Mastodon, le réseau social libre qui est en train de bousculer twitter

Une alternative à Twitter, libre et décentralisée, est en train de connaître un succès aussi spontané que jubilatoire…

Depuis que Twitter a changé la manière dont les réponses et conversations s’affichent, des utilisatrices et utilisateurs abondent par milliers sur cet autre réseau. Chacun·e cherche un endroit (une « instance ») où s’inscrire, surtout depuis que l’instance originelle, celle du développeur Eugen Rochko, n’accepte plus les inscriptions car le serveur est surchargé.

Alors avant que de vous annoncer des solutions dans les semaines (jours ?) qui arrivent, parce qu’elles prennent le temps de se mettre en place (mais disons qu’une bande de CHATONS est sur le coup), nous avions envie de vous présenter ce phénomène, ce réseau social et ce logiciel qu’est Mastodon.

Or Alda (qui fait du php, du JavaScript, et essaie d’être une humaine décente), a déjà brillamment présenté cette alternative à Twitter sur son blog, placé sous licence CC-BY-ND. Nous reproduisons donc ici son article à l’identique en la remerciant grandement de son travail ainsi partagé !

Join the Federation par B! Cavello

Welcome to Mastodon

Depuis quelques jours, Mastodon reçoit entre 50 et 100 inscrit⋅es par heure et on peut voir sur twitter quelques messages enthousiastes incitant plus de monde à migrer sur cette alternative « Libre et Décentralisée »

C’est quoi ce truc ?

Mastodon est un logiciel accessible par un navigateur et des applications iOS ou Android qui vise, par ses fonctions de base, le même public que Twitter.

L’interface est très similaire à celle de Tweetdeck, on suit des comptes, des comptes nous suivent, on a une timeline, des mentions, des hashtags, on peut mettre un message dans nos favoris et/ou le partager tel quel à nos abonné⋅e⋅s. Bref, tout pareil. Même les comptes protégés et les DMs sont là (à l’heure actuelle il ne manque que les listes et la recherche par mots clés).

Il y a quelques fonctionnalités supplémentaires que je détaillerai par la suite mais la différence de taille réside dans ce « Libre et Décentralisé » que tout le monde répète à l’envi et qui peut rendre les choses confuses quand on ne voit pas de quoi il s’agit.

Le Fediverse : Un réseau décentralisé

Mastodon est donc un logiciel. Au contraire de Twitter qui est un service. Personne ne peut installer le site Twitter sur son ordinateur et permettre à des gens de s’inscrire et d’échanger ailleurs que sur twitter.com. Par contre toutes celles qui ont les connaissances nécessaires peuvent télécharger Mastodon, l’installer quelque part et le rendre accessible à d’autres.

C’est ce qui se passe déjà avec les sites suivants :

  • mastodon.social
  • icosahedron.website
  • mastodon.xyz

Ces trois exemples sont des sites différents (on les appelle des « instances ») à partir desquels il est possible de rejoindre le réseau social appelé « Fediverse » (mais comme c’est pas très joli on va dire qu’on « est sur Mastodon » hein ?)

C’est là que se trouve toute la beauté du truc : les personnes inscrites sur n’importe laquelle de ces instances peut discuter avec les personnes inscrites sur les deux autres de manière transparente. Et tout le monde est libre d’en créer de nouvelles et de les connecter ou non avec les autres.

Pour résumer, on s’inscrit sur une instance de Mastodon, cette instance est dans un réseau appelé le Fediverse et les gens qui sont dans le Fediverse peuvent échanger entre eux.

Comme personne ne peut contrôler l’ensemble du réseau puisqu’il n’y a pas d’instance centrale, on dit que c’est un réseau décentralisé. Et quand une instance se connecte aux autres instances on dit qu’elle « fédère » avec les autres.

Si cette histoire d’instance est encore trop nébuleuse, imaginez un email. Vous êtes Alice et votre fournisseur de mail est Wanadoo. Votre adresse mail est donc alice@wanadoo.fr. Vous avez un ami nommé Bob qui est chez Aol et son adresse mail est bob@aol.com. Alors que vos fournisseurs respectifs sont différents, ils peuvent communiquer et vous pouvez ainsi envoyer des messages à Bob avec votre adresse mail de Wanadoo. Mastodon fonctionne selon le même principe, avec les instances dans le rôle du fournisseur.

Pourquoi c’est mieux que Twitter ?

Maintenant qu’on a évacué la partie un peu inhabituelle et pas forcément simple à comprendre, on peut attaquer les fonctionnalités de Mastodon qui donnent bien envie par rapport à Twitter.

La base

En premier lieu jetons un œil à l’interface :

interface de mastodon

 

Si on utilise Tweetdeck on n’est pas trop dépaysé puisque l’interface s’en inspire fortement. La première colonne est la zone de composition, c’est ici qu’on écrit nos Pouets (c’est le nom Mastodonien des Tweets), qu’on décide où les poster et qu’on y ajoute des images.

La seconde colonne c’est « la timeline », ici s’affichent les pouets des personnes qu’on suit.

La troisième colonne c’est les notifications qui contiennent les mentions, les boosts (sur Twitter on dit RT) et les favoris qu’on reçoit.

La quatrième colonne a un contenu variable selon le contexte et les deux premières possibilités méritent leur explication :

  • Local timeline : Ce mode affiche tous les pouets publics de l’instance sur laquelle on se trouve, même des gens qu’on ne suit pas.
  • Federated timeline : Ce mode affiche tous les pouets publics de toutes les instances fédérées avec celle sur laquelle on se trouve. Ce n’est pas forcément tous les pouets publics du Fediverse, mais ça s’en approche.

Pour suivre et être suivi, le fonctionnement est identique à celui de Twitter : On affiche un profil en cliquant sur son nom et on peut le suivre. Si le profil est « protégé » il faut que son ou sa propriétaire valide la demande.

Enfin, un pouet peut faire jusqu’à 500 caractères de long au lieu des 140 de Twitter.

La confidentialité des pouets

Contrairement à Twitter où les comptes publics font des tweets publics et les comptes protégés font des tweets protégés, Mastodon permet à chacun de décider qui pourra voir un pouet.

 

Le premier niveau est public, tout le monde peut voir le pouet et il s’affichera également dans les parties « Local Timeline » et « Federated Timeline » de la quatrième colonne.

Le niveau deux est unlisted, c’est comme un pouet public mais il ne s’affichera ni dans la timeline Locale ni dans la timeline Federated.

