TousAntiConneries

Gee avait publié sa BD StopConneries en réaction à StopCovid, il lui semble donc opportun de publier aujourd’hui une nouvelle BD, TousAntiConneries. N’hésitez pas à relire l’article d’origine qui reste tristement d’actualité.

TousAntiConneries

Bon, je sais, j’avais déjà publié un article StopConneries au printemps dernier, mais qui n’a sans doute pas été assez percutant.

Le smiley dit : « Faut pas être si dur avec toi-même. Je ne dirais pas que c'était un échec, je dirais que ça n'a pas marché. »

Comme apparemment il suffit de changer le papier peint pour donner l’impression qu’on a changé d’endroit, voici donc : TousAntiConneries, un article qui n’a rien à voir avec StopConneries, bien entendu.

Gee précise : « On avait pensé à “Arrêtons les conneries avec la connerie”, mais ça faisait deux fois “connerie”. » Le Geekette : « Alors, d'après l'Académie française, on dit “le connerie”, parce que c'est “un” propos idiot.  Et on peut leur faire confiance, ils en connaissent un rayon sur les propos idiots. »

Rappelons d’abord la roue libre totale des responsables politiques, comme le montre ce billet de blog daté du 3 mai 2020, dans lequel Cédric O, Sacrée Tare d’État chargée du Numérique, écrit :

Cédric O est en train de taper sur son ordinateur : « Ceux qui s'opposent à tout prix à StopCovid doivent dire qu'ils acceptent les risques sanitaires, sociaux et démocratiques conséquents. En clair : des malades et des morts en plus. » Citation authentique.

Personnellement, j’adore ce genre d’argument fin, subtil et très digne… je me permets donc de proposer l’interdiction totale de tous les véhicules motorisés.

Ce qui aura comme conséquence directe de faire baisser le nombre de morts sur la route à 0 (contre 3 500 par an actuellement, première cause de mortalité chez les 15-24 ans), sans compter les blessés graves.

Gee mime Cédric O : « Ceux qui s'y opposent à tout prix doivent dire qu'ils acceptent les risques.  En clair : des paralysés et des morts en plus. »

Rappelons ensuite qu’Anticor a saisi en juin le Parquet National Financier au sujet de l’attribution du contrat de maintenance de l’application StopCovid, qui n’aurait été soumis à aucune procédure de passation de marché public.

Procédure que Cédric O a trouvée…

Toujours une citation authentique de Cédric O : « Méprisable, je le dis vraiment avec les mots. On a des entreprises qui sont venues gratuitement, qui ont travaillé comme des chiens pendant 3 mois pour délivrer une solution sanitaire pour servir l'intérêt général. Une semaine plus tard, elles ont leur nom traîné en pâture dans la presse et une saisine du Parquet National Financier. » Le smiley chiale et dit : « Mets un like si tu pleures à chaque fois. »

C’est vrai, pauvres entreprises qui avaient bossé gratuitement et sans aucune arrière-pensée, AUCUNE, jamais AU GRAND JAMAIS, de toucher le jackpot d’argent public par la suite.

Encore et toujours une citation authentique, avec Cédric O en larmes : « Tout ce que l'on va gagner, c'est que la prochaine fois, Outscale et les autres, ils nous diront “vous savez quoi, vous allez voir Apple et Google“. » Le smiley joue du violon : « Gnniiiiiiii… »

Hahahahahahahaha !

Oui, je vois bien le truc :

Un responsable financier qui fait semblant d'être écœuré : « Un partenariat public-privé où on privatise les profits et où on nationalise les pertes ?  Avec un client infiniment solvable via l'impôt et des responsables cul et chemise avec le patronat et qui facturent n'importe comment vu que c'est pas leur pognon ?!  Noooon, pitié ! On n'en veut pas !  Olalah, non ! Brrrr, allez donc voir ailleurs ! »

Ensuite, si vous pensez sérieusement que le choix se résume à conclure des PPP foireux avec des entreprises sous perfusion d’argent public ou à se vendre aux GAFAM, il serait peut-être temps de débarrasser le plancher et de laisser la place à des gens compétents.

En toute amitié, hein.

La Geekette, blasée : « Oh tu sais, aux Ministères de l'Éduc Nat, de la Défense et de la Santé, on fait des PPP foireux avec les GAFAM, c'est pas incompatible. » Gee cherche dans son armoire : « Mais bordel… où c'est qu'j'ai mis ma fourche ?! »

À part ça, rien de très nouveau sous le soleil : l’exécutif tente de pousser l’usage de l’appli avec plus d’opiniâtreté qu’un démarcheur téléphonique sous amphètes.

Macron montre son smartphone : « Et maintenant, ceci est une révolution : Toux Sentie qu'Au Vide vous permet également de générer vos attestations de sortie ! 5 étoiles sur le Plé Staure ! » Gee, blasé aussi : « Ah ouais, comme ça on peut se faire tracer tout en s'auto-attestant le droit d'aller s'acheter des chips.  C'est une sorte de mélange entre Kafka et Orwell, votre truc, en fait. » Le smiley : « Après, faut lui reconnaître ça, Macron reste plus crédible en VRP de start-up qu'en représentant du peuple français… »

(Et sinon, notez que l’appli libre « Attestation de déplacement » disponible sur F-Droid vous permet aussi de générer une attestation, avec mémorisation des champs et sans l’option traçage.)

Pour finir, un petit point sur les chiffres : le 10 novembre, l’application avait été téléchargée 7 millions de fois.

Gee précise : « Juste “téléchargée”, hein.  Combien l'ont téléchargée seulement pour se faire des attestations ?  Combien ont le bluetooth désactivé en permanence ?  Et il faudrait combien de personnes l'utilisant au quotidien pour qu'elle commence à avoir un semblant d'utilité ?  Et surtout, couplée à quelles capacités de tests par ailleurs ?  Envoyez vos réponses au 8 12 12. » Le smiley, stupéfait : « Ah merde, y'a pas encore de numéro vert, pour ça ? »

Quant au nombre de personnes notifiées par l’appli, il dépasse péniblement 10 000 depuis son lancement…

… quand la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie en notifie 120 000 PAR JOUR.

Une femme représentant l'Assurance Maladie retient un énorme rocher « COVID19 » qui menace de dévaler une pente, en transpirant. En dessous, Macron, qui ne l'a pas remarquée, regarde son smartphone posé par terre, enthousiaste, et encourage le smartphone : « Allez ! Bzzzz, l'appli ! C'est bien ! Tu vas nous sauver ! Gloire à la sainte appli ! Quand j'pense qu'ils nous emmerdent à nous demander des moyens supplémentaires alors qu'on a un APK que le monde entier nous envie… » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 16 novembre 2020 par Gee.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Écran bleu de la… santé

Si vous pensiez que la crise du COVID était l’occasion d’une pause dans la déferlante des politiques de santé… disons, discutables… vous vous trompiez lourdement (et on vous invite à lire La stratégie du choc de Naomi Klein).

Aujourd’hui, notre gribouilleur Gee nous cause de la « Plateforme » (aussi nommée Health Data Hub), une nouvelle porte ouverte aux GAFAM sur nos données de santé…

Écran bleu de la… santé

Allez, encore une jolie histoire comme on les aime en France, à base de marchés publics douteux, de fichage en proportions délirantes, de financement massif des GAFAM par l’argent public, de mise sous tutelle américaine, enfin la routine quoi…

Le Geek qui masse les épaules de Gee comme un boxeur, en lui disant : « Vas-y vieux, mords ! Kssss ! Kssss ! » Gee, énervé, fait : « Grrrrmpppphhfffff ! »

Tout commence en mars 2018, lorsque le député Cédric Villani rend son rapport sur l’intelligence artificielle en identifiant, entre autres, la santé comme secteur prioritaire pour le développement de l’IA.

