Le mouvement du logiciel libre vu par Hervé Le Crosnier

Aussiegall - CC by« … mais ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code. »

Quand Hervé le Crosnier s’immisce sur le site de l’association Attac pour leur (et nous) parler du mouvement du logiciel libre, cela donne un article majeur qui vient parfaitement illustrer la citation mise en exergue sur ce blog, permettant de mesurer à l’instant t le chemin parcouru[1].

Extrait : « N’ayons pas peur de dire la même chose avec d’autres mots qui parleront peut-être plus clairement aux héritiers du mouvement social et ouvrier : le mouvement des logiciels libre a fait la révolution, créé de nouveaux espaces de liberté, assuré un basculement des pouvoirs et libéré plus largement autour de lui ce qui aurait pu devenir un ordre nouveau, balisé par les décisions de quelques entreprises. Comme toute révolution, elle est fragile, comporte des zones d’ombres, des « risques » de dérapages ou de récupération. Mais avant tout, comme les révolutions sociales, elle est un formidable espoir qui va ouvrir à la joie du monde non seulement les acteurs, mais tous les autres courants entraînés dans la dynamique… »

À lire, en évitant le « syndrome des textes longs à l’ère de la distraction permanente » (pour vous aider : version PDF de cet article), mais aussi et surtout à faire lire à votre entourage.

Leçons d’émancipation : l’exemple du mouvement des logiciels libres

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Hervé Le Crosnier – 24 avril 2009 – Attac
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Un mouvement ne parle que rarement de lui-même. Il agit, propose, théorise parfois sa propre pratique, mais ne se mêle qu’exceptionnellement de la descendance de son action dans les autres domaines, qu’ils soient analogues, tels ici les autres mouvement dans le cadre de la propriété immatérielle, ou qu’ils soient plus globalement anti-systémiques. Les incises sur le rôle politique du mouvement du logiciel libre dans la phase actuelle et sa puissance d’émancipation ne sont donc que mes propres interprétations… même si une large partie du mouvement en partage, si ce n’est l’expression, du moins le substrat. Mais d’autres, pourtant membres du même mouvement, et construisant eux aussi le bien commun du logiciel libre pourraient penser que leur motifs d’adhésion et leur objectifs restent largement différents, considérant l’élaboration de logiciels libres comme une autre approche de l’activité capitalistique et de marché, mais qui leur semble plus adaptée au travail immatériel. Approche « pragmatique » et approche « philosophique » ne sont pas incompatibles, c’est du moins la principale leçon politique que je pense tirer de ce mouvement et de son impact plus global sur toute la société. Car si un mouvement ne parle pas de lui-même, il « fait parler » et exprime autant qu’il ne s’exprime. Le mouvement des logiciels libres, et ses diverses tendances, est plus encore dans ce cas de figure, car son initiateur, Richard M. Stallman n’hésite pour sa part jamais à placer les fondements philosophiques au cœur de l’action du mouvement.

Introduction

Pour saisir la genèse du mouvement des logiciels libres, mais aussi son réel impact libérateur pour toute la société, il convient de revenir à la question même du logiciel. Le néophyte a souvent tendance à assimiler le logiciel aux outils de productivité, tels les traitements de texte ou les navigateurs. Mais il convient de comprendre que le logiciel intervient dès qu’une machine, un microprocesseur, sait « traiter l’information », i.e. transformer des signaux d’entrée (souris, clavier, réseau, mais aussi capteurs les plus divers) en signaux de sortie exploitables soit directement par les humains (écran, impression,…), soit utilisés en entrée par une autre machine de « traitement de l’information ».

Le logiciel est partout dans le monde informatique :

  • c’est l’outil essentiel d’accès aux connaissances et informations stockées dans les mémoires numériques
  • il est lui même une forme d’enregistrement de la connaissance et des modèles du monde produits par les informaticiens
  • enfin chaque logiciel est une brique nécessaire au fonctionnement des ordinateurs (système d’exploitation), des réseaux et de plus en plus de tous les appareils techniques qui incorporent une part de « traitement de l’information », depuis les machines-outils de l’industrie jusqu’aux outils communicants de « l’internet des objets ».

Le logiciel est donc tout à la fois un « produit » (un bien que l’on acquiert afin de lui faire tenir un rôle dans l’activité privée ou industrielle), un service (un système, certes automatisé, auquel un usager va faire remplir des tâches) et une méthode (une façon de représenter le monde et les actions possibles). Ce statut ubiquitaire du logiciel est essentiel pour comprendre certaines des revendications de liberté des acteurs du mouvement : il ne s’agit pas simplement d’un outil (un produit de type « machine-outil »), mais d’un système-monde dans lequel se glissent peu à peu la majeure partie des activités humaines, dans tous les domaines, de la production industrielle à la culture, de la communication à l’éducation,… André Gorz parle d’une « logiciarisation de toutes les activités humaines »[2].

La conception des logiciels s’en trouve affectée, ainsi que sa catégorisation qui lui dessine une place spécifique dans le cadre même du « marché ». Le logiciel est à la fois :

  • une œuvre de création : on peut réellement parler d’un « auteur » de logiciel, au moins collectif grâce au développement de techniques de partage de code et de maintenance (génie logiciel et programmation par objets). Chaque logiciel porte la trace des raisonnements de celui qui l’a programmé ;
  • un travail incrémental : un logiciel comporte des « bugs », qui ne peuvent être corrigés qu’au travers de l’expérience utilisateur, et un logiciel doit suivre l’évolution de son environnement informatique (les autres logiciels). Ceci implique la coopération comme base de la construction de logiciels fiables, évolutifs, et adaptables aux divers besoins ;
  • une production de connaissances (les « algorithmes ») qui pourraient devenir privatisées si les méthodes de raisonnement et les formes du calcul ne pouvaient être reprises par d’autres programmeurs (cette question est au coeur du refus par le mouvement des logiciels libres des brevets de logiciels et de méthodes).

Le développement de l’informatique, et l’extension du réseau et du numérique à tous les aspects de la production, de la consommation et des relations interpersonnelles (au niveau privé comme au niveau public) crée un véritable « écosystème », dans lequel :

  • chaque programme doit s’appuyer sur des couches « inférieures » (des applications déjà existantes jusqu’aux pilotes des machines électroniques dites « périphériques ») et rendre des informations à d’autres logiciels. La définition des « interfaces » entre programmes devient essentielle, et la normalisation de ces échanges une nécessité vitale.
  • les programmes peuvent lire ou écrire des données provenant d’autres programmes ou outils. C’est l’interopérabilité.

Que ces échanges soient « ouvert » ou « à discrétion d’un propriétaire » devient une question déterminante. Dans le premier cas, l’innovation s’appuie sur ce qui existe, et peut rester concurrentielle (nouveaux entrants, mais aussi nouvelles idées) ; dans le second, tout concours à la monopolisation (au sens de monopoles industriels, mais aussi de voie balisée limitant la créativité). D’autant qu’un « effet de réseau » (privilège au premier arrivé[3]) vient renforcer ce phénomène.

Tous ces points techniques forment un faisceau de contraintes et d’opportunités pour les industries du logiciel comme pour les programmeurs individuels :

  • la capacité à « rendre des services aux usagers » sans devoir maîtriser une chaîne complète. Ce qui entraîne la création d’un « marché du service » et la capacité de détournement social de tout système numérique : innovation ascendante, usage de masse, relations ambiguës entre les facilitateurs -producteurs de logiciels ouverts ou de services interopérables – et les usagers,… ;
  • la mise en place d’un espace d’investissement personnel pour les programmeurs (autoréalisation de soi, expression de la créativité, capacité à rendre des services associatifs et coopératifs). On rencontre ici un changement émancipateur plus général que Charles Leadbeater et l’institut Demos a nommé « the pro-am révolution »[4].

Le mouvement des logiciels libres

Les logiciels libres partent de cette intrication du logiciel, de la connaissance et du contenu : tout ce qui limite l’accès au code source des programmes va :

  • limiter la diffusion de la connaissance,
  • privatiser les contenus (avec les dangers que cela peut représenter pour les individus, mais aussi les structures publiques, des universités aux États)
  • brider la créativité

Le « code source » est la version lisible par un « homme de l’art » d’un logiciel. L’accès à ce code est un moyen de comprendre, d’apprendre, de modifier, de vérifier, de faire évoluer un logiciel. C’est de cette liberté là qu’il est question dans le mouvement des logiciels libres.

