Julie Guillot est une artiste graphique (son book en ligne) qui vient d’entamer le récit de son cheminement vers le partage libre de ses œuvres. Elle y témoigne de façon amusante et réfléchie de ses doutes et ignorances, puis de sa découverte progressive des libertés de création et de copie…
C’est avec plaisir que nous republions ici cette trajectoire magnifiquement illustrée.
Quand j’ai créé ce blog il y a 2 ans, puis le second sur les violences scolaires, mes proches m’ont encouragée et soutenue. Mais beaucoup (parfois les mêmes) m’ont aussi mise en garde, voire se sont sérieusement inquiétés.
Ces peurs étaient très liées à Internet, à l’idée d’un espace immense, obscur, peu ou pas réglementé, ainsi qu’à la notion de gratuité qui en fait partie. Y publier ses images et ses productions reviendrait à les jeter par la fenêtre.
Mais la crainte était, au-delà d’Internet et du support blog, une crainte (vraiment forte) du pillage, de l’expropriation et de la copie.
Personnellement, je ne pensais pas d’emblée à ces « risques ». J’avais envie et besoin de montrer mon travail, donc de le partager. Mais devant ces alertes, et voyant que tout le monde semblait partager le sentiment du danger et le besoin de s’en protéger, j’ai apposé un copyright en bas de mon blog, avec la mention « tous droits réservés », et j’ai supprimé le clic droit.
En fait je n’avais pas du tout réfléchi à cette question. Je ne savais pas grand chose du droit d’auteur et du copyright.
Mais dès le début je ressentais une forme de malaise. Je savais que supprimer le clic droit n’empêcherait personne de récupérer une image. Et j’avais vaguement entendu que cette mention de copyright ne servait pas à grand-chose non plus.
Était-ce une saine prudence… ou une forme de paranoïa ?
Et puis, j’ai commencé à recevoir des demandes de personnes qui souhaitaient utiliser mes images. Pour une expo, un travail de recherche, une conférence, un cours…. Spontanément, je disais toujours oui. Parce que je ne voyais aucune raison de refuser. Non seulement je trouvais cela flatteur, mais en plus cela m’apparaissait comme une évolution logique et saine de mon travail : à quoi sert-il s’il ne peut être diffusé, partagé, utile aux autres ?
Petit à petit cela m’a fait réfléchir. Des gens venaient me demander mon autorisation simplement pour citer mon blog quelque part (ce qui n’est pas interdit par le droit d’auteur… !). Je ne pouvais pas le leur reprocher : après tout, j’avais apposé une mention « touts droits réservés ». Mais l’absurdité de la situation commençait à me parvenir.
Un jour, j’ai reçu une demande d’ordre plus « commercial » : quelqu’un qui souhaitait utiliser mes images pour une campagne de financement d’une épicerie végane.
Spontanément, j’ai hésité. Ne devais-je pas lui demander de l’argent ?
J’ai exprimé des conditions : je voulais être informée des images qu’il utiliserait, à quel endroit, des textes qu’il allait modifier, etc. Ce qu’il a accepté.
Mais très vite je me suis demandé pourquoi j’avais posé de telles conditions. Parce qu’en réalité, ça m’était égal.
Finalement, il n’a pas utilisé mes images. Mais il m’a permis de réaliser que je n’avais pas de position claire sur la manière dont je voulais partager ou non mon travail, que je ne connaissais rien à la législation, aux licences d’utilisation et à de possibles alternatives.
J’ai donc commencé à m’intéresser de plus près à ces questions de copyright, de droit d’auteur, de culture libre et de licences.
Ce qui m’a amenée à réfléchir à me conception de l’art, de la créativité, et même, plus largement, du travail.
Gwenn Seemel explique très bien que le droit d’auteur n’est pas uniquement un système juridique, mais un paradigme :
Nous envisageons l’art, la production de la pensée, comme des productions inaliénables ; nous assimilons la copie à du vol ; nous considérons l’imitation comme un acte malhonnête, une paresse, quelque chose de forcément blâmable. Il va de soi que nous devons demander l’utilisation à quelqu’unE pour utiliser ses écrits, ses images, sa musique, afin de créer quelque chose avec. Et nous ne remettons quasiment jamais ce paradigme en question.
Nous avons tous grandi avec l’idée que copier était (très) (très) mal. Et punissable.
Quand j’étais à la fac, certainEs étudiantEs refusaient de dire quel était leur sujet de mémoire ou de thèse…de peur qu’on leur « pique » leur(s) idée(s). J’étais naïve…et consternée.
C’était pour moi incompatible avec la conception que j’avais de la recherche et du travail intellectuel.
Bien sûr, ces comportements sont le résultat de la compétition qui structure notre société et une grande partie de nos relations. Toute production est considérée comme strictement individuelle, personnelle, comme si nous étions capables de créer à partir de rien.
Je me suis sentie profondément enthousiaste de découvrir des artistes qui rendent leurs oeuvres publiques, c’est à dire qui en permettent la libre diffusion, la copie, l’utilisation, la modification, des gens qui réfléchissent à ces questions et militent pour une culture différente.
J’étais convaincue, au fond, par la pertinence d’une culture sans copyright et je me sentais soulagée à l’idée de franchir le pas, moi aussi.
Je n’ai jamais ressenti un sentiment fort de propriété vis-à-vis de mes dessins.
J’ai toujours aimé copier, je m’inspire du travail des autres (comme tout le monde), et je trouve a priori naturel que mes productions puissent circuler, servir à d’autres, être utilisées et même transformées.
L’idée de pouvoir utiliser les œuvres des autres, comme me dessiner habillée en Gwenn Seemel, est tout aussi enthousiasmante.
Cet élan spontané cohabitait en moi avec la persistance de craintes et de méfiances :
et si on se faisait de l’argent « sur mon dos » ? Et si je le regrettais ? Ne suis-je pas responsable de tout ce que je produis, et donc de tout ce que deviennent mes productions ? Ne devrais-je pas demander de l’argent pour toute utilisation de ce que j’ai fait ? Est-ce que je ne fais donc rien d’original et de personnel ? Et si cela m’empêchait de gagner de l’argent avec mon travail artistique ? Et comment faire dans une société où le principe du droit d’auteur est la règle ?
J’avais besoin d’en savoir plus sur les aspects juridiques de la question, même si ça me semblait au départ rébarbatif.
Alors je me suis penchée sur le sujet. Comme dit Gwenn Seemel, personne ne va se brosser les dents à votre place.
(mais il y a des gens qui fournissent le dentifrice, et ça c’est sympa).
[À suivre…]
Gwenn Seemel m’a beaucoup aidée à avancer dans ma réflexion sur le droit d’auteur, la culture libre, la pratique de l’art en général. Ses vidéos et ses articles ont répondu à beaucoup de mes questions (puisqu’elle s’était posé les mêmes que moi, logiquement). Je vous conseille la lecture de son blog, et de son livre sur le copyright.
Le blog de S.I.lex est aussi une mine d’informations sur le sujet.
Chouchoutez vos contributeurs et contributrices !
Le groupe Framalang a traduit l’article de Julien, qui a listé tous les moyens de se tirer une balle dans le pied quand on coordonne un projet libre.
Apprenez à les éviter !
Conduite de projets Open Source : 10 erreurs à éviter
Il y a quelques semaines, lors de l’OpenStack Summit (réunion annuelle des contributeurs à OpenStack, NDT), j’ai eu l’occasion de discuter de mon expérience de la conduite de projets Open Source. Je me suis rendu compte qu’après avoir fait partie de plusieurs communautés et beaucoup contribué pendant des années, je pourrais faire profiter les nouveaux venus de conseils et d’avis expérimentés.
Il existe une foule de ressources disponibles expliquant comment conduire un projet Open Source. Mais aujourd’hui, je voudrais aborder ce sujet sous un angle différent, en insistant sur ce qu’il convient de ne pas faire avec les personnes qui y participent. Je tire cette expérience des nombreux projets Open Source auxquels j’ai participé ces dernières années. Je vais décrire, sans ordre particulier, quelques mauvaises pratiques que j’ai constatées, en les illustrant par des exemples concrets.
1. Considérer les contributeurs comme une nuisance
Quand les informaticiens sont au travail, qu’ils soient chargés du développement ou de la maintenance d’un logiciel, il est une chose dont ils n’ont pas besoin : du travail supplémentaire. Pour la plupart d’entre eux, la première réaction à toute contribution externe est : « Zut, du travail en plus ». Et c’est effectivement le cas.
Par conséquent, certains développeurs essayent d’éviter ce travail supplémentaire : ils déclarent ne pas vouloir de contributions, ou font en sorte que les contributeurs se sentent indésirables. Cela peut prendre de nombreuses formes, comme les ignorer ou être désagréable avec eux. Ainsi, les développeurs évitent d’avoir à traiter le surplus de travail qu’on leur met sur le dos.
C’est une des plus grandes erreurs que l’on peut commettre, et une vision fausse de l’Open Source. Si des gens vous apportent du travail supplémentaire, faites tout ce que vous pouvez pour bien les accueillir afin qu’ils continuent à travailler avec vous. Il s’agit peut-être de ceux qui prendront votre relève d’ici peu. Préparez votre future retraite.
