Deux paradoxales caractéristiques des débats sur l’éducation (et l’éducation est un débat permanent). 1. Ceux qui parlent le plus fort et décident ne sont pas, ou plus, professeur. 2. On ne donne que très rarement la parole aux principaux concernés : les élèves.
Pour éviter qu’il en aille de même sur ce blog qui évoque souvent la situation du logiciel libre dans l’éducation, nous avons choisi d’interviewer l’élève « Vanaryon » (repéré sur le Web via son fort intéressant blog). Il est en classe de Première et habite quelque part dans le Finistère.
C’est le deuxième entretien lycéen du Framablog, et comme il avait été dit la première fois, cet élève ne représente (malheureusement) en rien l’ensemble des élèves. Ce serait même a priori plutôt une exception qui confirme la règle d’une insuffisante culture sur les sujets de prédilection qui nous préoccupent ici au quotidien.
Il me plairait qu’à l’avenir ce ne soit plus malgré l’école mais grâce à l’école que des Vanaryon se découvrent de telles sources d’intérêt, pour ne pas dire de telles passions. Histoire d’être plus encore rassuré sur la capacité de la nouvelle génération[1] à assurer la nécessaire relève.
Remarque : On a été agréablement surpris au passage de constater que notre Framakey a participé à son « initiation » au logiciel libre.
Entretien avec Vanaryon
Bonjour Vanaryon, peux-tu rapidement te présenter…
Bonjour à toi ! Je suis un lycéen actuellement en classe de première S (SVT). L’informatique et les logiciels libres me passionnent, ainsi que les technologies web. Je suis le secrétaire de la junior association PostPro, qui fait la promotion du logiciel libre dans le domaine de la création vidéo.
Quels logiciels libres utilises-tu au quotidien ?
Actuellement, je n’utilise presque plus de logiciels propriétaires : seulement Flash Player et les pilotes Nvidia pour ma carte graphique (sous Linux). Donc tout le reste est libre : je tourne sous une Ubuntu 9.04. Les logiciels libres que j’utilise le plus sont Gajim, Mozilla Firefox, Novell Evolution, Rhythmbox ou encore Gedit et Nautilus.
Sinon, quand je ne suis pas sur un poste Linux, j’ai toujours une Framakey sur moi 😉
Comment as-tu découvert les logiciels libres et en quoi te semblent-ils intéressants ?
Ça remonte à assez longtemps, au début collège je crois. Je devais être en 5ème. Je venais de m’abonner à la revue Science & Vie Junior, et dans les astuces informatique ils présentaient la Framakey. À partir de ça j’ai pu découvrir Firefox, Thunderbird et Abiword, pour m’ouvrir sur d’autres logiciels libres peu à peu (OpenOffice, Notepad++, ClamWin).
À l’époque, je ne voyais pas du tout l’avantage des logiciels libres de par la philosophie qu’il y avait derrière, mais plutôt parce-qu’ils étaient gratuits et que je les trouvais plus accessibles que les logiciels Microsoft (d’ailleurs je ne devais même pas savoir que c’était un logiciel libre à l’époque).
Au cours de ton parcours scolaire as-tu souvent rencontré des logiciels libres ? Y a-t-il des professeurs qui t’en ont parlé, qui les ont utilisés en classe avec vous ?
Oui, assez souvent (mais pas assez à mon goût !). J’ai tout de même remarqué une certaine évolution au fur et à mesure des années et des classes (en primaire, je me souviens que j’utilisais Microsoft Word, mais il n’y avait rien d’autre sur les postes !). Ensuite, au collège, je découvrais StarOffice, The GIMP, puis OpenOffice.org. Mais c’était tout, il n’y avait rien d’autre. Puis lorsque j’allais quitter le collège, Mozilla Firefox fut installé sur tous les postes du CDI. Enfin arriva mon lycée, que je sentais pro-Microsoft, de leur infrastructure en passant par leur site web. Mais il faisait quand même des efforts pour nous proposer quelques logiciels ouverts (VLC, The GIMP et OpenOffice.org puis Mozilla Firefox cette année).