Il s’agit de construire la « liberté de coopérer » entre les programmeurs. Un logiciel libre respecte quatre libertés :

  • la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0.)
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à ses besoins (liberté 1) ; pour cela, l’accès au code source est nécessaire.
  • la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider son voisin, (liberté 2).
  • la liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté (liberté 3) ; pour cela, l’accès au code source est nécessaire.

On notera que cet ensemble de « libertés » constitue une nouvelle « liberté de coopérer », et non un « droit » au sens où la responsabilité de la continuité de cette liberté reposerait sur des structures et des forces extérieures aux communautés concernées. C’est parce qu’ils ont besoin de coopérer pour libérer leur créativité (et aussi souvent pour gagner leur vie avec cette création de logiciel) que les développeurs ont installé, dans le champ de mines des entreprises du logiciel et de l’informatique, les espaces de liberté dont ils pouvaient avoir besoin. Le maintien de cet espace de liberté peut évidemment demander l’intervention de la « puissance publique » : procès, respect des contrats de licence, mais aussi financement de nouveaux logiciels libres ou amélioration/adaptation de logiciels libres existants, … Mais à tout moment, c’est la capacité à élargir et faire vivre les outils, méthodes, normes et réflexions par la communauté des développeurs du libre elle-même qui détermine l’espace de cette « liberté de coopérer ».

Une des conséquences, souvent marquante pour le grand public, au point d’occulter le reste, vient de la capacité de tout programmeur à reconstruire le programme fonctionnel (le logiciel « objet ») à partir du « code source »… Si le « code source » est accessible, pour toutes les raisons énumérées ci-dessus, il existera donc toujours une version « gratuite » du logiciel. Mais ce n’est qu’une conséquence : un logiciel libre peut être payant, c’est d’ailleurs souvent le cas : mais les copies seront à la discrétion de celui qui aura acheté un logiciel. S’il le souhaite, il peut redistribuer gratuitement. Le produit payant, s’il veut avoir une « raison d’être », y compris dans le modèle du marché, doit donc incorporer du service complémentaire. On passe d’un modèle « produit » à un modèle « service ».

La question économique pour la communauté des développeurs de logiciels libres, tourne alors autour du phénomène de « passager clandestin », celui qui va profiter des logiciels libres produits par d’autres, sans lui-même participer à l’évolution de l’écosystème. Pire, celui qui va privatiser la connaissance inscrite dans les logiciels libres. Par exemple, le système privé Mac OS X s’appuie sur l’Unix de Berkeley. Apple profite du choix des concepteurs de ce dernier, dans la pure tradition universitaire, de considérer leur logiciel comme une « connaissance » construite à l’Université et donc délivrée par elle pour tous les usages, sans règles et sans contraintes… une subtile question de gouvernance au sein du mouvement des logiciels libres, mais qui a des conséquences sociales d’ampleur… Dans la théorie des biens communs, la maintenance de la capacité des communautés à continuer d’accéder aux biens communs qu’elles ont produite est centrale.

Le « mouvement des logiciels libres » part de cette double contrainte :

  • favoriser la coopération autour du code informatique pour étendre l’écosystème
  • laisser fonctionner un « marché de l’informatique » (tout service mérite rétribution)

L’invention de la GPL (« General Public Licence »)[5] en 1989 par Richard Stallman et Eben Moglen va marquer un tournant :

  • auparavant le modèle « universitaire » produisait des biens de connaissance dont les usagers (étudiants, mais aussi industries) pouvaient disposer sans contraintes. Ceci permettait le développement de plusieurs produits construits sur les mêmes connaissances (vision positive), mais aussi la privatisation par les entreprises associées aux centres de recherche universitaires ou publics ;
  • écrite pour protéger une construction communautaire, celle du projet GNU (GNU’s Not Unix), la GPL produit une forme de gouvernance adaptée à un type de bien, à une série de règles et normes communautaires, et à un projet politique (représenté par la Free Software Foundation).

La GPL s’appuie sur le « droit d’auteur » pour compléter celui-ci par un « contrat privé » (une « licence ») qui autorise tout usage (donc offre les quatre libertés du logiciel libre), mais contraint celui qui s’appuie sur du code libre à rendre à la communauté les ajouts et corrections qu’il aura pu apporter. On parle d’une « licence virale » : tout logiciel qui utilise du logiciel libre doit lui aussi rester un logiciel libre.

Cette invention juridique est fondatrice, non seulement du mouvement des logiciels libres, et du maintien et extension de cet espace alternatif de liberté, mais aussi fondatrice pour d’autres mouvements qui vont exploiter la capacité des détenteurs de connaissance (ou les producteurs de culture) à décider volontairement de construire de nouveaux espaces de coopération et de liberté.

Un mouvement symbole

Le mouvement des logiciels libre représente une expérience sociale de grande ampleur, qui a profondément bouleversé le monde de l’informatique. Il suffit d’imaginer un monde dans lequel seul l’achat d’un logiciel permettait de tester des produits et services informatiques : dans ce monde il n’y aurait pas d’internet (les règles de l’organisme technique qui élabore les normes, l’IETF, imposent l’existence d’au moins un logiciel libre pour valider un protocole), pas d’échange de musique numérique, l’évolution des sites web serait soumise à la décision d’opportunité économique des géants oligopolistiques qui se seraient installés sur l’outil de communication, l’apprentissage des méthodes de développement informatique dans les universités seraient soumises à la « certification » de tel ou tel béhémot du logiciel ou des réseaux,…

N’ayons pas peur de dire la même chose avec d’autres mots qui parleront peut-être plus clairement aux héritiers du mouvement social et ouvrier : le mouvement des logiciels libre a fait la révolution, créé de nouveaux espaces de liberté, assuré un basculement des pouvoirs et libéré plus largement autour de lui ce qui aurait pu devenir un ordre nouveau, balisé par les décisions de quelques entreprises. Comme toute révolution, elle est fragile, comporte des zones d’ombres, des « risques » de dérapages ou de récupération. Mais avant tout, comme les révolutions sociales, elle est un formidable espoir qui va ouvrir à la joie du monde non seulement les acteurs, mais tous les autres courants entraînés dans la dynamique, comme nous le verrons plus loin.

Le mouvement des logiciels libres met en avant la notion de « biens communs » : créés par des communautés, protégés par ces communautés (licence GPL, activité de veille permanente pour éviter les intrusions logicielles[6]) et favorisant l’élargissement des communautés bénéficiaires. La gouvernance des biens communs, surtout quand ils sont dispersés à l’échelle du monde et de milliards d’usagers, est une question centrale pour la redéfinition de l’émancipation. Le mouvement des logiciels libres montre que cela est possible.

C’est un mouvement qui construit de « nouvelles alliances ». Les clivages face au logiciel libre ne recouvrent pas les clivages sociaux traditionnels. Par exemple, le souverainisme ne sait pas comment se situer face à des biens communs mondiaux : il n’y a plus de capacité à défendre des « industries nationales ». Seuls les services peuvent localiser l’énergie économique ouverte par de tels biens. Le mouvement des logiciels libres ne se définit pas en tant que tel « anti-capitaliste », car nombre d’entreprises, parmi les plus importantes et dominatrices (IBM en tête) ont compris que l’écosystème informatique ne pouvait fonctionner sans une innovation répartie, et donc des capacités d’accès et de création à partir des bases communes (le fonctionnement de l’internet et les normes d’interopérabilité). Il est plutôt « post-capitaliste », au sens où il s’inscrit dans le modèle général du « capitalisme cognitif »[7], qui est obligé de produire des externalités positives pour se développer.

Enfin, c’est un mouvement social qui s’est inscrit dès sa formation dans la sphère politique en produisant une utilisation juridique innovante (la GPL) comme moyen de constituer la communauté et protéger ses biens communs. Ce faisant, ce mouvement agit en « parasite » sur l’industrie qui le porte. On retrouve des éléments du socialisme du 19ème siècle : ne plus attendre pour organiser des « coopératives » et des « bourses du travail ». Une logique qui est aussi passée par l’expérience des mouvements dits alternatifs (« californiens ») : construire ici et maintenant le monde dans lequel nous avons envie de vivre.