Villani, à la télé, dit : « Il faudrait que soient mis en place des bacs à sable d'innovation pour permettre l'allègement temporaire de certaines contraintes réglementaires et des moyens d'expérimentation en situation réelle. » Gee commente : « Déjà, quand on t'annonce d'emblée qu'on va faire péter les digues dans un milieu aussi sensible que la santé, tout ça pour le bien d'un domaine désigné par un terme marketing – IA – suffisamment flou pour englober pas mal de merdes, ça sent bien le sapin… M'enfin comme disait Lordon, “il suffisait d'entendre Cédric Villani parler de politique pour être convaincu d'abandonner l'hypothèse folle d'une sorte de convertibilité automatique des formes d'intelligence entre elles”. »

Passons maintenant à la loi de juillet 2019 « relative à l’organisation et à la transformation du système de santé » :

Extrait de la loi : « Art. L. 1462-1.-Un groupement d'intérêt public, dénommé “ Plateforme des données de santé ”, est constitué entre l'Etat, des organismes assurant une représentation des malades et des usagers du système de santé, des producteurs de données de santé et des utilisateurs publics et privés de données de santé, y compris des organismes de recherche en santé. Il est notamment chargé : 1° De réunir, organiser et mettre à disposition les données du système national des données de santé mentionné à l'article L. 1461-1 et de promouvoir l'innovation dans l'utilisation des données de santé ; » Gee explique : « Traduction : un nouveau fichier géant ! »

Un politicien fait la fête avec champagne et chapeau sur la tête : « Eh oui ! Félicitations à l'État français ! Yoopy ! Et pour l'achat d'un douze-millième fichier disproportionné et dangereux, vous gagnez 20 ans d'abonnement à “Sociétés Orwelliennes pour les Nuls” ! Braavooooooo ! » À côté, Marianne fait mine de faire la fête également, avec un gros air blasé sur le visage.

Oui, car ici, on parle de rien de moins que la fusion des données de l’Assurance Maladie (visites chez le médecin, remboursements, etc.), des bases de données de tous les établissements hospitaliers du pays et du fichier des causes médicales de décès.

En somme, les données de santé détaillées des 67 millions de personnes résidant en France.

Une femme avec un chapeau CNIL dit : « Alors je sais qu'on va dire que je passe mon temps à casser l'ambiance, m'enfin là, quand même, ça pue. » Un homme avec un chapeau ANSSI ajoute : « Je suis d'accord, et on va suivre de près le volet technique, parce qu'il s'agirait pas de faire n'importe quoi avec des données aussi sensibles… »

Avril 2020, en pleine crise du Covid, ce qui devait arriver arrive… le gouvernement en profite pour ordonner la mise en fonction anticipée de la Plateforme contre toutes les recommandations.

Édouard Philippe et Macron sont représentés en train de pisser sur les têtes des deux personnages CNIL et ANSSI. Philippe dit : « C'est curieux, chez les experts en sécurité informatique, ce besoin de faire des phrases… »

Et devinez qui-qui est choisi pour héberger ce fichier massif de nos données de santé ?

Qui-qui ?

Hein, qui-qui ?

La Geekette demande : « Une entreprise française pour garantir la localisation des données sur le territoire, et donc leur sécurité et notre contrôle dessus ? Tout en évitant de balancer de l'argent public pour financer une boîte étrangère ? Ou d'élargir encore plus l'hégémonie hallucinante des mastodontes type GAFAM ? » Gee répond en souriant : « Exactement ! »

La Geekette, surprise : « Sérieux ?! » Gee explose de rire et dit : « Haha ! Mais bien sûr que non !  C'est MICROSOFT qui a été choisi ! »

Microsoft.

Oui.

À ce niveau-là, c’est plus du foutage de gueule, c’est une performance artistique.

On rappellera au passage que Microsoft fournit déjà des solutions logicielles à nos Ministères de la Défense et de l’Éducation Nationale, rien que ça.

Gee, allongé sur une chaise longue, lit un livre et commente : « C'est pas grave ! La défense, la santé, l'éducation, tout ça, c'est pas du tout crucial pour notre indépendance ! Nan nan nan, ça va, c'est relax !  J'ai lu ça dans “La Géopolitique à l'usage des connards et des gouvernements-traitres à leur pays”. »

Du coup, je propose qu’en 2022, on vote plutôt pour choisir directement le PDG de Microsoft, on gagnera du temps.

La Geekette remarque : « Déconne pas, ce serait un coup à rendre les élections utiles… On serait à deux doigts de socialiser une multinationale. » Gee, un drapeau anarchiste à la main, dit : « Ah mince. Mon plan secret a été éventé. »

Bien sûr, puisque les données transiteront nécessairement par les serveurs de Microsoft aux États-Unis, elles seront exposées au Cloud ACT, loi américaine qui permet aux autorités judiciaires des États-Unis d’aller fourrer leur nez dedans quand ça leur chante.

Un agent des services secrets des États-Unis chante : « We fuck the world. We fuck the children. We fuck the world, the forest and the sea. » L'oncle Sam dit : « Je traduis pour les non-anglophones : “nous sommes la nation de la liberté, nous respectons la vie privée de 67 millions de pécores d'étrangers, faites-nous confiance.” »

Alors je sais, vous allez me dire : mais on peut chiffrer les données avant de les envoyer sur les serveurs de Microsoft, et ainsi profiter du service fourni tout en assurant l’illisibilité des données de l’autre côté de l’Atlantique…

Marianne dit à l'oncle Sam : « Bon, je veux bien mettre mes données dans votre super coffre-fort, mais je garde la clef. Vous comprenez, c'est plus sûr pour moi. » L'oncle Sam répond : « Évidemment. »

… sauf que la Plateforme sera aussi utilisée pour l’analyse et l’exploitation des données qui seront effectuées par… des logiciels Microsoft.

L'oncle sam précise en souriant : « Bon en fait, vous comprenez bien que pour pouvoir traiter vos données, va bien falloir que j'y accède, du coup vous seriez bien urbaine de me laisser la clef. » Marianne, gênée, lui tend en souriant aussi : « Haha ! Suis-je bête ! La voici ! »

Après, soyons indulgents avec nos dirigeants : cela ne fait que 7 ans qu’Edward Snowden a révélé que les agences américaines se torchaient le derche avec la vie privée du monde entier et exploitaient absolument toutes les données qui passaient à leur portée.

Laissons leur un peu le temps d’assimiler.

Rappelons-nous que la plupart d’entre eux n’ont quand même pas inventé l’eau chaude, hein.

Une femme avec une casquette « Club de Rome » remarque : « Nous, ça fait jamais que 50 ans qu'on essaie de leur expliquer que la croissance est incompatible avec la survie de l'espèce humaine à long terme, hein… » Gee, blasé : « J'sais bien. J'me demande régulièrement s'ils sont corrompus, incompétents ou juste complètement abrutis…  Et j'me demande aussi quelle est l'hypothèse la moins inquiétante… »

Comme d’habitude, on aurait bien aimé a minima voir une entreprise française ou au moins européenne hériter de l’affaire (le RGPD, c’est pas la panacée mais c’est mieux que rien)…

Ou même, rêvons un peu, un système public décentralisé avec de l’investissement dans des compétences techniques locales au niveau de chaque établissement hospitalier…

Un irresponsable politique dit en rigolant : « Mais ça, ce serait de l'interventionnisme, voyons. C'est dépassé !  L'État est un consommateur comme les autres ! » Le smiley, pas content : « Visiblement, les appels d'offres transparents pour les marchés publics aussi, c'est dépassé, vu qu'on a refilé le bébé à Microsoft sans… »

Et, enfin, on se désole de constater une fois de plus que l’investissement dans la santé est fait avant tout pour permettre de créer de nouveaux marchés privés solvabilisés par l’argent public, et de monétiser les dernières parcelles de vie privée qu’il nous reste…

La Geekette fait mine d'être agacée : « Tu vois encore le mal partout. » Gee, montre un schéma en disant : « Le mal, je sais pas, mais les conflits d'intérêts, oui. » Le schéma montre les relations entre les différentes protagonistes et les différentes entités concernées. Gilles Wainrib co-dirige Owkin (startup dans le domaine de l'usage de l'IA en santé), financé par Google Ventures (fonds de placement de Google), et est membre de la mission de préfiguration de la Plateforme. Jean-Marc Aubert dirigeait la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques), anciennement en charge de la Platforme.

Car comme le dit l’adage, « un conflit d’intérêt, c’est une coïncidence, dix conflits d’intérêts, c’est la République Française ».

Et en même temps, on savait à quoi s’attendre.

Non ?

