Le Libre peut-il faire le poids ?

Dans un article assez lucide de son blog que nous reproduisons ici, Dada remue un peu le fer dans la plaie.

Faiblesse économique du Libre, faiblesse encore des communautés actives dans le développement et la maintenance des logiciels et systèmes, manque de visibilité hors du champ de perception de beaucoup de DSI. En face, les forces redoutables de l’argent investi à perte pour tuer la concurrence, les forces tout aussi redoutables des entreprises-léviathans qui phagocytent lentement mais sûrement les fleurons du Libre et de l’open source…

Lucide donc, mais aussi tout à fait convaincu depuis longtemps de l’intérêt des valeurs du Libre, Dada appelle de ses vœux l’émergence d’entreprises éthiques qui permettraient d’y travailler sans honte et d’y gagner sa vie décemment. Elles sont bien trop rares semble-t-il.

D’où ses interrogations, qu’il nous a paru pertinent de vous faire partager. Que cette question cruciale soit l’occasion d’un libre débat : faites-nous part de vos réactions, observations, témoignages dans les commentaires qui comme toujours sont ouverts et modérés. Et pourquoi pas dans les colonnes de ce blog si vous désirez plus longuement exposer vos réflexions.


L’économie du numérique et du Libre

par Dada

Republication de l’article original publié sur son blog

Image par Mike Lawrence (CC BY 2.0)

 

Avec des projets plein la tête, ou plutôt des envies, et le temps libre que j’ai choisi de me donner en n’ayant pas de boulot depuis quelques mois, j’ai le loisir de m’interroger sur l’économie du numérique. Je lis beaucoup d’articles et utilise énormément Mastodon pour me forger des opinions.

Ce billet a pour origine cet entretien de Frédéric Fréry sur France Culture : Plus Uber perd, plus Uber gagne.

Ubérisation d’Uber

Je vous invite à vraiment prendre le temps de l’écouter, c’est franchement passionnant. On y apprend, en gros, que l’économie des géants du numérique est, pour certains, basée sur une attitude extrêmement agressive : il faut être le moins cher possible, perdre de l’argent à en crever et lever des fonds à tire-larigot pour abattre ses concurrents avec comme logique un pari sur la quantité d’argent disponible à perdre par participants. Celui qui ne peut plus se permettre de vider les poches de ses actionnaires a perdu. Tout simplement. Si ces entreprises imaginent, un jour, remonter leurs prix pour envisager d’être à l’équilibre ou rentable, l’argument du « ce n’est pas possible puisque ça rouvrira une possibilité de concurrence » sortira du chapeau de ces génies pour l’interdire. Du capitalisme qui marche sur la tête.

L’investissement sécurisé

La deuxième grande technique des géants du numérique est basée sur la revente de statistiques collectées auprès de leurs utilisateurs. Ces données privées que vous fournissez à Google, Facebook Inc,, Twitter & co permettent à ces sociétés de disposer d’une masse d’informations telle que des entreprises sont prêtes à dégainer leurs portefeuilles pour en dégager des tendances.

Je m’amuse souvent à raconter que si les séries et les films se ressemblent beaucoup, ce n’est pas uniquement parce que le temps passe et qu’on se lasse des vieilles ficelles, c’est aussi parce que les énormes investissements engagés dans ces productions culturelles sont basés sur des dossiers mettant en avant le respect d’un certain nombre de « bonnes pratiques » captant l’attention du plus gros panel possible de consommateurs ciblés.

Avec toutes ces données, il est simple de savoir quel acteur ou quelle actrice est à la mode, pour quelle tranche d’âge, quelle dose d’action, de cul ou de romantisme dégoulinant il faut, trouver la période de l’année pour la bande annonce, sortie officielle, etc. Ça donne une recette presque magique. Comme les investisseurs sont friands de rentabilité, on se retrouve avec des productions culturelles calquées sur des besoins connus : c’est rassurant, c’est rentable, c’est à moindre risque. Pas de complot autour de l’impérialisme américain, juste une histoire de gros sous.

Cette capacité de retour sur investissement est aussi valable pour le monde politique, avec Barack OBAMA comme premier grand bénéficiaire ou encore cette histoire de Cambridge Analytica.

C’est ça, ce qu’on appelle le Big Data, ses divers intérêts au service du demandeur et la masse de pognon qu’il rapporte aux grands collecteurs de données.

La pub

Une troisième technique consiste à reprendre les données collectées auprès des utilisateurs pour afficher de la pub ciblée, donc plus efficace, donc plus cher. C’est une technique connue, alors je ne développe pas. Chose marrante, quand même, je ne retrouve pas l’étude (commentez si vous mettez la main dessus !) mais je sais que la capacité de ciblage est tellement précise qu’elle peut effrayer les consommateurs. Pour calmer l’angoisse des internautes, certaines pubs sans intérêt vous sont volontairement proposées pour corriger le tir.

Les hommes-sandwichs

Une autre technique est plus sournoise. Pas pour nous autres, vieux loubards, mais pour les jeunes : le placement produit. Même si certain Youtubeurs en font des blagues pas drôles (Norman…), ce truc est d’un vicieux.

Nos réseaux sociaux n’attirent pas autant de monde qu’espéré pour une raison assez basique : les influenceurs et influenceuses. Ces derniers sont des stars, au choix parce qu’ils sont connus de par leurs activités précédentes (cinéma, série, musique, sport, etc.) ou parce que ces personnes ont réussi à amasser un tel nombre de followers qu’un simple message sur Twitter, Youtube ou Instagram se cale sous les yeux d’un monstrueux troupeau. Ils gagnent le statut d’influenceur de par la masse de gens qui s’intéresse à leurs vies (lapsus, j’ai d’abord écrit vide à la place de vie). J’ai en tête l’histoire de cette jeune Léa, par exemple. Ces influenceurs sont friands de plateformes taillées pour leur offrir de la visibilité et clairement organisées pour attirer l’œil des Directeurs de Communication des marques. Mastodon, Pixelfed, diaspora* et les autres ne permettent pas de spammer leurs utilisateurs, n’attirent donc pas les marques, qui sont la cible des influenceurs, ces derniers n’y dégageant, in fine, aucun besoin d’y être présents.

Ces gens-là deviennent les nouveaux « hommes-sandwichs ». Ils ou elles sont contacté⋅e⋅s pour porter tel ou tel vêtement, boire telle boisson ou pour seulement poster un message avec le nom d’un jeu. Les marques les adorent et l’argent coule à flot.

On peut attendre

Bref, l’économie du numérique n’est pas si difficile que ça à cerner, même si je ne parle pas de tout. Ce qui m’intéresse dans toutes ces histoires est la stabilité de ces conneries sur le long terme et la possibilité de proposer autre chose. On peut attendre que les Uber se cassent la figure calmement, on peut attendre que le droit décide enfin de protéger les données des utilisateurs, on peut aussi attendre le jour où les consommateurs comprendront qu’ils sont les seuls responsables de l’inintérêt de ce qu’ils regardent à la télé, au cinéma, en photos ou encore que les mastodontes du numérique soient démantelés. Bref, on peut attendre. La question est : qu’aurons-nous à proposer quand tout ceci finira par se produire ?

La LowTech

Après la FinTech, la LegalTech, etc, faites place à la LowTech ou SmallTech. Je ne connaissais pas ces expressions avant de tomber sur cet article dans le Framablog et celui de Ubsek & Rica d’Aral. On y apprend que c’est un mouvement qui s’oppose frontalement aux géants, ce qui est fantastique. C’est une vision du monde qui me va très bien, en tant que militant du Libre depuis plus de 10 ans maintenant. On peut visiblement le rapprocher de l’initiative CHATONS.

Cependant, j’ai du mal à saisir les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour sa réussite.

Les mentalités

Les mentalités actuelles sont cloisonnées : le Libre, même s’il s’impose dans quelques domaines, reste mal compris. Rien que l’idée d’utiliser un programme au code source ouvert donne des sueurs froides à bon nombre de DSI. Comment peut-on se protéger des méchants si tout le monde peut analyser le code et en sortir la faille de sécurité qui va bien ? Comment se démarquer des concurrents si tout le monde se sert du même logiciel ? Regardez le dernier changelog : il est plein de failles béantes : ce n’est pas sérieux !

Parlons aussi de son mode de fonctionnement : qui se souvient d’OpenSSL utilisé par tout le monde et abandonné pendant des années au bénévolat de quelques courageux qui n’ont pas pu empêcher l’arrivée de failles volontaires ? Certains projets sont fantastiques, vraiment, mais les gens ont du mal à réaliser qu’ils sont, certes, très utilisés mais peu soutenus. Vous connaissez beaucoup d’entreprises pour lesquelles vous avez bossé qui refilent une petite partie de leurs bénéfices aux projets libres qui les font vivre ?

Le numérique libre et la Presse

Les gens, les éventuels clients des LowTech, ont plus ou moins grandi dans une société du gratuit. L’autre jour, je m’amusais à comparer les services informatiques à la Presse. Les journaux ont du mal à se sortir du modèle gratuit. Certains y arrivent (Mediapart, Arrêts sur Image : abonnez-vous !), d’autres, largement majoritaires, non.

Il n’est pas difficile de retrouver les montants des subventions que l’État français offre à ces derniers. Libération en parle ici. Après avoir noué des partenariats tous azimuts avec les GAFAM, après avoir noyé leurs contenus dans de la pub, les journaux en ligne se tournent doucement vers le modèle payant pour se sortir du bourbier dans lequel ils se sont mis tout seuls. Le résultat est très moyen, si ce n’est mauvais. Les subventions sont toujours bien là, le mirage des partenariats avec les GAFAM aveugle toujours et les rares qui s’en sont sortis se comptent sur les doigts d’une main.