Cette symbiose entre le mouvement, son radicalisme (c’est quand même un des rares mouvements sociaux qui a produit et gagné une révolution dans les trente dernières années) et les évolutions du capital montre qu’il existe une autre voie d’émancipation que « la prise du Palais d’Hiver », surtout dans un monde globalisé et multipolaire, dans lequel le « Quartier Général » n’existe plus[8].

Enfin, le mouvement des logiciels libres a construit une stratégie d’empowerment auprès de ses membres. La « communauté » protège ses membres. Il y a évidemment les règles juridiques de la GPL d’une part, mais pensons aussi à la capacité à « offrir » du code en coopération pour que chaque membre puisse s’appuyer sur un écosystème en élargissement permanent afin de trouver les outils dont il a besoin ou d’adapter les outils existants à ses besoins. C’est une des raisons de la force du mouvement : en rendant plus solides et confiants ses membres, il leur permet d’habiter la noosphère[9]. Cet empowerment doit beaucoup au mouvement féministe (même si paradoxalement il y a peu de femmes et qu’elles sont souvent traitées avec dédain parmi les activistes du logiciel libre). Comme dans l’empowerment du mouvement féministe, c’est la vie quotidienne et l’activité humaine créatrice qui est au coeur de la réflexion du mouvement social. La « concurrence » entre programmeurs libres se joue sur le terrain de « l’excellence » au sens des communautés scientifiques : il s’agit de donner du code « propre », de qualité, rendant les meilleurs services, autant que de permettre aux débutants de s’inscrire dans la logique globale, par leurs initiatives et activités particulières, sans la nécessité d’être un élément dans un « plan d’ensemble ». C’est un mouvement qui pratique l’auto-éducation de ses membres (nombreux tutoriels sur le web, ouverture des débats, usage des forums ouverts,…).

Enfin, même si de nombreuses structures associatives organisent et représentent le mouvement, la structuration de celui-ci comme mouvement social mondial est beaucoup plus floue. C’est au travers de l’usage des produits du mouvements que l’on devient « membre » du mouvement, et non au travers de la production d’un discours ou d’une activité de lobbyisme ou de conscientisation. On retrouve les formes d’adhésion « à la carte » des autres mouvements sociaux. On s’aperçoit aussi que les mouvements parlent toujours au delà des discours de leurs membres, individus ou organisations…

Extension : les nouveaux mouvements du numérique

Un autre élément essentiel pour comprendre l’importance et l’enjeu du mouvement des logiciels libre est de voir sa descendance dans d’autres mouvements liés à la sphère du numérique. Comme tout mouvement, les acteurs des logiciels libres ne sont pas tous conscients de l’étendu stratégique de leur actions. Nombre des membres se contentent des règles et normes « techniques » établies par le mouvement et se reconnaissent dans l’aspect pratique des résultats. Mais pourtant, les règles et les méthodes mise en place par le mouvement des logiciels libres se retrouvent dans d’autres sphères.

On parle d’une « société de la connaissance » ou « de l’information », ce qui est une expression ambiguë, qu’il conviendrait de mettre en perspective[10]. Mais pour résumée qu’elle soit, l’expression souligne que la propriété sur la connaissance, la capacité à mobiliser « l’intelligence collective » sont des questions organisatrices essentielles de l’économie du monde à venir. Et que ces questions renouvellent autant les formes de domination (par exemple la montée des grands « vecteurs »[11] sur l’internet, comme Google, Yahoo !, Orange, Adobe,… qui souvent s’appuient sur les logiciels libres) que les formes de l’émancipation, et la notion de contournement, de situation (au sens du situationisme) et de symbiose parasitique.

On voit donc apparaître de nouvelles lignes de faille dans les oppositions « de classe » liées au capitalisme mondialisé et technicisé. Et en conséquence de nouveaux regroupements des « résistants » ou des « innovateurs sociaux ». Plusieurs tentatives de théorisation de cette situation existent, depuis la théorie des Multitudes de Toni Negri et Michael Hardt[12], à celle de la Hacker Class de MacKenzie Wark[13], qui décrivent des facettes de ce monde nouveau qui émerge. Toutefois, ces interprétations ne savent pas encore répondre à deux questions centrales. D’abord celle dite traditionnellement des « alliances de classes », notamment la relation entre ces mouvements sociaux et les mouvement de libération issus de l’ère industrielle. Des « alliances » posées non en termes « tactiques » (unité de façade ou d’objectifs), mais bien en termes programmatiques (quelle société voulons-nous construire ? quelle utopie nous guide ? quelle articulation entre l’égalité – objectif social – et l’élitisme – au sens fort des communautés scientifiques ou des compagnons : être un « grand » dans son propre domaine de compétence – ?). Ensuite celle dite de la transition, particulièrement en ce qu’elle porte sur les relations entre les scènes alternatives et les scènes politiques. Le capitalisme, comme forme de sorcellerie[14], ne peut pas s’effondrer de lui-même sous le poids de ses contradictions internes. Le politique, avec toutes les transformations nécessaires des scènes où il se donne en spectacle (médias, élections, institutions,…), garde une place dans l’agencement global des divers dispositifs alternatifs – ou internalisés et récupérés – qui se mettent en place.

Ces questions peuvent avancer quand on regarde l’évolution du mouvement des logiciels libres, qui est né d’une innovation juridique (la GPL), et qui défend aujourd’hui son espace alternatif au travers de multiples actions contres les tentatives, souvent détournées et perverses, de mettre en place des enclosures sur le savoir et la culture. La place du mouvement des logiciels libres en France, avec notamment l’association April[15], au côté du mouvement spécialisé dit « La quadrature du net »[16], sur les dernières lois concernant la propriété immatérielle (lois dites DADVSI et HADOPI) en est un exemple. L’approche de la politique n’est plus « frontale », mais part de la défense des espaces de libertés, des « biens communs » créés, et leur reconnaissance comme forme essentielle de la vie collective. On retrouve les logiques du socialisme du XIXème siècle, des coopératives et de la Première Internationale.

Le mouvement des logiciels libres, s’il est le plus abouti et le plus puissant de ces nouveaux mouvements, n’est plus seul. C’est dans le domaine de la connaissance et de l’immatériel, dont la « propriété » que l’image de la GPL et des logiciels libres a connu une descendance abondante et pugnace. Les questions de la propriété sur la connaissance et de la construction, maintenance et gouvernance des biens communs créés par les communautés concernées sont deux éléments clés de ces nouveaux mouvements sociaux.

Quelques exemples :

  • le mouvement des créations ouvertes (Creative commons[17], Licence Art Libre,…) est construit autour de règles juridiques qui permettent aux auteurs d’autoriser des usages pour mieux faire circuler leurs idées, musiques, travaux divers. Ce mouvement emprunte directement à la « révolution douce » de la GPL pour son côté subversif, et à la fluidification du marché culturel comme conséquence de l’extension des communs de la culture. Une manière pragmatique de poser les problèmes qui évite l’enfermement dans des alternatives infernales[18].
  • le mouvement des malades qui veulent partager les connaissances avec leurs médecins. Avec une participation politique forte des malades de SIDA dans l’opposition aux ADPIC, qui s’est traduite par l’adoption des exceptions pour les médicaments dans les Accords de Doha[19]
  • le mouvement des chercheurs pour le libre-accès aux publications scientifiques et aux données scientifiques
  • le renouveau des mouvements paysans autour du refus de l’appropriation des semences par les trusts multinationaux (contre les OGM, pour le statut de bien communs des « semences fermières »[20] – un exemple symptomatique en est la réalisation d’un numéro de « Campagnes solidaires », journal de la Confédération Paysanne avec Richard Stallman)
  • le mouvement pour un nouveau mode de financement de la recherche pharmaceutique (notamment les propositions de James Love pour l’association KEI – Knowledge Ecology International[21]) et pour l’utilisation de nouveaux régimes de propriété afin de permettre le développement de médicaments adaptés aux « maladies négligées » (Médecins sans frontières, DNDi[22]…)
  • le mouvement mondial pour le libre-accès à la connaissance (a2k : access to knowledge) qui réunit des institutions (États, notamment pour l’Agenda du développement à l’OMPI, constitution du bloc des « like-minded countries »), des réseaux d’associations (IFLA, association internationale des bibliothécaires, Third World Network,…) ou des universitaires (il est intéressant de penser que ce mouvement a tenu sa première conférence mondiale à l’Université de Yale[23])
  • le mouvement OER (Open Educational Ressources[24]) qui réunit autant des grandes institutions (MIT, ParisTech) que des enseignants souhaitant partager leurs cours, avec le parrainage de l’UNESCO… et de HP !
  • le mouvement dit « société civile »[25] lors du SMSI (Sommet mondial sur la société de l’information, sous l’égide de l’ONU en 2003 et 2005) ou du Forum pour la Gouvernance de l’Internet, et tous les mouvement qui s’interrogent sur l’évolution des réseaux, combattent l’irénisme technologique autant que le refus passéiste des nouveaux modes de communication
  • les mouvements portant sur le « précariat intellectuel », depuis les intermittents du spectacle jusqu’à l’irruption d’une « hacker class » (MacKenzie Wark) pratiquant le piratage comme valeur de résistance
  • les mouvements de refus de la mainmise publicitaire sur l’espace mental collectif, qui organisent la dénonciation et le rejet de l’industrie de l’influence (Résistance à l’Agression publicitaire[26], AdBusters…)
  • le Forum Mondial Sciences & Démocratie[27], dont la première édition s’est tenue à Belèm en janvier 2009. Ce mouvement introduit la question des biens communs de la connaissance au coeur d’une nouvelle alliance entre les producteurs scientifiques et techniques et les mouvements sociaux.