Le niveau trois est private, c’est-à-dire visible uniquement par les gens qui nous suivent. C’est le niveau équivalent à celui des tweets envoyés par des comptes protégés sur Twitter.

Le niveau quatre est direct, les pouets ne seront visibles que par les personnes mentionnées à l’intérieur. Ça correspond aux DMs de Twitter sauf que les pouets sont directement intégrés dans la timeline au lieu d’être séparés des autres pouets.

Bien sûr, il est possible de changer le niveau individuel d’un pouet avant de l’envoyer.

Avoir un compte protégé sur Mastodon

Comme sur Twitter, il est possible de protéger son compte, c’est-à-dire de valider les gens qui s’abonnent. Cependant, on peut toujours définir certains de nos pouets comme étant publics.

Plus besoin d’avoir deux comptes pour poueter en privé !

Une gestion native du Content Warning et des images NSFW

Une pratique courante sur Twitter est de préciser en début de tweet les éventuels trigger warning (avertissements) qui y sont associés, mais le reste du tweet reste visible.

Mastodon généralise le concept en permettant de saisir une partie visible et une partie masquée à nos pouets. On peut ainsi y mettre des messages potentiellement trigger, nsfw, spoilers ou autres.

De même quand on poste une image, on peut la déclarer comme étant NSFW, ce qui nécessite de cliquer dessus pour l’afficher :

Ok, vendu, du coup comment ça se passe ?

Tout d’abord il faut choisir sur quelle instance s’inscrire puisque, ayant des propriétaires différents, il est possible qu’elles aient des règles différentes dont il convient de prendre connaissance avant de la rejoindre.

L’existence de la « Local Timeline » est intéressante à ce niveau puisque son contenu diffère forcément selon l’endroit où on est inscrit. Par exemple si on va sur une instance à tendance germanophone, il est à peu près sûr que la plupart de ce qu’on y trouvera sera en allemand.

Ça ouvre tout un tas de possibilité comme la constitution d’instances orientées en fonction d’un fandom, d’intérêts politiques et/ou associatifs.

Par exemple, l’instance awoo.space est volontairement isolée du reste du Fediverse (elle ne communique qu’avec l’instance mastodon.social) et la modération se fait dans le sens d’un fort respect des limites personnelles de chacun⋅e.

On peut trouver une liste d’instances connues sur le dépôt de Mastodon et à l’exception d’awoo.space il est possible de parler au reste du Fediverse depuis n’importe laquelle figurant sur cette liste, il n’y a donc pas de forte obligation d’aller sur la même instance que nos potes puisqu’on pourra leur parler de toute façon.

Une fois inscrit⋅e, on aura un identifiant qui ressemble un peu à une adresse mail et qui servira à nous reconnaître sur le Fediverse. Cet identifiant dépend du pseudo choisi et du nom de l’instance. Ainsi, je suis Alda sur l’instance witches.town, mon identifiant est donc Alda@witches.town.

Pour trouver des gens à suivre, on peut se présenter sur le tag #introduction (avec ou sans s) et suivre un peu la Federated Timeline. On peut aussi demander leur identifiant à nos potes et le saisir dans la barre de recherche de la première colonne.

 

Et voilà, il n’y a plus qu’à nous rejoindre par exemple sur :

Ou à créer votre propre instance pour agrandir le Fediverse !

Évitez par contre de rejoindre l’instance mastodon.social. Elle est assez saturée et l’intérêt de la décentralisation réside quand même dans le fait de ne pas regrouper tout le monde au même endroit. Mais si vous connaissez des gens qui y sont, vous pourrez les suivre depuis une autre instance.

Point Bonus

Des applis mobiles

Pour faire pouet avec Android : Installe Tusky

Pour faire pouet avec iOS : Installe Amaroq

Retrouver ses potes de Twitter

Le développeur principal de Mastodon a aussi fait une application pour retrouver ses potes de Twitter. Il faut se rendre sur Mastodon Bridge, se connecter avec Mastodon et Twitter et le site affichera ensuite les comptes correspondants qu’il aura trouvés.




Framalibre : découvrez l’annuaire du Libre !

Nous vous avons récemment présenté la refonte de notre projet historique, l’annuaire de Framasoft. Comme tous nos outils, celui-ci n’aura de sens que si vous vous en emparez.

Voici le premier d’une série de trois tutoriels pour vous aider à découvrir, utiliser et participer à ce grand projet collaboratif. Cette semaine, on regarde simplement comment cela se présente !

Plusieurs façons de naviguer dans l’annuaire

Suivant l’information que l’on recherche, plusieurs options s’offrent à nous dès la page d’accueil :

page d'accueil de Framalibre

 

Rechercher une ressource

La barre de recherche est là si vous voulez rechercher directement une ressource (un logiciel, un livre, une asso, etc.) par son nom ou par son tag (les étiquettes, ou mots-clés, que l’on met sur les notices).

Le menu du haut permet d’aller chercher la ressource désirée selon la catégorie où elle se trouve. On distingue 4 catégories principales :

  1. S’informer : On y trouvera des liens vers des sites pour protéger sa vie privée ou d’autres campagnes d’informations, mais aussi un glossaire, ou des notices sur les différentes licences libres existantes.
  2. S’équiper : Ici, c’est le lieu pour découvrir des objets libres, de nombreux logiciels, mais aussi des jeux de données sous licencde libre.
  3. Se cultiver : Livres, Images, Musique, Films… Toute œuvre culturelle placée sous licence libre par son, sa ou ses auteur·ice·s peut s’inclure dans cette catégorie.
  4. S’entourer : Le libre, ce sont avant tout des personnes, qui souvent se regroupent auprès d’un projet. Que ce soit en collectif, association, entreprise, etc. ces initiatives ont leur place dans cette catégorie.

Se laisser surprendre

Dès la page d’accueil, des recommandations vous permettent de découvrir des ressources libres au hasard de votre venue. Que ce soient les dernières notices entrées dans l’annuaire ou nos références, ou les suggestions au pied des notices que vous visiterez, c’est un premier appel à la navigation dans l’annuaire.

Notez que chacun de ces carrés vous permet d’aller lire directement la notice, de conserver la notice dans votre registre, ou même d’aller directement sur le site officiel de la ressource.

Les liens pratiques sont à droite !

