Framaconfinement semaine 6 – Faire un pas de côté

L’association Framasoft tient à partager, même de manière irrégulière et foutraque, le résumé de ce qu’il se passe lorsqu’on héberge des outils d’échange et de collaboration en ligne en pleine période de confinement.

Ce journal, nous l’écrivons pour lever un coin de voile sur Framasoft, mais aussi pour nous, parce que ça nous fait du bien. Ne vous attendez donc pas à ce que tous les éléments de contextes vous soient systématiquement donnés, on livrera les choses comme elles viennent, plus cathartiquement que pédagogiquement.

L’accès à l’ensemble des articles : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

La semaine des réunions

Cette semaine du 20 au 24 avril aura été celle de la reprise des réunions, des rendez-vous, des interviews. Il faut dire que pendant un mois, j’avais quasiment tout refusé par défaut et par principe, pour me concentrer exclusivement sur notre fonctionnement interne et nos missions « vitales ».

Mais cette semaine, tout s’est enchaîné. Vite. Très vite.

Préparer mon intervention aux Ludoviales (compte rendu), décliner celles des Colères du Présent (c’est Framatophe qui répondra présent), préparer une audition avec une députée France Insoumise, répondre à des interviews pour la radio des CEMEA, Le Monde, Politis, AEFE, etc. et partager mes retours sur un mémorandum (publié le 29 avril).
A cela s’ajoute les réunions « internes » : notre réunion d’équipe hebdomadaire, une réunion Mobilizon, une réunion PeerTube. Sans compter les membres de l’asso qui ont organisé une « framapapote » (une espèce d’apéro-Framasoft), et celles et ceux qui auront participé activement au premier « confin’atelier » (le compte rendu vient de paraître !).

J’aurais aussi eu plusieurs échanges avec l’équipe « Services Numériques Partagés » qui produit l’offre https://apps.education.fr, une suite de services pour l’Éducation Nationale basée exclusivement sur du logiciel libre.
Nous avons d’ailleurs été beaucoup sollicité⋅es pour donner notre avis sur cette initiative. Pour le redire encore une fois ici : nous accueillons la publication de ces services avec un très grand plaisir. Nous pensons que des services libres et décentralisés sont la meilleure solution pour la résilience de l’infrastructure numérique de l’Éducation Nationale. Nous suivions le projet depuis plusieurs mois, les services devaient être annoncés plutôt fin 2020, d’où le fait qu’ils soient aujourd’hui annoncés comme « temporaires » car non encore dans leur forme définitive. Sachant que leur planning a été bousculé, et les équipes mises sous pression, nous ne pouvons que féliciter chaleureusement toutes les personnes qui ont rendu l’émergence de ces services possible. Cependant, nous ne crions pas victoire pour autant. Le Covid aura fait tomber des murs, à la fois en faveur du logiciel libre, mais aussi en faveur des Google Classrooms, Zoom, et autres Discord. C’est certes un pas en avant très positif, mais après 15 ans de « 2 pas en avant, 3 pas en arrière » du MEN concernant le logiciel libre, il ne faudra pas nous en vouloir d’attendre encore 2 ou 3 ans avant de modifier notre position officielle.

Il y aura donc eu beaucoup de demandes à gérer. Et chaque rendez-vous exigeant en amont jusqu’à une dizaine d’échanges (mails, téléphone, etc.), j’ai eu le sentiment frustrant de passer ma semaine à « répondre » plutôt qu’à « faire ».

J’aurais malgré tout trouvé le temps d’enrichir notre dossier StopCovid avec les reprises des articles de Stéphane Bortzmeyer et de Loïc Gervais. Gee, lui, publiera sa BD « StopConneries» et l’infatigable Goofy reprendra les principaux scénarios du collectif de 14 spécialistes en cryptographie « Le traçage anonyme, dangereux oxymore, Analyse de risques à destination des non-spécialistes ».

Quand Lise, notre stagiaire CHATONS, s’interroge sur l’état du processus démocratique de son pays…

 

Le Framablog verra aussi publié cette semaine là un article touchant et emprunt de retenue de Cyrille Largillier, membre de Framasoft et directeur d’école, sur son vécu des premières semaines de pandémie.

Comme chaque semaine, notre équipe technique aura multiplié les serrages de boulons sur nos serveurs et les changements de disques en urgence. Elle a notamment réparé la machine MyPads2 et mis à jour MyPads dans sa dernière version, ou mis en place une page permettant d’éviter la saturation du disque du service Framadrop (qui permet le partage de fichiers volumineux) en nous appuyant sur les CHATONS volontaires.

Chocobozzz a repris le développement de PeerTube, et tcit celui de Mobilizon.

Mais une des plus belles actions (selon moi !) de la semaine est le passage en production des nombreuses corrections que Théo a apporté à Framaforms. En plus, je lui ai « un peu » mis la pression en lui demandant de mettre en ligne de façon anticipée des corrections qui devaient servir en urgence pour la tribune publiée sur Le Monde par (notamment) Antonio Casilli. Finalement, Antonio n’aura pas eu besoin de ce formulaire, mais je suis fier que Théo (qui est en stage, rappelons-le) se soit senti légitime et capable de valider des modifications qui pouvaient impacter plusieurs centaines de milliers de personnes. Car Framaforms c’est notre service le plus visité (100 000 visites rien que la journée du 4 mai), après Framadate, et devant Framapad. Plus de 170 000 formulaires et 4 millions de réponses ont été hébergés depuis la mise en place du service. Autant vous dire qu’on n’a pas envie d’oublier un point virgule quelque part qui rendrait le service indisponible.

Statistiques Framaforms
Bientôt 100 000 utilisateur⋅ices pour Framaforms, et 170 000 formulaires créés depuis le lancement du service.

 

StopCovid

Dans mon précédent billet, j’annonçais (sans me faire prophète, c’était juste une probabilité statistique de 100%) que le gouvernement allait vouloir s’adosser à la technologie pour à la fois regagner des points de confiance, mais surtout mettre en place des dispositifs de contrôle du peuple.

Les semaines passées, sur cette thématique, c’est donc l’application StopCovid qui aura donné le tempo médiatique côté numérique.

Des centaines d’articles auront été écrits en quelques jours sur cette application. Et Framasoft a aussi apporté sa pierre :

Le positionnement de Framasoft est assez clair : ce type d’application est un leurre. Un mirage. Comme en magie, c’est une illusion. Et cette illusion permet de glisser dans la tête de #lesgens quatre idées très dangereuses :

1. Elle nous prépare à accepter une application de surveillance de nos comportements, qui nous suivrait partout « pour notre bien et celui des autres », sans que cela n’impacte nos libertés fondamentales. C’est faux. Grâce au (fabuleux) travail de Khrys, nous présentons chaque semaine une « revue hebdomadaire » listant des articles, vidéos, etc. traitant notamment de ce sujet. Nous en sommes au n°103 de cette revue, je pense donc qu’il n’est pas nécessaire de revenir là-dessus ;

« Nan, mais à Singapour, ils ont une app, et ça va hein. » Non, cette vidéo n’est pas un fake. (Source)

 

2. Elle persiste à laisser croire que la technologie est neutre, et qu’elle peut être invoquée, telle une divinité, pour résoudre nos problèmes. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que parmi les plus ardents défenseurs de StopCovid (et ses successeurs), on retrouve pas mal d’ingénieur⋅e⋅s et d’informaticien⋅ne⋅s, convaincu⋅e⋅s qu’avec le bon design et le bon protocole, les avantages surpasseront les risques.
Rien de nouveau à ce que l’Homme cherche à se prendre pour Dieu, puisque Dieu est mort (© Nietzsche). Mais cette quête du pouvoir divin semble surtout nous avoir rendu complètement cons. En effet, je n’ai pas trouvé un seul article vraiment sérieux indiquant que cette technologie pourrait, à coup sûr, sauver des vies (sauf si elle était imposée à toute la population, et encore, cela reste sans preuve). Même l’auteur de « TraceTogether » (l’application singapourienne, qui inspire « StopCovid ») le reconnait lui-même : ce n’est clairement pas la panacée, et cela génèrera de toutes façons de nombreux faux-positifs et au moins autant de faux-négatifs. D’ailleurs, Singapour vient de rendre obligatoire une application similaire, qui au départ ne l’était pas. On dit ça, on ne dit rien, mais enfourcher un tigre, c’est quand même vachement dangereux, hein.

Nous avons un président (sous) stupéfiant.

 

3. Elle dédouane les agents de l’État de leur responsabilité, en faisant reporter sur des comportements individuels ce qui doit relever d’une action collective, et notamment celle des pouvoirs publics. « Si ça sauve 100 vies, ou même 1 seule, ça sera déjà ça et donc il faut donner toutes les chances à cette appli. », nous explique en substance Cédric O. sur… Medium (Oui, une plateforme cofinancée par Google. Ne cherchez pas à comprendre, c’est pas comme si cette personne n’était pas secrétaire d’État au numérique. Il n’avait sans doute pas de site web à sa disposition… #OhWait). Ha ben oui mais non, si votre but c’est de sauver 100 vies, ou même une seule, alors ce n’est pas le moment de déshabiller Paul (les brigades sanitaires, dont des décennies d’études ont prouvées l’efficacité, et pour lesquelles le Conseil Scientifique recommande 30 000 personnes, mais qui seront sous-payées) pour habiller Jacques (j’attends impatiemment l’annonce du coût total de développement d’un StopCovid, dont l’efficacité, elle, n’est pas prouvée). En attendant, ni vu ni connu, l’État vous aura embrouillé, et quand viendra le temps de juger les responsables, ils pourront se cacher derrière l’argument « Mais on a fait StopCovid, c’est pas de notre faute si #lesgens ne l’ont pas tous installé ! ». Ha ben si, si vous êtes élus et que de très nombreux experts et la société civile vous préviennent que votre mesure n’aura pas d’impact mais que vous choisissez d’investir du pognon pour la mettre malgré tout en place, alors c’est vous qui êtes responsable, pas #lesgens.

 

4. Un autre souci à faire peser cette injonction à installer une application est plus insidieux. Il pousse l’idée d’une « désunion nationale », avec d’un côté les « bons citoyens » qui auront installé l’application, et de l’autre côté les « mauvais citoyens » qui mettraient en jeu la vie de leurs proches comme d’inconnus, en refusant à participer au fameux « effort de guerre ». On en revient donc à l’argument pourtant mille fois entendu (et mille fois prouvé faux) du « Si vous voulez plus de sécurité, il faut accepter des pertes de libertés ».
Comme le dit fort bien Antonio Casilli dans le journal du CNRS (journal qu’on ne peut pas soupçonner de manque de sérieux scientifique), « Il n’existe pas d’application capable de remplacer une politique de santé publique ». Les prochains mois seront donc très rock’n roll avec des intiatives très agressives (du type caméras thermiques, dont l’aspect bordeline et même reconnu par… Muriel Pénicaud).

This is not a mème. (Même si la citation est plus complexe que cela.)

 

Bref, déployer ce type de technologie, c’est une triple défaite :

  • défaite des libertés fondamentales (aucune appli n’est infaillible, et celle-ci préparera le terrain cognitif pour celles à venir) ;
  • défaite de la science, qui placerait ses espoirs dans une technologie non-testée, développée dans l’urgence, plutôt que dans des protocoles humains dont on sait qu’ils fonctionnent, car testés et évalués depuis des dizaines (centaines presque !) d’années ! (ils sont juste beaucoup plus chers, oui, et alors ?! ) ;
  • défaite de la démocratie, qui en acceptant cette appli, accepte de minimiser les fautes avérées de l’État en lui reconnaissant un pouvoir de contrôle et de coordination sur la pandémie, masquant de fait l’incurie de l’État à prioriser l’intérêt général dans la gestion de cette épidémie.

Quelque part, et de manière anecdotique (ou pas), c’est aussi une défaite sémantique et linguistique : nous pouvons aussi nous interroger sur les signifiants et les signifiés des divergences entre « StopCovid » (France), « Immuni » (Italie) ou « TraceTogether » (Singapour) et ce que ces termes « vendent » aux utilisateur⋅ices.

EDIT : le temps que je rédige cet article, de nouveaux faits semblent aller dans mon sens : le développement de StopCovid, initié au départ par des équipes de la DINUM *et* des membres de la société civile est finalement confié à un consortium de grosses boîtes privées (CapGemini, Orange, Dassault Systèmes, etc), ce qui a créé pas mal de tensions. Sachant qu’on a découvert « par hasard » qu’Orange travaillait déjà sur une telle application *avant* l’annonce officielle du gouvernement ou que la startup Withings planche officiellement sur des bracelets connectés StopCovid (mais c’est une boîte française, hein, alors ça va), ça va évidemment exciter toutes celleux et ceux qui penseraient que cette histoire se confirme comme étant bien plus une histoire de gros sous politique qu’une histoire de solution d’intérêt général.
En parallèle, on apprenait que deux nouveaux fichiers seraient créés (SIDEP et Contact Covid), et que ça allait être un beau merdier. Lire l’article de NextINpact à ce sujet (abonnez-vous si vous le pouvez). Bref, les scénarios évoqués dans le documentaire de Sylvain Louvet « Tous surveillés : 7 milliards de suspects » semblent se confirmer (profitez-en pour le voir, ArteTV le propose gracieusement jusqu’au 19/06, et c’est aussi flippant que passionnant).

Au final, que StopCovid voie le jour ou pas, le gouvernement aura de toutes façons gagné : si l’application est finalisée, ça sera le jackpot et la voie ouverte à de futures applications StopZad, StopGiletJaunes, StopDélinquance, etc. ; si le projet d’application n’est pas finalisé (à quel coût ? Car aux dernières nouvelles, Dassault Systèmes ou CapGemini ne sont pas des philanthropes) ou abandonné politiquement, le débat médiatique sur StopCovid aura ouvert la fenêtre d’Overton sur l’acceptabilité d’une telle solution (« Bon, pour StopCovid, on était pas prêts, mais pour StopTerrorisme, là, promis, avec les premiers de cordée de la StartupNation on est au taquet »). Alors évidemment, une défaite aura plus d’impacts (immédiats) que l’autre (qui reste potentielle), mais du coup, nous, Framasoft, on va s’arrêter là. On a fait le job : en dehors de la face visible que sont la publication des articles, on a relayé, conseillé, produit des argumentaires, fournit des outils aux militant⋅e⋅s, relu et amendé des tribunes, etc. Il est donc temps pour Framasoft de passer à autre chose car nous ne sommes pas une association de plaidoyer. Nous avons (très) modestement contribué à éclairer ce débat, à chacun et chacune, individuellement et collectivement de s’informer et de prendre non seulement position, mais aussi une responsabilité dans les actions possibles à venir.

Voilà, je n’ai plus qu’à attendre en commentaire les rageux qui vont me dire que puisque je suis par principe opposé à ce type d’application, je suis donc un dangereux arriéré criminel qui va causer la mort d’innocents, en plus de celle de l’économie. Qu’ils viennent me chercher.

Je sens que ce mème n’a pas fini de servir…

Faire un pas de côté

Un des articles qui m’aura le plus marqué ces dernières semaines, peut-être parce qu’il ne s’agit ni d’une analyse froide, ni d’une réaction à chaud nous servant la soupe d’un « monde d’après », est sans doute l’interview de l’éco-socialiste Corinne Morel-Darleux dans Bastamag (j’invite celles et ceux qui le peuvent à faire un don à ce média. Ce que j’ai fais, d’ailleurs). Pour celles et ceux qui souhaiteraient découvrir quelques éléments de pensée de Corinne Morel-Darleux, je vous propose de lire en préambule cette longue mais passionnante interview du média d’opinion indépendant « Le Vent Se Lève ». Vraiment, prenez le temps de lire ces deux articles afin d’éclairer les concepts que je vais aborder par la suite.

Je ne vais pas reprendre ici ce qu’elle dit : d’une part l’article est public (et c’est une raison de plus, et pas une raison de moins, pour leur faire un don), d’autre part j’avais déjà « invoqué » Corinne Morel-Darleux dans un précédent article sur l’archipélisation de Framasoft. Elle y reprend des idées et concepts qui lui sont chers comme l’archipélisation ou la dignité du présent.

Ce qui me semble ici intéressant, c’est que ces idées prennent une dimension particulière quand on les met en perspective de la situation pandémique actuelle. Ils permettent, en quelque sorte de faire un « pas de côté ».

Après avoir « pris la mesure », et « pris de la hauteur », c’est donc à cet exercice du « pas de côté » que je voudrais essayer de me prêter ici, concernant Framasoft.

Je suis payé (entre autres par vos dons, merci !) pour prendre des décisions pour Framasoft. Le plus collectivement possible, et parfois seul et dans l’urgence afin d’éviter tel ou tel écueil. Ces dernières semaines, nous avions « le nez dans le guidon », et Framasoft a donc pris un paquet de décisions, et engagé pas mal d’actions (cf. nos articles Framaconfinement). En gros, comme tout le monde, nous nous sommes pris la tempête, et on a essayé de réagir au mieux. En nous protégeant nous-mêmes d’abord, parce qu’il n’est pas possible de prendre soin des autres dans la durée sans prendre soin de soi.

Ensuite en faisant ce que l’on fait de mieux : « faire ». Sans se poser des milliards de questions, on a agi là où on le pouvait. « Agir là où on se sent fort » est une façon de reprendre le contrôle quand on se sent perdu. Une façon de reprendre courage. De se sentir utile.

Enfin, on a essayé de réfléchir, individuellement et ensemble. Afin que notre « Faire » ne soit pas déconnecté des changements individuels et sociétaux en cours. Chacun⋅e a pu évoquer, en interne ou publiquement, ses analyses, ses ressentis, ses colères. J’ai évoqué les éléments d’un « plan », Pouhiou sa volonté de ne pas suivre de prophète, Christophe a fait des liens entre pistage et capitalisme de surveillance, Angie a exprimé sa colère, et la team mèmes a allégé nos cœurs dans un article « poisson d’avril » en retard, etc.

Mais faire un pas de côté, c’est quoi ?
C’est essayer de nouvelles choses, casser des préjugés internes, essayer d’avoir un regard extérieur, sortir de sa zone de confort en quelque sorte.

Me concernant, cela m’a poussé à accélérer une décision prise il y a longtemps : passer à une co-direction à trois têtes. J’avais annoncé cette volonté, qui me trottait dans la tête depuis deux ans, lors de notre assemblée générale de février. Mes collègues Angie et Pouhiou étaient d’accord pour une phase d’expérimentation en tant que co-directeur⋅ices. Mais la pandémie m’ayant pas mal occupé, j’avais dû laisser la mise en pratique de côté. Nous allons pouvoir en rediscuter, et cela promet d’être passionnant à mettre en œuvre.

Plus proche de vous, concernant Framasoft, faire ce « pas de côté » a consisté à réinterroger notre agenda de campagne. Framasoft ne vivant que des dons, sans campagne de dons, nous n’aurons à terme plus de moyens.