Emmanuel Macron est représenté à son bureau, et alterne des vraies citations et des parodies : « “Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner – notre cadre de vie au fond – à d'autres est une folie.” Et moi je dis : soyons fous ! “Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché.” Bon, là, on n'a pas fait d'appel d'offres, du coup c'est raccord. “Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd'hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal.” Je parle bien sûr des actionnaires de Microsoft, pas du personnel hospitalier, hein. » Le smiley, énervé : « C'est effectivement plus clair comme ça. » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 28 août 2020 par Gee.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Le roman historique est un sport de combat

Les éditions Framabook proposent quatre nouveaux livres d’un coup, quatre recueils d’histoires courtes qui se déroulent, comme les enquêtes d’Ernaut, au temps des Croisades. Et si le récit en paraît fort éloigné de nous, son auteur, Yann Kervran, nous explique en quoi cela peut nous aider à mieux cheminer au présent.

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Quatre livres d’un coup, c’est parce que tu t’ennuyais pendant le confinement ?

Loin de là. Ça fait un moment que le projet de publication de ces recueils est envisagé, mais il a fallu du temps pour le concrétiser. Avant cela, la rédaction a duré pratiquement huit ans. C’est une compilation de textes écrits mensuellement depuis 2011 jusqu’à fin 2018, que j’appelle Qit’a, textes courts dans l’univers Hexagora.

Des quoi ? Ça veut dire quoi, ce mot « Qit’a » (quitte à découvrir un nouveau mot, je tente ma chance) ? Et l’univers « Hexagora », c’est où ? Un peu à gauche au fond de la galaxie, ou bien dans le très lointain siècle des aventures d’Ernaut ? Chuis perdu dans l’espace-temps là…

Le terme en lui-même vient d’une technique de calligraphie persane qui procède par découpe, pour découvrir le décor caché. Ce sont des textes courts (entre 12 000 et 30 000 caractères) qui donnent à voir le monde au XIIe siècle tel que je me le représente à partir de la documentation scientifique disponible, que j’appelle l’univers Hexagora. Chacun d’eux offre l’occasion de découvrir la vie de personnages de second plan des romans d’Ernaut, de son enfance à lui, ou de tout autre individu de cette période que je peux relier plus ou moins directement à ce lieu et cette époque.

Hexagora, un univers presque familier.
Détail d’une copie de la Tabula Rogierana de Al Idrisi présentant la méditerranée et ses abords (avec le sud en haut), avec translittération des termes arabes, réalisée en 1929 par Konrad Miller, à partir d’une copie de l’original de 1154. – Domaine public – Source Wikimedia

 

Cela fait plus de quatre-vingt récits dans ces quatre volumes et j’ai dépassé la centaine publiée sur mon site Hexagora.
Un tel volume m’est nécessaire pour embrasser le projet de brosser de façon romanesque un monde, celui des Croisades dans la seconde moitié du XIIe siècle, dans sa complexité et pouvoir montrer des phénomènes au long cours tels que la diffusion de motifs culturels ou les métamorphoses d’une société mosaïque. Je me rends d’ailleurs compte que j’ai à peine commencé à aborder le premier point, malgré le volume déjà écrit. Avec les enquêtes d’Ernaut, qui sont un point d’entrée plus traditionnel, de roman d’enquête, cela fait désormais 8 tomes, qui me permettent en quelque sorte de poser les bases.

Attends… en huit tomes, tu as juste « posé les bases » ? Tu veux réécrire la Comédie Humaine ?

Au moins, oui. Et si je n’y arrive pas, j’invite quiconque en a l’envie de se joindre à moi (l’avantage du libre, CC BY SA en l’occurrence, il n’y aura pas à attendre 70 ans après ma mort pour ça). Très sérieusement, mon ambition en terme de fresque humaine est similaire à celle de Balzac, sauf que je ne cherche pas à dépeindre une partie de la société qui m’est contemporaine, pour la rendre intelligible. J’espère plutôt faire résonner une altérité qui nous a précédé pour inciter à raisonner sur le présent. Tout en fournissant des arguments pour réfléchir à nos constructions mémorielles et nos représentations culturelles, essentiellement historiques.

L’angoisse de la page blanche, cette inconnue de certains auteurs…
Les 16 volumes de La Comédie Humaine, CC BY SA Scartol – Source Wikimedia

Quand j’ai commencé à lire des Qit’a, je m’attendais à des nouvelles. Et en fait non. Finalement, c’est quoi, un Qit’a ?

Mon envie était d’ouvrir des fenêtres et de donner à voir le paysage depuis un autre point de vue, avec un autre rythme de parcours. Il n’y a donc pas de schéma rédactionnel traditionnel, certains Qit’a peuvent avoir une exposition, des péripéties, un climax puis une résolution, mais je ne me suis jamais senti lié par cette promesse. Chaque texte a suivi sa propre logique et ne répondait qu’à l’envie que j’avais de traiter de la vie d’une personne, d’un lieu, d’un objet ou d’une anecdote, voire de me lancer un défi du type de ceux proposés par l’Oulipo (comme par exemple m’interdire un son ou une conjonction) histoire de m’aguerrir en tant qu’écrivain.

J’avais le souhait de proposer de rentrer dans un univers fictionnel par un autre biais que les récits habituels, avec une structure générale plus organique. Chaque partie a une cohérence interne propre, mais peut se joindre à une autre, voire plusieurs, et engendrer ainsi un ensemble qui vaut plus que la simple addition, par la richesse des interactions. Procéder ainsi par touches, fractions, destins évoqués, me semble plus riche d’un point de vue humain. Plus évocateur aussi, car il laisse suffisamment de part d’ombre pour laisser à chacun et chacune la possibilité de construire. En soi-même et au-delà, en devenant créateur ou créatrice.

Donc, ma mère qui a lu les trois premiers tomes d’Ernaut, mais qui n’aime pas les nouvelles pourrait lire les Qi’ta ? (je ne sais pas dire ce qu’elle n’aime pas dans les nouvelles hein :))

La possibilité lui en est offerte, du moins, éventuellement sans devoir payer pour voir. Mais si elle a apprécié la plongée dans un monde reconstitué, elle devrait apprécier d’en parcourir certains chemins de traverse. Il y a une cohérence globale qui offre une expérience d’immersion très vaste, qu’apprécient souvent les lecteurs et lectrices de romans historiques. Par exemple, chaque section est datée et placée géographiquement précisément, de façon à permettre une reconstruction différente de ma proposition littéraire.
L’idée n’est pas de développer des spin-offs ou de faire des produits dérivés, qui peuvent parfois apparaître comme une façon de rallonger la sauce voire d’exploiter un filon, mais bien de nourrir une vision la plus large possible, en s’attachant à des éléments singuliers et subjectifs qui ont une validité et une importance égale vis-à-vis du tout.

Ces recueils inaugurent une nouveauté : tu proposes une nouvelle façon de considérer l’écrivain, qui ne passe pas par le droit d’auteur. Mais pourquoi est-tu si fâché avec le droit d’auteur ?

J’ai en effet demandé à être publié sans contrat, et à ne pas toucher de rémunération liée aux ventes, ce qui est possible vu que tout est sous licence libre (j’ai suivi en cela le chemin de David Revoy avec Glénat). Parce que le terme même de « droit d’auteur » est une imposture. Le « droit d’auteur » et son corollaire, le contrat d’édition, ne font que perpétuer un modèle économique qui ne fait pas vivre les créateurs et créatrices. En vingt ans, le revenu moyen des écrivains a été, en moyenne (et donc en tenant compte de la starification de certains auteurs désormais multimillionnaires), divisé par cinq (voir la présentation d’Olivia Guillon aux États Généraux du Livre en 2019 ou le rapport Racine).

Beaumarchais, à l’origine du droit d’auteur, était aussi éditeur, papetier… Il a conçu le droit d’auteur comme le riche industriel qu’il était. «Beaumarchais, le grand corrupteur, commença à spéculer avec génie sur les éditions et à combiner du Law dans l’écrivain» – Sainte-Beuve
Jean-Marc Nattier, Portrait de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1755) – Domaine public – Source Wikimedia

En outre, ce terme essentialise la notion de propriété intellectuelle, qui constitue une autre supercherie et fait envisager son existence comme seul horizon pour ceux-là même qui devraient être les plus critiques sur ces notions : les artistes.
Alors, certes, je n’ai pas de modèle économique à opposer (en dehors du don qui ne fonctionne pas en littérature, du moins pas à ma connaissance), mais je suis certain que celui que l’on me propose est frelaté.
J’ai bien plus confiance dans les travaux de Bernard Friot et du Réseau salariat pour me tirer de la situation d’indigence dans laquelle je suis désormais que d’un éventuel succès de librairie qui n’adviendrait que si je passais sous les fourches caudines d’une industrie qui n’a su jusqu’à présent que m’exploiter, à défaut d’arriver à me prolétariser (dans le sens que lui donne Bernard Stiegler, à savoir me déposséder de mes savoir-faire).