La colonne de droite ne s’affiche que sur la page d’accueil, et sert à accéder rapidement à des liens pratiques. Au delà de ses informations de compte (voir plus bas), on y trouve des boutons pour :

Découvrons une notice

 

une notice dans Framalibre

Lorsqu’on clique sur la notice d’une ressource, plusieurs informations pratiques sont à notre disposition dans la colonne principale…

  1. En haut, le chemin de la catégorie (menu, sous menus) où l’on peut retrouver la notice
  2. les onglets « Voir », « Modifier » et « Révisions » pour les diverses évolutions de la notice dans le temps
  3. Une illustration au dessus des informations pratiques
  4. le texte de présentation de la notice et les tags (mots-clés) qui l’accompagnent
  5. les liens pratique (a minima le site officiel de la ressource, éventuellement la page Wikipédia, etc.)

Et autour, on peut retrouver :

  • Des informations liées à la catégorie (colonne de droite
  • Des suggestions de notices similaires (sous les infos principales)

NOTE : en cliquant sur l’utilisateur qui a créé la notice, vous vous rendez sur la page de son profil public. Vous pouvez ainsi le contacter via un formulaire si vous souhaite lui proposer des modifications que vous souhaitez pas effectuer vous-même.

Pour aller plus loin :




Marre d’être les gentils ? Nous aussi. Rejoignez le côté obscur !

Ça y est, à force de parler de surveillance généralisée, des révélations de Snowden, de la NSA, ça a fini par arriver.

Au début, c’est juste une activité suspecte sur les disques d’un serveur.

Luc, notre admin-sys paranoïaque, reçoit une alerte. Nous avons un serveur, Marge, qui surconsomme. Ça crépite comme quand le mouvement Nuit Debout utilisait massivement nos services pour s’organiser.

Il demande à Pouhiou de prévenir les utilisateurs via les réseaux sociaux et met le service en panne. C’est Framadate, l’un de nos framachins les plus utilisés. J’aime autant vous dire qu’il ne l’arrête pas de gaîté de cœur ! Il s’attend à voir grimper les tickets au support, alors il prévient JosephK et Framartin que ça va chauffer, et il poste une demande d’aide sur la liste asso, des fois que des bénévoles aient un peu de temps pour aider. Genma répond que c’est pas le moment, qu’il est en pleine conférence. Pyg est dans un train, quelque part dans une zone sans réseau.

Luc détecte l’origine de l’activité suspecte et remonte la piste, comme au cinéma. Voilà que ça le mène de l’autre côté de l’Atlantique. Pas de doute, il y a un petit malin de chez l’Oncle Sam qui essaie d’en savoir plus sur les Frenchies qui veulent un-google-ify the Internets. Ça fait un moment qu’ils nous tournent autour, ceux-là.

Depuis que Pouhiou a donné sa conférence en anglais au FOSDEM, ils ont l’œil sur nous. Tant qu’on faisait les marioles dans la langue de Molière, ça leur en touchait une sans faire bouger l’autre, aux Ricains, mais là ils commencent à nous prendre au sérieux. Évidemment, l’autre détecte vite qu’il est repéré et tente d’effacer ses traces. Mais c’est à Framasky qu’il a à faire !

Tin tin tin ! On aurait dû se douter que Framasky était un black hat.

Avec un coup de main de nos hackers maison, le barbouze au menton carré est vite démasqué. On a tout : son IP, son identité, et sa photo dans l’annuaire de sa High School, quand il était capitaine de l’équipe de crosse et que les cheerleaders se battaient pour lui rouler une pelle. On sait même qu’il est entré au service informatique de la NSA juste après la blessure au genou qui a mis fin à sa carrière de sportif professionnel. Ah ah, y’a pas que vous qui savez croiser des données, et nous on fait ça à l’eau claire, on n’est pas dopés au beurre de cacahuètes !

Alors voilà ce qu’on vous propose : puisqu’ils viennent nous chercher, eh bien il est temps d’organiser la riposte.

Contre l’ennemi, utilisons ses propres armes.

C’est une mission de framacolibris un peu spéciale que nous mettons en place. Vous les hackers, vous les libristes, vous les anonymes, vous les gentils pirates, et même vous les Dupuis-Morizeau, nous vous attendons en masse pour lancer un déluge de uns et de zéros sur les serveurs de nos amis les espions. Finis les beaux discours, finie l’éducation populaire, finis les framaservices de substitution, il est temps que les chatons montrent leurs crocs et aiguisent leurs griffes !

Vous êtes avec nous ? Vous êtes prêt-e-s à en découdre ? Inscrivez-vous sur le forum des framacolibris et faites votre présentation en insérant le mot de passe de l’opération : « #P0I55ON_d_4VRIL».

 

Rejoignez notre groupe Riposte restante




Un hackathon pour Sympa

Pendant que vous cherchez la contrepèterie dans ce titre purement factuel, on vous explique : Sympa, c’est le logiciel qui nous permet de gérer Framalistes, un des services de notre modeste plan de libération du monde© !

Marc Chantreux a lancé une invitation à tous les fans de Sympa (eh oui, ils sont sympas, on va se débarrasser de ça tout de suite) pour le rejoindre dans un grand hackathon à Strasbourg le week-end du premier avril 2017.

C’est super, mais… c’est quoi ?

 

 

 

 

 

Bonjour Marc, est-ce que tu veux bien te présenter ?

Je m’appelle Marc Chantreux, je suis libriste (par conviction éthique et technique) depuis les années 90 et suis actuellement informaticien à l’université de Strasbourg où j’ai géré sympa pendant 5 ans.

Sympa, le logiciel libre qui nous sert à gérer Framalistes, va fêter ses 20 ans, c’est bien ça ?

C’est ça et je me suis connecté pour la première fois à Internet la même année. Ce qui m’a immédiatement plu à l’époque, ce n’était pas la quantité de documentation disponible (parce qu’on avait déjà des e-zines et autres documentations qui circulaient sur CD-Rom ou supports imprimés) mais la possibilité de poser directement des questions aux experts dans une ambiance extrêmement ouverte et respectueuse. Les deux principaux outils pour cela étaient Usenet et les listes de discussion. En France, un gros hébergeur de listes était Universalistes qui tournait déjà (qui tourne toujours) sous sympa.

Ce logiciel a été créé et maintenu par la communauté universitaire française depuis l’origine. Entre temps, sympa a été adopté dans le monde entier et s’est enrichi de fonctionnalités nécessaires au travail collaboratif pour lequel les listes étaient utilisées (documents partagés, archives, modération, délégation de droits, etc.).