Enfin, ça, c’est la théorie. Construite sur l’expérience de ces dernières années. Mais n’est-ce pas un cliché ? Ne nous sommes-nous pas enfermé⋅es dans cette espèce d’injonction à « réussir » nos campagnes ? Si on pousse encore plus loin, « A quoi nous sert cet argent ? » (certes, à payer mon loyer, ainsi que les salaires de mes 8 autres collègues, mais est-ce le seul, ou le meilleur moyen de l’utiliser ?). Et, pour aller plus loin que plus loin « A quoi sert réellement Framasoft ? ». Ce n’est pas ici notre utilité que je questionne avec légèreté, je constate que nous sommes utiles (vos messages, vos dons, et les ~700 000 utilisateur⋅ices mensuels le prouvent), mais bien le sens de cette utilité : est-ce que l’on renforce des pratiques délétères ? Ne participe-t-on pas à enfermer nos utilisateur⋅ices dans des pratiques finalement peu émancipatrices (visioconférences, travail collaboratif, etc.) ?

Que resterait-il de Framasoft si nous venions à disparaître demain ? Quels héritages aurons-nous laissé de plus de 15 ans de militantisme ?

Pour répondre à ces questions, voilà maintenant deux ans que nous nous questionnons régulièrement en interne sur notre propre « compostabilité » : que resterait-il de Framasoft si nous venions à disparaître demain ? Quels héritages aurons-nous laissé de plus de 15 ans de militantisme ?

Je trouve la question intéressante, car elle nous force à regarder derrière nous, et non à chercher à voir ce qui se dessine devant. Car ce qui est devant nous est aujourd’hui dans le brouillard, rempli d’incertitudes sur les impacts économiques, sociaux, politiques qui vont découler des suites de cette pandémie.
Elle nous oblige aussi à penser notre présent, et nos actions, en fonction de cette notion d’héritage, de trace, de « don fait à l’avenir ».

Les éléments de réponses à cette question de la compostabilité de Framasoft me semblent plutôt encourageants : nous avons produit des milliers de ressources (fiches logicielles, documentations, articles, livres, vidéos, interviews, conférences, Mooc, etc.), nous avons développé des solutions logicielles, nous avons affirmé des points de vue et généré du débat et de l’intelligence collective. Nous avons démontré qu’il était possible, pour une association comptant moins de membres qu’un club de pétanque local, et pour un coût inférieur au coût moyen de 80 mètres d’autoroute, de produire, mettre à disposition, maintenir, améliorer des dizaines de services alternatifs à ceux des plus grosses capitalisations mondiales. Ce qui a, je pense, inspiré et donné confiance aux structures du collectif que nous avons impulsé et structuré et qui nous survivra probablement. Tout cela de façon libre, réutilisable, copiable, documentée. Mais aussi en essayant, autant que possible, de rester dignes (« principe selon lequel une personne ne doit jamais être traitée comme un objet ou comme un moyen, mais comme une entité intrinsèque »).

L’avenir jugera. Mais pour l’instant, nous sommes dans une situation plutôt privilégiée : grâce à vos dons, et grâce à notre volonté de ne pas « croître pour croître » et de limiter notre croissance, même en situation de succès – qui n’est pas sans rappeler le « refus de parvenir » qu’évoque Corinne Morel-Darleux en citant le navigateur Bernard Moitessier – Framasoft se porte bien. En tout cas, nous sommes dans une situation bien moins inquiétante, et surtout moins anxiogène, que des milliers d’associations survivant grâce aux subventions publiques ou à quelques financements privés. Les associations culturelles, de solidarités, d’urgence sociale sont touchées de plein fouet. Pourtant, si l’on regarde les choses froidement, ces associations sont par bien des aspects plus utiles que Framasoft.

Puisque nous ressentons ce sentiment d’accomplissement vis-à-vis du travail déjà effectué, et puisque nous avons les moyens de ne pas nous inquiéter du futur immédiat, se pose alors la question de ce que nous pouvons faire aujourd’hui. C’est ici que je fais le lien avec la notion de « dignité du présent » évoquée par Corinne Morel-Darleux. Quels gestes pourrions nous avoir qui seraient réellement en accord avec ce que nous sommes ?

Nous lancer dans la campagne de crowdfunding PeerTube v3, comme cela était prévu pour mai/juin 2020, ne me parait pas un acte décent en ce moment. Organiser une communication médiatique subordonnant la réalisation de développements logiciels à l’obtention de paliers de dons, à l’heure où l’hôpital public est en souffrance, où les français⋅es reçoivent l’injonction contradictoire de retourner travailler individuellement mais de collectivement rester chez eux, à l’heure où personne (y compris les gouvernements) ne sait de quoi l’avenir sera fait, m’apparaît clairement comme impudique et inconvenant.

Pourtant, je pense – cette fois très immodestement – que le monde à besoin d’un PeerTube v3. Cette nouvelle version, comme annoncé précédemment, intègrerait les premières briques permettant une diffusion vidéo en direct à des centaines ou milliers de personnes. Le tout de façon libre, décentralisée, et fédérée. Comme beaucoup, je pense qu’il n’est pas possible de se passer d’un système tant qu’on utilise les outils de ce système. Il me parait ainsi impossible de tourner la page du capitalisme tant qu’on utilisera massivement YouTube ou Twitch, par exemple. Cela ne se fera pas en un jour, ou même en un an. Mais même si cette bataille paraît perdue d’avance, elle vaut à mon sens la peine d’être menée.

Il en va de même pour Mobilizon (notre alternative aux événements, pages et groupes Facebook) : il me paraît impossible de construire des mobilisations contre le réchauffement climatique en utilisant Facebook. Oh, Facebook peut être *utile*, oui, notamment en offrant une audience captive potentielle de plus de deux milliards de personnes. Mais le modèle économique de Facebook étant basé sur la publicité et donc la consommation, la plateforme de Mark Zuckerberg ne permettra jamais que l’on s’attaque aux fondements du système qui le fait vivre et lui permet de croître encore et encore.

Développer et faire advenir PeerTube v3 et Mobilizon v1 me paraît donc essentiel. Non pas parce que ce serait fun, ou pour rajouter une alternative de plus au foisonnement d’outils existants. Et surtout pas pour « renverser » YouTube ou Facebook. Nous ne voulons pas que nos outils prennent la place de ceux préexistants : nous souhaitons décoloniser l’imaginaire d’une impossibilité de faire face à des entreprises un million de fois plus puissantes que nous. Car il est possible de faire face. Et si nous échouons, il vaudra alors sans doute mieux « couler en beauté que flotter sans grâce ».

Comment assurer le développement de Mobilizon, qui a des chances de devenir un outil stratégique de mobilisation citoyenne, sans s’assurer d’un modèle économique pérenne ?

Cela m’a beaucoup travaillé ces dernières semaines : comment réussir à proposer un PeerTube v3, dont je pense sincèrement qu’il serait utile pour permettre une libre transmission des savoirs sans pour autant conditionner son développement à un processus de crowdfunding inconvenant dans la situation actuelle ? Comment réussir à assurer dans les années à venir le développement de Mobilizon, qui a de fortes chances de devenir un outil stratégique de mobilisation hors des plateformes régulées par les géants du numérique, sans s’assurer d’un modèle économique pérenne ?

La réponse nous est venue assez naturellement : faisons-le, et on verra bien. Faire. Faire sans eux. Faire malgré eux.

Pour la réhabilitation de l’action directe

Premier exemple : faire PeerTube v3

À l’heure où vous lirez ces lignes, nous venons de publier un article et notre newsletter précisant que nous allons donc faire ce PeerTube v3 et ce Mobilizon v1. Les dates ont un peu bougé, parce qu’on a été pas mal occupés ces dernières semaines et qu’on refuse de se cramer pour respecter des calendriers ou des injonctions de consommateurs. Par contre, côté modèle économique, ça va être YOLO-style ! On va bien avoir une page de soutien à PeerTube v3, mais on fera les choses, qu’on ait l’argent ou pas. Idem pour Mobilizon.

C’est assez contre-intuitif, en tout cas pour moi qui ai quand même une responsabilité vis-à-vis de l’emploi de mes collègues, ainsi que plus globalement vis-à-vis du bon fonctionnement de l’association. Mais assurer le bon fonctionnement de l’association, ce n’est pas forcément assurer sa pérennité. C’est s’assurer que nous faisons au mieux. Que nous plaçons nos valeurs et notre engagement au-dessus de contraintes, qu’elles soient financières ou sanitaires.

Deuxième exemple : se soutenir les un⋅es les autres

Cette forme d’action directe, on la retrouve aussi dans le fonctionnement interne de l’asso. Comme affiché sur notre page d’accueil, Framasoft est avant tout une bande d’ami⋅es. Or les situations financières de cette bande d’ami⋅es sont très variables. Cela va, pour la faire courte, du RSA au rentier. Et nous sommes parfaitement conscient⋅es qu’une partie de ces ami⋅es pourrait souffrir de la situation économique des mois à venir. Cela ne nous paraît pas acceptable. Et l’indignation nous paraît certes importante, mais insuffisante.

Comme Angie l’a évoqué dans un précédent billet, nous mettons actuellement en place notre propre « filet de sécurité/solidarité » entre membres, et donc ami⋅es, où les plus à l’aise financièrement pourront soutenir celles et ceux qui rencontrent des difficultés. Les détails importent ici assez peu, car ils ne concernent pas les lecteur⋅ices de ce blog, et même pas Framasoft en tant qu’organisation (il s’agit d’une solidarité directement entre personnes). Le principe est cependant loin d’être nouveau : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». cet exemple d’auto-organisation privée, directe, communautaire, solidaire, s’est multiplié à l’infini ou presque non seulement en France, mais sur les territoires confinés, au niveau mondial.

Troisième exemple : s’auto-organiser

Ainsi, sur ma commune (rurale) de confinement, le premier hypermarché est à 35mn de voiture (et le premier « drive » encore plus loin). Certains habitants de la commune n’ayant ni la possibilité, ni les moyens de faire ce trajet, un petit marché de producteurs locaux s’est mis en place dès la seconde semaine de confinement (avec l’accord de la mairie et des règles sanitaires strictes et contrôlées). Rien d’extraordinaire à cela, car ce type d’initiative utile si ce n’est indispensable s’est multiplié sur l’ensemble du territoire.
J’ai cependant été plus marqué par le fait que le producteur de fromages, habitant lui aussi la commune, ait utilisé Framaforms pour ses commandes (sans me connaître ni connaître Framasoft auparavant). Ma fierté était cependant un peu gênée par le fait qu’en tant qu’auteur du logiciel, je sais qu’il n’est pas vraiment adapté à ce type d’usage. Mais bon, ça l’a dépanné un temps, alors tant mieux. Puis, les 4 ou 5 producteurs de ce marché on ne peut plus local ont basculé vers un autre logiciel, libre lui aussi ! https://www.cagette.net/ est en effet une solution parfaitement adaptée à ce genre de problématique. Les producteurs saisissent leurs produits, les clients passent commande (soit en ligne, sans commission, mais avec frais bancaires ; soit en réglant directement en liquide lorsque vous venez retirer votre commande).

Cagette.net : un site web, et un logiciel libre !, pour organiser ses commandes

Ici, pas de startup, pas d’État, pas de banque, pas intermédiaire si ce n’est un logiciel libre développé avec passion par les salarié⋅es d’une SCOP bordelaise qui n’ont aucunement besoin d’exploiter vos données personnelles ou de vous imposer un quelconque modèle.

L’à venir

Ce type de fonctionnement autonome, autogéré, auto-organisé, résilient – un mot que je ne souhaite pas voir être approprié par la Startup Nation – préexistait avant le confinement. Mais la défaillance voire l’absence d’État en a rendu l’expérience concrète nécessaire.

Il doit selon moi nous donner confiance en nous, nous apporter l’assurance que nous devons agir avec dignité, fierté, et ne pas attendre pour passer à l’action. Nous sommes capables et légitimes. Ici et maintenant. Que ce soit pour organiser un marché local, pour mettre en place des solidarités communautaires, ou pour développer des logiciels que nous pensons essentiels.

Comme le disait le philosophe Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. »

 




Ce que Framasoft va faire en 2020, post confinement

Voici une réécriture du calendrier de nos projets pour 2020, après que Framasoft a assuré de son mieux le maintien de ses services en ligne dans une France confinée.

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Un résumé, pour les deux du fond

Nous vivons actuellement une pandémie mondiale. Qui a fait que #LesGens ont été confinés chez eux. Sauf que comme le monde n’était pas prêt (et l’Éducation Nationale encore moins), les services en ligne de visioconférence, de tchat de groupe, et d’écriture collaborative se sont trouvés submergés.

Framasoft héberge de tels services, avec zéro traçage, beaucoup de respect des internautes et un support qui accompagne avec sourire et humanité, tant qu’à faire. Ainsi, nous avons vu l’utilisation de certains services se multiplier par 8 (lorsque l’Italie s’est confinée) puis par beaucoup-tellement-qu’on-compte-plus (quand la France a finalement suivi).

Nous, quand un ministère n’écoute pas les savoirs-faire et talents dont il dispose en interne et donc ne s’est pas donné les moyens de fournir des services numériques pour les millions de personnes qui dépendent de ses choix politiques et de sa capacité à prévoir son indépendance numérique (allégorie).

Notre équipe salariée, épaulée par les bénévoles qui font vivre l’asso sur leur temps libre, a abandonné tous les projets en cours pour accueillir cette montée en charge, accompagner les usages et éviter que Skype, Zoom ou Google Meet ne profitent d’une pandémie pour se goinfrer des données des utilisateurs. Nous n’avons accueilli qu’une infime partie des besoins numériques de ces personnes, hein. Mais à notre niveau, c’était un raz-de-marée.

Nous le racontons en détail dans nos journaux de confinement : nous avons mis en œuvre de très nombreuses solutions. Techniquement, nous nous sommes donné les moyens : davantage de puissance et de machines, des améliorations de code et l’optimisation des installations… Humainement aussi : plus de collectif, plus d’animation pour parvenir à plus de décentralisation (ventilation de Framapad, Framatalk et Framadrop vers de multiples hébergeurs éthiques) et plus d’écoute des besoins pressants (par exemple en proposant l’outil de prise de rendez-vous médical RDV-Médecins).

Nous aussi, nous avons travaillé à « aplatir la courbe ».

Tout cela s’est fait avec plus de réflexion stratégique, plus de communication, plus de support communautaire, donc plus d’animation de communauté… Mais aussi plus d’expressions (et de plumes invitées sur ce blog), plus d’informations sur nos actions, plus d’éducation populaire (dont un gros dossier sur StopCovid)…

Pour ne rien vous cacher, même si on prend soin de nous, nous sommes rincé·es (et confiné·es : ces chamboulements dans la vie professionnelle et bénévole de l’association se sont accompagnés de chamboulements de nos vies personnelles, comme pour tout le monde…).

Revoir les plans du monde d’avant

Dans le monde d’avant, il n’y a pas si longtemps (même si on dirait), nous avons annoncé la fermeture programmée d’une partie des services de la campagne Dégooglisons Internet. Nous avions même préparé une page résumant toutes les informations et les sources plus détaillées, ainsi qu’un calendrier (annonçant les premières fermetures pour juillet prochain).

Nous allons poursuivre sur cette lancée, car nous avons plus que jamais besoin de tourner la page de certains services trop gourmands, trop anciens, etc. pour concentrer nos énergies sur l’essentiel. D’ailleurs, nous avons eu le nez creux, car les services les plus utilisés durant le confinement font partie de la liste des services que nous maintenons, et dont nous avons grandement renforcé les installations (Framapad et Framatalk en tête).

Entraide.chatons.org, une page pour trouver de nombreux services pratiques, éthiques et décentralisés.
Entraide.chatons.org, une page pour trouver de nombreux services pratiques, éthiques et décentralisés.

Par ailleurs, le collectif des hébergeurs alternatifs CHATONS a vraiment montré sa capacité à décentraliser les usages numériques. Ainsi, la création de la page entraide.chatons.org montre qu’il est possible de proposer un portail d’accueil de services sans inscriptions, qui vous renvoie de façon aléatoire vers un des membres du collectif. Que ce soit pour de l’écriture collaborative, de l’hébergement de photos ou de fichiers lourds, ou encore pour raccourcir une adresse web : si vous voulez un service en ligne libre, décentralisé, éthique et sans inscription, n’hésitez pas à privilégier les services proposés par entraide.chatons.org

Peertube : un financement pas à pas vers la v3

Nous détaillerons bientôt tout cela sur le framablog, mais en gros, nous ne nous sentons pas de lancer un crowdfunding en mai pour financer la v3 de notre solution d’émancipation de nos vidéos YouTube alors que l’avenir est incertain pour bon nombre de personnes.

Nous avons décidé plutôt d’annoncer une feuille de route, où nous afficherons les prochaines étapes de développements du logiciel. Cette feuille s’étendra jusqu’à la v3, que nous voudrions sortir en novembre prochain. Chaque étape, qui est en fait un cycle de développement, sera d’une durée d’un à deux mois, présentera son propre lot de fonctionnalités. Sans vendre la peau de l’ours, après des tests, nous pensons qu’il est possible d’inclure dans cette v3 la diffusion de vidéos en live ET en pair-à-pair.

Bientôt, Sépia (lae poulpe-mascotte de PeerTube) pourra regarder des live !
Illustration CC-By David Revoy.

Cette feuille de route sera accompagnée d’une collecte perlée sur toute la période de développement, de mai à novembre. Face à chacune des étapes, nous afficherons un coût, et ferons un appel aux dons, sans insister, et (comme toujours) sans culpabiliser. En effet, que les dons couvrent le coût de l’étape ou non, nous poursuivrons ce développement… quitte à ce que ce soit sur nos fonds propres (comme nous l’avons fait pour développer la v2).

Nous ferons le point, en novembre, sur le soutien qu’aura récolté cette collecte perlée. Cela vous permettra de suivre le développement de PeerTube au rythme où nous le vivons. Mais, une fois encore, nous avons confiance en votre capacité à soutenir ce projet actuellement utilisé par de nombreuses académies pour assurer la continuité pédagogique. Nous compterons sur vous pour promouvoir PeerTube hors de notre bulle, afin qu’il ne soit pas uniquement financé par la générosité des francophones.

Mobilizon espéré, Mobilizon retardé, mais Mobilizon bichonné

Mobilizon, c’est notre réponse à la question « comment faire pour que les marches pour le climat ne s’organisent plus sur Facebook ? » Un logiciel fédéré (où plusieurs hébergements peuvent synchroniser les infos entre eux) pour publier des événements, présenter et créer son groupe et s’y organiser ensemble.