Cependant, ce n’est pas encore ça… Pour donner un exemple concret, cette année ils viennent d’acheter des nouveaux ordinateurs et ils ont déployé Microsoft Office 2007 : résultat, les élèvent préfèrent l’utiliser à OpenOffice.org, alors que l’année dernière c’était OpenOffice.org qui était privilégié par rapport à Microsoft Office 2000.
Au collège, un professeur d’art plastique m’avait en effet parlé de VirtualDub, pour faire du montage vidéo. Elle m’avait dit « c’est un logiciel libre de droits ». Déjà on sent qu’elle connaissait un peu la chose !
Utilisé en classe, oui, surtout pour VLC, qui reste un incontournable pour lire tous les médias. Sinon, malheureusement, les professeurs ont tendance à nous montrer des documents visionnés avec Microsoft Powerpoint, Word, mais aussi Adobe Reader ou encore Internet Explorer (on a encore la version 6 là où je suis…).
Au cours de ton parcours scolaire as-tu souvent rencontré la « culture libre » ? Y a-t-il des professeurs qui t’ont parlé ou ont utilisés des ressources sous licences libres de type Creative Commons ?
Non, jamais. Et c’est ça qui m’effraie : tous les documents donnés par les professeurs portent en général la mention « photocopie interdite », ou encore des petits copyrights en bas pour certains. En tout cas ils n’ont jamais parlé de culture libre, et encore moins de logiciel libre.
Wikipédia et les enseignants : ils aiment, ils n’aiment pas, ils n’en parlent pas ?
Les enseignants disent toujours que Wikipédia est un outil qui doit se fier à d’autres sources, car ils ne le considèrent pas comme fiable ! Et pourtant… pour le Français, de nombreux articles sur la littérature française sont validés comme étant de qualité !
Cependant, je trouve que certains professeurs paraissent bien hostiles lorsqu’ils expliquent ce qu’est Wikipédia…
Penses-tu que les logiciels propriétaires comme Windows et MS Office (Word, Excel…) sont trop présents à l’école. Et si oui que proposerais-tu pour améliorer la situation ?
Assurément ! Ils sont beaucoup trop présents ! Bon, c’est vrai qu’il n’y a pas que les logiciels Microsoft qui sont propriétaires sur les machines de l’école, mais aussi plein d’autres (je pense en particulier à Anagène, une antiquité utilisée en SVT). Mais le problème avec les logiciels Microsoft, c’est qu’ils sont partout ! De la suite bureautique qui nous pond des formats incompréhensibles par des versions plus anciennes de MS Office ou aux autres suites bureautique (je pense à Office 2007 qui a causé de nombreux problèmes avec le docx et autres), au navigateur web complètement buggé et dépassé qu’est Internet Explorer 6, en passant carrément par le système Windows en lui même…
Mais déjà, les professeurs ne sont-ils pas un peu conditionnés aux softs made-in-Microsoft ? Je pense surtout aux licences gratuites de MS Office qu’ils reçoivent. Une petite anecdote : ça m’avais fait bien rire à l’époque, quand j’étais en 3ème, mon professeur d’SVT, pour dire Mozilla Firefox nous avait sorti Godzilla Firefox, et pensait que c’était le fameux monstre. Peut-être faisait-il une confusion avec le logo de Mozilla qui est un dinosaure ?
Pour améliorer la situation, déjà il faudrait sensibiliser les utilisateurs (aussi bien professeurs qu’élèves), et je pense vraiment qu’il n’y a que les gérants informatique de l’établissement qui peuvent changer la situation en bannissant Windows, et en préférant Linux, ou encore laisser libre aux utilisateurs de booter sur l’OS de leur choix. Mais le gros problème c’est que de très (trop) nombreux logiciel nécessaires à certains programmes scolaires ne tournent que sous Windows.