Je me réjouis de voir que Framasoft ait monté une instance de sympa pour sa communauté mais perso, j’aurais utilisé « framagroupes » comme nom.

À cette occasion tu organises un fork communautaire et un hackathon. Tu peux nous expliquer ? Nan, parce que Framasky, il m’a demandé de t’interviewer mais j’y comprends que pouic. 🙂

Ces dernières années, la communauté universitaire a affecté de moins en moins de ressources jusqu’à ce que tout s’arrête complètement au courant de l’année dernière. La communauté est pourtant forte de millions d’utilisateurs et il n’existe pas d’alternative crédible si on considère sympa dans son ensemble. J’ai donc proposé à la communauté de se rassembler pour s’organiser et posé les bases d’un développement qui ne repose plus sur le seul acteur historique (RENATER). Les 20 ans de sympa tombaient un week-end, c’était une belle occasion.

RENATER a réagi très positivement à cette initiative et nous a rapidement prêté assistance, en ouvrant une partie de l’infrastructure, en parrainant la venue du leader historique du projet — David Verdin — et en nous rassurant sur leur volonté de rester investi dans le projet. J’ai eu des échanges téléphoniques et électroniques avec leur direction technique et je suis confiant dans la perspective de voir RENATER redonner de la force de frappe à sympa.

Et c’est quoi, l’objectif de ce hackathon ? Sur quel critère le jugeras-tu réussi ?

L’objectif de ce hackathon est d’initier les projets qui permettront aux utilisateurs de sympa d’avoir accès plus simplement à un grand nombre de fonctionnalités. Il nous faut au passage nous mettre d’accord sur des pratiques communes de développement mais le plus important pour moi n’est pas là.

Je suis membre de longue date de la communauté Perl et je suis toujours ému par l’énergie qui se dégage du sentiment que nous partageons tous d’appartenir à une communauté soudée, au service de millions d’utilisateurs et vivant une grande aventure technique avec des défis à relever au quotidien pour produire le meilleur logiciel possible. Si nous arrivons à faire germer cet esprit dans la communauté sympa naissante, alors je serais heureux.

Le hackathon, c’est que pour les développeurs, ou tout le monde peut contribuer ?

Sympa est comme tout logiciel libre : sa valeur réside dans son utilité et non dans son code.

Pour le rendre utile, il faut aussi le rendre accessible et visible et nous avons besoin de faire plein de choses nécessitant plein de compétences ! Dites-moi ce que vous voulez ou savez faire et j’aurais probablement des tâches à vous proposer. Celles qui me viennent sont : collecter les besoins et retours des utilisateurs, organiser ou participer à des événements, faire du graphisme et de la communication, nous aider à réaliser de la documentation, créer et animer la formation, assister les communautés d’utilisateur, faire de la traduction…

Il va y avoir du beau monde, dans ce hackathon, les copains de Yunohost, notamment. Qui d’autre ?

De nombreux acteurs associatifs en faveur de l’auto-hébergement et de l’internet neutre (par exemple Framasoft, YUNoHost, ARN qui est un FAI associatif alsacien) mais aussi des hackers du Libre User Group alsacien et du Hackstub, des membres de la communauté universitaire (Universités de Strasbourg et Oslo et RENATER qui est le FAI des universités françaises) ainsi que les sociétés Hackcendo et Linuxia.

Et ça se passe où ? Il faut s’inscrire quelque part ?

Ça se passe au portique de l’université de Strasbourg mais les inscriptions sont maintenant closes. Désolé…

Du coup, on peut participer à distance ? Ou aider d’une autre façon ?

Bien sûr : le mieux est de rejoindre le canal IRC #sympa sur freenode dès maintenant et de dire que vous êtes intéressés par la contribution. Si vous avez du mal avec l’anglais, vous pouvez aussi vous abonner à la liste sympa-fr (https://listes.renater.fr/sympa/info/sympa-fr) ou me contacter directement.

Sympa, ça peut gérer des listes de diffusion vraiment balaises ? Genre quoi ?

Genre j’ai personnellement géré des listes de 140 000 abonnés ou le goulot d’étranglement n’était pas sympa mais l’infra de messagerie. Les listes permettant de contacter l’ensemble des personnels de l’enseignement supérieur tournent avec sympa et il existe des groupes qui dépassent le million d’abonnés.

Mais si on se lance dans le concours du plus gros site, je dirais que le principal intérêt de sympa réside non pas dans sa capacité d’envoyer des millions de messages mais de réussir à les envoyer en respectant l’état de l’art dans les pratiques relatives à la lutte anti-spam (DMARC, DKIM…) et de donner la possibilité à des administrateurs d’industrialiser la création et la maintenance d’un grand nombre de listes (l’université de Strasbourg en compte près de 35 000).

Comme d’hab, nous te laissons le mot de la fin, lâche-toi.

Lors de l’apparition des premiers web fora, j’ai vu les communautés se diviser autour des outils de discussion. les « surfers » (qui aiment les fora pour leur côté immédiat, simple et « beau ») et les fans de la messagerie électronique qui apprécient le degré de liberté qui leur est donné de présenter et traiter les messages comme ils l’entendent. Les deux approches sont valables et ne devraient pas être un frein pour ce qui compte réellement : l’échange ! Avec ses outils (postage, archives en ligne, dépôt de documents) sympa est soit un gestionnaire de listes haut de gamme soit le système de forum avec la pire interface web du monde.

L’urgence de sympa, c’est donc son interface web et c’est là-dessus que nous allons mettre le paquet.

Pour en savoir plus, et surtout donner un coup de main, c’est par ici




Google, nouvel avatar du capitalisme, celui de la surveillance

Nous avons la chance d’être autorisés à traduire et publier un long article qui nous tient à cœur : les idées et analyses qu’il développe justifient largement les actions que nous menons avec vous et pour le plus grand nombre.

Avant propos

Par Framatophe.

