LibreOffice, c’est stylé ! — un nouveau manuel Framabook
C’est une réalité pour beaucoup d’utilisateurs au travail ou chez soi : pour rédiger une lettre ou un devis, pour un roman ou un essai, les logiciels de traitement de texte ont quelque chose d’incontournable. Christophe Masutti nous propose aujourd’hui, dans la collection Framabook, une adaptation du livre de Bruce Byfield : Designing with Libreoffice, une référence (sous licence libre) !
LibreOffice partout, Savoir nulle part…?
« Mais moi je préfère LaTeX, et d’ailleurs je compile mes documents bien plus vite en ligne de commande… » : oui, oui, on sait. Et d’ailleurs, dans la maison d’édition Framabook, on n’utilise pas vraiment les outils les plus communs. Chacun a ses propres préférences en matière de logiciels, et à condition d’être suffisamment expert, les productions sont à la hauteur des connaissances et des savoir-faire. Il manquait cependant à la collection Framabook un ouvrage à la fois compréhensible et synthétique sur l’un des logiciels-phare de la bureautique : LibreOffice.
À travers ses multiples versions (depuis Apache OpenOffice jusqu’à la version en ligne LibreOffice Online, en passant par des versions propres éditées par des opérateurs spécialisés) l’histoire de cette suite bureautique est à bien des égards exemplaire de ce qu’une communauté mondiale de développeurs, en particulier The Document Foundation, peut produire en termes de performance et surtout de standard (on pense notamment au format Open Document).
Si on peut se réjouir de l’adoption (controversée ou pas) de LibreOffice dans des administrations ou des entreprises à travers le monde, qu’en est-il exactement pour les utilisateurs individuels ? Quel que soit le choix du logiciel, on conçoit mal un usage de l’informatique domestique sans une suite bureautique, mais comment appréhender cet outil ?
« Chez les Dupuis-Morizeau, on utilise le logiciel de traitement de texte comme une machine à écrire façon Remington, et à la moindre difficulté, l’outil devient l’ennemi et source de stress. »
Pourquoi ? parce qu’on ne connaît qu’un minuscule fragment de ses fonctionnalités : il devient une boîte noire, avec ses secrets et parfois même une volonté propre ! C’est toujours la même tragédie : l’équipement logiciel est de plus en plus performant mais l’utilisateur reste éternellement démuni. En réalité, si LibreOffice dispose d’un excellent Wiki dédié à l’aide aux utilisateurs , il n’en demeure pas moins que l’utilisateur doit d’abord avoir une vision claire de son besoin et de la méthode pour comprendre et opérer les procédures qui lui sont proposées. Le livre de Bruce Byfield est construit pour cette raison : collectionner les procédures est une chose mais maîtriser les concepts en est une autre. Le tout est de rester compréhensible et adapter le discours aux débutants.
Un manuel pratique et stylé chez Framabook !
C’est en ces termes que Christophe Masutti a proposé à Framabook une traduction et surtout une adaptation de Designing with LibreOffice, le manuel de Bruce Byfield (voir le site web). Christophe n’en est pas à son coup d’essai avec les Dupuis-Morizeau : il y a pile un an, il publiait un ouvrage pédagogique pour accompagner les utilisateurs dans la jungle numérique et libérer leurs pratiques de l’informatique domestique. Dans la même veine, il poursuit le même objectif en s’attaquant cette fois à ce qui, selon lui, manque cruellement aux pratiques quotidiennes de la bureautique : prendre le temps de comprendre les concepts-clés de LibreOffice et libérer la production de documents. C’est une approche qui est autant destinée à l’utilisateur individuel qu’aux formateurs désirant aborder LibreOffice sous un angle plus analytique.
« Comme l’a montré Bruce Byfield, maîtriser la production de documents avec LibreOffice, c’est d’abord savoir se servir des fonctions de styles ».
Alors que l’auteur de la version originale a choisi de brosser l’ensemble des logiciels composant la suite LibreOffice, Christophe a préféré adapter l’ouvrage en se concentrant sur LibreOffice Writer et les styles. LibreOffice Writer, c’est stylé ! est donc à la fois une traduction et une adaptation. Outre le choix des sections, il a fallu en effet adapter l’ouvrage aux concepts de la typographie française, aux mises à jour récentes de LibreOffice (l’édition originale datait de 2016) tout en assurant une pérennité du contenu afin de le prémunir contre une obsolescence précoce (car on sait à Framabook qu’un manuel ne se met pas à jour si facilement).
Il en résulte alors un ouvrage de près de 400 pages. Mais que les lecteurs se rassurent : toutes ces pages ne sont pas dédiées à une suite épuisante de procédures à appliquer. Au contraire. Par exemple, une grande partie du premier chapitre est dédiée à la confrontation entre les deux manières d’appréhender un logiciel de traitement de texte : formater manuellement ou utiliser les styles. Si les deux méthodes ne sont pas exclusives, l’utilisation des styles suppose un recul nécessaire et une analyse des besoins et des pratiques. C’est le principal atout de l’ouvrage : nous aider à faire le point.
Un autre exemple : beaucoup de questions liées à la typographie sont abordées au fil des chapitres, procurant ainsi, en pratique, une excellente vulgarisation de concepts trop souvent ignorés et qui, pourtant, sont essentiels pour composer des documents et assurer leur bonne lisibilité.
LibreOffice partout, Microsoft WordTM nulle part !
Pour qui compose-t-on des documents ? Quels types de documents et à quelle fréquence ? Bruce Byfield, en tant que journaliste professionnel (spécialisé dans les logiciels libres) a publié Designing with LibreOffice parce que justement il ressentait le besoin de rationaliser ses pratiques bureautiques.
La composition avec les styles, c’est sans doute le principal atout de LibreOffice, grâce auquel la très grande majorité des fonctionnalités avancées deviennent compréhensibles. Pour donner un élément de comparaison, lorsqu’on compose des documents pour le Web en HTML ou destinés à l’impression comme avec LaTeX, les premières opérations concernent la configuration des fichiers de styles. LibreOffice (et la plupart des logiciels de traitement de texte) ne déroge pas à cette règle qui permet d’automatiser la mise en page et se concentrer le plus possible sur le contenu lors de la rédaction.
Comme Bruce Byfield le dit dans une interview de 2016, à bien des égards, et depuis longtemps, le logiciel libre ne joue plus la carte du rattrapage par rapport aux logiciels propriétaires. C’est le cas de LibreOffice Writer qui n’est plus seulement une simple alternative à Microsoft Word car il présente, en particulier dans l’usage des styles, une approche très différente de la composition de document. La comparaison n’est plus une affaire de préférences personnelles, mais une question de stratégie, qu’il s’agisse d’un usage domestique ou professionnel.
Avec LibreOffice Writer, c’est stylé ! les lecteurs trouveront bien plus qu’un manuel. C’est d’un compagnon qu’il s’agit, et on sait que le temps consacré à un compagnon n’est jamais perdu.
Un nouveau polar médiéval dans la collection Framabook
Yann Kervran continue à rééditer les enquêtes d’Ernaut de Jérusalem chez Framabook, pour notre plus grand plaisir.
Nous lui avons demandé de répondre à quelques questions à l’occasion de la publication de son deuxième tome, Les Pâques de sang.
Yann, peux-tu nous rappeler qui est Ernaut de Jérusalem ?
C’est le personnage récurrent de ma série d’enquêtes qui se déroule pendant les Croisades, essentiellement dans le royaume de Jérusalem, au milieu du XIIe siècle. C’est un jeune Bourguignon de Vézelay qui vient avec son frère comme pèlerin et qui va rester comme colon. C’est un géant, un colosse dont le physique hors-normes n’est surpassé que par la curiosité. Le premier tome le présentait lors du voyage de traversée, en Méditerranée. Là, on le retrouve quelques huit mois plus tard, pendant les cérémonies de Pâques, à Jérusalem. C’est le moment fort des visites et célébrations pour les pèlerins venus d’Europe.
Ernaut est le fil rouge des intrigues policières, vu que le lecteur enquête dans ses pas, mais c’est aussi un naïf qui découvre un nouveau monde, et qui sert donc de passeur, de guide, pour arpenter cet univers. Celui-ci, que j’ai appelé Hexagora, dépasse d’ailleurs le cadre des enquêtes car je tente de le rendre plus vaste encore, plus complexe, avec un ensemble de récits courts que j’appelle Qit’a. J’ai aussi l’envie d’écrire des textes parallèles, qui n’appartiennent pas au registre policier. Mon espoir est de rendre plus vivante cette période de l’histoire méconnue du grand public, tout en faisant œuvre pour le commun, en caractérisant fortement un univers imaginaire, même si puissamment ancré dans la réalité historique.
Argh, mais c’est de l’Histoire avec un grand H… Rassure-nous, tu nous fais pas un cours non plus, hein ?
Pourquoi ce «Argh» ? L’histoire peut être passionnante, comme n’importe quel sujet, pour peu que le passeur qui t’y emmène soit habile et intéressant. Alors, bien sûr, c’est en effet extrêmement documenté, autant que je peux me le permettre. Dans le cas contraire, ce serait mensonger de s’attribuer l’épithète «historique». Mais je travaille énormément à rendre ça fluide, accessible et indolore pour ceux qui ont des boutons à l’idée qu’on leur demande de dater le siècle de Philippe Auguste.
Les retours que j’ai vont d’ailleurs toujours dans ce sens : le public aime autant le récit en lui-même que l’immersion temporelle et géographique que je propose. Je suis également photographe et reconstitueur, donc je puise largement dans mon expérience personnelle pour rendre sensuelle l’expérience de lecture. Je me souviens qu’un de mes lecteurs de la première édition m’avait dit qu’il avait eu faim à lire le passage d’Ernaut dans les quartiers où l’on s’achetait à manger. Il avait l’impression d’entendre le grésillement des plats sur le feu, de sentir les effluves de pâtes chaudes luisantes de graisse cuite.
Non, mais on aime bien l’Histoire, hein… Mais faudrait pas en oublier l’aspect roman…
Bien sûr. Il est essentiel pour moi que le lecteur oublie qu’il tient un livre qui propose une vision de l’histoire, avec des sources (que je présente à la fin, pour les curieux et les historiens qui veulent vérifier ma documentation). J’ai l’espoir qu’il accompagne Ernaut dans les ruelles, soit bousculé avec lui dans la foule sur le parvis, s’éponge le front au haut d’une longue côte, avant d’embrasser la vue sur les jardins de Gethsémané où frissonnent les oliviers sous le vent.