Suite au succès du financement participatif du printemps 2019 nous avons travaillé et présenté une première bêta avec « juste les événements » en octobre et une autre incluant les outils de fédération en décembre 2019. Nous prévoyions d’ajouter les outils de groupe et de pages au printemps pour publier Mobilizon en juin, mais nous avons — forcément — pris du retard.

Nous croyons que Mobilizon va être plus important que jamais dans ce « monde d’après ». Il nous semble essentiel que les citoyen·nes reprennent leur indépendance sur les outils qui leur permettent de se mobiliser, s’organiser et se rassembler autour d’actions communes et concrètes.

Mobilizon fédéré, illustré par David Revoy (CC-By)

Nous prévoyons donc de publier, en juin, une nouvelle version bêta intégrant toutes les fonctionnalités prévues par le financement participatif de l’an dernier (des événements, des pages, et des groupes). Nous travaillerons ensuite, durant tout l’été, à améliorer le code selon les retours des personnes qui testeront la fédération (en hébergeant leur propre instance Mobilizon).

En effet, alors que Mobilizon explore des pans entiers du protocole ActivityPub (le langage commun pour que les hébergements synchronisent et échangent les informations), il nous semble urgent de prendre le temps de proposer, tester, remettre en question, discuter, modifier, et améliorer jusqu’à un consensus stable.

Nous voulons prendre trois à quatre mois pour tester Mobilizon avec des hébergeurs volontaires, améliorer sa compatibilité et sa façon de fédérer les informations pour sortir une première version stable à l’automne.

Un projet Framacloud dans la brume

Nous l’annoncions dans notre article « ce que Framasoft va faire en 2020 » de novembre 2019, nous avions un projet de « cloud Framasoft », un service unique et complet basé sur le logiciel Nextcloud pour synchroniser ses fichiers, ses agendas et ses notes, mais aussi collaborer sur des documents, tableurs et présentations, bref… Un service tout-en-un !

Nous avons retourné l’idée dans tous les sens, nous avons joué à la startup nation en essayant de le « pivoter » , mais soyons réalistes : on ne le sent pas. Avec toute la fatigue que nous avons accumulée (vous pouvez suivre ici notre journal de confinement), avec tout ce que nous avons en cours et tout ce qui nous attend… On préfère ne s’engager à rien sur ce projet… pour 2020.

On garde ce projet dans notre horizon, on ne sait juste pas pour quand.
Illustration CC-By David Revoy

Nous avons toujours la volonté de promouvoir un tel outil. Nous savons qu’il y en a besoin comme nous imaginons que les besoins vont changer en même temps que le monde change. Ce que nous ignorons, c’est de quelles énergies nous disposerons d’ici décembre. Pour l’instant, nous voyons simplement que nous ne sommes pas prêt·es, alors nous choisissons de faire moins, pour nous assurer de faire bien.

Nous gardons ce projet de cloud Framasoft dans notre horizon, mais pas sur 2020 (ou alors ce sera vraiment une bonne surprise de fin d’année ^^).

Le monde a changé©

C’est l’expression cliché qui nous accompagne depuis l’article relatant le deuxième jour de notre #Framaconfinement. « Le monde a changé », oui… et nous avec.

Nous essayons avec cet article de prendre de la hauteur pour vous communiquer ce que nous pensons accomplir, et pour quand. Mais embrassons l’impermanence de toute chose, cette impermanence qu’un petit virus nous a rappelée : tout peut encore bouger, surtout si le monde re-change, et nous re-avec.

Aujourd’hui, au sein de Framasoft, nous voulons nous concentrer sur des outils dont nous croyons qu’il pourront servir à ce qu’une société de contribution prenne toute sa place dans le « monde d’après ». En faisant cela, nous essayons aussi de fermer des onglets mentaux et rassembler nos énergies pour gagner en disponibilité.

Car le présent est en train de se dessiner, et Framasoft, par ses actions directes, souhaite être en capacité d’y jouer un rôle, afin de montrer que ce « monde d’après » peut ressembler, si chacun·e y apporte sa pierre, à cette Contributopia dont nous rêvons depuis quelques années.

Contributopia – Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0




Journal de confinement d’un directeur d’école

C’est au tour de Cyrille de prendre la plume pour nous raconter son confinement. Directeur d’une école, il a dû très vite s’adapter à la suite de l’annonce rapide de la fermeture des établissements. En tant que membre de Framasoft, il avait quelques atouts numériques dans sa manche.

Jeudi 12 mars : la surprise

Soyons honnête, je m’attendais au confinement, mais pas dès ce lundi. Ce matin, notre ministre annonçait qu’ « il n’y aura pas de fermeture généralisée des écoles en France comme on a pu le voir dans d’autres pays d’Europe ».
Pourtant, ce soir, le président prononce ces mots.
« Dès lundi et jusqu’à nouvel ordre, les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités seront fermés pour une raison simple : nos enfants et nos plus jeunes, selon les scientifiques toujours, sont celles et ceux qui propagent, semble-t-il, le plus rapidement le virus, même si, pour les enfants, ils n’ont parfois pas de symptômes et, heureusement, ne semblent pas aujourd’hui souffrir de formes aiguës de la maladie. C’est à la fois pour les protéger et pour réduire la dissémination du virus à travers notre territoire. »
Dès lors, le premier réflexe, utiliser la liste de diffusion SMS du PPMS (Plan Particulier de Mise en Sûreté) pour informer les collègues (atsems, enseignants, avs…) qui n’auraient pas l’information et de proposer un conseil des maîtres le lendemain midi pour se coordonner, s’organiser, s’entre-aider.
Repas terminé, enfants couchés, ma priorité est de régler le plus de détails possible pour être au maximum disponible demain, car le vendredi, comme le jeudi, j’ai les élèves.
Donc, création d’affichages, d’un mot pour les cahiers, sur le site de l’école, préparation du travail pour les CE2 et les CM2 pour la semaine suivante, vérification de la validité des différents comptes des enseignants sur le site de l’école…

Vendredi 13 mars : le marathon

Arrivée un peu plus tôt que d’habitude, j’accroche les affichages, duplique les mots, les devoirs de mes élèves. Discussion, échanges avec les collègues. Ouverture des portes, rassurer parents et enfants…
Explication du fonctionnement à mes élèves. Et puis on travaille, presque comme d’habitude.
Le midi, transmission de quelques consignes générales données aux collègues :
  •     les élèves partent avec leurs affaires : manuels, ardoises…
  •     demander d’utiliser autant que possible son adresse mail professionnelle.
  •     communiquer des premières informations générales et notamment que le site de l’école sera la porte d’entrée pour le suivi du travail…
Puis, je reste disponible pour un libre service de conseil sur comment se connecter, publier sur le site (j’axe sur ajouter du texte, du texte, un PDF).
Dans la journée, il faut également essayer de savoir ce que vont devoir faire les différents personnels non enseignants : atsems, avs, services civiques durant la fermeture de l’école.
16h30 : Les élèves partent. C’est un sentiment un peu étrange, nous ne savons pas quand nous les reverrons. Des parents de ceux absents viennent chercher le travail.
18 heures : Après avoir récupéré mes enfants, je reçois un nouveau mail de l’inspection concernant l’accueil d’enfants de soignants dès lundi. Appel aux services scolaires de la mairie qui m’annoncent que la cantine a été pour le moment totalement annulée. On s’organise provisoirement : accueil dans chaque établissement, les familles devront apporter leur pique-nique et on fera le point le lundi.
Dans la soirée, changement de la page d’accueil du site pour orienter plus facilement les élèves et leurs parents vers la partie qui concerne leur classe.

Nouvelle page d’accueil du site (en vrai, les noms des classes sont centrés, pour l’article, j’ai effacé les noms des enseignants 😉 )

Samedi 14 mars et dimanche 15 mars

Le samedi soir le Premier ministre annonce un confinement de toute la population à partir de mardi. Changement de programme : les réunions entre enseignants (conseils de cycles) avec les familles (équipes éducatives) qui devaient être maintenues, sont donc de facto annulées, en tout cas en présentiel. 
Objectif global du week-end : informer, accompagner, outiller les enseignants en essayant de ne pas les noyer sous les informations.
Leur fournir un premier fichier extrait de Onde (le logiciel de l’éducation nationale pour gérer les inscriptions des élèves), leur demander de vérifier avec leurs fiches de renseignements. Au besoin, j’envoie un SMS avec le portable de l’école (content alors de l’avoir demandé pendant plusieurs années et que la mairie ait accepté) pour obtenir des adresses mails manquantes.
Dimanche, 12h, suite aux déclarations du directeur général de la santé, je fais le choix de demander aux enseignants de rester chez eux à partir du lundi,  je serai présent à l’école le lundi matin pour accueillir les potentiels enfants de soignants. J’informe mon IEN (Inspectrice de l’Éducation Nationale) de cette décision.
Affichage devant l’école et sur le site pour informer les potentiels enfants de soignants de l’organisation retenue.
Envoi d’un message de soutien aux amis salariés de Framasoft, car je sais qu’avec l’annonce du confinement et du télétravail dans l’éducation nationale et pour une très grande majorité des travailleurs, ils vont en prendre plein la tronche.

Lundi 16 mars

Arrivée à l’école vide. Aucun enfant de soignants n’est présent sur notre école. 
Avant de partir, je récupère du matériel : caméra Hue, casque micro, un tableau blanc, certains spécimens de manuels…
Milieu de matinée, appel de la mairie qui me demande mon avis pour l’accueil de ces enfants. Il n’y en avait qu’un seul sur une des écoles de la commune. Je lui propose alors de regrouper tous les futurs présents sur cette école. 
12h : mail de l’IEN qui confirme que cette organisation est retenue. Mail aux enseignants pour savoir qui est volontaire en précisant bien que ceux qui ont des fragilités ou des personnes fragiles dans leur environnement proche ne sont pas concernés. Affichage devant l’école et sur le site du changement de dispositif.
Dans la journée, très fier de constater que l’équipe pédagogique s’est mobilisée en masse. Sur l’école : 6 enseignants pour le temps scolaire, 2 animatrices et 2 atsems pour les temps périscolaires sont volontaires

Mardi 17 mars

Avec ma collègue directrice d’une des autres écoles, nous accueillons l’enfant présente et organisons les services des bénévoles. Nous réussissons à ne mobiliser les enseignants qu’une à deux demi-journées par semaine.
Finalement, la mairie décide de remettre en route le service de restauration (chez nous les repas sont encore faits sur place sur une cuisine centrale). Dès le jeudi, nous changerons d’école pour être près de cette cuisine.
En parallèle, appui aux collègues de l’école pour les aider à publier leurs articles.
Réalisation d’un conseil de cycle virtuel pour confirmer les propositions de passage.

Mercredi 18 mars

Je continue l’accompagnement des collègues sur des problèmes qu’ils rencontrent sur la publication, le manque de coordonnées de certaines familles… En parallèle, je modère les messages des parents sur le site, leur réponds, fais le lien avec les enseignants concernés.

Jeudi 19 mars

Réception d’un mail de l’inspectrice « Lettre aux enseignants » à transmettre aux collègues. Un courrier plein d’humanité qui fait beaucoup de bien après ces premiers jours de classe à distance. On est loin de ce que peuvent faire remonter certains enseignants d’autres circonscriptions. La qualité de ce premier échelon hiérarchique est vraiment essentielle.

Vendredi 20 mars

Je propose aux élèves qui le peuvent de découvrir le fonctionnement d’un pad et ainsi tout simplement de prendre des nouvelles, échanger entre eux.
Première semaine écoulée. J’ai pu voir que les différents ENT, services… ont eu beaucoup de mal à encaisser cette charge. Et c’est bien normal. De notre côté, avec notre site internet indépendant, on s’en sort sans douleur au niveau technique. Toute cette première semaine, j’ai vérifié chaque publication des collègues afin de corriger certains petits détails et les aider. 

Samedi 21 mars et dimanche 22 mars

Je continue à essayer d’outiller les collègues. Il faut leur faire des tutoriels qui utilisent précisément le site de l’école. Les tutos existants sur le net ne permettent pas à tous de s’y retrouver. Dès le vendredi, je m’y attèle et c’est une fournée de 8 tutos que je leur fournis.

Les mini-tutos pour les collègues

C’est clairement perfectible, mais dans l’urgence, cela sera déjà une bonne aide.
Dans cette période où chacun est isolé chez soi, je propose aux atsems d’avoir un accès au site de l’école pour y publier ce qu’elles souhaitent afin de garder un lien avec les familles.

Semaine du 23 au 27 mars

Je poursuis les permanences pour les enfants de soignants. On tourne entre 4 et 12 élèves.
J’adapte le planning en fonction des nouvelles contraintes des personnes volontaires.
Le mardi, superbe surprise, nos atsems lancent sur le site de l’école un projet de bricolages avec des matériaux de récupération pour la « fête de la liberté ». Elles n’ont eu aucune formation spécifique, ne sont pas des « digital natives », elles ont juste suivi les mini-tutos.
Ce même jour, première réunion de directeurs avec l’inspectrice en visioconférence.
Au niveau de la direction, le gros dossier de cette semaine est l’envoi individualisé des propositions de passage et du premier volet du dossier de passage en 6e. Évidemment, dans Onde, rien n’est prévu pour faire un envoi par mail en un clic depuis leur site. Il faut télécharger les fiches individuelles générées par classe, les découper en fichier individuel et envoyer à chaque famille par mail. Ensuite, suivre le retour…
Pour la classe, préparation des deux journées à distance, puis en fin de semaine, mise en ligne de la correction. Il faut essayer de trouver le juste dosage pour la quantité de travail. Je propose un nouveau temps d’échange en utilisant un pad, mais ce coup-ci avec un petit objectif d’écriture.

Petit travail d’écriture à distance en mode collaboratif

Au passage, petit coup de main à une de personne de la circonscription pour créer des PDF modifiables avec LibreOffice.
Le week-end, je débute l’impression de visières de protection pour les enfants et les adultes du service d’accueil en reprenant le modèle proposé par la youtubeuse Heliox.

Vidéo d’Heliox pour la fabrication de visières avec une imprimante 3D.

Semaine du 30 mars au 3 avril

Distribution des visières qui remportent un franc succès : prévues initialement pour les enfants et les adultes encadrant, les cuisinières et d’autres agents municipaux s’en emparent également.

Enfant de soignants équipée d’une visière qui grâce au flou artistique complètement volontaire du photographe peut rester anonyme.

Mardi, visioconférence avec les enseignants de l’école à la fois pour donner quelques informations, leur faire découvrir l’outil du CNED et avoir le plaisir de se donner des nouvelles.
Jeudi, appel des différentes familles de la classe et nouvelle réunion de directeurs avec l’inspectrice en visioconférence.
Comme la semaine précédente, préparation des jours de classe et de la correction.
Envoi du 2e volet du dossier 6e pour les élèves de CM2. 
Préparation du planning de présence des enfants de soignants pendant les vacances scolaires. Même si c’est encadré par des agents municipaux, je continue l’organisation du service d’accueil afin que les familles n’aient pas une multiplicité d’interlocuteurs.
Préparation également du planning des enseignants volontaires pour les deux semaines qui suivent la rentrée, le ministre ayant annoncé un arrêt des cours au moins jusqu’au 4 mai.
Deux familles se sont manifestées, car leur matériel informatique est devenu défaillant. En concertation avec la mairie, l’école prête deux portables.

Du 4 au 19 avril : les vacances

La zone C, nous sommes en vacances. La pression retombe. Honnêtement, cela faisait un bon moment que je n’avais pas senti une telle fatigue liée au boulot. Un mot sur la page d’accueil de l’école pour indiquer qu’enfants comme enseignants sont en vacances. Pour une fois, je suis bien content d’être la première zone en vacances.
Afin que les élèves puissent garder un contact entre eux, je mets en place une sorte de mini-chat sur le site de l’école, avec accès réservé aux élèves de la classe. Ravi de voir qu’aucun débordement n’a lieu.

Un chat pour les vacances

Toutefois, même si le rythme est plus tranquille, je me prépare au scénario du pire et commence à planifier toutes les notions essentielles à voir d’ici la fin de l’année. J’enregistre toutes les dictées jusqu’à la fin de l’année, prépare des mini-leçons pour les leçons des premières semaines. J’en profite pour les mettre sur le Peertube temporaire de l’académie qui vient juste d’ouvrir.

Mes vidéos sur le Peertube temporaire de mon académie

Mon objectif : ne quasiment plus avoir de préparation pour la classe à faire pour les 3 prochaines semaines afin de me concentrer sur la direction de l’école avec de grosses échéances à venir (admission des nouveaux élèves, constitution des classes, commandes…) qu’il faudra adapter selon les conditions sanitaires.
Week-end de Pâques, je sers de cobaye à 3 collègues qui se lancent dans le stage de soutien pendant la 2e semaine des vacances. Avec la plateforme de visioconférence du CNED, nous voyons quelles fonctionnalités sont pertinentes pour une utilisation avec un petit groupe d’élèves.
Lundi 13, alors que les potentielles « fuites » laissaient entendre à une reprise en septembre, le président annonce une poursuite du confinement et une réouverture progressive des établissements à partir du 11 mai. Plusieurs questions. Sans les conséquences économiques d’un confinement, aurait-il annoncé une reprise le 11 mai ? Qu’entend-il par « progressive » ? Ne serait-ce pas nous les directeurs qui allons une fois de plus endosser cette responsabilité (« L’ensemble des locaux scolaires est confié au directeur, responsable de la sécurité des personnes et des biens » Circulaire no91-124 du 06 juin 1991 modifiée par les circulaires nos 92-216 du 20 juillet 1992 et 94-190 du 29 juin 1994 art.4-1) ?
D’un point de vue personnel, la réunion familiale pour Pâques est quelque chose de très important pour mes parents. Nous leur avons donc fait vivre la chasse aux œufs et playmobil dans le jardin en visioconférence (merci Jitsi !).
Avant de reprendre, préparation d’une enveloppe pour chaque élève avec un roman, quelques photocopies, un courrier leur indiquant vers où on va pendant les prochaines semaines. Notre mairie procède encore aux envois postaux pour les écoles (j’ai déjà dit combien j’avais de la chance). Toutefois, la majorité des élèves habitant à moins d’un kilomètre de chez moi, j’ai fait une petite distribution dans les boites aux lettres le jeudi.
Avant de reprendre, nouveau prêt d’un ordinateur de l’école à une famille qui n’a pas d’enfant chez nous, que des collégiens. Mais bon, le collège leur ayant dit qu’il n’avait pas de possibilité de prêter du matériel avec la mairie nous nous sommes dit qu’on ne pouvait pas laisser un collégien sans PC pendant les 3 prochaines semaines. Surtout que c’est une mère infirmière, qui se bat tous les jours à l’hôpital voisin pour sauver des vies, cela aurait été indécent de ne pas les aider à notre manière.

Point d’étape

On ne peut pas vraiment parler de bilan, car on n’est pas au bout du confinement, voici donc un point d’étape avant de reprendre pour une session d’au moins 3 semaines de classe à distance.