Dans ses plus récents travaux, Shoshana Zuboff procède à une analyse systématique de ce qu’elle appelle le capitalisme de surveillance. Il ne s’agit pas d’une critique du capitalisme-libéral en tant qu’idéologie, mais d’une analyse des mécanismes et des pratiques des acteurs dans la mesure où elles ont radicalement transformé notre système économique. En effet, avec la fin du XXe siècle, nous avons aussi vu la fin du (néo)libéralisme dans ce qu’il avait d’utopique, à savoir l’idée (plus ou moins vérifiée) qu’en situation d’abondance, chacun pouvait avoir la chance de produire et capitaliser. Cet égalitarisme, sur lequel s’appuient en réalité bien des ressorts démocratiques, est mis à mal par une nouvelle forme de capitalisme : un capitalisme submergé par des monopoles capables d’utiliser les technologies de l’information de manière à effacer la « libre concurrence » et modéliser les marchés à leurs convenances. La maîtrise de la production ne suffit plus : l’enjeu réside dans la connaissance des comportements. C’est de cette surveillance qu’il s’agit, y compris lorsqu’elle est instrumentalisée par d’autres acteurs, comme un effet de bord, telle la surveillance des États par des organismes peu scrupuleux.

La démarche intellectuelle de Shoshana Zuboff est très intéressante. Spécialiste au départ des questions managériales dans l’entreprise, elle a publié un ouvrage en 1988 intitulé In the Age Of The Smart Machine où elle montre comment les mécanismes productivistes, une fois dotés des moyens d’« informationnaliser » la division du travail et son contrôle (c’est-à-dire qu’à chaque fois que vous divisez un travail en plusieurs tâches vous pouvez en renseigner la procédure pour chacune et ainsi contrôler à la fois la production et les hommes), ont progressivement étendu l’usage des technologies de l’information à travers toutes les chaînes de production, puis les services, puis les processus de consommation, etc. C’est à partir de ces clés de lecture que nous pouvons alors aborder l’état de l’économie en général, et on s’aperçoit alors que l’usage (lui même générateur de profit) des Big Data consiste à maîtriser les processus de consommation et saper les mécanismes de concurrence qui étaient auparavant l’apanage revendiqué du libéralisme « classique ».

Ainsi, prenant l’exemple de Google, Shoshana Zuboff analyse les pratiques sauvages de l’extraction de données par ces grands acteurs économiques, à partir des individus, des sociétés, et surtout du quotidien, de nos intimités. Cette appropriation des données comportementales est un processus violent de marchandisation de la connaissance « sur » l’autre et de son contrôle. C’est ce que Shoshana Zuboff nomme Big Other :

« (Big Other) est un régime institutionnel, omniprésent, qui enregistre, modifie, commercialise l’expérience quotidienne, du grille-pain au corps biologique, de la communication à la pensée, de manière à établir de nouveaux chemins vers les bénéfices et les profits. Big Other est la puissance souveraine d’un futur proche qui annihile la liberté que l’on gagne avec les règles et les lois.» 1

Dans l’article ci-dessous, Shoshana Zuboff ne lève le voile que sur un avatar de ce capitalisme de surveillance, mais pas n’importe lequel : Google. En le comparant à ce qu’était General Motors, elle démontre comment l’appropriation des données comportementales par Google constitue en fait un changement de paradigme dans les mécanismes capitalistes : le capital, ce n’est plus le bien ou le stock (d’argent, de produits, de main-d’oeuvre etc.), c’est le comportement et la manière de le renseigner, c’est à dire l’information qu’une firme comme Google peut s’approprier.

Ce qui manquait à la littérature sur ces transformations de notre « société de l’information », c’étaient des clés de lecture capables de s’attaquer à des processus dont l’échelle est globale. On peut toujours en rester à Big Brother, on ne fait alors que se focaliser sur l’état de nos relations sociales dans un monde où le capitalisme de surveillance est un état de fait, comme une donnée naturelle. Au contraire, le capitalisme de surveillance dépasse les États ou toute forme de centralisation du pouvoir. Il est informel et pourtant systémique. Shoshana Zuboff nous donne les clés pour appréhender ces processus globaux, partagé par certaines firmes, où l’appropriation de l’information sur les individus est si totale qu’elle en vient à déposséder l’individu de l’information qu’il a sur lui-même, et même du sens de ses actions.

 

Shoshana Zuboff est professeur émérite à Charles Edward Wilson, Harvard Business School. Cet essai a été écrit pour une conférence en 2016 au Green Templeton College, Oxford. Son prochain livre à paraître en novembre 2017 s’intitule Maître ou Esclave : une lutte pour l’âme de notre civilisation de l’information et sera publié par Eichborn en Allemagne, et par Public Affairs aux États-Unis.

Les secrets du capitalisme de surveillance

par Shoshana Zuboff

Article original en anglais paru dans le Franfurter Allgemeine Zeitung : The Secrets of Surveillance Capitalism

Traduction originale : Dr. Virginia Alicia Hasenbalg-Corabianu, révision Framalang : mo, goofy, Mannik, Lumi, lyn

Le contrôle exercé par les gouvernements n’est rien comparé à celui que pratique Google. L’entreprise crée un genre entièrement nouveau de capitalisme, une logique d’accumulation systémique et cohérente que nous appelons le capitalisme de surveillance. Pouvons-nous y faire quelque chose ?

Nous devons faire face aux assauts menés par les appétits insatiables d’un tout nouveau genre de capitalisme : le capitalisme de surveillance. Image © ddp images

 

Google a dépassé Apple en janvier en devenant la plus grosse capitalisation boursière du monde, pour la première fois depuis 2010 (à l’époque, chacune des deux entreprises valait moins de 200 milliards de dollars; aujourd’hui, chacune est évaluée à plus de 500 milliards). Même si cette suprématie de Google n’a duré que quelques jours, le succès de cette entreprise a des implications pour tous ceux qui ont accès à Internet. Pourquoi ? Parce que Google est le point de départ pour une toute nouvelle forme de capitalisme dans laquelle les bénéfices découlent de la surveillance unilatérale ainsi que de la modification du comportement humain. Il s’agit d’une intrusion globale. Il s’agit d’un nouveau capitalisme de surveillance qui est inimaginable en dehors des insondables circuits à haute vitesse de l’univers numérique de Google, dont le vecteur est l’Internet et ses successeurs. Alors que le monde est fasciné par la confrontation entre Apple et le FBI, véritable réalité est que les capacités de surveillance d’espionnage en cours d’élaboration par les capitalistes de la surveillance sont enviées par toutes les agences de sécurité des États. Quels sont les secrets de ce nouveau capitalisme, comment les entreprises produisent-elles une richesse aussi stupéfiante, et comment pouvons-nous nous protéger de leur pouvoir envahissant ?