Prenons le cas de mon ami Gordon, que j’ai vu démarrer en tant que contributeur sur Ceilometer en 2013. Il examinait très bien le code, si bien qu’il me donnait en fait davantage de travail : non seulement en détectant les anomalies dans mes contributions, mais aussi en me faisant vérifier les siennes. Au lieu de m’en prendre à lui pour qu’il arrête de me faire retravailler mon code et vérifier ses correctifs, j’ai proposé qu’on lui fasse davantage confiance en l’ajoutant officiellement à l’équipe des correcteurs sur un des projets.
Et s’ils ne font pas cette première contribution, ils ne feront pas non plus la seconde. En fait, ils n’en feront aucune ; et ces projets perdraient alors leurs futurs correcteurs.
2. Ne confier aux autres que le sale boulot
Lorsque de nouveaux contributeurs se présentent pour travailler sur un certain projet, leurs motivations peuvent être très diverses. Certains sont des utilisateurs, d’autres veulent simplement voir ce que c’est de contribuer. Ressentir le frisson de la participation, comme un simple exercice ou avec la volonté d’apprendre afin de contribuer en retour à l’écosystème qu’ils utilisent.
En général, les développeurs confient le sale boulot à ces personnes, c’est à dire des tâches sans intérêt, à faible valeur ajoutée, et qui n’auront sans doute aucun impact direct sur le projet.
Pour certains, ce n’est pas grave, pour d’autres, ça l’est. Certains seront vexés de se voir confier du travail sans grand intérêt, alors que d’autres seront heureux de le faire pourvu qu’on leur témoigne de la reconnaissance. Soyez sensible à cela, et félicitez ces personnes. C’est la seule manière de les garder dans le projet.
3. Mépriser les petites contributions
Quand le premier patch d’un nouveau contributeur est une correction d’orthographe, qu’en pensent les développeurs ? Qu’ils s’en fichent, que vous gâchez de leur temps précieux avec votre petite contribution. Et personne ne s’intéresse à la perfection grammaticale d’une documentation, n’est-ce pas ?
C’est faux. Voyez mes premières contributions à home-assistant et Postmodern : j’ai corrigé des fautes d’orthographe dans la documentation.
J’ai contribué au projet Org-mode pendant quelques années. Mon premier patch corrigeait simplement une chaîne de caractères du code. Ensuite, j’ai envoyé 56 patchs, corrigeant des bogues et ajoutant de nouvelles fonctionnalités élégantes, et j’ai aussi codé quelques extensions. À ce jour, je suis toujours seizième dans la liste des plus gros contributeurs d’Org-mode, qui en contient 390. Certainement pas ce qu’on appellerait un petit contributeur, donc. Je suis sûr que la communauté est bien contente de n’avoir pas méprisé ma première correction dans la documentation.
4. Mettre la barre trop haut pour les nouveaux arrivants.
Quand de nouveaux contributeurs arrivent, leurs connaissances du projet, de son contexte, et des technologies sont très variables. L’une des erreurs que les gens font le plus souvent consiste à demander aux nouveaux contributeurs des choses trop compliquées, dont ils ne pourront pas venir à bout. Cela leur fait peur (surtout les timides ou les introvertis) et ils risquent de disparaître, se croyant trop stupides pour aider.
Avant de faire le moindre commentaire, vous ne devriez avoir strictement aucun a priori sur leur niveau. Cela permet d’éviter ce genre de situations. Il faut également mettre beaucoup de délicatesse quand vous estimez les compétences des nouveaux, car certains pourraient se vexer si vous les sous-estimez trop.
Quand son niveau est bien estimé (un petit nombre d’échanges devrait suffire), vous devez former votre contributeur en ne le guidant ni trop ni trop peu, afin qu’il puisse s’épanouir. Il faut du temps et de l’expérience pour y parvenir, et vous allez probablement perdre certains contributeurs avant de bien maîtriser ce processus, mais c’est un chemin que tous ceux qui gèrent des projets doivent suivre.
Façonner ainsi les nouveaux arrivants est au cœur de la gestion de vos contributeurs, et ce quel que soit votre projet. Et je suis quasiment sûr que cela s’applique à tout projet, même en dehors du logiciel libre.
5. Exiger des gens qu’ils fassent des sacrifices sur le plan personnel
C’est un point qui dépend beaucoup du projet et du contexte, mais il est très important. Dans le logiciel libre, où la plupart des gens vont contribuer par bonne volonté et parfois sur leur temps libre, vous ne devez surtout pas exiger d’eux qu’ils fassent des sacrifices personnels importants. Ça ne passera pas.
L’une des pires manières de faire cette erreur est de fixer un rendez-vous à l’autre bout du monde pour discuter du projet. Cela place les contributeurs qui vivent loin dans une situation injuste, car ils ne peuvent pas forcément quitter leur famille pour la semaine, prendre l’avion ou un autre moyen de transport, louer une chambre d’hôtel… Ce n’est pas bon : tout devrait être mis en œuvre pour que les contributeurs se sentent partie prenante du projet et intégrés à la communauté, sans que l’on exige cela de leur part. Entendons-nous bien, cela ne veut pas dire qu’il faut s’interdire toute rencontre ou activité sociale, au contraire. Pensez simplement à n’exclure personne lorsque vous discutez d’un projet.
Il en va de même pour les moyens de communication susceptibles de compliquer la vie des participants : se retrouver sur IRC (il est difficile pour certaines personnes de réserver une heure, surtout lorsqu’il faut tenir compte des différents fuseaux horaires), faire une visioconférence (en particulier quand on n’utilise pas de logiciel libre et gratuit), etc.
En gros, tout ce qui impose de se synchroniser en temps réel avec l’avancement du projet est contraignant pour certains contributeurs.
C’est pourquoi le meilleur moyen de communiquer reste le courriel, mais tous les outils de communication asynchrones (pisteurs de bogues, etc.) feront l’affaire dans la mesure où ils permettent à chacun de travailler à son rythme et à l’heure qui lui convient.
6. Ne pas avoir de code de conduite
À une époque où de plus en plus de communautés s’ouvrent à un public plus large que celui auquel elles étaient habituées (ce qui est fantastique), les codes de conduite semblent être un sujet à la mode, mais aussi délicat.
En réalité, toutes les communautés ont un code de conduite, qu’il soit inscrit noir sur blanc ou suivi inconsciemment par chacun. Sa forme dépend de la taille et de la culture de la communauté.
Cependant, en fonction de la taille de votre communauté et de la façon dont ce code s’applique, vous auriez peut-être intérêt à l’écrire dans un document, comme l’a par exemple fait Debian.
Ce n’est pas parce que vous aurez rédigé un code de conduite que tous les membres de votre communauté vont soudain se transformer en adorables Bisounours le suivant à la lettre, mais il fournit des règles que vous pouvez citer en cas de besoin. Il peut être utile de le transmettre à certains pour leur faire comprendre que leur comportement ne convient pas, et cela peut aider si une exclusion devient nécessaire, même s’il ne sert que rarement à cela, puisqu’en général personne ne veut aller aussi loin.
Je pense qu’on peut très bien se passer d’un tel document sur de petits projets. Mais vous devez garder à l’esprit qu’un code de conduite implicite découlera de votre comportement. La manière dont vos membres les plus influents communiqueront avec les autres installera l’ambiance à travers tout le réseau. Ne sous-estimez pas cela.
Quand nous avons commencé le projet Ceilometer, nous avons suivi le code de conduite du projet OpenStack avant même qu’il ait été écrit, et probablement avons-nous même placé la barre un peu plus haut. En étant agréables, accueillants et ouverts d’esprit, nous avons réussi à obtenir une certaine mixité, avec plus de 25% de femmes dans notre équipe permanente — bien au dessus de la moyenne actuelle d’OpenStack et de la plupart des projets de logiciel libre !
7. Mettre les non-anglophones à l’écart
Il est important d’être conscient que la grande majorité des projets de logiciel libre utilisent l’anglais en tant que langue de communication principale. C’est logique. C’est une langue répandue, et qui semble remplir ce rôle correctement.
Mais une grande partie des codeurs n’ont pas l’anglais pour langue maternelle. Beaucoup ne le parlent pas couramment. Cela signifie que le rythme auquel ils peuvent converser peut-être très lent, ce qui peut en frustrer certains, notamment ceux qui sont nés en terre anglophone.
On peut observer ce phénomène dans les rencontres de codeurs, lors de conférences par exemple. Quand les gens débattent, il peut être très difficile pour certains d’expliquer leurs pensées en anglais et de communiquer à un rythme correct, ce qui ralentit la conversation et la transmission des idées. La pire chose qu’un anglophone puisse faire dans ce cas est de leur couper la parole, ou de les ignorer, pour la seule raison qu’ils ne parlent pas assez vite. Je comprends que cela puisse être frustrant, mais le problème n’est pas la façon de parler des non-anglophones mais les outils de communication utilisés qui ne mettent pas tout le monde au même niveau en privilégiant des conversations orales.
La même chose s’applique, à un moindre degré, aux rencontres sur IRC, qui sont relativement synchrones. Les médias complètement asynchrones ne pâtissent pas de ce défaut, et c’est pourquoi ils faudrait, à mon avis, les privilégier.
8. Pas de vision, aucune délégation des tâches
C’est une autre grosse erreur de gestion si le responsable ne parvient pas à gérer la croissance du projet alors que des gens sont disponibles et prêts à aider.
Évidemment, lorsque le flux des contributeurs commence à grossir, ajoutant de nouvelles fonctionnalités, demandant des retours et des instructions à suivre, certains responsables se retrouvent la tête sous l’eau et ne savent pas comment répondre. Ce qui a pour conséquences de frustrer les contributeurs, qui vont simplement partir.