Point de vue personnel

Le confinement et l’isolement ne sont pas, en soi, un problème pour moi. J’ai un caractère ours très développé et je crois avoir des projets pour les deux décennies à venir. Le risque d’ennui est donc très limité. En plus, j’ai la chance d’avoir un jardin qui est un véritable atout. Je me sens vraiment privilégié.
J’ai été content de voir que des ressources réalisées auparavant comme le site de littérature de jeunesse libre semblent utiles. D’ailleurs, cela a fait exploser mes statistiques de visites ! Euh, en réalité je n’en sais rien et je m’en moque, je ne sais même pas si j’ai des stats quelque part sur mon hébergement. J’ai toujours l’habitude de fonctionner de manière assez égoïste pour la création de tel ou tel projets. Je le fais si cela me fait plaisir, si j’en ai envie. Ces projets servent à d’autres, tant mieux, sinon, eh bien, je me serai amusé à les réaliser.
Au niveau familial, pendant la partie scolaire, je n’ai pas été très disponible les matins et heureusement c’est ma femme qui a géré toute la partie du suivi des devoirs des enfants.

Installation le long de l’escalier pour que #4ans place les nombres dans le bon ordre.

Point de vue de la classe

Je crois qu’avec ma collègue avec qui je partage la classe, nous avons réussi à trouver un juste équilibre afin de permettre la fois aux élèves de poursuivre les apprentissages sans submerger les familles. Il a fallu à la fois proposer des activités ne nécessitant pas ou peu d’impressions et des travaux ne demandant pas une connexion Internet ou un ordinateur en permanence (entre les parents en télétravail, les frères et sœurs, le tout sur un seul appareil parfois).
Les différentes familles que j’ai eues au téléphone se retrouvent bien dans le fonctionnement que nous avons proposé avec ma collègue. 

Point de vue des membres de l’équipe pédagogique

Je suis juste fier de ce qu’ils ont fait jusqu’ici au niveau du lien avec les enfants et les familles. Chacun avec ses moyens a essayé. Certains ont publié leurs premiers articles sur le site à cette occasion et ont publié tous les jours depuis. D’autres, un peu plus expérimentés ont testé la création de petites vidéos par exemple. Au niveau du numérique, je crois pouvoir dire qu’ils vont tous avoir progressé.
Fier aussi de leur investissement dans le service d’accueil des enfants de soignants.
Fier également de leur bienveillance réciproque, à chercher à prendre des nouvelles de chacun.
Au niveau médical, trois membres de l’équipe ont chopé le covid19, pour le moment sans gravité.

Point de vue de l’école

En 1 mois la communication électronique a explosé. Sur la messagerie de l’école : 700 mails envoyés et 995 mails reçus (dont 209 de parents d’élèves, 122 de l’inspection, 50 liés au service d’accueil des soignants, 20 de l’inspection académique, 30 des syndicats, 30 mairie, 284 mails de différents expéditeurs, 250 mails inutiles et donc supprimés)
Et je ne compte pas les messages envoyés depuis la messagerie professionnelle personnelle.
Le contexte local et des choix faits ces dernières années au sein de l’école ont permis une gestion pas trop douloureuse :
  • un lien avec la mairie sans faille. Nous travaillons ensemble, dans la même direction avec le même objectif pour les enfants de la commune.
  • une relation hiérarchique de confiance. J’ai la chance de pouvoir compter sur une équipe de circonscription qui a su être présente sans nous mettre de pression inutile.
  • des choix techniques respectueux des données des familles et des enfants. Depuis plus de 10 ans, nous avons notre propre site d’école, maintenant sous WordPress avec notre propre nom de domaine. Il est un véritable repère pour les enfants, familles et enseignants. Aucun problème de saturation du site. L’habitude d’utilisation du mail professionnel par les enseignants a aussi été un atout.
  • des choix d’organisation interne. Depuis des années nous travaillons avec des cahiers qui suivent les élèves sur plusieurs années, ce qui nous permet d’avoir des marges budgétaires pour disposer de séries de manuels et de livres de littérature de jeunesse. Ces supports papier ont été très utiles et complémentaires du site Internet.
On a beaucoup entendu ces derniers jours qu’une reprise se justifiait pour les enfants les plus fragiles. Mais ces enfants les plus fragiles, cela fait déjà des années que pas grandchose n’est fait pour qu’ils s’en sortent. Leurs problématiques sont trop souvent extérieures à l’école. La suppression des RASED, le manque de places dans les services adaptés, les délais d’attente pour les prises en charge médicales, la surcharge des services sociaux… c’est tout cela qui empêche ces enfants en grande difficulté de s’en sortir. L’école ne peut malheureusement pas combler ces carences.

Point de vue du libre, du respect des données

Pendant « le grand confinement » de nombreuses offres gratuites, temporaires, d’accès à des ressources sont apparues. La grande majorité, j’ose le croire, avec une volonté de proposer une aide pendant cette période, d’autres, il ne faut pas se leurrer, avec l’espoir de récupérer des parts de marché tel un dealer offrant sa première dose à un futur toxico.
Les enseignants, ne leur jetons surtout pas la pierre, ont pour certains utilisé des applications, services clairement irrespectueux des données personnelles de leurs utilisateurs. Et les utilisateurs, ici, ce sont des enfants. Il faut dire qu’à différents niveaux hiérarchiques, même le plus haut, l’exemple n’est pas forcément le bon et qu’une certaine pression peut parfois être exercée pour que la classe continue comme normalement.
Au niveau éducatif, le monde du libre a su répondre. Même si dans un premier temps, à Framasoft, nous avons dû, à contrecœur,  « refuser » les enseignants, nous avons finalement réussi à garantir un service fiable en augmentant notre puissance de feu (allégorie guerrière pour être dans la thématique étatique) et grâce au soutien du collectif CHATONS. Nos salariés sont vraiment extraordinaires !
La deuxième bonne nouvelle au niveau du libre est la mise en place de services à base de logiciel libre pour chaque académie : vidéo (peertube), écriture collaborative (etherpad), blogs, webconférence (jistsi), partage de documents (nextcloud), forums (discourse). Ce travail est le fruit d’un groupe à la DNE. Cette plateforme est pour le moment temporaire le temps du confinement. Espérons qu’elle perdure !

Les services libres temporaires proposés par un groupe de la DNE.

Et alors, on était prêt ?

C’est un mantra entendu à de multiples reprises : « nous sommes préparés en cas d’épidémie ». Alors je crois que personne ne peut affirmer honnêtement que oui. Peut-être que vu le contexte local, sur notre école nous l’étions un peu moins mal que d’autres. Il sera temps, un peu plus tard, de tirer le bilan des dysfonctionnements, des améliorations à apporter… en attendant, profitons de l’école en fleurs.

Les élèves ne peuvent pour le moment pas en profiter…




Prophètes et technologistes à l’ère de la suspicion généralisée

Aujourd’hui, Framatophe développe son analyse sur l’impasse technologique des solutions de pistage d’une population, et sur l’opportunité pour les gouvernements d’implanter une acceptation de la surveillance généralisée dans notre culture.

Accéder aux articles déjà publiés dans notre dossier StopCovid

 

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

L’accès à l’ensemble de nos articles « framaconfinement » : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/

 

Ha ! Le sacro-saint « révélateur ». À écouter et lire les médias, la pandémie Covid-19 que nous traversons aujourd’hui est censée « révéler » quelque chose, un message, un état d’esprit, l’avènement d’une prophétie. Et on voit proliférer les experts toutologues, devins des temps modernes, avatars des prédicateurs de l’An Mille, les charlatans de fin du monde. Loin des révélations, notre membre de la célèbre #teamchauve de Framasoft nous partage quelques réflexions autour des discours ambiants au sujet de la surveillance.

Les prophètes

Faire une révélation, nous dit le dictionnaire, c’est porter à la connaissance quelque chose qui était auparavant caché, inconnu. Et le pas est vite franchi : pour nos prêtres médiatiques, il est très commode de parler de révélation parce que si le divin à travers eux manifeste ce qu’eux seuls peuvent dévoiler au public (eux seuls connaissent les voies divines), il leur reste le pouvoir de décider soit de ce qui était auparavant caché et doit être dévoilé, soit de ce qui était caché et n’est pas censé être dévoilé. Bref, on refait l’histoire au fil des événements présents : la sous-dotation financière des hôpitaux et les logiques de coupes budgétaires au nom de la rigueur ? voilà ce que révèle le Covid-19, enfin la vérité éclate ! Comment, tout le monde le savait ? Impossible, car nous avions tous bien affirmé que la rigueur budgétaire était nécessaire à la compétitivité du pays et maintenant il faut se tourner vers l’avenir avec ce nouveau paramètre selon lequel la rigueur doit prendre en compte le risque pandémique. Et là le prêtre devient le prophète de jours meilleurs ou de l’apocalypse qui vient.

Pourquoi je raconte tout cela ? Je travaille dans un CHU, les politiques de santé publiques me sont quotidiennes ainsi que la manière dont elles sont décidées et appliquées. Mais vous le savez, ce n’est pas le sujet de mes études. Je m’intéresse à la surveillance. Et encore, d’un point de vue historique et un peu philosophique, pour faire large. Je m’intéresse au capitalisme de surveillance et j’essaie de trouver les concepts qui permettent de le penser, si possible au regard de notre rapport à l’économie et au politique.

C. Masutti, Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance, C&F éditions, mars 2020.

J’ai appris très tôt à me méfier des discours à tendance technologiste, et cela me vient surtout de ma formation initiale en philosophie, vous savez ce genre de sujet de dissertation où l’on planche sur le rapport technologie / politique / morale. Et à propos, sans pour autant faire de la philo, je ne saurais que conseiller d’aller lire le livre de Fred Turner qui, déjà en 2006 (la traduction est tardive), grattait assez profondément le vernis de la cyberculture californienne. Mais au fil des années de mon implication dans le logiciel libre et la culture libre, j’ai développé une autre sorte de sensibilité : lorsque les libertés numériques sont brandies par trop de prophètes d’un coup, c’est qu’il faut aller chercher encore ailleurs le discours qui nous est servi.

Pour exemple de l’effet rhétorique de la révélation, on peut lire cet article du géographe Boris Beaude, paru le 07 avril 2020 dans Libération, intitulé « Avec votre consentement ». L’auteur passe un long moment à faire remarquer au lecteur à quel point nous sommes vendus corps et âmes aux GAFAM et que la pandémie ne fait que révéler notre vulnérabilité :

Lorsque nous acceptons que de telles entreprises collectent les moindres détails de nos existences pour le compte de leurs clients et que nous doutons conjointement des régimes politiques qui nous gouvernent, nous réalisons que les effets de la propagation du Sars-Cov-2 ne sont qu’un révélateur de l’ampleur de notre vulnérabilité.

Il est important de comprendre la logique de ce discours : d’un côté on pose un diagnostic que seul un sage est capable de révéler et de l’autre on élève la pandémie et ses effet délétères au rang des sept plaies d’Égypte, qui sert de porte à une nouvelle perception des choses, en l’occurrence notre vulnérabilité face aux pratiques d’invasion de la vie privée par les GAFAM, et par extension, les pratiques des États qui se dotent des moyens technologiques pour surveiller et contrôler la population. Évidemment, entre la population assujettie et l’État-GAFAM, il y a la posture du prophète, par définition enviable puisqu’il fait partie d’une poignée d’élus livrant un testament aux pauvres pêcheurs que nous sommes. Reste plus qu’à ouvrir la Mer Rouge…

Arrêtons là si vous le voulez bien la comparaison avec la religion. Je l’affirme : non la crise COVID-19 ne révèle rien à propos du capitalisme de surveillance. Elle ne révèle rien en soi et encore moins à travers les prophètes auto-proclamés. Et la première des raisons est que ces derniers arrivent bien tard dans une bataille qui les dépasse.

Pendant la crise sanitaire que nous traversons il ne faut pas se demander ce qu’elle peut révéler mais interroger les discours qui se servent de cette crise pour justifier et mettre en œuvre des pratiques de surveillance et limiter encore davantage nos libertés. Penser les choses en termes de révélation n’a pour autre effet que de limiter toujours plus notre pouvoir d’action : que peut-on à l’encontre d’une révélation ?

D’ailleurs, c’est le moment où jamais de vous intéresser, de partager et de soutenir le travail de nos ami·es de La Quadrature du Net.

Les amis de la Quadrature du Net (comme beaucoup d’autres, heureusement) préfèrent une approche bien plus structurée. Ils affirment par exemple dans un récent communiqué que, au regard de la surveillance, la crise sanitaire Covid-19 est un évènement dont l’ampleur sert d’argument pour une stratégie de surveillance de masse, au même titre que les attentats terroristes. Ceci n’est pas une révélation, ni même une mise en garde. C’est l’exposé des faits, ni plus ni moins. Tout comme dire que notre ministre de l’intérieur C. Castaner a d’abord affirmé que l’État Français n’avait pas pour intention de copier la Corée du Sud et la Chine en matière de traçage de téléphones portables, avant de revenir sur ses propos et affirmer que les services gouvernementaux planchent sur une application censée tracer les chaînes de transmission. Qui s’est offusqué de ce mensonge d’État ? C’est devenu tellement banal. Pire, une telle application permettrait d’informer les utilisateurs s’ils ont « été dans les jours précédents en contact avec quelqu’un identifié positif au SARS-CoV-2 », comme l’affirment les deux ministres Castaner et Véran dans un entretien au Monde. C’est parfait comme technique de surveillance : la Stasi pratiquait déjà ce genre de chose en organisant une surveillance de masse basée sur la suspicion au quotidien.

Le smartphone n’est qu’un support moderne pour de vieilles recettes. Le Covid-19 est devenu un prétexte, tout comme les attentats terroristes, pour adopter ou faire adopter une représentation d’un État puissant (ce qu’il n’est pas) et faire accepter un État autoritaire (ce qu’il est). Cette représentation passe par un solutionnisme technologique, celui prôné par la doctrine de la « start-up nation » chère à notre président Macron, c’est-à-dire chercher à traduire l’absence d’alternative politique, et donc l’immobilisme politique (celui de la rigueur budgétaire prôné depuis 2008 et même avant) en automatisant la décision et la sanction grâce à l’adoption de recettes technologiques dont l’efficacité réside dans le discours et non dans les faits.

Techno-flop

Le solutionnisme technologique, ainsi que le fait remarquer E. Morozov, est une idéologie qui justifie des pratiques de surveillance et d’immenses gains. Non seulement ces pratiques ne réussissent presque jamais à réaliser ce pourquoi elles sont prétendues servir, mais elles sont le support d’une économie d’État qui non seulement dévoie les technologies afin de maîtriser les alternatives sociales, voire la contestation, mais entre aussi dans le jeu financier qui limite volontairement l’appropriation sociale des technologies. Ainsi, par exemple, l’illectronisme des enfants et de leurs enseignants livrés à une Éducation Nationale numériquement sous-dotée, est le fruit d’une volonté politique. Comment pourrait-il en être autrement ? Afin d’assurer la « continuité pédagogique » imposée par leur ministre, les enseignants n’ont eu d’autres choix que de se jeter littéralement sur des services privateurs. Cette débandade est le produit mécanique d’une politique de limitation volontaire de toute initiative libriste au sein de l’Éducation Nationale et qui serait menée par des enseignants pour des enseignants. Car de telles initiatives remettraient immanquablement en question la structure hiérarchique de diffusion et de valorisation des connaissances. Un tel gouvernement ne saurait supporter quelque forme de subsidiarité que ce soit.

La centralisation de la décision et donc de l’information… et donc des procédés de surveillance est un rêve de technocrates et ce rêve est bien vieux. Déjà il fut décrié dès les années 1970 en France (voir la première partie de mon livre, Affaires Privées) où la « dérive française » en matière de « grands fichiers informatisés » fut largement critiquée pour son inefficacité coûteuse. Qu’importe, puisque l’important n’est pas de faire mais de montrer qu’on fait. Ainsi l’application pour smartphone Stop Covid (ou n’importe quel nom qu’on pourra lui donner) peut d’ores et déjà figurer au rang des grands flops informatiques pour ce qui concerne son efficacité dans les objectifs annoncés. Il suffit de lire pour cela le récent cahier blanc de l’ACLU (Union Américaine pour les libertés civiles), une institution fondée en 1920 et qu’on ne saurait taxer de repère de dangereux gauchistes.

Clique sur l’image pour soutenir le travail d’Allan Barte sur son tipeee.

Dans ce livre blanc tout est dit, ou presque sur les attentes d’une application de tracing dont l’objectif, tel qu’il est annoncé par nos ministres (et tel qu’il est mentionné par les pays qui ont déjà mis en œuvre de telles applications comme la Chine ou Israël), serait de déterminer si telle personne a été exposée au virus en fréquentant une autre personne définie comme contagieuse. C’est simple :

  1. Il faut avoir un smartphone avec soi et cette application en fonction : cela paraît basique, mais d’une part tout le monde n’a pas de smartphone, et d’autre part tout le monde n’est pas censé l’avoir sur soi en permanence, surtout si on se contente de se rendre au bureau de tabac ou chez le boulanger…
  2. aucune technologie n’est à ce jour assez fiable pour le faire. Il est impossible de déterminer précisément (c’est-à-dire à moins de deux mètres) si deux personnes sont assez proches pour se contaminer que ce soit avec les données de localisation des tours de téléphonie (triangulation), le GPS (5 à 20 mètres) ou les données Wifi (même croisées avec GPS on n’a guère que les informations sur la localisation de l’émetteur Wifi). Même avec le bluetooth (technologie plébiscitée par le gouvernement Français aux dernières nouvelles) on voit mal comment on pourrait assurer un suivi complet. Ce qui est visé c’est en fait le signalement mutuel. Cependant, insister sur le bluetooth n’est pas innocent. Améliorer le tracing dans cette voie implique un changement dans nos relations sociales : nous ne sommes plus des individus mais des machines qui s’approchent ou s’éloignent mutuellement en fonction d’un système d’alerte et d’un historique. Qui pourra avoir accès à cet historique ? Pourra-t-on être condamné plus tard pour avoir contaminé d’autres personnes ? Nos assurances santé autoriseront-elles la prise en charge des soins s’il est démontré que nous avons fréquenté un groupe à risque ? Un projet européen existe déjà (PEPP-PT), impliquant entre autres l’INRIA, et il serait important de surveiller de très près ce qui sera fait dans ce projet (idem pour ce projet de l’École Polytechnique de Lausanne).
  3. Ajoutons les contraintes environnementales : vous saluez une personne depuis le second étage de votre immeuble et les données de localisation ne prennent pas forcément en compte l’altitude, vous longez un mur, une vitrine, une plaque de plexiglas…

Bref l’UCLA montre aimablement que la tentation solutionniste fait perdre tout bon sens et rappelle un principe simple :

Des projets ambitieux d’enregistrement et d’analyse automatisés de la vie humaine existent partout de nos jours, mais de ces efforts, peu sont fiables car la vie humaine est désordonnée, complexe et pleine d’anomalies.