Les formes de politisation au travers de l’empowerment des membres et des « usagers » de ces mouvements sont largement différentes de celles de la vague précédente des mouvements sociaux du vingtième siècle. La capacité de ces mouvements à s’inscrire directement dans la sphère politique est aussi une particularité. Il ne s’agit pas seulement de « faire pression » sur les décideurs politiques, mais d’imposer à la société politique la prise en compte de biens communs déjà établis et développés.

La problématique des biens communs n’a pas fini de produire une remise en mouvement de la conception d’une révolution émancipatrice, des rythmes de l’activité militante et de la relation entre les communautés de choix et les communautés de destin. Un élément moteur de la réflexion théorique en cours reste la dialectique entre l’empowerment individuel et coopératif/communautaire par la création et la maintenance de biens communs, et la défense des plus fragiles (financièrement, mais aussi juridiquement par des droits leur permettant une nouvelle gouvernance, l’accès à la connaissance ou de respect de leurs formes de connaissances, cf les mouvements « indigènes »[28]).

Car il faudra bien trouver des articulations théoriques, pratiques et politiques entre les diverses formes de résistance aux sociétés de contrôle, de militarisme, d’influence et de manipulation qui se mettent en place.

Pour cela, les pratiques, les réflexions et les succès sur le terrain du mouvement des logiciels libres sont à la fois un encouragement et une première pierre d’une réflexion par l’action. Ici et maintenant. En osant s’opposer aux nouveaux pouvoirs et aux franges les plus avancées des dominants.

Notes

[1] Crédit photo : Aussiegall (Creative Commons By)

[2] L’immatériel, André Gorz, Galilée, 2004

[3] Effet de réseau, Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_de_réseau

[4] The Pro-Am revolution, How enthusiasts are changing our economy and society, Charles Leadbeater, Paul Miller, Pamphlet, 24th November 2004 ISBN : 1841801364. http://www.demos.co.uk/publications/proameconomy

[5] http://www.gnu.org/licenses/licenses.fr.html

[6] C’est par exemple par ce type d’analyse des logiciels propriétaires que l’on a trouvé le « rootkit » (logiciel espion) installé par Sony à chaque fois qu’on lisait un CD de cette entreprise sur un ordinateur. Les logiciels libres, en permanence sous l’oeil des usagers et des membres de la communauté comportent beaucoup moins de failles et de risques d’infections par des virus ou autres « badware ».

[7] Le capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation, Yann Moulier-Boutang, Ed. Amsterdam, 2007

[8] Ces deux références renvoient à l’imagerie du mouvement communiste de libération (bien distinct du stalinisme de pouvoir). La prise du Palais d’Hiver de Saint Petersbourg signait le début de la révolution de 1917 et l’écroulement de la dictature tsariste ; le texte de Mao Zedong « Feu sur le Quartier général » était un appel à la révolte contre l’installation bureaucratique « par en haut », qui allait ouvrir la période dite de la « Révolution culturelle ». L’histoire a fini par avoir raison des mouvements de libération, ce qui n’enlève rien à leur force de contestation, mais montre que la vision d’un monde centralisé, avec des noeuds de pouvoir centraux à défaire, reste en deçà des formes exactes du pouvoir… et donc des besoins des révolutions émancipatrices.

[9] Homesteading the noosphere, Eric Raymond http://catb.org/ esr/writings/homesteading/homesteading/ Une traduction française est disponible dans le livre Libres enfants du numériques, Florent Latrive et Olivier Blondeau, Ed. De l’Eclat.

[10] Société de l’information/société de la connaissance, Sally Burch : In : Enjeux de Mots, sous la direction de Valérie Peugeot, Alain Ambrosi et Daniel Pimienta, C&F éditions, 2005. http://vecam.org/article516.html

[11] Tentative de définition du vectorialisme, In : Traitements et pratiques documentaires : vers un changement de paradigme ? Actes de la deuxième conférence Document numérique et Société, 2008 Sous la direction d’Evelyne Broudoux et Ghislaine Chartron. Ed. ADBS

[12] Multitude : Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, Michael Hardt et Antonio Negri, La découverte, 2004

[13] Un Manifeste Hacker : "a Hacker Manifesto", McKenzie Wark, Ed. Criticalsecret, 2006 (traduction française)

[14] La sorcellerie capitaliste : Pratiques de désenvoûtement, Philippe Pignarre et Isabelle Stengers, La Découverte, 2004

[15] http://april.org

[16] http://laquadrature.net

[17] http://fr.creativecommons.org

[18] Construire le libre-accès à la connaissance, Hervé Le Crosnier, In : Entre public et privé, les biens communs de l’information. Colloque, Université de Lyon 2, 20 octobre 2005 http://archives.univ-lyon2.fr/222/

[19] Sida : comment rattraper le temps perdu, Gernan Velasquez, In : Pouvoir Savoir : Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle, C&F éditions, 2005. http://vecam.org/article1035.html

[20] Les paysans sont-ils les protecteurs des semences locales, Guy Kastler, à paraître (version en ligne : http://vecam.org/article1075.html)

[21] Prizes to stimulate innovation, James Love, KEI International http://www.keionline.org/content/view/4/1/

[22] Relancer la recherche et développement de médicaments contre les maladies négligées, Bernard Pecoul et Jean-François Alesandrini In : Pouvoir Savoir, op. Cité. http://vecam.org/article1033.html

[23] Accès à la connaissance : Access to Knowledge, Compte-rendu de la conférence Access to knowledge qui s’est tenue à l’Université de Yale du 21 au 23 avril 2006, par Hervé Le Crosnier http://herve.cfeditions.org/a2k_yale/

[24] Cape Town Open Education Declaration : Unlocking the promise of open educational ressources, http://www.capetowndeclaration.org/read-the-declaration

[25] Relieurs, Première phase du Sommet mondial de la société de l’information – SMSI 2002/2003, Note de synthèse Octobre 2004 par Valérie Peugeot http://vecam.org/article364.html

[26] http://www.antipub.org

[27] http://fm-sciences.org

[28] Forum social mondial : un appel pour « bien vivre » plutôt que vivre mieux, Christophe Aguiton http://www.cetri.be/spip.php?article1037




Obama et Davos en images sous les plus libres des licences Creative Commons

The Official White House Photostream - CC byCoup sur coup, « Obama » et, plus étonnant, « Davos » viennent de publier sur Flickr plusieurs centaines d’images de qualité professionnelle sous licence Creative Commons (CC). Et pas n’importe quelle licence du panel, la CC By pour le premier et la CC By-Sa pour le second.

Pour résumer (grossièrement), vous disposez alors des mêmes droits avec ces images que ceux qui vous sont conférés avec les logiciels libres (sachant, bien entendu, que la question du droit à l’image subsiste quoiqu’il arrive).

Et c’est par exemple une aubaine pour la communauté Wikipédia qui trouve là une source d’une grande richesse pour illustrer son encyclopédie, en particulier lorsqu’il s’agit des articles biographiques traitant des grands de ce monde.

