Retour sur le séminaire d’ouverture d’ECHO Network, janvier 2023, Paris

Du 14 au 16 janvier 2023, les Ceméa France et Framasoft ont tenu le séminaire d’ouverture du projet ECHO Network. Voici un compte rendu de ce week-end d’échanges et de découvertes internationales.

Un projet européen sur deux ans

Présenté sur le Framablog en octobre dernier, ECHO Network est l’un des quatre projets phare de notre feuille de route Collectivisons Internet, Convivialisons Internet.

Ethical, Commons, Humans, Open-Source Network (Réseau autour de l’Éthique, les Communs, les Humaines et l’Open-source) est un projet, mais aussi un réseau associatif à échelle européenne. Mené par l’association d’éducation nouvelle des Ceméa France, ce réseau se compose de 7 structures provenant de 5 pays européens :

Ces structures ont en commun d’accompagner des citoyen·nes (éducation populaire, nouvelle, militantisme, etc.), et pour objectif d’échanger sur les usages numériques spécifiques à leurs pays, leur culture, leur langue.

Des visites d’études sont donc prévues en 2023 dans chacun des pays pour faciliter ces échanges et la compréhension du contexte de chacun·e, afin qu’en 2024 l’on puisse produire des communs pouvant servir à d’autres associations en Europe.

Dessin de cinq iles en cercle, chacune avec des constructions d'une culture différente. Elles communiquent ensemble en s'envoyant des ondes, des échos.
ECHO Network – Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Un séminaire d’ouverture à Paris

La première rencontre des acteurs et actrices a donc eu lieu du samedi 13 au lundi 16 janvier dernier, à Saint-Ouen, au nord de Paris.

Ce séminaire d’ouverture était co-organisé par les Ceméa France et Framasoft. Si nous n’avons pas hésité à nous impliquer et contribuer de notre mieux, il faut reconnaître que les Ceméa ont une expérience précieuse sur l’organisation de ces événements, et qu’iels ont fourni un formidable travail sur ce séminaire (on a aidé comme on a pu ^^).

Car en plus de la trentaine de participant·es représentant des partenaires du projet ECHO Network, nous avons pu inviter plus de vingt personnes des réseaux de l’éducation nouvelle, de la médiation numérique, des communs et du libre pour alimenter ces premiers échanges autour du numérique éthique dans l’accompagnement citoyen.

Ainsi, ce séminaire d’ouverture a été pensé pour trouver comment parler de la même chose quand on ne parle pas les mêmes langues, alors que nos contextes sont différents, et nos cultures numériques variées.

dans une grande salle, une vingtaine de personnes sont assises sur des chaises en rangs serrés. Devant elles une personne semble leur donner des consignes.
Le jeu du « pac man IRL », pour se ré-énergiser après le déjeuner et avant de s’y remettre, était assez épique.

Se comprendre grâce à l’éducation nouvelle

Ces trois jours ont été conçus en amont en reprenant les méthodes de l’éducation nouvelle chères aux Ceméa.

Les 55 personnes ont été réparties en 3 groupes de référence, pour pouvoir partager les savoirs ensemble. Le concept était simple : plutôt que de mal rencontrer 55 personnes, prendre le temps d’échanger avec une petite quinzaine.

Ces groupes étaient animés par une équipe de trois personnes (2 membres des Ceméa, 1 membre de Framasoft). Des temps étaient aussi réservés pour se trouver en micro groupes (de 2-4 personnes) et réaliser des « mini projets ». Bien entendu, l’ensemble des participant·es se rassemblait pour les repas et temps de convivialités dans la cantine.

Prenons d’ailleurs un temps pour saluer et remercier l’équipe du lieu Mains d’œuvres, à Saint-Ouen, pour son accueil formidable et ses plats délicieux. Cet espace consacré à la culture et intégré à la vie de quartier était idéal pour faire découvrir à nos partenaires de l’Europe Paris telle qu’elle est vécue par les personnes qui y habitent.

Les trois jours ont été découpés en six demi-journées : la première pour se rencontrer, puis 4 demi-journées consacrées à échanger sur les notions d’Éthique, de Communs, d’Humanisation et d’Ouverture dans le numérique (oui, ce sont les mots de l’acronyme ECHO ;)).

La dernière demi-journée du lundi après-midi a permis à chaque groupe de présenter aux autres un compte rendu des échanges, de mettre en commun tout cela et de se dire au revoir.

Grand papier sur lequel est écrit la question "comment définirais-tu l'éthique ?" et ou plein de cartes affichant des concepts autour du numérique éthiques sont collées

La convivialité comme outil politique

L’objectif était donc de se rencontrer et de comprendre ce qui nous rassemble dans nos actions politiques (qui visent à organiser la société autrement), et pour cela les Ceméa et Framasoft ont misé sur la convivialité et l’échange.

Les participant·es avaient des sensibilités différentes sur les usages du numérique. La plupart connaissaient Mastodon mais pas toustes. La plupart avaient un aperçu de ce qu’est le logiciel libre mais pas toustes. Les activités leur ont permis de se partager, entre elles et eux, leurs connaissances des différentes thématiques abordées.

Les ateliers ont pris plusieurs formes très imaginatives, par exemple :

  • inventer son réseau social (avec ses codes, ses conditions générales d’utilisation, son fonctionnement), et imaginer comment l’on modérerait les posts d’autres communautés
  • imaginer ce qu’il serait acceptable ou impensable de mettre ou de retirer dans un téléphone « lifephone » que chacune garderait toute sa vie
  • utiliser les Métacartes Numérique Éthique pour creuser un à trois sujets en petit groupe puis présenter ces sujets au reste du groupe et animer la discussion
  • un débat mouvant où l’on se positionne dans la salle (près du mur « d’accord » ou de l’autre côté près du mur « pas d’accord ») autour d’affirmations concernant l’éthique et le numérique
  • … et bien d’autres animations, qui sont documentées dans l’article écrit par les Ceméa

Des cartes A5 de 'atelier life phone sont étalées sur une table. Elles représentent des concepts d'un téléphone à vie : "une toute petite batterie" , "ne pas déranger", "un téléphone pour deux", etc.
L’atelier Life Phone, imaginons à quoi ressemblerait un téléphone low-tech, qui nous tiendrait toute notre vie.

Durant les temps consacrés à ces mini-projets, nous avons pu observer de belles initiatives :

  • Imaginer une adaptation des Métacartes Numériques pour les rendre plus accessibles à un public d’enfants.
  • Un atelier d’écriture sur ce à quoi pourrait ressembler un numérique souhaitable. Vous pouvez lire les créations sur le blog de Chosto, de l’association Picasoft.
  • Approfondir la question de l’accompagnement numérique des associations avec une mallette clé-en-main (ça a notamment causé de RÉSOLU).
  • Poser les principes qui permettrait de créer un jeu vidéo éthique et collaboratif.
  • Papoter sur la façon d’introduire les enjeux sociétaux du numérique dans les formations supérieures techniques.

En bref, l’intelligence collective a encore montré, durant ces trois jours, ses merveilleuses capacités.

Papier affiche expliquant les "cartes recettes", une idée de jeu de cartes pour expliquer le numérique sous forme de plats cuisinés et de recettes pour les enfants dès 8 ans.
Les cartes-recettes, une idée d’outil qui fait saliver !

Des visites d’études à suivre

Si l’on sait déjà qu’elles ne ressembleront pas forcément à ce séminaire (où nous avons fait le choix de l’éducation nouvelle comme outil de rencontre et d’échanges), les visites d’études sont déjà programmées. D’ailleurs, au moment où nous finissons de rédiger ces lignes, c’est à Berlin que l’ensemble des partenaires est en train d’échanger.

Le programme des thématiques est alléchant :

  • Allemagne (mars 2023) – Les réseaux sociaux centralisés chez les jeunes, outil d’émancipation ou d’aliénation ?
  • Belgique (juin 2023) – Pratiques d’Éducation Nouvelle pour sensibiliser aux outils éthiques
  • Italie (septembre 2023) – Entre présentiel et distanciel, quelle utilisation du numérique ?
  • Croatie (décembre 2023) – Inclusivité et accessibilité du Numérique

Bien entendu, nous continuerons de rendre compte, ici-même, de notre expérience au sein de ces rencontres et de ce projet, l’ensemble des articles pourra être suivi grâce à la catégorie ECHO Network sur le Framablog… à suivre, donc !

La photo est floue, mais on y voit le principal : la salle « Star Trek » qui nous a servi lors des séances de plénière.




La translittératie numérique, objet de la médiation numérique (première partie)

Cette semaine, le collectif « Lost in médiation » vous invite à découvrir la première partie d’un article de Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet dans lequel elles nous partagent leur analyse d’une expérimentation qu’elles ont menée lors d’une recherche-action. Bonne lecture !

Corine Escobar est enseignante chercheure depuis plus de 40 ans, au service de l’égalité des chances. Institutrice en France, puis professeure de français en Espagne, suède et Allemagne, elle a expérimenté différentes pédagogies holistiques. Une thèse de doctorat en sciences de l’éducation lui a permis d’observer et d’évaluer la puissance associative au service des plus faibles. Déléguée du préfet depuis plus de 10 ans, elle accompagne les associations investies auprès des publics des quartiers prioritaires notamment sur la remobilisation éducative.
Nadia Oulahbib est chercheure et analyste clinique du travail en santé mentale, observatrice des scènes de travail dans le monde de la fonction publique, l’entreprise associative, coopérative, industrielle et également liés aux métiers du social. Elle apporte son soutien à la parole sur le travail pour entretenir le dialogue collectif. Elle est aussi maîtresse de conférences associée pour l’UPEC.
Amélie Turet est docteure qualifiée en sciences de l’information et de la communication, chercheure associée à la Chaire UNESCO « Savoir Devenir » et au MICA, enseignante à l’UPEC sur le numérique dans l’éducation populaire et l’ESS, spécialiste de l’appropriation socio-technique des dispositifs liés au numérique. Membre de l’ANR Translit, elle a présenté ses travaux sur la médiation numérique lors des rencontres EMI de l’UNESCO à RIGA en 2016. CIFRE, diplômée de l’université Paris-Jussieu en sociologie du changement, elle a conduit des projets de R&D dans le secteur privé puis au service de l’État sur la transformation numérique, la démocratie participative, l’inclusion numérique, la politique de la ville et l’innovation.

La translittératie numérique, objet de la médiation numérique.
Analyse d’une expérimentation : remobilisation scolaire et articulation de médiations.

L’expérimentation choisie pour illustrer la translittératie numérique s’appuie sur la pédagogie du détour pour relancer des dynamiques éducatives, culturelles, et socio-économiques d’apprentissage au profit de la remobilisation scolaire. La démarche de recherche action s’ancre sur un territoire pour lequel, elle a su rendre visible des questions d’apprentissage avec une population cible permettant des interventions de médiation mobilisatrices transdisciplinaires. Elle se fonde sur le principe de la continuité éducative et pédagogique grâce à l’utilisation d’une articulation de différents socles de médiations1. Elle se déploie en s’étayant par l’utilisation des connaissances des phénomènes de translittératie numérique.

Les résultats de cette expérimentation vont éclairer la question initiale : « La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? ». L’objet de cet article est d’apporter, avec l’analyse de cette expérimentation, des éléments de réflexion qui montrent les complexités des articulations entre médiations à l’œuvre et gestion des risques inhérents à leurs dynamiques : la fusion de médiations d’ordres différents (juridique, culturelle, …) peut effectivement être porteuse d’une altération profonde d’une médiation par rapport à l’autre. L’expérimentation montre par exemple, qu’un seul médiateur porteur de plusieurs médiations, se perd dans ses différents rôles et logiques d’action, ce qui peut dégrader une synergie opérante et pertinente.

Pour découvrir les altérations citées plus haut sur la médiation numérique, l’expérimentation montrera que la fusion entre médiation sociale et médiation numérique relève souvent de problématiques circonstanciées de régulations. Pendant l’expérimentation, par exemple, l’usage des tablettes à vocation de continuité pédagogique ont immédiatement donné lieu à une régulation des usages par les médiateurs : des consignes d’utilisation suivis de « rappels à l’ordre » sur les sites WEB autorisés ou non à la consultation et sur les moments dédiés à l’utilisation à titre de récompense ou pour la réalisation d’exercices pédagogiques.

Pour approfondir l’explicitation de cette question des altérations de médiations, il convient de définir précisément les objets de la médiation sociale et de la médiation numérique en partant de la translittératie numérique et de son lien avec la médiation numérique.

