Dégooglisons Internet : notre (modeste) plan de libération du monde

un billet de l’association Framasoft

Voilà six mois que nous le concoctons activement… mais plusieurs années que cela nous travaille. Nous voyons, tout comme vous, nos internets évoluer. Les logiciels privatifs deviennent des services et des applications web qui captent notre attention et nos données, qui les centralisent pour mieux les exploiter. Le gratuit nous transforme en produits qui engraissent les géants de la Silicon Valley et attisent la convoitise des services d’espionnage…

Face à cela, la communauté du Libre évolue elle aussi, en développant des alternatives logicielles à installer, étudier, améliorer et diffuser. Framasoft s’est inscrit dans cette évolution dès le lancement de Framapad en s’efforçant de faire au mieux : rendre le libre facilement accessible à nos grand-pères, petites sœurs, voisins et collègues. Aujourd’hui, Framapad est notre projet le plus utilisé, avec quatre instances sur nos services et un financement participatif réussi. Framadate et Framindmap sont en plein boom et notre lecteur RSS Framanews tourne à pleine capacité…

La demande pour des alternatives libres est de plus en plus pressante, et il faut y répondre. Ça urge.

<img title="Dégooglisons Internet - par LL de Mars - LAL" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="/public/_img/framasoft/framasoft-campagne-2103_ll-de-mars_licence-art-libre.jpg" >=""

Google est un symbole (caution: may be evil)

L’année dernière, nous avons dégooglisé Framasoft. Comme monsieur et madame tout-le-monde, au fil des années, nous nous étions laissé séduire par la facilité immédiate des services proposés par la deuxième capitalisation boursière au monde. Nous avons montré qu’une structure aussi complexe que Framasoft peut se libérer de Gmail[1], Google Groups[2], Analytics[3], ainsi que d’Adsense et les services embarqués[4] ; et ce grâce à vos dons et participations bénévoles.

Mais cela ne suffit pas. Le géant de Mountain View est passé de simple moteur de recherche à un inventaire à la Prévert qui propose suite bureautique, stockage dans le cloud, magasin d’applications, livres, musiques et films, plusieurs OS (systèmes d’exploitation… mais encore des brevets sur les téléphones, l’électronique, la robotique et le vivant… Comme nous le disions lors d’une de nos frama-conférence aux dernières RMLL : « Google, c’est le nouveau Skynet ».

Or Google n’est qu’une lettre des GAFAM (Google Apple Facebook Amazon Microsoft) qui, avec Dropbox, Avaaz, Twitter (et tant d’autres…) ont réussi à nous rendre tellement dépendants de leurs services que nous finissons par travailler pour leur empire sans même nous en indigner.

Les libristes contre-attaquent (et Framasoft allume les LEDS)

On n’est pas les premiers (et merci !). On n’est pas les seuls (et heureusement !). Mais à Framasoft, on a décidé que ça suffisait. Alors on va faire ce que l’on sait faire le mieux : sensibiliser le grand public et lui proposer des services Libres, Éthiques, Décentralisés et Solidaires face à chaque application privatrice, centralisatrice, exploiteuse et enfermante qu’on pourra combattre. Ce « plan de libération du monde »[5] est intitulé : Dégooglisons Internet.

Nous allons améliorer nos services existants, tout en faisant perdurer nos projets-phares. Nous ouvrons officiellement aujourd’hui un pod Diaspora*, une Framasphère pour qui souhaite se libérer de Facebook sans tomber dans le business plan de Ello. Nous allons proposer un moteur de recherche, un service de raccourcissement d’URL, des catalogues d’ebooks libres, de l’hébergement d’images… Et cela c’est juste pour la fin de l’année ! Sur trois ans, nous comptons proposer toute une liste de services libres (stockage cloud, hébergement de fichiers, tube vidéo, listes de diffusion, micro-blogging et blogs), d’alternatives s’opposant comme autant de pieds de nez gaulois à l’envahisseur romain.

Pour réussir ce pari fou, nous avons une potion magique : vous.

Nous avons besoin de sous vous (mais de sous aussi ^^)

Actuellement, notre budget annuel représente 2,27 secondes du chiffre d’affaires annuel de Google. Rien qu’avec cela, on accomplit déjà beaucoup. Mais avec votre aide, nous pouvons aller plus loin. On le sait, la communauté libriste est constamment sollicitée par nos collègues, amis, et nous-même afin de réunir les fonds pour faire vivre leurs projets. Nous, on va vous demander de le défendre. Partagez autour de vous le site Dégooglisons Internet. Utilisez cet outil amusant et pédagogique pour accompagner votre entourage dans la prise de conscience des dangers du web privateur. Montrez-leur la liste des alternatives existantes, et de celles qui peuvent se créer si les geek-friendly viennent grossir nos rangs et nous soutenir par leur argent, leur temps, leur partage de compétences.

Des associations utilisent Framapad pour écrire leurs documents sans avoir à s’inscrire sur GoogleDocs. Des militants et syndicats ont compris que Framadate permet d’avoir un « Doodle » qui ne donne pas les dates de leurs réunions à la NSA ou la DGSE… Des écoles initient en toute sécurité leurs élèves au dessin assisté par informatique grâce à Framavectoriel. Ces projets existent grâce à des volontés bénévoles soutenues par une association qui leur donne les moyens d’éclore, de se développer et de perdurer.

Nous avons besoin d’argent et de volontés pour mettre notre plan en action, et chaque personne que vous convaincrez nous permettra d’avancer dans cette direction.

Framasoft engage son nom

(engagez-vous, qu’ils disaient !).

Nous ne nous engageons pas à réussir, car cela dépend des volontés qui nous rejoindront et des moyens que vous nous donnerez. Mais nous nous engageons à faire de notre mieux dans cette direction, et à le faire en développant des services Libres, Éthiques, Décentralisés et Solidaires. Nous avons élaboré une charte à laquelle nous nous tiendrons, ainsi que toute personne qui souhaite nous apporter son savoir-faire. Nous espérons aussi que d’autres projets nous rejoindront dans cette dynamique de mise à disposition pour le plus grand nombre de tels services (et nous nous évertuerons à en parler).

Maintenant, tout dépend de vous, de ce que vous allez faire après avoir lu cet article. Et vous savez quoi ? — Nous sommes confiants !

Vos outils :

Pour expliquer comment et pourquoi le petit village libriste résiste à l’envahisseur.

Une page pour résumer l’ensemble des projets que nous proposons et voulons proposer, et des moyens qu’il nous faut pour y parvenir.

L’association vit principalement du don, afin d’offrir aux projets l’infrastructure logistique, technique et humaine dont ils ont besoin pour se développer.

Notre engagement pour l’éducation populaire au Libre dans une économie sociale et solidaire.

Tu sais faire des trucs ? Ça tombe bien, on a des trucs à faire !




Framasphère : c’est gratuit, mais ce n’est pas toi le produit !

Ca y est. On y est.

Framasoft vient d’annoncer sa campagne « Dégooglisons Internet ».

Parce que les Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et autres sont en train de prendre le contrôle d’Internet de manière insidieuse.
En vous proposant gratuitement des services (souvent d’excellente qualité) comme Google Docs, Skype, GMail ou Google Maps, ils deviennent des points de passage quasi-obligés de votre navigation.

Vous rappelez-vous d’une journée d’utilisation normale d’Internet ou vous ne seriez pas passés par Google, Youtube, Doodle, Skype ou Facebook ? Même si cela était le cas, êtes-vous certain(e) que vous n’avez pas surfé sur une page contenant une pub Adsense (régie publicitaire de Google) ? Affichant un bouton “J’aime” de Facebook ? Reprenant un « tweet » qui fait le buzz ? Êtes-vous certain d’avoir désactivé la géolocalisation de votre iPhone ?

Nous sommes devenus des produits pour ces entreprises qui, en collectant toujours plus d’informations sur nous, monnaient notre profil et notre vie privée.

Ce n’est pas le Web que nous voulons. Ce n’est pas la société que nous espérons.

Privacy by OpenSourceWay CC BY SA - https://www.flickr.com/photos/opensourceway/4638981545

Et si on taclait Facebook ?

Il y a quelques jours, nous faisions le point sur Diaspora*, un logiciel libre permettant de mettre en place son propre réseau social décentralisé.

Contrairement à Facebook, ou à Ello qui a fait beaucoup de bruit ces derniers jours, Diaspora* est :

  • Libre : vous avez accès au code source du logiciel. Et même si vous n’êtes pas capable de le lire, c’est important car cela signifie que ceux qui en ont les compétences (des informaticiens citoyens) peuvent le faire et vous assurer que le logiciel n’agit pas contre votre intérêt.
  • Décentralisé : Diaspora* est géré par une fondation. Il n’y a pas d’actionnaires. Pas d’intérêt à être rentable. Diaspora* n’est la propriété exclusive de personne. Et surtout il n’y a pas un seul site Diaspora*, mais des centaines d’installations du logiciel à travers la planète. Appelés des « pods » et gérés par des individus ou des communautés, ces derniers sont capables de discuter entre eux.
  • Collaboratif : dans Diaspora* contrairement à Ello, Twitter ou Facebook, ce n’est pas un individu ou une entreprise qui va décider pour vous comment se présente votre fil d’activité. Le code étant disponible et ouvert *vous* avez la parole. Plusieurs dizaines de contributeurs travaillent bénévolement sur le logiciel, et vous pouvez les rejoindre (même si vous n’êtes pas développeur, vous pouvez rédiger de la documentation, créer des icones, chasser les bugs, etc.).

Cependant, Diaspora* reste encore relativement complexe à installer.

Framasoft a donc décidé d’ouvrir, avec l’aide de l’équipe diaspora-fr.org, un nouveau pod Diaspora* francophone.

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Bienvenue dans la Framasphère

Framasphère est le premier service mis en place dans le cadre de notre campagne « Dégooglisons Internet », mais bien d’autres sont en préparation : service de liste de diffusion, de pétitions, de visioconférence, d’hébergement de documents, etc.

Sur ce réseau social Libre, vous pouvez (tout comme Facebook ou Ello) échanger avec des amis ou des inconnus, sur les sujets qui vous intéressent.
Et comme Diaspora* est décentralisé, vous pouvez échanger depuis Framasphère avec des personnes ayant des comptes Diaspora* sur des pods hébergés à l’autre bout du monde. — Quid de contenus litigieux ? De messages postés par des entreprises ou des partis politiques ? De pornographie ?
— Comme tout espace autogéré, les règles seront affinées avec le temps, et surtout avec la communauté d’utilisateurs de Framasphère.

Cependant, l’énorme différence avec les réseaux sociaux privés existants, c’est que Framasoft s’engage – au travers d’une Charte et de Conditions Générales d’Utilisation – à vous respecter, vous et vos données.
Nous ne revendons pas vos données. Nous n’étudions pas votre comportement. Nous n’affichons pas de publicité.
Et si les règles collectives ne vous conviennent pas, vous pourrez toujours installer votre propre pod, avec vos propres règles.