Au delà du droit d’auteur, tu expliques souvent dans tes interventions qu’Hexagora est un contre-pied à une certaine narration de l’Histoire, comme on peut la trouver dans le roman national. Est-ce que tu peux définir ce terme pour notre lectorat et expliquer en quoi ton travail est différent ?

L’histoire et la mémoire sont deux outils politiques au service des vainqueurs. La recherche historique est scientifique, mais on crée à partir de ce matériau une narration qui donne à voir ce qui sert le pouvoir en place, ce qui est pertinent pour les catégories sociales les plus riches et influentes. Bourdieu dirait que les possesseurs du capital symbolique le plus conséquent cherchent à le perpétuer. Le roman national répond à ce besoin, à la fois de normalisation, en imaginant un récit fondateur unificateur, mais aussi en insistant sur les valeurs que l’on souhaite renforcer et vanter chez ses concitoyens. C’est un moyen de contrôle par le bornage et la définition des horizons culturels.
J’ai dédié ces recueils à « la mémoire des exclus de la Mémoire », tous ces sans-grades, ceux « qui ne sont rien », ceux qui ne font pas l’Histoire, mais dont l’histoire a tant à nous apprendre. Je raconte leurs vies parce qu’ils nous ont précédés sur cette planète, ont vécu, ont fait des choix, des erreurs, des enfants, des rêves… Je m’efforce de les évoquer, dans leur plénitude, subjectivement, sans juger par avance leurs actes, et de voir en quoi ils peuvent m’apprendre à devenir un meilleur être humain. Par ce lien, qui me fait, en tant qu’animal social, et que je cherche à distinguer par-delà les siècles.

On a longtemps envisagé les couches populaires en dehors de l’histoire, à tel point qu’elles servaient à montrer l’aspect cyclique du temps par leurs activités.
Miniatures extraites du psautier de Fécamp, vers 1185, Koninklijke Bibliotheek, ms. 76F13, La Hague – Domaine public

Alors, bien sûr, je ne prétends certes pas dépolitiser le sujet, bien au contraire, mais j’apporte une vision différente, je fais entendre une mélodie chorale distincte des trompettes de la renommée. Je parle des 99% qui ont été systématiquement mis de côté dans les grandes narrations et la mise en avant des « grands hommes » et de leurs « extraordinaires destins ». Je fais de façon romancée un travail analogue à celui qu’a fait Howard Zinn, dans « Une histoire populaire des États-Unis » ou plus récemment Michelle Zancarini-Fournel dans « Les luttes et les rêves ». C’est à relier avec ce que les chercheurs étudient désormais, depuis très peu de temps, sous le concept d’histoire par le bas.

Bourdieu, Zinn, tout ça est très contemporain. Justement, qu’est-ce qui dans ces Qit’a ou plus largement dans la période que tu explores pourrait selon toi faire écho à notre époque actuelle ?

Il me semble que tout période historique ou préhistorique possède quelque chose à nous apprendre, que ce n’est qu’une question de regard. Nous pouvons en extraire directement des concepts pour repenser le politique contemporain. Très rapidement, dans mon cas, je pense par exemple à la notion de communs, dont Pierre Dardot et Christian Laval montrent la vigueur dans les périodes qui m’occupent, ou de la démocratie, dont Francis Dupuis-Déri démontre l’existence dans l’organisation paysanne médiévale, bien différente de celle qu’on évoque habituellement, de la Grèce archaïque. On peut aussi évoquer la notion de libre arbitre, qui n’aurait pu nous paraître aussi naturelle en Occident sans les penseurs du catholicisme médiéval. Nous sommes littéralement pétris de notions dont les aléas historiques permettent d’en comprendre les ressorts, les enjeux, les impasses.

Difficile d’être un écrivain naïf après Pierre Bourdieu

Dans un second temps, il existe aussi une leçon à tirer du rapport à ces sujets, et de la façon dont la mémoire que nous construisons de ces événements (ou que l’on nous propose par les institutions telles que l’école), de ces moments qui nous ont construit en tant que citoyen et personne. Comment nous avons été nourris, comment nous nous appareillons intellectuellement en nous basant sur des récits qui rendent compte de ces périodes.
Très prosaïquement, l’idée de bâtir Hexagora est née suite aux déclarations du pouvoir présidentiel américain, lorsqu’il parlait de « croisade contre le terrorisme ». Au-delà de l’apparente incongruité des mots ainsi accolés (faire une guerre religieuse à un concept), j’ai eu envie de déconstruire les termes qui étaient ainsi employés, et de proposer aux lecteurs de retourner aux origines, vu que c’était la période que j’étudiais depuis l’université. Ceci m’est apparu avec d’autant plus d’évidence que la pratique d’opposition armée désignée sous l’appellation terrorisme y était née, avec une secte ismaélienne alors désignée sous le terme de Nizarites, qu’on appelle communément assassins.

Chez Framasoft, il y a la Team Meme, il y a aussi la Team Chauve, connue pour faire plusieurs pages pleines de mots compliqués, à propos des trucs plus compliqués encore. On sait que tu en fais partie, et ça se voit dans tes textes… Est-ce que cela ne rend pas ton œuvre inaccessible aux gens du commun ?

Je ne le crois pas. Oui je ne renâcle pas à l’usage d’un subjonctif imparfait ou d’un mot peu usité tel que principicule, (qui me semblerait d’ailleurs tout à fait adapté à une large diffusion ces jours-ci). Pour autant, cela demeure accessible aux curieux, je crois, et je ne m’aventure pas trop dans un style alambiqué ou expérimental. Je cherche à faire du roman populaire. Mais par ce terme, je fais référence à des gens comme Hugo, Dumas, Balzac ou Dickens. Gabriel Chevallier est lui aussi considéré, avec « Clochemerle », comme un grand écrivain populaire, et on ne peut pas dire que son style soit pauvre et son récit simpliste.

Nul n’est prophète en Framasoft

Je suis toujours attristé de voir que pour beaucoup de promoteurs de la culture, vouloir faire populaire, cela signifie bêtifier (il y a une vision descendante, très hiérarchique de la culture, je renvoie là-dessus aux travaux de Franck Lepage). Pour ma part, je pense que, bien au contraire, cela veut dire faire la passerelle, avec une pratique exigeante qui ne soit pas dédaigneuse dans sa forme, vers des savoirs très pointus auxquels les gens n’ont souvent pas accès physiquement. Ou pour lesquels ils n’ont pas le temps ou la formation nécessaire pour en exprimer la quintessence. On agit là un peu en tiers de confiance.
Je suis un adepte de la reconstitution historique, qui me semble être une excellente illustration de ce que peut être de l’éducation populaire dans sa pratique la plus noble. J’ai vu des gens de milieu très modeste, n’ayant aucune formation universitaire, s’enthousiasmer à la lecture d’ouvrages de métallurgie médiévale plutôt spécialisés et en parler ensuite avec passion, de façon simple, transmettant ce goût pour un sujet qui pourrait paraître rébarbatif à des enfants, des curieux, des badauds, lors d’événements ou de rencontres. D’un savoir froid, ils ont fait un objet culturel vivant, qui a su animer l’intérêt pour l’histoire dans le cœur du public. Du savoir qui s’anime devient lien, symbole.

Neuf questions, c’est peut-être déjà assez pour exploser le maximum de mots possibles dans une interview… Un mot de la fin ?

Edwy Plenel, dans un article récent citait beaucoup Marc Bloch, historien et résistant, à propos de sa critique des élites conçue après la défaite de la seconde guerre mondiale, pendant l’Occupation. Ce remarquable scientifique qui a été à l’origine d’un changement de paradigme dans les pratiques de recherche en histoire, a résumé en une phrase ce qui m’a motivé toutes ces années à continuer à rendre perceptible ce que pouvait être le monde des Croisades, dans le 3e quart du XIIe siècle. Ces quelques mots accueillent les visiteurs sur mon site depuis bien longtemps :

Le passé lointain inspire le sens et le respect des différences entre les hommes, en même temps qu’il affine la sensibilité à la poésie des destinées humaines.