On peut faire un vrai parallèle entre la situation de la Presse en ligne et les services numériques. Trouver des gens pour payer l’accès à un Nextcloud, un Matomo ou que sais-je est une gageure. La seule différence qui me vient à l’esprit est que des services en ligne arrivent à s’en sortir en coinçant leurs utilisateurs dans des silos : vous avez un Windows ? Vous vous servirez des trucs de Microsoft. Vous avez un compte Gmail, vous vous servirez des trucs de Google. Les premiers Go sont gratuits, les autres seront payants. Là où les journaux généralistes ne peuvent coincer leurs lecteurs, les géants du numérique le peuvent sans trop de souci.

Et le libre ?

Profil de libriste sur Mastodon.

Dans tout ça, les LowTech libres peuvent essayer de s’organiser pour subvenir aux besoins éthiques de leurs clients. Réflexion faite, cette dernière phrase n’a pas tant que ça de sens : comment une entreprise peut-elle s’en sortir alors que l’idéologie derrière cette mouvance favorise l’adhésion à des associations ou à rejoindre des collectifs ? Perso, je l’ai déjà dit, j’adhère volontiers à cette vision du monde horizontale et solidaire. Malgré tout, mon envie de travailler, d’avoir un salaire, une couverture sociale, une activité rentable, et peut-être un jour une retraite, me poussent à grimacer. Si les bribes d’idéologie LowTech orientent les gens vers des associations, comment fait-on pour sortir de terre une entreprise éthique, rentable et solidaire ?

On ne s’en sort pas, ou très difficilement, ou je n’ai pas réussi à imaginer comment. L’idée, connue, serait de s’attaquer au marché des entreprises et des collectivités pour laisser celui des particuliers aux associations sérieuses. Mais là encore, on remet un pied dans le combat pour les logiciels libres contre les logiciels propriétaires dans une arène encerclée par des DSI pas toujours à jour. Sans parler de la compétitivité, ce mot adoré par notre Président, et de l’état des finances de ces entités. Faire le poids face à la concurrence actuelle, même avec les mots « éthique, solidaire et responsable » gravés sur le front, n’est pas évident du tout.

Proie

Si je vous parle de tout ça, c’est parce que j’estime que nous sommes dans une situation difficile : celle d’une proie. Je ne vais pas reparler de l’achat de Nginx, de ce qu’il se passe avec ElasticSearch ou du comportement de Google qui forke à tout va pour ses besoins dans Chrome. Cette conférence vue au FOSDEM, The Cloud Is Just Another Sun, résonne terriblement en moi. L’intervenant y explique que les outils libres que nous utilisons dans le cloud sont incontrôlables. Qui vous certifie que vous tapez bien dans un MariaDB ou un ES quand vous n’avez accès qu’a une boite noire qui ne fait que répondre à vos requêtes ? Rien.

Nous n’avons pas trouvé le moyen de nous protéger dans le monde dans lequel nous vivons. Des licences ralentissent le processus de digestion en cours par les géants du numérique et c’est tout. Notre belle vision du monde, globalement, se fait bouffer et les poches de résistance sont minuscules.

skieur qui dévale une pente neigeuse sur fond de massif montagneux, plus bas
Le Libre est-il sur une pente dangereuse ou en train de négocier brillamment un virage ? Page d’accueil du site d’entreprise https://befox.fr/

Pour finir

Pour finir, ne mettons pas complètement de côté l’existence réelle d’un marché : Nextcloud en est la preuve, tout comme Dolibarr et la campagne de financement réussie d’OpenDSI. Tout n’est peut-être pas vraiment perdu. C’est juste très compliqué.

La bonne nouvelle, s’il y en a bien une, c’est qu’en parlant de tout ça dans Mastodon, je vous assure que si une entreprise du libre se lançait demain, nous serions un bon nombre prêt à tout plaquer pour y travailler. À attendre d’hypothétiques clients, qu’on cherche toujours, certes, mais dans la joie et la bonne humeur.

 

Enfin voilà, des réflexions, des idées, beaucoup de questions. On arrive à plus de 1900 mots, de quoi faire plaisir à Cyrille BORNE.

 

Des bisous.

 




Demain, les nains…

Et si les géants de la technologie numérique étaient concurrencés et peut-être remplacés par les nains des technologies modestes et respectueuses des êtres humains ?

Telle est l’utopie qu’expose Aral Balkan ci-dessous. Faut-il préciser que chez Framasoft, nous avons l’impression d’être en phase avec cette démarche et de cocher déjà des cases qui font de nous ce qu’Aral appelle une Small Tech (littéralement : les petites technologies) par opposition aux Big Tech, autrement dit les GAFAM et leurs successeurs déjà en embuscade pour leur disputer les positions hégémoniques.

Article original sur le blog d’Aral Balkan : Small technology

L’antidote aux Big tech : la Small Tech

une basket posée sur le rebord d’un carrelage, avec une minuscule plante qui pointe quelques feuilles et qui sort du joint entre deux tuiles.

Les géants du numérique, avec leurs « licornes » à plusieurs milliards de dollars, nous ont confisqué le potentiel d’Internet. Alimentée par la très courte vue et la rapacité du capital-risque et des start-ups, la vision utopique d’une ressource commune décentralisée et démocratique s’est transformée en l’autocratie dystopique des panopticons de la Silicon Valley que nous appelons le capitalisme de surveillance. Cette mutation menace non seulement nos démocraties, mais aussi l’intégrité même de notre personne à l’ère du numérique et des réseaux1.

Alors que la conception éthique décrit sans ambiguïté les critères et les caractéristiques des alternatives éthiques au capitalisme de surveillance, c’est l’éthique elle-même qui est annexée par les Big Tech dans des opérations de relations publiques qui détournent l’attention des questions systémiques centrales2 pour mettre sous les projecteurs des symptômes superficiels3.

Nous avons besoin d’un antidote au capitalisme de surveillance qui soit tellement contradictoire avec les intérêts des Big Tech qu’il ne puisse être récupéré par eux. Il doit avoir des caractéristiques et des objectifs clairs et simples impossibles à mal interpréter. Et il doit fournir une alternative viable et pratique à la mainmise de la Silicon Valley sur les technologies et la société en général.

Cet antidote, c’est la Small Tech.

Small Tech

  • elle est conçue par des humains pour des humains 4 ;
  • elle n’a pas de but lucratif 5 ;
  • elle est créée par des individus et des organisations sans capitaux propres6 ;
  • elle ne bénéficie d’aucun financement par le capitalisme de la surveillance des Big Tech7 ;
  • elle respecte la vie privée par défaut8 ;
  • elle fonctionne en pair à pair9 ;
  • elle est copyleft10 ;
  • elle favorise les petits plutôt que les grands, les simples plutôt que les complexes et tout ce qui est modulaire plutôt que monolithique11 ;
  • elle respecte les droits humains, leurs efforts et leur expérience12 ;
  • elle est à l’échelle humaine13.

Ces critères signifient que la Small Tech :

  • est la propriété des individus qui la contrôlent, et non des entreprises ou des gouvernements ;
  • respecte, protège et renforce l’intégrité de la personne humaine, des droits humains, de la justice sociale et de la démocratie à l’ère du numérique en réseau ;
  • encourage une organisation politique non-hiérarchisée et où les décisions sont prises à l’échelle humaine ;
  • alimente un bien commun sain ;
  • est soutenable ;
  • sera un jour financée par les communs, pour le bien commun.
  • ne rapportera jamais des milliards à quiconque.