Framasphère, c’est pour tes pairs.

Framasphère compte, avant même son lancement officiel, plus de 2 000 inscrits (dont quelques « people » d’Internet[1]). Nous espérons que vous nous rejoindrez rapidement et que vous participerez avec nous à en faire un réseau social bienveillant. Et plus encore, nous souhaitons vivement que ce réseau soit communément partagé bien au-delà de la sphère des enthousiastes convaincus : invitez votre collègue de boulot, votre voisine de palier, la boulangère, le gars qui tient sa page facebook mais qui n’en peut plus, le copain de votre cousine (nous avons décidé cette fois-ci de laisser Mme Michu – et sa famille – tranquilles).

Notre balle est dans votre camp, cet outil est à votre disposition. La dynamique (déjà joliment lancée) que la Framasphère suivra ne dépend plus que de vous.

Notes

[1] cf le sympathique article du non moins sympathique JCFrog http://jcfrog.com/blog/je-ne-comprends-pas-ello-framasphere-menchante-nopub-rs/ qui en donne une liste non-exhaustive.




Vu à la télé : le lobbying de Microsoft à l’école dévoilé dans un documentaire

Alexis Kauffmann - Spécial Investigation - Canal+« Le logiciel libre, c’est la hantise des entreprises high-techs… »

Le 8 septembre a été diffusé sur Canal+ le documentaire « École du futur : la fin des profs ? » dans le cadre de l’émission Spécial Investigation. Il nous montre des expériences innovantes dans des classes en France et aux USA, s’intéresse aux marchés des manuels scolaires et accorde une large part à l’offre et aux stratégies commerciales de géants comme Apple ou Microsoft.

Pour avoir, ici-même sur le Framablog, souvent dénoncé des liens trop forts entre Microsoft et l’éducation au détriment de la nécessaire et légitime place à donner au Libre, j’ai été contacté par la réalisatrice Pascale Labout. Du coup j’apparais dans le documentaire (dont vous trouverez un extrait signifiant ci-dessous), tout comme la députée Isabelle Attard qui fait partie de ces trop rares politiques qui prennent le relais et interpellent les pouvoirs publics sur ces questions (le travail d’une structure comme l’April n’y étant pas pour rien).

Merci à la journaliste d’avoir estimé qu’il était important d’informer sur certaines pratiques un peu troubles, de questionner le ministère à ce sujet et d’accorder une place au logiciel libre dans son travail d’enquête.

Un extrait à voir et faire circuler si vous pensez comme nous que cela a assez duré.

Transcript

URL d’origine du document
Merci au groupe de travail transcriptions de l’April

Prof devant TBI : Vous ne voyez pas très bien, j’en suis navré. OK. Ces verbes sont au présent

Journaliste : La France entame aujourd’hui son virage numérique. Il va donc falloir acheter du matériel informatique : tablettes, ordinateurs, tableaux interactifs, mais aussi des logiciels éducatifs quasiment inexistants dans l’hexagone. Le marché anglo-saxon, en revanche, en déborde déjà. Nous sommes à Londres, au BETT, le salon des technologies de l’éducation. Tout le monde du numérique à l’école s’y est donné rendez-vous.

Des élèves anglais, en uniforme, chantent autour de tablettes.

Journaliste : On y retrouve madame Becchetti-Bizot, la toute nouvelle responsable du numérique au sein de l’Éducation nationale.

Intervenant : Je vous présente la société Education City.

Journaliste : Elle est venue découvrir ce qui pourrait demain équiper nos écoles.

Jamie Southerington, commercial d’Education City : Je voudrais vous montrer ce qu’on peut proposer en français. On a des activités pour les élèves de trois ans. Si vous avez un tableau blanc interactif dans vos classes, on a ce logiciel qui permet aux enfants d’apprendre l’alphabet en chantant. Voilà, il suffit d’appuyer là.

Catherine Becchetti-Bizot, responsable de la direction pour le numérique éducatif : Je suis très surprise par la richesse et la diversité de ce qui est proposé, par la vitalité des petites entreprises qui sont là et qui cherchent vraiment à s’adapter aux besoins de la communauté enseignante.

Journaliste : Aujourd’hui le ministère de l’Éducation nationale est prêt à fournir tous les enfants en tablettes ?

Madame Becchetti-Bizot : Le Ministère n’est pas prêt à acheter pour l’ensemble, ce serait impossible, vous imaginez le prix que ça représenterait ! En revanche il est prêt à nouer des partenariats, à imaginer des consortiums avec les collectivités et les entreprises, peut-être, peut-être ! Je ne sais pas si on va le faire, mais on va essayer de faire ça, pour qu’effectivement on puisse encourager, faciliter l’équipement.

Journaliste : Des partenariats qui font rêver les industriels car le marché à conquérir est énorme. Sur le plan mondial, il est estimé à 100 milliards d’euros et les prévisions de croissance donnent le tournis : plus de 1500 % pour les dix ans à venir.

Aujourd’hui le leader sur le marché de la tablette éducative, c’est Apple. Pourtant la marque n’a pas de stand officiel sur le salon, elle préfère mettre en avant ses partenaires fournisseurs de contenus, les fameux logiciels éducatifs.

Pourquoi la société Apple est-elle absente du salon ?

Mark Herman, directeur d’Albion : Parce qu’on n’a plus besoin d’expliquer ce qu’est un iPad. Tout le monde sait ce que c’est. En revanche on doit prendre les gens par la main et leur faire des démonstrations pour leur montrer le potentiel éducatif de nos logiciels. Ensuite ils pourront décider si ça les intéresse ou s’ils veulent acheter chez nos concurrents et c’est là qu’on est utile. On est là pour conseiller des écoles, pas pour leur forcer la main. Mais vous savez, dans les écoles qu’on a équipées, on a pu constater des changements incroyables et c’est une vraie motivation pour nous.

Journaliste : Pour les industriels, ces logiciels sont les meilleurs moyens d’attirer les clients dans leurs filets. Une fois achetés, vous devenez dépendants de leur système informatique. Dans la plupart des cas, votre logiciel Mac, n’est utilisable que par un ordinateur ou une tablette Mac. Idem pour les PC. Nous sommes allés voir l’autre géant du numérique, Microsoft. Pour découvrir leur stratégie de vente, ils nous invitent dans un showroom de logiciels et matériels éducatifs à Paris. Ce lieu a été baptisé la classe immersive.

Enseignante : Voilà. Vous vous asseyez par parterre, là.

Journaliste : Mis en place il y a deux ans au siège de l’entreprise, ici les profs et leurs élèves sont invités à découvrir l’école de demain selon Microsoft.

Robot Nao : Bonjour. Je suis Nao, un robot humanoïde. Je viens de la planète Saturne.

Journaliste : Ce jour-là, une prof à la retraite, engagée par la multinationale, nous fait une petite démonstration devant quelques cobayes.

Prof : Qu’est-ce que c’est ça ?

Enfants : C’est la terre.

Prof : Il va falloir écrire le nom des planètes. Vous prenez ce stylo,là, vous choisissez une couleur.

Journaliste : Le but : séduire les élèves et leurs profs pour vendre aux établissements scolaires une classe du futur, clefs en main.

Prof : On va aller sortir une image d’un livre.

Enfants : Oh ! De la lave et de la fumée !

Prof : Voilà, qui sort. Après ça sort d’où ?

Journaliste : L’homme qui a eu l’idée de showroom c’est Thierry de Vulpillières, le responsable éducation chez Microsoft France.

Thierry de Vulpillières, responsable éducation de Microsoft France : On est chez Microsoft. Notre sujet c’est d’aider la passion pour l’éducation des enseignants et des élèves. 55 % des enfants français s’ennuient à l’école. C’est dommage. Eh bien c’est parce qu’on va déplacer la façon d’enseigner et on va impliquer davantage les élèves que ces outils viennent naturellement s’insérer dans ce nouveau mode d’apprentissage. Ce qu’on souhaite c’est qu’effectivement l’ensemble des élèves puisse bénéficier du numérique. Moi je serais enchanté qu’il y ait 11 millions de tablettes entre les mains de chaque élève.

Journaliste : La difficulté pour Thierry de Vulpillières : la loi interdit de faire de la pub dans les écoles. Alors pour contourner le problème, Microsoft a trouvé une autre stratégie. Nous allons vous montrer comment, depuis des années, l’entreprise américaine noyaute l’Éducation nationale pour vendre ses produits. L’homme qui a découvert le pot aux roses, c’est Alexis Kauffmann, un professeur de mathématiques. En 2008 il se rend sur le site du forum des enseignants innovants, un forum, parrainé par l’Éducation nationale, où les profs présentent des projets pédagogiques. Alexis y découvre une photo qui l’intrigue, celle de cette petite fille asiatique assise dans une classe.

Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques : J’ai pu montrer que le site du premier forum des enseignants innovants utilisait les images qu’on retrouvait sur les sites officiels de Microsoft. On voit qu’ils ont un petit bâclé le travail, ils n’ont même pas pris le soin de maquiller, le soin de changer les images.

Journaliste : Ah si, ils l’ont renversée.

Alexis Kauffmann : C’est vrai ils l’ont renversée.

Journaliste : Alexis veut savoir pourquoi une photo de Microsoft se retrouve sur le site. Il découvre alors que la multinationale est à l’origine de ces forums et qu’elle continue de les financer en toute discrétion.

Nous nous sommes rendus au dernier forum des enseignants innovants. Cette année il se tient au Conseil régional d’Aquitaine. Dans le hall, des professeurs présentent leurs projets.

Enseignant : Il n’y a pas de classe, en fait, c’est un espace qui est totalement ouvert sur la vie. On sort dans la vie…

Journaliste : Sur l’estrade des représentants des professeurs, du Conseil régional et du ministère de l’Éducation nationale

Jean-Yves Capul, sous-directeur du développement numérique, Éducation nationale : La direction du numérique pour l’éducation a été voulue par le ministre comme une direction à vocation pédagogique. C’est la pédagogie et pas la technique qui est au cœur de cette direction, même si l’ambition était de réunir les deux aspects, la pédagogie et les systèmes d’information et la technologie.

Journaliste : Dans l’auditoire, au premier rang, assis derrière la plante, Thierry de Vulpillières, monsieur Microsoft. Alexis Kauffmann est venu lui demander plus de transparence sur l’implication financière de la multinationale dans le forum.

Alexis Kauffmann : Quelle est la somme allouée par Microsoft à ce type d’événement, par exemple ?

Thierry de Vulpillières : Moi je ne donne pas de chiffre. La somme est marginale aujourd’hui sur l’organisation de ce forum. Malheureusement. Je suis très content que tu me demandes…

Alexis Kauffmann : Puisque la première fois, Serge Pouts-Lajus avait lancé un chiffre, c’était quasiment 50 % du budget.