Première partie : Observations d’émergences, de coexistences et d’hybridations de médiations

1.1. La translittératie numérique, objet de la médiation numérique

L’usage du numérique marque aujourd’hui l’ensemble des activités humaines. Par analogie avec l’homo faber ou l’homo economicus, concepts théoriques utilisés pour montrer respectivement l’homme aux prises avec la fabrication, puis avec l’économie, l’homo numericus (Compiègne, 20102) désigne l’homme aux prises avec son environnement numérique (Doueihi, 20133). Par opposition avec l’environnement pré-numérique, dans l’environnement numérique, toute information se présente sous forme de nombre, qu’elle ait été numérisée ou directement créée grâce à des outils informatiques. L’enjeu de la translittératie numérique est l’éducation à l’autonomie dans cette nouvelle ère communicationnelle : « La translittératie définie comme la convergence de l’éducation aux médias, de l’éducation à l’information et de l’informatique rend possible l’autonomisation. » (Frau-Meigs, 20194).

La translittératie se définit comme le « passage d’un système d’écriture à un autre » (Frau-Meigs, 2012). Elle désigne une double capacité : celle de savoir maîtriser l’architecture du multimédia qui englobe les compétences de lecture, d’écriture et de calcul avec tous les outils disponibles (du papier à l’image, du livre au wiki) ; et celle de naviguer dans de multiples domaines, et ainsi de se permettre de rechercher, d’évaluer, de tester, de valider et de modifier l’information en fonction de ses contextes d’utilisation (code, actualités, sources documentaires) et d’usages5. Elle fait également référence aux modes de transfert de compétences numériques d’un univers culturel et cognitif à un autre (ANR Translit, 2017).

Avec la translittératie numérique, la médiation numérique s’invite et ainsi relève des humanités numériques : « les modèles scientifiques sont en train de donner une nouvelle forme à la « créati­vité » à travers le Web, combinant « médiation » et « médiatisation » afin de construire un répertoire des « e-strategies » en « humanités créatives » (Frau-Meigs, 2019). Elle a pour objet d’expliciter et d’accompagner pour favoriser la prise d’autonomie et ainsi le pouvoir d’agir par une maîtrise critique de l’environnement numérique. Elle nécessite pour exercer cette éducation, formation et transformation des représentations et des apports des autres médiations qui œuvrent au même moment parfois, sur d’autres besoins de maîtrise et d’émancipation de l’apprenant : « Ce renou­vellement des études créatives modifie les Humanités classiques en les invitant à une forme de coopération interdisciplinaire. » (Frau-Meigs, 2019). La modélisation des processus d’apprentissage par la trans­littératie ne suffit pas sans une compréhension des interrelations entre la médiation numérique et la médiation pédagogique : « Ce projet rend possible de nouveaux modes cognitifs d’apprentissage partagés, centrés sur l’apprenant, libérés de l’aspect technologique dans la perspective d’une alliance SMILE (Synergies for Media and Information Littératies) » (Frau-Meigs, 2019).

1.1.1 L’expérimentation : les ateliers de remobilisation scolaire

L’expérimentation construite en 3 phases s’appuie sur des observations de terrain liées à un groupe de 70 enfants de 6 à 15 ans et leurs familles, accompagnés par 7 étudiants, 6 médiateurs, 4 enseignants, 4 chefs d’entreprise, des partenaires culturels et psycho-sociaux, 1 responsable de projet, sur le sujet de la remobilisation scolaire des enfants.

Les 3 phases sont :

  • phase 1 : ateliers de remobilisation de compétences,
  • phase 2 : ateliers de mobilisation de nouvelles connaissances culturelles, numériques, scientifiques et de mobilité,
  • phase 3 : ateliers de fabrication du jeu vidéo

L’expérimentation a produit à travers ces trois phases des données qualitatives et quantitatives qui ont permis une analyse d’émergences, de coexistences et d’hybridations de médiations. L’observation in situ a eu lieu pendant 11 mois.

La première phase nommée « ateliers de remobilisation de compétences » met en situation des enfants et des pré-adolescents de 6 à 15 ans non scolarisés ou peu scolarisés, et des médiateurs pédagogiques pendant 2 mois au sein d’une association socio-culturelle implantée depuis plusieurs années dans un quartier. Cette association de quartier est associée à ce travail de remobilisation car elle a un savoir-faire d’activités musicales auprès des enfants. Cette association a la confiance des familles du quartier : les familles ne confient pas leurs enfants à l’école, mais les confient à cette association même pour des déplacements éloignés pour des concerts et des journées éducatives.

Six étudiantes en sciences de l’éducation et une étudiante en FLE (français langues étrangères) ont été mobilisées pour y effectuer respectivement leur stage de 180 heures et de 300 heures. L’objectif de ces ateliers était de commencer l’apprentissage de base des fondamentaux (lire, écrire, compter), d’évaluer le niveau d’apprentissage scolaire des enfants, de transmettre des connaissances aux enfants par le biais d’activités ludiques afin de mieux repérer leurs difficultés et réussites. Il s’agissait également de tester des méthodes d’apprentissage adaptées pour identifier les apports possibles de recours à des dispositifs numériques socio-culturels (tablettes, jeux multimédia). Chaque étudiante a développé un atelier avec les enfants présents dont les objectifs et intitulés étaient littéralement les suivants :

  • Atelier 1 : « Situer des repères géographiques et identifier les noms des rues au sein du quartier avec Google Maps, Mixmo »,
  • Atelier 2 : « le train des mots » : jeu avec des syllabes pour ceux qui savent lire,
  • Atelier 3 : « Représenter son quartier et le situer dans la ville, en France et en Europe en lien avec l’actualité sportive »,
  • Atelier 4 : « Animaux connus, animaux de la ferme, animaux marins : chaîne alimentaire et milieux de vie ». Supports : écriture, lecture sur feuille et sur tablette numérique, dessin sur un livre imagé,
  • Atelier 5 : « Fresque : réaliser une fresque sur panneau » à partir des expériences des enfants : sortie à l’aquarium, repères familiaux. » Supports : peinture, photomontages, écriture de mots, lecture, analyse spatiale (noms de rue).
  • Atelier 6 : Exploration numérique de documents authentiques sur Excel avec les encadrants : formulaires administratifs de la vie courante (CV, permis de conduire, constat d’accident routier…)
  • Atelier 7 : Exercices d’entraînements au français / langues étrangères

Ces ateliers ont facilité et permis l’implication des familles qui ont contribué à leur élaboration (accès à leur domicile pour les photos) puis sont venues aux restitutions organisées en fin de première session expérimentale.

Une deuxième phase « les ateliers de mobilisation de nouvelles connaissances culturelles et scientifiques » a été mise en œuvre par les mêmes intervenants, exceptées les 6 stagiaires futures professeures des écoles : notamment l’étudiante en FLE, et la médiatrice artistique. Sont alors nouvellement mobilisés cinq enseignants de l’école du secteur, une association de médiation sur la vulgarisation scientifique par le jeu théâtral, deux animateurs d’Escape Game et deux psychologues :

  • Atelier 8 : Capsules vidéo en QR codes disséminées dans le quartier : vulgarisation scientifique sous forme de chasse aux trésors et déambulation. Les enfants ont été très participatifs sur des contenus scientifiques d’accès difficile car la forme était très attractive et inhabituelle.
  • Atelier 9 : Compréhension du vocabulaire des chansons de la chorale de l’association : hymne européen, chanson sur les addictions (réseaux sociaux, alcool, drogues), et sur le quartier.
  • Atelier 10 : Reportage photos par les enfants dans les maisons des familles et exposition au festival international de photographies.
  • Atelier 11 : Escape Game avec des casques de réalité virtuelle avec accompagnement par des psychologues spécialisés sur l’accès aux droits et à la santé : les enfants ont été très performants et solidaires.
  • Atelier 12 : Déplacement en soirée des enfants à l’école du secteur en mini bus pour travailler sur des activités scolaires classiques par petits groupes (2 à 4 enfants) avec les professeurs des écoles de l’école du secteur.

Les observations récoltées par les médiateurs, incluant les psychologues dans la phase 2, lors de ces ateliers non obligatoires dans l’expérimentation, ont été par exemple les suivants.

L’intérêt des enfants envers ces ateliers a été mesuré par :

  • leur fréquentation aux ateliers :  elle a augmenté au cours du temps : 30 enfants présents au début et 47 à la fin
  • leurs réalisations concrètes pendant les ateliers
  • leur temps de concentration a augmenté au fur et à mesure de leur niveau d’apprentissage et donc de réalisation

En 2 mois, les étudiantes ont vu des améliorations sur les connaissances des enfants qui sont venus régulièrement aux ateliers. Quelques retours à l’école notables mais non explicitement corrélés ont été comptabilisés : 4 sont retournés à l’école après le premier mois d’ateliers.

La démarche a été bien accueillie et identifiée dans le quartier :

  • les ateliers ont permis de créer un premier travail collaboratif avec les familles : elles sont venues à l’association pour assister à la restitution des premiers ateliers et sont devenues force de proposition pour la suite des activités, notamment numériques.
  • Les parents commencent à se confier sur les raisons du décrochage de leurs enfants notamment au collège : « se retrouver seul en classe est difficile, anxiogène ».

Les types de données recueillies ont été des photos et des vidéos des ateliers avec les enfants à l’œuvre, des verbatims des parties prenantes (enfants et adultes référents : professionnels, bénévoles), des relevés statistiques des présences aux ateliers et à l’école, les mémoires des 6 stagiaires professeurs des écoles, le mémoire de l’étudiante en FLE, les travaux d’analyse et d’orientation des consultants extérieurs qui ont accompagné l’expérimentation sur un mode startup de mai à juillet 2022.

Lors de la phase 3, « Co-création d’un jeu vidéo ludo-éducatif », ces données ont fait l’objet d’une première analyse entre les médiateurs et les chefs d’entreprise (création de jeu de plateau, design, évènementiel), l’objectif de la phase 3 étant d’inciter et de motiver l’enfant à aller à l’école en créant un scénario suffisamment efficace pour intéresser le triptyque (enfant, parents, école) avec un support numérique accessible.

1.1.2. L’expérimentation : la translittératie numérique à l’œuvre entre médiations

L’expérimentation est un exemple concret de translittératie numérique dans un cadre transculturel d’intervention sociale : des enfants et des adolescents en absentéisme scolaire issus d’un quartier. Cet exemple porte pour partie sur la remédiation du passage vers l’école dans une démarche d’aller vers, par la mobilisation de compétences et de modes d’apprentissages numériques. La stratégie de remédiation propose des trajectoires expérimentales innovantes qui articulent différentes natures de médiation dont la médiation sociale et la médiation numérique. Il s’agit concrètement d’identifier et d’expérimenter de nouveaux leviers de remobilisation scolaire pour ces jeunes.

Lors de l’expérimentation, ont été observés et analysés plusieurs types de transferts de compétences numériques et analogiques vers l’école et les jeux ludo-éducatifs numériques :

  • les compétences de socialisation et de créativité développées dans la famille et son écosystème,
  • les compétences artistiques et de socialisation développées dans l’espace socioculturel associatif,
  • les compétences de manipulation des smartphones, tablettes, navigateurs WEB et applications ludiques et médiatiques (voir tableau ci-dessous) des jeunes entre pairs,
  • les compétences de calcul, expression, stratégies sur les temps de jeux ludo-éducatifs physiques proposés par les différents profils de médiateurs (enseignants, artistes, étudiants, services civiques, adulte relais, psychologue, intervenante numérique, vidéaste…),
  • les compétences inter-relationnelles entre les enfants, pendant leurs jeux traditionnels en présentiel (copains, rue, fratries) et en ligne avec les jeux multi-joueurs sur le WEB…

L’observation des pratiques numériques de ces jeunes a eu lieu pendant et entre les ateliers. Elle a permis l’analyse de leurs évolutions à partir de ces différents espaces de socialisation, de formation, et d’acquisition de compétences en savoirs, en savoir-faire et en savoir-être. Des tableaux de compétences en lien avec les référentiels de compétences scolaires ont été renseignés par les sept étudiantes stagiaires. Les pratiques numériques observées chez les 70 enfants participant à l’expérimentation montrent les fréquences d’usage suivantes :

Tableau des applications numériques en ligne utilisées par les enfants de l'expérimentation
Applications numériques en ligne utilisées par les enfants de l’expérimentation

Les réseaux sociaux et les jeux privilégiés sont ceux qui font le moins appel à l’écrit mais le plus appel à l’image fixe et animée. Le schéma ci-dessous montre les institutions dans lesquelles évoluent les 70 enfants pendant l’expérimentation ainsi que les différents types de médiations dont ils sont l’objet.