  1. Lectures suggérées : La nature du « soi » à l’ère numérique, Encourager la maîtrise de chacun et la bonne santé des biens communs, et Nous n’avons pas perdu le contrôle du Web — on nous l’a volé[retour]
  2. Nous avons un système dans lequel 99.99999% des investissements financent les entreprises qui reposent sur la surveillance et se donnent pour mission de croître de façon exponentielle en violant la vie privée de la population en général [retour]
  3.  « Attention » et « addiction ». S’il est vrai que les capitalistes de la surveillance veulent attirer notre attention et nous rendre dépendants à leurs produits, ils ne le font pas comme une fin en soi, mais parce que plus nous utilisons leurs produits, plus ils peuvent nous exploiter pour nos données. Des entreprises comme Google et Facebook sont des fermes industrielles pour les êtres humains. Leurs produits sont les machines agricoles. Ils doivent fournir une façade brillante pour garder notre attention et nous rendre dépendants afin que nous, le bétail, puissions volontairement nous autoriser à être exploités. Ces institutions ne peuvent être réformées. Les Big Tech ne peuvent être réglementées que de la même manière que la Big Tobacco pour réduire ses méfaits sur la société. Nous pouvons et devrions investir dans une alternative éthique : la Small Tech. [retour]
  4. La petite technologie établit une relation d’humain à humain par nature. Plus précisément, elle n’est pas créée par des sociétés à but lucratif pour exploiter les individus – ce qu’on appelle la technologie entreprise vers consommateur. Il ne s’agit pas non plus d’une technologie construite par des entreprises pour d’autres entreprises [retour]
  5. Nous construisons la Small Tech principalement pour le bien commun, pas pour faire du profit. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne tenons pas compte du système économique dans lequel nous nous trouvons actuellement enlisés ou du fait que les solutions de rechange que nous élaborons doivent être durables. Même si nous espérons qu’un jour Small Tech sera financé par les deniers publics, pour le bien commun, nous ne pouvons pas attendre que nos politiciens et nos décideurs politiques se réveillent et mettent en œuvre un tel changement social. Alors que nous devons survivre dans le capitalisme, nous pouvons vendre et faire des profits avec la Small Tech. Mais ce n’est pas notre but premier. Nos organisations se préoccupent avant tout des méthodes durables pour créer des outils qui donnent du pouvoir aux gens sans les exploiter, et non de faire du profit. Small Tech n’est pas une organisation caritative, mais une organisation à but non lucratif.[retour]
  6. Les organisations disposant de capitaux propres sont détenues et peuvent donc être vendues. En revanche, les organisations sans capital social (par exemple, les sociétés à responsabilité limitée par garantie en Irlande et au Royaume-Uni) ne peuvent être vendues. De plus, si une organisation a du capital-risque, on peut considérer qu’elle a déjà été vendue au moment de l’investissement car, si elle n’échoue pas, elle doit se retirer (être achetée par une grande société ou par le public en général lors d’une introduction en bourse). Les investisseurs en capital-risque investissent l’argent de leurs clients dans la sortie. La sortie est la façon dont ces investisseurs font leur retour sur investissement. Nous évitons cette pilule toxique dans la Small Tech en créant des organisations sans capitaux propres qui ne peuvent être vendues. La Silicon Valley a des entreprises de jetables qu’ils appellent des startups. Nous avons des organisations durables qui travaillent pour le bien commun que nous appelons Stayups (Note de Traduction : jeu de mots avec le verbe to stay signifie « demeurer »).[retour]
  7. La révolution ne sera pas parrainée par ceux contre qui nous nous révoltons. Small Tech rejette le parrainage par des capitalistes de la surveillance. Nous ne permettrons pas que nos efforts soient utilisés comme des relations publiques pour légitimer et blanchir le modèle d’affaires toxique des Big Tech et les aider à éviter une réglementation efficace pour mettre un frein à leurs abus et donner une chance aux alternatives éthiques de prospérer.[retour]
  8. La vie privée, c’est avoir le droit de décider de ce que vous gardez pour vous et de ce que vous partagez avec les autres. Par conséquent, la seule définition de la protection de la vie privée qui importe est celle de la vie privée par défaut. Cela signifie que nous concevons la Small Tech de sorte que les données des gens restent sur leurs appareils. S’il y a une raison légitime pour laquelle cela n’est pas possible (par exemple, nous avons besoin d’un nœud permanent dans un système de pair à pair pour garantir l’accessibilité et la disponibilité), nous nous assurons que les données sont chiffrées de bout en bout et que l’individu qui possède l’outil possède les clés des informations privées et puisse contrôler seul qui est à chacun des « bouts » (pour éviter le spectre du Ghosting).[retour]
  9. La configuration de base de notre technologie est le pair à pair : un système a-centré dans lequel tous les nœuds sont égaux. Les nœuds sur lesquels les individus n’ont pas de contrôle direct (p. ex., le nœud toujours actif dans le système pair à pair mentionné dans la note précédente) sont des nœuds de relais non fiables et non privilégiés qui n’ont jamais d’accès aux informations personnelles des personnes.[retour]
  10. Afin d’assurer un bien commun sain, nous devons protéger le bien commun contre l’exploitation et de l’enfermement. La Small Tech utilise des licences copyleft pour s’assurer que si vous bénéficiez des biens communs, vous devez redonner aux biens communs. Cela empêche également les Big Tech d’embrasser et d’étendre notre travail pour finalement nous en exclure en utilisant leur vaste concentration de richesse et de pouvoir.[retour]
  11. La Small Tech est influencé en grande partie par la richesse du travail existant des concepteurs et développeurs inspirants de la communauté JavaScript qui ont donné naissance aux communautés DAT et Scuttlebutt. Leur philosophie, qui consiste à créer des composants pragmatiques, modulaires, minimalistes et à l’échelle humaine, aboutit à une technologie qui est accessible aux individus, qui peut être maintenue par eux et qui leur profite. Leur approche, qui est aussi la nôtre, repose sur la philosophie d’UNIX.[retour]
  12. La Small Tech adhère  au manifeste du Design éthique.[retour]
  13. La Small Tech est conçue par des humains, pour des humains ; c’est une approche résolument non-coloniale. Elle n’est pas créée par des humains plus intelligents pour des humains plus bêtes (par exemple, par des développeurs pour des utilisateurs – nous n’utilisons pas le terme utilisateur dans Small Tech. On appelle les personnes, des personnes.) Nous élaborons nos outils aussi simplement que possible pour qu’ils puissent être compris, maintenus et améliorés par le plus grand nombre. Nous n’avons pas l’arrogance de supposer que les gens feront des efforts excessifs pour apprendre nos outils. Nous nous efforçons de les rendre intuitifs et faciles à utiliser. Nous réalisons de belles fonctionnalités par défaut et nous arrondissons les angles. N’oubliez pas : la complexité survient d’elle-même, mais la simplicité, vous devez vous efforcer de l’atteindre. Dans la Small Tech, trop intelligent est une façon de dire stupide. Comme le dit Brian Kernighan : « Le débogage est deux fois plus difficile que l’écriture du premier jet de code. Par conséquent, si vous écrivez du code aussi intelligemment que possible, vous n’êtes, par définition, pas assez intelligent pour le déboguer. » Nous nous inspirons de l’esprit de la citation de Brian et l’appliquons à tous les niveaux : financement, structure organisationnelle, conception du produit, son développement, son déploiement et au-delà.[retour]

Crédit photo : Small Things, Big Things by Sherman Geronimo-Tan. Licence Creative Commons Attribution.

[retour]




Désinformation, le rapport – 1

La traduction suivante est la brève présentation initiale du long rapport final élaboré par le comité « Digital, Culture, Media and Sport » du Parlement britannique, publié le 14 février dernier, sur la désinformation.

Ce rapport interpelle les plus hauts responsables politiques du Royaume-Uni sur de nombreux sujets d’actualité qu’il aborde sans concessions :

  • Le profilage et l’utilisation des données d’utilisateur de service
  • La non-régulation des géants d’Internet dont Facebook
  • Les scandales liés au Brexit, Aggregate IQ, SCL et Cambridge Analytica
  • Les publicités politiques et la manipulation d’élections
  • La campagne de désinformation de la Russie
  • Les lacunes des citoyens dans leurs pratiques et compétences numériques, voire leur illectronisme.

Le groupe Framalang a entrepris de vous communiquer l’intégralité du rapport en feuilleton suivant l’avancement de la traduction.

Vous trouverez le texte intégral en suivant ce lien vers le PDF original (3,8 Mo) : https://publications.parliament.uk/pa/cm201719/cmselect/cmcumeds/1791/1791.pdf

La traduction est effectuée par le groupe Framalang, avec l’aide de toutes celles et ceux qui qui veulent bien participer : Penguin, Lumibd, goofy, maximefolschette, Maestox, Mika, Khrys, serici, Barbara, Cyrilus, simon

Page de couverture du rapport des Commons britanniques sur la désinformation.
Page de couverture du rapport des Commons britanniques sur la désinformation.

Résumé

Voici le rapport final d’une enquête sur la désinformation qui s’est étalée sur 18 mois. Elle couvre les droits des individus concernant leur vie privée, la manière dont leurs choix politiques peuvent être influencés par l’information en ligne et l’ingérence dans les scrutins politiques, tant au Royaume-Uni que dans le monde, animée par des forces malveillantes qui sèment la confusion et la discorde.

Nous nous sommes appuyés sur les pouvoirs du système de Comités, en exigeant des preuves et en obtenant des documents sous scellés dans les systèmes juridiques d’autres pays. Nous avons invité les représentants démocratiquement élus de huit autres pays à rejoindre notre comité au Royaume-Uni afin de créer un « Grand Comité international », le premier du genre, pour promouvoir davantage de coopération transnationale et endiguer la diffusion de la désinformation et sa capacité pernicieuse à dénaturer, perturber et déstabiliser. Au travers de cette enquête nous avons bénéficié de la coopération d’autres parlements. Ce travail est continu, avec de nouvelles sessions planifiées en 2019. Il s’agit de mettre en avant une volonté d’agir à l’échelle mondiale pour s’attaquer à des problématiques similaires à celles que nous avons identifiées dans d’autres juridictions.

C’est le rapport final de notre enquête, mais ce ne sera pas notre dernier mot.

Nous avons toujours connu la propagande et les préjugés politiques, qui se targuent d’être de l’information, mais cette activité a pris de nouvelles formes et a été grandement amplifiée par les technologies de l’information et l’omniprésence des réseaux sociaux. Dans cet environnement, les utilisateurs acceptent et accordent du crédit aux informations qui confortent leur point de vue, même si elles sont déformées ou fausses, tout en rejetant le contenu contradictoire comme des fake news. Cela a un effet de polarisation qui réduit la base commune de faits objectifs sur laquelle un débat raisonné peut s’appuyer. On a beaucoup parlé de la grossièreté du débat public mais lorsque ces éléments interfèrent directement avec les processus électoraux, les fondements mêmes de notre démocratie se trouvent menacés.

Il est peu probable que la situation change. Une évolution nécessaire serait la mise en application d’une plus grande transparence dans la sphère numérique, afin de s’assurer de connaître la source de ce que nous sommes en train de lire, de savoir qui a payé pour cela et pourquoi cette information nous a été envoyée.

Nous avons besoin de comprendre comment les géants de l’Internet travaillent et ce qu’il advient de nos données. Facebook opère sa surveillance à la fois sur ceux qui l’utilisent et sur ceux qui ne l’utilisent pas, en pistant leurs activités et en conservant leurs données. Cette entreprise gagne de l’argent en vendant l’accès aux données de ses utilisateurs à travers ses outils à visée publicitaire. Elle accroît davantage encore sa valeur via un échange de données réciproque et global avec des développeurs d’applications majeures qui font leurs affaires à travers la plateforme de Facebook.

Pendant ce temps, parmi les innombrables messages inoffensifs avec des photos de vacances ou d’anniversaires, des forces malveillantes utilisent Facebook pour menacer et harceler, pour divulguer des images intimes par représailles, pour répandre des propos haineux et de propagande de toute sorte ainsi que pour influencer des élections et des processus démocratiques, autant de choses que Facebook, et les autres réseaux sociaux, ne veulent pas ou ne peuvent pas enrayer. Nous devons appliquer les principes démocratiques universels aux outils de l’ère numérique.