Il est important d’avoir une vision de votre projet et de la communiquer. Dites clairement à vos contributeurs ce que vous voulez, et ne voulez pas, dans votre projet. Exprimer ces informations de manière claire (et non-agressive !) permet de minimiser les frictions entre vos contributeurs. Ils vont vite savoir s’ils veulent rejoindre ou non votre navire et quoi en attendre. Donc, soyez un bon capitaine.
S’ils choisissent de travailler avec vous et de contribuer, vous devez rapidement commencer à croire en eux et à leur déléguer certaines de vos responsabilités. Cela peut être n’importe quelle tâche que vous faites d’habitude vous-même : vérifier les patchs de certains sous-systèmes, traquer les bogues, écrire la documentation… Laissez les gens s’approprier entièrement une partie du projet car ils se sentiront responsables et ils y mettront autant de soin que vous. Faire le contraire en voulant tout contrôler vous-même est la meilleure façon de vous retrouver seul avec votre logiciel open source.
Aucun projet ne va gagner en taille et en popularité de cette manière.
En 2009, quand Uli Schlachter a envoyé son premier patch à awesome, cela m’a donné plus de travail. J’ai du vérifier son patch, et j’étais déjà bien occupé pour sortir la nouvelle version d’awesome sur mon temps libre en dehors de mon travail ! Le travail d’Uli n’était pas parfait, et j’ai eu à gérer les bogues moi-même. Plus de travail. Alors qu’ai-je fait ? Quelques minutes plus tard, je lui ai répondu en lui envoyant un plan de ce qu’il devait faire et de ce que je pensais de son travail.
En retour, Uli envoya d’autres patchs et améliora le projet. Savez-vous ce que fait Uli aujourd’hui ? Il est responsable du gestionnaire des fenêtres awesome à ma place depuis 2010. J’ai réussi à transmettre ma vision, déléguer, puis à quitter le projet en le laissant dans de bonnes mains !
9. Ignorer certains types de contributions
Les gens contribuent de différentes manières, et pas toujours en codant. Il y a beaucoup de choses autour d’un projet de logiciel libre : la documentation, le tri de bogues, le support, la gestion de l’expérience utilisateur, la communication, les traductions…
Par exemple, il a fallu du temps pour que Debian songe à donner le statut de Développeur Debian à leurs traducteurs. OpenStack prend la même direction en essayant de reconnaître les contributions autres que techniques.
Dès lors que votre projet commence à récompenser certaines personnes et à créer différents statuts dans la communauté, vous devez faire très attention à n’oublier personne, car c’est le meilleur moyen de perdre des contributeurs en chemin.
10. Oublier d’être reconnaissant
Cette liste est le fruit de nombreuses années de bidouillages open source et de contributions à des logiciels libres. L’expérience et le ressenti de chacun sont différents, et les mauvaises pratiques peuvent prendre différentes formes : si vous connaissez ou si vous avez vous-même rencontré d’autres obstacles dans vos contributions à des projets open-source, n’hésitez pas à compléter la liste dans les commentaires. C’est une forme de contribution.
Ray’s Day 2016, la nouvelle choisie par le Framablog
Chez Framasoft, on adore le Ray’s Day et on s’efforce d’y participer à notre manière. Aujourd’hui nous avons publié nos contributions :
Mais c’est aussi l’occasion de découvrir des textes malicieux comme celui que nous republions ici, puisqu’il est sous licence CC-BY-SA… C’est Framasky qui l’a repéré et nous l’avons trouvé sympa. Bravo à Snædis Ika pour sa nouvelle, que nous vous invitons à déguster.
Et si dans la vraie vie aussi, il y avait des cookies, comme ceux qui nous suivent un peu partout sur le net ? C’est sur la base de cette idée que j’ai écrit le petit texte qui suit.
Bonne lecture
* * *
Je jette un coup d’œil à la vitrine de cette toute nouvelle boutique de fringue qui habille toutes les filles qui ont un minimum de goûts. Les vêtements ont l’air de bonne qualité, ils sont colorés et les vendeuses ont l’air aussi sympathiques qu’elles sont squelettiques. Et soudain, je me fige. J’aperçois une robe, non, LArobe. Elle est rouge, ni trop courte ni trop longue, elle est superbe. Aucune chance qu’elle ne m’aille.
Peu importe, il me la faut, j’inspire un grand coup et je franchis le pas de la porte. Une clochette électronique n’a pas le temps de signaler mon entrée que déjà se tient devant moi une vendeuse dont le sourire rouge vif mange la moitié du visage, l’autre étant dévorée par des yeux d’un vert pomme peu naturel qu’une épaisse couche de maquillage rend démesurés. C’est à se demander comment un corps aussi frêle peut soutenir ces deux yeux et cette bouche.
« – Bonjour Madame ! Bienvenue dans notre magasin, prenez un cookie s’il vous plaît ! » m’accueille la vendeuse avec une affreuse voix nasillarde.
D’un geste élégant de la main, elle m’indique un petit panier sur le comptoir dans lequel sont disposés sur une serviette en papier rose des cookies fort appétissants. Je trouve l’accueil tout à fait agréable, et l’attention envers les clientes plus que charmante. Je me dois cependant de décliner son offre, aussi alléchante soit-elle.
« – Bonjour ! Non merci, je suis au régime, et si je veux rentrer dans cette magnifique robe que j’aperçois derrière vous sans être trop boudinée, je crains de devoir me passer de cookies pendant quelques temps. » je réponds à contrecœur.
Et pourtant les cookies, j’adore ça ; le biscuit qui craque sous la dent, les pépites de chocolat fondantes. Toute le monde aime ça. La seule condition pour les apprécier c’est de ne pas être trop regardant quant à la quantité de beurre qu’ils contiennent. Et je ne suis habituellement pas du genre trop regardante quant à ce genre de choses.
« – Excusez-moi, Madame, mais je me permets d’insister », reprend la vendeuse
« – Je vais insister aussi, Madame, je vous ai dit que je ne voulais pas de cookie. Je n’en prendrai pas. » je rétorque d’un ton ferme, fière de moi.
« – C’est la politique du magasin, Madame ! Désormais vous ne pouvez pas rentrer si vous ne prenez pas un cookie. » Le ton de la vendeuse se fait presque menaçant derrière son immuable sourire.
« – C’est quoi pour une politique ! Le but, c’est de faire grossir les clientes ?
— Je vous laisse le choix, vous n’êtes obligée à rien, Madame. Si vous n’acceptez pas les conditions du magasin, vous êtes libre de partir.
— Donc mon seul choix, c’est manger un cookie ou d’aller voir ailleurs ?
— Vous avez bien compris, Madame.
— OK. Raboule le cookie, il me faut cette robe ! »
Je tends la main sous l’imposant regard et saisis un cookie, un pas trop gros. La vendeuse me fixe toujours et je comprends que je ne dois pas juste prendre un cookie comme elle me l’a si gentiment proposé imposé mais quelle attend que je le mange. Je m’exécute et ses mâchoires semblent se relâcher, agrandissant encore son sourire. Histoire de faire part de mon agacement, j’ouvre grand la bouche et tire la langue pour lui montrer que je n’ai pas fait semblant, que je l’ai bien mangé, son cookie. Elle n’en fait pas cas et s’écarte joyeusement. Je suis à peine passée devant elle, toujours un peu perplexe face à cette histoire de biscuits que la vendeuse s’attaque déjà à la cliente suivante. Celle-ci ne se laisse pas prier et gobe sagement son cookie, visiblement habituée à cette situation.
Et moi qui croyais naïvement que tout à l’heure au supermarché, on m’avait offert un cookie pour essayer de m’en vendre un paquet. Je ne vais tout de même pas manger un cookie dans chaque magasin dans lequel je rentre, c’est absurde !
Je décide de me changer les idées et commence à faire un tour. Je regarde LA robe du coin de l’œil, je n’ose pas m’approcher tout de suite. Mon intérêt se porte sur un t-shirt orange basique. Je le prends à la main.
« – Bonjour ! Est-ce que je peux vous renseigner, Madame ? »
Cette question qui me fait sursauter me vient d’une vendeuse que je découvre juste à côté de moi. Je crois d’abord avoir affaire à la même que tout à l’heure. Mais j’aperçois que la première vendeuse se trouve toujours à l’entrée à distribuer ses biscuits. En regardant bien, je remarque que celle qui s’adresse à moi a un grain de beauté sur la joue. Ce grain de beauté est d’ailleurs beaucoup trop bien placé pour être vrai.
« – Non merci, je regarde seulement. Je réponds de la manière la plus polie possible. » J’aime bien qu’on me fiche la paix quand je fais du shopping. Et le reste du temps aussi.
« – Très bien, Madame. »
Je détourne les yeux de la vendeuse et commence à feindre de me passionner pour le t-shirt orange comme s’il s’agissait d’une poterie rare de la plus grande finesse en attendant qu’elle ne s’en prenne à quelqu’un d’autre. Du coin de l’œil, je vois qu’elle reste plantée à côté de moi. Souriante.