Figure : Compositions structurelles des différentes médiations co-existantes auprès des enfants :médiateurs et outils mobilisés pendant l’expérimentation
Compositions structurelles des différentes médiations co-existantes auprès des enfants :
médiateurs et outils mobilisés pendant l’expérimentation

Ces compositions structurelles (structures publiques et groupes sociaux) des différentes médiations et outils mobilisés sont autant de repères d’influence pour les enfants. Elles permettent de rendre intelligibles les liens entre les 5 espaces de socialisation et d’apprentissages des enfants. Le 6ème espace, numérique, existe de manière transversale dans les « médiations par l’outil » qui instituent des logiques d’action comme le jeu vidéo qui véhicule les valeurs, les principes et les modes de fonctionnement de ses constructeurs. Les contextes institutionnels d’usage des outils socio-techniques, comme l’école ou l’association de quartier, influent sur les modes d’utilisations : temporalités, interdits de contenus ou de formes d’utilisation (comportements appropriés).

La translittératie numérique désigne ici le transfert de compétences numériques par les enfants d’un espace à l’autre. La médiation numérique explicite et accompagne ces processus de transfert pour permettre aux enfants d’en prendre conscience et de s’autonomiser dans leurs usages. Par exemple, lors de l’atelier « Escape Game » : confrontation à un univers numérique où la place de l’écrit est déterminante pour avancer : le besoin d’un facilitateur est formulé par l’enfant. La réponse du médiateur s’inscrira dans sa logique de médiation d’appartenance : pour à la fois répondre à la demande immédiate de l’enfant et embarquer son expérience dans une réflexion pour un agir en devenir.

1.2. La distinction entre logiques de Médiations et stratégies de médiateurs

Pour comprendre la distinction entre les logiques de médiations, il convient d’analyser les évolutions des objets des médiations dans la sphère des politiques publiques et des activités libres. L’observation des tensions et des controverses sur les pratiques et les attendus permet d’inventorier les distorsions entre les logiques professionnelles des médiateurs et les logiques politiques des médiations.

Les différentes stratégies des médiateurs mises en œuvre pour « faire » et « réaliser » (Clot, 20106), relèvent effectivement de leurs référentiels métiers : « Les différentes théorisations de la médiation nous engagent … à considérer les relations entre individualités, représentations et sociabilités. » (Gadras, 20107). La spécification des champs d’intervention des médiateurs, dans un cadre de dispositif public, définit de fait la nature de leur activité et par conséquent leurs conditions d’emploi et d’exercice économique et administratif (statuts, rémunérations, profils de poste), professionnel (métiers, compétences, modalités possibles d’exercice pédagogique, offres de formations).

1.2.1. Le métier de médiateur numérique : une histoire de dispositifs publics à caractère social

La question La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? interroge la formation et la qualification des métiers de la médiation numérique mobilisés sur la translittératie numérique.

La qualification et la formation de tout médiateur dépend de son cœur de métier et de son statut qui résulte lui-même des dispositifs publics ou privés en cours. Ces dispositifs sont la concrétisation de perceptions politiques structurelles et conjoncturelles pour résoudre des urgences et des problèmes fluctuants selon les actualités socio-politiques. Dans les années 2000, l’urgence était la lutte contre le chômage et la mise à niveau des demandeurs d’emploi à grand renfort de production de « CV / lettre de motivation ». Dans les années 2010, il est attendu de tous les demandeurs d’emploi, la maîtrise du socle de compétences numériques de base8 énoncé par la DGEFP (Direction Générale de l’Emploi et de la Formation Professionnelle) . Dans les années 2015, le développement de l’e-administration impose aux médiateurs numériques de former l’ensemble de la population à la maîtrise des formulaires administratifs en ligne. En 2020, le développement de l’e-commerce (« Clic and Collect ») et de « Stop Covid » fait que l’ANCT (Agence nationale de la Cohésion des Territoires) fournit un numéro vert d’assistance téléphonique en médiation numérique ouvert à tous, puis transforme les Maisons de Services Au Public (MSAP) en Maisons France Services (MFS).

L’accompagnement et la formation au numérique de la population non éligible à la formation professionnelle au numérique initialement prises en charge par les médiateurs numériques s’étend dès lors à l’ensemble des travailleurs sociaux.

1.2.2. Illectronisme : des besoins de médiations sociales et numériques

La médiation numérique est une figure centrale des démarches de lutte contre l’illectronisme au même titre que la médiation sociale l’est dans la lutte contre l’illettrisme ainsi que la médiation culturelle l’est depuis quelques années dans le domaine des Arts et des Cultures. Ces types de médiations ne relèvent pas de la stricte acception juridique de la médiation au sens de négociation. Ces médiations renvoient néanmoins à une forme de négociation avec soi-même : entrer dans un processus de transformation de soi (compréhension, regard, point de vue, …) soutenu ou non (autodidactes) par des tiers (humains ou outils). La médiation sociale et la médiation culturelle sont également convoquées depuis l’origine du développement des outils numériques en soutien aux populations nécessitant une assistance particulière pour leur inclusion numérique. Il s’agit là de soutiens à visée de compensation de difficultés de santé et de nature sociale (socio-économique) ou culturelle : éducative et socioculturelle (déficits de culture administrative, culture documentaire, illettrisme, codes conversationnels, …).

Concernant le processus de la translittératie numérique et le domaine de la lutte contre l’illectronisme, la théorie des champs éclaire ce qui se noue sur ce sujet de l’autonomisation progressive de domaines d’activité (Bourdieu, 20229). La translittératie numérique se trouve à la croisée de plusieurs champs de médiations, dès lors répondre à la question initiale de fusion de la médiation numérique dans la médiation sociale nécessite de répondre à des questions intermédiaires et situées. Par exemple, celle posée par notre terrain d’expérimentation, serait : la médiation numérique et la médiation sociale sont-elles réductibles l’une à l’autre quand il s’agit d’une logique d’inclusion socio-numérique s’inscrivant dans une dynamique d’égalité des chances ? Cet exemple de problématique nécessite même d’inclure deux autres points de vue : celui de la formation initiale normée par l’Éducation Nationale et celui pluriel de l’éducation populaire, toutes deux génératrices de médiations et de médiateurs spécifiques.

Le capital culturel mobilisable de chacun est inégal pour appréhender l’innovation permanente du secteur du numérique. Dans une société numérique, la maîtrise de l’environnement socio-numérique et des logiques générales de l’innovation sont des prérequis technologiques et socio-économiques incontournables pour faire face à l’incertitude du changement permanent. La société numérique a fait émerger une nouvelle capacité à acquérir, le « Savoir Devenir » : la maîtrise du numérique est un des leviers de l’émancipation sociale (Frau Meigs, 2019). De nature environnementale, cette maîtrise nécessite un corpus de compétences socio-techniques et socio-culturelles : elle s’inscrit dans le phénomène de l’« habitus » (Bourdieu, 197210).

1.2.3. Fractures numériques économiques et culturelles : médier la translittératie numérique

Des fractures numériques économiques et matérielles aux fractures numériques ergonomiques et culturelles, la médiation numérique est-elle par nature socio-économique ou universelle ? En 2013, le rapport du Conseil National du Numérique sur la littératie numérique (CnNum, 201311) a documenté, à la demande de l’État, l’étendue de l’illectronisme dans la population générale française face à une innovation numérique renouvelée et sans cesse en accélération. Ce rapport faisait suite à de nombreux travaux universitaires déjà existants sur le sujet (Turet, 201812). La question de la nature socio-professionnelle, culturelle, et générationnelle des fractures numériques est ajoutée officiellement aux analyses antérieures.

L’illectronisme doit alors être combattu par des améliorations ergonomiques réalisées par les producteurs de matériels, de logiciels et de services en ligne. De nouvelles pratiques de production dites de développement en mode agile centrées sur l’expérience des utilisateurs (« UX ») sont déployées. L’État encourage via des dispositifs publics une dématérialisation qui passe par un intérêt pensé comme commun, allant de la simplification à la protection des usagers.

L’actualisation renouvelée du Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA) pour les personnes en situation de handicap fait partie de cet arsenal. Le Règlement Général de la Protection des Données (RGPD) éduque la population et fournit des outils de protection des données personnelles. Le lancement du dispositif Démarches simplifiées de l’Observatoire des services en ligne de l’administration et de l’outil « Vox Usagers »13 soutiennent un accès facilité à une e-administration ouverte sur les smartphones. Mais toutes ces approches visant la simplification de l’utilisation procédurale des outils ne parviennent pas à compenser un illectronisme socio-culturel rendu encore plus visible par la pandémie. La nécessité d’autonomie numérique non seulement opératoire mais aussi stratège, en situation de confinement (télétravail, e.commerce, e.administration, associative…) est, depuis mars 2020, devenue indispensable tant le numérique a été placé au centre du fonctionnement socio-économique et culturel de la France.

Dès le premier confinement, l’État est contraint de lancer deux dispositifs d’urgence : une assistance téléphonique14 soutenue par le secteur de la médiation numérique (le 2 avril 2020) et la mise à disposition des collectivités territoriales d’une nouvelle cohorte de médiateurs numériques : les conseillers numériques France services (CNFS). Ceux-ci sont les derniers nés d’une longue liste de médiateurs numériques subventionnés – Cf. emplois aidés : « emplois jeunes » en 2000, « emplois d’avenirs numériques » en 2012 (Oulahbib, Turet, 201715), « services civiques numériques » (2014). Ces dispositifs d’urgence visent prioritairement des bénéficiaires dans l’incapacité d’accéder aux services publics dématérialisés pour des raisons multiples qui relèvent de situations de handicap de différentes natures face au numérique : physiologiques, cognitifs, culturels, économiques, psychologiques.

1.2.4. Médiation numérique et continuité éducative pendant les confinements

Durant cette même période, l’Éducation Nationale, pour assurer la continuité de son service public a dû recourir aux outils numériques. Cet impératif lié à une situation extraordinaire a mis en exergue une fracture numérique des élèves et d’une partie des enseignants démultipliée par des conditions familiales d’accompagnement très diverses, jusqu’à ne pas permettre la continuité pédagogique pour les enfants (Escobar, 200716).

Pendant le confinement, la continuité éducative a été interrompue notamment faute d’équipement informatique des élèves. Cette période a cristallisé la déscolarisation des enfants qui étaient dans ce parcours, et d’autres issus de certaines cartographies urbaines, comme les enfants issus de quartiers pouvant être déjà déscolarisés à 70 % avant le confinement. La majorité des enfants issus de ces quartiers ne fréquente pas ou très peu les établissements scolaires de proximité au contraire des structures socio-culturelles.

Dans le cas de notre expérimentation, les enfants du quartier sont en contact avec le numérique via des pratiques diffusées par leur écosystème : pairs, familles et modélisations quotidiennes proposées par différents canaux. L’usage des smartphones est répandu mais ils n’émargent pas aux dispositifs publics dont ils ne sont pas des cibles identifiées et souvent éloignées. Ils ont découvert pendant l’expérimentation les tablettes diffusées dans les écoles au titre de la continuité pédagogique pendant le confinement  par une fédération d’éducation populaire venue en soutien.

La conduite de l’expérimentation a montré l’émergence de discontinuités voire de conflits de logiques et de champs d’actions entre les médiations et les médiateurs. La deuxième partie de l’expérimentation vise à articuler les interventions entre les médiations et les médiateurs pour identifier des aménagements plus fluides favorables à une mise en synergie.

La semaine prochaine, dans la deuxième partie de l’article, nous aborderons donc une réflexion sur les articulations et les dynamiques de ces différentes natures de médiations pour qu’elles fassent système afin de guider à « savoir devenir ».




Piwigo, la photo en liberté

Nous avons profité de la sortie d’une nouvelle version de l’application mobile pour interroger l’équipe de Piwigo, et plus particulièrement Pierrick, le créateur de ce logiciel libre qui a fêté ses vingt ans et qui est, c’est incroyable, rentable.

 

 

 

Salut l’équipe de Piwigo ! Nous avons lu avec intérêt la page https://fr.piwigo.com/qui-sommes-nous

Moi je note que «Piwigo» c’est plus sympa que « PhpWebGallery », comme nom de logiciel. Enfin, un logiciel libre qui n’a pas un nom trop tordu. Qu’est-ce que vous pouvez nous apprendre sur Piwigo, le logiciel ?

Piwigo est un logiciel libre de gestion de photothèque. Il s’agit d’une application web, donc accessible depuis un navigateur web, que l’on peut également consulter et administrer avec des applications mobiles. Au-delà des photos, Piwigo permet d’organiser et indexer tout type de média : images, vidéos, documents PDF et autres fichiers de travail des graphistes. Originellement conçu pour les particuliers, il s’est au fil des ans trouvé un public auprès des organisations de toutes tailles.