Les géants de l’Internet ne doivent pas être autorisés à croître exponentiellement, sans contrainte ni surveillance réglementaire appropriée. Mais seuls les gouvernements et les lois sont suffisamment puissants pour les y contraindre. Les outils législatifs existent déjà. Il faut maintenant les appliquer au numérique à l’aide d’outils tels que les lois sur la protection de la vie privée, les lois sur la protection des données, les lois antitrust et les lois sur le droit de la concurrence.

Si les entreprises deviennent des monopoles, elles peuvent être démantelées, dans n’importe quel domaine. Le traitement des données personnelles par Facebook et leur utilisation dans le cadre de campagnes politiques sont les domaines primordiaux que les organismes de réglementation doivent légitimement inspecter. Facebook ne devrait pas être en mesure de se soustraire à toute responsabilité éditoriale pour les contenus partagés par ses utilisateurs sur ses plateformes.

Dans une démocratie, nous devons faire l’expérience de la pluralité des voix et, surtout, posséder les compétences, l’expérience et les connaissances nécessaires pour évaluer la véracité de ces voix. Bien qu’Internet ait apporté de nombreuses libertés dans le monde entier et une capacité de communication sans précédent, il comporte également la capacité insidieuse de déformer, d’induire en erreur et de produire haine et instabilité. Il fonctionne à une échelle et à une vitesse sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

L’un des témoins à notre enquête, Tristan Harris, du Center for Humane Technology, basé aux États-Unis, décrit l’utilisation actuelle de la technologie comme un « détournement de nos esprits et de notre société ». Nous devons plutôt utiliser la technologie pour libérer nos esprits et recourir à la réglementation pour rétablir la responsabilité démocratique. Nous devons nous assurer que les humains restent aux commandes des machines.




Nous devons nous passer de Chrome

Chrome, de navigateur internet novateur et ouvert, est devenu au fil des années un rouage essentiel de la domination d’Internet par Google. Cet article détaille les raisons pour lesquelles Chrome asphyxie le Web ouvert et pourquoi il faudrait passer sur un autre navigateur tel Vivaldi ou Firefox.

Article original : https://redalemeden.com/blog/2019/we-need-chrome-no-more

Traduction Framalang : mo, Khrys, Penguin, goofy, Moutmout, audionuma, simon, gangsoleil, Bullcheat, un anonyme

Nous n’avons plus besoin de Chrome

par Reda Lemeden

Il y a dix ans, nous avons eu besoin de Google Chrome pour libérer le Web de l’hégémonie des entreprises, et nous avons réussi à le faire pendant une courte période. Aujourd’hui, sa domination étouffe la plateforme même qu’il a autrefois sauvée des griffes de Microsoft. Et personne, à part Google, n’a besoin de ça.

Nous sommes en 2008. Microsoft a toujours une ferme emprise sur le marché des navigateurs web. Six années se sont écoulées depuis que Mozilla a sorti Firefox, un concurrent direct d’Internet Explorer. Google, l’entreprise derrière le moteur de recherche que tout le monde aimait à ce moment-là, vient d’annoncer qu’il entre dans la danse. Chrome était né.

Au bout de deux ans, Chrome représentait 15 % de l’ensemble du trafic web sur les ordinateurs fixes — pour comparer, il a fallu 6 ans à Firefox pour atteindre ce niveau. Google a réussi à fournir un navigateur rapide et judicieusement conçu qui a connu un succès immédiat parmi les utilisateurs et les développeurs Web. Les innovations et les prouesses d’ingénierie de leur produit étaient une bouffée d’air frais, et leur dévouement à l’open source la cerise sur le gâteau. Au fil des ans, Google a continué à montrer l’exemple en adoptant les standards du Web.

Avançons d’une décennie. Le paysage des navigateurs Web est très différent. Chrome est le navigateur le plus répandu de la planète, faisant de facto de Google le gardien du Web, à la fois sur mobile et sur ordinateur fixe, partout sauf dans une poignée de régions du monde. Le navigateur est préinstallé sur la plupart des téléphones Android vendus hors de Chine, et sert d’interface utilisateur pour Chrome OS, l’incursion de Google dans les systèmes d’exploitation pour ordinateurs fixe et tablettes. Ce qui a commencé comme un navigateur d’avant-garde respectant les standards est maintenant une plateforme tentaculaire qui n’épargne aucun domaine de l’informatique moderne.

Bien que le navigateur Chrome ne soit pas lui-même open source, la plupart de ses composantes internes le sont. Chromium, la portion non-propriétaire de Chrome, a été rendue open source très tôt, avec une licence laissant de larges marges de manœuvre, en signe de dévouement à la communauté du Web ouvert. En tant que navigateur riche en fonctionnalités, Chromium est devenu très populaire auprès des utilisateurs de Linux. En tant que projet open source, il a de nombreux adeptes dans l’écosystème open source, et a souvent été utilisé comme base pour d’autres navigateurs ou applications.

Tant Chrome que Chromium se basent sur Blink, le moteur de rendu qui a démarré comme un fork de WebKit en 2013, lorsque l’insatisfaction de Google grandissait envers le projet mené par Apple. Blink a continué de croître depuis lors, et va continuer de prospérer lorsque Microsoft commencera à l’utiliser pour son navigateur Edge.

La plateforme Chrome a profondément changé le Web. Et plus encore. L’adoption des technologies web dans le développement des logiciels PC a connu une augmentation sans précédent dans les 5 dernières années, avec des projets comme Github Electron, qui s’imposent sur chaque OS majeur comme les standards de facto pour des applications multiplateformes. ChromeOS, quoique toujours minoritaire comparé à Windows et MacOS, s’installe dans les esprits et gagne des parts de marché.

Chrome est, de fait, partout. Et c’est une mauvaise nouvelle

Don’t Be Evil

L’hégémonie de Chrome a un effet négatif majeur sur le Web en tant que plateforme ouverte : les développeurs boudent de plus en plus les autres navigateurs lors de leurs tests et de leurs débogages. Si cela fonctionne comme prévu sur Chrome, c’est prêt à être diffusé. Cela engendre en retour un afflux d’utilisateurs pour le navigateur puisque leurs sites web et applications favorites ne marchent plus ailleurs, rendant les développeurs moins susceptibles de passer du temps à tester sur les autres navigateurs. Un cercle vicieux qui, s’il n’est pas brisé, entraînera la disparition de la plupart des autres navigateurs et leur oubli. Et c’est exactement comme ça que vous asphyxiez le Web ouvert.

Quand il s’agit de promouvoir l’utilisation d’un unique navigateur Web, Google mène la danse. Une faible assurance de qualité et des choix de conception discutables sont juste la surface visible de l’iceberg quand on regarde les applications de Google et ses services en dehors de l’écosystème Chrome. Pour rendre les choses encore pires, le blâme retombe souvent sur les autres concurrents car ils « retarderaient l’avancée du Web ». Le Web est actuellement le terrain de jeu de Google ; soit vous faites comme ils disent, soit on vous traite de retardataire.

Sans une compétition saine et équitable, n’importe quelle plateforme ouverte régressera en une organisation dirigiste. Pour le Web, cela veut dire que ses points les plus importants — la liberté et l’accessibilité universelle — sont sapés pour chaque pour-cent de part de marché obtenu par Chrome. Rien que cela est suffisant pour s’inquiéter. Mais quand on regarde de plus près le modèle commercial de Google, la situation devient beaucoup plus effrayante.

La raison d’être de n’importe quelle entreprise est de faire du profit et de satisfaire les actionnaires. Quand la croissance soutient une bonne cause, c’est considéré comme un avantage compétitif. Dans le cas contraire, les services marketing et relations publiques sont mis au travail. Le mantra de Google, « Don’t be evil« , s’inscrivait parfaitement dans leur récit d’entreprise quand leur croissance s’accompagnait de rendre le Web davantage ouvert et accessible.

Hélas, ce n’est plus le cas.

Logos de Chrome

L’intérêt de l’entreprise a dérivé petit à petit pour transformer leur domination sur le marché des navigateurs en une croissance du chiffre d’affaires. Il se trouve que le modèle commercial de Google est la publicité sur leur moteur de recherche et Adsense. Tout le reste représente à peine 10 % de leur revenu annuel. Cela n’est pas forcément un problème en soi, mais quand la limite entre navigateur, moteur de recherche et services en ligne est brouillée, nous avons un problème. Et un gros.

Les entreprises qui marchent comptent sur leurs avantages compétitifs. Les moins scrupuleuses en abusent si elles ne sont pas supervisées. Quand votre navigateur vous force à vous identifier, à utiliser des cookies que vous ne pouvez pas supprimer et cherche à neutraliser les extensions de blocage de pub et de vie privée, ça devient très mauvais1. Encore plus quand vous prenez en compte le fait que chaque site web contient au moins un bout de code qui communique avec les serveurs de Google pour traquer les visiteurs, leur montrer des publicités ou leur proposer des polices d’écriture personnalisées.

En théorie, on pourrait fermer les yeux sur ces mauvaises pratiques si l’entreprise impliquée avait un bon bilan sur la gestion des données personnelles. En pratique cependant, Google est structurellement flippant, et ils n’arrivent pas à changer. Vous pouvez penser que vos données personnelles ne regardent que vous, mais ils ne semblent pas être d’accord.

Le modèle économique de Google requiert un flot régulier de données qui puissent être analysées et utilisées pour créer des publicités ciblées. Du coup, tout ce qu’ils font a pour but ultime d’accroître leur base utilisateur et le temps passé par ces derniers sur leurs outils. Même quand l’informatique s’est déplacée de l’ordinateur de bureau vers le mobile, Chrome est resté un rouage important du mécanisme d’accumulation des données de Google. Les sites web que vous visitez et les mots-clés utilisés sont traqués et mis à profit pour vous offrir une expérience plus « personnalisée ». Sans une limite claire entre le navigateur et le moteur de recherche, il est difficile de suivre qui connaît quoi à votre propos. Au final, on accepte le compromis et on continue à vivre nos vies, exactement comme les ingénieurs et concepteurs de produits de Google le souhaitent.