I. Nommer et apprivoiser

La plupart des Américains se rendent compte qu’il y a deux types de personnes qui sont régulièrement surveillées quand elles se déplacent dans le pays. Dans le premier groupe, celles qui sont surveillées contre leur volonté par un dispositif de localisation attaché à la cheville suite à une ordonnance du tribunal. Dans le second groupe, toutes les autres.

Certains estiment que cette affirmation est absolument fondée. D’autres craignent qu’elle ne puisse devenir vraie. Certains doivent penser que c’est ridicule. Ce n’est pas une citation issue d’un roman dystopique, d’un dirigeant de la Silicon Valley, ni même d’un fonctionnaire de la NSA. Ce sont les propos d’un consultant de l’industrie de l’assurance automobile, conçus comme un argument en faveur de « la télématique automobile » et des capacités de surveillance étonnamment intrusives des systèmes prétendument bénins déjà utilisés ou en développement. C’est une industrie qui a eu une attitude notoire d’exploitation de ses clients et des raisons évidentes d’être inquiète, pour son modèle économique, des implications des voitures sans conducteur. Aujourd’hui, les données sur l’endroit où nous sommes et celui où nous allons, sur ce que nous sentons, ce que nous disons, les détails de notre conduite, et les paramètres de notre véhicule se transforment en balises de revenus qui illuminent une nouvelle perspective commerciale. Selon la littérature de l’industrie, ces données peuvent être utilisées pour la modification en temps réel du comportement du conducteur, déclencher des punitions (hausses de taux en temps réel, pénalités financières, couvre-feux, verrouillages du moteur) ou des récompenses (réductions de taux, coupons à collectionner pour l’achat d’avantages futurs).

Bloomberg Business Week note que ces systèmes automobiles vont donner aux assureurs la possibilité d’augmenter leurs recettes en vendant des données sur la conduite de leur clientèle de la même manière que Google réalise des profits en recueillant et en vendant des informations sur ceux qui utilisent son moteur de recherche. Le PDG de Allstate Insurance veut être à la hauteur de Google. Il déclare : « Il y a beaucoup de gens qui font de la monétisation des données aujourd’hui. Vous allez chez Google et tout paraît gratuit. Ce n’est pas gratuit. Vous leur donnez des informations ; ils vendent vos informations. Pourrions-nous, devrions-nous vendre ces informations que nous obtenons des conducteurs à d’autres personnes, et réaliser ainsi une source de profit supplémentaire…? C’est une partie à long terme. »

Qui sont ces « autres personnes » et quelle est cette « partie à long terme » ? Il ne s’agit plus de l’envoi d’un catalogue de vente par correspondance ni le ciblage de la publicité en ligne. L’idée est de vendre l’accès en temps réel au flux de votre vie quotidienne – votre réalité – afin d’influencer et de modifier votre comportement pour en tirer profit. C’est la porte d’entrée vers un nouvel univers d’occasions de monétisation : des restaurants qui veulent être votre destination ; des fournisseurs de services qui veulent changer vos plaquettes de frein ; des boutiques qui vous attirent comme les sirènes des légendes. Les « autres personnes », c’est tout le monde, et tout le monde veut acheter un aspect  de votre comportement pour leur profit. Pas étonnant, alors, que Google ait récemment annoncé que ses cartes ne fourniront pas seulement l’itinéraire que vous recherchez, mais qu’elles suggéreront aussi une destination.

Le véritable objectif : modifier le comportement réel des gens, à grande échelle.

Ceci est juste un coup d’œil pris au vol d’une industrie, mais ces exemples se multiplient comme des cafards. Parmi les nombreux entretiens que j’ai menés au cours des trois dernières années, l’ingénieur responsable de la gestion et analyse de méga données d’une prestigieuse entreprise de la Silicon Valley qui développe des applications pour améliorer l’apprentissage des étudiants m’a dit : « Le but de tout ce que nous faisons est de modifier le comportement des gens à grand échelle. Lorsque les gens utilisent notre application, nous pouvons cerner leurs comportements, identifier les bons et les mauvais comportements, et développer des moyens de récompenser les bons et punir les mauvais. Nous pouvons tester à quel point nos indices sont fiables pour eux et rentables pour nous. »

L’idée même d’un produit efficace, abordable et fonctionnel puisse suffire aux échanges commerciaux est en train de mourir. L’entreprise de vêtements de sport Under Armour réinvente ses produits comme des technologies que l’on porte sur soi. Le PDG veut lui aussi ressembler à Google. Il dit : « Tout cela ressemble étrangement à ces annonces qui, à cause de votre historique de navigation, vous suivent quand vous êtes connecté à l’Internet (Internet ou l’internet), c’est justement là le problème – à ce détail près que Under Armour traque votre comportement réel, et que les données obtenues sont plus spécifiques… si vous incitez les gens à devenir de meilleurs athlètes ils auront encore plus besoin de notre équipement. » Les exemples de cette nouvelle logique sont infinis, des bouteilles de vodka intelligentes aux thermomètres rectaux reliés à Internet, et littéralement tout ce qu’il y a entre les deux. Un rapport de Goldman Sachs appelle une « ruée vers l’or » cette course vers « de gigantesques quantités de données ».

La bataille des données comportementales

Nous sommes entrés dans un territoire qui était jusqu’alors vierge. L’assaut sur les données de comportement progresse si rapidement qu’il ne peut plus être circonscrit par la notion de vie privée et sa revendication. Il y a un autre type de défi maintenant, celui qui menace l’idéal existentiel et politique de l’ordre libéral moderne défini par les principes de l’autodétermination constitué au cours des siècles, voire des millénaires. Je pense à des notions qui entre autres concernent dès le départ le caractère sacré de l’individu et les idéaux de l’égalité sociale ; le développement de l’identité, l’autonomie et le raisonnement moral ; l’intégrité du marché ; la liberté qui revient à la réalisation et l’accomplissement des promesses ; les normes et les règles de la collectivité ; les fonctions de la démocratie de marché ; l’intégrité politique des sociétés et l’avenir de la souveraineté démocratique. En temps et lieu, nous allons faire un bilan rétrospectif de la mise en place en Europe du « Droit à l’Oubli » et l’invalidation plus récente de l’Union européenne de la doctrine Safe Harbor2 comme les premiers jalons d’une prise en compte progressive des vraies dimensions de ce défi.