– Marc Bloch, « Sur la réforme de l’enseignement », note rédigée pour les Cahiers Politiques, 1944.

Voir sur Framabook les Qit’a, histoires courtes dans l’univers Hexagora : volume 1, volume 2, volume 3 et volume 4.

Précédemment publié : les enquêtes d’Ernaut de Jérusalem




StopConneries

En ce moment, ça discute beaucoup autour de StopCovid, le projet d’application de traçage pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Notre dessinateur Gee vient donc apporter son pavé dans la trogne mare sous forme d’une BD – un poil – énervée.

 

Accéder aux articles déjà publiés dans notre dossier StopCovid

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Publicité segmentée : la méthode Cacarico

Aujourd’hui, c’est une interview de Franck Riester sur France Inter (et particulièrement ce passage sur la publicité segmentée) qui a fait réagir notre grisebouilleur Gee…

Publicité segmentée : la méthode Cacarico

La semaine dernière, une séquence issue d’une interview de Franck Riester par Sonia Devillers sur France Inter a retenu l’attention de pas mal d’internautes.

Le Geek demande : « C'est qui lui, déjà ? » La Geekette répond : « Notre Ministre de la Culture. » Le Geek : « Ah. » La Geekette : « Et rapporteur de la loi Hadopi, à l'époque. » Le Geek : « Oula. Mais ils le savaient, ça, au moment de le nommer Ministre ?  Parce que moi, t'as ça sur ton CV? tu gicles direct… »

Le sujet était la publicité segmentée, c’est-à-dire ciblée selon le profil du spectateur ou de la spectatrice

(âge, catégorie sociale, habitudes de consommation, etc.),

déjà largement répandue sur Internet et qui devrait être mise en place pour la télé via une prochaine réforme audiovisuelle.

Les citations sont d'origine. À la radio, Riester explique : « Quand vous allez sur Internet, tous les jours, c'est ce qu'il vous arrive. » Devillers : « Ouais. » Riester : « Et c'est quelque chose qui est demandé, d'ailleurs, la plupart du temps, par les internautes. » Devillers : « Ouais. »

« Ouais » ?

« OUAIS » ?

Comment ça, « ouais » ?!

Pardon, mais la seule réaction appropriée, ça aurait dû être celle-là :

Cette fois les citations ne sont plus d'origine. Devillers éclate de rire et dit : « Hahahahahahahahaha ! “Demandé par les internautes” ! La pub ! Demandée ! Hahahahaha ! Et le flicage aussi ! Hahaha, quel déconneur, ce Francky !  Hahahahaha !  La vache, je la ressortirai aux repas de famille, celle-là ! Vas-y, t'en as pas une autre ? “Demandé !” Hahaha !  Oh le con ! J'ai mal aux côtes, LE CON ! » Elle tape sur la table de rire. Le smiley, souriant : « Ah bah le mec d'Hadopi, il a forcément de l'humour. »

Je m’en veux de péter tes rêves, Francky, mais :

Le Geek lit un journal : « Selon un sondage IFOP de 2013, 47 % des Français pensent que la publicité sur Internet est une assez mauvaise chose, et 17 % que c'est une TRÈS mauvaise chose.  Ça fait quand même quasiment 2 tiers d'opinions défavorables, hein… » La Geekette lit également et poursuit : « J'ai aussi un sondage OpinionWay de 2017 qui dit que 89 % des Français se rendent dans une autre pièce pendant les coupures pub à la télé.  Un amour aussi fou pour la pub, vraiment, c'est émouvant. »

Bref, ce qui est « demandé par les internautes », mon petit lapin de 6 semaines, c’est surtout des bloqueurs de pubs.

Et des chiottes pas trop loin du salon, mais c’est un autre sujet.

Le Geek est allongé par terre, tremblant et transpirant, l'air terrifié. Le Nerd : « Qu'est-ce qu'il lui arrive ? » La Geekette : « Sans faire gaffe, il a navigué sur Internet sans bloqueur de pub… » Le Geek s'exclame : « MAIS Y'A DES GENS QUI SUPPORTENT CETTE HORREUR ?! TOUS LES JOURS ?! »

Passée la tranche de rigolade, le contexte est posé : les géants du web (les GAFAM par chez nous) se torchent tranquillement avec nos vies privées pour nous gaver de publicités ciblées.

Imaginons 5 minutes qu’on soit dans une démocratie saine, avec des ministres qui agiraient dans l’intérêt du peuple. Une réaction raisonnable serait celle-ci :

Un faux ministre à la radio dit : « Par conséquent, on va renforcer la législation sur la protection de la vie privée sur Internet pour contrer le capitalisme de surveillance et empêcher les GAFAM de vendre la vie privée de nos concitoyens et concitoyennes sur l'autel de la sauvagerie publicitaire. » La présentatrice est en larmes : « La vache, c'est beau, c'que vous dites, monsieur l'Ministre. »

Bien sûr, en réalité, voilà ce que notre champion national a déclaré :

Citation originale à nouveau. Riester au micro de la radio : « Il y avait une inéquité de traitement entre les chaînes de télévision et les acteurs de l'Internet, au détriment du financement des chaînes de télévision qui ont un rôle majeur à jouer dans le paysage audiovisuel de nos compatriotes… et notamment qui permet de financer la création française en matière de cinéma et d'audiovisuel. Et donc là on donne simplement la possibilité à la télévision d'avoir les mêmes outils modernes de publicité pour augmenter leur volume de publicité, pour pérenniser leur modèle économique. » La présentatrice, blasée : « Nia vache, chéboskevou dit essie ulmi ns trr rr… »

Comme ça n’est pas la première fois qu’on voit ce genre d’argument, je propose qu’on nomme cette méthode de résolution des problèmes : la méthode Cacarico.

La télévision française est représentée par un panneau « Temps de cerveau disponible pas cher » (bof bof). Les GAFAM sont représentés par un caca. Riester regarde et dit : « Mince, il y a un gros problème ! »

La télévision française est remplacée par un caca avec un drapeau français. Riester, pouce en l'air : « Et voilà, c'est réparé !  La Méthode Cacarico : c'est caca, oui, mais c'est français, monsieur ! »

Quant à « pérenniser leur modèle économique », le problème est le même qu’il s’agisse de la télé, de la presse écrite ou de la presse en ligne : est-ce qu’un modèle économique basé sur l’assujettissement aux intérêts privés des multinationales est un modèle souhaitable et donc un modèle que l’on peut souhaiter pérenniser ?

Question pas du tout orientée, je sais.

Riester s'exclame : « Maaiheuuu, la pub, c'est bien ! Ça permet d'avoir des services gratuits ! » Gee réplique : « C'est pas gratuit : les coûts de la pub sont répercutés sur les prix des produits, c'est pas de l'altruisme de la part des entreprises… En fait c'est comme une grosse TVA mais privatisée et sans décision démocratique sur la façon dont elle est redistribuée.  Le rêve, quoi. »

Pour finir, Franck Riester s’est bien sûr voulu rassurant sur les éventuelles atteintes à la vie privée :

Nouvelle citation originale à la radio de Riester : « C'est tout le travail qui va être conduit avec le CSA, avec les opérateurs de télécommunication… pour arriver à avoir un dispositif qui est protecteur de la vie privée de nos compatriotes. » Devillers : « Dispositif que vous n'avez pas encore. » Riester : « Euuuh, pas en détail. »

Je suis hyper rassuré.

La vie privée est bien sûr au centre des préoccupations des entités qui veulent étendre le domaine d’application de la publicité segmentée.