En bref, Google a montré à plusieurs reprises qu’il n’avait aucune empathie envers ses utilisateurs finaux. Sa priorité la plus claire est et restera les intérêts des publicitaires.

Voir au-delà

Une compétition saine centrée sur l’utilisateur est ce qui a provoqué l’arrivée des meilleurs produits et expériences depuis les débuts de l’informatique. Avec Chrome dominant 60 % du marché des navigateurs et Chromium envahissant la bureautique sur les trois plateformes majeures, on confie beaucoup à une seule entreprise et écosystème. Un écosystème qui ne semble plus concerné par la performance, ni par l’expérience utilisateur, ni par la vie privée, ni par les progrès de l’informatique.

Mais on a encore la possibilité de changer les choses. On l’a fait il y a une décennie et on peut le faire de nouveau.

Mozilla et Apple font tous deux un travail remarquable pour combler l’écart des standards du Web qui s’est élargi dans les premières années de Chrome. Ils sont même sensiblement en avance sur les questions de performance, utilisation de la batterie, vie privée et sécurité.

Si vous êtes coincés avec des services de Google qui ne marchent pas sur d’autres navigateurs, ou comptez sur Chrome DevTools pour faire votre travail, pensez à utiliser Vivaldi2 à la place. Ce n’est pas l’idéal —Chromium appartient aussi à Google—, mais c’est un pas dans la bonne direction néanmoins. Soutenir des petits éditeurs et encourager la diversité des navigateurs est nécessaire pour renverser, ou au moins ralentir, la croissance malsaine de Chrome.

Je me suis libéré de Chrome en 2014, et je n’y ai jamais retouché. Il est probable que vous vous en tirerez aussi bien que moi. Vous pouvez l’apprécier en tant que navigateur. Et vous pouvez ne pas vous préoccuper des compromissions en termes de vie privée qui viennent avec. Mais l’enjeu est bien plus important que nos préférences personnelles et nos affinités ; une plateforme entière est sur le point de devenir un nouveau jardin clos. Et on en a déjà assez. Donc, faisons ce que nous pouvons, quand nous le pouvons, pour éviter ça.

Sources & Lectures supplémentaires

 




Windows 10 : plongée en eaux troubles

Vous avez sans doute remarqué que lorsque les médias grand public évoquent les entreprises dominantes du numérique on entend « les GAFA » et on a tendance à oublier le M de Microsoft. Et pourtant…On sait depuis longtemps à quel point Microsoft piste ses utilisateurs, mais des mesures précises faisaient défaut. Le bref article que Framalang vous propose évoque les données d’une analyse approfondie de tout ce que Windows 10 envoie vers ses serveurs pratiquement à l’insu de ses utilisateurs…

Article original : 534 Ways that Windows 10 Tracks You – From German Cyber Intelligence

Traduction Framalang : Khrys, goofy, draenog, Sphinx

Selon les services allemands de cybersécurité, Windows 10 vous surveille de 534 façons

par Derek Zimmer

L’Office fédéral de la sécurité des technologies de l’information (ou BSI) a publié un rapport 3 (PDF, 3,4 Mo) qui détaille les centaines de façons dont Windows 10 piste les utilisateurs, et montre qu’à moins d’avoir la version Entreprise de Windows, les multiples paramètres de confidentialité ne font pratiquement aucune différence.


Seules les versions Entreprise peuvent les arrêter

Les versions normales de Windows ont seulement trois niveaux différents de télémétrie. Le BSI a trouvé qu’entre la version Basic et la version Full on passe de 503 à 534 procédés de surveillance. La seule véritable réduction de télémétrie vient des versions Entreprise de Windows qui peuvent utiliser un réglage supplémentaire de « sécurité » pour leur télémétrie qui réduit le nombre de traqueurs actifs à 13.

C’est la première investigation approfondie dans les processus et dans la base de registre de Windows pour la télémétrie

L’analyse est très détaillée, et cartographie le système Event Tracing for Windows (ETW), la manière dont Windows enregistre les données de télémétrie, comment et quand ces données sont envoyées aux serveurs de Microsoft, ainsi que la différence entre les différents niveaux de paramétrage de la télémétrie.

Cette analyse va jusqu’à montrer où sont contrôlés les réglages pour modifier individuellement les composants d’enregistrement dans la base de registre de Windows, et comment ils initialisent Windows.

Voici quelques faits intéressants issus de ce document :

• Windows envoie vos données vers les serveurs Microsoft toutes les 30 minutes ;
• La taille des données enregistrées équivaut à 12 à 16 Ko par heure sur un ordinateur inactif (ce qui, pour donner une idée, représente chaque jour à peu près le volume de données d’un petit roman comme Le Vieil homme et la mer d’Hemingway) ;
• Il envoie des informations à sept endroits différents, y compris l’Irlande, le Wyoming et la petite ville de Boston en Virginie.
C’est la première « plongée en eaux profondes » que je voie où sont énumérés tous les enregistrements, ainsi que les endroits où va le trafic et à quelle fréquence.
Logiquement l’étape suivante consiste à découvrir ce qui figure dans ces 300 Ko de données quotidiennes. J’aimerais aussi savoir à quel point l’utilisation de Windows Media Player, Edge et les autres applications intégrées influe sur l’empreinte laissée par les données, ainsi que le nombre d’éléments actifs d’enregistrement.

Difficile de se prémunir

Au sein des communautés dédiées à l’administration des systèmes ou à la vie privée, la télémétrie Windows est l’objet de nombreuses discussions et il existe plusieurs guides sur les méthodes qui permettent de la désactiver complètement.

Comme toujours, la meilleure défense consiste à ne pas utiliser Windows. La deuxième meilleure défense semble être d’utiliser la version de Windows pour les entreprises où l’on peut désactiver la télémétrie d’une manière officielle. La troisième est d’essayer de la bloquer en changeant les paramètres et clefs de registre ainsi qu’en modifiant vos pare-feux (en dehors de Windows, parce que le pare-feu Windows ignorera les filtres qui bloquent les IP liées à la télémétrie Microsoft) ; en sachant que tout sera réactivé à chaque mise à jour majeure de Windows.

À propos de Derek Zimmer
Derek est cryptanalyste, expert en sécurité et militant pour la protection de la vie privée. Fort de douze années d’expérience en sécurité et six années d’expérience en design et implémentation de systèmes respectant la vie privée, il a fondé le Open Source Technology Improvement Fund (OSTIF, Fond d’Amélioration des Technologies Open Source) qui vise à créer et améliorer les solutions de sécurité open source par de l’audit, du bug bounty, ainsi que par la collecte et la gestion de ressources.




Résistons à la pub sur Internet #bloquelapubnet

Aujourd’hui Framasoft (parmi d’autres) montre son soutien à l’association RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire) ainsi qu’à la Quadrature du Net qui lancent une campagne de sensibilisation et d’action pour lutter contre les nuisances publicitaires non-consenties sur Internet.

#BloquelapubNet : un site pour expliquer comment se protéger

Les lectrices et lecteurs de ce blog sont probablement déjà équipé⋅e⋅s de bloqueurs de pub et autres dispositifs de filtrage. Il faut dire que le tracking publicitaire est un des outils essentiels aux  géants du web, à tel point qu’ils nous créent une dystopie histoire que des gens cliquent sur des pubs, et ce malgré des initiatives se voulant respectueuses comme celle de NextINpact ou trollesques comme notre Framadsense.

Cliquez sur l’image pour aller directement sur bloquelapub.net

Si vous, vous savez comment vous prémunir de cette pollution informationnelle… avez-vous déjà songé à aider vos proches, collègues et connaissances ? C’est compliqué de tout bien expliquer avec des mots simples, hein ? C’est justement à ça que sert le site bloquelapub.net  : un tutoriel à suivre qui permet, en quelques clics, d’apprendre quelques gestes essentiels pour notre hygiène numérique. Voilà un site utile, à partager et communiquer autour de soi avec enthousiasme, sans modération et accompagné du mot clé #bloquelapubnet !

Pourquoi bloquer ? – Le communiqué

Nous reproduisons ci dessous le communiqué de presse des associations Résistance à l’Agression Publicitaire et La Quadrature du Net.

Internet est devenu un espace prioritaire pour les investissements des publicitaires. En France, pour la première fois en 2016, le marché de la publicité numérique devient le « premier média investi sur l’ensemble de l’année », avec une part de marché de 29,6%, devant la télévision. En 2017, c’est aussi le cas au niveau mondial. Ce jeune « marché » est principalement capté par deux géants de la publicité numérique. Google et Facebook. Ces deux géants concentrent à eux seuls autour de 50% du marché et bénéficient de la quasi-totalité des nouveaux investissements sur ce marché. « Pêché originel d’Internet », où, pour de nombreuses personnes et sociétés, il demeure difficile d’obtenir un paiement monétaire direct pour des contenus et services commerciaux et la publicité continue de s’imposer comme un paiement indirect.

Les services vivant de la publicité exploitent le « temps de cerveau disponible » des internautes qui les visitent, et qui n’en sont donc pas les clients, mais bien les produits. Cette influence est achetée par les annonceurs qui font payer le cout publicitaire dans les produits finalement achetés.

La publicité en ligne a plusieurs conséquences : en termes de dépendance vis-à-vis des annonceurs et des revenus publicitaires, et donc des limites sur la production de contenus et d’information, en termes de liberté de réception et de possibilité de limiter les manipulations publicitaires, sur la santé, l’écologie…

En ligne, ces problématiques qui concernent toutes les publicités ont de plus été complétées par un autre enjeu fondamental. Comme l’exprime parfaitement Zeynep Tufekci, une chercheuse turque, « on a créé une infrastructure de surveillance dystopique juste pour que des gens cliquent sur la pub ». De grandes entreprises telles que Google, Facebook et d’autres « courtiers en données » comme Criteo ont développés des outils visant à toujours mieux nous « traquer » dans nos navigations en ligne pour nous profiler publicitairement. Ces pratiques sont extrêmement intrusives et dangereuses pour les libertés fondamentales.