Obama et les Creative Commons ce n’est pas une nouveauté. Mais c’est peut être la première fois que nous sommes ainsi autorisés à pénétrer dans l’intimité du président des États-Unis (on se croirait dans West Wing en fait), avec des clichés assez exceptionnels ma foi (exemples 1, 2, 3 ou 4). Ils sont l’œuvre des photographes officiels du staff de la Maison Blanche qui s’inscrivent ici dans la même logique et dynamique qu’au moment de la campagne. On notera qu’en fait les clichés auraient dû directement se placer dans le domaine public mais la case « public domain » n’existe pas (encore) chez Flickr !

Pour ce qui concerne « Davos », ou plus précisément le Forum économique mondial de Davos, ce sont plus de trois cents images qui ont été déposées sur Flickr par les organisateurs (exemple : Bill Gates). Elles proviennent des photographes de l’agence Swiss Image mandatées à l’occasion de l’édition 2009, mais on trouve aussi quelques instantanées des éditions précédentes (exemple célèbre : poignée de main entre Shimon Peres et Yasser Arafat en 2001).

Bon, certes, mais est-ce que tout ceci va changer la face du monde (et absoudre de leurs responsabilités quelques uns des davossiens pour la période que nous traversons) ? Bien sûr que non. Mais c’est tout de même intéressant de les voir ainsi « mettre leur obole dans le pot commun ».

À la commande ou en salarié, on paye les photographes une fois pour un travail d’information publique qui peut alors tranquillement rejoindre la marmite toujours plus profonde des ressources libres. C’est, à n’en pas douter, un modèle qui a de l’avenir 😉

PS : Pour illustrer mon billet, j’ai choisi une photo de… Carla Bruni[1] (au fond à droite) !

Notes

[1] Crédit photo : The Official White House Photostream (Creative Commons By)




Le jour où la suite bureautique MS Office devint fréquentable ?

Kevin N. Murphy - CC byLe 28 avril prochain, Microsoft devrait mettre en ligne sa nouvelle mise à jour majeure de la suite Office 2007 (dans le vocable Microsoft, on parle de Service Pack, ici le numéro 2, donc SP2).

C’est un évènement beaucoup plus important qu’il n’y parait. En effet, parmi les nouveautés, la célèbre suite bureautique intégrera pour la première fois nativement le format ouvert Open Document Format.

Auparavant on pouvait en théorie lire et écrire en ODF sur la suite Office, mais il fallait télécharger un plugin et faire tout un tas de manipulations compliquées pour arriver au résultat souhaité (lire le rapport Becta pour avoir de plus amples informations).

En arriver là ne fut pas une mince affaire, il aura fallu mettre la pression sur Microsoft qui, avec son arrogance sa manière de faire habituelle, souhaitait plutôt nous imposer son propre format de fichier, le très controversé OOXML.

Toujours est-il qu’on tient enfin là un format de fichier bureautique, ouvert, standard, et en pratique réellement interopérable (en admettant bien entendu que la qualité technique soit bel et bien au rendez-vous). D’un coup d’un seul, la principale critique faite à la suite MS Office tombe, et l’on se retrouve avec un produit beaucoup plus fréquentable, pourvu que les utilisateurs de cette suite aient la bonne idée et lire, écrire et échanger par défaut avec le format ODF (ce qui, a mon humble avis, nécessitera tout de même un temps d’adaptation où il faudra être patient et pédagogue).

Pour « célébrer » l’événement, nous avons choisi de traduire un vieil article Jonathan Schwartz, PDG de Sun, qui témoigne de l’intérêt fondamental de posséder des formats ouverts, en bureautique comme ailleurs[1].

Mes photos de famille – et ODF

My Family Photos – and ODF

Jonathan Schwartz – 12 février 2007 – Blog
(Traduction : Poupoul2, Goofy et Olivier)

Il y a quelques années, alors que je me trouvais chez mes parents, j’ai passé un peu de temps à regarder de vieilles photos de famille tirées d’une boîte à chaussures. C’était sympa. J’y prenais beaucoup de plaisir… jusqu’à ce que je m’aperçoive que la plupart de ces photos étaient uniques. C’est à dire qu’il s’agissait d’exemplaires uniques. Uniques au monde. Et pour au moins l’un des membres de ma famille, il n’existait que deux ou trois photos prises au long de sa vie. Ouch !

Une boîte à chaussures, me dis-je. Un peu archaïque, non ? Et si jamais il y avait une inondation, ou pire encore, un feu ? Voici des photos que je veux partager avec ma famille et transmettre de génération en génération. Je veux que mes enfants en connaissent l’histoire, et mes petits-enfants, et les enfants de mes petits enfants.

Alors, j’ai fait ce que tout bon fils ferait : j’ai convaincu mes parents de me laisser leur subtiliser la boîte un certain temps, je suis rentré à la maison et j’ai numérisé les photos (j’ai aussi rendu la boîte à mes parents).

Les photos numérisées se trouvaient désormais sur mon disque dur. Dans mon portable. Dans ma cuisine (c’est là que vit mon portable).

Étant donné ce qui se passe tous les jours dans ma cuisine, elles s’y trouvaient sans doute moins en sécurité que dans leur boîte à chaussures. Et un point pour l’archaïsme. Un échec, un !

J’ai alors gravé quelques DVDs, les ai distribués autour de moi, et en ai donné quelques-uns aux autres membres de la famille. Cela va sans dire, la plupart des DVDs ont été perdus, ce n’est pas un hasard si les administrateurs système amateurs restent amateurs… Et deux échecs, deux !.

La bonne nouvelle, c’est qu’un jour, quelqu’un de brillant a dit que le réseau est l’ordinateur… Il y a quelque temps, j’ai décidé de les télécharger sur mon service de photos en ligne. Si vous allez vous résoudre à surveiller une boîte à chaussures, autant se tourner vers quelqu’un dont c’est le métier, qui surveille déjà plein d’autres boîtes à chaussure et qui pourrait bien être le meilleur au monde dans ce domaine.

Et puis je me suis demandé…

Comment puis-je garantir que le service sera au rendez-vous, ou que je serais capable de visualiser les images que j’y ai stockées… pas seulement dans un an, mais dans cinq ou cinquante ans ? Que se passera-t-il si les images survivent à la technologie ?

Le décor étant planté, voilà qui illustre bien la raison d’être de ce petit truc qu’on appelle Open Document Format.

Mettez vous dans la peau du législateur écrivant un texte de loi, ou dans celle d’un médecin rédigeant l’ordonnance de son patient, ou encore dans celle d’un étudiant travaillant sur une nouvelle de son cru. Et cinq ou cinquante ans plus tard vous prend l’envie de revoir vos documents. Sauf que le développeur de l’application qui a servi à créer ces documents, l’entreprise qui a créé le traitement de texte a, au choix, cessé son activité, ou décidé de vous demander $10000 pour vous fournir une version capable de lire de vieux formats de fichiers. L’information survit toujours à la technologie, ces scénarios en sont de bons exemples.

Que faites vous alors ?

Premier réflexe : vous râlez. Après tout, l’information que vous avez créée vous appartient à vous et pas à l’éditeur. C’est pareil pour vos photos de famille, vous imaginez qu’un fabricant d’appareil photo vous demande de passer à la caisse avant que vous ne puissiez voir vos propres photos ? C’est là tout le danger lié aux des applications n’utilisant pas des formats de fichiers ouverts. N’oubliez pas, l’information survit à la technologie.

C’est la raison pour laquelle, aux côtés de quelques-uns des plus grands groupes technologiques, ainsi que d’une foule de gouvernements et d’organismes du monde entier, nous avons créé quelque chose que l’on appelle Open Document Format (ou "ODF" de son petit nom). ODF décrit un format ouvert pour les informations contenues dans des documents, indépendant des applications utilisées pour créer les documents enregistrés en ODF.

En d’autres termes, si vous écrivez un texte de loi, un dossier médical ou une fiche réglementaire avec un traitement de texte supportant aujourd’hui l’ODF, et que vous avez besoin d’y accéder n’importe quand dans l’avenir, vous serez libre de le faire à vos conditions. ODF est un véritable format standard, mis en oeuvre par des éditeurs variés (d’IBM à Sun, en passant par Google, Red Hat et même Microsoft désormais), et adopté à une très large échelle sur toute la planète. Et c’est gratuit.

My family photos and ODF - Google docsLa pérennité de l’information et des formats de fichiers est plus qu’essentielle pour des institutions et des entreprises adoptant des politiques de rétention de documents allant bien au-delà de la vie utile du logiciel (ou des employés) qui a permis la création des documents. La disponibilité de l’information est ainsi garantie dans l’avenir. Il en va de même pour nos photographies dans nos boîtes à chaussures. En tant que CIO (NdT : Directeur informatique) à la maison, j’exige que les images me survivent.