Par ailleurs, avec mon premier éditeur, nous avions pas mal échangé sur les dialogues, et c’est lui qui m’a convaincu de créer cette langue pseudo-médiévale, dépaysante dans ses structures et sonorités. Bien que cela demeure un subterfuge narratif, des lecteurs m’ont indiqué que cela les faisait voyager en un «ailleurs». En outre, pour certains, cela les avait fait réfléchir à leur propre usage de la langue, au sens de certaines expressions ou habitudes grammaticales contemporaines. C’est donc bien plus intéressant et efficace que si j’avais tenté de faire des vrais dialogues en français médiéval, qui auraient été indigestes.
Alors, que se passe-t-il dans ce tome 2 ?
Ernaut et son frère Lambert sont en Terre sainte depuis quelques mois. Ils ont écumé tous les sites de dévotion catholique et sont à Jérusalem pour assister aux célébrations les plus importantes, celles de Pâques qui commémorent la victoire du Christ sur la mort. Des événements tragiques viennent ébranler la ville et Ernaut ne peut s’empêcher d’aller y mettre son nez une fois de plus. Mais il y découvrira plus qu’il ne l’aurait voulu, y compris sur lui-même.
C’est l’occasion de découvrir un peu Jérusalem sous son aspect de cité sainte pour la chrétienté médiévale, mais aussi comme ville régie par des pouvoirs et des luttes d’influence. Je me suis consacré à une partie bien délimitée de la topographie, autour du Saint-Sépulcre en gros, mais il y a là déjà beaucoup de choses à présenter, que ce soit d’un point de vue urbanisme, société mais aussi pouvoirs locaux.
J’ai aussi souhaité donner une idée de ce que pouvait représenter la religion pour les simples fidèles. Ernaut est catholique, bien sûr, d’autant qu’il a grandi à l’ombre de la basilique abritant des reliques de Marie-Madeleine. Mais ce terme est trop fourre-tout pour rendre compte d’une réalité fluctuante selon l’époque, la classe sociale et même les personnes. Alors j’ai tenté de mettre en scène ces importantes célébrations religieuses vues de l’extérieur, du profane populaire. J’avais la chance d’avoir le texte complet de la liturgie du XIIe siècle, et j’ai donc travaillé à partir de là pour mettre en place la trame.
Par ailleurs, de nouveaux personnages qui prendront de l’importance à l’avenir sont introduits dans ce tome.
J’ai besoin d’avoir lu le tome 1, La Nef des loups ?
Absolument pas. Chaque nouveau volume initie une enquête distincte qui s’achève en ses pages. Je conseille de lire les tomes dans l’ordre, de façon à pouvoir assister à l’évolution du personnage, de son environnement, mais ce n’est nullement nécessaire. On peut se contenter d’en lire un seul, indépendamment de tous les autres textes Hexagora.
Je conçois l’ensemble de mes écrits de façon cohérente et organisée, mais en laissant à chacun le choix du parcours. Il est même possible de reprendre toutes les sections de mes différents textes et de les réorganiser par date (vu que chacun est précisément daté et localisé) et découvrir comment les choses se déroulent de façon purement temporelle, indépendamment de la cohérence narrative que je conçois pour chaque œuvre que je réalise.
Ce pourrait être un exercice intéressant quoique je crains que ce ne soit vertigineux, j’ai presque 300 personnages et plus de 70 textes qu s’imbriquent dans l’univers Hexagora. D’ailleurs, une édition papier des textes courts Qit’a est prévue chez Framabook, en plusieurs volumes.
La nef des loups était quasiment un huis-clos en pleine mer… Tu as repris la même formule pour Les Pâques de sang ?
Non, j’ai abordé ce second tome de façon complètement opposée. La nef des loups, c’est un whodunnit à la Agatha Christie, avec tous les indices semés pour que le lecteur puisse trouver qui est l’assassin, avec une problématique qui tient un peu de l’exercice de style, du mort retrouvé dans une pièce fermée de l’intérieur. J’avais par ailleurs opposé à ce lieu clos qu’était le Falconus, perdu au milieu des flots un temps extrêmement long, pour dépayser le lecteur. Au XIIe siècle, tout était lent, à l’aune de nos sociétés effervescentes d’aujourd’hui et j’ai beaucoup travaillé cet aspect.
La seconde enquête m’a permis une approche inverse : je suis dans un lieu bien plus large : Jérusalem et ses abords immédiats, mais avec un écart temporel réduit, la Semaine sainte. Je me suis donc attaché à y appliquer un traitement qui tient plus du thriller, avec un Ernaut qui court ici et là, qui s’agite beaucoup plus.
Du coup y’aura de l’action…?
Oui. Je me suis même amusé à concevoir une scène qui fait également partie de l’arsenal narratif du genre policier, mais dans l’audiovisuel : la course-poursuite. J’ai gardé un souvenir extrêmement fort de la scène où, dans French Connection, Popeye Doyle/ Gene Hackman poursuit le métro aérien (tellement un classique que la séquence est même sur YT). Une scène d’anthologie qui a marqué les esprits. Cela m’a donné envie de voir comment je pouvais rendre compte d’une telle intensité avec l’écrit, et sans voiture ni métro. J’ai été très heureux quand des lecteurs m’ont fait part de leur plaisir à lire cette scène qu’ils avaient trouvée haletante, sans bien sûr y détecter une telle influence, fort éloignée.
De façon plus générale, j’ai abordé ce second volume encore une fois avec une préparation formelle assez précise, en étudiant certains codes pour voir comment je pouvais m’en emparer. Cela m’offrait l’opportunité de me frotter à différentes approches du genre policier à travers ses déclinaisons, de façon à laisser à un style personnel le temps d’émerger. J’ai continué avec le tome trois et c’est encore un peu vrai avec le quatre, que je suis actuellement en train d’écrire. Néanmoins, je me sens plus à l’aise pour arpenter une voie moins balisée et il m’est de moins en moins possible de me définir par rapport à un genre précis. Je définis mes propres formes narratives désormais en fonction de la pertinence qu’elles me semblent avoir par rapport à mon projet fictionnel. Cela permet d’avoir une écriture moins affectée au final.
Si ça me plaît, et que je veux contribuer à ton univers, je fais comment ?
Il y a de nombreuses façon de contribuer, mais pour pouvoir créer à partir de mon travail, dans la plupart des cas, le mieux sera de commencer par récupérer tous mes textes dans un format simple (j’utilise le markdown pour rédiger). J’indique comment s’y prendre sur mon site.
Après, si vous avez envie de m’aider à faire connaître le monde des croisades, mon travail d’écriture, vous pouvez en parler autour de vous, diffuser les epubs sur les réseaux pair-à-pair, remplir des notices sur des sites de partage. N’hésitez pas à me contacter à ce sujet si vous avez besoin d’éléments que je n’ai pas encore partagés.
De la même façon, si vous avez l’opportunité d’organiser des rencontres autour de l’histoire, de l’écriture, avec les enquêtes d’Ernaut comme prétexte, prenez contact avec moi. Je suis très disert sur ces sujets et toujours heureux de partager avec tous les publics, étudiants, scolaires ou simples curieux. La grande difficulté aujourd’hui est d’arriver à se faire connaître, donc il s’agit là d’une contribution essentielle.
Je cherche également des partenaires qui seraient intéressés pour traduire vers d’autres langues. Le site Internet a été conçu pour être multilingue et ouvert à la contribution (c’est un moteur dokuwiki en fait), pour accueillir les idées d’autres personnes qui souhaitent participer à l’univers Hexagora, donc n’hésitez pas.
Enfin, une autre contribution, et pas la moindre, c’est le soutien financier. J’ai mis en place une page pour accueillir les dons, en particulier via Liberapay, qui propose le moins de frais de transaction possible. Le support matériel du public est essentiel pour permettre une création sereine et pérenniser mon activité d’écriture. Lorsque vous achetez un livre papier, vous financez surtout les marchands de papier et les transporteurs routiers. Avec les technologies modernes, vous pouvez soutenir directement un artiste.
Le premier tome, La Nef des loups, disponible lui aussi aux éditions Framabook.
Working Class Heroic Fantasy, le roman-feuilleton qui vous fera l’année
Gee, notre Simon, l’auteur des bandes dessinées GKND et Grise Bouille, que sa plume démange depuis un bon moment comme en témoignent ses nouvelles, se lance dans le roman avec Working Class Heroic Fantasy (notez le jeu de mots, il en est super content, faudrait pas lui gâcher le plaisir).
Il va publier son ouvrage sous forme de feuilleton (on se demande qui lui a donné des idées pareilles). Pour vous faire découvrir cet univers, les trois premiers chapitres sont disponibles dès aujourd’hui sur son blog, et il devrait poursuive la publication avec un chapitre par semaine.
L’action se passe dans un monde un peu comme le nôtre, avec des open-space, des divorces et des syndicats… Mais aussi avec des elfes, mages, orques et gobelins. Imaginez que nos meilleurs romans de Fantasy soient en fait le chapitre Moyen-Âge de leurs livres d’histoire… Vous y êtes ?
Voilà : c’est la Terre de Grilecques, le monde où vit Barne Mustii, petit employé de bureau chez Boo’Teen Corp, une entreprise qui vend des bottes. Barne est un humain un peu résigné qui subit les brimades de son gobelin de patron, jusqu’au jour où c’est l’insulte de trop. Et si un simple tour à la permanence du syndicat l’entraînait dans une épique lutte des classe contre l’oligarchie orquogobelinesque…?
Ne ratez pas ça, c’est féroce et drôle, et ça rebondit comme une balle magique dans tous les sens : dystopie et gaudriole, anarchie et fantasy, non-binarité et lutte des classes. Ce roman, c’est peu comme si Marx et Tolkien avaient eu un enfant qui aimerait bien se poiler avec Pratchett.
Oui, c’est du copinage, ou alors de la publicité en avance, parce que forcément, il le publiera chez Framabook ensuite. Et tant mieux !
Raymond Rochedieu est, depuis des années, un pilier de l’équipe bénévole qui relit et corrige les framabooks. Quand ce perfectionniste a annoncé vouloir s’attaquer à la traduction et l’adaptation d’un ouvrage kolossal, personne ne pouvait imaginer la masse de travail qui l’attendait. Surtout pas lui ! Personnage haut en couleur et riche d’une vie déjà bien remplie, ce papi du Libre nous offre aujourd’hui le fruit d’un travail acharné de plusieurs années. Framabook renoue ainsi le temps d’un précieux ouvrage avec sa tradition de manuels et guides.
Bonjour Raymond, si tu aidais nos lecteurs à faire connaissance avec toi ?
Bonjour, je m’appelle Raymond Rochedieu et depuis une quinzaine d’année, lors de la naissance de mon premier petit fils, tout le monde m’appelle Papiray. Je suis âgé de 72 ans, marié depuis 51 ans, j’ai deux garçons et 6 petits-enfants.