L’Europe dispose pourtant désormais d’un règlement qui devrait mettre majoritairement fin à cette exploitation de nos données personnelles. En vertu du règlement général pour la protection des données RGPD, la plupart de ces pratiques de collecte de données personnelles en ligne devraient reposer sur un consentement libre et éclairé. Sinon, ces pratiques sont illégales. C’est sur ce fondement que La Quadrature du Net a porté plainte collectivement contre les 5 géants du numérique. Si le RGPD est rentré en application récemment et que ces plaintes collectives prennent du temps, la CNIL française a déjà agi sur des questionnements similaires, et a même, lundi 22 janvier 2019, commencé à sanctionner Google à une amende de 50 millions d’euros s’agissant de ces pratiques relatives à Android.

Il est plus temps que cette législation soit totalement respectée et que les publicitaires cessent de nous espionner en permanence en ligne.

 

Un sondage BVA-La Dépêche de 2018, révélait que 77% des Français·es se disent inquiet·es de l’utilisation que pouvaient faire des grandes entreprises commerciales de leurs données numériques personnelles. 83% des Français·es sont irrité·es par la publicité en ligne selon un sondage de l’institut CSA en mars 2016 et « seulement » 24% des personnes interrogées avaient alors installé un bloqueur de publicité.

 

Le blocage de la publicité en ligne apparait comme un bon outil de résistance pour se prémunir de la surveillance publicitaire sur Internet. Pour l’aider à se développer, nos associations lancent le site Internet :

http://bloquelapub.net

Plusieurs opérations collectives ou individuelles de sensibilisation et blocages de la publicité auront lieu sur plusieurs villes du territoire français et sur Internet peu de temps avant et le jour du 28 janvier 2019, journée européenne de la « protection des données personnelles ». Le jour rêvé pour s’opposer à la publicité en ligne qui exploite ces données !

 

RAP et La Quadrature du Net demandent :

  • Le respect de la liberté de réception dans l’espace public et ailleurs, le droit et la possibilité de refuser d’être influencé par la publicité,
  • Le strict respect du règlement général pour la protection des données et l’interdiction de la collecte de données personnelles à des fins publicitaires sans le recueil d’un consentement libre (non-conditionnant pour l’accès au service), explicite et éclairé où les paramètres les plus protecteurs sont configurés par défaut. Les sites Internet et services en ligne ne doivent par défaut collecter aucune information à des fins publicitaires sans que l’internaute ne les y ait expressément autorisés.

 

Rendez-vous sur bloquelapub.net et sur Internet toute la journée du 28 janvier 2019

 

Les associations soutiens de cette mobilisation : Framasoft, Le CECIL, Globenet, Le Creis-Terminal




Pour un Web frugal ?

Sites lourds, sites lents, pages web obèses qui exigent pour être consultées dans un délai raisonnable une carte graphique performante, un processeur rapide et autant que possible une connexion par fibre optique… tel est le quotidien de l’internaute ordinaire.

Nul besoin de remonter aux débuts du Web pour comparer : c’est d’une année sur l’autre que la taille moyenne des pages web s’accroît désormais de façon significative.

Quant à la consommation en énergie de notre vie en ligne, elle prend des proportions qui inquiètent à juste titre : des lointains datacenters aux hochets numériques dont nous aimons nous entourer, il y a de quoi  se poser des questions sur la nocivité environnementale de nos usages collectifs et individuels.

Bien sûr, les solutions économes à l’échelle de chacun sont peut-être dérisoires au regard des gigantesques gaspillages d’un système consumériste insatiable et énergivore.

Cependant nous vous invitons à prendre en considération l’expérience de l’équipe barcelonaise de Low-Tech Magazine dont nous avons traduit pour vous un article. Un peu comme l’association Framasoft l’avait fait en ouverture de la campagne dégooglisons… en se dégooglisant elle-même, les personnes de Low-tech Magazine ont fait de leur mieux pour appliquer à leur propre site les principes de frugalité qu’elles défendent : ce ne sont plus seulement les logiciels mais aussi les matériels qui ont fait l’objet d’une cure d’amaigrissement au régime solaire.

En espérant que ça donnera des idées à tous les bidouilleurs…

article original : How to build a Low-tech website
Traduction Framalang : Khrys, Mika, Bidouille, Penguin, Eclipse, Barbara, Mannik, jums, Mary, Cyrilus, goofy, simon, xi, Lumi, Suzy + 2 auteurs anonymes

Comment créer un site web basse technologie

Low-tech Magazine a été créé en 2007 et n’a que peu changé depuis. Comme une refonte du site commençait à être vraiment nécessaire, et comme nous essayons de mettre en œuvre ce que nous prônons, nous avons décidé de mettre en place une version de Low Tech Magazine en basse technologie, auto-hébergée et alimentée par de l’énergie solaire. Le nouveau blog est conçu pour réduire radicalement la consommation d’énergie associée à l’accès à notre contenu.

le hardware qui faisait tourner la première version du site allégé
Premier prototype du serveur alimenté à l’énergie solaire sur lequel tourne le nouveau site.


* Voir cet article (en anglais) dans une version frugale donc moins énergivore


Pourquoi un site web basse technologie ?

On nous avait dit qu’Internet permettrait de « dématérialiser » la société et réduire la consommation d’énergie. Contrairement à cette projection, Internet est en fait lui-même devenu un gros consommateur d’énergie de plus en plus vorace. Selon les dernières estimations, le réseau tout entier représente 10 % de la consommation mondiale d’électricité et la quantité de données échangées double tous les deux ans.

Pour éviter les conséquences négatives d’une consommation énergivore, les énergies renouvelables seraient un moyen de diminuer les émissions des centres de données. Par exemple, le rapport annuel ClickClean de Greenpeace classe les grandes entreprises liées à Internet en fonction de leur consommation d’énergies renouvelables.

Cependant, faire fonctionner des centres de données avec des sources d’énergie renouvelables ne suffit pas à compenser la consommation d’énergie croissante d’Internet. Pour commencer, Internet utilise déjà plus d’énergie que l’ensemble des énergies solaire et éolienne mondiales. De plus, la réalisation et le remplacement de ces centrales électriques d’énergies renouvelables nécessitent également de l’énergie, donc si le flux de données continue d’augmenter, alors la consommation d’énergies fossiles aussi.

Cependant, faire fonctionner les centres de données avec des sources d’énergie renouvelables ne suffit pas à combler la consommation d’énergie croissante d’Internet.

Enfin, les énergies solaire et éolienne ne sont pas toujours disponibles, ce qui veut dire qu’un Internet fonctionnant à l’aide d’énergies renouvelables nécessiterait une infrastructure pour le stockage de l’énergie et/ou pour son transport, ce qui dépend aussi des énergies fossiles pour sa production et son remplacement. Alimenter les sites web avec de l’énergie renouvelable n’est pas une mauvaise idée, mais la tendance vers l’augmentation de la consommation d’énergie doit aussi être traitée.

Des sites web qui enflent toujours davantage

Tout d’abord, le contenu consomme de plus en plus de ressources. Cela a beaucoup à voir avec l’importance croissante de la vidéo, mais une tendance similaire peut s’observer sur les sites web.

La taille moyenne d’une page web (établie selon les pages des 500 000 domaines les plus populaires) est passée de 0,45 mégaoctets en 2010 à 1,7 mégaoctets en juin 2018. Pour les sites mobiles, le poids moyen d’une page a décuplé, passant de 0,15 Mo en 2011 à 1,6 Mo en 2018. En utilisant une méthode différente, d’autres sources évoquent une moyenne autour de 2,9 Mo en 2018.

La croissance du transport de données surpasse les avancées en matière d’efficacité énergétique (l’énergie requise pour transférer 1 mégaoctet de données sur Internet), ce qui engendre toujours plus de consommation d’énergie. Des sites plus « lourds » ou plus « gros » ne font pas qu’augmenter la consommation d’énergie sur l’infrastructure du réseau, ils raccourcissent aussi la durée de vie des ordinateurs, car des sites plus lourds nécessitent des ordinateurs plus puissants pour y accéder. Ce qui veut dire que davantage d’ordinateurs ont besoin d’être fabriqués, une production très coûteuse en énergie.

Être toujours en ligne ne fait pas bon ménage avec des sources d’énergies renouvelables telles que l’éolien ou le solaire, qui ne sont pas toujours disponibles.

La deuxième raison de l’augmentation de la consommation énergétique d’Internet est que nous passons de plus en plus de temps en ligne. Avant l’arrivée des ordinateurs portables et du Wi-Fi, nous n’étions connectés au réseau que lorsque nous avions accès à un ordinateur fixe au bureau, à la maison ou à la bibliothèque. Nous vivons maintenant dans un monde où quel que soit l’endroit où nous nous trouvons, nous sommes toujours en ligne, y compris, parfois, sur plusieurs appareils à la fois.

Un accès Internet en mode « toujours en ligne » va de pair avec un modèle d’informatique en nuage, permettant des appareils plus économes en énergie pour les utilisateurs au prix d’une dépense plus importante d’énergie dans des centres de données. De plus en plus d’activités qui peuvent très bien se dérouler hors-ligne nécessitent désormais un accès Internet en continu, comme écrire un document, remplir une feuille de calcul ou stocker des données. Tout ceci ne fait pas bon ménage avec des sources d’énergies renouvelables telles que l’éolien ou le solaire, qui ne sont pas disponibles en permanence.

Conception d’un site internet basse technologie

La nouvelle mouture de notre site répond à ces deux problématiques. Grâce à une conception simplifiée de notre site internet, nous avons réussi à diviser par cinq la taille moyenne des pages du blog par rapport à l’ancienne version, tout en rendant le site internet plus agréable visuellement (et plus adapté aux mobiles). Deuxièmement, notre nouveau site est alimenté à 100 % par l’énergie solaire, non pas en théorie, mais en pratique : il a son propre stockage d’énergie et sera hors-ligne lorsque le temps sera couvert de manière prolongée.