Thierry de Vulpillières : Je pense qu’on n’a jamais excédé les 50 %, mais effectivement on a été dans l’ordre de 50 %.

Alexis Kauffmann : C’est quand même assez fort !

Thierry de Vulpillières : Absolument ! Et on est très fier de soutenir cet événement-là.

Alexis Kauffmann : D’accord.

Journaliste : Thierry de Vulpillières n’en dira pas plus. Son parrainage reste discret. Certains professeurs n’en ont même pas connaissance.

C’est un événement qui est en grande partie financé par Microsoft. Ça vous inspire quoi ?

Christophe Viscogliosi, professeur d’économie : Ça je ne savais pas, déjà, d’une part. Et d’autre part ça aurait été mieux que l’Éducation nationale finance intégralement ce type de forum.

Journaliste : Pourquoi ?

Professeur d’économie : Il y a un risque de conflit d’intérêt. Je n’ai pas envie nécessairement d’être obligé d’utiliser les produits Microsoft en cours.

Journaliste : Thierry de Vulpillières est le seul industriel du monde numérique présent ici. De stand en stand, il entretient son réseau avec le corps enseignant.

Thierry de Vulpillières : Laurence Juin. Ce n’est pas son premier forum.

Laurence Juin, professeur de français : Non.

Thierry de Vulpillières : Et donc paradoxalement on a l’impression qu’on est dans un stand de travaux manuels. Vous voyez des fils et de la laine. C’est une enseignante qui a été une des premières enseignantes à utiliser Twitter.

Professeur de français : Twitter ça permet aux élèves de communiquer, c’est-à-dire qu’on est dans une salle de classe mais ça permet d’ouvrir. On a fait des projets de communication où on communiquait avec des hommes politiques, des écrivains, des journalistes. Des échanges courts, qui nous ont amenés à faire des projets plus larges, des rencontres, des écrits, des échanges.

Journaliste : Adepte d’Internet, l’enseignante devient une cible pour le représentant de Microsoft. Ce matin même il a offert dix tablettes à sa classe Professeur de français : On a la chance d’avoir quinze postes informatiques, ce n’est pas le cas tout le temps. On va peut-être avoir des tablettes.

Journaliste : Microsoft ?

Laurence Juin, professeur de français : Oui.

Thierry de Vulpillières : Les petites surfaces vont débarquer chez elle.

Professeur de français : Les bonnes nouvelles. Les forums permettent aussi ces échanges-là.

Journaliste : Dix tablettes offertes pour essayer d’emporter le marché dans un établissement de sept cents élèves. Microsoft a mis en place un lobby bien rodé avec le corps enseignant et sa hiérarchie. Nous avons pu récupérer cette invitation envoyée à certains fonctionnaires de l’Éducation nationale. L’académie de Paris les invite à découvrir l’innovation numérique au siège de Microsoft. Au programme la classe immersive. Souvenez-vous, le showroom de Microsoft, inventé pour faire la promo de la classe du futur. Pour Alexis Kauffmann c’est la neutralité de l’école qui est mise à mal.

Alexis Kauffmann : Ce qui est scandaleux c’est qu’une journée académique d’information, formation, étude, autour du numérique se retrouve chez Microsoft. Elle n’a absolument rien à faire chez Microsoft, tout simplement. Est-ce qu’on imagine le ministère de l’Agriculture organiser ses journées d’étude chez Monsanto par exemple ? Non !

Journaliste : Nous sommes allés présenter l’invitation à la nouvelle directrice du numérique éducatif.

Le 28 mai il y avait l’académie de Paris qui organisait une journée sur l’innovation au siège de Microsoft.

Catherine Becchetti-Bizot : Oui, effectivement, le rectorat de Paris a fait cette manifestation au siège de Microsoft.

Journaliste : Vous ne trouvez pas que ça fait un peu beaucoup, il y a peut-être une collusion d’intérêt.

Catherine Becchetti-Bizot : Effectivement, moi je l’ai découvert le jour même.

Journaliste : Vous y étiez ?

Catherine Becchetti-Bizot : Ah je n’y étais pas ! Je n’y serais pas allée, parce que je pense que là on une confusion des genres. Je ne désapprouve pas le recteur, je pense qu’il y a une forme de naïveté, qu’il n’y avait pas la volonté de promouvoir Microsoft. Journaliste : Mais vous êtes contre ?

Catherine Becchetti-Bizot : Je ne suis ni pour ni contre. Je pense que ça n’est pas du tout une politique du ministère de l’Éducation nationale que d’organiser, avec Microsoft en particulier, des choses de ce type-là, et qu’il faudra cadrer effectivement. Ça fait d’ailleurs partie des projets immédiats que j’ai en ouvrant cette direction, c’est de cadrer clairement nos partenariats avec les entreprises.

Journaliste : Les multinationales ont des lobbies puissants et rien ne semble les arrêter dans leur conquête de l’école du futur. Récemment ils se sont attaqués à un amendement de la loi de refondation de l’école. L’amendement proposait que notre école utilise en priorité les logiciels libres. Les logiciels libres c’est la hantise des entreprises high-tech. Ils peuvent être créés, partagés, et modifiés par n’importe qui et ils sont presque toujours gratuits. Un système qui vient concurrencer les géants du numérique. C’est la députée écologiste Isabelle Attard qui propose à l’Assemblée cet amendement en faveur des logiciels libres.

Isabelle Attard, députée du Calvados : Cet amendement a été entièrement validé par la Commission culture et éducation en première lecture à l’Assemblée, au Sénat également. Et lorsque le texte revient en deuxième lecture à l’Assemblée, on s’aperçoit que le syndicat du secteur du numérique, le Syntec, vient d’envoyer un communiqué de presse qui alerte, justement sur cette amendement accepté par l’Assemblée et le Sénat, sur la loi refondation de l’école.

Journaliste : Voici ce communiqué du syndicat des entreprises du numérique. Un communiqué très alarmiste : « Ces dispositions handicaperont gravement la plupart des entreprises déjà présentes sur cette filière ». Il a été envoyé à la presse, à tous les députés et au ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Vincent Peillon. Alors que l’amendement d’Isabelle Attard aurait permis à l’État de faire des économies importantes, Vincent Peillon recule.

Comment vous expliquez cette situation ?

Isabelle Attard : Parce qu’il y a un lobby et une pression incroyable de la part des plus gros éditeurs de logiciels propriétaires et, comme je le disais, Microsoft est le plus gros.

Journaliste : Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre l’ancien ministre pour qu’il nous explique sa marche arrière. Il a refusé.

Quelques liens connexes pour aller plus loin

Alexis Kauffmann




Et si on faisait le point sur le réseau social libre Diaspora*

En 2010, 4 étudiants New Yorkais lançaient un pari fou : créer un réseau social similaire à Facebook, mais cette fois libre et décentralisé.

Avec Diaspora* (c’est le nom du logiciel, “*” compris), non seulement il deviendrait possible d’installer son propre réseau social (pour sa famille, son entreprise, sa communauté), mais les différentes installations de Diaspora* (ces instances sont appelées des “pods”) seraient capable de discuter entre elles. Cela signifie que vous pouvez avoir créé votre compte sur le pod francophone https://framasphere.org, tout en échangeant avec des amis brésiliens (par exemple) hébergés eux sur https://diasporabrazil.org/

Estimant qu’ils avaient besoin de 10 000 $ pour financer leur projet, ces étudiants firent appel à un mode de financement original pour l’époque, le financement participatif. Annoncé en avril 2010, la somme fut atteinte en 12 jours seulement, mais les financements continuèrent d’affluer jusqu’à atteindre plus de 200 000 $, faisant de Diaspora* un des premiers logiciels à être financé ainsi par le public, mais aussi l’un des rares logiciels libres disposant de fonds non négligeables. Autant dire que les attentes étaient énormes, notamment par tous les détracteurs de Facebook qui en avaient assez d’être traqués dans leurs moindres “J’aime”.

La fin de l’année 2011 fut particulièrement rude pour le projet : critique d’internautes trouvant que le projet n’avançait pas suffisamment rapidement, première version bêta repoussée de plusieurs mois et décès de l’un des fondateurs. En août 2012, le projet fut confié à la communauté via une fondation, créée pour l’occasion.

Et depuis ? … Peu de nouvelles, en fait. Le projet continue pourtant non seulement d’exister, mais de s’améliorer, et compte plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs a travers le monde.

Récemment, le projet a de nouveau fait parler de lui : une dépêche AFP reprise sur de nombreux médias pointait du doigt Diaspora* et sa décentralisation comme un lieu d’expression pour les djihadistes de l’Etat Islamique.

Flaburgan, qui contribue activement au projet Diaspora* depuis deux ans, a bien voulu répondre à nos questions et nous dire où en est le projet aujourd’hui.


Diaspora-logo-roboto2.png


Bonjour Flaburgan, avant tout, peux-tu te présenter aux lecteurs du Framablog et nous dire comment tu es venu à contribuer à Diaspora* ?

Alors, je suis un jeune développeur web et Libriste avant tout (merci à l’IUT de Grenoble qui m’a bien éduqué en utilisant exclusivement du libre !) et je cogite un peu sur le fonctionnement actuel de notre société numérique, particulièrement l’approche que nous avons de la notion de vie privée. Je me suis donc engagé dans le projet Mozilla, et vous m’avez peut-être croisé aux conférences « Web et Vie privée » que je donne dans ce cadre (au Fosdem, aux JDLL ou ailleurs). Ma contribution au Logiciel Libre est donc orientée éducation et services. Pour moi, l’objectif du Libre est de proposer une alternative solide. Le but n’est donc pas le Graal « tout le monde n’utilise que du code Libre », mais plus simplement « si tu ne veux pas utiliser du logiciel propriétaire / non respectueux, nous avons quelque chose d’autre à te proposer ». Voici pour “alternative”. Par “solide”, j’entends utilisable sans avoir à faire de compromis (comprendre, sans perte de fonctionnalités ni d’utilisabilité).

Pour moi, le Libre remplit déjà cet objectif sur le desktop (Ubuntu / Firefox / Thunderbird / VLC / LibreOffice remplissent 90% des usages sans être plus compliqués ou plus pauvres que leur équivalent propriétaire, au contraire) et est en passe de réussir sur le mobile (au travers de projets comme Cyanogenmod et Firefox OS). Par contre, concernant les services (partage de photos, fournisseur de mail, réseaux sociaux…), il n’y a que peu d’alternatives libres, et elles sont en général plus pauvres. De plus, si on n’a aucune garantie sur ce que fait de nos données un logiciel propriétaire (mais on pourrait lui laisser le bénefice du doute), ce n’est pas le cas pour un service propriétaire, dont on est sûr qu’il exploite nos données. C’est sur ce secteur que les libristes devraient concentrer leurs efforts, Framasoft a d’ailleurs un raisonnement similaire puisque l’association réfléchit à un “Plan de Libération du Monde”[1] pour mettre en place des services Libres.