Les auteurs du rapport écrivent aussi :

Un système de suivi de localisation dans le temps peut être suffisamment précis pour placer une personne à proximité d’une banque, d’un bar, d’une mosquée, d’une clinique ou de tout autre lieu sensible à la protection de la vie privée. Mais le fait est que les bases de données de localisation commerciales sont compilées à des fins publicitaires et autres et ne sont tout simplement pas assez précises pour déterminer de manière fiable qui était en contact étroit avec qui.

En somme tout cela n’est pas sans rappeler un ouvrage dont je conseille la lecture attentive, celui de Cathy O’Neil, Algorithmes: la bombe à retardement (2018). Cet ouvrage montre à quel point la croyance en la toute puissance des algorithmes et autres traitements automatisés d’informations dans le cadre de processus décisionnels et de politiques publiques est la porte ouverte à tous les biais (racisme, inégalités, tri social, etc.). Il n’en faudrait pas beaucoup plus si l’on se souvient des débuts de la crise Covid-19 et la suspicion dans nos rues où les personnes présentant des caractères asiatiques étaient stigmatisées, insultées, voire violentées…

Ajoutons à cela les effets d’annonce des GAFAM et des fournisseurs d’accès (Orange, SFR…) qui communiquaient il y a peu, les uns après les autres, au sujet de la mise à disposition de leurs données de localisation auprès des gouvernements. Une manière de justifier leur utilité sociale. Aucun d’entre eux n’a de données de localisations sur l’ensemble de leurs utilisateurs. Et heureusement. En réalité, les GAFAM tout comme les entreprises moins connues de courtage de données (comme Acxiom), paient pour cela. Elles paient des entreprises, souvent douteuses, pour créer des applications qui implémentent un pompage systématique de données. L’ensemble de ces pratiques crée des jeux de données vendues, traitées, passées à la moulinette. Et si quiconque souhaite obtenir des données fiables permettant de tracer effectivement une proportion acceptable de la population, il lui faut accéder à ces jeux… et c’est une denrée farouchement protégée par leurs détenteurs puisque c’est un gagne-pain.

De la méthode

À l’heure où les efforts devraient se concentrer essentiellement sur les moyens médicaux, les analyses biologiques, les techniques éprouvées en santé publique en épidémiologie (ce qui est fait, heureusement), nous voilà en train de gloser sur la couleur de l’abri à vélo. C’est parce que le solutionnisme est une idéologie confortable qui permet d’évacuer la complexité au profit d’une vision du monde simpliste et inefficace pour laquelle on imagine des technologies extrêmement complexes pour résoudre « les grands problèmes ». Ce n’est pas une révélation, simplement le symptôme de l’impuissance à décider correctement. Surtout cela fait oublier l’impréparation des décideurs, les stratégies budgétaires néfastes, pour livrer une mythologie technologiste à grand renfort de communication officielle.

Et l’arme ultime sera le sondage. Déjà victorieux, nos ministères brandissent une enquête d’opinion du département d’économie de l’Université d’Oxford, menée dans plusieurs pays et qui montre pour la France comme pour les autres pays, une large acceptation quant à l’installation d’une application permettant le tracing, que cette installation soit volontaire ou qu’elle soit imposée[màj. : lisez cette note]. Est-ce étonnant ? Oui, effectivement, alors même que nous traversons une évidente crise de confiance envers le gouvernement, la population est prête à jouer le jeu dangereux d’une surveillance intrusive dont tout laisse supposer que cette surveillance se perpétuera dans le temps, virus ou pas virus. Mais cela ne signifie pas pour autant que la confiance envers les dirigeants soit rétablie. En effet le même sondage signale que les retombées politiques en cas d’imposition d’un tel système sont incertaines. Pour autant, c’est aussi un signal envoyé aux politiques qui vont alors se lancer dans une quête frénétique du consentement, quitte à exagérer l’assentiment pressenti lors de cette enquête. C’est déjà en cours.

Le choix n’équivaut pas à la liberté. Les personnes qui formulent les questions influencent les réponses.

À mon avis, il faut rapprocher le résultat de cette enquête d’une autre enquête récente portant le plébiscite de l’autoritarisme en France. C’est une enquête du CEVIPOF parue en mars 2020 qui montre « l’emprise du libéralisme autoritaire en France », c’est-à-dire que le manque de confiance dans l’efficacité du gouvernement ne cherche pas son remède dans une éventuelle augmentation des initiatives démocratiques, voire alternativistes, mais dans le refuge vers des valeurs de droite et d’extrême droite sacrifiant la démocratie à l’efficacité. Et ce qui est intéressant, c’est que ceux qui se vantaient d’apporter plus de société civile à la République sont aussi ceux qui sont prêts à dévoyer la démocratie. Mais qu’on y prenne garde, ce n’est pas vraiment une affaire de classe sociale, puisque cette orientation autoritaire est aussi valable dans les tranches basses et moyennes. On rejoint un peu les propos d’Emmanuel Todd dans la première partie de son ouvrage Les Luttes de classes en France au XXIe siècle, données sérieuses à l’appui (y compris celles de l’Insee).

Alors quoi ? les Français sont-ils définitivement des veaux heureux d’aller à l’abattoir ? Honnêtement, parfois on peut le penser. Mais pas là. Non. L’enquête d’opinion d’Oxford a été menée dans un climat général extrêmement angoissant, et inédit. Pour retrouver un tel degré de panique dans la population, il faudrait par exemple se souvenir de la crise des missiles cubains et de la manière dont elle a été mise en scène dans les médias américains. Même l’épisode Tchernobyl en France n’a pas eu cet impact (ok, on a largement minimisé le problème). Et là dedans, avec un gouvernement à la fois empêtré et sidéré (avec la chargée de comm’ S. Ndiaye alignant ad nauseam sottises et âneries), on fait un sondage dont les tenants et aboutissants techniques sont loin d’être évidents et qui pose la question : êtes-vous prêt à installer une application de tracing sur votre mobile qui permettrait de lutter contre l’épidémie ? Sérieux, on attend quoi comme réponse ? Sur plusieurs pays qui ont connu les mêmes valses-hésitations politiques, le fait que les réponses soient à peu près les mêmes devrait mettre la puce à l’oreille, non ? Bien sûr, allez demandez ce qu’elles pensent de la vidéosurveillance à des personnes qui se sont fait agresser dans la rue, pensez-vous que nous aurions les mêmes réponses si le panel était plus large ? Ce que je veux dire, c’est que le panel des 1.000 personnes interrogées en pleine crise sanitaire n’est représentatif que de la population touchée par la crise sanitaire, c’est-à-dire un panel absolument homogène. Évidemment que les tendances politiques ne viennent donc qu’en second plan et ne jouent qu’un rôle négligeable dans les réponses données.

Je ne suis pas statisticien, je ne peux donner mon sentiment qu’avec mes mots à moi. Mais, n’est-ce pas, nous sommes déjà habitués au techniques d’extorsion (fabrique ?) de consentement. À celui-ci s’ajoute une certaine pauvreté dans la manière d’appréhender cette fuite en avant vers la surveillance. Avec l’expression « Big Brother », on a l’impression d’avoir tout dit. Mais c’est faux. On ne passe pas si facilement d’un libéralisme autoritaire à une dystopie orwellienne, il y a des étapes, et à chaque étape nous prenons une direction. Scander « Big Brother » (comme la récente Une de l’Obs le 02 avril 2020 « Big Brother peut-il nous sauver ? »), c’est un peu comme si on cherchait à donner une théorie sans d’abord la démontrer. « Big Brother » impose une grille de lecture des événements tout en prédisant déjà la fin. Ce n’est pas une bonne méthode.

Y-a-t’il une bonne méthode ? Étudier la surveillance, c’est d’abord faire appel à un ensemble de concepts que l’on met à l’épreuve. Il faut signaler sur ce point l’excellent édito de Martin French et Torin Monahan dans le dernier numéro de la revue canadienne Surveillance & Society, intitulé « Dis-ease Surveillance: How Might Surveillance Studies Address COVID-19? ». C’est tout un programme de recherche qui est développé ici, à titre prospectif. La première chose que s’empressent de signaler les auteurs, c’est que surveiller le Covid-19, ce n’est pas surveiller la population. Ce sont deux choses bien différentes que les politiques feraient mieux de ne pas perdre de vue. Surveiller le Covid-19 c’est faire de l’épidémiologie, et identifier des cas (suspects, déclarés, etc.). Et là où on peut s’interroger, c’est sur la complexité des situations qu’une approche scientifique réduit à des éléments plus simples et pertinents. Si, pour les besoins d’une étude, il faut faire un tri social, il importe de savoir ce que l’étude révélera finalement : y-a-t’il plus de patients Covid-19 dans les couches pauvres de la population ? Comment l’information sur la surveillance circule et est reçue par les populations ? Et plus généralement qu’est-ce que la surveillance des populations en situation de pandémie, quelles sont les contraintes éthiques, comment les respecter ?

Ensuite vient tout un ensemble de concepts et notions qu’il faut interroger au regard des comportements, des groupes de pression, des classes sociales et tous autres facteurs sociaux. Par exemple la vigilance : est-elle encouragée au risque de la délation, est-elle définie par les autorités comme une vigilance face à la maladie et donc une forme d’auto-surveillance ? Il en est de même au sujet de l’anticipation, la stigmatisation, la marginalisation, la prévention, la victimisation, l’exclusion, la confiance, autant d’idées qui permettent de définir ce qu’est la surveillance en situation de pandémie.

Puis vient la question des conséquences de la surveillance en situation de pandémie. Là on peut se référer à la littérature existante à propos d’autres pandémies. Je ne résiste pas à citer les auteurs :

L’écologie informationnelle contemporaine se caractérise par une forme de postmodernisme populiste où la confiance dans les institutions est érodée, ne laissant aucun mécanisme convenu pour statuer sur les demandes de vérité. Dans un tel espace, la peur et la xénophobie remplissent facilement le vide laissé par l’autorité institutionnelle. En attendant, si les gens ont perdu confiance dans l’autorité institutionnelle, cela ne les protégera pas de la colère des institutions si l’on pense qu’ils ont négligemment contribué à la propagation de COVID-19. Déjà, des poursuites pénales sont en cours contre la secte chrétienne qui a contribué à l’épidémie en Corée du Sud, et les autorités canadiennes affirment qu’elles n’excluent pas des sanctions pénales pour « propagation délibérée de COVID-19 ». Comme nous l’avons vu en ce qui concerne le VIH, la réponse de la justice pénale a connu un regain d’intérêt au cours de la dernière décennie, ce qui laisse entrevoir la montée d’une approche de plus en plus punitive des maladies infectieuses. Dans le cas du VIH, cette évolution s’est produite sans qu’il soit prouvé qu’une réponse de la justice pénale contribue à la prévention du VIH. À la lumière de ces développements, les chercheurs devraient s’attendre — et s’interroger sur les implications des flux de données sanitaires dans les systèmes de justice pénale.

Effectivement, dans un monde où le droit a perdu sa fonction anthropologique et où l’automatisation de la justice répond à l’automatisation de nos vies (leur gafamisation et leur réduction à des données numériques absconses) on peut se demander si l’autoritarisme libéral ne cherchera pas à passer justement par le droit, la sanction (la punition) pour affirmer son efficacité, c’est-à-dire se concentrer sur les effets au détriment de la cause. Qu’importe si l’application pour smartphone Covid-19 dit le vrai ou pas, elle ne saurait être remise en cause parce que, de manière statistique, elle donne une représentation de la réalité que l’on doit accepter comme fidèle. Ce serait sans doute l’une des plus grandes leçons de cette épidémie : la consécration du capitalisme de surveillance comme la seule voie possible. Cela, ce n’est pas une prophétie, ce n’est pas une révélation, c’est le modèle dans lequel nous vivons et contre lequel nous ne cessons de résister (même inconsciemment).


Crédit image d’en-tête : Le Triomphe de la Mort, Pieter Brueghel l’Ancien (1562) — Wikipédia.


  • Màj. 13/04/2020 — en fait on dit tracing.
  • Màj. 13/04/2020 — Un sondage réalisé à une semaine d’intervalle dément complètement les résultats de celui de l’université d’Oxford. Il a été réalisé sur la population française par l’IFOP suite à une demande de la Fondation Jean-Jaurès. Il apparaît qu’une majorité de français est en fait opposée à une application de type Stop-Covid. Voir Maxime des Gayets, « Tracking et Covid : extension du domaine de l’absurde », Fondation Jean-Jaurès, 12/04/2020 [retour]



Il n’y a pas de solution, il n’y a que nous

Pouhiou nous partage ici une expérience toute personnelle qui nous fait voir le solutionnisme technologique et les applications de pistage volontaire comme autant de poudres de perlimpinpin.

L’accès à l’ensemble de nos articles « framaconfinement » : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

J’ai un aveu à faire

J’ai été magicien. Pas un illusionniste, hein : j’ai été sorcier, un vrai.

J’ai passé quelques années de ma vie dans une troupe de théâtre aux pratiques sectaires où nous avons spiralé dans une illusion de groupe : encens, cristaux, tarots, rituels, animaux totems, esprits-compagnons et âmes en peine à « faire monter », bougies protectrices, anges, énergies… Ça parait choupi-new-age comme ça, mais c’était psychologiquement et émotionnellement intense.

C’est pas facile, pour moi, de ressortir ces vieux souvenirs du placard. Si je le fais aujourd’hui, c’est pour dire à quel point je suis capable de comprendre une personne qui veut croire à la solution magique. L’abracadabra : le pouvoir de créer d’après ses paroles. Cette notion très Disneyienne que « si j’y crois trrrrrrrrès fort, avec toute la fôrce de mon cœur, ça arrivera. »

Pochette de la bande originale du dessin animé Tarzan de Disney
« Tu as le courage d’être fort / Et la sagesse d’être sage. »
Best. Paroles de Disney. Ever

Je connais intimement cette envie impérieuse, en moi, de trouver une solution magique, un deus ex machina, une intervention miraculeuse qui fait que le monde ne sera plus une bataille permanente. Je la connais tellement que je la reconnais dès que je la vois apparaître dans mes communautés et mes écrans.

L’état de guerre dans nos têtes

Pourtant je suis quelqu’un d’intelligent : je le sais, j’ai même des papiers qui le prouvent :p !

Justement, avoir un cerveau qui turbine comme le mien, c’est la garantie d’être encore plus sensible aux manipulations, de foncer encore plus vite dans le mur. La première étape pour retourner mon intelligence contre moi-même est de mettre mon cerveau sur la défensive.

Par exemple, dans ma troupe de théâtre, la croyance que nous étions constamment en état de siège ou de guerre face à une attaque magico-énergétique d’un groupe extérieur (il y avait toujours les « méchants du moment » désignés par ma prof’ de théâtre) faisait que j’ai eu le bide tordu d’angoisse, que j’ai vécu des années avec un cierge allumé en permanence dans mon studio estudiantin, ou que j’ai loupé des cours en fac le matin car je passais une partie de la nuit à faire des rituels magiques.

Extrait du générique d'une série TV, The Magicians, les magiciens
En fiction, c’est génial : vas-y, bingewatche.
À vivre, je recommande pas. Nul. Caca. Zéro étoiles.

Avec le recul, tout cela n’était « que du vrai dans la tête » : cela m’a prouvé que le vrai-dans-la-tête a des conséquences bien vraies-dans-la-vie. Mon esprit en état de guerre et d’auto-défense, persuadé de l’utilité de rituels et autres croyances magiques, a eu une influence tout à fait matérielle sur mon corps, sur mon comportement, sur mes actions et mes relations.

Pas de guerre = pas d’armes de guerre

Cela m’a surpris de voir ces souvenirs enfouis ressortir du placard de ma mémoire. Voir le président de ma république nous répéter que « nous sommes en guerre » comme une incantation, pour implanter ce vrai dans nos têtes, cela m’a fait penser aux manipulations que j’ai subies à cette époque.

Détournement d'une allocution du président remplacé par Miaousse, un Pokémon
Dites-le avec des pokémon.
(détournement trouvé sur le twitter de @franckb22)

Les flics qui contrôlent nos intimités, les drones de surveillance bien en vue dans les JT, la tentation du tracking sur les smartphones des infecté·es… Cela ne m’évoque rien d’autre que les encens, bougies et prières auxquelles nous nous accrochions comme seule solution à cet état de guerre, qui n’existait que dans nos têtes, mais qui existait bel et bien dans nos têtes.

Si nous n’étions pas en guerre, alors nous aurions dû affronter que la vie est injuste, qu’on y tombe malade, qu’on y vieillit, qu’on y meurt #FuckingConditionHumaine. Qu’on hérite d’une éducation, d’une histoire, d’une culture, de structures qui nous dépassent #FuckingConditionSociale. Et que pour se démerder face à tout cela, il n’y a pas de baguette magique, pas de solution miracle. #Fuck

Chercher un raccourci clavier, un cheat code

Je la connais bien, cette envie en moi d’être celui qui a trouvé la warp zone. D’être le petit malin qui a trouvé le passage secret, l’astuce magique, le truc qui évite tellement d’efforts que c’est triché, que « LeS SCieNTiFiQueS Le DéTeSTeNT !!!! ». Cette envie, c’est la faille de mon esprit où peuvent s’engouffrer toutes les arnaques.

La solution miracle, la formule magique, le cheat code, c’est mon dernier rempart avant l’inéluctable : la destruction du monde. Enfin, avant la destruction de mon monde, du monde tel que je le vois, tel que je voudrais qu’il soit.

Car le monde m’emmerde… Il est comme il est, un point c’est tout : c’est rageant !

Or les accidents de la vie (genre : une pandémie) viennent remettre en question l’image que je me fais du monde. Ils me collent le nez dans le caca de mes illusions, et ne me laissent que deux choix : soit accepter de composer avec le monde tel qu’il est, soit inventer une solution magique pour préserver mes illusions.

Animation : une personne fait un geste magique et des paillettes jaillissent entre ses doigts
Pouhiou, 20 ans (allégorie)

La technologie n’est pas la solution

Je ne suis pas le seul. Nous voulons croire aux régimes miracles et crèmes amaigrissantes car autrement il faudrait étudier comment fonctionnent nos corps, et accepter l’effort d’en prendre soin comme ils sont, pas comme on voudrait qu’ils soient. Nous voulons croire au pouvoir de la prière ou de la positivité car autrement il faudrait prendre soin des autres, faire l’effort de les écouter comme iels sont.

Nous voulons croire aux drones-espions-délateurs pilotés par les gendarmes. Car autrement, il faudrait considérer que #LesGens sont des êtres complexes et intelligents qui ne se laissent pas manipuler bien longtemps par la peur et la menace. Il faudrait faire l’effort d’une police de proximité, par exemple, et donc détruire cette vision du monde où la convivialité, où éduquer au civisme, « ce n’est pas le rôle de la police [YouTube] ».