Internet n’est pas une entité autonome. Sa consommation grandissante d’énergie est la résultante de décisions prises par des développeurs logiciels, des concepteurs de site internet, des départements marketing, des annonceurs et des utilisateurs d’internet. Avec un site internet poids plume alimenté par l’énergie solaire et déconnecté du réseau, nous voulons démontrer que d’autres décisions peuvent être prises.

Avec 36 articles en ligne sur environ une centaine, le poids moyen d’une page sur le site internet alimenté par énergie solaire est environ cinq fois inférieur à celui de la version précédente.

Pour commencer, la nouvelle conception du site va à rebours de la tendance à des pages plus grosses. Sur 36 articles actuellement en ligne sur environ une centaine, le poids moyen d’une page sur le site internet alimenté par énergie solaire est 0,77 Mo – environ cinq fois inférieur à celui de la version précédente, et moins de la moitié du poids moyen d’une page établi sur les 500 000 blogs les plus populaires en juin 2018.


Ci-dessous : un test de vitesse d’une page web entre l’ancienne et la nouvelle version du magazine Low-Tech. La taille de la page a été divisée par plus de six, le nombre de requêtes par cinq, et la vitesse de téléchargement a été multipliée par dix. Il faut noter que l’on n’a pas conçu le site internet pour être rapide, mais pour une basse consommation d’énergie. La vitesse aurait été supérieure si le serveur avait été placé dans un centre de données et/ou à une position plus centrale de l’infrastructure d’Internet.

Source : Pingdom

Ci-dessous sont détaillées plusieurs des décisions de conception que nous avons faites pour réduire la consommation d’énergie. Des informations plus techniques sont données sur une page distincte. Nous avons aussi libéré le code source pour la conception de notre site internet.

Site statique

Un des choix fondamentaux que nous avons faits a été d’élaborer un site internet statique. La majorité des sites actuels utilisent des langages de programmation côté serveur qui génèrent la page désirée à la volée par requête à une base de données. Ça veut dire qu’à chaque fois que quelqu’un visite une page web, elle est générée sur demande.

Au contraire, un site statique est généré une fois pour toutes et existe comme un simple ensemble de documents sur le disque dur du serveur. Il est toujours là, et pas seulement quand quelqu’un visite la page. Les sites internet statiques sont donc basés sur le stockage de fichiers quand les sites dynamiques dépendent de calculs récurrents. En conséquence, un site statique nécessite moins de puissance de calcul, donc moins d’énergie.

Le choix d’un site statique nous permet d’opérer la gestion de notre site de manière économique depuis notre bureau de Barcelone. Faire la même chose avec un site web généré depuis une base de données serait quasiment impossible, car cela demanderait trop d’énergie. Cela présenterait aussi des risques importants de sécurité. Bien qu’un serveur avec un site statique puisse toujours être piraté, il y a significativement moins d’attaques possibles et les dommages peuvent être plus facilement réparés.

exemple d’images traitées pour en réduire le poids, elles sont monochromes et d’une définition dégradée
Images optimisées pour en réduire le « poids »

Le principal défi a été de réduire la taille de la page sans réduire l’attractivité du site. Comme les images consomment l’essentiel de la bande passante il serait facile d’obtenir des pages très légères et de diminuer l’énergie nécessaire en supprimant les images, en réduisant leur nombre ou en réduisant considérablement leur taille. Néanmoins, les images sont une part importante de l’attractivité de Low-tech Magazine et le site ne serait pas le même sans elles.

Par optimisation, on peut rendre les images dix fois moins gourmandes en ressources, tout en les affichant bien plus largement que sur l’ancien site.

Nous avons plutôt choisi d’appliquer une ancienne technique de compression d’image appelée « diffusion d’erreur ». Le nombre de couleurs d’une image, combiné avec son format de fichier et sa résolution, détermine la taille de cette image. Ainsi, plutôt que d’utiliser des images en couleurs à haute résolution, nous avons choisi de convertir toutes les images en noir et blanc, avec quatre niveaux de gris intermédiaires.

Ces images en noir et blanc sont ensuite colorées en fonction de la catégorie de leur contenu via les capacités de manipulation d’image natives du navigateur. Compressées par ce module appelé dithering, les images présentées dans ces articles ajoutent beaucoup moins de poids au contenu ; par rapport à l’ancien site web, elles sont environ dix fois moins consommatrices de ressources.

Police de caractère par défaut / Pas de logo

Toutes les ressources chargées, y compris les polices de caractères et les logos, le sont par une requête supplémentaire au serveur, nécessitant de l’espace de stockage et de l’énergie. Pour cette raison, notre nouveau site web ne charge pas de police personnalisée et enlève toute déclaration de liste de polices de caractères, ce qui signifie que les visiteurs verront la police par défaut de leur navigateur.

une page du magazine l’image d’illustration est rouge, le fond est jaune, aucun logo n’est ajouté, l’essentiel est du texte et une image
Une page du magazine en version basse consommation

 

Nous utilisons une approche similaire pour le logo. En fait, Low-tech Magazine n’a jamais eu de véritable logo, simplement une bannière représentant une lance, considérée comme une arme low-tech (technologie sobre) contre la supériorité prétendue des « high-tech » (hautes technologies).

Au lieu d’un logo dessiné, qui nécessiterait la production et la distribution d’image et de polices personnalisées, la nouvelle identité de Low-Tech Magazine consiste en une unique astuce typographique : utiliser une flèche vers la gauche à la place du trait d’union dans le nom du blog : LOW←TECH MAGAZINE.

Pas de pistage par un tiers, pas de services de publicité, pas de cookies

Les logiciels d’analyse de sites tels que Google Analytics enregistrent ce qui se passe sur un site web, quelles sont les pages les plus vues, d’où viennent les visiteurs, etc. Ces services sont populaires car peu de personnes hébergent leur propre site. Cependant l’échange de ces données entre le serveur et l’ordinateur du webmaster génère du trafic de données supplémentaire et donc de la consommation d’énergie.

Avec un serveur auto-hébergé, nous pouvons obtenir et visualiser ces mesures de données avec la même machine : tout serveur génère un journal de ce qui se passe sur l’ordinateur. Ces rapports (anonymes) ne sont vus que par nous et ne sont pas utilisés pour profiler les visiteurs.

Avec un serveur auto-hébergé, pas besoin de pistage par un tiers ni de cookies.

Low-tech Magazine a utilisé des publicités Google Adsense depuis ses débuts en 2007. Bien qu’il s’agisse d’une ressource financière importante pour maintenir le blog, elles ont deux inconvénients importants. Le premier est la consommation d’énergie : les services de publicité augmentent la circulation des données, ce qui consomme de l’énergie.

Deuxièmement, Google collecte des informations sur les visiteurs du blog, ce qui nous contraint à développer davantage les déclarations de confidentialité et les avertissements relatifs aux cookies, qui consomment aussi des données et agacent les visiteurs. Nous avons donc remplacé Adsense par d’autres sources de financement (voir ci-dessous pour en savoir plus). Nous n’utilisons absolument aucun cookie.

À quelle fréquence le site web sera-t-il hors-ligne ?

Bon nombre d’entreprises d’hébergement web prétendent que leurs serveurs fonctionnent avec de l’énergie renouvelable. Cependant, même lorsqu’elles produisent de l’énergie solaire sur place et qu’elles ne se contentent pas de « compenser » leur consommation d’énergie fossile en plantant des arbres ou autres, leurs sites Web sont toujours en ligne.

Cela signifie soit qu’elles disposent d’un système géant de stockage sur place (ce qui rend leur système d’alimentation non durable), soit qu’elles dépendent de l’énergie du réseau lorsqu’il y a une pénurie d’énergie solaire (ce qui signifie qu’elles ne fonctionnent pas vraiment à 100 % à l’énergie solaire).

un petit panneau photo-voltaïque au-dessus d’un plus grand. Leur position les expose au soleil.
Le panneau photo-voltaïque solaire de 50 W. Au-dessus, un panneau de 10 W qui alimente un système d’éclairage.

 

En revanche, ce site web fonctionne sur un système d’énergie solaire hors réseau avec son propre stockage d’énergie et hors-ligne pendant les périodes de temps nuageux prolongées. Une fiabilité inférieure à 100 % est essentielle pour la durabilité d’un système solaire hors réseau, car au-delà d’un certain seuil, l’énergie fossile utilisée pour produire et remplacer les batteries est supérieure à l’énergie fossile économisée par les panneaux solaires.

Reste à savoir à quelle fréquence le site sera hors ligne. Le serveur web est maintenant alimenté par un nouveau panneau solaire de 50 Wc et une batterie plomb-acide (12V 7Ah) qui a déjà deux ans. Comme le panneau solaire est à l’ombre le matin, il ne reçoit la lumière directe du soleil que 4 à 6 heures par jour. Dans des conditions optimales, le panneau solaire produit ainsi 6 heures x 50 watts = 300 Wh d’électricité.

Le serveur web consomme entre 1 et 2,5 watts d’énergie (selon le nombre de visiteurs), ce qui signifie qu’il consomme entre 24 et 60 Wh d’électricité par jour. Dans des conditions optimales, nous devrions donc disposer de suffisamment d’énergie pour faire fonctionner le serveur web 24 heures sur 24. La production excédentaire d’énergie peut être utilisée pour des applications domestiques.

Nous prévoyons de maintenir le site web en ligne pendant un ou deux jours de mauvais temps, après quoi il sera mis hors ligne.

Cependant, par temps nuageux, surtout en hiver, la production quotidienne d’énergie pourrait descendre à 4 heures x 10 watts = 40 watts-heures par jour, alors que le serveur nécessite entre 24 et 60 Wh par jour. La capacité de stockage de la batterie est d’environ 40 Wh, en tenant compte de 30 % des pertes de charge et de décharge et de 33 % de la profondeur ou de la décharge (le régulateur de charge solaire arrête le système lorsque la tension de la batterie tombe à 12 V).