« – Madame, sachez tout de même que le vêtement le plus acheté en ce moment par les clientes ayant un profil similaire au vôtre est cette superbe robe à froufrous roses. »
Je me retourne à nouveau pour lui faire face et vois que d’un délicat signe de la main, elle caresse une robe à froufrous rose qu’elle tient dans l’autre main par le cintre. Je suis certaine qu’elle ne l’avait pas en main quand elle m’a adressé la parole il y a quelques secondes. Et j’ai beau jeter un œil autour de nous, je ne vois pas d’où elle a bien pu la sortir. Elle est apparue, c’est tout. De nulle part.
« – Ah non, il y a erreur, je réponds, clairement pas des gens qui ont le même profil que moi. Jamais je ne mettrai une horreur pareille ! Je pense que je vais me passer de vos conseils et me faire mon propre avis. Merci.
— Très bien, Madame. »
J’allais reprendre mon minutieux examen du t-shirt, mais quelque chose me turlupine et je ne peux m’empêcher de poser la question.
« – Simple curiosité, qu’est-ce que vous entendez par clientes ayant un profil similaire au mien ?
— Eh bien, Madame, il s’agit de clientes exigeantes, entre 25 et 30 ans, qui regardent la robe rouge sans oser l’essayer et mesurant moins d’un mètre soixante.
— C’est plutôt précis. Et pas vraiment flatteur.
— Nos profils sont tout ce qu’il y a de plus pertinents, Madame. D’ailleurs, je tiens à vous préciser que les personnes qui ont acheté le t-shirt que vous tenez entre les mains ont également acheté en moyenne 5 articles supplémentaires, parmi lesquels figurent cette robe à pois, ces chaussettes rayées, ce t-shirt bariolé, ce jeans délavé et des sous-vêtements affriolants qui sont exceptionnellement en action jusqu’à ce soir. »
Alliant le geste à la parole, elle me montre un à un les vêtements alors qu’elle les énumère, ils apparaissent tour à tour dans l’une de ses mains et elle finit par être presque entièrement dissimulée derrière la pile de vêtements dont ne dépasse plus que ses yeux et son sourire.
« – Donc peu importe ce que je dis, vous allez continuer à me conseiller des trucs bidons que d’autres clientes – dont vous supposez qu’elles ont les mêmes goûts que moi parce qu’on a regardé le même vêtement ou qu’on n’a pas assez grandi à la puberté – ont soit disant acheté. Et je suis censée vous croire sur parole ?
— Je peux également vous conseiller ce que les personnes qui habitent dans votre région ont acheté, Madame. Et je vous rends attentive au fait qu’il se peut que ce t-shirt orange soit en rupture de stock dans approximativement 10 minutes et 13 secondes. »
De son index droit qui dépasse des sous-vêtements affriolants qu’elle vient de me présenter, la vendeuse désigne le t-shirt que je porte à la main. Je baisse les yeux et le regarde un instant, perplexe. Avant de remarquer :
« – Je l’ai entre les mains, personne ne va me le voler. S’il risque d’être en rupture de stock, c’est parce que je risque de l’acheter, non ?
— Je vois qu’il s’agit du dernier exemplaire en votre taille et qu’il n’en reste plus en rayon. Statistiquement, cela signifie qu’il ne sera plus disponible dans 10 minutes et 13 secondes, Madame. »
Ce magasin commence à me faire flipper. J’ai l’impression d’être dans un très mauvais film de science-fiction, ou dans une caméra cachée, quoique pas très cachée la caméra de surveillance. Je lui adresse un sourire charmeur, au cas où. La voix de la vendeuse me tire de cette pensée.
« – Et je vois que vous avez acheté une brique de lait au supermarché, Madame. Sachez que les personnes qui achètent du lait ont généralement une préférence pour les t-shirts bleus, par exemple comme celui-ci. »
Un nouvel habit vient rejoindre la pile derrière laquelle se dissimule chaque fois un peu plus la vendeuse. Je jette un regard vers le sac de course que j’ai posé à mes pieds. Effectivement une brique de lait en dépasse, ainsi qu’un sachet de noix et une tige de poireau. Pour quelqu’un qui prétend manger sainement sain, c’est pas si mal. Heureusement qu’on ne voit pas ce qui se cache dessous. Moi qui rechignais à prendre un cookie, quand je pense à ce que j’ai acheté… Je détourne l’attention de la vendeuse de mes achats, ne pouvant retenir une remarque ironique.
« – Et les personnes qui achètent des poireaux ? Elles préfèrent le vert ?
— C’est tout à fait faux, Madame. Les clientes qui achètent des poireaux, ainsi que celles qui consultent la météo tous les jours ont tendance à avoir une préférence pour les vêtements blancs », répond la vendeuse le plus sérieusement du monde.
« – C’est n’importe quoi ces histoires, je n’y crois pas une seconde. »
Je me défais de la vendeuse et file en cabine pour essayer le t-shirt et LA robe, mais surtout pour me mettre à l’abri et reprendre mes esprits quelques minutes. J’enfile la robe rouge et bien que le modèle n’ait clairement pas été dessiné pour d’aussi petites jambes, elle me plaît ! Je me change et prends mon courage à deux mains pour sortir de la cabine, satisfaite de ma journée.
La vendeuse au grain de beauté et aux conseils personnalisés m’attend derrière le rideau. Elle me tend déjà la robe à froufrous rose qu’elle me présente toujours avec le même sourire. Elle semble un peu perdue me voyant ressortir tout sourire et bien décidée à faire l’acquisition de la fameuse robe rouge. Je comprends vite que les personnes qui ont mon profil ne l’achètent pas d’habitude et je me dirige fièrement vers la caisse alors que la vendeuse reste plantée devant la cabine, sa robe à froufrous à la main.
Le reste de la pile de vêtements qui la dissimulait a disparu, tout comme son sourire.
Fêtons ensemble l’anniversaire du Framablog
Quand le Framablog est né, le premier article, signé par Alexis Kauffmann, marquait un tournant important de l’association Framasoft, qui passait de la défense et illustration du logiciel libre à un champ plus large, celui de la culture libre.
Dix ans et deux mille articles plus tard ou presque, nous avons eu envie de marquer le coup pour le numéro du 11 septembre.
Pas un bilan.
Pas un bulletin de triomphe autosatisfait.
Pas un dépotage de statistiques avec courbe serpentiforme et camembert multicolore.
Pas non plus une analyse sociologique du lectorat suivant des tranches d’âge et des catégories socio-professionnelles.
Plutôt un point d’étape avec vous.
Vous, lecteurs occasionnels ou réguliers, ceux qui le lisent depuis 2006 et ceux qui viennent de le découvrir, ceux qui sont déjà bien plus loin sur la voie du Libre et ceux qui entament timidement le chemin.
Vous qui enrichissez les publications de commentaires trollesques ou hyperpointus.
Vous grâce à qui peu à peu ce blog n’est plus seulement l’écho de Framasoft mais aussi un regard sur le monde du Libre, ses réussites, ses combats et ses perspectives.
Vous qui faites que ce blog devient et deviendra de plus en plus collaboratif en ouvrant ses colonnes à des interviews, des personnalités, des débats et des initiatives…
Bref, si le succès et l’intérêt du Framablog c’est vous, c’est à vous de nous dire un mot pour son anniversaire.
L’article jalon anniversaire, c’est vous qui allez l’écrire, à plusieurs mains.
… vous avez seulement jusqu’au 4 septembre ! Et ensuite on vous prépare la compil des réponses, un remix de vos mots, un mashup de vos critiques éclairées ou obscures, une macédoine de vos zopignons sur rue, un bazar de réactions dressées comme un lit en cathédrale.
L’article anniversaire sera la voix collective des lecteurs.
(ben oui un Framaform, qu’est-ce que vous croyez ?)
Les bénéfices d’un combat, témoignage
Il n’est pas toujours facile de militer activement, ça demande du temps, de l’énergie et le courage de surmonter les difficultés.
Mais c’est aussi l’occasion de se confronter à la réalité du monde, de se découvrir aussi, et de tirer une fierté légitime de victoires auxquelles on a contribué. C’est dans cet esprit que nous publions aujourd’hui le témoignage de Bram.
Membre de Framasoft, il fut militant à la Quadrature du net et à la Nurpa, il se concentre aujourd’hui sur des actions plus locales comme la Brique Internet ou encore Neutrinet, une association bruxelloise fournisseur d’accès à Internet et membre de la fédération FDN.
Il nous propose ici un retour d’expérience en définitive plutôt positif et nous explique fort bien quels bénéfices il a tirés de cet épisode militant. Alors bien sûr, face aux lobbies, les formes et stratégies du combat ont évolué depuis la victoire contre ACTA qu’il évoque dans ce témoignage, donc la lutte aux côtés de la Quadrature s’est donné de nouveaux outils et des campagnes moins difficiles à vivre.
Mais l’essentiel demeure : l’action collaborative résolue est déterminante et il est possible de faire une différence.
Le jour où j’ai compris que je pouvais faire une différence en politique
C’est une histoire que je raconte parfois, au coin d’une table, mais que je n’ai jamais eu le courage de mettre par écrit, je profite d’un instant de motivation parce que je pense qu’en ce moment difficile pour nos actions politiques il est important de partager nos histoires et les récits de réussites. Nous manquons d’ailleurs cruellement d’histoires de nos luttes dans nos communautés.
Cela remonte à l’année 2010, le gouvernement français venait de faire passer la loi Hadopi malgré tous ses déboires et j’avais regardé l’ensemble des débats à l’Assemblée nationale, j’étais particulièrement remonté avec l’envie de faire quelque chose et je venais à la fois de rejoindre la Quadrature du Net depuis 6 mois et de co-fonder la Nurpa dans la même période.