Nous voulons croire aux applications de tracking pistage volontaire. Car autrement, il faudrait faire l’effort de cesser toute activité non essentielle le temps que les dépistages, équipements de protection puis vaccins soient disponibles. Mais pour cela, il faudrait à la fois faire le deuil d’un capitalisme qui a besoin que certains hamsters fassent tourner la roue, ainsi que faire le deuil d’un gouvernement efficace, qui aurait anticipé et qui serait organisé.

Couverture d'une pièce de Théâtre, « Tocante, un cadeau empoisonné », une comédie de Pouhiou
Je me permets de vous recommander la lecture de cette comédie sur le deuil, la mort et le suicide d’un auteur comique que j’aime beaucoup.

Le logiciel libre n’est pas la solution

Faire le deuil de ses illusions, c’est pas facile. Il faut passer l’état de choc et les moments de déni (non mais c’est rien qu’une grippette). Souvent ensuite vient la colère (À QUI C’EST LA PUTAIN DE FAUTE ???), et comme le dit Mémé Ciredutemps : « La colère est une chose précieuse : il faut la mettre en bouteille, pour la ressortir dans les grandes occasions. »

C’est alors qu’arrive le temps des marchandages, le moment où on crie au monde : non mais si j’ai une solution magique, est-ce que je peux pas garder mes illusions ? Juste encore un peu ?

Si on utilise pas Google Classrooms, mais rien que des logiciels libres, on peut faire cours comme si personne n’était traumatisé la continuité pédagogique ?

J’aimerais pouvoir dire que la solution, c’est le logiciel libre. Qu’une application de pistage ne nous fera pas entrer dans la servitude volontaire et la panoptique si elle est sous licence libre. Que des drones libres empêcheraient magiquement les abus de pouvoir et violences policières. Que les communautés du logiciel libre peuvent miraculeusement accueillir les besoins numériques du service public de l’Éducation Nationale.

Mais ce serait du bullshit, de la poudre de perlimpinpin. Ce serait odieusement profiter d’une crise pour imposer mes idées, mes idéaux.

Des personnes en costume de soirée à un cocktail s'esclaffent : « Et ils ont cru qu'un virus allait détruire le capitalisme ! »

À qui profite la solution

Derrière l’élixir magique qui fait repousser les cheveux de la #TeamChauves, il y a le charlatan. Si la plupart de nos mairies ont dilapidé nos impôts dans des caméras de vidéosurveillance dont l’inefficacité a été montrée, c’est parce qu’il y a des entreprises qui font croire à cette solution magique pour vampiriser de juteux marchés publics.

Je laisse les personnes que ça excite le soin d’aller fouiller les papiers et nous dire quels sont les charlatans qui profitent le plus des solutions miracles de la crise actuelle (du « remède magique » à « l’appli de tracking si cool et citoyenne » en passant par les « drones conviviaux des gentils gendarmes »), je ne vais pas pointer des doigts ici.

Dessin satirique d'une personne tenue en laisse par un œil et qui s'écrie « Enfin libre ! » width=

Ce que je pointe du doigt, c’est la faille dans nos esprits. Car cette faille risque de se faire exploiter. Ceux qui ont trouvé la solution magique, celles qui ont la certitude d’avoir LA réponse, ces personnes sont dangereuses car (sciemment ou non) elles exploitent une faille dans nos esprits.

Dans le milieu logiciel, après avoir signalé une faille, il faut trouver un patch, un correctif pour la colmater. Je ne suis pas sûr de moi, mais je crois qu’il faut observer nos envies de croire en une solution magique, et ce qu’elles cachent. Regardons en face ce à quoi il faudra renoncer, les efforts qu’il faudra faire, le soin qu’il faudra prendre, les changements qu’il faudra accepter.

Dessin d'un goéland attaquant un drone — lien vers la Quadrature du Net
D’ailleurs, c’est le moment où jamais de vous intéresser, de partager et de soutenir le travail de nos ami·es de La Quadrature du Net.

Il n’y a pas de solution

Qu’est-ce qu’on fait ? Comment on fait ?

J’ai beau être un sorcier repenti, je suis aussi perdu que quiconque face à cette question (ou alors, si je concluais sur une solution miracle, je ferais la une de Tartuffe Magazine !). Je vais donc me concentrer sur un domaine qui occupe mon plein temps depuis des années : le numérique.

Sérieusement : je me fous que le logiciel soit libre si la société ne l’est pas.

Or, d’après mon expérience, créer des outils numériques conviviaux, émancipateurs… bref éthiques, c’est pas « juste coller une licence libre sur du code ». La licence libre est une condition essentielle ET insuffisante.

Il faut aussi faire l’effort de penser aux personnes dans leur diversité (inclusion), leur intimité (protection), leurs caractéristiques (accessibilité), leurs usages (ergonomie), leur poésie (présentation), leurs pratiques (accompagnement)…

Dessin de gens qui s'entraident — lien vers Contributopia
Toute ressemblance avec notre feuille de route Contributopia est parfaitement volontaire.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

C’est là qu’on voit que, comme toute création de l’esprit, le code n’est qu’un prétexte. Ce qui compte, c’est l’humain. Il faut faire l’effort d’apprendre et d’écouter des humain·es, et de s’écouter soi (humain·e) pour pouvoir se remettre en question, et avancer pas à pas.

La loi des poules sans tête

Je me suis extrait, progressivement, du monde des fariboles magiques. Le plus gros deuil que j’ai dû faire en perdant ces illusions, ça a été celui des « Non mais ça, les responsables s’en occupent. », « Non mais les haut-placés font de leur mieux. », « Non mais les gouvernantes veulent notre bien. ». Toutes ces croyances me confortaient, me réconfortaient. RIP ma tranquillité d’esprit, j’ai dû faire face à cette vérité qui pour l’instant ne s’est pas démentie :

Personne ne sait ce qu’il faut faire, tout le monde improvise, nous courons dans la vie comme des poules décapitées.

La loi des poules sans têtes ne s’est pour l’instant pas démentie, dans mon vécu. La bonne nouvelle, c’est qu’elle implique des corollaires assez enthousiasmants, qui ont changé ma vie :

  • Si j’arrête de croire qu’une autre personne s’en chargera, je peux influer sur le petit bout de monde qui se trouve devant moi ;
  • Si je prends la charge d’un sujet, je sais combien c’est énergivore, et j’ai plus de compassion avec les personnes qui ont pris à leur charge d’autres sujets, même quand elles font pas comme je voudrais ;
  • Si je trouve les personnes avec qui je suis à l’aise pour faire des trucs, on peut agrandir l’horizon du bout de monde qu’on est capable de changer ;
  • Si on veut pas de hiérarchie, il faut trouver comment s’écouter les unes les uns les autres, afin de mieux s’entendre ;
  • S’il n’y a pas de personne au-dessus, tout le monde peut résoudre les problèmes que nous vivons ;
  • Si on écoute les vécus, expériences, connaissances et pratiques qui sont partagées autour de nous, on peut expérimenter et faire mûrir des solutions qui font du bien.

Extrait du film « Chicken Run » où des poules organisent une évasion
Quand les poules ont la tête sur les épaules…

Plot twist : la magie était dans nos mains depuis le début

Le plus gros secret que j’ai appris en cessant d’être sorcier, c’est que la magie existe. Annoncer ce que l’on souhaite faire, comment on veut le faire, et l’aide dont on a besoin pour y arriver nous a plutôt bien aidé à concrétiser nos actions, chez Framasoft. Le fait de transformer les paroles en actions concrètes est possible : j’appelle ça de la communication.

En vrai, il s’agit d’abord d’écouter soi, son groupe, son entourage, son monde… puis d’exprimer le chemin qu’on aimerait y tracer, ce que l’on souhaite y faire. Écouter puis exprimer. Dans l’incertitude et la remise en question. La partie magique, c’est que les gens sont gentils. Si tu leur donnes des raisons de te connaître, de te faire confiance, iels vont t’apporter l’aide dont tu as besoin pour tes actions, et parfois plus.

Les gens sont gentils, et les connards en abusent. L’avantage de m’être déjà fait manipuler par des gourous, c’est que je repère les pseudo mages noirs de pacotille à des kilomètres. Celles qui s’expriment et n’écoutent rien ni personne, même pas la énième consultation publique mise en place. Ceux qui sont obligés de rajouter des paillettes à leurs effets, qui font clignoter de la tracking, parce qu’il leur manque un ingrédient essentiel à la magie : notre confiance.

Photo de Pyg qui présente la « disruption » en plagiant la communication d'entreprise
Une description du collectif CHATONS en bullshit langage : nous aussi on pourrait. C’est juste qu’on veut pas.

Il n’y a pas de solution, il n’y a que nous

Si j’applique mon expérience à un « où on va » plus général, mon intuition me dit que la direction à prendre est, en gros, celle où on se fait chier.

Celle où on se bouge le derche pour combattre, éduquer ou faire malgré ces poules sans tête qui se prennent pour des coqs.

Celle où on se casse le cul à écouter le monde autour de nous et celui à l’intérieur de nous pour trouver ce que nous pouvons prendre à notre charge, ici et maintenant.

Celle où on s’emmerde à essayer de faire attention à tous les détails, à toutes les personnes, tout en sachant très bien qu’on n’y arrivera pas, pas parfaitement.

Celle où il n’y a pas de raccourci, pas de solution magique, juste nos petits culs, fiers et plein d’entrain.

À mes yeux la route à choisir est celle qui parait la plus longue et complexe, parce que c’est la voie la plus humaine. C’est pas une solution, hein : c’est une route. On va trébucher, on va se paumer et on va fatiguer. Mais avec un peu de jugeote, on peut cheminer en bonne compagnie, réaliser bien plus et aller un peu plus loin que les ignares qui se prennent pour des puissants.

On se retrouve sur le sentier ?

Promis : la voie est Libre !

Pour Esméralda Ciredutemps
– prends bien soin de toi.




Prendre de la hauteur

Aujourd’hui, nous vous proposons une petite (hum) analyse à chaud du processus de maturation des stratégies de Framasoft. Forcément incomplète et bancale, pyg essaie d’y dessiner — à partir du contexte actuel et des actions menées en réaction au confinement — le périmètre des actions à venir.

L’accès à l’ensemble de nos articles « framaconfinement » : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Il y a quelques jours, notre collaboratrice et amie Marie-Cécile Godwin Paccard demandait à quelques personnes quelles étaient les lectures qui selon elles, éclairaient le mieux le moment présent (et, en creux, ceux qui allaient venir).

J’ai failli lui répondre « La stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre » de Naomi Klein, un livre qui reste toujours d’une grande actualité pour comprendre comment quelques personnes influentes avaient pu – et continuent à – influer le cours de l’histoire en utilisant la psychologie des foules, la peur et les états de sidération pour faire mettre en applications des doctrines néolibérales qui accentuent les inégalités.

Mais cela me paraissait un peu trop dense, et surtout pas forcément en connexion directe avec les moments inédits que nous traversons en ce moment et les solutions à y apporter.

J’ai donc proposé l’article du Financial Times « Le monde après le coronavirus » du professeur d’histoire Yuval Noah Harari. Une version traduite automatiquement par Deepl s’est retrouvée plus ou moins par hasard en ligne ici, et le magazine Usbek et Rica en a aussi fait une analyse.

Bien que je sois loin d’être un grand fan d’Harari, je lui reconnais volontiers le talent de mettre en perspective les situations, afin d’entrouvrir des portes d’avenirs possibles.

Dans ce texte, dont je ne partage pas l’ensemble de l’analyse, la phrase qui m’a le plus marqué est celle-ci « En cette période de crise, nous sommes confrontés à deux choix particulièrement importants. Le premier est entre la surveillance totalitaire et la responsabilisation des citoyens. Le second est entre l’isolement nationaliste et la solidarité mondiale ».

Il est encore un peu tôt pour en tirer des conclusions, mais force est de constater que le numérique est lui aussi infecté par un virus : celui de la surveillance et de l’autocontrôle. Les voisins qui se dénoncent, la Pologne qui demande aux personnes contaminées d’envoyer régulièrement des preuves photographiques de leur confinement, la Hongrie qui bascule silencieusement en dictature, les applications censées vous prévenir si une personne malade est proche de vous (spoiler : ça marche très mal, même BFMTV le dit, et heureusement), la police qui envoie des drones surveiller le confinement, les startups qui proposent d’utiliser la reconnaissance faciale, etc.
Les exemples se comptent par dizaines chaque semaine. La (formidable) équipe d’e-traces permet de faire une veille via leur (moins formidable) site web. Et ça n’est pas rassurant. Du tout.

« Ainsi s’éteint la liberté. Sous une pluie d’applaudissements. » © Film (trop) célèbre

 

Les raisons de cette surveillance sont nombreuses, et l’une des plus probables fait probablement jouer ce bon vieux « putain de facteur humain » : les dirigeants gouvernementaux ont lâché l’affaire, et ne se voient plus que comme des « managers » de leur pays et de leurs concitoyens. Et de leur point de vue, pour manager, il faut contrôler.

Pris au dépourvu, et pas dupes du fait qu’il leur sera demandé des comptes dans quelques semaines ou mois, ils sont probablement pris de panique à l’idée d’être jugés pour leur inaction ou leur mauvaise gestion de la crise (et oui, « Gouverner, c’est prévoir ». #onnoublierapas. On ne pardonnera pas.). Après avoir fait l’autruche les premiers jours en demandant au peuple de continuer à travailler comme si ce n’était qu’une mauvaise grippe, ces « personnes en responsabilité », notamment politiques, ont fait ce qu’elles font le mieux : agiter les bras, donner de la voix, brasser de l’air, et faire quelques annonces tonitruantes, le tout en laissant les acteurs de terrain prendre des décisions dans l’urgence pour éviter qu’il n’y ait trop de casse. Cela a rassuré, un temps. Mais la crise étant amenée à durer, voire à se reproduire, ces personnes sont aussi conscientes que cela ne fera pas illusion longtemps.

Emmanuel Macron quand il aura compris qu’on a pris au premier degré son « Qu’ils viennent me chercher ! » — Allégorie

 

Il leur faut soi-disant combattre un « ennemi » invisible (spoiler : un virus n’a pas d’intention belliqueuse, il fait sa vie de virus, point barre), microscopique, qui est pourtant aujourd’hui capable de mettre un coup d’arrêt à la sacro-sainte croissance des plus grandes économies mondiales. Se sentant sans doute un peu morveuses (ben oui, la réduction de nombre de lits d’hôpitaux, la précarité de celles et ceux qui sont aujourd’hui « au front », c’est bien eux qui l’ont organisée), elles doivent trouver un bouc-émissaire. Et quel meilleur bouc-émissaire que l’individu ? Celui qui ne respecte pas la loi, pas le confinement, pas le lavage des mains, pas les applaudissements quotidiens certes nécessaires et qui procurent un sentiment d’utilité, mais qui détournent notre attention d’une vigilance et d’une critique collective. Celui qui oserait dire : « Il y a eu du retard dans les mesures de confinement. ». C’est lui, celui qui refuse de prendre les armes pour mener une guerre qui n’en est pas une, qui pourra être incriminé par la suite, masquant d’autant plus facilement les atermoiements, et – disons-le – les erreurs bien plus importantes commises par d’autres.

« Il y aura dès la prochaine génération une méthode pharmaceutique pour faire aimer aux gens leur propre servitude, et créer une dictature sans larmes, pour ainsi dire, en réalisant des camps de concentration sans douleur pour des sociétés entières, de sorte que les gens se verront privés de leurs libertés, mais en ressentiront plutôt du plaisir ». – Aldous Huxley, notamment auteur du « Meilleur des mondes »

 

Surveiller et punir, ça n’est pas très disruptif

Mais pour cela, ces responsables vont avoir besoin d’une alliée : la technologie.
En mettant en place ici une plateforme, là des outils de surveillance, ils pourront toujours dire « Regardez, nous avons agi. Et nos actions démontrent que grâce à nous, … [inventez la fin de la phrase : « La réserve citoyenne a pu aider les agriculteurs en sous nombre », « nous avons pu éviter que de mauvais citoyens contaminent des innocents », etc.] ». Décidément, surveiller et punir, ça n’est pas très disruptif.

Là où se situe, peut-être, la nouveauté, c’est dans la massification, l’hypertechnologisation et l’hypercentralisation de ces mécanismes de surveillance. L’État peut dès demain contraindre les opérateurs téléphoniques à fournir les données de géolocalisation de votre téléphone [edit: zut, le temps d’écrire cet article, et il semblerait qu’Orange le fasse déjà], afin de savoir qui vous avez croisé, à quelle heure, etc. Entre les mains de scientifiques, ces données pourraient être qualifiées de « données d’intérêt général ». Entre les mains de politiques fuyant leurs responsabilités et cherchant des boucs émissaires à sacrifier en place médiatique, elles composent une dystopie totalitaire.
Il sera alors simplissime de basculer d’une société de surveillance à une société de contrôle, ce qui est le rêve humide de pas mal de dirigeants politiques.

À partir de là, tout ce qui n’est pas sous contrôle — qu’il s’agisse d’un logiciel libre diffusant une information non contrôlée, ou d’un pays voisin qui ne serait pas parfaitement aligné avec leurs valeurs et leurs idées — deviendrait alors au mieux subversif, au pire ennemi. C’est en tout cas l’un des risques soulevé dans le texte d’Harari.

Alors évidemment, puisque « nous sommes en guerre » (non), tous les moyens seront permis, « quoi qu’il en coûte » (non plus).

Le positionnement des GAFAM & compagnie

Cette pandémie pose aussi la question de la place des plateformes comme soutien à la « continuité » qu’elle soit pédagogique, informationnelle, sociale (ah, les « CoronApéros » sur Whatsapp…) ou économique et organisationnelle.

Et là, plus que jamais, nous devons être vigilant⋅e⋅s et conscient⋅e⋅s du pouvoir que nous sommes en train de donner à quelques entreprises. Certes l’État fut défaillant. Il l’est encore. Mais Whatsapp, Facebook, Google Docs, ou les lives Youtube ont permis à nombre d’entre nous de rester connectés avec nos élèves, nos collègues, nos ami⋅e⋅s, nos familles.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître pour le directeur d’une association d’éducation populaire qui, depuis des années, alerte sur la toxicité du modèle économique des GAFAM, je leur suis reconnaissant.
Bon, je n’irai tout de même pas jusqu’à leur envoyer des cookies, mais je reconnais le rôle positif qu’elles ont eu dans un moment de panique mondiale qui aurait pu dégénérer.
En nous permettant de rester en lien, de se rassurer les un⋅e⋅s les autres, de partager de l’information, de réfléchir ou d’agir ensemble, ces plateformes ont – peut être – participé à éviter des situations « pires » que celles que nous avons vécues.