Et juste au cas où vous auriez raté une étape, nous travaillons avec Google pour garantir l’interopérabilité entre les documents bureautique de Google et les documents OpenOffice, élevant l’ODF au rang de mécanisme d’échange. Tout document créé avec la suite bureautique de Google peut être aisément exporté vers (et bientôt importé de) OpenOffice (voir la copie d’écran). Combinés, les 2 produits permettent aux entreprises et aux particuliers de préserver, dans le monde entier et pour plusieurs générations, l’accès aux lois, aux contrats, aux dossiers médicaux, aux journaux ou aux plans stratégiques. Et c’est strictement pareil pour les présentations et les feuilles de calculs.

Enfin, pour ceux qui découvrent OpenOffice, il s’agit d’une suite bureautique libre, qui sera toujours gratuite, pour les entreprises comme pour les utilisateurs finaux. D’après nos estimations, nous en avons distribué des centaines de millions de copies autour du monde (cliquez ici pour le télécharger). Et maintenant que Microsoft a annoncé le support de l’ODF, les utilisateurs peuvent sereinement penser qu’OpenOffice peut être introduit dans toutes les chaumières et les bureaux, pas uniquement dans les pays en voie de développement, mais aussi dans les pays développés. Dans quelques semaines, vous aurez la possibilité de télécharger ici un plug-in ODF, qui permettra à Microsoft Word de lire et écrire de l’ODF par défaut. Une fois installé, vous le verrez apparaître dans les options de Word :

my family photos and ODF - MS Office

(Je mettrai un lien dès que le plug-in sera prêt)

À partir de maintenant, ODF devient votre format par défaut. Que vous soyez une compagnie pétrolière ou un étudiant, ODF vous permettra une interopérabilité sans heurts entre des environnements Open Source ou propriétaires, aussi longtemps que le standard (et pas la technologie ou le produit) existera.

Du point de vue des entreprises, de grandes institutions peuvent envisager une migration en douceur, les cadres pourraient conserver Microsoft Word, tandis que le reste du personnel peut passer à une alternative interopérable (par exemple : le traitement de texte de Google ou OpenOffice, ou même les deux). Accessibilité et interopérabilité sont de bonnes choses pour Internet, et nous avons bien l’intention de les utiliser pour les générations futures.

Notes

[1] Crédit photo : Kevin N. Murphy (Creative Commons By)




Combien d’écoles Jean-Macé en France ?

Tinou Bao - CC byLe titre de ce billet fait naturellement écho à Combien de lycées Sud Médoc en France ? où nous feignions d’interroger la situation française alors qu’il ne s’agissait que de mettre en valeur une remarquable initiative locale, fort justement relayée par la presse.

Il en va de même ici, non plus dans le secondaire mais dans le primaire, à l’école Jean-Macé d’Hazebrouck[1].

Cette école ne disposait pas de salle informatique. Lacune aujourd’hui comblée avec une quinzaine de postes qui, depuis décembre, tournent sous le système d’exploitation GNU/Linux.

C’est déjà remarquable en soi mais ce qui l’est peut-être tout autant voire plus, c’est d’avoir fait constater par l’autorité de tutelle, à savoir ici l’Inspection académique, que « l’absence Microsoft » ne pénalise nullement les usages pédagogiques et l’obtention du B2i, bien au contraire.

Un événement rapporté comme il se doit par les journaux locaux (voir ci-dessous), et le moins que l’on puisse dire c’est que cela fait plaisir à lire.

Source de l’information sur le site de l’école

Du matériel informatique neuf et innovant à l’école Jean-Macé

Image scannée de l'article de la Voix du Nord6 avril 2009 – La Voix du Nord

Mardi après-midi, deux conseillers en technologies de l’information et de la communication (TICE) sont venus s’enquérir du bon fonctionnement de la salle informatique de l’école Jean-Macé. Un site précurseur en la matière.

La municipalité a décidé de restaurer le parc informatique des écoles de la commune. Première à bénéficier de cette politique, l’école Jean-Macé fait figure de site pilote. En effet, son nouveau matériel, quinze unités centrales, fonctionne avec un système d’exploitation libre.

Des utilisateurs conquis

« L’intérêt de notre visite, c’est de vérifier que tout se déroule correctement et que l’utilisation d’un système d’exploitation libre est pertinente pour la délivrance du B2I, Brevet informatique et Internet, aux enfants de CM 2 », explique Thierry Heuguebart, conseiller en TICE pour le secteur d’Hazebrouck, venu, mardi, accompagné de Luc Simon, son homologue pour l’inspection académique du Nord.

Le moins que l’on puisse dire est que tous les utilisateurs sont conquis. Enseignants et élèves n’ont eu aucun mal à s’adapter au nouveau logiciel qui permet de sortir de la logique Windows.

Le directeur de l’établissement, Stéphane Olivier, ne cache pas lui non plus sa satisfaction devant l’investissement municipal. « Désormais, chaque élève dispose du même équipement. Avant, tout était dépareillé. Nous n’avons plus de bug et, grâce au serveur, nous sommes tous en ligne », s’enthousiasme-t-il.

Les écoliers expérimentent le logiciel libre

Image scannée de l'article de l'Indicateur des FlandresA. R.-M. – 9 avril 2009 – L’Indicateur des Flandres

Avec quinze ordinateurs neufs, élèves et enseignants de l’école Jean-Macé ont de quoi se réjouir. La municipalité d’Hazebrouck a décidé, sous la responsabilité de l’adjoint aux Affaires scolaires, Michel Labitte, de renouveler chaque année le parc informatique d’une école.

Cette politique volontariste en terme d’informatique ne s’arrête pas là puisque depuis le mois de décembre, les écoliers travaillent sous Linux, un système d’exploitation libre et donc gratuit, dans le cadre d’une expérimentation autorisée par l’Éducation nationale. Ce test a des répercussions économiques : la municipalité de devra plus payer le système Microsoft, ni acheter ses logiciels.

Ce qui intéressent davantage élus, enseignants et représentants de l’Inspection académique, qui étaient en visite mardi 31 mars à l’école Jean-Macé, c’est l’aspect d’ouverture d’esprit. Professeurs comme élèves découvrent qu’il existe d’autres systèmes d’exploitation que celui lancé par l’américain Bill Gates, Microsoft, devenu incontournable puisqu’il est vendu avec chaque ordinateur neuf. Cela pourrait bien changer car la commission européenne s’inquiète de ce monopole.

Dans les faits, les enfants ne se rendent pas compte de la différence. Ils viennent dans cette salle informatique pour acquérir des connaissances en français ou encore en mathématiques, avec une certaine autonomie, tout en s’initiant aux nouvelles technologies dans le cadre du B2i. Quant aux professeurs, ils ont tous reçu une formation dispensée par Thierry Heuguebart, conseiller pédagogique TIC (technologies de l’information et de la communication) dans la circonscription d’Hazebrouck.

Le directeur, Stéphane Olivier, confirme : « Le changement de logiciel s’est fait sans problème ». L’expérience semble donc concluante. La municipalité devrait poursuivre dans cette voie, tout comme l’Éducation nationale. Autre avantage non négligeable de l’expérience : le responsable informatique de la mairie, Grégory Houte, n’est plus dérangé fréquemment à cause de problèmes techniques. Quand un ordinateur ne répond plus, le serveur le réinitialise et l’enfant peut reprendre son travail.

Notes

[1] Crédit photo : Tinou Bao (Creative Commons By)




Combien de lycées Sud Médoc en France ?

Mr. Theklan - CC by-saLe lycée Sud Médoc de Bordeaux propose à ses élèves un atelier Cinéma, un atelier Théâtre et un atelier… « Informatique et Logiciels Libres » !

Il ne s’agit pas d’un atelier informatique où figureraient, entre autres, les logiciels libres, c’est directement dans le titre et révèle l’importance qu’on souhaite leur accorder.

La présentation en est fort intéressante et a valeur d’exemple aussi bien au niveau du contenu que dans la volonté de nouer des partenariats dynamiques et pertinents avec le monde extérieur.