 

Le logo de Piwigo, le logiciel

 

La gestation du projet PhpWebGallery démarre fin 2001 et la première version sortira aux vacances de Pâques 2002. Pendant les vacances, car j’étais étudiant en école d’ingénieur à Lyon et j’ai eu besoin de temps libre pour finaliser la première version. Le logiciel a tout de suite rencontré un public et des contributeurs ont rejoint l’aventure. En 2009, « PhpWebGallery » est renommé « Piwigo » mais seul le nom a changé, il s’agit du même projet.

Les huit premières années, le projet était entièrement bénévole, avec des contributeurs (de qualité) qui donnaient de leur temps libre et de leurs compétences. Le passage d’étudiant à salarié m’a donné du temps libre, vraiment beaucoup. Je faisais pas mal d’heures pour mon employeur mais en comparaison avec le rythme prépa/école, c’était très tranquille : pas de devoirs à faire le soir ! Donc Piwigo a beaucoup avancé durant cette période. Devenu parent puis propriétaire d’un appartement, avec les travaux à faire… mon temps libre a fondu et il a fallu faire des choix. Soit j’arrêtais le projet et il aurait été repris par la communauté, soit je trouvais un modèle économique viable et compatible avec le projet pour en faire mon métier. Si je suis ici pour en parler douze ans plus tard, c’est que cette deuxième option a été retenue.

En 2010 vous lancez le service piwigo.com ; un logiciel libre dont les auteurs ne crèvent pas de faim, c’est plutôt bien. Est-ce que c’est vrai ? Avez-vous trouvé votre modèle économique ?

 

Le logo de Piwigo, le service

 

Pour ce qui me concerne, je ne crève pas du tout de faim. J’ai pu rapidement retrouver des revenus équivalents à mon ancien salaire. Et davantage aujourd’hui. J’estime vivre très confortablement et ne manquer de rien. Ceci est très subjectif et mon mode de vie pourrait paraître « austère » pour certains et « extravagant » pour d’autres. En tout cas moi cela me convient 🙂

Notre modèle économique a un peu évolué en 12 ans. Si l’objectif est depuis le départ de se concentrer sur la vente d’abonnements, il a fallu quelques années pour que cela couvre mon salaire. J’ai eu l’opportunité de réaliser des prestations de dev en parallèle de Piwigo les premières années pour compenser la croissance lente des ventes d’abonnements.

Ce qui a beaucoup changé c’est notre cible : on est passé d’une cible B2C (à destination des individus) à une cible B2B (à destination des organisations). Et cela a tout changé en terme de chiffre d’affaires. Malheureusement ou plutôt « factuellement » nous plafonnons depuis longtemps sur les particuliers. Nos offres Entreprise quant à elles sont en croissance continue, sans que l’on atteigne encore de plafond. Nous avons donc décidé de communiquer vers cette cible. Piwigo reste utilisable pour des particuliers bien sûr, mais ce sont prioritairement les organisations qui vont orienter notre feuille de route.

Grâce à la réorientation de notre modèle économique, il a été possible de faire grossir l’équipe.

Donc on a Piwigo.org qui fournit le logiciel libre que chacun⋅e peut installer à condition d’en avoir les compétences, et Piwigo.com, service commercial géré par ton équipe et toi. Vous vous chargez de la maintenance, des mises à jour, des sauvegardes.

Qui est vraiment derrière Piwigo.com aujourd’hui ? Et combien de gens est-ce que ça fait vivre ?

Une petite équipe mêlant des salariés, dont plusieurs alternants, des freelances dans les domaines du support, de la communication, du design ou encore de la gestion administrative. Cela représente 8 personnes, certaines à temps plein, d’autres à temps partiel. J’exclus le cabinet comptable, même s’il y passe du temps compte tenu du nombre de transactions que les abonnements représentent…

Qu’est-ce qui est lourd ?

Certains aspects purement comptables de l’activité. La gestion de la TVA par exemple. Non pas le principe de la TVA mais les règles autour de la TVA. Nous vendons en France, dans la zone Euro et hors zone Euro : à chaque situation sa règle d’application des taxes. Les PCA (produits constatés d’avance) sont aussi une petite source de tracas qu’il a fallu gérer proprement. Jamais je n’aurais imaginé passer autant de temps sur ce genre de sujets en lançant le projet commercial.

Qu’est-ce qui est cool ?
Constater que Piwigo est leur principal outil de travail de nombreux clients. On comprend alors que certains choix de design, certaines optimisations de performances font pour eux une grande différence au quotidien.

 

Création d’un⋅e utilisateur⋅ice

 

Nous avons lancé depuis quelques semaines une série d’entretiens utilisateurs durant lesquels des clients nous montrent comment ils utilisent Piwigo et c’est assez génial de les voir utiliser voire détourner les fonctionnalités que l’on a développées.

D’un point de vue vraiment personnel, ce que je trouve cool c’est qu’un projet démarré sur mon temps libre pendant mes études soit devenu créateur d’emplois. Et j’espère un emploi « intéressant » pour les personnes concernées. Qu’elles soient participantes à l’aventure ou utilisatrices dans leur métier. Je crois vraiment au rôle social de l’entreprise et je suis particulièrement fier que Piwigo figure dans le parcours professionnel de nombreuses personnes.

Votre liste de clients https://fr.piwigo.com/clients est impressionnante…

Oui, je suis d’accord : ça claque ! et bien sûr tout est absolument authentique. Évidemment on n’affiche qu’une portion microscopique de notre liste de clients.

Recevez-vous des commandes spécifiques des gros clients pour développer certaines fonctionnalités ?

Pourquoi des « gros » ? Certaines entreprises « pas très grosses » ont des demandes spécifiques aussi. Bon, en pratique c’est vrai que certains « gros » ont l’habitude que l’outil s’adapte à leur besoin et pas le contraire. Donc parfois on adapte : en personnalisant l’interface quasiment toujours, en développant des plugins parfois. C’est moins de 5% de nos clients qui vont payer une prestation de développement. Vendre ce type de prestation n’est pas au cœur de notre modèle économique mais ne pas le proposer pourrait nuire à la vente d’abonnements, donc on est ouverts aux demandes.

Est-ce que vous refusez de faire certaines choses ?

D’un point de vue du développement ? Pas souvent. Je n’ai pas souvenir de demandes suffisamment farfelues… pardon « spécifiques » pour qu’on les refuse a priori. En revanche il y a des choses qu’on refuse systématiquement : répondre à des appels d’offre et autre « marchés publics ». Quand une administration nous contacte et nous envoie des « dossiers » avec des listes de questions à rallonge, on s’assure qu’il n’y a pas d’appel d’offre derrière car on ne rentrera pas dans le processus. Nous ne vendons pas assez cher pour nous permettre de répondre à des appels d’offre. Je comprends que les entreprises qui vendent des tickets à 50k€+ se permettent ce genre de démarche administrative, mais avec notre ticket entre 500€ et 4 000€, on serait perdant à tous les coups. Le « coût administratif » d’un appel d’offre est plus élevé que le coût opérationnel de la solution proposée. C’est aberrant et on refuse de rentrer là-dedans.

Bien que nous refusions de répondre à cette complexité administrative (très française), nous avons de nombreuses administrations comme clients : ministère, mairies, conseils départementaux, offices de tourisme… Comme quoi c’est possible (et légal) de ne pas gaspiller de l’énergie et du temps à remplir des dossiers.

Y a-t-il beaucoup de particuliers qui, comme moi, vous confient leurs photos ? Faites péter les chiffres qui décoiffent !

Environ 2000 particuliers sont clients de notre offre hébergée. Ils sont bien plus nombreux à confier leurs photos à Piwigo, mais ils ne sont pas hébergés sur nos serveurs. Notre dernière enquête en 2020 indiquait qu’environ un utilisateur sur dix était client de Piwigo.com [donc 90% des gens qui utilisent le logiciel Piwigo s’auto-hébergent ou s’hébergent ailleurs, NDLR] .

Si on élargit un peu le champ de vision, on estime qu’il y a entre 50 000 et 500 000 installations de Piwigo dans le monde. Avec une énorme majorité d’installations hors Piwigo.com donc. Difficile à chiffrer précisément car Piwigo ne traque pas les installations.

 

La page d’administration de Piwigo

 

Pour des chiffres qui « décoiffent », je dirais qu’on a fait 30% de croissance en 2020. Puis encore 30% de croissance en 2021 (merci les confinements…) et qu’on revient à notre rythme de croisière de +15% par an en 2022. Dans le contexte actuel de difficulté des entreprises, je trouve qu’on s’en sort bien !

Autre chiffre qui décoiffe : on n’a pas levé un seul euro. Aucun business angel, aucune levée de fonds auprès d’investisseurs. Notre croissance est douce mais sereine. Attention pour autant : je ne dénigre pas le principe de lever des fonds. Cela permet d’aller beaucoup plus vite. Vers le succès ou l’échec, mais beaucoup plus vite ! Rien ne dit que si c’était à refaire, je n’essaierais pas de lever des fonds.

Encore un chiffre respectable : Piwigo a soufflé sa vingtième bougie en 2022. Le projet a connu plusieurs phases et nous vivons actuellement celle de la professionnalisation. Beaucoup de projets libres s’arrêtent avant et disparaissent car ils ne franchissent pas cette étape. Si certains voient dans l’arrivée de l’argent une « trahison » de la communauté, je trouve au contraire que c’est sain et gage de pérennité. Lorsque les fondateurs d’un projet ont besoin d’un modèle économique viable pour payer leurs propres factures, vous pouvez être sûrs que le projet ne va pas être abandonné sur un coup de tête.

Est-ce que les réseaux sociaux axés sur la photographie concurrencent Piwigo ? On pense à Instagram mais aussi à Pixelfed, évidemment.

J’ai regardé rapidement ce qu’était Pixelfed. Ma conclusion au bout de quelques minutes : c’est un clone opensource à Instagram, en mode décentralisé.

Piwigo n’est pas un réseau social. Pour certains utilisateurs, Piwigo a perdu de son intérêt dès lors que Facebook et ses albums photos sont arrivés. Pour d’autres, Piwigo constitue au contraire une solution pour ceux qui refusent la centralisation/uniformisation telle que proposée par Facebook ou Google. Enfin pour de nombreux clients pro (photographes ou entreprises) Piwigo est un outil à usage interne de l’équipe communication pour organiser les ressources média qui seront ensuite utilisées sur les réseaux sociaux. Il faut comprendre que pour les chargés de communication d’un office de tourisme, mettre sa photothèque sur Facebook n’a aucun sens. Ils ou elles publient quelques photos sur Facebook, sur Instagram ou autres, mais leur photothèque est organisée sur leur Piwigo.

Bref, même si les premières années je me suis demandé si Piwigo était encore pertinent face à l’émergence de ces nouvelles formes de communication, je sais aujourd’hui que Piwigo n’est pas en concurrence frontale avec ces derniers mais qu’au contraire, l’existence de ces réseaux nécessite pour les marques/entreprises qu’elles organisent leurs photothèques. Piwigo est là pour les y aider.

Quelles sont les différences ?

La toute première des choses, c’est la temporalité. Les réseaux sociaux sont excellents pour obtenir une exposition forte et éphémère de votre « actualité ». À l’inverse, Piwigo va exceller pour vous permettre de retrouver un lot de photos parmi des centaines de milliers, organisées au fil des années. Piwigo permet de gérer son patrimoine photo (et autres médias) sur le temps long.

L’autre aspect important c’est le travail en équipe. Un réseau social est généralement conçu autour d’une seule personne qui administre le compte. Dans Piwigo, plusieurs administrateurs collaborent (à un instant T ou dans la durée) pour construire la photothèque : classification, indexation (tags, titre, descriptions…)

Enfin, certaines fonctionnalités n’ont tout simplement rien à voir. Par exemple, dans un réseau social le cœur de métier va être d’obtenir des likes. Dans un Piwigo, vous allez pouvoir mettre en place un moteur de recherche multicritères avec vos propres critères. Par exemple on a un client qui fabrique des matériaux acoustiques. Ses critères de recherche sont collection, coloris, lieu d’implantation… Cela n’aurait aucun sens sur l’interface uniformisée d’un Instagram.

Qui apporte des contributions à Piwigo ? Est-ce que c’est surtout la core team ?

Cela a beaucoup changé avec le temps. Et même ce qu’on appelle aujourd’hui « équipe » n’est plus la même chose que ce qu’on appelait « équipe » il y a 10 ans. Aujourd’hui, l’équipe c’est essentiellement celle du projet commercial. Pas uniquement mais quand même pas mal.