Par conséquent, le serveur solaire restera en ligne pendant un ou deux jours de mauvais temps, mais pas plus longtemps. Cependant, il s’agit d’estimations et nous pouvons ajouter une deuxième batterie de 7 Ah en automne si cela s’avère nécessaire. Nous visons un uptime, c’est-à-dire un fonctionnement sans interruption, de 90 %, ce qui signifie que le site sera hors ligne pendant une moyenne de 35 jours par an.

Premier prototype avec batterie plomb-acide (12 V 7 Ah) à gauche et batterie Li-Po UPS (3,7V 6600 mA) à droite. La batterie au plomb-acide fournit l’essentiel du stockage de l’énergie, tandis que la batterie Li-Po permet au serveur de s’arrêter sans endommager le matériel (elle sera remplacée par une batterie Li-Po beaucoup plus petite).

Quel est la période optimale pour parcourir le site ?

L’accessibilité à ce site internet dépend de la météo à Barcelone en Espagne, endroit où est localisé le serveur. Pour aider les visiteurs à « planifier » leurs visites à Low-tech Magazine, nous leur fournissons différentes indications.

Un indicateur de batterie donne une information cruciale parce qu’il peut indiquer au visiteur que le site internet va bientôt être en panne d’énergie – ou qu’on peut le parcourir en toute tranquillité. La conception du site internet inclut une couleur d’arrière-plan qui indique la charge de la batterie qui alimente le site Internet grâce au soleil. Une diminution du niveau de charge indique que la nuit est tombée ou que la météo est mauvaise.

carte météo de l’ouest de l’Europe avec symboles de passages nuageux

Outre le niveau de batterie, d’autres informations concernant le serveur du site web sont affichées grâce à un tableau de bord des statistiques. Celui-ci inclut des informations contextuelles sur la localisation du serveur : heure, situation du ciel, prévisions météorologiques, et le temps écoulé depuis la dernière fois où le serveur s’est éteint à cause d’un manque d’électricité.

Matériel & Logiciel

Nous avons écrit un article plus détaillé d’un point de vue technique : Comment faire un site web basse technologie : logiciels et matériel.

SERVEUR : Ce site web fonctionne sur un ordinateur Olimex A20. Il est doté de 2 GHz de vitesse de processeur, 1 Go de RAM et 16 Go d’espace de stockage. Le serveur consomme 1 à 2,5 watts de puissance.

SOFTWARE DU SERVEUR : le serveur web tourne sur Armbian Stretch, un système d’exploitation Debian construit sur un noyau SUNXI. Nous avons rédigé une documentation technique sur la configuration du serveur web.

LOGICIEL DE DESIGN : le site est construit avec Pelican, un générateur de sites web statiques. Nous avons publié le code source de « solar », le thème que nous avons développé.

CONNEXION INTERNET. Le serveur est connecté via une connexion Internet fibre 100 MBps. Voici comment nous avons configuré le routeur. Pour l’instant, le routeur est alimenté par le réseau électrique et nécessite 10 watts de puissance. Nous étudions comment remplacer ce routeur gourmand en énergie par un routeur plus efficace qui pourrait également être alimenté à l’énergie solaire.

SYSTÈME SOLAIRE PHOTOVOLTAÏQUE. Le serveur fonctionne avec un panneau solaire de 50 Wc et une batterie plomb-acide 12 V 7 Ah. Cependant, nous continuons de réduire la taille du système et nous expérimentons différentes configurations. L’installation photovoltaïque est gérée par un régulateur de charge solaire 20A.

Qu’est-il arrivé à l’ancien site ?

Le site Low-tech Magazine alimenté par énergie solaire est encore en chantier. Pour le moment, la version alimentée par réseau classique reste en ligne. Nous encourageons les lecteurs à consulter le site alimenté par énergie solaire, s’il est disponible. Nous ne savons pas trop ce qui va se passer ensuite. Plusieurs options se présentent à nous, mais la plupart dépendront de l’expérience avec le serveur alimenté par énergie solaire.
Tant que nous n’avons pas déterminé la manière d’intégrer l’ancien et le nouveau site, il ne sera possible d’écrire et lire des commentaires que sur notre site internet alimenté par réseau, qui est toujours hébergé chez TypePad. Si vous voulez envoyer un commentaire sur le serveur web alimenté en énergie solaire, vous pouvez en commentant cette page ou en envoyant un courriel à solar (at) lowtechmagazine (dot) com.

Est-ce que je peux aider ?

Bien sûr, votre aide est la bienvenue.
D’une part, nous recherchons des idées et des retours d’expérience pour améliorer encore plus le site web et réduire sa consommation d’énergie. Nous documenterons ce projet de manière détaillée pour que d’autres personnes puissent aussi faire des sites web basse technologie.

D’autre part, nous espérons recevoir des contributions financières pour soutenir ce projet. Les services publicitaires qui ont maintenu Low-tech Magazine depuis ses débuts en 2007 sont incompatibles avec le design de notre site web poids plume. C’est pourquoi nous cherchons d’autres moyens de financer ce site :

1. Nous proposerons bientôt un service de copies du blog imprimées à la demande. Grâce à ces publications, vous pourrez lire le Low-tech Magazine sur papier, à la plage, au soleil, où vous voulez, quand vous voulez.
2. Vous pouvez nous soutenir en envoyant un don sur PayPal, Patreon ou LiberaPay.
3. Nous restons ouverts à la publicité, mais nous ne pouvons l’accepter que sous forme d’une bannière statique qui renvoie au site de l’annonceur. Nous ne travaillons pas avec les annonceurs qui ne sont pas en phase avec notre mission.

Le serveur alimenté par énergie solaire est un projet de Kris De Decker, Roel Roscam Abbing et Marie Otsuka.




Mauvaise nouvelle : Twitter va fermer ses portes

Nous avons souhaité partager avec vous ce texte, mi-fiction mi réflexion, de Neil Jomunsi. Et nous l’avons même invité à en publier d’autres ici s’il le souhaite. Bonne lecture.


Twitter injoignable !

C’était inéluctable, nous le savions, parce que rien en ce monde n’est éternel, mais nous ne pouvions pas nous empêcher d’espérer. On a beaucoup parlé, évoqué un temps un possible rachat collectif par tous les utilisateurs, mais le monde étant devenu complexe, il ne se satisfait plus de réponses simpl(ist)es. Ce jour du 29 avril 2026 est donc à marquer d’une pierre blanche : deux ans après Facebook, dont la fermeture de la branche « réseau social » avait provoqué le tollé que l’on sait, Twitter a officiellement annoncé qu’il fermait à son tour les portes de son service. Le bureau d’administration a tranché : plus assez rentable. Twitter venait tout juste de fêter son vingtième anniversaire.

Twitter avait pourtant connu une embellie dans le courant 2020, profitant de la démocratisation des technologies de contrôle vocal et d’intelligence artificielle, et offrant à ses utilisateurs des interfaces toujours plus personnalisées, à mi-chemin entre salon de discussion public et messagerie privée. Les critiques n’avaient pas été tendres lorsque le service de micro-blogging avait décidé de renforcer la part algorithmique des messages affichés aux utilisateurs, mais la tempête avait fini par passer ; car les utilisateurs ont fini, on le sait, par adhérer au concept de bulle de filtres, la vague du « webcare » étant passée par-là, popularisée par des livres de développement personnel tels que Le miroir du réseau ou Modelez le web à votre image.

Bien sûr, les défenseurs d’un web libre et décentralisé avaient prévenu : avec la concentration des données sur une poignée de grosses plateformes, c’était tout un pan de la réflexion et de la création du XXIe qui courait le risque de disparaître purement et simplement de l’histoire. Ils n’ont pas été démentis : avec Twitter qui ferme, ce sont 20 années d’échanges, de contradictions, de propos calomnieux, injurieux ou mensongers aussi, qui sombrent dans le néant. Twitter assure que les usagers pourront télécharger leur archive personnelle pendant encore un an à compter de la date de fermeture officielle, qui devrait être annoncée sous peu. Mais sans la connexion entre les différents comptes qui rendait lesdites archives dynamiques, et donc pertinentes, ces sauvegardes risquent fort de perdre tout intérêt documentaire pour les historiens. D’autant que peu d’internautes décideront d’en faire quelque chose, et la plupart finiront par pourrir dans un coin de cloud oublié.

Soixante-seize chercheurs et historiens ont publié lundi dans Le Monde une tribune invitant les états à se saisir du dossier et à négocier avec Twitter une pérennisation de la disponibilité en ligne du service, dans un souci de conservation. Il ne s’agirait pas de permettre aux utilisateurs de continuer à utiliser le service, mais de le garder en ligne en l’état, consultable librement par tous. On le sait, Twitter a été le lieu de toutes les discussions politiques des dix dernières années. Avec sa disparition, craignent les signataires, on risque de voir se créer « le plus grand trou noir de l’histoire moderne », comparable avec celui de la disparition des œuvres hors domaine public en déficit d’exploitation.

Alors bien sûr, tout ceci est une fiction.

Mais Twitter fermera ses portes un jour, vous pouvez en être assurés. Et il y a de bonnes chances pour que les choses se déroulent de cette façon. On l’aura encore vu avec Tumblr récemment : faire confiance à de grandes entreprises multinationales pour conserver notre patrimoine artistique, historique et politique est une grave erreur. Nous devons reprendre le contrôle sur nos publications, et a minima les héberger nous-mêmes, sur un blog sur lequel nous avons tout contrôle.

Sans quoi les mites troueront bientôt – et plus vite qu’on ne l’imagine – le tissu de notre mémoire collective.


Lire sur le site originel : https://page42.org/mauvaise-nouvelle-twitter-va-fermer/