Il fut un temps où nous avons imputé la responsabilité de l’assaut sur les données comportementales à l’État et à ses agences de sécurité. Plus tard, nous avons également blâmé les pratiques rusées d’une poignée de banques, de courtiers en données et d’entreprises Internet. Certains attribuent l’attaque à un inévitable « âge des mégadonnées », comme s’il était possible de concevoir des données nées pures et irréprochables, des données en suspension dans un lieu céleste où les faits se subliment dans la vérité.

Le capitalisme a été piraté par la surveillance

Je suis arrivée à une conclusion différente : l’assaut auquel nous sommes confronté⋅e⋅s est conduit dans une large mesure par les appétits exceptionnels d’un tout nouveau genre du capitalisme, une nouvelle logique systémique et cohérente de l’accumulation que j’appelle le capitalisme de surveillance. Le capitalisme a été détourné par un projet de surveillance lucrative qui subvertit les mécanismes évolutifs « normaux » associés à son succès historique et qui corrompt le rapport entre l’offre et la demande qui, pendant des siècles, même imparfaitement, a lié le capitalisme aux véritables besoins de ses populations et des sociétés, permettant ainsi l’expansion fructueuse de la démocratie de marché.

© AFP Eric Schmidt siégeant à Google/Alphabet

Le capitalisme de surveillance est une mutation économique nouvelle, issue de l’accouplement clandestin entre l’énorme pouvoir du numérique avec l’indifférence radicale et le narcissisme intrinsèque du capitalisme financier, et la vision néolibérale qui a dominé le commerce depuis au moins trois décennies, en particulier dans les économies anglo-saxonnes. C’est une forme de marché sans précédent dont les racines se développent dans un espace de non-droit. Il a été découvert et consolidé par Google, puis adopté par Facebook et rapidement diffusé à travers l’Internet. Le cyberespace est son lieu de naissance car, comme le célèbrent Eric Schmidt, Président de Google/Alphabet, et son co-auteur Jared Cohen, à la toute première page de leur livre sur l’ère numérique, « le monde en ligne n’est vraiment pas attaché aux lois terrestres… Il est le plus grand espace ingouvernable au monde ».

Alors que le capitalisme de surveillance découvre les pouvoirs invasifs de l’Internet comme source d’accumulation de capital et de création de richesses, il est maintenant, comme je l’ai suggéré, prêt à transformer aussi les pratiques commerciales au sein du monde réel. On peut établir l’analogie avec la propagation rapide de la production de masse et de l’administration dans le monde industrialisé au début du XXe siècle, mais avec un bémol majeur. La production de masse était en interaction avec ses populations qui étaient ses consommateurs et ses salariés. En revanche, le capitalisme de surveillance se nourrit de populations dépendantes qui ne sont ni ses consommateurs, ni ses employés, mais largement ignorantes de ses pratiques.

L’accès à Internet, un droit humain fondamental

Nous nous étions jetés sur Internet pour y trouver réconfort et solutions, mais nos besoins pour une vie efficace ont été contrecarrés par les opérations lointaines et de plus en plus impitoyables du capitalisme de la fin du XXe siècle. Moins de deux décennies après l’introduction du navigateur web Mosaic auprès du public, qui permettait un accès facile au World Wide Web, un sondage BBC de 2010 a révélé que 79 % des personnes de 26 pays différents considéraient l’accès à l’Internet comme un droit humain fondamental. Tels sont les Charybde et Scylla de notre sort. Il est presque impossible d’imaginer la participation à une vie quotidienne efficace – de l’emploi à l’éducation, en passant par les soins de santé – sans pouvoir accéder à Internet et savoir s’en servir, même si ces espaces en réseau autrefois florissants s’avèrent être une forme nouvelle et plus forte d’asservissement. Il est arrivé rapidement et sans notre accord ou entente préalable. En effet, les préjudices les plus poignants du régime ont été difficiles à saisir ou à théoriser, brouillés par l’extrême vitesse et camouflés par des opérations techniques coûteuses et illisibles, des pratiques secrètes des entreprises, de fausses rhétoriques discursives, et des détournements culturels délibérés.

Apprivoiser cette nouvelle force nécessite qu’elle soit nommée correctement. Cette étroite interdépendance du nom et de l’apprivoisement est clairement illustrée dans l’histoire récente de la recherche sur le VIH que je vous propose comme analogie. Pendant trois décennies, les recherches des scientifiques visaient à créer un vaccin en suivant la logique des guérisons précédentes qui amenaient le système immunitaire à produire des anticorps neutralisants. Mais les données collectées et croisées ont révélé des comportements imprévus du virus VIH défiant les modèles obtenus auprès d’autres maladies infectieuses.

L’analogie avec la recherche contre le SIDA

La tendance a commencé à prendre une autre direction à la Conférence internationale sur le SIDA en 2012, lorsque de nouvelles stratégies ont été présentées reposant sur une compréhension plus adéquate de la biologie des quelques porteurs du VIH, dont le sang produit des anticorps naturels. La recherche a commencé à se déplacer vers des méthodes qui reproduisent cette réponse d’auto-vaccination. Un chercheur de pointe a annoncé : « Nous connaissons le visage de l’ennemi maintenant, et nous avons donc de véritables indices sur la façon d’aborder le problème. »

Ce qu’il nous faut en retenir : chaque vaccin efficace commence par une compréhension approfondie de la maladie ennemie. Nous avons tendance à compter sur des modèles intellectuels, des vocabulaires et des outils mis en place pour des catastrophes passées. Je pense aux cauchemars totalitaires du XXe siècle ou aux prédations monopolistiques du capitalisme de l’Âge d’Or. Mais les vaccins que nous avons développés pour lutter contre ces menaces précédentes ne sont pas suffisants ni même appropriés pour les nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés. C’est comme si nous lancions des boules de neige sur un mur de marbre lisse pour ensuite les regarder glisser et ne laisser rien d’autre qu’une trace humide : une amende payée ici, un détour efficace là.

Une impasse de l’évolution

Je tiens à dire clairement que le capitalisme de surveillance n’est pas la seule modalité actuelle du capitalisme de l’information, ni le seul modèle possible pour l’avenir. Son raccourci vers l’accumulation du capital et l’institutionnalisation rapide, cependant, en a fait le modèle par défaut du capitalisme de l’information. Les questions que je pose sont les suivantes : est-ce que le capitalisme de surveillance devient la logique dominante de l’accumulation dans notre temps, ou ira-t-il vers une impasse dans son évolution – une poule avec des dents au terme de l’évolution capitaliste ? Qu’est-ce qu’un vaccin efficace impliquerait ? Quel pourrait être ce vaccin efficace ?