À ce moment-là, 4 eurodéputé·e·s venaient de lancer la déclaration écrite numéro 12 qui disait grosso merdo « si la Commission européenne ne rend pas public le texte d’ACTA, le Parlement européen votera contre ». Une déclaration écrite est un texte, qui, s’il est signé par la moitié des eurodéputé·e·s en moins de 6 mois, devient une prise de position officielle du Parlement européen (sans pour autant être contraignante).
Le problème c’est que signer ce texte ne peut se faire que de 2 manières : soit dans une salle obscure que personne ne connait au fin fond du Parlement européen, soit avant d’entrer en séance plénière, au moment où les Eurodéputé·e·s ont franchement beaucoup d’autres choses en tête que d’aller signer un papier — et bien entendu les plénières ne durent que quelques jours une seule fois par mois.
Mais le sujet était important, nous venions de découvrir ACTA, c’était une horreur et il fallait absolument se battre contre ce désastre annoncé
Pour précision, une déclaration écrite est également quelque chose de fort facile à proposer et par son côté non contraignant elle ne représente pas beaucoup d’enjeux. On a donc le droit à toute une série de déclarations écrites farfelues et sans grand intérêt généralement proposées par des Eurodéputé·e·s cherchant un moyen de montrer à leur électorat qu’elles ont foutu quelque chose sur un sujet quelconque. À l’époque nous avions trouvé, entre autres, une déclaration écrite proposant une journée internationale de la glace à Italienne artisanale et une autre demandant la déclassification de documents sur les OVNIs. Mais le sujet était important, nous venions de découvrir ACTA, c’était une horreur et il fallait absolument se battre contre ce désastre annoncé, la Quadrature du Net décida donc de soutenir cette déclaration écrite.
Février 2010, branle-bas de combat, un certain moustachu m’informe via IRC (eh oui) de la situation et me dit en gros : « ça serait bien si tu pouvais trouver quelques personnes et qu’on se rejoigne au Parlement, on a un truc important à faire signer aux Eurodéputé·e·s contre ACTA ». Pas tout à fait sûr de vraiment comprendre de quoi il s’agissait, mais ayant pressenti l’importance de l’événement, je me ramenai avec 4-5 personnes — à l’agréable surprise dudit moustachu. Ce fut alors le début de la bataille.
Une bataille épuisante qui dura plus de 6 mois à raison de une à deux visites au Parlement par mois. Notre action était simple : aller frapper à la porte des bureaux de tous les députés pour les convaincre de signer la déclaration écrite en leur expliquant à quel point c’était important et espérer qu’ils aillent signer, coller des affiches et distribuer mollement des tracts avant la plénière. Bien souvent nous n’avions affaire qu’aux assistants, les députés étant occupés à d’autres choses, quand ce n’était pas un bureau vide.
Ce fut l’occasion pour notre petit groupe (à l’exception du moustachu) de découvrir les rouages de l’advocatie de terrain, les lobbyistes ayant leur propre catégorie de badge au Parlement européen (que nous refusions, nous étions des citoyens, pas des lobbyistes) et les désillusions face aux arguments les plus efficaces… (« ton chef a signé et a dit de signer alors signe » « tous tes potes ont signé sauf toi » « ton adversaire a signé, si tu le fais pas tu vas passer pour un loser » « roh mais dites les Verts, l’ALDE a plus signé que vous ! » mais dit dans leur langue, bref, la cour de récré).
un travail pénible, ingrat et peu visible…
Je n’irai au Parlement que deux ou trois fois, cette activité étant bien trop stressante pour moi (merci les anxiétés sociales), je me suis retrouvé bien vite à m’occuper de quelque chose de fort important mais plus discret : maintenir la liste des signataires (en plus de trouver des bénévoles et de faire de la coordination). Une tâche bien moins simple que prévu à cause de l’incompétence technique du Parlement européen : il a plus de 700 Eurodéputé·e·s, certain·e·s partaient, certain·e·s venaient, les documents de ceux qui avaient signé changeaient tout le temps de forme et les députés parfois de nom (en fait c’était l’époque où le Parlement avait mal inscrit certains noms peu communs en Belgique notamment au niveau des accents) et le terme « opendata » commençait juste à apparaitre. Bref, un travail pénible, ingrat et peu visible, mais au moins on a pu faire des jolis graphiques (mmmh… en matplotlib) qui plaisaient beaucoup aux journalistes et qui étaient utilisés comme argumentaires auprès de certain·e·s Eurodéputé·e·s.
La route fut difficile, nous n’obtenions que peu de signatures au début, car nous préférions viser la droite en premier lieu dans l’espoir que ça ne finisse pas comme « un texte de gauche » que la droite refuserait de signer. Les progrès étaient lents et démotivants et le public était d’une totale indifférence pour cette procédure peu connue, sur un sujet pas encore très en vogue (pas grand-monde avait entendu parler d’ACTA ou saisi son importance). Ainsi, nos appels répétés à contacter les Eurodéputé·e·s restèrent sans grand résultat, pire encore à la plénière d’avril nous n’obtiendrons que 27 signatures. Combinées aux 62 et 57 signatures précédentes, cela nous amenait à 146 signatures : très très loin des 369 dont nous avions besoin alors qu’il ne nous restait que 4 plénières. Le moral était au plus bas et les drames présents.
des listes sur papier des Eurodéputé·e·s
Ce fut également une période intéressante au niveau de l’invention d’outils d’activisme : à partir des données des signataires (que j’avais extraites de memopol, qui à l’époque était une collection de 28 scripts Perl écrivant des pages mediawiki et pas le projet qui existe aujourd’hui) nous nous mîmes à concevoir des listes sur papier des Eurodéputé·e·s que nous prenions avec nous au Parlement européen avec des cases à remplir pour ensuite nous les échanger. Dans le désespoir de l’action « j’inventais » les pads avec la liste de toutes les informations des député·e·s à appeler et des champs à remplir en dessous avec les réponses obtenues (à l’époque le piphone n’existait même pas au stade d’idée, mais en est en partie inspiré) et j’invitais absolument tout le monde à aller dessus, ce fut très ironiquement aussi le moment où nous réalisions que les pads étaient limités par défaut à 14 connexions simultanées. Ce fut aussi l’époque où j’ouvris le compte twitter @UnGarage avec le moustachu.
l’instant magique plein de synergie
Les plénières suivantes ne furent gère meilleures : 39, 34 et 34 signatures soit 253 signatures au total, il nous en manquait 116 pour la dernière plénière, cela nous semblait totalement impossible. Coïncidence heureuse : cette dernière plénière de juillet eut lieu pile pendant les RMLLs 2010 de Bordeaux. La pression était à son comble, nous étions épuisé·e·s et déjà fort occupé·e·s, l’idée était de lancer une séance d’appels au Parlement avec des téléphones SIP mais rien ne marchait. Après 2-3 jours d’engueulades et de tensions intenses (je me rappelle avoir vu Benjamin consoler une permanente en larmes), nous finîmes par occuper un local et mettre en commun tous les téléphones des gens voulant bien nous les prêter (avec la promesse de remboursement des factures) et à faire un atelier d’appels au Eurodéputé·e·s.
Ce fut alors l’instant magique de synergie où plein de participant·e·s des RMLLs se sont mis·es à appeler les Eurodéputé·e·s à la chaîne. Je me rappelle d’un présentateur radio qui avait particulièrement marqué la salle : après avoir appelé impeccablement bien tou·te·s les Français·es et les Belges, nous découvrîmes qu’il était bilingue lorsqu’il se mit à faire pareil avec tou·te·s Bulgares dans leur langue ! De son côté, le moustachu qui était lui au Parlement européen n’était pas en reste et les 4 Eurodéputé·e·s à l’origine de la déclaration non plus. Le résultat fut au rendez-vous : nous obtînmes 100 signatures, ce n’était pas les 116 qu’il nous fallait, mais c’était assez pour pouvoir demander une rallonge à la plénière suivante, qui fut obtenue, et nous savions que les 16 signatures manquantes étaient une formalité (et nous les obtînmes par la suite).
Nous avions gagné.
Les conséquences de cet événement furent également intéressantes : cette victoire nous avait coûté cher matériellement (tout le budget « actions européennes » de la Quadrature y était passé et nous étions à la moitié de l’année) et humainement pour un résultat moyennement intéressant : une déclaration écrite, soit une prise de position officielle mais non contraignante du Parlement européen. Les effets de bord l’ont été bien plus cependant : les personnes que j’avais embarquées dans l’histoire se sont forcément beaucoup politisées (Bouska par exemple se présentera quelques années plus tard en tant que député pour les Français à l’étranger du Benelux et a foutu le bordel sur la question des votes sur Internet), ce fut également une des premières actions politiques de la toute jeune Nurpa qui a beaucoup grandi et on retrouve également l’influence de cette période dans une partie de la boîte à outils de la Quadrature (memopol, piphone) comme dans une partie des méthodes d’action qui furent et sont encore parfois utilisées.
Un travail de groupe avant tout
J’étais personnellement épuisé et ce fut l’un des plus grand soulagements de ma vie mais aussi un accomplissement : je n’avais absolument pas tout fait tout seul, c’était un travail de groupe avant tout mais j’y avais eu un des rôles centraux et je ne sais pas si ça se serait fait sans moi tant la victoire avait été difficile à obtenir. J’avais 22 ans et j’avais eu un rôle central dans un groupe qui avait obtenu une prise de position publique du Parlement européen.
