. J’ai écrit un billet à ce propos sur notre site de candidats ; je me permets d’y renvoyer.

Il a été dit que la France sous Sarkozy n’aura pas été spécialement brillante du côté d’Internet et des libertés. Votre avis ? Doit-on penser que vous accordez la même défiance au nouveau gouvernement en vous présentant ou bien est-ce au contraire pour le pousser à mettre en avant les thèmes que vous portez ?

CF : Les deux mon capitaine ! Si on peut interagir, aider à la réflexion tant mieux. Nous verrons bien. Personnellement, je n’ai guère confiance en ce nouveau gouvernement. Même si j’espère qu’il y aura moins de fracture sociale, j’ai bien peur que la notion de liberté et de partage leur échappe. Pierre Lescure, nommé pour la Hadopi, voyons, comment dire … Et que feront-ils des fichiers de citoyens, des caméras de surveillance, de la biométrie ?

DD : Sur la question des libertés individuelles et collectives, il n’y a aucune raison de laisser un blanc seing à la gauche socialiste. La nomination de Manuel Valls à l’Intérieur est assez claire: il n’y aura pas de rupture ou alors à la marge. J’ai en partie rejoint le PP pour travailler sur ces questions et c’est la raison pour laquelle avec Pierre Mounier, nous avons explicitement défendu notre point de vue dans notre profession de foi.


« Exiger que les procédures parlementaires de contrôle de services comme la Direction centrale du renseignement intérieur soient complètes et renforcées. Faire cesser les dérives d’une police politique au service de l’appareil d’Etat. Ouvrir le débat sur la privatisation du Renseignement (officines, mais pas seulement) et le jeu malsain entre « Services » et opérateurs de téléphonie (ex: fadettes, relevés téléphoniques, etc) / FAI. ». J’ai publié dans Le Monde une tribune sur le sujet.

PM : Pour ma part, je ne parlerai pas (encore) de défiance. Plutôt de méfiance. Le candidat devenu président ne s’est pas beaucoup engagé sur la question et il a même été en net retrait par rapport au programme de son propre parti. Les premiers signes qui ont été envoyés, les premières nominations, comme dit Carole, ne sont pas encourageantes. J’ai bien peur que ce gouvernement ait besoin d’un aiguillon qui constitue une menace électorale suffisamment importante pour qu’il se sente concerné par la question d’Internet et des libertés. On aura compris qui pourrait être cet aiguillon…

Vous donnez-vous le moindre objectif chiffré ou bien, comme disait De Coubertin, l’important ici c’est d’abord de participer car ça n’est qu’une première étape ?

CF : Comme Coubertin, c’est un galop d’essai !

DD : Un tour de chauffe, un moyen de s’aguerrir, d’expérimenter, de se compter, d’apprendre à se connaître, à partager, à travailler ensemble.

PM : C’est bien un galop d’essai, mais aussi un peu plus que cela : nous avons gagné une certaine visibilité dans l’espace public, du fait de la campagne électorale (il faut savoir que nous diffusons grâce à cela un spot télévisé visionné par tous les français, c’est absolument énorme comme caisse de résonance). Du coup, si, au moins dans certaines circonscriptions, nous faisons un score non négligeable, voire gênant pour d’autres formations politiques, cela va changer beaucoup de choses pour la suite. Bref, il y a un vrai enjeu en termes de résultats sur cette élection. Cela vaut le coup de se mobiliser.

Une fois les législatives passées, quel sera le prochain rendez-vous et comptez-vous personnellement poursuivre l’aventure avec le Parti Pirate ?

CF : Si le Parti Pirate continue sur la même lancée avec ouverture, transparence, liberté de chacun des membres, oui ! En 2014, il y a les municipales et surtout les européennes. Il devrait y avoir un programme commun européen, et là nous serons bien plus préparés !

DD : Le PP a vu dans ses rangs arriver de plus en plus de quadras et plus. On peut s’attendre à ce que le PP se dote bientôt d’une épine dorsale qui pourrait faire très mal. Connaissance des rapports de force + énergie bouillonnante = formule magique.

La prochaine étape sera donc interne: comment fusionner toutes ces énergies, les fédérer ? Ensuite, il faudra que le PP prenne part à la vie politique de manière constante, pas uniquement lors des échéances électorales. Pour ce qui est de mon implication, tout va dépendre des discussions et des orientations qui seront prises. Pour l’heure, comment dire, c’est bien parti, quelle aventure !

PM : Oui, j’ai très envie de continuer avec le Parti Pirate au delà de l’échéance. Il y a clairement une dynamique, un élargissement de la base militante, des perspectives de pouvoir faire bouger les choses, enfin !

En conclusion, dimanche 10 juin prochain, le « vote utile » c’est le Parti Pirate ?

CF : C’est le vote de ceux qui n’ont pas froid au yeux et qui arrêtent de penser « de toute façon, on ne peut rien faire ». Le Parti Pirate, c’est la reprise en main de la démocratie.

DD : Utile, heu… j’en sais rien. Protestataire et constructif, pirate et novateur, oui, vraiment.

PM : Le seul vote utile est celui qui est au plus proche des convictions de celui qui vote. que chacun s’informe et vote selon ses convictions. C’est tout ce que nous demandons.

Vous pouvez suivre nos trois candidats sur Twitter : Carole Fabre, Pierre Mounier et David Dufresne.

Affiche PP