Un mec en costard avec un médaillon dollar autour du cou et un cigare aux lèvres : « Voilà, donc on va vendre de la cocaïne dans les écoles primaires.  Mais c'est tout le travail qui va être conduit avec l'OMS, avec les parrains de la mafia… pour arriver à avoir un dispositif qui est protecteur de la santé de nos enfants.  Au pire, en cas d'addiction, on leur fera un numéro d'appel, c'est la réponse universelle, en ce moment. »

Quant au fameux « dispositif protecteur de la vie privée », si c’est comme le logiciel de sécurisation qui devait être fourni avec la Hadopi…

Un squelette derrière son ordinateur, avec des toiles d'araignées. Une flèche indique : « Internaute attendant patiemment de pouvoir sécuriser son accès Internet avec le pare-feu OpenOffice » Le smiley ricane : « Aaaah, les blagues de 2009… increvables ! » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 19 février 2020 par Gee.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Reconnaissance faciale

Aujourd’hui, Gee et ses grises bouilles nous causent de reconnaissance faciale, un sujet évoqué par le gouvernement entre le foie gras et la dinde de Noël comme si de rien n’était…

Reconnaissance faciale

Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, a annoncé le 24 décembre qu’il souhaitait « ouvrir une phase d’expérimentation » de la « reconnaissance faciale en temps réel sur les images de vidéosurveillance ».

Cédric O dit : « Joyeux Noël chers cons d'citoyens ! Je vous offre un beau cadeau : un costume de rat de laboratoire pour société de surveillance dystopique ! » Gee se dirige vers sa fourche en disant d'un air blasé : « Bon bah pupuce, on est repartis. Les vacances auront été courtes. »

De nombreuses associations dont la Ligue des Droits de l’Homme et la Quadrature du Net se sont élevées contre ce projet.

La reconnaissance faciale est déjà utilisée par les forces de l’ordre pour l’authentification de suspects via le fichier TAJ (Traitement des Antécédents Judiciaires), mais l’automatisation du processus et sa généralisation à l’ensemble de la population seraient des violations flagrantes de la RGPD…

Une caméra dans la rue regarde passer les gens en s'écriant : « Hé toi j't'ai reconnue ! Tu peux signer le formulaire de consentement ? Hé, toi aussi ! Héééé, vous allez trop vite ! Faut cocher la caaaase ! » Le smiley, pas content, remarque : « Bizarrement, je doute que ça se passe comme ça… »

La CNIL s’est déjà opposée à une expérimentation de ce type au lycée des Eucalyptus à Nice, considérant que la technologie était légèrement disproportionnée par rapport au but recherché – sécuriser l’accès à l’établissement.

Ce qu’on pourrait faire plus simplement et sans déféquer sur la vie privée de mineurs.

Genre avec des badges.

Gee fait d'un air atterré : « Après, je vous rappelle qu'on parle de la ville dont le maire avait dit “je suis à peu près convaincu que si Paris avait été équipée du même réseau que le nôtre, les frères Kouachi n'auraient pas passé 3 carrefours sans être neutralisés et interpellés”. C'est vous dire s'il est clairvoyant en termes de surveillance. » Estrosi sur une moto réplique : « Bah quoi ? Le nôtre de terroriste, techniquement il n'est passé que par une unique rue. »

Justement : quel est le pire dans tout cela ?

C’est que ça ne marche pas.

L’Université d’Essex a publié une étude montrant que le système de reconnaissance faciale londonien utilisé pour repérer les personnes suspectées de crime dans la foule présentait un taux d’erreur de…

81 %.

La Geekette commente : « C'est-à-dire que si le système a le même taux d'erreur que Gee bourré à la Chartreuse à 3 heures du mat' à 500 mètres dans le noir, je trouve discutable de lui confier la répression du crime. » Gee, bourré à la Chartreuse, s'adresse à un lampadaire : « Mais j'te reconnais, toi ! Je t'ai déjà vu quelque part ! J'suis sûr que j'te reconnais ! » Le smiley : « Il est pas juste super fort, il est mieux que ça même, il est surpuissant. »

Notez par ailleurs que si la reconnaissance faciale marchait à 100 %, ce serait tout aussi flippant mais pour d’autres raisons.

Ajoutons à cela que ce sont des systèmes basés sur de l’apprentissage automatique qui utilise des bases de données reproduisant les biais présents dans ces bases… comme le fait de n’entraîner quasiment que sur des personnes blanches, au hasard.

Les personnes asiatiques ou noires sont ainsi identifiées par erreur 100 fois plus souvent que les personnes blanches d’après une étude du NIST (National Institute of Standards and Technology).

Un flic coffre un mec : « On t'a eu, sale meurtrier ! » Le mec répond : « Mais c'est pas moi ! Le mec que vous recherchez, il a un œil de verre, une moustache et une cicatrice sur la joue ! » Un autre policier le tient en joue en rigolant : « De toute façon, vous les noirs, vous vous ressemblez tous, niark niark niark. » Le smiley : « C'est vrai qu'automatiser le racisme systémique, ça manquait, ça. Yoopy. Bien joué, les gars. »

Il y a urgence à empêcher nos gouvernants-savants-fous d’ouvrir la boîte de Pandore, car une fois un tel système mis en place, la question ne sera plus de savoir s’il sera utilisé à mauvais escient, mais QUAND il le sera, et dans quelles proportions.

Gee commente : « En 2018, l'Inde prétendait que son système de reconnaissance était destiné à retrouver des enfants perdus. En 2O19, elle l'a utilisé pour identifier et surveiller des opposants politiques en manifestation. » Un politicien indien répond : « Bah quoi, les opposants politiques sont de grands enfants ! Et ils sont perdus, égarés, sortis du droit chemin, vu qu'ils sont opposants. Donc voilà, on les retrouve. » Le smiley hausse un sourcil : « C'est sûr, tout est question d'interprétation… »

Et s’il ne fait aucun doute que des techniques pour y échapper se mettront vite en place, ne sous-estimons pas le danger sous prétexte que nous vivrions dans de soi-disant États de droit.

En 2019, un Londonien s’est pris 90 livres d’amende pour avoir délibérément couvert son visage pour échapper à cette reconnaissance.

La Geekette, stupéfaite demande au Geek : « Mais qu'est-ce que tu fous ?! » Le Geek a une tronche pas possible et répond : « Une grimace pour pas être reconnu. Ça, c'est encore légal, non ? Ça va pas être facile de tenir jusqu'à la supérette du coin, mais le jeu en vaut la chandelle. »

Alors pourquoi ce genre de technologie devient soudaine-ment un sujet en France ? Obsession sécuritaire ? Volonté d’instaurer pas à pas d’une société de surveillance généralisée ?

Eh bien pas seulement.

Ce sont comme souvent des intérêts industriels qui sont en jeu.

Face aux géants américains du capitalisme de surveillance que sont Google, Amazon et cie, les industries européennes espèrent tirer leur épingle du jeu en développant des technologies de pointe de surveillance pour les revendre au plus offrant, c’est-à-dire à des gouvernements peu scrupuleux (comme le nôtre).

Gee dit, en pointant le doigt vers l'écran : « “Soyez patriotes, faites-vous espionner français !” Chez nous, les champions, c'est Thales ou Idemia. » Le Nerd regarde un triangle dessiné au tableau : « J'ignorais que le théorème de Thales, c'était “un marché public de technologies liberticides vaut mieux que des principes éthiques surannés”. »

Idemia, par exemple, vend MorphoFACE, une « solution de reconnaissance faciale et de vérification d’identité » développée à la base par Safran.

Safran, entreprise où Cédric O, le fameux secrétaire d’État en charge du Numérique à l’origine de ce soudain intérêt pour la reconnaissance faciale, a travaillé jusqu’en mai 2017.

Un chœur chante très fort : « OH BAH ÇA ALORS. » Le smiley, énervé : « Ah bout d'un moment, filez-nous directement la liste des ministres qui n'ont PAS de conflit d'intérêt, on gagnera du temps. »

Bref, on avait compris depuis longtemps que la Main Invisible et l’autorégulation du Saint Marché Ouvert aboutissait en général à des niveaux d’éthique autorisant à vendre du beurre aux nazis si ça permettait de gagner 0,1 point de croissance.

Si les guignolos trempés jusqu’au cou dans les intérêts de grandes entreprises d’intérêt pas-du-tout-public qui nous servent de dirigeants pouvaient au moins faire semblant de nous en protéger, ce serait bien aimable.

La Geekette rigole : « Nan mais le mec, il voudrait que les principes éthiques et la décence élémentaire passent avant la croissance. Encore un dangereux gauchiste utopiste. » Gee répond en souriant : « Ah nan mais moi j'veux bien qu'on oublie les principes éthiques et la décence élémentaire, hein. Mais dans ce cas, j'espère pour ces dirigeants en question qu'ils courent vite… »

Pour finir, pour faire passer la pilule, on nous annonce qu’un débat sera organisé à l’issue de l’expérimentation, sur le modèle du Grand Débat lancé pour désamorcer le mouvement des gilets jaunes (Grand Débat dont on a pu constater l’IMMENSE utilité et l’IMMENSE capacité à influer sur le cap politique de nos aristocrates).