C’était donc possible.
Pour un requiem libre et athée
La tradition musicale du requiem est dès l’origine inhérente à la liturgie chrétienne au point qu’il faut attendre le XVIIIe siècle pour assister à la création de requiems « de concert », donc exécutés en dehors d’une célébration funèbre à caractère religieux.
Aujourd’hui, Denis Raffin propose d’aller plus loin encore et vient de passer plusieurs années à l’élaboration d’un requiem athée, qui comme il nous l’explique, vise à rendre hommage au souvenir des disparus en exaltant plutôt… la vie, hors de toute transcendance.
Qui plus est, sa création musicale est non seulement libre de références à la divinité mais aussi libre de droits et élaborée avec des logiciels libres. De bonnes raisons pour lui donner la parole et prêter une oreille curieuse à son requiem.
Peux-tu te présenter brièvement et nous dire par quel parcours tu en arrivé à ce projet un peu surprenant ?
Je suis un compositeur amateur, épris de musique classique depuis mon enfance. Jusqu’à présent, j’ai surtout composé de courtes pièces pour mon entourage. C’est la première fois que je me lance dans une œuvre d’une telle ampleur. J’ai composé les premières notes en 2013 (il y a 3 ans, oui oui…) et je viens enfin de terminer d’ébaucher les 5 mouvements qui constituent l’œuvre.
Justement, en prenant connaissance de ton projet, maintenant en phase finale, on ne peut s’empêcher de se dire que tu es soit très courageux soit inconscient : s’attaquer à un tel format musical demande de l’estomac, non ? et je ne parle même pas des monuments du genre (Mozart, Brahms, Berlioz, Verdi et tant d’autres… ) qui peuvent impressionner. Tu veux t’inscrire dans l’histoire de la musique à leur suite ?
J’ai toujours adoré les grandes œuvres religieuses, notamment funèbres. On y trouve une noirceur plus ou moins désespérée, mêlée à un fort besoin de consolation et de lumière (de résilience). Il y a peut-être un peu de mégalomanie dans mon projet, je ne le nie pas. Mais en réalité, il s’agit surtout de répondre à un double besoin : celui de m’obliger à dépasser le stade de compositeur du dimanche et celui d’aborder frontalement un thème qui me hante depuis mon adolescence : celui de la finitude de nos existences. J’ai voulu célébrer par une œuvre monumentale un événement très important dans ma propre existence : j’ai fini par admettre que j’allais mourir.
Brrr ce n’est pas très gai tout ça… On peut concevoir le désir de rendre hommage aux disparus, mais pourquoi célébrer la mort ?
Attention, pas de contre-sens ! Je ne célèbre pas la mort ! Mais assumer ma finitude m’a permis de comprendre des choses simples. D’abord que la vie est un bien précieux car éphémère et fragile. En ce sens, il faut savoir la respecter, la protéger, refuser de se contenter d’une vie où on se « laisse vivre ». Et surtout résister aux vols de nos existences que constituent le sur-travail, les guerres, la consommation, etc. Ensuite, nos existences si courtes prennent beaucoup plus de sens quand on les replace au sein de cycles naturels et historiques qui les dépassent. J’appelle, dans Un requiem athée, à « cultiver le grand jardin du monde ». À agir, humblement, chacun à son échelle, à construire un monde meilleur, tout en profitant au mieux de celui qui nous est offert. Il n’y a rien de morbide dans tout ça, non ?
Comme tu l’exposes en détails sur cette page tu n’es pas le premier à vouloir créer un Requiem athée. Pourquoi ajouter ta version, est-ce qu’il te semble qu’il y a ces dernières années une urgence (la question toujours vive de la laïcité ?) ou bien la naissance de ton projet correspond-elle à un cheminement plus personnel ?
La question de la laïcité, et en particulier de la cohabitation entre religieux et non-religieux, ne fait pas partie de ma démarche. Simplement, il y avait un manque dans l’histoire de la musique : il existe très peu d’œuvres athées traitant du thème de la mort.
Parler aux athées en général n’est d’ailleurs pas une mince affaire, car les athées ne constituent pas une école de pensée homogène. Le cheminement que je propose dans le texte est nécessairement très personnel. Par exemple dans sa dénonciation de l’immanence ou dans son appel non voilé à la rébellion (« La colère de l’Homme »). Cela dit, je n’ai pas hésité à réécrire le 2e mouvement de mon requiem (« Non credo ») lorsque ceux qui ont suivi sa composition l’ont accusé d’un trop grand dogmatisme. J’espère sincèrement que mon texte ne constitue pas un obstacle à l’appréciation de la musique, quels que soient les points de désaccord que puissent avoir mes auditeurs avec mes idées.
Comment définirais-tu ta musique ? On dit souvent que la musique contemporaine est difficile d’accès pour les oreilles non-initiées, est-ce le cas pour ton requiem ?
Pour les connaisseurs, il s’agit d’une écriture qui s’autorise tous les langages : tonal, modal, chromatique et atonal. Pour ceux qui ne sont pas habitués à écouter de la musique classique, disons que c’est une œuvre globalement facile à suivre, mais avec des passages assez ouvertement dissonants. La durée totale est raisonnable pour le néophyte (environ 45 minutes), tout en laissant le temps de s’imprégner d’un univers musical que je souhaite assez riche.
Pourquoi faire le choix de logiciels libres et placer ton œuvre en gestation dans le domaine public ?
La principale raison du choix de la licence CC-0 est philanthropique : c’est un cadeau que je souhaite faire à l’humanité. Par ailleurs, je suis intimement convaincu que le modèle actuel des droits d’auteur freine la création au lieu de la protéger. Il y a une excellente conférence de Pouhiou sur ce thème.
D’ailleurs, c’est un peu grâce à Pouhiou que je me suis décidé à créer un blog pour présenter ma composition en cours de réalisation. Dans son premier tome du cycle des Noénautes, il expose les interactions qu’il a pu avoir avec ses lecteurs sur son blog tout au long de l’écriture du roman et je me suis dit : et pourquoi pas utiliser ce dispositif pour mon requiem aussi ? Pour ceux que ça intéresse, j’ai exposé ma position dans cet article : vive la musique libre, à bas les droits d’auteur !
Pour ce qui est du choix des logiciels libres pour composer, il s’est imposé de lui-même : j’ai toujours milité pour la diffusion des logiciels libres (y compris dans l’Éducation Nationale à l’époque où j’y ai travaillé) et ça n’aurait pas été cohérent d’utiliser des logiciels privateurs pour réaliser une telle œuvre, non ? J’utilise essentiellement Musescore. même si les fonctionnalités sont un peu limitées par rapport aux gros logiciels payants du commerce. J’envisage d’utiliser Lilypond pour les dernières étapes de la composition (orchestration, cadences non mesurées, mise en page, etc.).
Tu as une formation musicale (on s’en doutait) et tu as donc été un temps professeur dans l’Éducation Nationale, mais en ce moment de quoi vis-tu, car on imagine bien que créer un requiem n’est pas une activité très lucrative ?
J’ai été successivement ingénieur du son, professeur de physique-chimie en collège et grand voyageur. Je suis actuellement ouvrier agricole (dans le maraîchage bio). Je compose sur mes temps libres, soir et week-end. Au début du projet, je m’étais mis à temps partiel pour trouver le temps de composer. Clairement, j’aimerais consacrer plus de temps à la composition dans les années qui viennent. Pour une raison simple : si je ne prends pas le temps de composer mes œuvres, qui le fera à ma place ?
De quoi as-tu besoin maintenant pour mener ton projet vers sa phase finale : de contributions techniques, musicales, d’interprètes, d’argent… ? C’est le moment de lancer un appel…
L’étape la plus importante est terminée : toute l’œuvre est ébauchée. On peut d’ailleurs écouter des exports (avec des sons synthétiques) sur le site du projet. Il reste deux étapes avant de pouvoir entendre l’œuvre pour de bon.
D’abord, il faut que j’écrive l’orchestration de l’œuvre. Je n’ai encore jamais eu à faire ça et c’est assez technique. J’apprécierai une aide pour cette étape : j’ai besoin de quelqu’un d’un peu expérimenté pour me relire, me corriger, me faire des suggestions, etc. Je pense m’adresser aux classes d’orchestration des conservatoires pour trouver ce genre de profils.
Ensuite, il faudra réunir des interprètes. Et là, les choses se compliquent… Car il faudra trouver de l’argent pour rémunérer tout ce monde (un orchestre, un chœur et 4 solistes). J’ai plus de questions que de réponses : mon œuvre pourrait-elle intéresser une institution ? Aurais-je un public suffisamment motivé pour réussir un crowdfunding ? J’avoue que ça me soulagerait grandement si quelqu’un de plus compétent que moi pouvait prendre en charge cette partie-là du travail !
Allez on s’écoute le « Non credo » ? Les autres mouvements sont disponibles sur le site de Denis.
Que nos lecteurs mélomanes et musiciens se manifestent et fassent passer le mot : ce projet original et libre mérite d’aboutir à des interprétations publiques et pourquoi pas des enregistrements. À vous de jouer ♫ !
Dogmazic fête la première année de sa nouvelle ère
Il y a un an le Framablog avait interviewé Alain, membre de Dogmazic qui avait participé au grand retour de la plateforme d’écoute de musique sous licence libre.