Il s’agit en effet de découvrir et promouvoir les plate-formes d’exploitation et les logciels libres, de s’initier à la programmation sous Linux et à la DAO grâce à des outils comme GIMP, Inkscape et Blender. Parmi les partenaires, on trouve l’ENSEIRB de Talence dont les étudiants viennent le samedi matin pour enseigner aux élèves du club la programmation en C et C++, la Cyber-base de Saint-Médard en Jalles pour la DAO, ainsi que la célèbre association ABUL (les créateurs des RMLL !) et Médias-Cité (les créateurs d’Expo Libre !).

Par ailleurs des événements sont organisés. Les élèves du club s’en vont ainsi dans les classes présenter les logiciels libres auprès de leurs camarades de Seconde. Et, avec l’aimable autorisation de Monsieur le proviseur, des conférences associées à des install-parties sont mises en place.

Enfin voici ce qu’il est explicitement précisé :

Les élèves du club fonctionnent sur le mode du tutorat et selon les principes des logiciels libres : « Si tu ne sais pas demandes, si tu sais tu partages ». La mutualisation des savoirs est à l’origine des logiciels libres et c’est une règle de conduite dans ce club.

Si un élève[1] inscrit à cet atelier passe pas ici, qu’il n’hésite surtout pas à apporter son témoignage !

Tous les acteurs impliqués dans le projet méritent à n’en pas douter d’avoir connu aujourd’hui les honneurs d’un encart dans la Grande Presse, en l’occurrence le journal Sud Ouest, que nous nous sommes permis de reproduire ci-dessous.

On notera que le conférence du jour place les logiciels libres au niveau des enjeux de société. Si ça n’est pas encore une bonne idée ça…

On n’est pas là pour distribuer des bons points mais nous tirons notre chapeau à cette emblématique initiative locale. Bravo, merci, et comme ne dirait pas Chrisitine Albanel, nous vous souhaitons de faire des eMules 😉

Edit : On pourra lire aussi l’article parallèle Combien d’écoles Jean-Macé en France ?

Le lycée Sud-Médoc fait la part belle aux logiciels libres

URL d’origine du document

18 avril 2009 – SudOuest.com

INFORMATIQUE. L’intérêt des élèves pour l’univers de Linux et de la programmation, encouragé par l’établissement, ne se dément pas

Le lycée Sud-Médoc a organisé dernièrement sa demi-journée annuelle sur les logiciels libres. Ces logiciels sont gratuites. L’expression « logiciel libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le logiciel.

La manifestation s’organisait autour d’une conférence de Jean Perrochaud, sur le thème : « Les logiciels libres : quels enjeux de société ? », au nom de l’Association bordelaise des utilisateurs de logiciels libres.

Partenariat avec l’Enseirb

En parallèle, des animations étaient organisées : présentation de film d’animation par Joël Houdin de Cyberbase, install-party (installation de systèmes d’exploitation Linux sur les ordinateurs) et lan-party (jeux en réseaux, toujours des jeux libres et gratuits) proposés par les élèves de l’Atelier logiciels libres et programmation du lycée Sud-Médoc et deux « anciens » actuellement dans l’enseignement supérieur.

Médias-cité avait prêté un matériel important. Il y eut un moment fort avec la signature confirmant officiellement le partenariat avec l’Enseirb de Talence par son directeur et par M. Bellicchi, proviseur du lycée Sud-Médoc.

En effet, les étudiants viennent pour la 5e année consécutive le samedi matin au lycée pour un tutorat en programmation au profit de des élèves de l’Atelier. Ces derniers ont toujours été soutenus dans cette activité par le proviseur de l’établissement, qui obtient en retour des résultats très encourageants et une réelle gratitude de la part des élèves.

Notes

[1] Crédit photo : Mr Theklan (Creative Commons By-Sa)




Scoop : Christine Albanel publie sous licence libre un livre sur le partage !

Sebastian Bergmann - CC by-saSi seulement c’était vrai… Bien que le premier avril soit passé depuis longtemps, vous devez vous en doutez un peu : mon titre n’est qu’un fake.

Je plaide coupable donc. Mais coupable par approximation parce qu’à quelques milliers de kilomètres au nord près, j’avais bon !

En effet, je me suis juste trompé de ministère et de pays puisqu’aujourd’hui, en Norvège, Madame Heidi Grande Røys (sur la photo ci-contre[1]), ministre de l’Administration publique et de la réforme, publie un livre sous licence Creative Commons By-Sa.

Il s’intitule Delte meninger, est accompagné d’un site participatif autour du projet, et, à en croire le blog des Creative Commons, il porte sur le partage et l’aspect social des réseaux informatiques et d’Internet.

Merci à tout visiteur qui comprend un tant soit peu le norvégien de nous en dire plus dans les commentaires. Parce qu’avec l’outil de traduction Google appliquée à cette page du site, on se retrouve avec des morceaux intéressants (le procès du The Pirate Bay, évocation des logiciels et de la culture libre…) pour un titre aux accents étranges : « La paix, la liberté, et tout est gratuit ! ».

En attendant, et quand bien même nous n’en connaissons pas encore le contenu dans le détail, on ne peut que saluer l’initiative. Nous y viendrons nous aussi en France, même si visiblement il faudra s’armer d’un peu de patience…

Notes

[1] Crédit photo : Sebastian Bergmann (Creative Commons By-Sa)




GroundOS : et si l’Hadopi faisait émerger le web 3.0 ?

Josef Grunig - CC by-saComme vous le savez, la loi Création et Internet a été votée en catimini par 16 gus dans un hémicycle. Je ne reviens pas sur le fait que cette loi pose de nombreux problèmes (démocratiques) et paradoxes (techniques). D’autres s’en sont déjà chargés.

Parmi les des effets de bord, il parait évident que cette loi va pousser l’internaute moyen vers des solutions de sécurisation de ses communications toujours plus poussées. On va voir se multiplier les réseaux chiffrés (bien), sans compter probablement les mails avec des groooosses pièces jointes (pas bien, mais inévitable).

Reste que tant qu’on reste sur du Minitel 2.0, on participe à un système où l’on ne contrôle pas ses propres données. Si je dépose une video sur Youtube, Youtube saura dire qui l’a déposée (adresse IP, email, date et heure précise). Et si je télécharge une vidéo depuis ce même site, non seulement Youtube, mais aussi mon fournisseur d’accès internet, et bientôt la Haute Autorité bidule[1] pourront me tomber sur le dos : « Ha, mon bon Monsieur, vous avez écouté une reprise de Petit Papa Noël par une enfant de 15 ans, ce qui lui aura couté 300 000€ d’amende. Mais vous, passez directement par la case courrier recommandé[2] avant qu’on ne vous coupe votre accès internet. Cela vous met au chômage technique ? Tant pis, fallait pas encourager la subversion et la contrefaçon. ». Bienvenue en Chine à Pionyang au Brésil.

Par contre, si j’héberge moi-même mes données, et si je les partage en les chiffrant, je reprends le contrôle de mes données.

Le problème, c’est que c’est quand même un « truc d’informaticien » de s’héberger soi-même. Si, si. Moi dont c’est le métier, quand je dis aux gens qui veulent quitter Gmail, Hotmail & co : « Prends-toi donc un hébergement à l’APINC ou chez Gandi, pour 15€ par an, tu seras tranquille ». Ce n’est pas le prix qui les arrête, mais le jargon, le nombre de pages de contrat, le fait de saisir un numéro de CB sur le web, etc.

Mais cela pourrait changer[3].

Prenez le buzz du moment : GroundOS.
Pour le dire rapidement, GroundOS est une application web qui vous permet de partager facilement votre musique, vos films, vos photos, vos documents (déposés dans groundOS ou rédigés directement dans groundOS, sur le principe de Google Docs).
En tant que tel, rien de bien nouveau, si ce n’est que ça a l’air particulièrement bien intégré (alors que pour arriver au même résultat aujourd’hui, il faut de nombreuses applications différentes). Et d’ailleurs, GroundOS n’est peut être qu’un « fake », on sera fixé le premier mai, mais peu importe.

En utilisant GroundOS (ou autre application similaire), j’héberge moi même mes données, je les partage avec qui je veux, et je les chiffre si je veux. Et je souhaite bien du courage à l’Hadopi pour savoir si ce qui transite dans mes tuyaux c’est le dernier album de Johnny, ou la vidéo de l’anniversaire de mon petit neveu.