On a donc beaucoup de contributions « internes » mais ce serait trop simplificateur d’ignorer l’énorme apport de la communauté de contributeurs au sens large. Déjà parce que l’état actuel de Piwigo repose sur les fondations créées par une communauté de développeurs bénévoles. Ensuite parce qu’on reçoit bien sûr des contributions sous forme de rapports de bugs, des pull-requests mais aussi grâce à des bénévoles qui aident des utilisateurs sur les forums communautaires, les bêta-testeurs… sans oublier les centaines de traducteurs.

Petite anecdote dont je suis fier : Rasmus Lerdorf, créateur de PHP (le langage de programmation principalement utilisé dans Piwigo) nous a plusieurs fois envoyé des patches pour que Piwigo soit compatibles avec les dernières versions de PHP.

 

Quel est votre lien avec le monde du Libre ? (<troll>y a-t-il un monde du Libre ?</troll>)

Je ne sais pas s’il y a un « monde du libre ». Historiquement Les contributeurs sont d’abord des utilisateurs du logiciel qui ont voulu le faire évoluer. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse de fervents défenseurs du logiciel libre.

Franchement je ne sais pas trop comment répondre à cette question. Je sais que Piwigo est une brique de ce monde du libre mais je ne suis pas sûr que l’on conscientise le fait de faire partie d’un mouvement global. Je pense qu’on est pragmatique plutôt qu’idéologique.

 

En tant que client, je viens de recevoir le mail qui annonce le changement de tarif. Pouvez-vous nous expliquer l’origine de cette décision ?

Là on est vraiment sur l’actualité « à chaud ». Le changement de tarif pour les nouveaux/futurs clients a fait l’objet d’une longue réflexion et préparation. Je dirais qu’on le prépare depuis 18 mois.

 

Si j’ai bien compris la clientèle particulière est un tout petit pourcentage de la clientèle de Piwigo.com ?

Les clients de l’ancienne offre « individuelle » représentent 30 % du chiffre d’affaires des abonnements pour 91% des clients. J’exclus les prestations de dev, qui sont exclusivement ordonnées par des entreprises. Donc « tout petit pourcentage », ça dépend du point de vue 🙂

Est-ce que l’offre de stockage illimité devient trop chère ?

En moyenne sur l’ensemble des clients individuels, on est à ~30 Go de stockage utilisé. La médiane est quant à elle de 5Go. Si la marge financière dégagée n’est pas folle, on ne perd pas d’argent pour autant, car nous avons réussi à ne pas payer le stockage trop cher. Pour faire simple : on n’utilise pas de stockage cloud type Amazon Web Services, Google Cloud ou Microsoft Azure. Sinon on serait clairement perdant.

Ceci est vrai tant qu’on propose de l’illimité sur les photos. Sauf que la première demande au support, devant toutes les autres, c’est : « puis-je ajouter mes vidéos ? », et cela change la donne. Hors de question de proposer de l’illimité sur les vidéos. De l’autre côté, on entend et on comprend la demande des utilisateurs concernant les vidéos. Donc on veut proposer les vidéos, mais il faut en parallèle introduire un quota de stockage.

Ensuite nous avions un souci de cohérence entre l’offre individuelle (stockage illimité mais photos uniquement) et les offres entreprise (quota de stockage et tout type de fichiers). La solution qui nous paraît la meilleure est d’imposer un quota pour toutes les offres, mais un quota généreux. L’offre « Perso » est à 50 Go de stockage, donc largement au-delà de la conso moyenne.

Enfin la principe de l’illimité est problématique. En 12 ans, la perception du grand public sur le numérique a évolué. Je parle spécifiquement de la consommation de ressources que le numérique représente. Le cloud, ce sont des serveurs dans des centres de données qui consomment de l’électricité, etc. En 2023, je pense que tout le monde a intégré le fait que nous vivons dans un monde fini. Ceci n’est pas compatible avec la notion de stockage infini. Je peux vous assurer que certains utilisateurs n’ont pas conscience de cette finitude.

Est-ce que des pros ont utilisé cette offre destinée aux particuliers pour «abuser» ?

Il y a des abus sur l’utilisation de l’espace de stockage, mais pas spécialement par des pros. On a des particuliers qui scannent des documents en haute résolution par dizaine de milliers pour des téraoctets stockés… On a des particuliers qui sont fans de telle ou telle star de cinéma et qui font des captures d’écran chaque seconde de chaque film de cet acteur. Ne rigolez pas, cela existe.

En revanche on avait un soucis de positionnement : l’offre « individuelle » n’était pas très appropriée pour les photographes pros mais l’offre entreprise était trop chère. On a maintenant des offres mieux étagées et on espère que cela sera plus pertinent pour ce type de client.

Enfin on a des entreprises qui essaient de prendre l’offre individuelle en se faisant passer pour des particuliers. Et là on est obligés de faire les gendarmes. On a même détecté des « patterns » de ses entreprises et on annulait les commandes « individuelles » de ces clients. J’en avais personnellement un petit peu ras le bol 🙂

Les nouvelles offres, même « Perso » sont accessibles même à des multinationales. Évidemment, les limites qu’on a fixées devraient naturellement les orienter vers nos offres Entreprise (nouvelle génération) voire VIP.

 

Est-ce qu’il s’agissait d’une offre qui se voulait temporaire et que vous avez laissé filer parce que vous étiez sur autre chose ?

 

Pendant 12 ans ? Non non, le choix de proposer de l’illimité en 2010 était réfléchi et « à durée indéterminée ». Les besoins et les possibilités et surtout les demandes ont changé. On s’adapte. On espère ne pas se tromper et si c’est le cas on fera des ajustements.

L’important c’est de pas mettre nos clients au pied du mur : ils peuvent renouveler sur leur offre d’origine. On a toujours proposé cela et on ne compte pas changer cette règle. C’est assez unique dans notre secteur d’activité mais on y tient.

Nous avons vu que votre actualité c’était la nouvelle version de Piwigo NG. Je crois que vous avez besoin d’aide. Vous pouvez nous en parler ?

Nous avons plusieurs actualités et effectivement côté logiciel, c’est la sortie de la version 2 de l’application mobile pour Android. Piwigo NG (comme Next Generation) est le résultat du travail de Rémi, qui travaille sur Piwigo depuis deux ans. Après avoir voulu faire évoluer l’application « native » sans succès, il a créé en deux semaines un prototype d’application mobile en Flutter. Ce qu’il avait fait en deux semaines était meilleur que ce que l’on galérait à obtenir avec l’application native en plusieurs mois. On a donc décidé de basculer sur cette nouvelle technologie. Un an après la sortie de Piwigo NG, Rémi sort une version 2 toujours sur Flutter mais avec une nouvelle architecture « plus propice aux évolutions ». Le fameux « il faut refactorer tous les six mois », devise des développeurs Java.

En effet nous avons besoin d’aide pour bêta-tester cette version 2 de Piwigo NG. Plus nous avons de retours, plus nous pouvons la stabiliser.

Pour aller plus loin




CLIC : Un projet pour des apprentissages numériques plus interactifs

La proposition de CLIC est de s’auto-héberger (de faire fonctionner des services web libres sur son propre matériel) et de disposer de ses contenus et données localement, et/ou sur le grand Internet avec un système technique pré-configuré. Le dispositif s’adresse plutôt à des militant⋅es, des chercheur⋅euses, des formateur⋅ices… amené⋅es à se rendre sur le terrain, où la connexion Internet n’est pas toujours stable, voire est inexistante.

Note grammaticale : nous n’avons pas réussi à trancher entre « le CLIC » ou « la CLIC » pour le nom du dispositif, alors en attendant de décider, nous alternons entre les deux tout au long de l’article.

Depuis décembre 2022, un an après une première rencontre, la clique du projet CLIC s’est retrouvée deux fois :

  1. à Paris au CICP et en ligne pour une nouvelle session de travail et d’échange avec des chercheur⋅ses de l’IRD.
  2. à Montpellier au Mas Cobado dans une ambiance de fablab éphémère

À la fin de la session de novembre 2021, l’objectif pour 2022 était d’avoir testé le dispositif dans plusieurs contextes. Des CLICs ont ainsi été mis en place pour les labs d’innovation pédagogique, et pour les territoires d’expérimentation Colibris, des contenus accessibles hors ligne ont été ajoutés avec kiwix.

Une difficulté s’est cependant vite posée, liée à l’état de développement du dispositif : l’installation nécessitait alors un accompagnement humain qui manquait une fois de retour sur le terrain, si la CLIC ne fonctionnait plus. Pour les CLICs livré⋅es clé en main, la maintenance et parfois l’usage lui-même étaient donc dépendants des humain⋅es de la clique. Enfin, la pénurie de nano-ordinateurs comme les Raspberry Pi a empêché de s’approvisionner en matériel à déployer. Le projet a donc peu avancé, mais l’intérêt est resté présent.

Premiers retours d’usage

Une priorité pour les retrouvailles de décembre 2022 a donc été d’identifier la cause des problèmes surgissant à l’installation d’une part, et de rédiger un tutoriel pour accompagner l’installation pour les personnes souhaitant plonger dans le projet d’autre part.

Des premiers retours d’usages des chercheur⋅ses de l’IRD ont permis de soulever plusieurs questions :

  • celle de l’usage d’un logiciel d’enquête non-libre en lien avec un CLIC,
  • celle de la récupération de sauvegarde de ce qui a été travaillé localement en vue de le publier en ligne,
  • celle de la compatibilité avec différentes bases de données.

Sur la question de l’usage de solutions techniques non-libres, le projet CLIC s’appuyant sur YunoHost, rapidement la réponse a été qu’on ne chercherait pas de compatibilité avec de telles solutions, préservant nos ressources pour la recherche sur des solutions libres.

Concernant la récupération « facile » des sauvegardes, la réponse reste à être identifiée et implémentée, car il n’y a pour le moment pas de solution clé en main le permettant, autre que l’outil de sauvegarde intégré à YunoHost. Si l’utilisateur⋅ice peut se passer d’une aide graphique, le transfert vers une autre CLIC ou vers un YesWiki devrait pouvoir se faire sans trop de difficultés.

Pour la compatibilité avec les bases de données, plusieurs sont supportées par le projet CLIC : MariaDB (ou MySQL), PostGreSQL. Pour des solutions personnalisées (par exemple à partir d’openHDS), des installations supplémentaires sont à envisager, mais pas impossibles.

Un ordinateur portable et un téléphone posés sur un bureau encombré de matériel informatique. L'écran du téléphone affiche la page d'installation d'une CLIC, celui de l'ordinateur affiche une illustration pour le portail de services en cours de modification sur Inkscape.
En un CLIC, une installation simplifiée et ergonomique.

 

Les discussions tout au long de 2022 ont mis en évidence un intérêt pour plusieurs cas d’usage :

  • pour un usage pédagogique en classe, en formation (apprendre à administrer un serveur, se former à l’utilisation de logiciels…),
  • pour réaliser un travail de terrain en Sciences Humaines et Sociales (anthropologie, démographie, linguistique, etc.) sans connexion,
  • pour s’affranchir du recours à la 4G en cas de connexion Internet défaillante ou restreinte (réseaux d’université par exemple),
  • pour mettre à disposition des contenus (supports pédagogiques, informations utiles dans un contexte précis, partages au sein d’une communauté…).

Si vous vous retrouvez dans ces cas, ou que vous en identifiez d’autres et que vous souhaitez participer aux tests du prototype du CLIC, contactez-nous sur contact AT projetclic.cc. Nous pouvons vous accompagner dans les premières étapes, et vos retours seront très utiles pour avancer ce projet.

Vous pouvez aussi regarder par vous-même, auquel cas vous aurez besoin :

Des améliorations logicielles et matérielles

Après ces deux rencontres, on compte cinq grosses améliorations :

  • Un site a été créé pour le projet pour y retrouver actus, communauté, images à télécharger et tutoriels : https://projetclic.cc.
  • Le hotspot wifi affiche une popup permettant de retrouver le portail sans connaitre son adresse url d’avance,
  • L’installateur permet de choisir les applications qu’on veut utiliser parmi une sélection,
  • Le portail de sélection de service a été travaillé graphiquement et une démo est disponible,
  • Des images sont mises à disposition pour les modèle de nano-ordinateurs Odroid en plus des RaspberryPi.

Capture d'écran d'une page web avec un message de bienvenue présentant le projet puis plusieurs images dans une rubrique "coopérer". Elles représentent deux personnes habillées en rouge ou en jaune, en action autour de différents tableaux thématiques : prendre des notes à plusieurs, partager des documents, organiser des idées, etc.
Le portail de sélection des services a été travaillé graphiquement.

 

Les améliorations matérielles ne sont pas en reste :

  • Design et impressions 3D de boîtiers pour nano-ordinateur Odroid

Deux boîtiers imprimés en 3D, un rouge et un bleu, indiquant le nom et l'url du projet CLIC.
Des boîtiers pour nano-ordinateurs Odroid.