Je suis à la retraite, après avoir exercé des métiers aussi variés que : journaliste sportif vacataire (1959-1963), agent SNCF titulaire (1963-1967), VRP en machines-outils bois Guilliet (1967-1968), éducateur spécialisé (1968-1970, école d’éducateur de Reims), artisan imprimeur en sérigraphie (1970-1979), VRP (Textiles Florimond Peugnet – Cambrai, Éditions Paris-Match, Robert Laffont et Quillet, Laboratoires Messegué, Électro-ménager Vorwerk et Electrolux, Matra-Horlogerie JAZ…), puis ingénieur conseil, directeur commercial, artisan menuisier aluminier, avant de reprendre des études à 52 ans et de passer en 10 mois un BTS d’informaticien de gestion. Malgré les apparences, je ne suis pas instable, seulement curieux, « jusqu’auboutiste » et surtout socialement et individuellement responsable mais (très) indépendant, ce que j’appelle mon « Anarchie Utopiste » (expression qui, comme chacun le sait, vaut de l’or) : je rêve d’un monde où tous seraient responsables et égaux… mais ce n’est qu’un rêve !
J’ai terminé ma carrière professionnelle comme intervenant en informatique, installateur, dépanneur, créateur de sites internet, formateur agréé éducation nationale, chambre de commerces et chambre des métiers et même jury BTS à l’IUT de Reims.
Ton projet de traduction et de Framabook a été une œuvre de longue haleine et aboutit à un ouvrage massif. Comment tout cela a-t-il commencé ? Pourquoi as-tu entamé seul ce gigantesque labeur ?
Je me suis tout d’abord intéressé à l’ouvrage de Vincent Lozano Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur LATEX sans jamais oser le demander (Ou comment utiliser LATEX quand on n’y connaît goutte) auquel j’ai participé, à l’époque, en qualité de correcteur. Mais 2008, c’est aussi, pour moi, une rupture d’anévrisme et 14 jours de coma dont je suis sorti indemne, bien que physiquement diminué.
Puis j’ai enchaîné opération du genou droit, infection nosocomiale, prothèse du genou gauche, phlébite, re-opération pour éviter l’amputation, bref vous comprenez pourquoi j’ai mis du temps pour poursuivre le travail !
J’ai cependant connu quelques moments de bonheur : deux stages de tourneur sur bois, à l’école Jean-François Escoulen d’Aiguines (83630) avec le « Maître » qui m’ont conduit à un premier projet : construire un tour à bois fonctionnant à l’ancienne sans électricité et raconter mon ouvrage, projet toujours d’actualité mais qui s’est fait croquer, l’âge aidant, par l’envie d’écrire mes souvenirs, moins de sport… car même la marche m’est devenue pénible… un refuge, mon bureau… l’ordi…et KOMA-Script…
En réalité, ce n’est pas tout à fait ça. Début 2014, je rencontre une amie qui se plaint de l’utilisation du logiciel Word, inadapté à son besoin actuel : à 72 ans, elle a repris ses études et prépare un doctorat de théologie. Chapeau, Françoise… elle a aujourd’hui 75 ans et elle est, je crois, en dernière année…
Je cherche donc quels sont les outils utilisés par les « thésards » et les « doctorants », et je découvre LaTeX que l’on dit « créé par les Américains, pour les Américains » et mal adapté à la typographie du reste du monde. J’achète le livre de Maïeul Rouquette et découvre finalement cette perle qu’est KOMA-Script, à travers « Les fiches de Bébert » (voir liste de références plus bas).
Ce qu’il en écrit me donne envie d’aller plus loin dans la connaissance de l’ouvrage de Markus KOHM, mais pour moi, c’est l’horreur : l’original en langue allemande n’existe que dans une traduction en langue anglaise.
Et qu’est-ce qu’y fait, Papiray ? Hein ? Qu’est-ce qu’y fait ?
Ben y contacte Markus Kohm pour lui demander l’autorisation de passer l’ouvrage en langue française et y demande à ses « amis » de Framasoft ce qu’ils en pensent… ou l’inverse… toujours est-il que Markus m’y autorise en date du 19 juillet 2014 et que mes amis de Framasoft me disent « vas-y, fonce », le début d’une aventure commencée en réalité en mai de la même année.
Dans l’absolu, je n’ai pas l’impression d’avoir été réellement seul. La curiosité, la découverte des différents systèmes, les réponses – surtout par Christophe Masutti – aux questions posées, les lectures des multiples articles et ouvrages consacrés au sujet, les tests permanents des codes (dont les résultats n’étaient pas toujours ce que j‘en attendais), les erreurs de compilation non identifiées et dont il me fallait corriger la source…
Et puis, pour tout avouer, je ne savais pas réellement où je mettais les doigts… une fois la machine lancée, fallait bien assurer et assumer…
Tu as travaillé dur pendant longtemps et par-dessus le marché, les passes de révision des bénévoles de Framabook ont été nombreuses et t’ont souvent obligé à reprendre des détails, version après version. Comment tu as vécu ça, tu ne t’es jamais découragé ?
Vu dans l’instance Framapiaf du 26 juillet 2017 à propos de l’utilisation d’une varwidth dans une fbox :
Ce sont surtout les modifications de versions dues à Markus qui m’ont « obligé ».
Comme je l’ai indiqué ci-dessus, j’ai démarré ce travail, en mai 2014, sur la base de la version de l’époque qui a évolué le 16 avril, le 15 septembre, le 3 octobre 2015, avant de devenir la v3.20 en date du 10 mai 2016, la v3.21 le 14 juin puis la v3.22 le 2 janvier 2017, enfin la v3.23 le 13 avril 2017 et chaque fois, pour coller à la réalité, je me suis adapté en intégrant ces modifications.
De plus, Markus Kohm a multiplié des extensions et additifs publiés sur internet et j’ai décidé de les intégrer dans la version française de l’ouvrage. KOMA-Script est bien entendu le noyau, mais LaTeX, le système d’encodage abordé, m’était totalement inconnu. Je me suis inspiré, pour le découvrir à travers XƎLATEX, des ouvrages suivants qu’il m’a fallu ingérer, sinon comprendre :
le site Renouvo, réseau pour la nouvelle orthographe du français qui diffuse l’information sur les rectifications orthographiques proposées et recommandées par les instances francophones compétentes (entre autres, l’Académie française et « les » Conseil supérieur de la langue française) ;
Et j’ai navigué au hasard de mes hésitations (merci Mozilla), sur de nombreux sites que je n’ai pas cités dans mes références.
Que leurs auteurs et animateurs ne m’en tiennent pas rigueur.
Tu es donc passionné de LaTeX ? Pourquoi donc, quels avantages présente ce langage ?
LaTeX — prononcer « latèk » ou « latèr » comme avec le « j » espagnol de « rota » ou le « ch » allemand de « maren » (machen), selon votre goût — est un langage de description de document, permettant de créer des écrits de grande qualité : livres, articles, mémoires, thèses, présentations projetées…
On peut considérer LaTeX comme un collaborateur spécialisé dans la mise en forme du travail en typographie tandis que l’auteur se consacre au contenu. La fameuse séparation de la forme et du fond : chacun sa spécialité !
Et ce KOMA-Script c’est quoi au juste par rapport à LaTeX ?
LaTeX a été écrit par des Américains pour des Américains. Pour pouvoir l’utiliser convenablement il nous faut charger des paqs qui permettent de l’adapter à notre langue car les formats de papiers américains et européens sont très différents et les mises en page par défaut de LaTeX ne sont adaptées ni à notre format a4, ni à notre typographie.
L’utilisation de KOMA-Script, outil universel d’écriture, permet de gérer la mise en page d’un ensemble de classes et de paqs polyvalents adaptés, grâce au paq babel, à de multiples langues et pratiques d’écriture, dont le français. Le paq KOMA-Script fonctionne avec XƎLATEX, il fournit des remplacements pour les classes LaTeX et met l’accent sur la typographie.
Les classes KOMA-Script permettent la gestion des articles, livres, documents, lettres, rapports et intègrent de nombreux paqs faciles à identifier : toutes et tous commencent par les trois lettres scr : scrbook, scrartcl, scrextend, scrlayer…
Tous ces paqs peuvent être utilisés non seulement avec les classes KOMA-Script, mais aussi avec les classes LaTeX standard et chaque paq a son propre numéro de version.
Donc ça peut être un ouvrage très utile, mais quel est le public visé particulièrement ?
j’ai envie de répondre tout le monde, même si, apparemment, ce système évolué s’adresse d’avantage aux étudiants investis dans des études supérieures en sciences dites « humaines » (Géographie, Histoire, Information et communication, Philosophie, Psychologie, Sciences du langage, Sociologie, Théologie…) et préparant un DUT, une licence, une thèse et même un doctorat plutôt qu’aux utilisateurs des sciences « exactes » qui peuvent être néanmoins traitées.
En réalité, je le pense aussi destiné aux utilisateurs basiques de MSWord, LibreOffice ou de logiciels équivalents de traitement de texte, amoureux de la belle écriture, respectueux des règles typographiques utilisées dans leur pays, désireux de se libérer des carcans plus ou moins imposés par la culture anglo-saxonne, même s’il n’est pas évident, au départ, d’abandonner son logiciel wysiwyg pour migrer vers d’autres habitudes liées à la séparation du fond et de la forme.
Est-ce que tu as d’autres projets pour faire partager des savoirs et savoir-faire à nos amis libristes ?
Oui, dans le même genre, j’ai sous le coude un ouvrage intitulé « Utiliser XƎLATEX c’est facile, même pour le 3e âge » écrit avec la complicité de Paul Bartholdi et Denis Mégevand, tous deux retraités de l’université de Genève, l’Unige. Ces derniers sont les co-auteurs, en octobre 2005, d’un didacticiel destiné à leurs étudiants « Débuter avec LaTeX » simple, clair, plutôt bien écrit et dont je m’inspire, avec leurs autorisations, pour composer la trame de mon ouvrage qui sera enrichi (l’original compte 98 pages) et portera – comme son titre le laisse supposer – sur l’usage de XƎLATEX, incluant des développements et surtout des exemples de codes détaillés et commentés de diverses applications (mon objectif est de me limiter à 400 pages), mais ne le répétez pas…
Gênes, 1156. Le Falconus quitte le port. À son bord, pèlerins, marchands, membres de l’équipage et… un crime.
« À ainsi te mêler de tout, tu sais que tu t’attires des ennuis. »
Tandis que le jeune Ernaut mène l’enquête, l’exaltation des débuts laisse place à la maturité. Et si le voyage vers la Terre Promise était aussi un cheminement spirituel ?