Sans vouloir avoir l’air pessimiste, si les conclusions de ce débat sont du même tonneau que les avertissements de la CNIL, j’ai une petite idée de l’usage que leur réservera le pouvoir :

Macron est représenté en train de se torcher le cul sur ses toilettes. Il dit : « “Grand Débat”, “CNIL”… Ce sont bien des marques de PQ, non ? » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 18 janvier 2020 par Gee.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Humains après tout

S’il y a une expression dont le marketing nous rebat les oreilles, depuis pas mal de temps, c’est bien « intelligence artificielle ». S’il est important de rappeler avant tout qu’un ordinateur de 2019 ou de 1970 reste invariablement aussi con, il est aussi intéressant de suivre ce qui se passe en coulisses, quand on gratte le vernis marketing.

Humains après tout

S’il y a une expression dont le marketing nous rebat les oreilles, depuis pas mal de temps, c’est bien « intelligence artificielle ». S’il est important de rappeler avant tout qu’un ordinateur de 2019 ou de 1970 reste invariablement aussi con, il est aussi intéressant de suivre ce qui se passe en coulisse, quand on gratte le vernis marketing.

Humains après tout

Nous sommes à l’ère de l’intelligence artificielle ! Hourra ! Alléluia !

Deux anges volent dans le ciel. Le premier dit : « Atchik atchik atchik ?! » Le deuxième répond : « A.I. ! A.I. !  A.I. ! » Le smiley commente : « La vache, je sais pas ce qu'ils fument au service marketing, mais j'en veux. »

Bon, dans les faits, c’est moins glamour.

Déjà, « intelligence artificielle » est un terme marketing qui a tendance à vouloir dire tout et n’importe quoi. C’est ce qui fait que les spécialistes l’évitent, en général, préférant des termes plus précis comme apprentissage automatique.

Une scientifique montre des graphes au tableau en commentant : « Et donc, en injectant une dose d'aléatoire dans la génération des arbres de décision, on peut créer une forêt aléatoire – random forest, en anglais – moins sujette à la surinterprétation – ou overfitting – qui peut être entraînée avec une base d'apprentissage suffisamment représentative pour… » Gee dit : « Ouais, c'est vachement moins vendeur, dit comme ça… »

Mais surtout, on se rend compte que, au-delà des théories scientifiques – assez balaises et fort intéressantes au demeurant – et derrière le vernis de ce qui est effectivement vendu comme « intelligence artificielle », on aura souvent du mal à trouver toute trace d’intelligence ou d’artificialité.

Le petit robot de l'informatique demande : « Tu vas encore me traiter de con ? » Gee répond : « Pire : d'humain ! »

Parlons par exemple des Kiwibots, de petits robots-livreurs autonomes lancés sur le campus de Berkeley, en Californie, et qui apportent directement la (mal)bouffe aux étudiants et étudiantes.

Un petit robot-livreur arrive à côté d'un étudiant derrière son ordinateur, et demande : « Voulez-vous un peu de sauce cholestérol sur votre McDiabète ? » Le smiley commente : « Ils l'ont appelé “kiwi” pour que ce soit considéré comme un des 5 fruits et légumes par jour pour les étatsuniens… »

Autonome ?

Pas vraiment…

En réalité, ces robots sont tout simplement pilotés par des humains à distance, comme des drones.

Deux conducteurs de drône derrière leurs bureaux discutent. Le premier : « Tu fais quoi, John ? » L'autre : « Je livre du sucre trempé dans du gras à une concitoyenne.  Et toi, Jack ? » Le premier : « J'assassine une famille de Syriens.  On va prendre un café après ? » Le smiley commente, blasé : « Quel beau pays. »

Vous allez me dire : mais Gee, du coup, s’il faut un être humain derrière chaque robot, quel intérêt par rapport à un livreur en chair et en os ?

Gee répond, pas content : « L'intérêt ? Le livreur n'a pas besoin d'être dans le pays et peut donc être payé des clopinettes selon le code du travail de son pays.  Dans le cas de Kiwibot, les conducteurs sont colombiens, payés 2 dollars de l'heure.  Elle est pas belle, la vie ? » Deux américains dansent en buvant du champagne, entourés de billets qui tombent du ciel : « WE FUCK THE WOOORLD !  WE FUUCK THE CHIIILDREEEN !  WE FUCK THE WORLD, THE FOREST AND THE SEA, SO LET US DOIIINNG… »

Quand la soi-disant intelligence artificielle permet de consolider la bonne vieille saloperie capitaliste bien humaine…

Côté GAFAM, on n’est pas en reste, puisque par exemple, l’assistant connecté de Microsoft, Cortana, envoie certains enregistrements… à des équipes de prestataires chargés de les transcrire à la main et de les classifier pour améliorer le traitement automatique qui est fait par le logiciel.

Gee, faussement surpris : « Vous voulez dire que le micro que vous avez implanté chez vous volontairement est utilisé POUR VOUS ÉCOUTER ?!  Mon Dieu, mais qui aurait pu le voir venir ? » La Geekette, blasé : « Ça va, ça fait 3 BD que tu nous le fais, ton couplet sur les enceintes connectées qui espionnent les gens par design… » Gee : « Ouais bah tant qu'il y aura des gogos pour acheter ces daubes, je continuerai. »

Bien sûr, les prestataires en question sont aussi sous-payés, car la promesse de l’intelligence artificielle étant de faire des économies, il faut bien rentabiliser les coûts de R&D et de production quelque part…

Deux personnages dans un centre de contrôle discutent. Le premier, un homme : « Roh non, la meuf que j'écoute est encore en train de chialer chez son psy, elle me gonfle avec ses problèmes familiaux ! J'aurais mieux fait d'aller me faire exploiter chez McDo… » La seconde, une femme : « Moi, le mien, il a encore cherché un mot-clef porno que je connaissais pas…  et que je voulais pas connaître, pour être honnête.  Je suis morte à l'intérieur. »

Ce n’est pas beaucoup plus brillant du côté des autres GAFAM : l’intégralité des enceintes connectées sur le marché ont été épinglées pour avoir été utilisées afin d’écouter les utilisateurs à leur insu.

Oui oui, même Apple, qui se targue pourtant de respecter la vie privée de ses clients, a fait écouter jusqu’à 1000 enregistrements Siri par jour par des prestataires externes.

Une affiche « Apple, Spy Different™ » avec un cadre d'Apple qui commente : « Rooh, mais voyons, c'est pas de l'espionnage, c'est de l'iListening™ ! » La Geekette : « C'est quoi, la différence ? » Le cadre : « C'est plus cher. »

Face au scandale, chacun des GAFAM a déclaré arrêter « temporairement » les écoutes, grands princes…

Notez pourtant que des solutions existent pour arrêter « définitivement » les écoutes.

Un mec lambda s'exclame, tout content : « J'ai un brouilleur qui empêche mon assistant vocal de reconnaître ma voix quand je ne m'en sers pas. Seulement 99 euros sur Amazon ! » Gee, qui vient de défoncer une enceinte, répond en rigolant : « J'ai une hache. 19,90 euros chez Leroy Merlin.  Ça marche mieux. » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 1er septembre 2019 par Gee.

Sources :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Grise Bouille tome 3 : les saillies antibaises de Simon

La collection Framabook publie la troisième compilation des articles du blog de Gee, Grise Bouille.

Un Simon toujours très en forme, mais cette fois-ci encore un poil (un crin…) plus énervé que d’habitude.

Salut Gee.
Ce troisième tome reprend des articles de ton blog Grise Bouille parus en 2017 et début 2018.
Bon, je suppose que le délai de parution est en grande partie dû à tes feignasses d’éditeurs ?

Les torts sont partagés ! J’ai beaucoup pris de retard, notamment à cause du boulot autour de Working Class Heroic Fantasy, du coup ce tome n’a été achevé qu’à la fin de l’été 2018. Ensuite par contre, ça a un peu chiotté côté Framabook, pour une raison toute simple : on manque de relecteurs et relectrices. Alors je remercie de tout cœur Fred Urbain et Mireille qui s’y sont collé une fois de plus ! C’est une maison d’édition associative, ça veut aussi dire qu’on va à notre rythme, et même si c’est parfois frustrant, c’est aussi grâce à ça qu’on fait de la qualité, mine de rien.