Sur ton blog, tu t’es récemment inquiété du choix de ton lycée pour la solution Microsoft Live@edu (cf ce billet blog). En quoi ce choix est-il un mauvais choix ?
Rha, si je sortais tout ce que je pense pour répondre à ta question, ça en ferait trop ! Déjà parce-que ça renforce le monopole de Microsoft dans l’éducation, et permet de sortir ses applications web de l’établissement, qui arrivent dans les foyers même des élèves/professeurs. Quand un truc marche pas sur la plateforme Windows Live, les profs nous demandent quel navigateur on utilise et nous recommandent Internet Explorer… Désolant…
Et puis, ce n’est pas une manière de faire que de proposer cette plateforme à ses élèves, surtout que nos données sortent de l’établissement, et arrivent dans un data-center suisse (si je me souviens bien). Et mon lycée n’a donné aucune fiche à signer l’autorisant à céder mes informations à un tiers (ici mon nom, mon prénom, mon établissement). Et puis ça conditionne encore les gens à utiliser le réseau MSN, les blogs Windows Live ou encore le service SkyDrive.
Pourquoi ne pas déployer un serveur à l’intérieur même du lycée, avec une plateforme comme Elgg, que je trouve bien mieux conçue et beaucoup plus accessible ? Mais surtout ouverte et décentralisée ! Elle permet les mêmes choses, voir plus. Alors pourquoi choisir en permanence Microsoft (ils ont des aides financières, c’est pas possible ?!) ?
iPod, iPhone, ça te fait rêver ?
Pas vraiment, en fait je n’ai (encore) aucun produit Apple chez moi ! Tout le monde a des iPods, je n’en ai pas, et franchement ça ne me donne pas envie. Je ne renie pas le fait que l’iPhone est superbement bien conçu, mais je ne suis pas forcément pour les smartphones, et encore moins si ce n’est pas basé sur une architecture libre.
Et puis, quand ça lit pas le Ogg, c’est pas intéressant 😉
Certains caricaturent les jeunes et leur usage d’internet qui se résumerait à MSN, Facebook, World of Warcraft et du copier/coller de Wikipédia. Qu’as-tu envie de dire à ces gens là ?
Eh bien j’ai envie de dire qu’ils ont raison et qu’ils ont tort. Raison parce-que c’est quand même le cas de pas mal de jeunes (Skyblogs, MSN et Facebook comme tu le dis et pis tant qu’à y être l’exposé venant directement de Wikipédia !). Mais il n’y a pas qu’eux, et heureusement ! C’est vrai que pas mal de gens voient l’Internet sous cet angle là, mais une autre partie le voit différemment.
Le truc qui m’avait bien fait rire, c’est quand j’avais demandé à un ami quel était son navigateur web : il m’a répondu « Ben… Google ! ». En fait il parlait de sa homepage, et son butineur arborait une jolie icône en « E » bleue. Un autre ami pensait que Internet Explorer, c’était Internet, et que Mozilla Firefox c’était pas le vrai Internet… (ça vole haut !). M’enfin bon, depuis il est passé quand même à Mozilla Firefox tout ça parce-qu’un site pour télécharger des voitures dans TrackMania ne marchait pas sous son IE.
Est-il difficile d’expliquer à ses camarades ce qu’est un logiciel libre ? Penses-tu que la diffusion de la pratique du piratage et la confusion libre/gratuit compliquent la situation ? Les as-tu senti concernés par le débat sur l’Hadopi ?
Très difficile ! J’ai converti un ami à Linux, c’est déjà pas mal, et sensibilisé plusieurs : mais certains continuent à dire logiciel gratuit pour logiciel libre ou encore logiciel libre pour logiciel gratuit. C’est sûr qu’au début ça peut porter à confusion, mais au moins ils sont sensibilisés. Et puis il y a encore les pro-Microsoft qui ne veulent même pas savoir ce qu’est un logiciel libre, et restent bornés à ce qu’ils connaissent/utilisent.