Quelle est la première brique à poser parmi tous ces services à libérer ? Le social, qui va permettre à chacun de se retrouver, d’échanger et de réfléchir pour construire ensuite notre idéal numérique. Il est pour moi capital de pouvoir accéder à tous ces échanges sans dépendre d’une entreprise à but lucratif. Le choix de diaspora* en soi s’est fait naturellement, c’est le projet le plus connu dans ce domaine, et il suffit de s’y connecter et de voir l’énergie et l’engouement des gens pour trouver du courage à contribuer. Me voici donc à suivre le projet depuis maintenant 3 ans, et à écrire du code (principalement front-end) depuis 2 ans. Comme j’avais besoin d’un endroit pour tester mon code en production, j’ai installé il y a un an le serveur diaspora-fr.org qui est sur la branche de développement de diaspora*, et je travaille maintenant avec Framasoft à la mise en place de Framasphère, un serveur diaspora* stable où tous seront les bienvenus.

Diaspora* souffre encore aujourd’hui d’une image un peu sulfureuse : il s’agissait de la première réussite d’envergure de crowdfunding logiciel, ce qui avait généré une énorme attente de la part des contributeurs. Avec le recul, beaucoup de gens semblent avoir été déçus avec un sentiment de « tout ça pour ça ? ». À juste titre, selon toi ?

Tordons le cou une fois pour toute aux rumeurs : $200k, cela fait $180k une fois que KickStarter a pris sa commission. Les fondateurs étaient 4, en ne se payant que $30k chacun, quand un salaire de développeur débutant à San Francisco est autour de $80k par an, il ne reste déjà plus que $60k. Oui, la somme récoltée était énorme pour un crowdfunding à l’époque, mais elle est ridicule lorsque l’on lance une startup, encore plus quand on la compare aux moyens de Facebook. Donc, je n’ai aucun doute en la bonne volonté des fondateurs, et ce ne sont certainement pas des voleurs comme on les a parfois injustement qualifiés.

Cependant, on ne peut pas dire que diaspora* au bout de deux ans de développement (2012) a été la réussite que l’on espérait. De mon point de vue (extérieur au projet à l’époque), il y a eu deux problèmes majeurs : une mauvaise communication et une absence de financement durable (il n’y avait à ma connaissance aucun autre business model que les dons). Il faut dire que lorsqu’ils ont demandé $10k sur KickStarter, les 4 étudiants pensaient faire une expérience pendant l’été, entre deux années de leurs cours, et n’envisageaient pas de laisser tomber leurs études pour lancer une start up. Ils l’ont finalement fait face au succès du crowdfunding. Le cocktail « beaucoup de pression + peu d’expérience » donne rarement de bons résultats, pour autant, d’un point de vue technique, la majorité des choix faits ont du sens, et la base de code aujourd’hui est saine : nous ne sommes pas dans un sac de nœuds rempli de hacks inmaintenables.

On peut donc reprocher leur manque de communication aux fondateurs, mais une chose est sûre, ils ont été les premiers à se lancer et à porter pour nous cette pression. Peut-être que sans eux, nous serions toujours là à nous plaindre à chaque changement un peu plus intrusif de Facebook sans pour autant faire quelque chose. Diaspora* a été une étincelle, un élément déclencheur : oui, on peut faire quelque chose, et oui, de nombreuses personnes pensent que cela est important. C’est en effet la première fois que l’on voyait un crowdfunding de cet ampleur, et chaque jour qui passe un nouveau scandale éclate en nous rappelant que ce projet n’est pas important mais carrément essentiel.

Par la suite, le décès d’un des fondateurs, puis le transfert du code (sous licence libre) à la communauté, via une fondation chapeautée par la FSSN a un peu donné l’impression d’un logiciel… abandonné. Rassure-nous : le projet est-il toujours actif ?

Lorsque les fondateurs ont souhaité arrêter en 2012, quelques courageux ont repris le flambeau, et la communauté de diaspora* reprend vie de plus en plus chaque jour. L’euphorie du départ n’est plus la même, mais on sait que l’on va dans la bonne direction, et de nombreux contributeurs nous rejoignent. Nous sommes aujourd’hui 446 sur loomio, l’outil que nous utilisons pour gérer le projet et prendre des décisions, et 47 personnes différentes ont participé au code depuis Août 2012, date où le projet a officiellement été transféré de Diaspora Inc à la communauté. Le projet a toujours été sous licence libre (AGPL) et plusieurs personnes qui sont aujourd’hui au cœur de la communauté travaillaient déjà avec les fondateurs à l’époque. Nous avons mis en place des numéros de versions en suivant semver, donc majeure.mineure.hotfix, en gardant un 0. en premier pour montrer que le projet n’est pas encore en “1.0”, c’est-à-dire complètement stable et prêt à être installé par tous, car s’il est prêt à être utilisé même par les plus novices, installer son instance de diaspora* est encore trop compliqué à notre goût. Nous avons sorti début septembre la version 0.4.1.0 de diaspora*, soit une version mineure après la sortie de la 0.4.0.0 fin Juin. En deux ans, nous avons donc sorti 4 versions majeures soit 2405 commits depuis la 0.0.0.0 le 15 octobre. Vous pouvez retrouver chaque release sur github. Je pense qu’on peut le dire, le projet est actif 🙂

Par ailleurs, les critiques techniques relatives au logiciel ont toujours été présentes : diaspora* utilise Ruby et Postgresql ou Mysql, alors que d’autres lui préféreraient XMPP et ou CouchDB. Même s’il faut reconnaître que critiquer les choix technologiques d’un logiciel est pour le geek l’équivalent sportif de la critique des choix d’un sélectionneur d’une équipe de foot, peut-on considérer que Diaspora* est construit sur des bases solides ?

Chaque technologie a ses avantages et ses inconvénients. Si diaspora* avait été écrit en PHP, il aurait été beaucoup plus facile d’installer un serveur, car les mutualisés ont tous PHP disponible. De même, il y a beaucoup plus de monde qui connaît PHP que Ruby, donc nous aurions certainement eu plus de contributions. Pour autant, maintenir une grosse application en PHP est un véritable calvaire, et même si Ruby reste le langage principal de diaspora*, 30% du code est aujourd’hui du JavaScript avec Backbone. Il n’y a pas de technologie parfaite, chacune a ses avantages et ses inconvénients. Les choix faits ici ne sont ni meilleurs ni pires qu’autre chose. La seule problématique importante pour moi est celle du protocole utilisé pour communiquer entre les nœuds. Il n’existe pas de protocole parfaitement adapté pour faire du social de manière décentralisé. Des projets comme Movim ou Libertree se sont basés sur XMPP. Cela a l’avantage d’avoir un chat et une gestion des contacts déjà en place et interopérable avec de nombreux autres services, d’ailleurs, nous travaillons en ce moment à l’intégration d’un chat basé sur XMPP dans diaspora*. Mais XMPP n’est pas non plus le protocole miraculeux : il n’est notamment pas prévu pour gérer la notion de messages “publics”, c’est à dire sans destinataire particulier. Je n’ai cependant pas étudié suffisamment le fonctionnement de ces protocoles pour en parler en détail (à quand une interview de Timothée sur le Framablog ?) En tout cas, l’idée de partir sur quelque chose de nouveau (mais basé sur Salomon) pour diaspora* puis de l’améliorer au fur et à mesure avant de le faire devenir un standard “De Facto” est une manière de faire classique sur le web. Donc, pourquoi pas.

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Les expérimentations d’autres réseaux sociaux fédérés et décentralisées sont nombreuses. Que penses-tu, à titre personnel, de tels projets, comparés à Diaspora* ?

La réponse précédente explique mon point de vue sur la question. Il est rare de voir des gens travailler d’abord sur un standard puis les projets l’implémenter, même si c’est ce que cherchent à faire les gens de Tent.io. En général, on voit plutôt chaque projet se développer dans son coin, et celui qui fonctionne le mieux devient un standard et il est adopté par les autres. La diversité est toujours bonne quand la concurrence est saine. Ce qui est certain, c’est qu’on aimerait bien avoir une plus grande interopérabilité entre les projets, nous travaillons notamment un peu avec Friendica / la RedMatrix et GNU Social, mais on manque vraiment de monde pour travailler sur ces sujets.

Très récemment, Diaspora* est revenu sur le devant de la scène médiatique : les réseaux sociaux décentralisés seraient devenus un repaire pour djihadistes en mal d’hébergement et de visibilité. Peux-tu nous en dire plus sur cette affaire ?

Nous avons vu arriver en quelques jours environ 200 comptes qui diffusaient du contenu de propagande pour l’État Islamique. La communauté s’est très vite mobilisée pour lister les contenus susceptibles d’être illégaux puis nous avons averti chaque administrateur. Selon le pays où il se trouve, un hébergeur est responsable du contenu sur ses serveurs. À ma connaissance, les podmins ont donc choisi de supprimer les contenus litigieux. C’est un choix que chaque administrateur a eu à faire, de par la nature décentralisée du réseau diaspora*, la fondation n’est pas responsable des contenus et n’a donc pas eu de rôle légal dans l’histoire. Vous pouvez en savoir plus en lisant les articles rédigés sur le blog pour l’occasion : https://blog.diasporafoundation.org/

Diaspora*, c’est une poignée de développeurs bénévoles sur leur temps libre, et très, très peu de fonds. Facebook, c’est plus de 7 000 employés à temps plein et un chiffre d’affaires de près de 8 milliards de dollars en 2013. Les réseaux sociaux libres ont-t-il une chance face au mastodonte Facebook ?

Tout dépend où l’on fixe l’objectif. Comme je l’ai dit dans la première question, si le but est d’avoir plus d’utilisateurs que Facebook, probablement pas. Mais notre but est-il là ? Pour moi, notre but est de permettre aux gens qui veulent quitter Facebook de le faire facilement. Si nous arrivons à offrir un équivalent de qualité facile à utiliser, nous aurons réussi, peu importe le nombre d’utilisateurs. Il y en a déjà bien assez pour ne pas se sentir seul.

Il y a ces derniers jours un gros buzz autour d’Ello, un nouveau réseau social qui se veut une alternative à Facebook, avec plus de liberté pour l’utilisateur (possibilité d’utiliser un pseudo, moins strict sur le contenu autorisé (pornographique notamment), pas de pub ni de revente de données). Est-ce que tu penses que de nombreuses personnes vont migrer de Facebook vers ce projet, nouveau concurrent de diaspora* ?