Dans cette première enquête, à mi-chemin entre polar médiéval et roman d’aventure, Yann Kervran nous embarque dans un huis clos à la fois haletant et érudit. Sur cette inquiétante nef des fous, c’est aussi une partie de nous-mêmes que nous retrouvons, comme si nous étions compagnons d’Ernaut. En maître du genre, l’auteur ne fait pas que nous envoûter, il nous transporte dans ce monde tourmenté des croisades.
Ancien rédacteur en chef de magazines historiques (Histoire Médiévale, Histoire Antique, L’Art de la Guerre…), Yann Kervran se consacre désormais à l’écriture de fiction.
Photographe et reconstitueur historique enthousiaste depuis la fin de ses études universitaires, il trouve dans ces passions l’occasion de concilier goût pour la recherche et intérêt pour la mise en pratique et en scène de savoirs théoriques. Libriste convaincu, il participe de plus à de nombreux projets (dont un jeu vidéo libre !) : nous ne pouvions pas résister à l’envie de l’interviewer !
Bonjour Yann, pourrais-tu te présenter brièvement ?
Je suis un passionné d’histoire. J’ai créé et dirigé un certain nombre de magazines papier sur le sujet par le passé et j’ai eu envie de me tourner vers le livre voilà une dizaine d’années. Je fais également de la photographie, toujours sur des sujets historiques, et je donne parfois des conférences. J’ai également été très actif pour la promotion de la reconstitution historique, surtout médiévale, que je pratique depuis plus de vingt ans.
J’ai décidé voilà 5 ou 6 ans de me lancer dans un cycle de romans policiers au Moyen Âge, autour de la Méditerranée, surtout dans les territoires où se déroulaient les Croisades. Dans le troisième quart du XIIe siècle précisément. Je propose également des textes courts, Qit’a, qui prennent place dans cet univers, en périphérie et en marge des principaux récits. Ils sont publiés chaque mois sur mon site.
Tu publies aujourd’hui un roman d’aventures historiques, pourquoi le choix de ce genre ?
Je suis plongé dans l’univers des croisades depuis la fin de mes études et j’ai toujours eu envie d’en faire découvrir l’infinie richesse. C’est à chaque fois un crève cœur pour moi de constater la façon caricaturale dont elle est perçue. C’était ce qui avait motivé la création de mon premier magazine, Histoire Médiévale. Je suis en outre partisan d’une diffusion large des connaissances et la forme du roman d’aventure, du roman policier, me semblaient tout indiqués. J’en suis moi-même très amateur et il faut bien reconnaître que c’est là souvent la base de la culture historique de beaucoup de gens. L’enquête offre l’occasion de s’attacher aux humains, tout en mettant en valeur un ou deux aspects de la société.
Chouette ! C’est bourré d’Histoire ! Mais dis-moi, je peux emmener ton roman sur la plage sans me mettre à dormir ? Y’a une « histoire » avec un petit h ?
C’est là le cœur de mon travail : mettre en forme de façon attrayante toutes les informations que je dévore dans les articles et publications universitaires. Ce n’est que par la fictionnalisation, l’histoire avec un petit h, comme tu dis, que cela pourra se faire. Mes récits concernent des personnes inventées (pour la plupart), mais dont j’espère qu’elles sont des liens, des ami-e-s qui nous prennent par la main pour aller visiter leur monde. L’intrigue policière me donnait l’occasion d’avoir un cadre où faire cela, car j’étais inexpérimenté pour la rédaction de ce genre d’ouvrage. C’est ce qui m’a aidé à franchir le pas : j’avais des codes à respecter.
De façon générale, je ne suis vraiment pas amateur des livres où l’histoire est un décor plaqué sur un récit qui pourrait être moderne, comme peuvent l’être la plupart des films hollywoodiens, qui racontent toujours la même chose, au même rythme. Il me semble qu’il faut vraiment digérer longuement la documentation pour la faire sienne, et ensuite en nourrir son imagination. Il faut faire œuvre alchimique en quelque sorte. Ce n’est pas sans raison si le roman policier historique de référence est Le nom de la rose. Umberto Eco a longuement intériorisé tous les sujets dont il parle et les choses prennent vie sous sa plume sans qu’on ait l’impression de s’y confronter à du carton pâte. Bien au contraire, on en vient à oublier que Guillaume de Baskerville n’a jamais existé, pas plus que le manuscrit d’Adzo.
Qu’est-ce qui t’attire donc dans ces siècles un peu obscurs ?
À dire le vrai, j’aime l’histoire de façon générale et j’ai choisi de me focaliser sur une courte tranche car on ne peut pas tout faire. Quoi qu’il en soit il me semble que cela m’a particulièrement attiré car j’ai le sentiment qu’il s’agit d’un siècle des possibles. Le monde est ouvert, bouillonnant, empli de symboles encore vivants, riches de potentiel. C’est à ce moment que le chœur de Saint-Denis est édifié, rien d’obscur là-dedans.
Mais c’est aussi une culture radicalement autre, même en Europe. Ils vivent dans un univers mental complètement étranger au nôtre, malgré la filiation que certains en tracent. De plus, en plaçant ma saga essentiellement au Moyen-Orient, j’augmente l’altérité. Mais en même temps, j’espère en faire percevoir toute l’humanité, les passions semblables, malgré les apparentes dissemblances.
Tu as dû te documenter assez longuement et de façon approfondie, est-ce parce que tu veux atteindre un certain réalisme ? Parce que tu as voulu donner un aspect documentaire au récit ?
Absolument. Cela fait partie selon moi du contrat passé avec lecteur : je me dois d’être le plus précis possible si je veux mériter le terme « historique ». À défaut d’une obligation de résultat, je me fixe une obligation de moyens. Je me tiens donc le plus possible au courant des dernières recherches (c’est pour cela que je fournis toujours une petite bibliographie). C’est aussi pour cela que j’indique le jour et le lieu précis de chaque scène, de façon à permettre de replacer chaque petit élément dans le cadre plus large de l’Histoire. Quand cela n’est pas fait, c’est juste pour ne pas trop en dévoiler au lecteur, pour les besoins narratifs.
Mais dans le wiki qui me sert à tracer tout cela, c’est noté précisément.
Tu décris des éléments de paysage, des odeurs, des couleurs qui permettent aux lecteurices de s’imaginer les lieux. Tu es allé dans les régions que tu évoques ?
En rêve souvent. Mais uniquement au XIIe siècle. Je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion d’aller au Moyen-Orient, je ne connais l’endroit que par les textes des chroniqueurs et voyageurs, ainsi que grâce à quelques correspondants. Par contre, pour les scènes qui se déroulent en Europe, c’est souvent lié à des endroits qui me parlent personnellement : j’ai grandi à la Charité-sur-Loire, en Bourgogne, je vis désormais dans le Cantal (où passe mon héros Ernaut et d’où viennent certains personnages secondaires).
Jusqu’à quel degré de précision historique vas-tu ?
Aussi loin que mon temps et la documentation que j’arrive à m’offrir me le permettent. J’essaie par exemple de vérifier les quartiers de lune ou le prix des denrées quotidiennes aussi bien que l’origine des proverbes et dictons. Là encore, je ne prétends pas ne jamais faire d’erreur, mais j’essaie de les éviter au mieux en m’appuyant sur des travaux de recherche de spécialistes. Je dis souvent que je ne suis absolument pas historien (je n’en ai pas les méthodes ni les objectifs), mais je suis néanmoins un expert de cette période. Des amis universitaires sont d’ailleurs souvent enthousiasmés de voir que je donne vie à une hypothèse peu connue ou que je fais référence par sous-entendu à des aspects de leur spécialité de recherche. C’est aussi une façon de rendre hommage à leur travail de bénédictin, tout en servant de passeur vers le grand public.
Est-ce que c’est difficile de caser une intrigue dans la réalité historique si tu te donnes aussi peu de liberté ?
Bien sûr que non, c’est au contraire une formidable source de jouvence. J’ai des idées qui naissent à chaque lecture de charte ou d’article historique. Il y a tellement de blancs, de non-dits, de négligés de l’histoire qu’il y a largement la place pour que l’imagination s’y déploie, nourrie de ces informations. Je ne fais que proposer des liens, des relations, des symboles, qui unissent et mettent en valeur ce que je perçois de la réalité historique. C’est incroyablement libérateur.
L’époque des croisades te passionne. Dans le roman, tu relates les relations entre les cultures de l’époque en restant assez factuel, ton narrateur ne prend pas parti. Est-ce que tu penses comme d’autres (Amin Maalouf, par exemple) que cette période a durablement influencé le monde d’aujourd’hui ?
Bien sûr. C’est valable de toute période historique, mais ce qui est particulièrement vivace avec les Croisades, c’est que cela alimente des discours extrêmement politisés, aux extrêmes. Je ne cherche pas à l’idéaliser, je suis très heureux de vivre au XXIe siècle en France, mais ce n’est pas une raison pour n’y voir que des arguments utilisables a posteriori. Les individus qui vivaient à cette époque avaient leurs propres valeurs, leur vision du monde et leur humanité. Leur logique, pour autant qu’ils puissent en avoir une (quand on pense à soi, on se dit que la cohérence n’est pas notre fort), est interne à leur culture, leur civilisation, leur histoire personnelle. Je cherche avant tout à rendre cela sensible : ils sont, fondamentalement comme nous, tout en étant autre. Loin et proches à la fois.
C’est de là d’ailleurs que vient le terme qui désigne mon univers romanesque « Hexagora ». Cela fait référence à la théorie des 6 degrés de séparation (ou 7, ou 8, cela dépend) : nous sommes une chaîne de relations, et jamais très éloignés les uns des autres. Pour les curieux, je m’en explique un peu plus dans un court texte sur mon blog.
Ton roman historique est plein de rebondissements, des crimes et des énigmes, une trame largement policière… Quelles sont les lectures qui t’ont inspiré ou donné envie d’écrire dans ce genre ?
Je l’ai déjà cité, mais il y a bien évidement Le nom de la rose, qui constitue un canon du genre. Il y a ensuite la série des enquêtes de frère Cadfael, d’Ellis Peeters, qui se déroule au début du XIIe siècle, pendant la guerre civile anglaise. C’est aussi une référence classique. Dans les auteurs encore actifs, je suis un inconditionnel de Jean-François Parot, avec les enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet. Je suis admiratif de son talent d’écrivain et de sa capacité à lier la grande histoire, le quotidien des protagonistes et le déroulement du récit. J’ai récemment redécouvert les enquêtes du juge Ti, par Frédéric Lenormand. Là j’y apprécie l’humour féroce pour dépeindre une galerie de personnages d’une grande humanité.