  • Travail sur la Chatravane avec des ateliers pédagogiques sur la consommation énergétique en autonomie avec des panneaux solaires.

Deux malettes posées l'une devant l'autre. Celle de derrière est noire striée de blanc. Celle de devant est vitrée et laisse voir batterie et câbles.
La chatravane, un prototype de serveur nomade alimenté par des panneaux solaires.

 

Pour la suite, il est prévu :

  • De continuer de travailler sur le système et son installation, notamment pour s’approcher au maximum d’une installation « en un clic ».
  • D’ajouter une facilitation graphique au tutoriel, pour aider à la compréhension du fonctionnement d’une CLIC.
  • De continuer les tests sur le terrain (et adapter la documentation en fonction des observations).
  • De prévoir un hackathon axé sur le design et la communication.

Le projet CLIC avance doucement mais sûrement, grâce à du temps de travail bénévole et rémunéré (ritimo, Mouvement Colibris, YunoHost) et au soutien de Framasoft.

Nos prochaines retrouvailles seront aux Journées du Logicel Libre (JDLL) les 1er et 2 avril 2023, où vous nous retrouverez en déambulation et de manière plus posée, au stand de nos ami·es de YunoHost.

Crédit photos : 12b Fabrice Bellamy et Mathieu Wostyn
Crédit vidéo : Mouvement Colibris
Licence CC BY SA




Médiation sociale et médiation numérique : solubilité ou symbiose ?

Cette semaine, le collectif « Lost in médiation » vous invite à découvrir les réflexions de Garlann Nizon et Stéphane Gardé. Bonne lecture !

Garlann Nizon est cheffe de projet, formatrice, consultante en inclusion numérique, entrepreneure salariée associée à la CAE PRISME et administratrice à la coopérative La MedNum.
Stéphane Gardé est consultant-formateur à La Coop Num, entrepreneur salarié associé au sein de la CAE-SCOP auvergnate Appuy Créateurs. Dans la médiation numérique depuis presque 20 ans, il tire son expertise d’accompagnement des publics en fragilité de 11 années passées au milieu des caravanes avec les Gens du Voyage du Puy de Dôme, notamment au volant d’un camion multimédia en tant que chargé de projet numérique. Il apprend alors AVEC les publics en « fragilité linguistique et numérique ». Depuis, il développe une activité de formation, d’ingénierie et de conseil pour des acteurs publics et privés en France et en Belgique. Il accompagne également la « transition numérique » dans des secteurs variés (social et médico-social, etc.) avec comme démarche : la coopération et l’humain au centre.

Solubilité ?

Si l’on considère que la solubilité est la « capacité d’une substance […] à se dissoudre dans une autre […] pour former un mélange homogène » (merci aux contributeurs de Wikipédia !), la question telle qu’elle est posée, interroge la dissolution de la médiation numérique dans la médiation sociale. Si le résultat est censé être homogène, il serait néanmoins l’émanation de la médiation sociale. Dans un mélange soluble, l’un se perd au profit de l’autre avec à terme le risque que l’un disparaisse, perdant son identité propre.

Ramené à la médiation, le risque pourrait être dans ce cas de réduire et limiter la médiation numérique à l’accès aux droits, à la problématique de la dématérialisation ou de la numérisation de la relation aux usagers par les opérateurs de services publics et des exclusions qui en découlent. Ce faisant, nous serions alors dans une disparition de l’une comme de l’autre, au détriment de l’une comme l’autre, se réduisant à une vision technico-technique ou technico-administrative de ces problématiques, perdant de vue que ce qui est au centre n’est finalement pas le numérique, mais l’humain. De plus, la prise en compte de l’humain dans toutes ses dimensions (militantes, professionnelles, parentales, etc.) permet une démarche holistique nécessaire et favorable à la porosité et à l’innovation sociale.

Une question supplémentaire peut même légitimement se poser : quel serait l’intérêt de cette solubilité ? Une chose est claire : le constat de ces problématiques de non-accès ou de rupture de droits existe bel et bien de façon partagée, là n’est pas la question, et les conséquences qui en découlent pour les usagers sont bien réelles, se traduisant par des difficultés que les uns ou les autres côtoient régulièrement. Pour autant, la personne ne se réduit pas non plus à ses « droits » et « devoirs » : elle se construit aussi dans ce qu’elle peut entrevoir de « possible ». En cela, la médiation numérique accompagne l’émancipation avec/par le numérique, comme vecteur de capacitation et d’expression des capabilités (voir à ce sujet le projet ANR #CAPACITY FING-M@rsoin, ou plus largement les travaux notamment de J.F. Marchandise, P. Plantard).

Symbiose ?

La symbiose quant à elle est « une association intime, durable entre deux organismes […]. La symbiose sous-entend le plus souvent une relation mutualiste, dans laquelle les deux organismes bénéficient de l’association » (merci bis aux contributeurs de Wikipédia !). La symbiose apparaît donc comme « réciproquement profitable », et avec l’idée de réciprocité, les possibilités de collaborations, coconstructions, coopérations. Ramenée à notre sujet, cette association n’est-elle pas même aujourd’hui incontournable ?

Pourquoi incontournable ?

Si un médiateur numérique n’est pas un médiateur social, et réciproquement, pour autant il y a un espace commun. Et définir les communs, c’est aussi affirmer et reconnaître les spécificités. Diluer risque de nous faire perdre l’un et l’autre et de fait les collaborations enrichissantes pour l’un comme pour l’autre. Autre aspect : la culture numérique est aujourd’hui nécessaire pour comprendre le monde qui nous entoure.

La médiation numérique œuvre dans une démarche d’éducation populaire, de formation tout au long de la vie dans une optique d’émancipation des individus.

Ces éléments constituent, de notre point de vue, l’ADN de la médiation numérique. La médiation numérique doit permettre « de renforcer les contre-pouvoirs » pour éveiller les consciences et « encourager une vigilance citoyenne », de « s’émanciper du cadre de la société » à laquelle nous appartenons, pour en être acteur, pour la transformer (cf. Dominique Cardon, sociologue17).

Pourquoi « réciproquement profitable » ?

L’aspect transversal du numérique et de proximité permet de faire émerger des projets, des interactions entre habitants (échelon de proximité), des échanges, des brassages de population, puis des démarches « tiers lieux » et donc l’innovation sociale, dont peut bénéficier tout un territoire.

Pourquoi « durable » ?

Quid des métiers et comment assurer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et assurer une évolution parallèle aux évolutions des pratiques, techniques et usages ? Des postures hybrides existent déjà en ce sens, ayant investi cet espace commun en « médiation sociale numérique », comme celles du Réseau national Pimms Médiation. Travailler les complémentarités, l’espace commun, exige de reconnaître les spécificités initiales et de les renforcer. Ceci doit se faire dans une perspective métier qui tienne compte de ces évolutions sociétales et des besoins qui en découlent, afin d’accompagner la nécessaire évolution des pratiques professionnelles. L’évaluation et la formation continue permettront d’assurer la reconnaissance de ce métier exigeant, de proposer des cursus de formation ambitieux menées par des équipes pédagogiques réellement efficientes.

Cela pourrait éventuellement passer par l’évolution du titre professionnel « responsable d’espace de médiation numérique » (REMN) avec la reconnaissance d’un tronc commun et la création de branches spécialisées, centrées sur les espaces partagés : parallèle avec la médecine générale et spécialisée.

Pour autant, de notre point de vue, la médiation numérique n’est pas un médicament dont l’objet serait la réduction de « fractures », encore moins essentiellement centré sur le corps administratif.

Mais cela permettrait justement d’apporter une réponse spécifique à des problématiques qui le sont tout autant, avec un cadre précis et issu d’une spécialisation, sans engager l’ensemble de la profession dont ce n’est pas la vocation initiale. Cela pourrait ainsi contribuer à définir/clarifier/outiller/former des médiateurs numériques dont les rôles et places sont forcément différents selon qu’ils sont en médiathèque, dans une association, en Espace France Services ou bien en Maisons des Solidarités d’une direction d’action sociale, mais aussi en centre urbain ou milieu rural tenant compte de la typologie du territoire et des acteurs absents ou présents, car ceci a un impact fort sur les demandes, les attentes et les besoins des publics bénéficiaires.

L’une de ces spécialisations pourrait porter sur l’accompagnement vers l’accès/le maintien des droits – cet espace commun entre médiation sociale, le travail social et la médiation numérique. Ainsi que d’autres diplômes avec niveau infra et supra pour proposer une véritable filière avec des possibilités d’évolutions au long de la carrière ce qui manque cruellement à ce jour.

Réinventer les médiations ou faire évoluer les pratiques professionnelles ?

Les médiations sont donc multiples et si le commun est ici le numérique, l’origine des aidants est diverse, les rôles et places distincts.

L’enjeu énoncé en 2013 par le CNNum a évolué et nous devons sans cesse « réinventer les médiations à l’ère du numérique », requestionnant les périmètres et les pratiques professionnelles dans des contextes évolutifs et ce, pour chaque typologie d’aidant.

Dans leur article « Répondre aux demandes d’aide numérique : troubles dans la professionnalité des travailleurs sociaux18», Pierre Mazet et François Sorin décrivent et interrogent les impacts du numérique dans le travail social. « Faire à la place de » interroge le périmètre des professionnels et leurs propres pratiques numériques. Se pose ainsi la question de la légitimité, de la compétence, de la formation initiale ou continue. « Faire avec » bouscule une pratique professionnelle qui évolue ou se doit d’évoluer car les besoins eux-mêmes évoluent, ainsi que les contextes. Cela est finalement commun à tous les aidants. A titre d’exemple, considérons une question qui se fait entendre aujourd’hui dans les territoires : quelle complémentarité existe-t-il entre les conseillers numériques – et plus largement les médiateurs numériques – et les Espaces France Services (EFS) ?

Outiller, former (formation initiale et continue) et professionnaliser les aidants en clarifiant les périmètres et les pratiques professionnelles, les rôles et places de chacun, structurer les réseaux et travailler sur les complémentarités en définissant précisément ces espaces communs et quels acteurs peuvent les investir, aux différents échelons territoriaux : tels nous apparaissent aujourd’hui les enjeux. Cela fait écho aux perspectives des CTIN (Coordination Territoriale pour l’Inclusion Numérique), ou encore à la réflexion sur les « articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique ? », amorcée dans la fiche technique du HCTS en 2018.

Cela nécessite également de croiser :

  • les missions de la coopérative nationale des acteurs de la médiation numérique La MedNum,
  • les projets des hubs territoriaux pour un numérique inclusif,
  • les compétences des différents acteurs de la médiation numérique (entendue comme « pratique ») et de l’inclusion numérique (entendue comme « enjeu »), qu’ils soient acteurs de l’accompagnement, de la formation, de l’ingénierie, etc.

afin que toute la filière de la médiation numérique en soit, par la reconnaissance, non seulement valorisée, mais retrouve son existence propre dans une dynamique mise à jour, tout en respectant ses diversités et en favorisant les complémentarités.

En conclusion (provisoire !)

« Personne n’éduque autrui. Personne ne s’éduque seul. Les hommes s’éduquent ensemble au contact du monde » (Paulo Freire)

Par ces mots nous pouvons faire le parallèle entre les liens originels étroits éducation populaire/médiation numérique et l’apprentissage de l’écrit vu par l’« alphabétisation populaire » au sens du pédagogue brésilien Paulo Freire.

Entrer dans l’écrit ou le numérique peut se faire de mille et une manières. Une entrée autre que par « l’utile » est non seulement possible, mais sans aucun doute « souhaitable » pour contribuer à rendre le sujet acteur de son émancipation et écrire sa propre histoire, en territoire numérique ou non.

Quoi qu’il en soit, « nous aurons toujours besoin de médiateurs, avec bien entendu des rôles très variables en fonction des publics, des services, des territoires. Ces fonctions couvrent et continueront de couvrir un large éventail, de la simple explication à la formation, de l’adaptation à la réparation, de l’assistance à la gestion de conflit, de l’aide à la qualité de service, etc. […] Dans une société où les besoins d’accompagnement et de proximité se renouvellent sans cesse, nous devons installer des médiations durables qui s’appuient sur le numérique »19.

Un grand merci à Garlann Nizon et Stéphane Gardé d’avoir partagé avec nous leurs réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




Où est donc passée la culture numérique ?

Le collectif « Lost in médiation » vous invite cette semaine à découvrir les réflexions de Vincent Bernard. Bonne lecture !

Vincent Bernard est coordinateur de Bornybuzz numérique et juré pour le titre professionnel de Responsable d’Espace de Médiation Numérique (REMN). Il veille à inscrire dans ses pratiques de médiation numérique l’éducation aux médias, aux écrans et à la culture numérique. À ce titre, il associe régulièrement des travailleurs sociaux et des psychologues à des projets destinés aux adultes et aux jeunes publics. Il participe également à des publications collectives.