Le seul avantage que je vois à Ello est la facilité à comprendre le projet pour les Mme Michus : un site, une entreprise, un compte à se créer bref, aucun nouveau concept à assimiler pour l’utiliser, à la différence des réseaux décentralisés qui sont différents de ce à quoi les gens sont habitués. Mais l’intérêt s’arrête là. La comparaison ne tient sur aucun des autres points : les avantages mis en avant par Ello et cités dans la question sont présents dans tous les réseaux sociaux Libres que je connais. Pour autant, Ello ne propose aucune garantie :

  • Code source fermé : impossible de savoir ce que fait vraiment le logiciel ;
  • Plateforme centralisée : impossible d’installer son instance pour contrôler ses données ;
  • Compagnie à but lucratif qui vient de lever presque $500k auprès de FreshTracks Capital (lire https://aralbalkan.com/notes/ello-goodbye/) ;
  • …et même dans l’application, aucun réglage de vie privée, que des messages publics…

Bref, Ello n’est clairement pas la solution que l’on attend pour remplacer Facebook, et je crois que beaucoup l’ont déjà compris. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que depuis que ce buzz a commencé, nous avons vu plus de 3 000 personnes inactives depuis longtemps se reconnecter sur diaspora*, lisant les articles sur Ello et se rappelant qu’elles avaient déjà entendu parler d’une vraie alternative libre à Facebook. L’annonce de ce projet est donc une bonne nouvelle pour Diaspora*, cela démontre qu’aujourd’hui encore nous avons besoin d’une alternative solide.

Où peut-on tester Diaspora* aujourd’hui ?

Il y a de nombreux serveurs ouverts à l’inscription, le site officiel indique bien (et en français) comment commencer dans l’univers de diaspora*. Si vous ne savez pas lequel choisir et que vous avez confiance en Framasoft pour héberger vos données, alors framasphere est le serveur qu’il vous faut !

Merci Flaburgan, quelque chose à ajouter ?

Bien sûr : si vous aussi vous pensez que le Web a besoin d’un endroit où tous peuvent communiquer sans que leurs données soient analysées à des fins publicitaires ou autres, venez nous donner un coup de main ! Nous avons un wiki très complet et besoin de tout type de contributeurs, développeurs (Backbone, Bootstrap, Rails ou SQL) comme traducteurs, communicants / marketing, blogueurs, sysadmin et autre ! Découvrez comment contribuer au code ou de manière non technique.

Notes

[1] Note de Framasoft : on vous en reparle très bientôt ! 🙂




Vive réaction de la FSF à l’annonce des nouveaux produits Apple

« Au moins, la montre a quand même un bracelet pour qu’on puisse la retirer… »

Une première sans Steve Jobs, c’était la grand messe Apple hier à Cupertino avec, entre autres, l’annonce de nouveaux iPhone bien plus mieux et d’un produit pas si nouveau que ça : une montre connectée.

Mais il y a un prix à payer à tous ces obscurs objets du désir, celles de nos libertés sacrifiées, nous rappelle ci-dessous la Free Software Foundation de Richard Stallman.

iWatch

Free Software Foundation statement on the new iPhone, Apple Pay, and Apple Watch

9 septembre – FSF
(Traduction : Penguin, Progi1984, sfermigier, Bromind, Mooshka, Sayf, GregR + anonymes)

Déclaration de la Free Software Foundation (Fondation pour le Logiciel Libre) sur le nouvel iPhone, Apple Pay, et l’Apple Watch

La FSF invite les utilisateurs à éviter les produits Apple, dans l’intérêt de leur liberté individuelle et celle de leur entourage.

Aujourd’hui, Apple a annoncé l’arrivée de nouveaux modèles d’iPhone, d’une montre et d’un service de paiement. En réponse, le directeur exécutif de la FSF, John Sullivan a fait le constat suivant :


« Il est étonnant de voir tant de journaux spécialisés dans les technologies agir comme le bras droit du service marketing d’Apple. Ce qu’on voit partout aujourd’hui, c’est une large complicité (des médias) à occulter l’information la plus importante : la guerre incessante d’Apple contre la liberté des utilisateurs d’ordinateurs, et par extension, contre la liberté de parole, de commerce, d’association, contre le droit à la vie privée et contre l’innovation technologique.

Chaque article qui ne mentionne pas l’insistance d’Apple à utiliser des DRM (NdT : Digital Restrictions Management, soit Mesures Techniques de Protection en français) pour verrouiller les appareils et les applications qu’ils vendent, fait beaucoup de tort aux lecteurs, et constitue un coup porté au développement de la société numérique libre dont nous avons besoin à l’heure actuelle. Tout article qui discute des spécifications techniques sans montrer en premier lieu le cadre immoral qui a fabriqué ces produits, contribue à mener les gens sur la voie de la perte totale de leur autonomie numérique.

Tenez le compte du nombre de commentaires que vous avez lus aujourd’hui mentionnant qu’Apple menace quiconque ose tenter d’installer un autre système d’exploitation comme Android sur leur téléphone Apple ou menace de poursuites pénales en vertu de la Digital Millennium Copyright Act ou DMCA (NdT : loi américaine dont le but est de fournir un moyen de lutte contre les violations du droit d’auteur, similaire à la DADVSI en France). Gardez en tête le nombre de commentaires qui mentionnent que les appareils Apple ne vous permettront pas d’installer une application non approuvée, encore une fois en vous menaçant d’une peine de prison si vous tentez de le faire sans la bénédiction d’Apple. Ayez à l’esprit combien d’articles soulignent l’utilisation par Apple de brevets logiciels et d’une armée d’avocats pour attaquer (en justice) ceux qui développent un environnement informatique plus libre que le leur.

Avant cette dernière annonce d’Apple, on a connu de nombreux exemples où ceux qui utilisaient des smartphones et autres ordinateurs à des fins d’activisme politique et de liberté d’expression ont été censurés. Si nous continuons de permettre à Apple ce type de contrôle, la censure et les « zones de liberté d’expression » numériques deviendront la norme permanente.

Il existe une bonne raison pour laquelle l’inventeur (NdT : Russell A. Kirsch) du premier ordinateur américain programmable considère les appareils Apple comme contraires aux formes essentielles de créativité. Mais il ne suffit pas de dire « N’achetez pas leurs produits. » Les lois utilisées par Apple et d’autres pour faire respecter leurs restrictions numériques (leur conférant ainsi un avantage compétitif subventionné par rapport à des produits qui respectent la liberté de l’utilisateur) doivent être abrogées.

Au moins, la montre a quand même un bracelet pour qu’on puisse la retirer, on était inquiets ! »

Nous demandons instamment aux utilisateurs de rechercher les moyens d’encourager l’utilisation de téléphones et autres appareils mobiles qui ne restreignent pas leurs libertés essentielles. Parmi ces possibilités, il existe Replicant, un fork (NdT : Logiciel créé à partir du code source d’un logiciel existant) libre d’Android, et F-Droid, un dépôt d’applications totalement libres pour Android.

Nous devrions aussi faire savoir à Tim Cook de chez Apple ce que nous en pensons.




Livre à prix libre : Vim pour les humains, de Vincent Jousse

Connaissez-vous et surtout utilisez-vous l’éditeur de texte libre Vim ?

Non ? C’est parce que vous n’avez pas encore lu l’interview ci-dessous et surtout n’avez pas encore parcouru le livre d’initiation « Vim pour les humains » mis librement à notre disposition par Vincent Jousse 😉

Un livre électronique vendu à prix libre dont l’auteur a décidé d’en redistribuer 20% à Framasoft, merci à lui.

Vincent Jousse - Vim pour les humains - Couverture

Bonjour Vincent, peux-tu te présenter succinctement à nos lecteurs ?

Vincent Jousse, 33 ans, libre et heureux ! J’écris régulièrement sur http://viserlalune.com au sujet de la vie en général et de tout ce qui peut la rendre encore plus sympathique. Je suis développeur informatique de formation et actuellement enseignant-chercheur à mi-temps à l’Université du Maine où je travaille sur la reconnaissance de la parole. Je suis aussi gérant d’une entreprise dans le domaine : http://voxolab.com.

Je suis contributeur open source depuis pas mal d’années, d’abord en PHP (Symfony) et puis maintenant en Python. Je publie de temps en temps des articles un peu plus techniques sur http://vincent.jousse.org/.

Tous mes écrits sont placés sous licence CC, mon code source étant généralement publié sous licence MIT.

Alors le projet « Vim pour les humains » c’est quoi exactement ?

C’est tout d’abord l’envie d’essayer « autre chose ». À l’époque (déjà 2 ans !), j’avais envie de faire autre chose que passer mes journées à programmer. Comme j’aimais bien écrire, j’ai cherché un sujet sur lequel je pourrais apporter de la valeur. Je n’étais pas une star de Vim (et ne le suis toujours pas), mais je me rappelais de la difficulté que j’avais eue à franchir le premier pas, tout ça à cause d’une documentation réservée aux initiés.

Je trouvais ça dommage que, après des décennies d’existence, apprendre Vim (et surtout comprendre son intérêt) soit toujours aussi compliqué. L’objectif du projet est donc d’aider les utilisateurs à aller plus loin que la sempiternelle question : « mais comment on fait pour quitter cette m*** ?! ».

On peut lire ceci en ouverture du site : « Apprendre Vim est le meilleur investissement que j’aie jamais fait. Que ce soit en tant qu’écrivain, professeur ou programmeur : on l’apprend une fois, il nous suit partout, et pour toujours. » Ah oui, quand même !

Ça fait rêver non ? 😉 Le pire, c’est que c’est vrai. Tout ce que je produis l’est toujours à partir d’un fichier au format texte : ma thèse en LaTeX, mes présentations en Markdown (via http://bartaz.github.io/impress.js/#/bored ), mes articles de blog en Markdown, mon code source en Python, le livre « Vim pour les humains » en reStructuredText via Sphinx, j’en passe et des meilleurs.

Vim est le seul outil que j’utilise à longueur de journée, partout, tout le temps. Même les réponses de cette interview ont été écrites dans Vim.

Ton livre, c’est pour que Vim ne soit pas uniquement l’apanage des geeks barbus ?

C’est exactement ça. C’est peut-être mon côté utopiste, mais j’aime à croire que beaucoup de choses dans le monde du libre seraient plus accessibles si on prenait le temps de les expliquer et si on adoptait un état d’esprit plus pragmatique. Par exemple, tout le monde ne peut pas perdre un mois de productivité en se mettant à Vim. J’ai donc pris le parti de commencer mon livre en expliquant comment rendre Vim utilisable comme un éditeur classique.

Ça a fait grincer quelques dents du style : « c’est pas la bonne manière d’apprendre Vim », « faire croire que Vim est facile est une mauvaise idée », … Foutaises. Mon avis est que si les personnes l’utilisent encore une semaine après avoir commencé à l’apprendre, c’est gagné. Et pour ça, il faut leur faciliter la transition avec leur ancien éditeur.