Et puis peut-être que cette année 2017 te laissait un sale goût ?

 

Rions un peu en attendant l »inévitable…

 

Sans aucun doute. J’en parle un peu dans l’intro du livre, mais l’année 2017 a été, en ce qui me concerne, coupée en deux : avant et après l’élection présidentielle. C’était un peu comme voir une catastrophe arriver, lutter de toutes ses forces pour que ça n’arrive pas… et constater son impuissance ensuite (même si j’avais peu de doute à ce sujet). Voilà, on aura eu beau gueuler sur tous les tons que Macron, c’était Hollande en pire, ça n’était pas un rempart à Le Pen mais une rampe de lancement à son avènement… il s’est passé ce qui était annoncé depuis des mois, et c’est incroyablement déprimant. Surtout quand, 6 mois plus tard, la popularité du bonhomme s’écroule et on te fait des articles sur « les déçus de Macron », mais bon sang : À QUOI VOUS VOUS ATTENDIEZ ?!

Tu ajoutes à ça l’apathie totale dans lequel ça a plongé le pays juste après… il a pu faire passer ses réformes tranquille, les gens étaient trop hagards pour résister. Que ça pète en novembre avec les gilets jaunes, c’était quelque part inattendu (c’est parti d’un coup et d’un truc annexe, le prix des carburants), mais la vache, c’était salutaire. Je sais pas où ça mènera, mais personnellement, ça m’a remis la patate, c’est déjà ça 🙂

Il y a une grosse partie sur tes agacements politiques, on sent bien qu’ils t’ont énervé, hein ?

Oui… pour tout dire, je crois qu’il y a deux mouvements antagonistes qui jouent : il y a d’un côté l’hégémonie capitaliste/TINA qui s’assume de façon de plus en plus décomplexée, d’un autre côté il y a ma propre sensibilité politique qui, je le dis franchement, se radicalise de plus en plus dans l’autre sens (un truc où se mêlent joyeusement anarchisme, socialisme – au sens propre, hein, je parle pas du PS –, altermondialisme, décroissance, etc.). Il y a aussi, je pense, une prise de conscience qu’on ne parle pas juste de petites préférences comme ça, à la marge, « oh tiens moi j’préfère ce parti » « ah moi j’aime bien celui-là », et que ce n’est pas juste un petit jeu politicard sans importance auquel on est gentiment priés de jouer une fois tous les cinq ans : il y a l’idée qu’être anti-capitaliste, aujourd’hui, c’est quasiment une question de survie pour l’humanité (réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, effondrement économique – voire effondrement de la civilisation industrielle dans son ensemble). Du coup, ouais, vu sous cet angle, ça provoque un peu des vapeurs quand on t’explique qu’il faut bosser plus pour produire plus, quand on essaie de t’enfumer avec de la croissance verte (l’oxymore du siècle) ou quand on te clame « MAKE THE PLANET GREAT AGAIN » tout en remplaçant des chemins de fer par des camions et en léchant les fesses de la Chine pour qu’elle nous commande 280 Airbus.

 

Le désopilant détournement de Nounours par Gee

 

Pourtant tu réussis encore à nous faire rigoler avec tes BD absurdes. La tartine du chat de Murphy, ça vient tout droit de Gotlib, ton héros, non ?

Ah tu trouves ? C’est vrai que j’aime beaucoup utiliser une sorte de fausse rigueur scientifique pour traiter des sujets complètement absurdes, ce qui est sans doute très inspiré par Gotlib et son professeur Burp. Souvent, ce sont des BD qui « viennent toutes seules » : ça commence en général par une blague, une idée de jeu de mots ou quelque chose d’idiot. Ensuite, il suffit que j’en trouve une seconde sur le même thème, et je sais que j’ai un sujet. La plupart du temps, quand je commence à poser ça sur un texte, le reste vient tout seul, il suffit de retourner le sujet dans tous les sens (au sens propre dans le cas du chat avec la tartine) pour trouver des choses joyeusement idiotes à dire.

 

J’aime bien ce genre d’humour qui « accumule » les blagues et empile les bêtises. C’est un peu le principe de films comme La Cité de la peur qui enchaînent une blague toutes les 5 secondes : finalement, même si elles ne sont pas toutes désopilantes individuellement, il y a en a tellement que ça crée un effet comique global très fort. C’est un peu ce que je recherche dans ce genre d’article, que chaque dessin soit une couche supplémentaire dans un délire contrôlé.

Parle-nous de ton hommage à Boby Lapointe. Lui aussi, on sent que tu le respectes. Un humoriste matheux, forcément…

J’ai découvert son aspect matheux seulement très récemment. Quand j’étais ado, on avait un double CD de l’intégrale de ses chansons qui tournait souvent dans la voiture de mes parents, forcément ça laisse un certain goût pour le jeu de mots (voir la torture de mots, dans certains cas). Il y a une sorte de modestie dans l’humour des chansons de Lapointe, enrobée dans une musique légère, comme si de rien n’était… alors que si tu étudies deux secondes ses textes, c’est d’une richesse incroyable. Il y a des chansons, même en les ayant entendu 10 fois, tu continues à comprendre de nouveaux jeux de mots, de nouvelles allusions à chaque écoute (surtout quand ça fuse, comme pour les deux Saucissons de cheval).

Boby Lapointe, c’est aussi le mec qui t’apprend à savoir prendre des libertés avec la réalité quand elle ne colle pas avec les bêtises que tu veux raconter : j’étais d’ailleurs assez surpris, lorsque j’ai emménagé sur la Côte d’Azur, de découvrir que les habitantes d’Antibes étaient des antiboises et non des antibaises (moi qui serais plutôt pour).

Quand est-ce que tu prends une chronique dans Fakir, on t’a pas encore appelé ?

Tu sais, y’a un proverbe qui dit qu’il faut pas péter plus haut que son cul pour éviter d’avoir du caca derrière les oreilles (enfin j’crois, un truc du genre) : avec mes quelques centaines de visiteurs par mois et mes quelques dizaines de bouquins vendus, j’suis un rigolo. Les types, ils ont leur rédac’ chef à l’Assemblée, tu peux pas lutter 😉

Bon, je sais que voter n’apporte pas de grands changements, mais tu crois vraiment que ne pas voter va faire changer les choses ?

Ben… non. Si un esclave à le choix dans la couleur de ses chaînes, il peut toujours choisir rouge ou bleu (voter). Est-ce que ça va changer quelque chose à sa situation ? Non. Est-ce que s’il ne choisit pas au contraire (abstention), ça va changer quelque chose ? Non plus. Mais il n’aura pas perdu de temps et d’énergie à participer à une farce dont le principal objet est de lui faire conserver ses chaînes coûte que coûte.

L’esclavage est officiellement aboli chez nous, pourtant d’une certaine manière on continue à nous faire choisir la couleur des chaînes. L’abstention est une forme de résistance passive (complètement passive même), mais évidemment qu’elle ne suffit pas. Toute la question est de savoir comment on les brise une fois pour toutes, les chaînes : les mouvements sociaux de masse (comme, d’une certaine manière, les gilets jaunes aujourd’hui) peuvent être en partie moteur d’une vraie transformation sociale. Je ne suis pas devin, mais si je devais parier, je dirais que la prochaine brèche dans l’histoire sera l’effondrement de la civilisation industrielle (qui, d’une certaine manière, a déjà commencé). De la même manière que ma sécurité sociale et tout le modèle de protection sociale français sont nés de la Résistance et des mouvements sociaux au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. On a mis en place un mécanisme de protection social que les libéraux fustigent comme trop coûteux au moment même où le pays était ruiné. Et ça a très bien tourné, preuve que ce n’est pas une question uniquement économique mais bien le résultat d’un rapport de force alors largement favorable aux travailleurs.

Si demain, la société industrielle entière vacille, il faudra être en mesure de proposer une alternative au chaos d’une part et au fascisme (= tout s’écroule, donc prenons un chef tout puissant et autoritaire pour régler ça) d’autre part. C’est ça qu’il faut préparer aujourd’hui et, franchement, y’a urgence.

 

 

Les dessins illustrant l’interview sont tous tirés du livre.

 

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