À Framasoft, nous essayons, autant que possible, de ne pas porter de jugement sur les pratiques ou les usages numériques, mais plutôt de donner des clés de compréhension et des moyens d’action. Afin que chacun⋅e puisse faire son choix en toute connaissance de cause, librement.
Ces dernières semaines, nous avons donc vu des flots de personnes se ruant sur Zoom, Discord, Google Docs, etc. Et nous nous sommes bien retenus de leur faire la morale, car la situation nous semble déjà suffisamment complexe comme cela.

Mais si notre rôle est de partager des grilles de lecture, alors j’aimerais partager les suivantes avec vous.

1. Un périmètre de surveillance accrue

La première, c’est celle de la capacité de surveillance accrue des plateformes. Tout un pan des interactions sociales qui leur échappait jusqu’à présent leur est aujourd’hui révélé. Whatsapp (qui appartient à Facebook), sait avec qui vous prenez l’apéro. Discord sait qui sont vos élèves. Netflix a pu affiner sa connaissance de vos goûts en termes de séries. Microsoft Teams connait les projets sur lesquels vous travaillez.
Bref, la taille du graphe social vient, en quelques jours, d’augmenter d’une taille significative.

« Et alors ? Leurs outils fonctionnent, et je n’ai rien à cacher. ». Bon, d’abord c’est faux : tout le monde a quelque chose à cacher, quand bien même il ne s’agirait pas de choses illégales. Ensuite, un grand nombre de ces entreprises opère un « capitalisme de surveillance » c’est-à-dire un processus qui transforme nos comportements présents en prédictions monnayées de nos comportements futurs .

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Tout agent économique rationnel devrait donc, à minima, se poser la question suivante : « Comment des entreprises comme Google, Facebook ou Zoom, arrivent-elles à se financer ? Qui paie ? ». La réponse « Par la publicité » est beaucoup trop partielle par rapport à la réalité. Ces entreprises sont en fait des structures d’orientation de nos comportements. Donc des structures de contraintes, et non émancipatrices. C’est ce que l’un des administrateurs de Framasoft, Christophe Masutti, expose dans son livre « Affaires privées — Aux sources du capitalisme de surveillance », en montrant que les choix qui ont abouti à ce capitalisme de surveillance ont été depuis longtemps motivés par la construction d’une économie prédatrice (de nos vies privées et de nos identités) et prescriptive (l’obligation de conformer nos comportements au marché).

Accroître nos usages sur ces plateformes, c’est donc augmenter le pouvoir qu’elles ont – et qu’elles auront – sur nous.

2. Substitution à l’État

La seconde grille de lecture, c’est celle de la substitution aux États, aux services publics, aux autorités administratives.

Il n’aura échappé à personne que nos représentants et élus nationaux, qui vivaient déjà une crise de confiance, sont aujourd’hui pointés du doigt pour leur gestion approximative de la crise. Dans ce cadre-là, il ne parait pas absurde de supposer que les organisations et les individus se retournent vers « ce qui marche, même quand le monde est à l’arrêt ». Et sur ce plan, nul doute que la confiance dans les plateformes vient de gagner pas mal de points. Tout agent politique rationnel aura donc intérêt à s’adosser aux plateformes, afin de profiter de l’effet de confiance qu’elles auront accumulé.
Leur utilité à la vie publique, économique et sociale était déjà importante, elle est devenue aujourd’hui centrale et essentielle.
L’importance des GAFAM est devenue à ce point critique qu’il devient assez simple de comprendre que celui qui les contrôlera contrôlera le monde.
Si l’on regarde l’autre face de cette pièce, on peut déduire qu’au vu de l’accroissement de la puissance de ces plateformes, on constate un affaiblissement du pouvoir des États et des institutions qui les composent.

On va donc probablement voir dans les prochaines semaines/mois une tension entre deux courants.

D’un côté, la poursuite de la « plateformisation » de nos vies (et pas seulement de l’État). En période de confinement, obtenir un créneau de livraison – qu’il s’agisse d’une paire de chaussettes via Amazon ou d’un plat Thaï par Uber Eats – devient une gageure. D’autant plus que derrière le bouton « Commander », c’est bien un être humain qui doit conduire ou pédaler dans des rues désertées pour vous livrer, parfois au risque de sa vie.
D’un autre côté, il y aura probablement pour les États la volonté d’utiliser le régime d’exception de « l’état d’urgence sanitaire » et son cortège d’ordonnances pour restreindre les libertés fondamentales, notamment en contraignant les plateformes à fournir des données et des outils de surveillance.

Entre la peste et le corona, l’ami Antonio Casilli en vient à évoquer une troisième voie, en rupture totale avec les précédentes : « certaines de ces grandes plateformes sont en réalité des infrastructures d’utilité publique qu’on a intérêt a minima à réguler de manière contraignante, et a maxima à collectiviser. Je ne parle pas forcément de nationalisation, j’y suis même assez opposé, mais de retrouver la vocation initiale de ces plateformes, un terme qui évoque un projet commun. Cette approche par les communs serait un profond changement de nature qui pourrait émerger de l’urgence. ».

Ça, c’est certain, c’est une solution qui aurait de la gueule, du panache même ! Et qui profiterait vraiment à plusieurs milliards d’êtres humains, hormis la petite dizaine de multi-multimilliardaires qui contrôlent ces entreprises. Mais bon, même si à 7 milliards contre 10 personnes, l’affaire serait vite pliée, je ne suis pas dupe du fait que les mentalités ne sont pas encore prêtes à envisager une telle bascule de la propriété privée vers les communs.

« Le Peuple venant réclamer la collectivisation d’Amazon à un Jeff Bezos chevelu » — Allégorie

Et on fait quoi, nous, libristes, là dedans ?

« Les libristes », ça n’existe pas plus que « les profs » : les communautés et individualités sont multiples. Mais je me suis permis ce long détour, essayant d’entrevoir des avenirs possibles, afin de tenter d’expliquer quelle pourrait être la stratégie de Framasoft dans les semaines et les mois à venir.

Sortir de la sidération

Pour l’instant, et comme notre « Journal du confinement » vous en a donné les bribes, notre principale réaction a été, eh bien… de réagir. Ce qui est bien plus facile à écrire qu’à faire.

« Sidération des libristes apprenant le confinement » — Allégorie

 

Il s’agissait surtout de sortir de l’état de sidération dû aux chocs des annonces de confinement. Chocs dus aux répercussions sur nos services, mais aussi répercussions psychologiques sur les équipes salariées comme bénévoles. Cela s’est mis en œuvre de la façon suivante :

Axe 1 : prendre la mesure

Les trois premières actions, immédiates, furent :

1. de mettre au clair le fait que la santé (physique, mentale, psychique) et le bien-être de chaque membre passait en priorité devant toute autre mission ou engagement. C’était évidemment déjà le cas avant, mais cela a permis de mettre tout le monde à l’aise : si on est angoissé, malade, fatigué, qu’on a des courses à faire, les enfants à qui il faut faire la classe, ou même si on est juste en colère après la situation, eh bien on peut arrêter de travailler ou de bénévoler, ne plus répondre aux notifications ou messages. Et ce, sans autre justification que la situation exceptionnelle vécue en ce moment. C’est bête, mais le rappeler nous a, je pense, fait du bien à tou⋅te⋅s.

2. de suspendre tous les projets en cours : crowdfunding, PeerTube, Mobilizon, Framacloud, etc. Et d’affecter toutes les forces bénévoles et salariées sur la problématique COVID-19. Cela nous a permis de ranger dans un placard tous les « onglets mentaux » qui seraient venus nous rajouter de l’anxiété ou de la charge mentale. Avoir un et un seul objectif clair (pouvoir accueillir la vague qui nous tombait dessus) nous a évité de nous disperser, ce qui serait immanquablement arrivé si nous avions essayé de jongler en plus avec nos tâches « pré-confinement ».

 

3. dire temporairement non à l’Éducation Nationale. Nous l’avons évoqué à de multiples reprises ici ou ailleurs, cela n’a pas été une décision facile à prendre. Mais faire ce choix et inviter profs et élèves à se référer à leur Ministère n’a eu quasiment que des effets positifs !

  • Il a participé à mettre en lumière l’impréparation du Ministère (qui affirmait que « Tout était prêt »).
  • Il a permis à toutes les associations, collectifs, particuliers, petites entreprises, syndicats qui utilisaient nos services de pouvoir continuer à les utiliser. En cas de panne due à l’afflux brusque et soudain d’élèves, toutes ces structures se seraient retrouvées sans accès à leurs données, ou sans capacité de se coordonner avec leurs outils habituels.
  • Il a rappelé que Framasoft n’est pas un service public, et ne souhaite pas s’y substituer. Non, parce qu’en vrai, on aime les services publics et voir des entreprises, des startups ou même des associations prendre leur place est à notre avis une très très mauvaise idée, et concourt à les affaiblir plus qu’à les renforcer.

Sur ce dernier point, il est à noter 1) que nos services viennent de rouvrir aux enseignant⋅e⋅s, tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit d’une ressource partagée dont il ne faut pas abuser ; 2) qu’en dehors de deux ou trois grincheux, l’immense majorité des enseignant⋅e⋅s ont compris et même soutenu notre démarche. Merci à elles et eux pour tous les messages d’encouragement reçus.

 

Quelques remerciements de profs (ou pas) reçus ces derniers jours. <3

 

Axe 2 : renforcer le collectif CHATONS :

Site https://entraide.chatons.org.

Axe 3 : améliorer les perfs et la stabilité de nos services

  • Nos équipes techniques ont travaillé d’arrache-claviers à l’amélioration des performances des logiciels qui étaient stressés. Ainsi, il est probable que Framasoft soit l’organisation qui opère le plus de pads et de calcs dans le monde (500 000 pads et 200 000 calcs, qui dit mieux ?). Du fait de cette position, la moindre amélioration des performances sur le logiciel original, permet de rendre nos services plus performants, mais aussi d’améliorer à terme les performances et la stabilité de tous les pads ou calcs de la planète. Dit autrement : les améliorations apportées à Framapad.org pendant le confinement (ici, ) profitent aux pads April, aux pads Infini, aux pads de La Quadrature ou de la FFDN, etc. ;
  • Nous avons réparti la charge entre nos services pris d’assaut par ceux identifiés et validés. Cf. par exemple https://framatalk.org/ qui redirige vers plusieurs dizaines d’autres instances de façon aléatoire ;
  • Nous avons loué une dizaine de nouveaux serveurs et commencé à répartir les services surchargés dessus.

Et un, et deux, et trois serveurs pour Framatalk ! \o/

 

Axe 4 : accompagner par des outils, des savoirs-faire, des savoirs/expérience.

Il s’agissait de répondre aux besoins et aux appels à l’aide.

Mémo « Télétravailler avec des outils libres » – Accédez au site web ou téléchargez le PDF.

Nous avons besoin d’un plan

Bon, c’est déjà pas mal.
Surtout en 15 jours. Surtout en pleine pandémie.

Mais cela ne fait pas vraiment une stratégie. Ni un plan.

Je ne suis pas tout à fait certain d’assumer ce meme… — pyg, #TeamChauve

 

Il faudra évidemment dénoncer les lois liberticides qui ne manqueront pas d’arriver. Il faudra garder traces de tous les mensonges. (je le répète : #onnoublierapas. On ne pardonnera pas.)

Il faudra aussi pousser les institutions à prendre conscience du fait qu’il faut prendre soin de nos infrastructures numériques. Développer ou contribuer activement aux alternatives libres à Zoom (coucou Jitsi) ou à Google Docs (coucou Nextcloud et LibreOfficeOnline) coûterait peu. Très peu. Trop peu ? Car c’est à se demander comment une micro-association comme Framasoft peut se retrouver à développer, de front, des logiciels comme PeerTube, Mobilizon, Framadate, Framaforms et bien d’autres tout en contribuant en parallèle au code d’Etherpad, d’Ethercalc ou de Nextcloud, sans que ces mêmes institutions, qui utilisent ces logiciels, ne les perçoivent comme des « communs stratégiques ».

[Edit : le temps de publier ce billet, nous apprenons par hasard que PeerTube sera déployé par 35 académies. Tant mieux, vraiment. C’est exactement ce qu’il faut faire. Maintenant, cela ne fera sens et ne sera résilient (encore un terme absorbé par le capitalisme) que si l’État contribue au développement de ce logiciel, porté à bout de bras par une petite association Française, si des moyens financiers sont débloqués pour héberger les données en interne (Scaleway, c’est anciennement Online, filliale à 100% du groupe Illiad détenue majoritairement par le multimilliardaire Xavier Niel), et si le ministère embauche et rémunère correctement des équipes informatiques pour gérer les services. Sinon, on revient exactement à la situation de l’État-prédateur-gestionnaire-irresponsable pré-COVID19.]

L’État et les collectivités paient (et c’est tant mieux, car c’est aussi leur rôle, même si l’État s’est fortement désengagé ces dernières années) pour entretenir les espaces publics, les voiries, les chemins, les espaces naturels. Mais quand il s’agit de produire des briques publiques en logiciel libre, les initiatives restent bien timides. Inviter les développeurs et développeuses du libre à produire des alternatives à Zoom ou Google Docs en mode Startuffe Nation ou même en mode communautaire/associatif, puis à en devenir simple consommateur, revient quelque part à nier le caractère essentiel de ces infrastructures numériques.

Numérique et effondrement

Il y a un an quasiment jour pour jour, mon camarade Gee et moi-même donnions une conférence lors des JDLL 2019 sobrement intitulée « Numérique et effondrement » et cyniquement sous-titrée « La bonne nouvelle c’est que le capitalisme va crever. La mauvaise nouvelle, c’est qu’on risque fort de crever avec lui. ».

La vidéo fut perdue, mais nous avons pu remettre la main sur la bande son et, du coup, on vous a refait un montage avec le son et le diaporama, sans nos trombines. Franchement, vous êtes gagnants.
C’était un peu foutraque (nous ne sommes pas experts du sujet). On y parlait dérèglement climatique, perte de biodiversité, risque de pandémie (bon, rapidement, nous ne sommes pas devins non plus), inaction politique et, évidemment, numérique.

 

 

Cela avait été pour moi l’occasion de réfléchir à ce que nous pourrions faire, nous, libristes, dans un monde où l’Etat serait en grande partie absent.
Cette réflexion était loin d’être aboutie (il faut dire qu’on espérait peut-être avoir quelques années pour l’affiner), et surtout, elle ne présentait qu’une stratégie parmi des millions de stratégies possibles, des milliers de souhaitables, et des centaines qui pourraient être mises en œuvre.

Elle se résumait en gros en 6 points. Ces points ne constituent ni un plan de bataille (on n’est pas très belliqueux), ni une stratégie (qu’on vous exposera dès qu’on l’aura conçue 😉 ), mais ils constituent à mon avis une ligne directrice, un fil rouge, qu’il pourrait être intéressant de suivre dans les mois à venir.

1. Convivialité

Il faudra poursuivre le développement d’outils conviviaux (au sens d’Ivan Illich).
Pour Framasoft, cela signifie reprendre le développement de Mobilizon et PeerTube, actuellement suspendus. Et voir si nous avons toujours les moyens humains et financiers de produire notre projet « framacloud » (un Nextcloud blindé d’extensions, avec du LibreOfficeOnline, ouvert à toutes et tous, mais avec un espace disque volontairement très limité).

Mais il y aura sans doute de nouveaux outils à inventer et à construire dans un monde post-confinement.
Nous resterons attaché⋅e⋅s à ce que ces outils soient libres et émancipateurs.

2. Communs

L’épisode Coronavirus aura montré qu’en tant que société, le choix entre intérêts privés et intérêt général est d’autant plus clivant, et n’est pas sans conséquence sur la vie de milliards d’individus.

Et si on passait de la société de (sur)consommation à la société de contribution ? — Diapo tirée de la conf « Peut-on faire du libre sans vision politique ? ».

 

Le discours « TINA » ne tient plus : il y a une autre voie entre une gestion privée et le tout-État, et ce sont les communs, ces multiples communautés se fixant des règles pour partager et pérenniser des ressources communes. La théoricienne des communs, Elinor Ostrom, a montré qu’une gestion collective peut être plus efficace qu’une gestion publique ou privée. La propriété exclusive est également à remettre en question, les communs mettent en lumière des formes de propriétés collectives variées et inventives.

Distincts du public et du privé  — en tout cas en échappant à la propriété strictement privée et en ouvrant des propriétés « d’usage » — ils nous semblent la meilleure piste à développer pour prendre conscience de nos interdépendances (entre humains, avec la nature, avec les non-humains, etc.).

À Framasoft, nous continuerons à promouvoir les communs, notamment numériques.

3. Coopération, collaboration et contribution

Faire, c’est bien. Faire ensemble, c’est mieux.

L’un des plus grands défis que nous avons à relever en tant qu’association d’éducation populaire aux enjeux du numérique et des communs culturels est peut-être de rappeler qu’il faut prendre soin d’Internet en général et du logiciel libre en particulier, car il s’agit de communs essentiels. L’immense majorité des gens n’ont aucune idée de la façon dont est conçu et développé un logiciel libre. Et pour celles et ceux qui le savent, très peu osent contribuer. En conséquence, l’épanouissement de logiciels libres repose beaucoup sur une forme de « caste de développeurs et développeuses », qui détiendrait l’espèce de pouvoir magique de transformer des lignes de codes en logiciels.

C’est entre autres pour contribuer à changer cet état de fait que Framasoft a initié sa campagne « Contributopia ». Il s’agit de rendre chacune et chacun légitime et capable face au numérique. Et cela ne pourra se faire qu’en accueillant, en mettant en confiance, en donnant des clés, en partageant nos savoirs et nos pouvoirs.
« La route est longue, mais la voie est libre » est un des slogans de Framasoft. Soyons honnêtes : nous tâtonnons et itérons encore sur ce chemin, mais nous savons que c’est la voie à suivre.

4. Collectif, et communauté

Faire c’est bien. Faire ensemble, c’est mieux. Se (re)connaître, c’est se donner les moyens d’aller plus loin.

Non, on ne va pas se mentir : le collectif, parfois, c’est la merde. On est pas d’accord, on se dispute, on peste après les engagements non tenus des uns, ou après les modalités de prise de décision des autres. C’est parfois épuisant.
« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » dit l’adage. Et parfois, eh bien on a juste envie d’aller plus vite.

Cependant, une communauté ça vous soutient, ça vous nourrit. Parfois au sens littéral, car à Framasoft, nous ne vivons que de vos dons. À titre personnel, on peut donc dire que c’est la communauté Framasoft qui remplit mon frigo et paye mon loyer (merci !). Construire ou rejoindre un collectif ou une communauté, c’est un travail long, lent, parfois fastidieux. Ça nous bouscule. Mais là encore, dans « le-monde-d’après-mars-2020 », c’est probablement dans ces communautés, qu’elles soient locales ou virtuelles, que vous trouverez la force d’agir.