Pour fêter le premier anniversaire du site renouvelé, on a eu envie de détailler avec lui le bilan bien fourni de cette année… En profitant de deux belles conférences aux JDLL, Roka et Pouhiou ont mitonné la petite interview que voici pour qui ne pouvait être à Lyon lors de ces rencontres.
Salut Alain, même si on t’as déjà déjà interviewé sur le Framablog, peux-tu nous rappeler ce qu’est Dogmazic ?
Dogmazic est une archive de musiques publiées avec des licences libres et ouvertes existant depuis 2004. Le site est sans publicité. C’est un projet de l’association Musique Libre qui est financé par les dons. Il regroupe aujourd’hui près de 60 000 morceaux de musique, pour environ 5000 artistes/groupes et plus de 250 netlabels.
Donc je peux dire que vous êtes le Itunes ou le Spotify du libre ou alors je suis insultant ?
Nous ne vendons pas d’abonnements, ni de fichiers avec des DRM. Notre but est l’accessibilité, la diffusion, la mise en valeur de tout un pan de la culture qui n’est pas représentée dans des médias mainstream. Nous sommes une alternative à Aytoune et Spoutifay.
Concrètement, qu’est-ce qui est libre chez vous ? Je peux télécharger votre logiciel ? La musique ?
Le logiciel Ampache qui propulse le site est publié sous licence AGPLv3 depuis 2001. Le contenu du site est publié soit en licences libres (type Licence Art Libre, GNU-GPL-Art, Creative Commons By SA…), soit en licences ouvertes (Licences Creative Commons BY NC ND pour la plus restrictive). La musique est téléchargeable, partageable et, selon les licences, réutilisable selon différents contextes.
Voilà un an que le projet a été relancé et du coup on a plein de questions à te poser. D’abord, est-ce que tu es content de cette première année d’existence ?
Nous sommes absolument ravis de cette réouverture, après tant de péripéties derrière nous maintenant ! Avant la réouverture du site, parler de musique libre c’était un peu caduque : peu d’autres exemples francophones comme Dogmazic pouvaient être cités. Cette première année nous a permis de mieux cerner les possibilités d’Ampache, de faire évoluer le site, son interface et de faire remonter pas mal de retours d’expérience des utilisateurs (bugs, features…).
Est-ce que le public a été au rendez-vous ? C’est quoi la fréquentation du site aujourd’hui ?
Nous avons eu un pic à la réouverture du site, puis ça s’est un peu calmé. Aujourd’hui, le rythme des visites est le même qu’à la réouverture, donc c’est plutôt encourageant ! Nous avons en moyenne 2 à 3 albums publiés par semaine par des artistes.
J’imagine que pour beaucoup de musiciens ce n’est pas une évidence de diffuser ses créations sous licence libre. Tu dirais quoi pour convaincre un artiste de le faire ?
Si on veut être indépendant, on doit aussi se poser la question de l’indépendance vis-à-vis de la Sacem qui n’est pas qu’une simple société — privée — de gestion de redevances pour droits d’auteurs. Elle porte aussi un projet politique (Hadopi, DADVSI…etc.). De plus, participer à une alternative est souvent plus intéressant pour un artiste, cela lui permet de rentrer en contact direct avec ses auditeurs, de discuter de projets partagés, de participer à des créations collectives. Il est possible d’avoir une existence artistique sans la Sacem.
Dans mes rencontres, je laisse le libre choix aux personnes. Souvent, un artiste rentre à la Sacem « par défaut », et ne se rend pas compte de sa démarche. Parfois c’est déjà trop tard, l’artiste est lié avec son nom civil (donc quel que soit le pseudo de son projet artistique) pour 10 ans, parfois la réflexion nécessite de nouvelles rencontres.
Dernier point du bilan mais non des moindres, les sous ? Comment un projet libre tel que le vôtre s’est financé et surtout comment vous voyez l’avenir à ce sujet ?
Nous sommes financés par les dons de nos utilisateurs. Le site en lui-même ne nous coûte pas grand chose à financer, mais cela risque de changer avec sa montée en puissance et la publicité faite autour de lui. En 2008-2009, lorsque l’ancienne interface fonctionnait bien, l’association arrivait à recevoir près de 4000 € de dons par an. Nous pouvons nous donner cet objectif pour le moment, ça nous permettra de proposer par exemple des fichiers en .flac.
Quelles sont les innovations lancées cette année sur Dogmazic ? Je pense notamment à l’écoute sur mobile qui est forcément demandée par les utilisateurs.
L’écoute sur mobile est possible grâce à l’application Subsonic qui reprend l’interface d’Ampache. Il n’y a qu’à renseigner l’adresse du site ainsi que son login et mot de passe utilisateur pour utiliser le site en version mobile. Des applications sur f-droid comme sur le Playstore existent. Avoir une application dédiée serait le mieux, il nous manque quelques compétences à ce sujet.
Ampache, le moteur du site, a évolué et fait évoluer le site. En mars, une nouvelle interface avec un contenu plus directement accessible a été mise en ligne.
Derrière Dogmazic, il y a donc ce logiciel : Ampache… Lui aussi il a grandi en un an ? Quelles sont ses nouveautés et les petites fonctionnalités qui changent tout ?
Le lien entre le développement d’Ampache et Dogmazic est fort. Il n’y a pas de fork du logiciel pour faire tourner Dogmazic. Ampache est passé de la version 3.7 à 3.8.2 avec de nombreuses corrections de bugs, des traductions de fonctions, une interface remaniée.
Les possibilités d’Ampache sont assez énormes et tout n’est pas encore bien mis en place. Notamment le lien avec des services d’identification de contenus basés sur Musicbrainz, LastFM, LibreFM, les modules de dons Flattr pour les comptes artistes… À terme, nous aimerions que les artistes et les labels puissent disposer d’un espace plus grand pour la personnalisation de leur espace (à base d’html).
Et si je veux utiliser Ampache pour autre chose que la musique… je peux ? T’as des exemples (ou des rêves) d’utilisations « autres » ?
Ampache est utilisé depuis le début comme un logiciel pour monter son propre serveur privé de médias. Images, vidéos, musiques, tout peut se partager avec Ampache. Mais Dogmazic est le premier exemple de serveur public avec une gestion multi-utilisateurs avancée (près de 28 000 comptes).
Cette vidéo présente le développement du projet (vidéo YouTube) :
Mon rêve pour Dogmazic ? Qu’Ampache permette de tout connaître d’un artiste : musique, vidéos, textes… avec des liens vers l’extérieur pour enrichir le contenu, des relations entre artistes… Et pourquoi pas intégrer des modules comme SourceML qui permet de partager des musiques avec leurs sources.
Ça peut être une idée pour un de vos prochains articles d’ailleurs…
C’est noté, merci ^^ ! C’est quoi vos projets pour la suite ? On peut s’attendre à quelles innovations pour la plateforme ?
Ampache va passer en version 4.0 à la fin de l’année, avec notamment une refonte de son interface. L’objectif : rendre plus visibles des fonctionnalités qui sont bien présentes aujourd’hui mais qui sont cachées, l’abandon de quelques vieilles technologies datant de 2001, l’intégration d’autres plus récentes.
Travailler sur la communauté du site, remettre en forme le forum (qui, petit à petit revient à la vie), les relations entre artistes avec les fonctions communautaires d’Ampache (messages persos, partages)…
Pour que ces innovations adviennent, vous avez besoin de quoi ? De sous, de bras… ?
Ampache a toujours besoin de bras, de développement. Le développement de la version 4.0 va demander pas mal de travail. La traduction de l’interface aussi (espagnol, allemand, portugais, arabe, japonais, russe…).
L’association Musique Libre a toujours besoin de dons pour développer ses actions, imprimer des flyers, des tracts à distribuer lors de concerts, des gens pour les distribuer, des programmateurs de concerts sur des événements libres, sur des web-radios… Nous aimerions aussi proposer une application native pour Dogmazic (Android).
L’association a aussi besoin de personnes pour s’y investir, être à l’écoute de ce qui se passe dans la musique libre, car nous avons des oreilles un peu partout, mais nous ne sommes pas omniscients… !
Nous organisons un concert, le 17 juin, 20h à St Étienne au Pax (27 rue Élisée Reclus), PAF 8€. Avec Bololipsum et Mig Inc. Au menu, art libre avec circuit blending, et électro-noise.
Le 14 juillet, le NetLabel Day. Pour sa 2e édition le Netlabel Day prend de l’ampleur. Initié par les joyeux drilles du netlabel chilien MIST,lLe Netlabel Day représente déjà près de 1800 contributions (contre 150 l’an dernier).
Merci pour tes réponses Alain. En attendant de te retrouver dans un an pour un nouveau bilan je te laisse le dernier mot, tradition oblige.
La musique libre est une alternative, défendre cette possibilité, c’est aussi défendre l’idée que d’autres alternatives puissent exister et se développer.
Dédicaces, BD, DRM et Yukulélé : l’interview Kamoulox.
La dernière fois qu’il a dédicacé dans cette librairie, il a sorti son yukulélé pour des moments… mémorables.
Gee est de retour dans la Librairie A Livr’Ouvert à Paris pour y dédicacer le premier tome de Grise Bouille qu’on vous a présenté il y a quelques semaines sur le framablog. Si vous voulez un beau dessin original sur votre exemplaire, il vous faut donc lui apporter une idée et votre bouille le samedi 28 mai, dès 15h, au 171 boulevard Voltaire à Paris (métro Charonne).