Question troll : Alors, c’est sûr vi est meilleur qu’Emacs ?

Ahah, c’est même plus du troll à ce niveau là. Disons qu’avant « Vim pour les humains » ils étaient à égalité, maintenant Vim a clairement pris le dessus 😉

Vi, Emacs, TeX… comment expliques-tu que ces éditeurs, conçus dans les années 1970, soient toujours utilisés aujourd’hui ?

C’est malheureux à dire mais, en ce qui concerne Vim et Emacs, on n’a pas encore fait mieux. Ce sont des environnements qui ont été pensés avant l’arrivée de la souris et des interfaces graphiques. La majorité des efforts a donc porté sur la maximisation de l’efficacité au clavier, et il faut dire que Vim et Emacs sont redoutables dans ce domaine (c’est d’ailleurs ce qui les rend compliqués à apprendre à l’ère actuelle des clickodromes et autres interfaces graphiques).

Quand on édite du texte à longueur de journée (que ça soit du code ou autre chose), on cherche à être le plus rapide possible. Quitter les mains du clavier pour bouger la souris et retourner au clavier est aussi inefficace que mauvais pour vos mains (http://fr.wikipedia.org/wiki/Troubles_musculosquelettiques). À part Vim ou Emacs, aucune alternative sérieuse n’existe à ma connaissance pour l’instant.

En ce qui concerne Tex, c’est un peu pareil. Si l’on veut éditer un document en se focalisant sur le contenu et non la présentation, les langages de balises comme (La)Tex, Markdown, rst sont super adaptés. Si en plus on veut écrire un document avec une belle biblio générée automatiquement et des formules mathématiques avec un rendu impeccable c’est simple : LaTeX est la seule solution.

Ok, c’est pas libre, mais que penses-tu du succès actuel d’un éditeur comme Sublime Text ? Fait-il de l’ombre et du tort à Vim ?

En fait, peu importe qu’il fasse du tort ou de l’ombre à Vim, s’il répond à un besoin et que les personnes en sont contentes, parfait !

Je serai très content que Vim puisse être remplacé par quelque chose qui tire entièrement parti des spécificités des environnements graphiques et je pense qu’en effet, Sublime Text est un bon pas dans cette direction.

Mais même si Sublime Text venait à être utilisé partout et par tout le monde, il resterait toujours un problème à résoudre : comment faire lorsque l’on n’a pas d’interface graphique ? « Je connais un truc sympa si tu veux, ça prend rien en ressources, tu peux l’utiliser en ligne de commande, Vim que ça s’appelle » 😉

Pourquoi avoir opté pour la très libre licence CC-By ?

Parce que je fais une réaction épidermique à la connerie ambiante qui consiste à se « défendre des autres » coûte que coûte. Quelqu’un a une meilleure idée que moi pour valoriser ce travail ? Mais qu’il fasse donc, au contraire !

Je me suis basé sur Vim et sur toutes les contributions de la communauté open source pour écrire ce livre. Ce livre ne m’appartient pas, il appartient au bien commun, comme toutes les sources d’inspirations qui m’ont permis de l’écrire.

Le choix du « prix libre », c’est symbolique ou tu crois au devenir de ce modèle économique ? (et que penses-tu des « passagers clandestins » qui vont payer 0 euro pour télécharger le livre ?)

Non ce n’est pas symbolique, j’ai envie d’y croire. Le livre était tout d’abord téléchargeable au prix fixe de 9,99€. En 1 an et demi, j’en ai vendu 90 environ, pas si mal. Mais en faisant ça, j’allais contre mes valeurs, je limitais l’accès à la connaissance à cause de ce prix fixe.

J’ai donc décidé de le mettre sous un « prix libre », au risque en effet de ne plus rien gagner. Je suis prêt à prendre ce risque car, utopiste ou non, je pense que tout est dans l’art de demander. Faire la différence entre « gratuit » et « payant mais sous un prix libre » est important pour moi.

Les personnes qui payent 0 euro pour télécharger le livre et ne donnent rien en échange (même pas un petit mail) le feront en leur âme et conscience. J’ai ma conscience pour moi 🙂

Pourquoi uniquement une version électronique du livre ? C’est pour ne pas tuer d’arbres ?

Du tout, c’est juste par méconnaissance du monde du livre papier, tout simplement. Ça pourrait d’ailleurs être une bonne idée de monétisation. Des amateurs ?

Une dernière question qui nous flatte et nous t’en remercions, pourquoi avoir choisi de redistribuer 20% des gains à Framasoft ?

Pour être honnête, j’ai fais ça au feeling. Je ne vous connais pas très très bien, mais j’ai tendance à vous voir un peu partout autour des projets et personnes que j’apprécie : Ploum, Wallabag, Geektionnerd, … J’aime les personnes qui aident à faire bouger les choses et vous en faites partie, alors merci ! « La route est longue mais la voie est libre… »




Internet. Pour un contre-ordre social

Nous publions ci-dessous une tribune de Christophe Masutti, membre de Framasoft,

Elle paraît simultanément dans le magazine Linux Pratique, que vous trouverez dans tous les bons points presse et que nous remercions vivement pour son autorisation..

Linux Pratique 85

Internet. Pour un contre-ordre social

Christophe Masutti – Framasoft
19 juillet 2014
Ce document est placé sous Licence Art Libre 1.3 (Document version 1.0)
Paru initialement dans Linux Pratique n°85 Septembre/Octobre 2014, avec leur aimable autorisation

De la légitimité

Michel Foucault, disparu il y a trente ans, proposait d’approcher les grandes questions du monde à travers le rapport entre savoir et pouvoir. Cette méthode a l’avantage de contextualiser le discours que l’on est en train d’analyser : quels discours permettent d’exercer quels pouvoirs ? Et quels pouvoirs sont censés induire quelles contraintes et en vertu de quels discours ? Dans un de ses plus célèbres ouvrages, Surveiller et punir[1], Foucault démontre les mécanismes qui permettent de passer de la démonstration publique du pouvoir d’un seul, le monarque qui commande l’exécution publique des peines, à la normativité morale et physique imposée par le contrôle, jusqu’à l’auto-censure. Ce n’est plus le pouvoir qui est isolé dans la forteresse de l’autorité absolue, mais c’est l’individu qui exerce lui-même sa propre coercition. Ainsi, Surveiller et punir n’est pas un livre sur la prison mais sur la conformation de nos rapports sociaux à la fin du XXe siècle.

Les modèles économiques ont suivi cet ordre des choses : puisque la société est individualiste, c’est à l’individu que les discours doivent s’adresser. La plupart des modèles économiques qui préexistent à l’apparition de services sur Internet furent considérés, au début du XXIe siècle, comme les seuls capables de générer des bénéfices, de l’innovation et du bien-être social. L’exercice de la contrainte consistait à susciter le consentement des individus-utilisateurs dans un rapport qui, du moins le croyait-on, proposait une hiérarchie entre d’un côté les producteurs de contenus et services et, de l’autre côté, les utilisateurs. Il n’en était rien : les utilisateurs eux-mêmes étaient supposés produire des contenus œuvrant ainsi à la normalisation des rapports numériques où les créateurs exerçaient leur propre contrainte, c’est-à-dire accepter le dévoilement de leur vie privée (leur identité) en guise de tribut à l’expression de leurs idées, de leurs envies, de leurs besoins, de leurs rêves. Que n’avait-on pensé plus tôt au spectaculaire déploiement de la surveillance de masse focalisant non plus sur les actes, mais sur les éléments qui peuvent les déclencher ? Le commerce autant que l’État cherche à renseigner tout comportement prédictible dans la mesure où, pour l’un il permet de spéculer et pour l’autre il permet de planifier l’exercice du pouvoir. La société prédictible est ainsi devenue la force normalisatrice en fonction de laquelle tout discours et tout pouvoir s’exerce désormais (mais pas exclusivement) à travers l’organe de communication le plus puissant qui soit : Internet. L’affaire Snowden n’a fait que focaliser sur l’un de ses aspects relatif aux questions des défenses nationales. Mais l’aspect le plus important est que, comme le dit si bien Eben Moglen dans une conférence donnée à Berlin en 2012[2], « nous n’avons pas créé l’anonymat lorsque nous avons inventé Internet. »

Depuis le milieu des années 1980, les méthodes de collaboration dans la création de logiciels libres montraient que l’innovation devait être collective pour être assimilée et partagée par le plus grand nombre. La philosophie du Libre s’opposait à la nucléarisation sociale et proposait un modèle où, par la mise en réseau, le bien-être social pouvait émerger de la contribution volontaire de tous adhérant à des objectifs communs d’améliorations logicielles, techniques, sociales. Les créations non-logicielles de tout type ont fini par suivre le même chemin à travers l’extension des licences à des œuvres non logicielles. Les campagnes de financement collaboratif, en particulier lorsqu’elles visent à financer des projets sous licence libre, démontrent que dans un seul et même mouvement, il est possible à la fois de valider l’impact social du projet (par l’adhésion du nombre de donateurs) et assurer son développement. Pour reprendre Eben Moglen, ce n’est pas l’anonymat qui manque à Internet, c’est la possibilité de structurer une société de la collaboration qui échappe aux modèles anciens et à la coercition de droit privé qu’ils impliquent. C’est un changement de pouvoir qui est à l’œuvre et contre lequel toute réaction sera nécessairement celle de la punition : on comprend mieux l’arrivée plus ou moins subtile d’organes gouvernementaux et inter-gouvernementaux visant à sanctionner toute incartade qui soit effectivement condamnable en vertu du droit mais aussi à rigidifier les conditions d’arrivée des nouveaux modèles économiques et structurels qui contrecarrent les intérêts (individuels eux-aussi, par définition) de quelques-uns. Nous ne sommes pas non plus à l’abri des resquilleurs et du libre-washing cherchant, sous couvert de sympathie, à rétablir une hiérarchie de contrôle.

Dans sa Lettre aux barbus[3], le 5 juin 2014, Laurent Chemla vise juste : le principe selon lequel « la sécurité globale (serait) la somme des sécurités individuelles » implique que la surveillance de masse (rendue possible, par exemple, grâce à notre consentement envers les services gratuits dont nous disposons sur Internet) provoque un déséquilibre entre d’une part ceux qui exercent le pouvoir et en ont les moyens et les connaissances, et d’autre part ceux sur qui s’exerce le pouvoir et qui demeurent les utilisateurs de l’organe même de l’exercice de ce pouvoir. Cette double contrainte n’est soluble qu’à la condition de cesser d’utiliser des outils centralisés et surtout s’en donner les moyens en « (imaginant) des outils qui créent le besoin plutôt que des outils qui répondent à des usages existants ». C’est-à-dire qu’il relève de la responsabilité de ceux qui détiennent des portions de savoir (les barbus, caricature des libristes) de proposer au plus grand nombre de nouveaux outils capables de rétablir l’équilibre et donc de contrecarrer l’exercice illégitime du pouvoir.