J’ai essayé dans les premiers tomes de me frotter à plusieurs sous-genres : whodunit à la Agatha Christie, thriller plus contemporain dans son rythme ou polar à la française dans la lignée des Nestor Burma de Léo Malet. J’espère ainsi arriver à trouver mon style personnel, qui mélange au final un peu de tout ça, peut-être saupoudré d’Alexander Kent, qui ne fait pas dans le policier mais qui est un maître du roman d’aventure historique avec sa saga des Bolitho.
Au-delà des auteurs strictement policiers, j’ai beaucoup lu de SF et de fantasy quand j’étais jeune, avec Philip K. Dick et J.R.R. Tolkien à mon chevet. Du second j’ai gardé une tendance à vouloir brosser un univers complet, d’en faire un véritable protagoniste. Au final, mon héros, c’est Hexagora, encore plus qu’Ernaut.
Mais dis donc, ce premier roman d’un cycle, tu l’avais déjà publié ? Pourquoi as-tu voulu en faire un framabook ?
Oui, j’ai déjà été publié chez La Louve éditions, avec qui j’avais un contrat traditionnel. Les deux premiers tomes sont d’ailleurs encore disponibles chez lui dans le circuit des librairies (jusqu’à épuisement des stocks). J’ai souhaité en faire un Framabook car j’avais l’envie de publier sous licence libre. Je suis utilisateur de logiciels libres depuis pas mal d’années (sous Debian) et je m’intéresse à la culture libre, les communs, depuis très longtemps. Il m’a fallu du temps pour accepter le fait que je n’étais pas satisfait du système de l’édition traditionnelle.
Il y a tout d’abord la question de la licence, bien sûr, sur laquelle je reviendrai plus tard, mais c’est aussi que j’ai constaté que l’édition traditionnelle est génératrice de beaucoup de souffrance. J’ai eu la chance de n’y travailler qu’avec des gens que j’estime beaucoup professionnellement et personnellement. Des personnes de talent, travailleuses et compétentes. Ceci d’un bout à l’autre de la chaîne : éditeur, diffuseur, libraire… Au fil des ans, j’ai vu leur situation se dégrader, en même temps que la mienne, d’auteur, sans que personne n’arrive à expliquer pourquoi. Et puis un jour cela m’est enfin apparu : nous sommes devant une bêtise systémique. De là à se dire qu’il fallait changer de système, le pas était aisé. C’est ce que j’ai voulu faire. J’ai demandé à l’éditeur de mes romans s’il serait d’accord pour me redonner les droits sur mes textes (car, comme habituellement, il en détenait l’intégralité exclusive jusqu’à 70 ans après ma mort) et il a accepté. Je tiens à l’en remercier car ce n’est pas toujours si simple et amical. Cela a malgré tout demandé quelques mois pour se finaliser. Entretemps, j’avais contacté Framabook car j’avais envie de faire ce nouveau chemin avec des partenaires.
C’est un des aspects importants dans ce travail d’écrivain, de trouver les bons interlocuteurs avec qui avancer. Il est déjà extrêmement difficile d’accoucher d’un roman, et le faire sans assistance extérieure relève de l’audace la plus folle selon moi. Je crois vraiment qu’il est essentiel d’avoir un retour sur son travail et c’est la partie du métier d’éditeur qui ne pourra jamais disparaître, quel que soit le professionnel qui s’en chargera (c’est l’agent dans le monde anglo-saxon).
Pour revenir à la licence, j’ai longtemps réfléchi à ce rapport entre l’auteur et son œuvre, entre l’écrivain et ses lecteurs. La licence libre signifie un lâcher prise consubstantiel à l’acte d’écrire selon moi. Je fournis un écheveau de fils dont chacun fait sa trame et sa chaîne, pour en tirer sa propre étoffe. Difficile de placer une pancarte sur ce paysage mental signifiant « Ici c’est à moi ». J’ai finalement opté pour une licence intégrant le copyleft (CC BY SA précisément) car j’ai envie de voir l’écosystème se développer sans que des enclosures en naissent. Ce serait extrêmement frustrant pour moi de voir un rejeton issu de mon travail m’être interdit d’accès (ce que permettrait le BY ou CC0). De plus cela offre cette même protection à ceux qui souhaiteraient, à l’avenir, contribuer à l’univers d’Hexagora : le rapport sera toujours symétrique et inter-fécond.
Il demeure la question de la rémunération dans notre monde pas idéal, et il est certain que les licences libres n’offrent pas de modèle économique avéré. Néanmoins, celui proposé aux écrivains de nos jours est boiteux et de plus en plus défavorable. C’est donc un saut de la Foi que je tente. Reste à voir si je volerai ou si je m’écraserai. J’ai mis en place une page d’appel au don, en complément du pourcentage que Framabook me reversera sur les ventes papier, le format électronique étant gratuit.
Et à ce propos, un des aspects importants du travail proposé par Framabook est la confection d’un ebook accessible au format epub. Je crois à ces nouveaux supports de lecture (que j’utilise volontiers), d’autant plus quand ils offrent, comme là, la possibilité de renouer avec un public jusqu’alors exclu. En s’efforçant de faire un fichier qui puisse être lu par des machines à braille ou vocalisé via le matériel adapté, Framabook permet d’accueillir en toute équité des personnes exclues par le simple support papier. Le numérique offre cette chance et peu d’éditeurs la saisissent. Après avoir vu le travail que cela représente, je comprends pourquoi d’ailleurs, ce n’est pas bénin en termes d’investissement. Cela demande des compétences pointues et beaucoup de temps pour ne laisser passer aucun détail.
Comment s’est déroulée la collaboration avec l’équipe de Framabook ? Ils ont pris leur temps hein ? Ils et elles étaient un peu pénibles non avec leurs couches de révisions multiples ? Comment tu as vécu ça ?
La collaboration s’est très bien passée, et c’est une des meilleures ambiances de travail que j’ai pu avoir, car les personnes qui ont travaillé sur mes manuscrits le faisaient sans être pressées par des impératifs externes. Uniquement par goût pour mon travail et envie de l’améliorer en vue d’en faire un bon récit, un beau livre ou un fichier epub de qualité. C’est extrêmement valorisant et motivant, cette recherche d’excellence. Elle est bien sûr présente dans l’édition traditionnelle, mais souvent amoindrie, voire carrément biffée -dans la douleur- à cause d’une course à la rentabilité imposée à tous.
Venant de la presse, je n’ai pas un rapport jaloux à mes écrits et j’essaie d’entendre ce que chacun m’en dit comme une occasion de l’améliorer, éventuellement (car il m’est arrivé de refuser des corrections). Avoir un comité de lecture bienveillant est une chance de progresser dans ce que j’appréhende comme un artisanat. Je dis souvent que ce n’est pas parce que je ne suis pas Victor Hugo que je dois m’interdire d’écrire. Cela veut dire aussi que je dois pratiquer, comme un musicien fait ses gammes ou un peintre ses esquisses, tout en échangeant avec mon public, pour nourrir mon travail. Là encore, c’est une relation de flux et de reflux.
Le long temps passé est en partie ma faute, car j’ai voulu voir si on pouvait améliorer les procédures de façon à simplifier le travail pour les prochains tomes (car oui, je ne vous l’ai pas dit mais c’est un cycle qui, je l’espère, va battre la comédie Humaine de Balzac en termes de volume). Au final, cela n’a pas débouché sur ce que j’espérais et il va falloir améliorer ça à l’avenir. Au passage, ce long délai m’a permis d’ailleurs de rejoindre l’équipe de Framabook pour que mes expérimentations servent sur d’autres projets, à terme. C’est dire comme l’accueil a été plus qu’agréable.
La suite de tes aventures d’écrivain avec Framabook ? D’autres projets ?
Énormément. Je prévois plusieurs dizaines d’enquêtes d’Ernaut, sur environ cinquante ans (jusque 1204 environ), la période que je connais le mieux. Les trois premiers tomes sont rédigés et j’espère qu’on pourra les sortir assez vite. Je viens par ailleurs d’obtenir une bourse d’écriture du Centre National du Libre pour le tome 4, dont le plan est fixé. Quelques pistes ont été tracées pour les tomes 5, 6 et 7 ainsi que des idées pour de futurs volumes, dans la décennie 1170 essentiellement. J’ai aussi environ 70 nouvelles qui attendent d’être mises en recueil, à propos de l’enfance du héros, d’histoires annexes aux romans, de personnages secondaires. Et je conserve sous le coude plusieurs récits « spin off » comme on dit qu’il me plairait bien d’écrire. Quelques destins de personnages historiques hors norme dont la consistance romanesque est considérable. J’ai même un synopsis de bande-dessinée et des envies sur d’autres médias… Donc si vous espériez un one-shot, c’est raté…
Le mot de la fin est pour toi.
En publiant sous licence libre, je fournis aussi tous mes textes au format source, le markdown, sur un dépôt avec les différentes versions de travail. Cela constitue un autre des avantages de la licence libre : mon processus de création est accessible et lisible. J’espère ainsi également promouvoir l’idée qu’il ne faut nul génie pour se lancer dans une activité artistique. Il faut surtout du travail et une bonne dose de témérité peut-être tellement l’ambition est grande. Mais ce qu’on en retire est absolument incroyable. Il en découle une liberté, un enthousiasme revivifiants.
J’aime aller à la rencontre du public pour parler de mon travail car j’ai envie de faire accepter cette idée que nous sommes tous artistes. Enfant nous le savons parfaitement, mais nous l’oublions en grandissant. Et puis lorsque le temps se met à l’orage, il me paraît essentiel de déployer ses mots, de bâtir sa parole, de construire son langage propre. Sans les mots, pas de rêve, et sans rêve, nul monde ne peut advenir de soi. Écrire, c’est résister mais aussi proposer, échanger, offrir. Personne ne devrait s’interdire cela.
Sauf que ce guide pratique a un avantage de plus : celui d’être disponible ici sous forme de documentation, une documentation que vous pouvez améliorer en allant sur ce git.
Pour mieux comprendre comment tout ceci a été conçu, allons papoter avec son auteur, Christophe Masutti, aussi connu sous le sobriquet de Framatophe !
Internet pour les quarks : l’interview
Framatophe, on va se tutoyer, hein… Peux-tu te présenter en expliquant tes diverses activités au sein de Framasoft ?