5. Confiance.

Wikipédia nous apprend que la confiance serait « un état psychologique se caractérisant par l’intention d’accepter la vulnérabilité sur la base de croyances optimistes sur les intentions (ou le comportement) d’autrui ». C’est un poil compliqué dit comme ça, mais on peut en retenir qu’il s’agit de se fier à quelqu’un.

Là encore, pour Framasoft, la confiance est essentielle. La confiance que notre communauté nous porte. Celle que nous plaçons dans les valeurs du libre.
La « crise de confiance » que nous vivons, notamment envers les responsables politiques ne doit pas nous amener à nous replier sur nous-mêmes.
Nous continuerons donc à tisser des liens au sein de notre archipel. Tout simplement parce que nous ne voulons pas d’un monde où la méfiance serait le comportement par défaut.

6. Culture

« Mais qu’est-ce qu’elle vient faire là, la culture ? On parle bien de logiciel libre, non ? »

Eh bien elle a tout à faire là, la culture. Parce que c’est elle qui nous relie. Mais aussi parce que c’est elle qui nous différencie. Et que sans ces différences, tout serait normalisé, lissé… triste en fait. Mais aussi, parce que le logiciel libre, nous l’avons dit et répété, est un moyen et non une fin.
« Pas de société libre sans logiciel libre » avons-nous souvent l’habitude de dire. C’est donc bien cela que nous voulons, c’est bien cela notre objectif : une société libre.
D’après Wikipédia (toujours elle), « En sociologie, la culture est définie de façon plus étroite comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude », c’est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et créé. ». Ca tombe bien, Framasoft est classée — puisqu’il faut aux administrations une case pour chaque chose — dans la rubrique « associations culturelles ».

« En cette période de crise, nous sommes confrontés à deux choix particulièrement importants. Le premier est entre la surveillance totalitaire et la responsabilisation des citoyens. Le second est entre l’isolement nationaliste et la solidarité mondiale » disait Harari.

Face à ces choix, parce que le monde a changé, Framasoft devra donc inventer de nouvelles façons d’apprendre, transmettre, produire et créer.




L’Internet pendant le confinement


On parle beaucoup en ce moment d’une « saturation des réseaux », de « risques pour l’Internet », qui justifieraient des mesures autoritaires et discriminatoires, par exemple le blocage ou le ralentissement de Netflix, pour laisser de la place au « trafic sérieux ». Que se passe-t-il exactement et qu’y a-t-il derrière les articles sensationnalistes ?

La France, ainsi que de nombreux autres pays, est confinée chez elle depuis plusieurs jours, et sans doute encore pour plusieurs semaines. La durée exacte dépendra de l’évolution de l’épidémie de COVID-19. Certains travailleurs télétravaillent, les enfants étudient à la maison, et la dépendance de toutes ces activités à l’Internet a suscité quelques inquiétudes.

On a vu des médias, ou des dirigeants politiques comme Thierry Breton, réclamer des mesures de limitation du trafic, par exemple pour les services vidéo comme Netflix. Les utilisateurs qui ont constaté des lenteurs d’accès à certains sites, ou des messages d’erreur du genre « temps de réponse dépassé » peuvent se dire que ces mesures seraient justifiées. Mais les choses sont plus compliquées que cela, et il va falloir expliquer un peu le fonctionnement de l’Internet pour comprendre.

Copie d'écran du site du CNED, montrant un message d'erreur
Le site Web du CNED, inaccessible en raison des nombreux accès (mais le réseau qui y mène marchait parfaitement à ce moment).

Réseaux et services

D’abord, il faut différencier l’Internet et les services qui y sont connectés. Si un élève ou un enseignant essaie de se connecter au site du CNED (Centre National d’Enseignement à Distance) et qu’il récupère un message avec une  « HTTP error 503 », cela n’a rien à voir avec l’Internet, et supprimer Netflix n’y changera rien : c’est le site Web au bout qui est surchargé d’activité, le réseau qui mène à ce site n’a pas de problème. Or, ce genre de problèmes (site Web saturé) est responsable de la plupart des frustrations ressenties par les utilisateurs et utilisatrices. Résumer ces problèmes de connexion avec un « l’Internet est surchargé » est très approximatif et ne va pas aider à trouver des solutions aux problèmes. Pour résumer, les tuyaux de l’Internet vont bien, ce sont certains sites Web qui faiblissent. Ou, dit autrement, « Dire que l’Internet est saturé, c’est comme si vous cherchez à louer un appartement à la Grande Motte au mois d’août et que tout est déjà pris, du coup vous accusez l’A7 d’être surchargée et demandez aux camions de ne pas rouler. »

On peut se demander pourquoi certains services sur le Web plantent sous la charge (ceux de l’Éducation Nationale, par exemple) et d’autres pas (YouTube, PornHub, Wikipédia). Il y a évidemment de nombreuses raisons à cela et on ne peut pas faire un diagnostic détaillé pour chaque cas. Mais il faut noter que beaucoup de sites Web sont mal conçus. L’écroulement sous la charge n’est pas une fatalité. On sait faire des sites Web qui résistent. Je ne dis pas que c’est facile, ou bon marché, mais il ne faut pas non plus baisser les bras en considérant que ces problèmes sont inévitables, une sorte de loi de la nature contre laquelle il ne servirait à rien de se révolter. Déjà, tout dépend de la conception du service. S’il s’agit de distribuer des fichiers statiques (des fichiers qui ne changent pas, comme des ressources pédagogiques ou comme la fameuse attestation de circulation), il n’y a pas besoin de faire un site Web dynamique (où toutes les pages sont calculées à chaque requête). Servir des fichiers statiques, dont le contenu ne varie pas, est quelque chose que les serveurs savent très bien faire, et très vite. D’autant plus qu’en plus du Web, on dispose de protocoles (de techniques réseau) spécialement conçus pour la distribution efficace, en pair-à-pair, directement entre les machines des utilisateurs, de fichiers très populaires. C’est le cas par exemple de BitTorrent. S’il a permis de distribuer tous les épisodes de Game of Thrones à chaque sortie, il aurait permis de distribuer facilement l’attestation de sortie ! Même quand on a du contenu dynamique, par exemple parce que chaque page est différente selon l’utilisateur, les auteurs de sites Web compétents savent faire des sites qui tiennent la charge.

Mais alors, si on sait faire, pourquoi est-ce que ce n’est pas fait ? Là encore, il y a évidemment de nombreuses raisons. Il faut savoir que trouver des développeurs compétents est difficile, et que beaucoup de sites Web sont « bricolés », par des gens qui ne mesurent pas les conséquences de leurs choix techniques, notamment en termes de résistance à la charge. En outre, les grosses institutions comme l’Éducation Nationale ne développent pas forcément en interne, elles sous-traitent à des ESN et toute personne qui a travaillé dans l’informatique ces trente dernières années sait qu’on trouve de tout, et pas forcément du bon, dans ces ESN. Le « développeur PHP senior » qu’on a vendu au client se révèle parfois ne pas être si senior que ça. Le développement, dans le monde réel, ressemble souvent aux aventures de Dilbert. Le problème est aggravé dans le secteur public par le recours aux marchés publics, qui sélectionnent, non pas les plus compétents, mais les entreprises spécialisées dans la réponse aux appels d’offre (une compétence assez distincte de celle du développement informatique). Une petite entreprise pointue techniquement n’a aucune chance d’être sélectionnée.

D’autre part, les exigences de la propriété intellectuelle peuvent aller contre celles de la technique. Ainsi, si BitTorrent n’est pas utilisé pour distribuer des fichiers d’intérêt général, c’est probablement en grande partie parce que ce protocole a été diabolisé par l’industrie du divertissement. « C’est du pair-à-pair, c’est un outil de pirates qui tue la création ! » Autre exemple, la recopie des fichiers importants en plusieurs endroits, pour augmenter les chances que leur distribution résiste à une charge importante, est parfois explicitement refusée par certains organismes comme le CNED, au nom de la propriété intellectuelle.

Compter le trafic réseau

Bon, donc, les services sur le Web sont parfois fragiles, en raison de mauvais choix faits par leurs auteurs, et de réalisations imparfaites. Mais les tuyaux, eux, ils sont saturés ou pas ? De manière surprenante, il n’est pas facile de répondre à cette question. L’Internet n’est pas un endroit unique, c’est un ensemble de réseaux, eux-mêmes composés de nombreux liens. Certains de ces liens ont vu une augmentation du trafic, d’autres pas. La capacité réseau disponible va dépendre de plusieurs liens (tous ceux entre vous et le service auquel vous accédez). Mais ce n’est pas parce que le WiFi chez vous est saturé que tout l’Internet va mal ! Actuellement, les liens qui souffrent le plus sont sans doute les liens entre les FAI (Fournisseurs d’Accès Internet) et les services de vidéo comme Netflix. (Si vous voyez le terme d’appairage – peering, en anglais – c’est à ces liens que cela fait allusion.) Mais cela n’affecte pas la totalité du trafic, uniquement celui qui passe par les liens très utilisés. La plupart des FAI ne fournissent malheureusement pas de données publiques sur le débit dans leurs réseaux, mais certains organismes d’infrastructure de l’Internet le font. C’est le cas du France-IX, le principal point d’échange français, dont les statistiques publiques ne montrent qu’une faible augmentation du trafic. Même chose chez son équivalent allemand, le DE-CIX. (Mais rappelez-vous qu’à d’autres endroits, la situation peut être plus sérieuse.) Les discussions sur les forums d’opérateurs réseau, comme le FRnog en France, ne montrent pas d’inquiétude particulière.

Graphique montrant le trafic du France-IX
Le trafic total au point d’échange France-IX depuis un mois. Le début du confinement, le 17 mars, se voit à peine.

Statistiques du FAI FDN
Le trafic des clients ADSL du FAI (Fournisseur d’Accès Internet) FDN depuis un mois. L’effet du confinement est visible dans les derniers jours, à droite, mais pas spectaculaire.

Mais pourquoi est-ce qu’il n’y a pas d’augmentation massive et généralisée du trafic, alors qu’il y a beaucoup plus de gens qui travaillent depuis chez eux ? C’est en partie parce que, lorsque les gens travaillaient dans les locaux de l’entreprise, ils utilisaient déjà l’Internet. Si on consulte un site Web pour le travail, qu’on le fasse à la maison ou au bureau ne change pas grand-chose. De même, les vidéo-conférences (et même audio), très consommatrices de capacité du réseau, se faisaient déjà au bureau (si vous comprenez l’anglais, je vous recommande cette hilarante vidéo sur la réalité des « conf calls »). Il y a donc accroissement du trafic total (mais difficile à quantifier, pour les raisons exposées plus haut), mais pas forcément dans les proportions qu’on pourrait croire. Il y a les enfants qui consomment de la capacité réseau à la maison dans la journée, ce qu’ils ne faisaient pas à l’école, davantage de réunions à distance, etc., mais il n’y a pas de bouleversement complet des usages.

Votre usage de l’Internet est-il essentiel ?

Mais qu’est-ce qui fait que des gens importants, comme Thierry Breton, cité plus haut, tapent sur Netflix, YouTube et les autres, et exigent qu’on limite leur activité ? Cela n’a rien à voir avec la surcharge des réseaux et tout à voir avec la question de la neutralité de l’Internet. La neutralité des réseaux, c’est l’idée que l’opérateur réseau ne doit pas décider à la place des utilisateurs ce qui est bon pour eux. Quand vous prenez l’autoroute, la société d’autoroute ne vous demande pas si vous partez en week-end, ou bien s’il s’agit d’un déplacement professionnel, et n’essaie pas d’évaluer si ce déplacement est justifié. Cela doit être pareil pour l’Internet. Or, certains opérateurs de télécommunications rejettent ce principe de neutralité depuis longtemps, et font régulièrement du lobbying pour demander la possibilité de trier, d’évaluer ce qu’ils considèrent comme important et le reste. Leur cible favorite, ce sont justement les plate-formes comme Netflix, dont ils demandent qu’elles les paient pour être accessible par leur réseau. Et certaines autorités politiques sont d’accord, regrettant le bon vieux temps de la chaîne de télévision unique, et voulant un Internet qu’ils contrôlent. Le confinement est juste une occasion de relancer cette campagne.

Mais, penserez-vous peut-être, on ne peut pas nier qu’il y a des usages plus importants que d’autres, non ? Une vidéo-conférence professionnelle est certainement plus utile que de regarder une série sur Netflix, n’est-ce pas ? D’abord, ce n’est pas toujours vrai : de nombreuses entreprises, et, au sein d’une entreprise, de nombreux employés font un travail sans utilité sociale (et parfois négatif pour la société) : ce n’est pas parce qu’une activité rapporte de l’argent qu’elle est forcément bénéfique pour la collectivité ! Vous n’êtes pas d’accord avec moi ? Je vous comprends, car, justement, la raison principale pour laquelle la neutralité de l’Internet est quelque chose de crucial est que les gens ne sont pas d’accord sur ce qui est essentiel. La neutralité du réseau est une forme de laïcité : comme on n’aura pas de consensus, au moins, il faut trouver un mécanisme qui permette de respecter les choix. Je pense que les Jeux Olympiques sont un scandaleux gaspillage, et un exemple typique des horreurs du sport-spectacle. Un autre citoyen n’est pas d’accord et il trouve que les séries que je regarde sur Netflix sont idiotes. La neutralité du réseau, c’est reconnaître qu’on ne tranchera jamais entre ces deux points de vue. Car, si on abandonnait la neutralité, on aurait un problème encore plus difficile : qui va décider ? Qui va choisir de brider ou pas les matches de foot ? Les vidéos de chatons ? La vidéo-conférence ?

D’autant plus que l’Internet est complexe, et qu’on ne peut pas demander à un routeur de décider si tel ou tel contenu est essentiel. J’ai vu plusieurs personnes citer YouTube comme exemple de service non-essentiel. Or, contrairement à Netflix ou PornHub, YouTube ne sert pas qu’au divertissement, ce service héberge de nombreuses vidéos éducatives ou de formation, les enseignants indiquent des vidéos YouTube à leurs élèves, des salariés se forment sur YouTube. Pas question donc de brider systématiquement cette plate-forme. (Il faut aussi dire que le maintien d’un bon moral est crucial, quand on est confiné à la maison, et que les services dits « de divertissement » sont cruciaux. Si vous me dites que non, je vous propose d’être confiné dans une petite HLM avec quatre enfants de 3 à 14 ans.)

À l’heure où j’écris, Netflix et YouTube ont annoncé une dégradation délibérée de leur service, pour répondre aux injonctions des autorités.  On a vu que les réseaux sont loin de la saturation et cette mesure ne servira donc à rien. Je pense que ces plate-formes essaient simplement de limiter les dommages en termes d’image liés à l’actuelle campagne de presse contre la neutralité.

Conclusion

J’ai dit que l’Internet n’était pas du tout proche d’un écroulement ou d’une saturation. Mais cela ne veut pas dire qu’on puisse gaspiller bêtement cette utile ressource. Je vais donc donner deux conseils pratiques pour limiter le débit sur le réseau :

  • Utilisez un bloqueur de publicités, afin de limiter le chargement de ressources inutiles,
  • Préférez l’audio-conférence à la vidéo-conférence, et les outils textuels (messagerie instantanée, courrier électronique, et autres outils de travail en groupe) à l’audio-conférence.

Que va-t-il se passer dans les jours à venir ? C’est évidemment impossible à dire. Rappelons-nous simplement que, pour l’instant, rien n’indique une catastrophe à venir, et il n’y a donc aucune raison valable de prendre des mesures autoritaires pour brider tel ou tel service.

Quelques lectures supplémentaires sur ce sujet :




Une mobilisation citoyenne pour la continuité pédagogique

Nous vivons depuis quelques jours une situation tout à fait exceptionnelle. Parmi les multiples décisions prises, il y a notamment celles de fermer écoles, collèges et lycées. 800 000 enseignant⋅e⋅s et 12 millions d’élèves sont donc invité⋅e⋅s à faire cours depuis chez eux

Framasoft accueillait, ces derniers mois, environ 700 000 personnes par mois sur ces différents services. Cependant, pour de multiples raisons évoquées ici, nous souhaitons privilégier le modèle décentralisé. Face à la situation, nous avons bien évidemment fait le choix d’être responsables et solidaires et d’augmenter les capacités de certains de nos services, et nous préparons différentes actions qui seront annoncées dans les jours à venir. Cependant, nous savons que nous ne sommes pas en mesure de fournir les outils qui permettraient la « continuité pédagogique » souhaitée par le Ministère de l’Éducation Nationale.

D’autres structures et collectifs font le choix de prendre à bras le corps cette problématique. Nous avons ainsi été contactés par le collectif encore en construction Continuité Pédagogique qui souhaite rassembler une communauté citoyenne composée de volontaires (Éducation nationale ou non), qui souhaiteraient mettre leurs compétences (techniques, pédagogiques, didactiques) au service de ce défi. Nous relayons ici leur appel.


Une communauté de citoyen·nes qui soutiennent les enseignant·es dans leurs pratiques numériques pour assurer (au mieux) la continuité pédagogique durant l’épidémie du coronavirus en France.

  • Vous êtes développeur⋅se et vous souhaitez proposer une application web ?
  • Vous faites partie de la communauté éducative (enseignant⋅es, référent⋅es numériques, formateur⋅ices, militant⋅es dans l’éducation populaire, entrepreneurs dans une Edtech, etc.) et vous enseignez avec le numérique ?
  • Vous êtes étudiant⋅es, parents, et vous savez utiliser les outils numériques et vous souhaitez mettre du temps à disposition des enseignant⋅es ?

Rejoignez-nous !

 

Parce que la mobilisation de la communauté éducative depuis le 13 mars prouve – s’il en était besoin – l’énorme engagement des enseignant·es, leur expertise et leur volonté de faire vivre les liens éducatifs avec tous leurs élèves.

Parce que nous savons que ces liens peuvent être entretenus, en co-éducation avec les parents, dans un écosystème éducatif numérique libre, neutre, décentralisé, loin de toute tentative de marchandisation ou de récupération.

Parce que nous voulons apporter notre pierre à l’édifice, pour assurer la continuité du service public d’éducation, à partir de celles et ceux qui la font : les 880 000 enseignant⋅es de France.

Nous avons créé la plateforme continuitepedagogique.org pour mobiliser massivement des personnes doté⋅es de compétences numériques, pour aider les enseignant⋅es en demande de conseils à se former à l’usage d’outils en ligne ainsi que des développeur⋅ses et les designers qui auraient des idées pour d’autres outils d’accompagnement.

Nous appelons donc à une mobilisation citoyenne pour aider les enseignants à se former rapidement aux usages pédagogiques du numérique.

Retrouvez l’appel à mobilisation en intégralité sur https://www.continuitepedagogique.org/.