Une affaire de compétences

Par bien des aspects, le logiciel libre a transformé la vie politique. En premier lieu parce que les licences libres ont bouleversé les modèles[4] économiques et culturels hérités d’un régime de monopole. En second lieu, parce que les développements de logiciels libres n’impliquent pas de hiérarchie entre l’utilisateur et le concepteur et, dans ce contexte, et puisque le logiciel libre est aussi le support de la production de créations et d’informations, il implique des pratiques démocratiques de décision et de liberté d’expression. C’est en ce sens que la culture libre a souvent été qualifiée de « culture alternative » ou « contre-culture » parce qu’elle s’oppose assez frontalement avec les contraintes et les usages qui imposent à l’utilisateur une fenêtre minuscule pour échanger sa liberté contre des droits d’utilisation.

Contrairement à ce que l’on pouvait croire il y a seulement une dizaine d’années, tout le monde est en mesure de comprendre le paradoxe qu’il y a lorsque, pour pouvoir avoir le droit de communiquer avec la terre entière et 2 amis, vous devez auparavant céder vos droits et votre image à une entreprise comme Facebook. Il en est de même avec les formats de fichiers dont les limites ont vite été admises par le grand public qui ne comprenait et ne comprend toujours pas en vertu de quelle loi universelle le document écrit il y a 20 ans n’est aujourd’hui plus lisible avec le logiciel qui porte le même nom depuis cette époque. Les organisations libristes telles la Free Software Foundation[5], L’Electronic Frontier Foundation[6], l’April[7], l’Aful[8], Framasoft[9] et bien d’autres à travers le monde ont œuvré pour la promotion des formats ouverts et de l’interopérabilité à tel point que la décision publique a dû agir en devenant, la plupart du temps assez mollement, un organe de promotion de ces formats. Bien sûr, l’enjeu pour le secteur public est celui de la manipulation de données sensibles dont il faut assurer une certaine pérennité, mais il est aussi politique puisque le rapport entre les administrés et les organes de l’État doit se faire sans donner à une entreprise privée l’exclusivité des conditions de diffusion de l’information.

Les acteurs associatifs du Libre, sans se positionner en lobbies (alors même que les lobbies privés sont financièrement bien plus équipés) et en œuvrant auprès du public en donnant la possibilité à celui-ci d’agir concrètement, ont montré que la société civile est capable d’expertise dans ce domaine. Néanmoins, un obstacle de taille est encore à franchir : celui de donner les moyens techniques de rendre utilisables les solutions alternatives permettant une émancipation durable de la société. Peine perdue ? On pourrait le croire, alors que des instances comme le CNNum (Conseil National du Numérique) ont tendance à se résigner[10] et penser que les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) seraient des autorités incontournables, tout comme la soumission des internautes à cette nouvelle forme de féodalité serait irrémédiable.

Pour ce qui concerne la visibilité, on ne peut pas nier les efforts souvent exceptionnels engagés par les associations et fondations de tout poil visant à promouvoir le Libre et ses usages auprès du large public. Tout récemment, la Free Software Foundation a publié un site web multilingue exclusivement consacré à la question de la sécurité des données dans l’usage des courriels. Intitulé Email Self Defense[11], ce guide explique, étape par étape, la méthode pour chiffrer efficacement ses courriels avec des logiciels libres. Ce type de démarche est en réalité un symptôme, mais il n’est pas seulement celui d’une réaction face aux récentes affaires d’espionnage planétaire via Internet.

Pour reprendre l’idée de Foucault énoncée ci-dessus, le contexte de l’espionnage de masse est aujourd’hui tel qu’il laisse la place à un autre discours : celui de la nécessité de déployer de manière autonome des infrastructures propres à l’apprentissage et à l’usage des logiciels libres en fonction des besoins des populations. Auparavant, il était en effet aisé de susciter l’adhésion aux principes du logiciel libre sans pour autant déployer de nouveaux usages et sans un appui politique concret et courageux (comme les logiciels libres à l’école, dans les administrations, etc.). Aujourd’hui, non seulement les principes sont socialement intégrés mais de nouveaux usages ont fait leur apparition tout en restant prisonniers des systèmes en place. C’est ce que soulève très justement un article récent de Cory Doctorow[12] en citant une étude à propos de l’usage d’Internet chez les jeunes gens. Par exemple, une part non négligeable d’entre eux suppriment puis réactivent au besoin leurs comptes Facebook de manière à protéger leurs données et leur identité. Pour Doctorow, être « natifs du numérique » ne signifie nullement avoir un sens inné des bons usages sur Internet, en revanche leur sens de la confidentialité (et la créativité dont il est fait preuve pour la sauvegarder) est contrecarré par le fait que « Facebook rend extrêmement difficile toute tentative de protection de notre vie privée » et que, de manière plus générale, « les outils propices à la vie privée tendent à être peu pratiques ». Le sous-entendu est évident : même si l’installation logicielle est de plus en plus aisée, tout le monde n’est capable d’installer chez soi des solutions appropriées comme un serveur de courriel chiffré.

Que faire ?

Le diagnostic posé, que pouvons-nous faire ? Le domaine associatif a besoin d’argent. C’est un fait. Il est d’ailleurs remarqué par le gouvernement français, qui a fait de l’engagement associatif la grande « cause nationale de l’année 2014 ». Cette action[13] a au moins le mérite de valoriser l’économie sociale et solidaire, ainsi que le bénévolat. Les associations libristes sont déjà dans une dynamique similaire depuis un long moment, et parfois s’essoufflent… En revanche, il faut des investissements de taille pour avoir la possibilité de soutenir des infrastructures libres dédiées au public et répondant à ses usages numériques. Ces investissements sont difficiles pour au moins deux raisons :

  • la première réside dans le fait que les associations ont pour cela besoin de dons en argent. Les bonnes volontés ne suffisent pas et la monnaie disponible dans les seules communautés libristes est à ce jour en quantité insuffisante compte tenu des nombreuses sollicitations ;
  • la seconde découle de la première : il faut lancer un mouvement de financements participatifs ou des campagnes de dons ciblées de manière à susciter l’adhésion du grand public et proposer des solutions adaptées aux usages.

Pour cela, la première difficulté sera de lutter contre la gratuité. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la gratuité (relative) des services privateurs possède une dimension attractive si puissante qu’elle élude presque totalement l’existence des solutions libres ou non libres qui, elles, sont payantes. Pour rester dans le domaine de la correspondance, il est très difficile aujourd’hui de faire comprendre à Monsieur Dupont qu’il peut choisir un hébergeur de courriel payant, même au prix « participatif » d’1 euro par mois. En effet, Monsieur Dupont peut aujourd’hui utiliser, au choix : le serveur de courriel de son employeur, le serveur de courriel de son fournisseur d’accès à Internet, les serveurs de chez Google, Yahoo et autres fournisseurs disponibles très rapidement sur Internet. Dans l’ensemble, ces solutions sont relativement efficaces, simples d’utilisation, et ne nécessitent pas de dépenses supplémentaires. Autant d’arguments qui permettent d’ignorer la question de la confidentialité des courriels qui peuvent être lus et/ou analysés par son employeur, son fournisseur d’accès, des sociétés tierces…

Pourtant des solutions libres, payantes et respectueuses des libertés, existent depuis longtemps. C’est le cas de Sud-Ouest.org[14], une plate-forme d’hébergement mail à prix libre. Ou encore l’association Lautre.net[15], qui propose une solution d’hébergement de site web, mais aussi une adresse courriel, la possibilité de partager ses documents via FTP, la création de listes de discussion, etc. Pour vivre, elle propose une participation financière à la gestion de son infrastructure, quoi de plus normal ?

Aujourd’hui, il est de la responsabilité des associations libristes de multiplier ce genre de solutions. Cependant, pour dégager l’obstacle de la contrepartie financière systématique, il est possible d’ouvrir gratuitement des services au plus grand nombre en comptant exclusivement sur la participation de quelques uns (mais les plus nombreux possible). En d’autres termes, il s’agit de mutualiser à la fois les plates-formes et les moyens financiers. Cela ne rend pas pour autant les offres gratuites, simplement le coût total est réparti socialement tant en unités de monnaie qu’en contributions de compétences. Pour cela, il faut savoir convaincre un public déjà largement refroidi par les pratiques des géants du web et qui perd confiance.

Framasoft propose des solutions

Parmi les nombreux projets de Framasoft, il en est un, plus généraliste, qui porte exclusivement sur les moyens techniques (logiciels et matériels) de l’émancipation du web. Il vise à renouer avec les principes qui ont guidé (en des temps désormais très anciens) la création d’Internet, à savoir : un Internet libre, décentralisé (ou démocratique), éthique et solidaire (l.d.e.s.).

Framasoft n’a cependant pas le monopole de ces principes l.d.e.s., loin s’en faut, en particulier parce que les acteurs du Libre œuvrent tous à l’adoption de ces principes. Mais Framasoft compte désormais jouer un rôle d’interface. À l’instar d’un Google qui rachète des start-up pour installer leurs solutions à son compte et constituer son nuage, Framasoft se propose depuis 2010, d’héberger des solutions libres pour les ouvrir gratuitement à tout public. C’est ainsi que par exemple, des particuliers, des syndicats, des associations et des entreprises utilisent les instances Framapad et Framadate. Il s’agit du logiciel Etherpad, un système de traitement de texte collaboratif, et d’un système de sondage issu de l’Université de Strasbourg (Studs) permettant de convenir d’une date de réunion ou créer un questionnaire. Des milliers d’utilisateurs ont déjà bénéficié de ces applications en ligne ainsi que d’autres, qui sont listées sur Framalab.org[16].

Depuis le début de l’année 2014, Framasoft a entamé une stratégie qui, jusqu’à présent est apparue comme un iceberg au yeux du public. Pour la partie émergée, nous avons tout d’abord commencé par rompre radicalement les ponts avec les outils que nous avions tendance à utiliser par pure facilité. Comme nous l’avions annoncé lors de la campagne de don 2013, nous avons quitté les services de Google pour nos listes de discussion et nos analyses statistiques. Nous avons choisi d’installer une instance Bluemind, ouvert un serveur Sympa, mis en place Piwik ; quant à la publicité et les contenus embarqués, nous pouvons désormais nous enorgueillir d’assurer à tous nos visiteurs que nous ne nourrissons plus la base de données de Google. À l’échelle du réseau Framasoft, ces efforts ont été très importants et ont nécessité des compétences et une organisation technique dont jusque là nous ne disposions pas.