Depuis 2018 avec sa stratégie nationale pour un numérique inclusif, l’État promeut une approche opératoire du numérique tendant à reléguer culture et littératie numériques au second plan. Cette restriction de la médiation numérique est problématique au regard des enjeux sociétaux. Petite virée sémantique au pays des synecdoques.

Tatiana T. Illustrations, CC BY-SA 4.0 Le petit Poucet perdu dans la forêt numérique sème des applications pour retrouver son chemin

Médiation numérique

Selon la coopérative des acteurs de la médiation numérique (la MedNum), « la médiation numérique désigne les ingénieries, c’est-à-dire les techniques, permettant la mise en capacité de comprendre et de maîtriser le numérique, ses enjeux et ses usages, c’est-à-dire développer la culture numérique de tous, pour pouvoir agir, et développer son pouvoir d’agir, dans la société numérique »20. A travers cette définition, on comprend que la médiation numérique tend vers deux objectifs : la maîtrise et la compréhension. Il s’agit donc d’une double appropriation technique et culturelle. Cette culture numérique, comme le rappelle le sociologue Dominique Cardon21, est importante. Selon lui, « une invention ne s’explique pas uniquement par la technique. Elle contient aussi la société, la culture et la politique de son époque ».

Cette approche plurielle se retrouve également dans la notion de littératie numérique qui, pour le site québécois HabiloMédias, « est plus qu’un savoir-faire technologique : elle inclut une grande variété de pratiques éthiques, sociales et réflectives qui sont intégrées dans le travail, l’apprentissage, les loisirs et la vie quotidienne ».

Inclusion numérique

Avec la notion d’inclusion numérique, on constate une restriction de la médiation numérique, puisqu’il n’est plus question de compréhension mais seulement de compétences. Ainsi dans les Cahiers de l’inclusion numérique, on peut trouver la définition suivante : « l’inclusion numérique est un processus qui vise à rendre le numérique accessible à chaque individu, principalement la téléphonie et internet, et à leur transmettre les compétences numériques qui leur permettront de faire de ces outils un levier de leur insertion sociale et économique »22. L’approche est ici opératoire et il n’est finalement question que de savoir utiliser des outils. Le numérique est réduit à sa dimension d’interface où l’utilisateur est considéré comme un opérateur qui doit savoir effectuer une requête, remplir un champ et valider un formulaire.

Médiation sociale

Pour le Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, « la médiation sociale est un mode efficace de résolution des tensions et de mise en relation des populations des quartiers et des institutions »23. Cette résolution des tensions et mise en relation, selon France Médiation, se décline autour de 5 grands domaines : espace public et habitat collectif ; accès aux droits et aux services ; transports en commun ; milieu scolaire et jeunesse ; participation des habitants24.

En raison de la dématérialisation des services publics, il est désormais difficile d’envisager l’accès aux droits et aux services sans les questions d’inclusion numérique. Pourtant, pour France Médiation, « l’accès aux droits nécessite un accompagnement global, comprenant : l’accueil de la personne, l’analyse de ses besoins, l’information sur ses droits, l’orientation vers les institutions, jusqu’à éventuellement l’aide à l’usage du numérique »25. Éventuellement…

Lost in médiation

En 2019, le Haut Conseil en Travail Social (HCTS) a proposé des articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique26. Si la mission spécifique du médiateur numérique est définie comme « la formation, les actions pédagogiques et la médiation entre la personne et les multiples outils numériques afin de lui permettre de les maîtriser de façon autonome », il partage néanmoins avec le médiateur social la mission de « l’information des personnes sur leurs droits, l’aide à l’instruction des demandes et le travail de veille sociale en partenariat ». Ici aussi, la mission du médiateur numérique est envisagée dans une optique d’inclusion numérique. La culture et la littératie ont disparu au profit d’une dimension exclusivement opératoire et technique. Or le numérique ne doit pas être considéré comme une boîte noire, et l’internaute/citoyen ne peut pas être simplement envisagé comme presse-bouton.

Le rapport Lieux et acteurs de la médiation numérique. Quels impacts des demandes d’aide e-administrative sur l’offre et les pratiques de médiation ? ne dit pas autre chose, lorsqu’il montre comment l’aide aux démarches administratives influe sur le projet des structures de médiation numérique traditionnelles, et aboutit à déposséder les médiateurs numériques de leurs objectifs initiaux, non sans générer de la souffrance professionnelle et de l’inquiétude quant à l’avenir de la profession.

Lost in formation aussi

Il est fréquent d’entendre de futurs conseillers numériques, qui partagent le premier certificat de compétences professionnelles (CCP1) du titre professionnel de Responsable d’Espace de Médiation Numérique (REMN), se plaindre des activités relatives à l’impression 3D, les microcontrôleurs ou la programmation de robots pédagogiques. En effet, ils ne semblent pas comprendre l’intérêt de ces activités. Cette incompréhension se ressent également lors de leur certification où les fiches activités qu’ils présentent sont une succession de tâches à réaliser façon tutoriel, sans contextualisation et sans âme.

Le Référentiel Emploi Activité Compétence du titre professionnel est pourtant clair. La première compétence à valider consiste à « élaborer des programmes d’actions de médiation facilitant l’appropriation des savoirs et des usages numériques ». Cette appropriation des savoirs devrait normalement être comprise comme culture ou comme littératie numérique, mais de toute évidence elle ne l’est pas. Pour un juré, lors de l’entretien technique, il est souvent difficile de déterminer si les lacunes proviennent de l’organisme de formation ou de l’employeur, tant les deux semblent avoir en commun cette méconnaissance de ce que la médiation numérique pourrait être.

Y-a-t-il un médiateur pour sauver le numérique ?

Pourtant une fois sur le terrain, ces jeunes professionnels peuvent être amenés à intervenir sur des thématiques qui excèdent la simple maîtrise d’outils, comme les usages problématiques qu’il s’agisse d’usages excessifs ou de comportements en ligne (ce qui conduit inévitablement à intervenir auprès d’adolescents ou en parentalité) ; ou tout ce qui touche aux dimensions éthiques du numérique : la protection des données personnelles27, l’impact écologique du numérique, les alternatives aux GAFAM, les dark patterns, les algorithmes28 et l’intelligence artificielle, etc.

N’ayant ni les prérequis théoriques ni la posture professionnelle adéquate, ils répondent à une commande institutionnelle confondant bien souvent prévention et éducation. Faute de culture numérique, ils peuvent faire la promotion des usages responsables ou de la sobriété numérique, comme ils peuvent faire le jeu du solutionnisme technologique, du capitalisme de surveillance ou encore participer à la diffusion de paniques morales.

Autrement dit, alors que la médiation numérique se voudrait dans la filiation des pionniers d’Internet, elle risque de devenir le bras armé d’une logique gestionnaire qui vise la rationalisation des conduites humaines plutôt que l’émancipation. Alors que le Conseil national du numérique (CNNum) appelle de ses vœux un numérique au service des savoirs, il serait temps de reconnaître « qu’une culture numérique approfondie, acquise par l’éducation et l’expérience, appuyée sur une réflexion profonde de nos objectifs en tant qu’individus et en tant que société » ne pourra advenir sans professionnels de la médiation numérique formés à cet enjeu.

Un grand merci à Vincent Bernard d’avoir partagé avec nous ses réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




Les 100 premiers jours d’une libraire à la présidence de l’April

Trois mois… C’est fou ce que cela passe vite.

En décembre 2022, j’ai repris la présidence de l’April, l’association pour la promotion et la défense du Logiciel Libre. Cette association existe depuis 1996 et compte presque 3 000 membres. N’étant ni informaticienne, ni juriste, ni politicienne, j’avais refusé le poste quand un des anciens présidents, Lionel Allorge <3, me l’avait proposé, syndrome d’imposture inconscient sans doute. Après quinze ans dans l’association dont dix en tant qu’administratrice, c’était le bon moment pour se lancer.

Mais être présidente de l’April, ça m’engage à quoi ?

Les personnes qui se sont succédé à la présidence de l’April, Fred, Benoît, Tangui, Lionel, Jean-Christophe ou Véronique (maintenant vous connaissez leurs prénoms29) ont été confrontées à des combats, des injustices, des politiciens godillots, des messages à passer et à faire passer. Celles et ceux qui me connaissent savent que je suis dynamique, joviale, que j’aime aller vers les autres, travailler en équipe, rencontrer des libristes, construire ensemble, à plusieurs, et surtout totalement utopiste sur la société dans laquelle je souhaiterais vivre. Exigeante avec moi-même, je me suis fixé plusieurs objectifs à mener au sein de l’April dans l’année à venir même si, parfois, cela me semble irréalisable lors de mes insomnies. Heureusement, j’ai la chance d’être entourée de personnes formidables : les membres de l’équipe salariée, du conseil d’administration (CA) et les membres de l’association.

1) Se mettre à jour sur les dossiers institutionnels de l’April.

Chaque bénévole s’intéresse à ses sujets préférés, moi j’étais plutôt dans la vie de l’association, la tenue de stands, la sensibilisation. Mais, devenue présidente, j’ai dû me mettre à jour, m’informer et me tenir au courant des dossiers institutionnels que traite l’April : proposition de loi sur le contrôle parental, l’OpenBar du ministère des Armées avec Microsoft, Pacte du Logiciel Libre, Conseil d’expertise logiciels libres, Label Territoire Numérique Libre, GAFAM-Nation un rapport éclairant sur le lobbying des GAFAM en France, proposition d’évaluation des dépenses de logiciels de l’État, suivi de questions écrites, Ministère de l’Éducation nationale… pour ne citer qu’eux !

C’est assez chronophage de se documenter et de lire des articles sur des sujets avec lesquels on n’a que peu d’affinités, mais tellement intéressant, finalement, de creuser, de chercher des informations, de remonter à leurs sources. Pourquoi les médias ne s’emparent-ils pas de ces problématiques ? Pourquoi ne s’offusquent-ils pas de la domination des GAFAM et de l’inaction des politiques, des mauvaises décisions des responsables, du manque des femmes dans le numérique, du matériel propriétaire, parfois inutile et que l’on impose aux élèves… Arf !, je m’enflamme, désolée !

Des sujets me tiennent énormément à cœur, sur lesquels j’aimerais travailler comme la priorité au logiciel libre pour tous les logiciels utilisés par l’État et les administrations ; l’obligation d’interopérabilité partout ; la sobriété numérique car l’épuisement des matières premières nécessaires au numérique m’inquiète ; l’Éducation nationale qui reste sous le joug des GAFAM, je pense qu’elle doit sensibiliser les élèves à toutes les alternatives pour pouvoir faire des choix éclairés, pourquoi les prive-t-on des logiciels libres ?

Tellement de sujets et si peu d’heures dans une journée !

2) Lister et s’abonner aux différents groupes de travail

Les échanges et les travaux au sein des groupes de travail de l’April se font principalement au travers de listes de discussions auxquelles les membres peuvent s’inscrire. Et même les personnes non membres de l’association, la plupart des listes étant ouvertes à toute personne intéressée par le thème du groupe de travail. Je pensais que la présidente devait les suivre toutes (arf !!). En le faisant j’ai assisté à des réunions passionnantes et parfois passionnées, j’ai participé à des échanges de courriels enthousiastes ou parfois résignés.

Merci :

  • au groupe Éducation qui m’a bien accueillie, m’a expliqué tous les acronymes (j’en ai encore des cauchemars). Réfléchir sur la doctrine numérique du MEN, ou répondre à sa stratégie a été très formateur ! Préparer un état des lieux au sein d’un questionnaire va sûrement prendre beaucoup de temps et de ressources. C’est parti !
  • au groupe Sensibilisation qui approfondit actuellement la réalisation d’un jeu de société (le jeu du Gnou — jeu de plateau aux multiples questions introduisant aux notions du logiciel libre et de son éthique),
  • au groupe Diversité que j’essaye doucement de faire renaître de ses cendres,
  • au groupe Transcriptions que j’ai longtemps animé, qui produit une quantité incroyable de textes tirés de conférences ou d’émissions de radio, il y a toujours des relectures à faire (message peu subliminal).
  • à l’Agenda du Libre, ma présidence a remotivé Echarp qui y incorpore une nouvelle fonctionnalité, un planet des organisations du Libre… J’ai hâte de voir ce que cela va donner et je referais bien une mise à jour des associations (déjà en cours) !
  • au Chapril, à ses animsys, à ses services libres et loyaux que j’utilise au quotidien et à la modération du pouet que je réalise avec deux bénévoles chaque lundi ! Merci à Bastet, le chatons de Parinux, pour son lecteur de flux et à Framasoft pour cette incroyable initiative. <3

Désolée les groupes Admin sys, site web, Libre Association et Traductions, vous vous débrouillez très bien sans moi, je garde mon petit grain de sel. Et puis je dois reconnaître que jamais je ne pourrai tout lire :’-(.