Je suis arrivé dans l’aventure Framasoft à l’occasion d’un livre, la biographie de Richard Stallman retravaillée avec lui-même. Comme cela m’avait pas mal occupé, et comme j’ai quelques compétences en la matière, j’ai d’abord travaillé sur le projet Framabook. Petit à petit, les membres de Framasoft sont devenus des amis, j’ai intégré le conseil d’administration et je crois bien que c’est de pire en pire, avec toutes ces nouvelles idées révolutionnaires (dégoogliser Internet, il fallait être gonflé, pour laisser passer cela, non?), j’ai une deuxième vie, quoi… De manière plus pratique, cette année, je suis surtout occupé par la co-présidence de Framasoft, le comité ressources humaines, les partenariats/stratégie, le projet Framabook, le projet Framalibre, et puis partout où je peux être utile, comme les autres Framasoftiens, donc.
Tu nous présentes un manuel pour les Dupuis Morizeau… C’est encore un de ces trucs « pour les nuls » où on va se sentir minables si on fait les choses pas bien ?
Vous aurez remarqué, dans ma présentation ci-dessus, que je ne mets en avant aucune compétence technique en matière d’informatique. J’en ai un petit peu, certes, comme ceux qui comme moi ont depuis plus de trente ans un ordinateur entre les mains (la « vraie » génération Y), mais ce n’est pas du tout pour cela que je m’implique dans le Libre. Dès lors, en ouvrant cet ouvrage, n’ayez surtout pas peur d’un quelconque jugement.
C’est Madame Michu qui faisait office de canard boiteux, la sempiternelle décalée, incapable d’envoyer correctement un courriel, alors que finalement on peut bien vivre sans cela. Pire encore, Madame Michu renvoyait comme en miroir la suffisance des jeunes geeks, eux-mêmes caricaturés à l’extrême, symboles puérils d’une jeunesse qui finalement n’existe même pas.
Nous sommes divers. Nous utilisons nos terminaux, nos ordinateurs, nos téléphones portables comme nous l’avons appris, ou pas. Pourtant, pour bien des gens, ces machines restent des boîtes noires. C’est le cas des Dupuis-Morizeau, une famille imaginaire que nous citons souvent à Framasoft. Elle correspond, je crois, assez bien à une réalité : des personnes qui utilisent les réseaux et les outils numériques, souvent même avec une certaine efficacité, mais qui ne sont pas autonomes, dépendent des services des grands silos numériques du web, et sont démunis face à tout ce contexte anxiogène de la surveillance, des verrous numériques, des usages irrespectueux des données personnelles… C’est à eux que s’adresse cet ouvrage, dans l’intention à la fois de dresser un petit inventaire de pratiques numériques mais aussi d’expliquer les bonnes raisons de les mettre en œuvre, en particulier en utilisant des logiciels libres.
Est-ce que tu as écrit/dirigé ce manuel parce que tu es un Dupuis-Morizeau ? Parce que tu l’as été ? Parce que tu les côtoies ?
Lorsque vous interrogez autour de vous tous ces Dupuis-Morizeau, il ne fait aucun doute que, au moins depuis l’Affaire Snowden, une prise de conscience a eu lieu. Mais comment agir concrètement ? J’ai tenté plusieurs approches. La pire, c’est lorsque j’ai moi-même découvert les logiciels libres. J’avais beau saouler littéralement mon entourage pour l’utilisation de GNU/Linux ou n’importe quel logiciel libre « à la place de… », l’effet produit, était parfois tout à l’inverse de celui souhaité. Pourquoi ? parce que changer les pratiques uniquement en vertu de grandes idées, qu’elles soient libristes ou non, n’est jamais productif.
Changer des pratiques est d’abord un processus créatif : il peut être motivé, certes, mais il ne faut pas perdre de vue qu’il est toujours vécu de manière individuelle. Il ne vaut donc que s’il correspond à un mouvement collectif auquel l’individu adhère parce qu’il a une raison de le faire et de s’inventer des moyens de le rendre acceptable. Si vous voulez que la population laisse tomber le « tout voiture » au profit du vélo, il faut non seulement faire valoir les avantages écologiques et en matière de santé, mais aussi structurer le changement en créant des pistes cyclables en quantité et proposer aux habitants de s’approprier l’espace collectif autour du vélo ; bref, un aménagement urbain rien qu’à eux, ces futurs cyclistes qui se reconnaîtront alors en tant que tels.
En matière de numérique, c’est un peu la même chose. Nous avons les idées, nous avons l’effet structurel : les logiciels libres existent, il y a des annuaires (Framalibre !), nous avons même d’excellentes raisons collectives d’adopter le logiciel libre (cf. l’affaire Snowden et toutes les questions liées). Ce qui manque, c’est la chaîne qui permet aux utilisateurs de s’approprier les usages. Pour cela, une des méthodes pourrait consister à ouvrir ces boites noires que représentent les machines informatiques, vulgariser les principes, et faire le lien avec certains logiciels libres emblématiques. De cette manière, on accompagne l’utilisateur à la fois dans la connaissance technique, avec un bagage minimaliste, dans la stratégie qu’il va devoir lui-même mettre en œuvre pour répondre à son besoin (connaître les formats de fichiers, choisir les bons logiciels, sécuriser ses échanges, etc.) et adopter de nouvelles pratiques en fonction de ce besoin.
Bon mais concrètement, qu’est-ce que je vais trouver dans cet ouvrage ? Des grandes théories ? Des conseils pratiques ? De la vulgarisation ?
Un peu de tout cela oui. Et en même temps cet ouvrage est conçu comme un temps de respiration. Installer, configurer, sauvegarder, souscrire, télécharger, surfer, cliquer ici, cliquer là, pourquoi, comment… on s’arrête. On respire. Ce livre, c’est un compagnon, un guide. Ce n’est pas vraiment un manuel dans lequel on va trouver des recettes toutes faites. Il donne des exemples concrets de ce que font certains logiciels mais il explique d’abord pourquoi il est intéressant de les utiliser. Il explique de quoi est composée une URL avant de montrer quelle extension de Firefox il serait bon d’installer.
Il y a donc clairement des partis pris. Les spécialistes de logiciels libres trouveront très certainement beaucoup de choses à redire au sujet du choix des logiciels mentionnés. Ce n’est pas à eux que je m’adresse : quand j’ai lu sur un forum qu’il est « simple de configurer Thunderbird pour qu’il se connecte en IMAP sur un serveur en utilisant une sécurité SSL sur le port 993 », je me suis dit qu’il était peut-être intéressant, avant de formuler cette phrase, d’expliquer ce qu’est un protocole de communication et quelques éléments autour du chiffrement. On ne peut pas libérer les pratiques numériques en laissant les utilisateurs dans l’ignorance des principes généraux de l’environnement technique dans lequel ils évoluent. Cette ignorance est justement l’un des ressorts stratégiques des monopoles de logiciels et de services (elle fait aussi le beurre de certains « experts en décisions SI »).
Ce compagnon est aussi le fruit de mes propres démarches personnelles. Comme beaucoup d’autres, j’ai commencé par bidouiller en Basic sur des machines dotées de 16Ko de RAM pour les plus accessibles à un porte-monnaie modeste, et un peu plus tard, alors que le Minitel ne me suffisait pas, j’ai cherché à établir des connexions avec des modems RTC. Aujourd’hui, si la synchronisation de ses contacts entre un service Google et son smartphone ne fonctionne pas, on trouve cela complètement anormal… Mais qui serait nostalgique de l’époque maudite où il fallait se farcir les spécifications techniques de ses appareils (selon les marques) pour pouvoir envoyer un simple courriel ? Il n’en demeure pas moins que si nous sommes démunis en pareils cas, ce n’est pas parce que nous ne cherchons pas à comprendre comment fonctionne tel programme, mais parce que les mauvaises pratiques induisent des faiblesses. Voici un exemple très courant. Monsieur Dupuis-Morizeau n’arrive plus à accéder au webmail de sa boite Machin, il change pour une boite Truc qui lui offre la possibilité de télécharger ses messages depuis la boite Machin. Ayant perdu le second mot de passe, lorsqu’il revient à la première boite il ne comprend plus où sont ses messages. Perplexité, frustrations, nervosité… ce sont ces états que ce guide souhaite aussi changer en reconstruisant une forme d’autonomie numérique.
Tu as mis des blagues ou ton côté universitaire a repris le dessus ?
Alors, d’abord, très nombreux sont les universitaires dotés d’un sens de l’humour et avec un esprit désopilant. Qu’est-ce que c’est que cette caricature ? Tiens la dernière entendue : « que dit un canard si on l’atomise ? » : « quark, quark ».
Donc là normalement vous êtes morts de rire, non ? (si vous savez qui en est l’auteur, je suis preneur de l’info)
Quant à moi, comme on peut le voir je suis très mauvais en la matière et on me dit souvent que ma blague favorite est trop longue (et elle aussi a été dessinée, d’ailleurs, vous voyez ce qu’il nous faut subir dans cette asso, NDLR).
Alors forcément personne ne pourra se tordre de rire à la lecture de l’ouvrage… Ah si, peut-être en introduction, en note de bas de page, un trait d’humour noir, histoire de faire espérer le lecteur pour qu’il tourne la page suivante.
Il n’ y avait pas déjà des ouvrages sous licence libre qui faisaient le job ? Qui auraient pu être mis à jour sans tout réécrire ?
Il y a un livre, écrit récemment par Tristan Nitot, intitulé Surveillance://. Il n’est pas sous licence libre, c’est son seul défaut. Dans cet ouvrage, Tristan va même jusqu’à expliquer comment paramétrer un service de Google pour (tenter de) sauvegarder un peu d’intimité numérique. C’est en partie cette section de son livre qui m’a inspiré : il est bon d’expliquer les enjeux du numérique mais il faut bien, à un moment donné, fournir les clés utiles aux lecteurs pour mettre au mieux à profit les sages conseils promulgués prodigués.
Tu avais lancé ce projet d’écriture comme un projet collectif, mais ça n’avait pas vraiment pris… Tu peux expliquer pourquoi, à ton avis ? C’est plus simple d’être dans son coin ? Je croyais que chez Frama on était les champions du travail collectif ? 🙂
Oui, c’est vrai. Le projet date d’il y a presque trois ans. D’ailleurs à deux reprises je reprends des petites parties de ce que certains avaient déjà écrit. C’est marginal, mais en tout cas ils sont crédités. Le projet collectif n’avait pas pris essentiellement pour deux raisons :
un manque de temps de ma part pour agréger une communauté autour du projet (et on sait combien cela peut être chronophage),
il est difficile de faire émerger collectivement une adhésion totale au fil directeur d’un ouvrage qui se veut « grand public », car il y a autant de conceptions du lectorat et de la vulgarisation qu’il y a de contributeurs.