Maintenant, il reste encore un problème : comment Tata Jeannine va-t-elle pouvoir utiliser GroundOS ? Certes, elle pourrait utiliser la version installée par son entreprise, par l’école de sa fille, ou par l’association du coin. Mais c’est remettre de la centralisation là où l’on veut décentraliser.
Elle pourrait aussi l’utiliser sous forme d’une WebApp ( de préférence made by Framasoft). Mais à l’extinction de son ordinateur, ce serait fermer le partage de données.

Reste une voie intéressante : celle des boxes internet.
Par exemple, on estime le nombre d’abonnés ADSL de Free à 3 500 000. Une grande partie d’entre eux ont une Freebox équipée d’un disque dur (qui sert notamment de magnétoscope). Imaginons que Free livre ses Freebox prééquipées d’un GroundOS (qu’on ne me dise pas qu’installer un serveur web sur des box internet est impossible). Pour le même prix, Tata Jeannine aurait : (Internet+téléphone+TV) + « son petit coin d’internet à elle ». Accessible facilement (tatajeannine.free.fr) 24h/24, 365 jours par an.

Évidemment, cela soulève des questions, notamment en terme de sécurité. Se faire hacker sa connexion internet, ce serait potentiellement donner accès à toute votre vie numérique. En terme technique, le premier geek poilu venu me rétorquera « en terme de QOS on a vu mieux », que le « MTBF des HDD des boxes c’est pas top », que « Free sapusaipalibre », que « le A de ADSL limite les usages », voire qu’il fait ça (de l’autohébergement) « depuis 6 ans avec un vieux 486 sous Debian planqué sous l’évier ».

Mais quand même. Là il s’agit de Tata Jeannine ! Et juste d’activer une fonctionnalité qui lui permettrait de partager facilement ses photos, d’écouter sa musique (achetée légalement) d’où qu’elle soit, de pouvoir blogguer sans pub sans craindre le dépôt de bilan de l’hébergeur, de pouvoir regarder la fin du film qu’elle a enregistré sur sa box à Lyon depuis sa maison de campagne à Sainte-Ménehould, de pouvoir stocker tout ou partie de son courrier sur sa MachinBox internet (plutôt qu’on ne sait où sur le web). Bref, d’avoir un petit bout d’internet comme on a un petit bout de jardin, plutôt que d’aller systématiquement au parc du coin. Et tout ça depuis son Firefox préféré.

Après l’ère de la diffusion de l’information, après celle de la participation, peut être allons nous vers celle de la décentralisation ?

Ou, autrement formulé, « et si on redonnait internet aux internautes ? »

Notes

[1] C’est à dire Vivendi & co – qui nous aura plus ou moins forcé à installer leur logiciel espion puisque si je refuse d’être observé en permanence, c’est donc que je suis coupable !

[2] Ben oui, je ne lis pas les mails de mon FAI.

[3] Crédit photo : Josef Grunig (Creative Commons By-Sa)




Quand la ville de Sainte-Ménehould remercie Framasoft et sa Framakey

Sainte-Ménehould - FramakeyIl était une fois des écoliers d’une petite ville de province de la Marne…

Cette simple histoire d’enfants, d’éducation, de politique locale, de diffusion du logiciel libre et de reconnaissance mutuelle est peut-être un détail pour vous, mais pour nous elle veut dire beaucoup et est à encadrer précieusement de notre petit livre d’or personnel.

En fin d’année scolaire dernière, la ville de Sainte-Ménehould eut une sympathique initiative ainsi narrée par le journal local L’Union du 14 juin 2008 (extraits) :

C’est hier matin que l’on a remis le « petit cadeau » aux écoliers. En ouvrant l’enveloppe gonflée, Melinda, 11 ans, élève au groupement scolaire Robert Lancelot s’exclame : « J’espère que ce ne sont pas des chocolats parce que mon père va les manger ! ». L’enfant ne tarde pas à être rassurée et même agréablement surprise. Le cadeau en question n’est autre qu’une clef USB. De celles que l’on peut emporter partout avec soi.

« Il s’agit d’une première sur Sainte-Ménehould » souligne Linda Moutarde animatrice à la Cyber base. A savoir que la municipalité a eu l’idée cette année de récompenser les élèves de CM2 de la commune venant de décrocher leur B2i (Brevet informatique et internet).

(…) Précision qui a son importance à propos de ces clefs : il ne s’agit pas de simples clefs permettant de stocker des fichiers informatiques. Celles-là contiennent de précieux programmes. Et leur fonctionnement est d’une simplicité biblique. L’élève n’a qu’à brancher la clé sur absolument n’importe quel ordinateur : chez lui ou à l’école, il pourra faire fonctionner divers logiciels libres de droit, c’est-à-dire gratuits.

« C’est un peu comme si les jeunes transportaient leur disque dur avec eux » résume David Schmitt autre animateur de la Cyber base. Depuis leur clef, les futurs collégiens vont pouvoir créer des documents (textes ou tableurs), écouter de la musique, lire des vidéos, naviguer sur Internet et même s’ils le désirent, s’adonner au « chat » (traduction pour les non-initiés : participer à des forums de discussions).

On notera que le journaliste s’emmêle un peu les pinceaux sur les « logiciels libres de droit, c’est-à-dire gratuits » et que la clé ne fait tourner les logiciels que sur un poste Windows. On notera également que l’article ne mentionne pas la solution portable libre installée sur ces clés, à savoir notre Framakey.

Ce qui est par contre bien précisé sur la fiche projet dédiée du site Villes Internet (extraits) :

Actions : L’objectif est de permettre à tous les élèves de pouvoir travailler correctement tout au long de leur parcours scolaire. Il ne s’agissait donc pas d’offrir uniquement une clé pour du stockage mais d’aller au delà. La solution choisie est donc d’ajouter un contenu logiciel à cette clé au travers du pack Framakey, qui permet l’exécution de logiciels libres depuis la clé, ce qui permet de n’installer aucun logiciel sur le poste qui exécute les programmes. En leur donnant un outil très pratique pour leur parcours scolaire, nous avons aussi souhaité sensibiliser les jeunes aux logiciels libres espérant qu’ils continueront dans cette voie.

Résultats : Tout d’abord les élèves ont tous été très ravis de recevoir un tel cadeau. Ils ont posé énormément de questions autour du fonctionnement de la clé, ce qui prouve que cela les intéresse grandement. Les enseignants ont également été surpris par cette initiative. Nous pensons renouveler l’expérience l’an prochain, en faisant personnaliser la clé avec le logo de la Ville.

Recommandations : Il faut travailler sur le contenu et pas uniquement l’objet en lui même. Faire une présentation de l’outil, travailler sur les dangers d’Internet, les droits d’auteurs et tout ce qui est lié au contenu personnel sur la clé.

Sages recommandations, surtout en cette période post-Hadopi…

Toujours est-il que voici un usage de la Framakey qui nous ravit parce qu’elle est justement là pour ça. En respectant les termes de la licence, chacun est libre de l’utiliser, la copier, la modifier, la personnaliser et la distribuer. Nous y passons du temps, mais dans la mesure où il s’agit avant tout d’intégration de plusieurs logiciels libres créés par d’autres, cela donne l’occasion, comme ici, d’en découvrir et diffuser un bon paquet d’un coup.

Cela dit, chacun est libre aussi de nous prévenir et éventuellement nous remercier lorsqu’il utilise d’une manière ou d’une autre nos briques Framakey. Non pas que nous attendons forcément un retour de tous ceux qui l’ont un jour téléchargée, mais c’est un geste courtois toujours grandement apprécié 😉

C’est pourquoi nous fûmes tout aussi ravis de recevoir il y a peu une lettre de Monsieur le Maire, nous annonçant la nouvelle suivante (extraits) :

Sainte-Ménehould
Le jeudi 2 avril 2009

Monsieur,

J’ai le plaisir de vous informer que, lors de sa séance du 25 mars dernier, le Conseil Municipal a décidé de vous octroyer une subvention exceptionnelle d’un montant de 150 euros pour votre association, dans le cadre de la remise des clés USB à tous les élèves de CM2 ayant obtenu leur B2i.

Je vous prie de croire, Monsieur, à l’assurance de ma considération distinguée

Le Maire,
Bertrand Courot

Grand merci à Monsieur le Maire, à Jean-Marc Verdelet, David Schmitt et à toute la ville de Saint-Ménehould. D’abord pour la promotion ainsi faite aux logiciels libres mais également pour la reconnaissance du travail de sa communauté.