Nous ne souhaitons pas nous arrêter là. La face immergée de l’iceberg est en réalité le déploiement sans précédent de plusieurs services ouverts. Ces services ne seront pas seulement proposés, ils seront accompagnés d’une pédagogie visant à montrer comment[17] installer des instances similaires pour soi-même ou pour son organisation. Nous y attachons d’autant plus d’importance que l’objectif n’est pas de commettre l’erreur de proposer des alternatives centralisées mais d’essaimer au maximum les solutions proposées.

Au mois de juin, nous avons lancé une campagne de financement participatif afin d’améliorer Etherpad (sur lequel est basé notre service Framapad) en travaillant sur un plugin baptisé Mypads : il s’agit d’ouvrir des instances privées, collaboratives ou non, et les regrouper à l’envi, ce qui permettra in fine de proposer une alternative sérieuse à Google Docs. À l’heure où j’écris ces lignes, la campagne est une pleine réussite et le déploiement de Mypads (ainsi que sa mise à disposition pour toute instance Etherpad) est prévue pour le dernier trimestre 2014. Nous avons de même comblé les utilisateurs de Framindmap, notre créateur en ligne de carte heuristiques, en leur donnant une dimension collaborative avec Wisemapping, une solution plus complète.

Au mois de juillet, nous avons lancé Framasphère[18], une instance Diaspora* dont l’objectif est de proposer (avec Diaspora-fr[19]) une alternative à Facebook en l’ouvrant cette fois au maximum en direction des personnes extérieures au monde libriste. Nous espérons pouvoir attirer ainsi l’attention sur le fait qu’aujourd’hui, les réseaux sociaux doivent afficher clairement une éthique respectueuse des libertés et des droits, ce que nous pouvons garantir de notre côté.

Enfin, après l’été 2014, nous comptons de même offrir aux utilisateurs un moteur de recherche (Framasearx) et d’ici 2015, si tout va bien, un diaporama en ligne, un service de visioconférence, des services de partage de fichiers anonymes et chiffrés, et puis… et puis…

Aurons-nous les moyens techniques et financiers de supporter la charge ? J’aimerais me contenter de dire que nous avons la prétention de faire ainsi œuvre publique et que nous devons réussir parce qu’Internet a aujourd’hui besoin de davantage de zones libres et partagées. Mais cela ne suffit pas. D’après les derniers calculs, si l’on compare en termes de serveurs, de chiffre d’affaire et d’employés, Framasoft est environ 38.000 fois plus petit que Google[20]. Or, nous n’avons pas peur, nous ne sommes pas résignés, et nous avons nous aussi une vision au long terme pour changer le monde[21]. Nous savons qu’une population de plus en plus importante (presque majoritaire, en fait) adhère aux mêmes principes que ceux du modèle économique, technique et éthique que nous proposons. C’est à la société civile de se mobiliser et nous allons développer un espace d’expression de ces besoins avec les moyens financiers de 200 mètres d’autoroute en équivalent fonds publics. Dans les mois et les années qui viennent, nous exposerons ensemble des méthodes et des exemples concrets pour améliorer Internet. Nous aider et vous investir, c’est rendre possible le passage de la résistance à la réalisation.

Notes

[1] Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris : Gallimard, 1975; http://fr.wikipedia.org/wiki/Surveiller_et_punir

[2] Eben Moglen, « Why Freedom of Thought Requires Free Media and Why Free Media Require Free Technology », Re:Publica Conference, 02 mai 2012, Berlin; http://12.re-publica.de/panel/why-freedom-of-thought-requires-free-media-and-why-free-media-require-free-technology/

[3] Laurent Chemla, « Lettre aux barbus », Mediapart, 05/06/2014; http://blogs.mediapart.fr/blog/laurent-chemla/050614/lettre-aux-barbus

[4] Benjamin Jean, Option libre. Du bon usage des licences libres, Paris : Framasoft/Framabook, 2011; http://framabook.org/option-libre-du-bon-usage-des-licences-libres

[5] La FSF se donne pour mission mondiale la promotion du logiciel libre et la défense des utilisateurs; http://www.fsf.org/

[6] L’objectif de l’EFF est de défendre la liberté d’expression sur Internet, ce qui implique l’utilisation des logiciels libres; http://www.eff.org

[7] April. Promouvoir et défendre le logiciel libre; http://www.april.org

[8] Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres; https://aful.org

[9] Framasoft, La route est longue mais la voie est libre; http://framasoft.org

[10] Voir à ce sujet l’analyse du dernier rapport du CNNum sur « la neutralité des plateformes », par Stéphane Bortzmeyer; http://www.bortzmeyer.org/neutralite-plateformes.html

[11] Autodéfense courriel; https://emailselfdefense.fsf.org/fr/.

[12] Cory Doctorow, « Vous êtes “natif du numérique” ? – Ce n’est pas si grave, mais… », trad. fr. sur Framablog, le 6 juin 2014; https://framablog.org/index.php/post/2014/06/05/vous-etes-natifs-num%C3%A9riques-pas-grave-mais

[13] Sera-t-elle efficace ? c’est une autre question

[14] Plateforme libre d’hébergement mail à prix libre; https://www.sud-ouest.org

[15] L’Autre Net, hébergeur associatif autogéré; http://www.lautre.net

[16] Le laboratoire des projets Framasoft; https://framalab.org

[17] On peut voir ce tutoriel d’installation de Wisemapping comme exemple de promotion de la décentralisation; http://framacloud.org/cultiver-son-jardin/installation-de-wisemapping/

[18] Un réseau social libre, respectueux et décentralisé; https://framasphere.org

[19] Noeud du réseau Diaspora*, hébergé en France chez OVH; https://diaspora-fr.org/

[20] Voir au sujet de la dégooglisation d’Internet la conférence de Pierre-Yves Gosset lors des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, juillet 2014, Montpellier; http://video.rmll.info/videos/quelles-alternatives-a-google-retours-sur-lexperience-framacloud

[21] Cette vision du monde vaut bien celle de Google, qui faisait l’objet de la Une de Courrier International du mois de mai 2014. http://www.courrierinternational.com/article/2014/05/27/google-maitre-du-futur.




La bidouillabilité à l’école : une expérience Suisse autour du Raspberry Pi

Faire entrer le logiciel libre à l’école reste un défi.

Si l’on se réfère aux nombreux articles publiés sur le sujet sur le Framablog, il apparaît que les initiatives individuelles en faveur du libre, portées par des enseignants motivés et volontaires, se multiplient. Mais aussi que celles-ci se heurtent à une administration pas toujours bienveillante et parfois sclérosée par une mentalité difficile à faire évoluer («Un PC, ça fonctionne avec Windows. », « Le traitement de texte, c’est Word. »). Il faut dire que les services de Microsoft restent très présents et actifs pour promouvoir leurs produits[1][2][3].

Sachant cela, quelle porte d’entrée trouver pour montrer aux enfants que l’informatique ne se résume pas plus à Microsoft qu’internet ne se résumerait à Facebook, Twitter ou Google ?

Christophe Lincoln, un enseignant suisse, propose un projet éducatif original et innovant, basé sur des Raspberry Pi. Certes, il ne s’agit pas (encore) de matériel libre, mais au moins peut-on y voir un premier pas vers une découverte de la « bidouillabilité » chère à Tristan Nitot et qui permettrait (enfin ?) de faire entrevoir aux jeunes générations la face immergée de l’informatique.

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Bonjour Christophe, peux-tu te présenter ?

Bonjour, je suis un passionné et j’aime être en projet ! Mon premier projet open-source d’envergure est la distribution SliTaz GNU/Linux. Le projet SliTaz a l’âge de mon fils, c’est à dire 8 ans et me permet de vivre une expérience géniale dans le monde du libre. Je suis aussi enseignant dans des classes primaires de l’établissement d’Entre-Bois à Lausanne en Suisse romande.

Et PiClass alors, qu’est-ce que c’est ?

Le but du projet est de proposer un atelier informatique et robotique itinérant et utilisant des Raspberry Pi. L’atelier PiClass pourra prendre en charge une demi classe, c’est à dire 10 à 12 élèves. C’est par un projet Pilote que PiClass démarre : proposer un outil informatique au service des disciplines scolaires en utilisant les dernières technologies et du matériel conçu pour l’éducation. Le projet pédagogique répond aux objectifs du PER (Plan d’Etudes Roman) et il est destiné à tous les élèves de l’établissement primaire d’Entre-Bois à Lausanne.

Quels sont les avantages de la mise en œuvre d’un tel projet, et quel est son rapport avec le libre à l’école ?

Les classes Lausannoise (et ailleurs dans le monde) n’ont souvent qu’une seule machine à disposition et pas de salle informatique. Avec PiClass on a une salle informatique pour 10-12 élèves qui peut se déplacer d’un bâtiment scolaire à un autre. L’avantage c’est qu’il n’y a pas besoin d’équiper toutes les classes ou tous les bâtiments. L’autre gros avantage d’une PiClass c’est le coût du matériel : imbattable !

Son rapport au libre à l’école est simple, le Raspberry Pi ne tourne que sous GNU/Linux ! Les élèves utilisent donc un OS libre et uniquement des logiciels libres, que ce soit pour la bureautique, les jeux éducatifs ou la programmation avec Scratch et Python.

En France, le débat est maintenant ouvert sur le “codage”[4][5] à l’école. Quelle est ton opinion sur le sujet ?

Je pense que coder c’est structurant : il faut suivre le code ! Si on veut obtenir quelque chose il faut suivre des règles précises, c’est comme dans la vie, il y a des règles. Ensuite coder c’est apprendre à utiliser le clavier, c’est constamment avoir recourt aux mathématiques, c’est apprendre l’anglais et développer la pensée créatrice des élèves. Je pense vraiment que coder avec les élèves est pédagogique et cela apporte un coté concret et ludique que les élèves apprécient beaucoup.

Pour l’instant, un projet-pilote est prévu à Entre-Bois. Comment imagines-tu la suite ? Ce projet est-il suffisamment rémunérateur, non seulement pour toi, mais pour inciter d’autres enseignants à faire “tâche d’huile” ?

Si le projet pilote passe la rampe à Entre-bois, il y a des chances pour que des PiClass s’ouvrent dans tous les établissement de la ville de Lausanne.

Avec le projet pilote j’aurais 4 classes sur les 150 de l’établissement et les 6 périodes d’enseignements par semaine me seraient payées. Si le projet passe, Piclass pourra être rémunérateur pour plusieurs enseignants sur Lausanne vu le nombre de classes que cela fait pour toute la ville !

Le projet PiClass a aussi une visée internationale et humanitaire. Nous sommes déjà en discussion pour une PiClass au Brésil pour 2015.

Christophe, merci ! Un dernier mot pour la fin ?

Mais merci à vous ! Je me réjouis de vous revoir dans un salon ou lors d’une opération libre pour vous faire un câlin ! Au delà du code, le libre c’est un grand projet humain.