Le projet a traîné… Puis la réfection de Framalibre m’a pris pas mal de temps, en plus du reste. C’est lorsque j’ai compris ce qu’il manquait à une liste de logiciels libres que je me suis mis à écrire cet ouvrage, et le premier jet a duré 4 semaines. C’était mûr, même si ce n’est pas parfait, loin de là.
Comment se sont passées les relations avec ton éditeur ? Pas trop d’engueulades ;p ? En vrai, on peut dire que tu as eu des scrupules à proposer cet ouvrage au groupe Framabook ?
Oui, c’est juste. Comme je suis très impliqué dans la collection Framabook, je ne voulais pas « imposer » ma prose. Par ailleurs, n’étant pas sûr de l’intérêt réel, je voulais d’abord proposer l’ouvrage en mode restreint, auto-édité. Mais des lecteurs framasoftiens m’ont persuadé du contraire, alors…
Ce livre, c’est un point final ou un début ? Que faire dans un, deux ou cinq ans, si des informations deviennent obsolètes ?
C’est un début. Clairement. D’une part il va falloir surveiller l’obsolescence des logiciels mentionnés (même si la plupart sont des logiciels particulièrement connus depuis longtemps et qui ont fait leurs preuves). Mais les enjeux et le contexte changent aussi : les raisons qui font qu’il est utile (mais pas indispensable) d’utiliser un client de courriel local (voir chapitre 3) ne seront peut-être plus valables d’ici deux ans. Cet ouvrage devra donc bénéficier de versions améliorées. D’autre part, un ou deux chapitres peuvent encore être écrits.
L’autre ambition de l’ouvrage est de figurer sous une forme de documentation (ici) de manière à être accessible le plus rapidement possible. C’est aussi pour cela qu’il sera important de veiller aux mises à jour.
Et si je pense être capable de l’améliorer, je fais quoi, je t’envoie un courriel ?
Ce serait super ! L’aide est toujours bienvenue. Pour cela le mieux est encore d’utiliser mon dépôt sur Framagit qui génère automatiquement la version « documentation » citée ci-dessus. Ou bien vous pouvez ouvrir un simple commentaire (dans les « issues » du projet) ou même carrément pousser des propositions de modification avec Git. Oui, je sais que cette méthode est loin d’être tout public, mais là je n’invite pas les Dupuis-Morizeau, hein ? Néanmoins si cela ne convient toujours pas, un courriel fonctionne aussi…
Tu as choisi quoi, comme licence ?
La licence Art Libre. C’est une licence Copyleft qui me semble plus en phase avec la production d’œuvres écrites.
Et comme toujours sur le Framablog, tu as le mot de la fin…
Un mot… Ce sera l’expression « autonomie numérique », que je définirais ainsi : la capacité d’un individu à utiliser des dispositifs informatiques de production et de traitement de l’information sans contrôle extérieur et tout en expérimentant son intimité dont lui seul fixe les limites d’un point de vue technique et relationnel. Respire, respire !
Une nouvelle Framakey Mint, des stickers et du Framabook sont EnVenteLibre !
Le libre fait bien souvent l’objet… d’objets ! Plus que des Frama-goodies (même si c’est, aussi, un moyen de nous soutenir) ce sont là des projets de longue date qui prennent enfin forme…
Au menu des nouveautés, un Framabook, une Framakey et des stickers !
Logiciels et Objets Libres, le guide pour apprendre à animer votre communauté !
Et voici un nouveau Framabook (dont on vous a déjà parlé dans le framablog) qui vient compléter une petite collection de manuels spécialisés dans l’animation de communautés de développement.
Écrit par une équipe de choc (Patrick Guillaud, Stéphane Ubéda, et Stéphane Ribas), il est le fruit de l’expérience des chercheurs et développeurs d’INRIA travaillant sur des projets ouverts dans le domaine du numérique.
Vous cherchez à renforcer vos compétences dans l’animation et la gestion d’une communauté ? Vous avez besoin d’une aide méthodologique ? Ce guide (accompagné d’interview et de cas concrets) est fait pour vous !
Pour en savoir plus sur Logiciels et Objets Libres :
De retour après une longue absence, la Framakey revient avec une clé USB 3 de 16 Go contenant la distribution Linux Mint 17.3 entièrement en français.
Comme pour les précédentes éditions, elle offre un mode persistant qui vous permettra d’ajouter vos programmes à cette distribution et de la personnaliser selon vos envies, pour toujours emporter votre bureau avec vous.
Cette fois aussi, la clé propose l’accès à de nombreux logiciels dits « portables ». Ainsi, la clé contient plus d’une quarantaine de logiciels libres, parmi les plus courants, prêts à l’emploi directement depuis la clé sans installation préalable.
Emmenez dans votre poche, en moins de 10 grammes, une « boîte à outils » logicielle partout où vous irez !
C’était une blague récurrente, chez Framasoft : on n’est pas foutus de (re-)faire des autocollants, tout occupés que nous sommes à Dégoogliser Internet ! On s’est dit que nous pourrions allier les deux, et créer des stickers qui feraient parler votre entourage, histoire que vous les dégooglisiez !
Les neurones de l’équipe, et les doigts de fée de Gab, se sont activés sur Inkscape pour créer une série de six autocollants rectangulaires, de 8 x 6 centimètres, parodiant les panneaux d’avertissement qui nous entourent :
Ces autocollants seront distribués à prix libre sur nos stands et lors de nos diverses rencontres, mais vous pouvez aussi les ajouter à vos commandes EnVenteLibre (à 0.50 € l’unité ou 2.50 € le lot des six).
Une communauté, comment ça marche ?
Et surtout comment faire pour que ça marche bien, que ça s’épanouisse et que ça dure ?
Nous sommes bien placés pour le savoir à Framasoft, la vie quotidienne d’une communauté se fait le plus souvent en mode bazar — peut-être devrais-je dire à la gauloise — jusqu’à ce qu’une bonne volonté à l’esprit plus cartésien prenne en charge une mise en ordre efficace, avec processus, deadline et animation d’une équipe (nous appelons ça des « comités »). Heureusement notre projet pluriannuel et planétaire dégooglisons internet nous fixe les grandes lignes d’une action qui reste empirique au jour le jour. Heureusement aussi que nous pouvons compter sur vous pour nous propulser, car c’est ainsi que nous avançons.
Bref, nous avons beaucoup à apprendre du nouveau Framabook que nous vous présentons aujourd’hui, car il s’agit d’un ouvrage fondé sur l’expérience et des cas concrets, et dont la démarche est celle d’un guide pas à pas pour une gestion optimale d’une communauté autour d’un projet libre. Vous allez le découvrir dans ce précieux manuel, les trois compères qui l’ont conçu n’ont rien oublié, car tous les détails qu’ils abordent peuvent s’avérer décisifs pour une communauté.
Avant d’ouvrir le Framabook qui vous attend, faisons connaissance avec Patrick et les deux Stéphane qui nous viennent d’INRIA, nous en saurons plus sur leurs motivations et l’esprit dans lequel ils ont travaillé.
Vous publiez aujourd’hui un guide très complet et riche en recommandations sur la façon d’animer une communauté. Selon votre expérience, on innove plus facilement à partir d’organisations communautaires qu’à partir de structures verticales et officielles ?
Les communautés de pratique qui se construisent autour de projets ouverts font partie des structures humaines les plus fécondes en innovations que l’on connaisse. Je dirais que l’on innove plus facilement avec des structures de type communautaire, pair à pair, encore faut-il qu’elles soient dynamiques.
Une des clés de succès est de bien choisir son modèle de gouvernance. Le modèle de gouvernance en « approche descendante » (top down) est souvent un frein à l’émergence de nouveautés, c’est même un puissant stérilisateur d’innovation. Cependant, les organisations qui ont choisi ce modèle sont alors davantage utilisatrices et/ou consommatrices d’innovation… Il est important de collaborer aussi avec ces structures. Une fois que les projets ont pris de l’élan, elles peuvent avoir du sens car elles permettent d’institutionnaliser les innovations produites.
Je crois que ces deux modes d’organisation sont complémentaires, à la condition cependant de laisser les inventions germer puis se transformer en innovations selon leur mouvement naturel qui est bottom-up.
Le modèle Inria est selon nous à la fois une structure top down et une structure bottom up. L’écosystème bottom up est constitué des chercheurs et ingénieurs de recherche alors que le top down est représenté par les équipes de valorisation. L’organisation bottom up (accompagnée d’actions encourageant la prise d’initiatives) facilite l’émergence de projets très divers et dont l’usage dans la société est insoupçonné (quel impact ?)… en somme la structure bottom up produit de l’innovation et la structure top down pioche dedans. Tel est le cas pour Inria, pas forcément pour les projets FLOSS…
Vous publiez un guide dont le sous-titre est « Animer une communauté autour d’un projet ouvert », c’est parce que vous trouvez que les communautés libristes ne sont pas bien « animées » ?
Pas du tout ! Il nous semblait d’une part que ce sujet n’était pas encore largement traité et d’autre part que la diffusion et la mise en commun de nos expériences pouvaient être utiles. Stéphane Ribas apporte, en tant qu’expert en management de communautés, une assistance à l’ensemble des équipes de recherche et aux projets de développement logiciel au sens large chez Inria. Comme la demande est bien trop large pour être traitée par un seul spécialiste, ce guide a été écrit pour tenter d’amplifier la diffusion des quelques principes de base de la gestion de communauté.
On sent une volonté d’éducation populaire à la lecture de ce guide, qui dépasse le seul cadre du développement logiciel…
Éduc pop… oui. On est animés par une motivation intrinsèque incroyable : transmettre le savoir et le savoir-faire, se rendre utiles. Disons qu’on se rend bien compte de l’utilité de ce que l’on fait et c’est extrêmement motivant.
Ce guide est le fruit d’un travail collaboratif de longue haleine, qu’il a fallu coordonner et mener à terme, pas trop compliqué ?
Stéphane Ribas — Eh bien mes deux collègues ont dû supporter mon hyperactivité pendant presque 6 ans… Les périodes de disponibilité et les phases de l’écriture n’étaient pas toujours les mêmes, du coup la plupart des solutions sont venues d’un effort de coordination : calage de journées de travail dédiées au guide, Skype, etc. Il faut dire que la rédaction de ce guide est venue se superposer à des vies déjà bien remplies…
Patrick Guillaud — Notre proximité et le partage quotidien de nos interrogations, préoccupations et parfois de nos succès nous ont permis de finalement partager une vision commune et cohérente à partir de trois prismes ou angles de vue un peu décalés.
Est-ce que le choix de Framabook comme éditeur découle de l’aspect collaboratif de ce guide ou y a-t-il d’autres raisons qui vous ont poussés à placer cet ouvrage dans les communs ?