 

Illustration réalisée avec Gégé – https://framalab.org/gknd-creator/

 

 

Plus je côtoie les groupes, plus je déplore notre manque de bénévoles. Un peu comme dans chaque association, me direz-vous, mais imaginez tout ce que l’on pourrait faire si nous étions encore plus nombreux ! Si nous étions encore plus de bénévoles !

3) Aller à la rencontre des libristes

En 2012, quand je suis entrée au conseil d’administration de l’April, je voulais me rapprocher des GULL (groupe d’utilisatrices et d’utilisateurs de Logiciels Libres) et lancer l’opération « enGULLez- vous », on m’en a empêchée sous le prétexte fallacieux que le nom prêterait à confusion. 😂 Néanmoins l’idée me plaît toujours.

L’April est souvent accusée de parisianisme : l’équipe salariée est à Paris, beaucoup de réunions s’y organisent. Les différents confinements nous ont permis de nous équiper afin d’organiser des visioconférences, chaque personne pouvant participer depuis chez elle. Et nous en avons bien profité !

Néanmoins, cela ne me suffit pas, c’est frustrant de discuter à distance. J’ai envie de renouer les liens avec les utilisatrices et utilisateurs de logiciels libres, comme lors des April Camps (réunion sur plusieurs jours dans un lieu fermé ou sont parfois organisés des from&pif’) à Marseille ou Montpellier. Et rien de tel que d’aller à leur rencontre ! J’ai donc mis en place une opération dont le nom ne pourra pas m’être refusé cette fois : Le Tour des GULL ! J’ai ainsi déjà rendu visite à Oisux (Beauvais), à Actux (Rennes) et bientôt à Linux Nantes.

 

Illustration réalisée avec Gégé – https://framalab.org/gknd-creator/

 

 

Invitez-moi et je viendrai boire parler de logiciel libre avec vous ! Les festivals recommencent aussi, bientôt les JDLL (Journée du Logiciel Libre) et les RPLL à Lyon, Passage en Seine à Choisy-le-Roi, le Capitole du Libre à Toulouse, l’Open Source Experience à Paris… J’ai hâte d’y tenir des stands, de donner des conférences ! La présidente est bien placée pour présenter l’April aux novices, répondre aux questions que les membres se posent et féliciter certaines entreprises, associations ou collectivités.

J’ai tellement hâte de m’y remettre et de revoir les personnes que je ne voyais qu’aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre.

Conclusion

Comme écrit au début de cet article, je n’ai pas vu passer ce trimestre ! Je suis reconnaissante aux libristes qui viennent à ma rencontre lors des apéros (va falloir agrandir les lieux de réunions !), aux personnes qui m’envoient des articles de presse qui les ont choquées ou ravies, aux membres du CA et à l’équipe salariée qui discutent avec moi par courriel ou par téléphone afin d’éclairer ma petite lanterne sur certains sujets.

Être présidente de l’April, c’est une aventure qui mérite d’être vécue même si ma librairie en pâtit parfois (mes clients pardonnent mes absences du moment que je continue à leur conseiller de bons livres).

Je suis épuisée (comme chaque année à cette époque, les médecins appellent ça le rhume des foins — sauf qu’il n’y a pas de foin à Paris !) mais épanouie et je me sens toujours investie d’une mission : changer le monde (en mieux) !

Si l’aventure vous tente, vous pouvez adhérer à l’April en allant sur le site de l’association ou en venant nous rencontrer lors des différents évènements que nous organisons ou auxquels nous participons, dont les prochains : l’apéro April du vendredi 24 mars, l’assemblée générale du samedi 25 mars, l’April Camp du dimanche 26 mars ou encore les JDLL (Journée du Logiciel Libre) des 1ᵉʳ et 2 avril à Lyon…

Merci d’avoir lu ce texte jusqu’au bout, je ne pensais pas qu’il serait aussi long quand j’ai commencé à l’écrire, mais que voulez-vous, l’enthousiasme ne se restreint pas !

 

 




Allons-nous vers un métier unique de la médiation numérique et sociale ?

Après un premier article introductif de Yann Vandeputte publié jeudi dernier, le collectif « Lost in médiation » vous invite cette semaine à découvrir les réflexions de Didier Dubasque. Bonne lecture !

Didier Dubasque est l’auteur de Comprendre et maîtriser les excès de la société numérique et de Les Oubliés du confinement. Hommage aux plus fragiles et à ceux qui les aident, parus aux presses de l’EHESP. Impliqué dans le travail social depuis plus de trente ans au niveau départemental (Loire-Atlantique) et national, il a notamment co-animé les travaux du Haut Conseil du Travail Social (HCTS) sur les enjeux des pratiques numériques dans l’action sociale. Chroniqueur social, il anime le blog Écrire pour et sur le travail social et contribue au développement de l’association nantaise Le coup de main numérique.

Photo furbymama – Pixabay

« La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? ».  Cette question a du sens quand on compare les multiples missions des professionnels de la médiation. Si certaines d’entre elles sont très proches, force est de constater que face aux demandes des personnes en difficultés, les médiateurs numériques sont susceptibles de voir leurs missions initiales se transformer. Cette évolution est inéluctable. Il en est de même pour tous les métiers.

Faut-il pour autant penser que le métier de médiateur numérique et celui de médiateur social pourront à l’avenir fusionner ? Rien n’est certain. Pourtant, ces professionnels issus de deux champs bien distincts sont susceptibles d’être positionnés par un employeur sur une même mission. Ce n’est pas gênant, bien au contraire. Il a toujours été utile que des missions communes soient assurées par des professionnels issus de différentes formations à la condition que leur formation initiale le leur permette. Loin de produire de la rivalité, la mission commune permet d’enrichir les approches et les façons d’agir des professionnels. Mais cette question va bien au-delà des métiers de la médiation sociale et de la médiation numérique. Tous les métiers ou presque sont concernés.

1. Sans numérique, tu n’existes pas

Les métiers qui n’ont pas à un moment ou à un autre besoin de faire appel à un logiciel, une interface ou une plateforme sont désormais minoritaires. La volonté du gouvernement de mettre en place une administration entièrement dématérialisée accélère un processus déjà bien engagé dans le secteur marchand. Que l’on soit en accord ou en désaccord avec cette vision totalisante d’une société qui ne peut plus fonctionner sans les outils numériques, il nous faut prendre acte de cette réalité : plus la société adopte une technologie spécifique, plus des questions nouvelles apparaissent sur les usages de ce qu’en font les humains.

Il y a ceux qui s’adaptent bon gré mal gré, ceux qui « jouent » et ceux qui subissent. On le voit particulièrement dans les usages des réseaux sociaux pilotés par des algorithmes. Certains les utilisent pour communiquer. Ils les maîtrisent et en utilisent les capacités et les failles, d’autres les utilisent pour simplement s’informer (et parfois – souvent ? – être manipulés). Ils ne maîtrisent que ce que l’algorithme veut bien leur montrer. Et puis, il y a ceux qui ne les utilisent pas. Ceux-là sont hors-jeu, hors système. Ils disparaissent du débat qui s’instaure sur les plateformes.

Toute technologie produit un nouvel ordre social, une nouvelle hiérarchie des valeurs. Je pense à ce directeur d’une grande agence de Pôle Emploi qui m’avait dit lors d’une réunion « un demandeur d’emploi qui n’utilise pas un ordinateur et une connexion, il est mort ! ». Derrière cette affirmation abrupte, se dessine une réalité bien connue des médiateurs : l’exclusion générée par la non-maîtrise de la technologie est sans pitié. Elle a un impact très important sur le quotidien de celui qui la subit. C’est dire combien le métier de médiateur est non seulement utile mais aussi nécessaire et même indispensable pour qu’une société puisse continuer de fonctionner avec tous ses membres.

2. La médiation, une affaire de missions

Le conseiller médiateur en numérique possède désormais un nouveau titre professionnel : celui de « responsable d’espace de médiation numérique ». Il a vu ses prérogatives étendues, mais il continue de « mettre en œuvre des actions de médiation à destination des utilisateurs pour favoriser leur autonomie avec les pratiques, les technologies, les usages et les services numériques ». Il est aussi là pour gérer, animer et développer un espace collaboratif de type tiers-lieu en proposant des actions destinées à favoriser des usages et des pratiques autonomes des technologies, services et médias numériques de larges publics. Il travaille avec les acteurs de son territoire, et a pour mission de faciliter « la création de projets coopératifs construits autour de communautés d’intérêts ». Ses compétences sont essentiellement techniques, mais aussi relationnelles.

La médiation sociale est une forme d’intervention et de régulation sociale qui vise à favoriser le « mieux vivre ensemble », dans l’esprit de deux textes de référence : la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte de référence de la médiation sociale mise en place dès 2001 par le Comité interministériel des villes. Comme pour les travailleurs sociaux, leur porte d’entrée ne passe pas par les usages du numérique mais par les relations sociales des particuliers entre eux et aussi avec les administrations. Dans le champ de l’accès aux droits, qui reste une de leurs grandes priorités, le numérique n’est qu’un outil qui leur est imposé par la dématérialisation. Ils sont aussi chargés de prévenir les conflits susceptibles de survenir à l’échelle d’un territoire. Là aussi l’usage du numérique s’impose à eux car les désaccords apparaissent souvent via les réseaux sociaux avec tous les excès que l’on connaît.

3. Des missions différentes avec des aspects communs

On peut déjà considérer que les médiateurs sociaux et, plus largement, les travailleurs sociaux sont conduits de fait à consacrer un temps non négligeable à devenir des aidants numériques sur tel ou tel aspect d’une situation au regard des pratiques numériques de leurs interlocuteurs. Il est par exemple plus simple pour un travailleur social d’expliquer à un usager comment se connecter au site de la CAF et d’en maîtriser les méandres que de l’orienter vers un médiateur numérique pour qu’ensuite il puisse revenir vers lui pour traiter le problème administratif. Réorienter serait un non-sens. Pour autant cette pratique ne peut répondre à tous les besoins.

Déjà des Conseils départementaux, comme le Nord, ou des métropoles comme celle de Bordeaux, ont fait le choix de recruter des médiateurs numériques pour consolider l’offre de services à la population et pour travailler en complémentarité avec les intervenants sociaux. C’est là une reconnaissance de l’intérêt d’un métier spécifique considéré comme utile et nécessaire. Ces pratiques sont à regarder de près car si les médiateurs numériques n’apportent pas la preuve de leur plus-value, leur position sera fragilisée.

Quoi que l’on en dise, les métiers de médiateur social et de médiateur numérique sont différents. Leurs missions et portes d’entrée dans leurs relations aux usagers sont différentes et suffisamment spécifiques malgré des tâches qu’ils ont en commun. Ils répondent à des besoins importants. Nous avions tenté de préciser ces différences et ces points communs dans les travaux que j’avais pilotés en 2017 au sein du Haut Conseil du Travail Social (HCTS). Le schéma qui suit, même s’il mériterait d’être actualisé, apporte quelques indications :

Reconnaître les missions des acteurs du réseau de solidarité numérique. Schéma extrait de la fiche Quelles articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique ? éditée en juin 2018 par le Haut Conseil du Travail Social – Groupe de travail « Numérique et travail social ».

La question qui se pose alors est : comment travailler ensemble en donnant à voir nos différences et nos complémentarités ? La fiche du HCTS Quelles articulations entre travail social, médiation sociale et médiation numérique ? tente d’y apporter des réponses.

Nos métiers sont différents, tous utiles et complémentaires

La multiplicité des sujets abordés par les usages des outils numériques justifie cette différence des métiers. Imagine-t-on construire une maison avec un métier unique qui regrouperait en un seul le maçon, le menuisier, le couvreur, l’électricien ? Il en est de même pour les métiers de l’aide et du soutien. Chacun possède ses spécificités. Mais plus un métier est récent, plus il doit faire preuve de son efficacité et de sa légitimité. C’est plutôt là l’enjeu qui se pose au médiateur numérique. C’est par l’apport de ses compétences, sa capacité de travailler en collaboration avec les autres métiers techniques et sociaux qu’il trouvera sa reconnaissance et prendra toute sa place au regard de son utilité qui n’est plus à démontrer.

Un grand merci à Didier Dubasque d’avoir partagé avec nous ses réflexions. Si celles-ci vous font réagir, n’hésitez pas à partager les vôtres en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…