Oui, certes, cette confusion avec le piratage complique la situation, et, résultat les gens ont téléchargé illégalement sans limites pendant plusieurs années. Ce qui a entraîné le gouvernement à faire un peu n’importe quoi avec Hadopi (enfin, les maisons de disque à pousser le gouvernement à faire n’importe quoi). Malheureusement.
Justement, j’avais un ami qui disait, qu’au début l’Hadopi c’était génial, que les artistes devaient pouvoir vivre de leur métier et tout le blabla, là je ne le contredis pas quand à la rémunération des artistes, mais ce qu’il ne comprenait pas c’est que les musiciens n’auront pas beaucoup plus avec cette loi qui n’est que dans l’intérêt des maisons de disque ! En tout cas, maintenant que cette même personne a commencé à télécharger illégalement, elle pense tout le contraire. Comme quoi : « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ! »…
Je vois que tu es également développeur sur ton temps… libre avec le projet KOLoad. Peux-tu nous en dire davantage ? (et au passage pourquoi ce choix de la licence CeCILL ?)
Oui, j’ai commencé à apprendre le HTML/CSS il y a un an (je maîtrise parfaitement ces langages maintenant), et je me met au JavaScript et PHP peu à peu. C’est pourquoi l’été dernier, en même temps d’apprendre le PHP, je codais pour m’entraîner sur ce que je venais d’assimiler. Et puis je me suis dit que KOLoad pouvait être utile à la communauté, donc je l’ai publié. Et puis au lieu d’utiliser SkyDrive comme tout le monde au lycée, j’aurais mon KOLoad sur mon serveur 😉 Cependant, je tiens à préciser qu’il ne sera pas maintenu (je suis actuellement sur des projets plus important, comme Movim, qui a pour but de créer un réseau social libre et décentralisé basé sur XMPP !).
J’ai choisi la licence CeCILL, tout simplement, parce-que KOLoad est basé sur listr, un projet de navigateur de fichiers en PHP, qui était lui-même publié sous la licence CeCILL. Pour ne rien changer, je l’ai donc gardée. Cette licence me paraissait bonne pour le logiciel libre, donc je ne me suis pas amusé à changer !
Penses-tu que ce serait une bonne idée de créer un « cours d’informatique » comme cela se discute actuellement ? Et si oui pour quel niveau et pour quel contenu ?
Mhh, si tu parles de cours informatique à l’école, ça peut être utile à hauteur d’une heure toutes les 2 semaines par exemple, histoire de faire découvrir des alternatives, de sensibiliser les jeunes sur le libre (tant qu’à y être !). Et puis de nos jour, ne pas savoir utiliser correctement un ordinateur est assez problématique pour son futur métier.
Pour ce qui est du niveau, pourquoi ne pas avoir plusieurs groupes qui feraient, pour les plus expérimentés, des choses plus poussées (bon, j’imagine que ça irait pas jusqu’à la programmation quand même !). Mais le truc que j’aurais adoré en tant que lycéen, c’est justement une option « programmation » ! Inutile pour la section que je fait actuellement, mais passionnant ! 🙂
Comment vois-tu l’avenir du logiciel libre ?
Comme la devise de Framasoft le dit si bien : on a encore du boulot pour sensibiliser et promouvoir, mais on remarque tout de même une petite progression au fil des années.
Le truc qui me fait peur c’est l’ascension des applications web, à intérêt commercial (je pense aux services Google). Le code est fermé pour celles-ci, et on arrive dans l’impasse de la centralisation. À mon avis, la communauté du logiciel libre devrait s’activer dans les applications web décentralisées, puisque c’est l’avenir de l’informatique, malheureusement à mon avis… (Le futur Chrome OS souligne bien ça).
Bonne chance pour la suite de tes études 😉
Merci ! Il y a du pain sur la planche 🙂