Patrick G. — Je crois que l’une des raisons qui nous poussent à agir est justement le fait que nous sommes de fervents supporters de la philosophie du libre, car nous sommes convaincus de son efficacité. Il ne faut pas oublier non plus que nous avons la chance de travailler dans un institut public de recherche, ce qui nous place dans des conditions idéales pour mettre cette philosophie en action, même si l’on voit de plus en plus d’entreprises privées y venir également. Cependant, après des années à travailler dans ce domaine, je crois que nos convictions vont bien au-delà, et nous sommes sûrement davantage aujourd’hui des supporters du mouvement appelé openness … D’ailleurs les conseils prodigués dans le guide Logiciels et Objets Libres s’appliquent aussi à d’autres domaines. On a mis un peu beaucoup d’openness dans ce guide (désolé pour l’anglicisme).
Il ne faut pas empêcher la transmission du savoir et du savoir-faire. À l’époque de la recherche de phénomènes autour de l’électricité, certains « scientifiques » présentaient des expériences au public comme des phénomènes magiques. C’était une mise en scène sans grande explication sur la logique de fonctionnement, l’explication était réservée à une toute petite partie de l’élite. Une deuxième école de pensée existait déjà, elle avait pour objectif de transmettre ce savoir au plus grand nombre, de pratiquer une sorte de médiation scientifique, de vulgarisation de la science. C’est bien sûr dans cette démarche que s’inscrit notre travail.
Le choix de la triple licence : LAL 1.3, GNU FDL 1.3 et CC By-SA 3.0, c’est par gourmandise ou par militantisme ?
Patrick Guillaud — Gourmandise ou militantisme ? Si je revendique le premier terme sans complexe, j’associerais volontiers celui d’activisme au second. En effet, l’un des principes qui fondent nos activités est celui d’action dont je dirais même qu’il précède notre discours militant et nous permet de le construire. On aurait pu aussi remplacer gourmandise par recherche du plaisir et militantisme par conviction.
Plus sérieusement, comment et pourquoi avez-vous choisi ces licences ?
En fait, nous avons suivi les conseils de Framasoft, mais en même temps nous convaincre était facile : nous avons plusieurs éditeurs dans le monde de la recherche qui ont mis en place des licences qui ne favorisent pas si facilement le partage et la diffusion, ou ne laissent pas de place à la reconnaissance de l’auteur… Nous avons donc très naturellement accepté la proposition de Christophe.
Vous donnez dans cet ouvrage des interviews et des cas concrets qui sont intéressants et qui complètent utilement les recommandations théoriques. Mais chez Inria, qui est une très vaste structure collaborative, comment se passe « l’animation » de la communauté ?
Patrick G. — Au sein d’Inria l’animation des communautés (je le mets au pluriel parce qu’elles sont nombreuses) se faisait au gré des vents et des courants et dépendait entièrement du contexte : lorsque l’équipe comptait un leader, charismatique et bon manager, elle était parfaite, mais parfois c’était plus compliqué. Dans ce genre de cas, un brin de méthode — on appelle ça « les bonnes pratiques » — ne peut pas faire de mal. Et c’est la fonction principale de Stéphane Ribas que d’améliorer les choses en la matière. Cela ne permet certainement pas de tout régler partout, mais cela permet de limiter la casse dans certains contextes difficiles, et surtout, à travers des activités de diffusion et « d’évangélisation », cela peut aider significativement les communautés un peu livrées à elles-mêmes de monter en compétence sur ce sujet et donc de gagner en efficience.
Stéphane R. — Il faut aussi ajouter le rôle très important de Stéphane Ubéda et de son rôle au sein d’Inria en 2011, qui ont grandement facilité la mise en place d’un service autour de la gestion de communauté, de manière plus formelle que cela ne se pratiquait auparavant au sein de l’institut. Patrick était responsable de l’animation de plusieurs projets clés dans les domaines de la science et de la société et il a beaucoup travaillé sur l’attractivité de l’institut auprès des étudiants et jeunes diplômés. En somme il a fait le community manager pour plusieurs projets structurants.
Il existe une différence sensible entre les deux exemples de cas concrets, très structurés et se déroulant dans le milieu de la recherche universitaire et/ou industrielle, et les deux projets exposés en interviews, Mozilla et Debian, pour lesquels un certain degré d’empirisme est de mise, avec un mode d’organisation non-directif qui laisse davantage de place à l’autonomie. Est-ce que vous ne voyez pas là une différence entre les projets du monde du Libre associatif et ceux du monde universitaire ?
Stéphane R. (rire) — En fait je ne suis pas sûr que la vision extérieure que l’on peut avoir d’Inria corresponde tout à fait à ce qui se passe à l’intérieur de l’institut. Les infrastructures sont entièrement au service de ses équipes de recherche, 200 environ, réparties dans et autour des huit centres implantés au niveau national. Les actions menées depuis le top management de l’institut ont plus pour but de coordonner que de contrôler. Du coup ce sont en réalité les chercheurs qui dirigent leur barque et les velléités de comportement exagérément top down sont assez efficacement filtrées. Il est permis de supposer que c’est l’un des facteurs qui font que l’institut conserve un niveau de pointe en recherche.
Vous parlez des bonnes pratiques et vous faites état de réussites (AspireRFID, Poppy Project) mais ne peut-on aussi tirer des leçons utiles des échecs ? Pour prendre à l’envers la démarche de votre ouvrage, qu’est-ce qui est défaillant lorsqu’une communauté ne fonctionne pas ?
Pour tout dire nous avons commis un article (publié chez OSS 2011) intitulé Comment tuer une communauté avec un diaporama…
Vous ne craignez pas de décourager un peu ceux qui voudraient débuter dans la gestion-animation de communauté ? Parce que, dites donc, c’est copieux tout ce processus idéal… et ça prend du temps ! Ce n’est pas possible pour une communauté de bénévoles, si ?
Oui, cette question de savoir quoi mettre et où s’arrêter a été souvent débattue. Pour l’anecdote, au départ l’idée était de produire un petit document d’une vingtaine de pages maximum, vite écrit (mouahahaha), facile à diffuser et à lire, ne donnant que quelques principes-clés. Aujourd’hui on en rit mais au milieu du gué, euh…
On a voulu faire simple mais à la fois complet. On pense que vous pouvez créer une communauté de 10 membres comme une communauté de 800 membres et plus… Le guide s’adresse à ces deux possibles configurations. On peut le lire de différentes manières : on peut s’arrêter au premier chapitre qui donne les grandes lignes de la méthode. On peut aussi, si on le souhaite, rentrer dans les détails grâce à une lecture plus approfondie du reste des chapitres. Mais on peut aussi lire ce guide en picorant certains passages, certains chapitres. Il faut prendre ce guide comme une sorte de « bible » qui vous suivra tout au long de votre vie de Community Manager.
Votre ouvrage s’adresse à des communautés institutionnelles assez structurées pour avoir une personne ou une équipe dédiée à l’animation, mais que conseilleriez-vous à des petites associations ?
Notre idée, souvent débattue également, c’est que, compte tenu du fléchage et des redites d’un chapitre sur l’autre qui permettent une lecture fractionnée ou partielle, le guide devrait être compatible avec de tout petits groupes.
D’ailleurs nous avons appliqué certaines parties pratiques du guide à un projet regroupant 5 à 7 personnes (un logiciel de preuves mathématiques) pour qu’il grossisse ! Nous avons suggéré au chef de ce projet de faire une journée de conférence à Paris où il a invité ses coopétiteurs dans le domaine, et l’avons incité à organiser une journée d’échange avec eux.
Au départ le porteur du projet n’en menait pas large mais il a trouvé l’idée intéressante. Finalement cette journée s’est avérée un joli succès : pleine d’échanges, de prises de contacts, bref, tout ce petit monde s’est retrouvé en mode coopération/compétition et le soir tout le monde était à la fois enchanté et ami. Suite à cette conférence, la communauté à plus que doublé, elle regroupe à présent vingt personnes à travers une liste de diffusion dynamique, où les collaborations sont quotidiennes. Cela peut prêter à sourire, mais ce qui nous importe c’est que le chef de projet soit heureux d’avoir créé une dynamique sur un sujet très, très pointu. Bien sûr, on en peut comparer un tel projet avec un projet grand public.
Je conseille d’utiliser ce guide comme un patchwork… à vous de picorer… picorer, picorer ! C’est vraiment un guide pour débutant, gourmand et grand spécialiste. Il est fait pour un large public et l’élaboration de mini-projets, de projets de taille moyenne, et de grands projets !
Si vous aviez eu plus de temps/espace de publication, quel autre aspect auriez-vous abordé ? Ce sera pour une prochaine publication ?
Personnellement, je reviendrais sur la méthode pour choisir une licence, il manque des éléments tel que prendre en compte les objectifs du projet, ce que l’on veut partager et les valeurs que l’on veut transmettre. Je compléterais donc bien cette partie même si nous expliquons dans les deux cas concrets comment nous avons choisi les licences : selon les objectifs, le partage, les valeurs.
Nous sommes en 2016, et il y a encore beaucoup de mythes autour de ce sujet ! Je pense que les licences FLOSS décrivent suffisamment de règles pour ne pas ajouter des couches supplémentaires. Beaucoup trop de personnes se focalisent aussi sur le modèle économique au lieu de mettre en œuvre une gouvernance appropriée (avec le partage et les valeurs qui correspondent). On peut changer plus facilement de modèle économique que de modèle de gouvernance ou de licence. D’ailleurs je déconseille de tomber amoureux de son modèle économique ! Je compléterais bien le guide avec un chapitre sur le modèle économique appelé « consortium ».
Quelles sont les utilisations et/ou transformations que vous espérez pour ce guide ? Qui, selon vous, pourrait s’en emparer voire l’adapter ou le modifier ?
J’aimerais aussi travailler sur les communautés d’apprentissage telles qu’on les retrouve dans le monde éducatif. Il y aurait de quoi écrire un autre guide, qui ne serait pas redondant avec celui-ci : les techniques pour motiver et faire collaborer un monde de professeurs entre eux ne sont pas si simples et ne correspondent pas toujours aux motivations des communautés de pratique.
Enfin et surtout, on aimerait que les gens réagissent sur un wiki à propos du guide et nous donnent leur avis, ajoutent leurs conseils, leurs expériences… Et pourquoi pas faire une version 2 annotée avec les avis du public ?
Nous lançons aussi un appel à contribution pour nous aider à traduire le livre en espagnol, en anglais, en italien…
Nous vous laissons « 3 mots de la fin »…
— À plusieurs on est meilleurs !
— Community over code !
— Doing business on Open Source is not selling a code that we did not pay but earn his life around a code that is not sold.