À cette occasion (et parce qu’ils traînaient dans le coin) Frédéric Urbain et Pouhiou l’accompagneront pour présenter leurs romans publiés chez Framabook… mais surtout parce qu’une librairie libriste où Bookynette, la patronne, vous incite à apporter votre clé USB pour que vous téléchargiez les Framabooks qu’elle vend au format papier par ailleurs, c’est rare et précieux !
On ne résiste pas à l’occasion de s’offrir une petite interviouve croisée entre l’auteur de BD et la libraire qui l’accueille…
Questions à Gee (auteur illustrateur) et Bookynette (libraire libriste)
Dis, Gee : Grise Bouille est une anthologie du blog éponyme sur lequel tu dessines, écris, commentes l’actualité, déconnes, vulgarises de l’informatique… Bref : c’est un BD-blog au format papier. C’était facile le passage de l’écran au velin ?
Gee : Eh bah en fait très bien, et ça c’est principalement grâce à un merveilleux logiciel qui s’appelle Inkscape. Comme toutes mes BD sont au format vectoriel et sont assez « aérées » (dessins légers séparés uniquement par des blocs de textes), c’est très simple d’adapter la mise en page à un support papier. En gros, je divise mon dessin en hauteur en autant de pages que nécessaire et j’ajuste chaque élément (dessin, texte) pour qu’il couvre bien chaque page (et qu’il ne tombe pas sur une séparation entre 2 pages !). Là dessus, un petit script qui exporte chaque image en PNG (merci le mode console d’Inkscape), qui découpe chaque image en N pages (merci ImageMagick) et qui génère à la volée les fichiers TEX qui sont finalement inclus dans les sources du bouquin.
Pour être honnête, si je n’avais pas eu ces quelques outils libres (Inkscape et ImageMagick et un bon langage de script), ça m’aurait pris un temps fou. Mais avec un peu de bidouille et quelques commandes bien trouvées, on fait des miracles sous Gnunux 🙂
Du coup, t’es fier du rendu de ce tome ?
Gee : À mort. Et je ne dis pas ça pour me la jouer hein. Mais je suis content parce que je n’avais pas spécialement envisagé le passage au papier quand j’ai fixé le format de mes BD. Du coup c’est une bonne surprise que ça passe bien d’un format à l’autre sans trop avoir à tout retoucher dans tous les sens. Il y a juste les quelques aquarelles à la fin qui sont bien sûr diminuées (en noir et blanc et sur format A5), mais c’est plus un bonus dans le livre.
Et c’est aussi là que je me rends compte que j’en ai écrit un paquet, des BD, en 2015… je ne m’en rendais pas trop compte en ligne puisque chaque BD faisait exactement 1 image (plus ou moins longue), mais quand tu dois séparer en pages, bah tu arrives à un bouquin de plus de 250 pages ! Pas mal, non ?
Et qu’en pense notre libraire : ça se lit bien du blog-BD au format papier ?
Bookynette : Franchement, et c’est là qu’on voit l’expérience acquise, quand on compare Grise Bouille et les GKND, on voit la différence. C’est plus espacé, c’est clair, les textes, plus courts, sont toujours aussi frappants et quel humour ! Je défie quiconque de lire ce livre sans sourire une seule fois ! J’avoue l’avoir commencé à la librairie et être allée jusqu’au bout alors que je pensais me le dévorer le soir même. En quelques mots, quand on tombe dedans, on n’en sort plus. Les sujets sont variés, s’adressent à plein de publics différents, l’humour est élégant et on retrouve l’actualité traitée à la manière Gee ! Un régal.
Bookynette, ne nous cachons rien : tu es connue dans le monde libriste : membre de l’April, de Framasoft, de Parinux… Mais du coup il n’y a pas de grand écart entre libraire et libriste ? Par exemple à tes yeux (et en sortant les grand mots), le livre numérique tue-t-il la littérature ?
Bookynette : C’est difficile de répondre à cette question… Peux-tu définir ce que tu entends par livre numérique?
Il y a plusieurs sortes de livres numériques. Ceux avec et ceux sans DRM. Les DRM réduisent grandement les droits des lecteurs. Pour moi un livre numérique avec DRM est juste un service de location. Alors qu’avec un livre électronique sans DRM, l’utilisateur a globalement les mêmes droits que ceux dont il dispose avec un livre papier. Pour ceux que ça intéresse, je vous conseille cette vidéo que j’ai tournée avec mes coloc :
Pour en revenir à ta question, les livres numériques vendus par les éditeurs français sont tellement « menottés » qu’ils en deviennent quasi aussi chers que le papier. Pour se protéger, les éditeurs passent par des plate-formes professionnelles qui leur imposent les DRM, ce qui leur coûtent aussi cher que des libraires. Bref en France le livre numérique ne prend pas et n’est pas réellement un concurrent des libraires. Sauf pour les titres en langue étrangère… Mais perso, je n’en vends pas 🙂
Tu programmes de nombreuses animations dans ta librairie (dont des soirées Harry Potter)… Alors déjà, où est-ce qu’on trouve le programme, mais surtout : la venue d’une flopée d’auteurs Framabook, c’est un jour comme les autres à la librairie ?
Bookynette : Bon le programme tu le trouves sur mon site : alivrouvert.fr : ateliers pour enfants, club de lecture, soirée Harry Potter et bien sûr dédicaces ! Une journée avec les frama-auteurs c’est la fête non stop, no limite ! J’espère juste qu’il fera beau, parce que trois auteurs comme Pouhiou, Gee et Fred, vu leur carrure, ça va prendre de la place. Du coup, je les mettrais bien sur le trottoir [je sais j’ai déjà fait la blague en interne, mais je l’aime bien]. Et qui dit dédicace Frama, dit apéro après !
Et pour toi, Gee, aller à la rencontre du public et proposer une séance de dédicace…. C’est amusant, stressant, fatiguant ou revigorant ?
Gee : Un peu les quatre ? Bon, okay, pas spécialement stressant. Mais amusant parce qu’on rigole toujours bien avec les framacopains et ça fait toujours plaisir de rencontrer (ou de re-rencontrer) des lecteurs… surtout quand ce sont ceux à qui on parle déjà régulièrement sur les rézozozios 🙂
Bref, Grise Bouille, ce sont de longues heures solitaires à dessiner derrière un écran. Là, on voit des gens, on boit un coup, on passe un bon moment. D’où le côté revigorant. Et après, comme je suis ce qu’on appelle un « introverti » (si vous pensez que ça veut dire « timide », renseignez-vous un peu plus sur le sujet 🙂 ), j’ai toujours besoin de me poser tranquillement et au calme pendant un certain temps après ce genre d’événement pour recharger les batteries. Donc c’est fatiguant aussi (mais c’est bien d’être fatigué, des fois).
Bookynette, tu es une des (trop) rares librairies à proposer les Framabooks… Pourquoi ? C’est compliqué pour une librairie de proposer des éditeurs « hors normes » ? Et donc est-ce que c’est important pour toi en tant que libraire cette fonction de prescriptrice ?
Bookynette : Tout éditeur de livre qui ne passe pas un gros distributeur a du mal à se retrouver en librairie. Et puis les libraires n’aiment pas se compliquer la vie. Sans oublier que les Framabooks sont un peu hors norme… Il y a peu de demandes/clients pour les livres d’informatique, de thermodynamique et même de SF. Je ne sais pas si je suis prescriptrice mais en tout cas, je suis devenue fournisseuse officielle des franciliens et des librairies parisiennes (qui s’adressent à moi en m’envoyant leur coursier).
Si je me suis engagée à distribuer les Framabooks, sans marger, c’est parce que j’ai trouvé dommage de devoir obligatoirement passer un site internet En vente libre. En tant que libraire, libriste de surcroît, je me devais de distribuer ces livres et les rendre plus accessibles à tous les parisiens. C’était ma première contribution à Framasoft, maintenant je suis membre depuis peu et j’espère continuer à participer à cette association aussi vivante !
Concrètement vous deux, qu’est-ce qu’il va se passer le 28 mai, au 171 boulevard Voltaire ? On va (encore) y renverser du poiré ?
Gee : Alors moi je ne suis pas absolument pas responsable, mais j’ai vaguement entendu le mot « apéro » prononcé. Après, c’est p’têt une rumeur… sinon moi je dédicacerai à peu près tout ce que vous me mettrez sous le pinceau (ceci n’est pas un défi, ne mettez pas n’importe quoi sous mes pinceaux, merci). Et après si vous voulez juste passer pour tailler le bout de gras (c’est la vie), vous pouvez venir aussi, on mord pas (à part les bouts de gras, mais là c’est aut’chose).
Bookynette : Moi qui suis censée être responsable, dès 14h45, je vais installer une porte (et oui !) sur des tréteaux, avec une jolie nappe et des chaises hautes. Pi je vais acheter de quoi boire et manger, mais y aura pas de poiré car suis pas allée en Normandie cette année (gros sniff – suis en manque). Donc faudra vous contenter de bière et de chips (ça te fait rien de savoir qu’on va manger des chips ?! – la classe).
#défi : j’espère bien boire autant de verres que de livres vendus. 😀 Et puis je suis une fan du Yukulélé de Gee, donc y aura de la chanson.
Comme d’hab sur le framablog, on vous laisse le mot (ou le dessin) de le fin !