Le succès d’un traitement dépend de beaucoup d’adaptations individuelles, sociales et juridiques, mais je suis convaincue que la lutte contre la « maladie hostile » ne peut commencer sans une compréhension des nouveaux mécanismes qui rendent compte de la transformation réussie de l’investissement en capital par le capitalisme de surveillance. Cette problématique a été au centre de mon travail dans un nouveau livre, Maître ou Esclave : une lutte pour le cœur de notre civilisation de l’information, qui sera publié au début de l’année prochaine. Dans le court espace de cet essai, je voudrais partager certaines de mes réflexions sur ce problème.

II. L’avenir : le prédire et le vendre

Les nouvelles logiques économiques et leurs modèles commerciaux sont élaborés dans un temps et lieu donnés, puis perfectionnés par essais et erreurs. Ford a mis au point et systématisé la production de masse. General Motors a institutionnalisé la production en série comme une nouvelle phase du développement capitaliste avec la découverte et l’amélioration de l’administration à grande échelle et la gestion professionnelle. De nos jours, Google est au capitalisme de surveillance ce que Ford et General Motors étaient à la production en série et au capitalisme managérial il y a un siècle : le découvreur, l’inventeur, le pionnier, le modèle, le praticien chef, et le centre de diffusion.

Plus précisément, Google est le vaisseau amiral et le prototype d’une nouvelle logique économique basée sur la prédiction et sa vente, un métier ancien et éternellement lucratif qui a exploité la confrontation de l’être humain avec l’incertitude depuis le début de l’histoire humaine. Paradoxalement, la certitude de l’incertitude est à la fois une source durable d’anxiété et une de nos expériences les plus fructueuses. Elle a produit le besoin universel de confiance et de cohésion sociale, des systèmes d’organisation, de liaison familiale, et d’autorité légitime, du contrat comme reconnaissance formelle des droits et obligations réciproques, la théorie et la pratique de ce que nous appelons « le libre arbitre ». Quand nous éliminons l’incertitude, nous renonçons au besoin humain de lancer le défi de notre prévision face à un avenir toujours inconnu, au profit de la plate et constante conformité avec ce que d’autres veulent pour nous.

La publicité n’est qu’un facteur parmi d’autres

La plupart des gens attribuent le succès de Google à son modèle publicitaire. Mais les découvertes qui ont conduit à la croissance rapide du chiffre d’affaires de Google et à sa capitalisation boursière sont seulement incidemment liées à la publicité. Le succès de Google provient de sa capacité à prédire l’avenir, et plus particulièrement, l’avenir du comportement. Voici ce que je veux dire :

Dès ses débuts, Google a recueilli des données sur le comportement lié aux recherches des utilisateurs comme un sous-produit de son moteur de recherche. À l’époque, ces enregistrements de données ont été traités comme des déchets, même pas stockés méthodiquement ni mis en sécurité. Puis, la jeune entreprise a compris qu’ils pouvaient être utilisés pour développer et améliorer continuellement son moteur de recherche.

Le problème était le suivant : servir les utilisateurs avec des résultats de recherche incroyables « consommait » toute la valeur que les utilisateurs produisaient en fournissant par inadvertance des données comportementales. C’est un processus complet et autonome dans lequel les utilisateurs sont des « fins-en-soi ». Toute la valeur que les utilisateurs produisent était réinvestie pour simplifier l’utilisation sous forme de recherche améliorée. Dans ce cycle, il ne restait rien à  transformer en capital, pour Google. L’efficacité du moteur de recherche avait autant besoin de données comportementales des utilisateurs que les utilisateurs de la recherche. Faire payer des frais pour le service était trop risqué. Google était sympa, mais il n’était pas encore du capitalisme – seulement l’une des nombreuses startups de l’Internet qui se vantaient de voir loin, mais sans aucun revenu.

Un tournant dans l’usage des données comportementales

L’année 2001 a été celle de l’effervescence dans la bulle du dot.com avec des pressions croissantes des investisseurs sur Google. À l’époque, les annonceurs sélectionnaient les pages du terme de recherche pour les afficher. Google a décidé d’essayer d’augmenter ses revenus publicitaires en utilisant ses capacités analytiques déjà considérables dans l’objectif d’accroître la pertinence d’une publicité pour les utilisateurs – et donc sa valeur pour les annonceurs. Du point de vue opérationnel cela signifiait que Google allait enfin valoriser son trésor croissant de données comportementales. Désormais, les données allaient être aussi utilisées pour faire correspondre les publicités avec les des mots-clés, en exploitant les subtilités que seul l’accès à des données comportementales, associées à des capacités d’analyse, pouvait révéler.

Il est maintenant clair que ce changement dans l’utilisation des données comportementales a été un tournant historique. Les données comportementales qui avaient été rejetées ou ignorées ont été redécouvertes et sont devenues ce que j’appelle le surplus de comportement. Le succès spectaculaire de Google obtenu en faisant correspondre les annonces publicitaires aux pages a révélé la valeur transformationnelle de ce surplus comportemental comme moyen de générer des revenus et, finalement, de transformer l’investissement en capital. Le surplus comportemental était l’actif à coût zéro qui changeait la donne, et qui pouvait être détourné de l’amélioration du service au profit d’un véritable marché. La clé de cette formule, cependant, est que ce nouveau marché n’est pas le fruit d’un échange avec les utilisateurs, mais plutôt avec d’autres entreprises qui ont compris comment faire de l’argent en faisant des paris sur le comportement futur des utilisateurs. Dans ce nouveau contexte, les utilisateurs ne sont plus une fin en soi. Au contraire, ils sont devenus une source de profit d’un nouveau type de marché dans lequel ils ne sont ni des acheteurs ni des vendeurs ni des produits. Les utilisateurs sont la source de matière première gratuite qui alimente un nouveau type de processus de fabrication.

© dapd voir le monde avec l’œil de Google : les Google Glass

Bien que ces faits soient connus, leur importance n’a pas été pleinement évaluée ni théorisée de manière adéquate. Ce qui vient de se passer a été la découverte d’une équation commerciale étonnamment rentable – une série de relations légitimes qui ont été progressivement institutionnalisées dans la logique économique sui generis du capitalisme de surveillance. Cela ressemble à une planète nouvellement repérée avec sa propre physique du temps et de l’espace, ses journées de soixante-sept heures, un ciel d’émeraude, des chaînes de montagnes inversées et de l’eau sèche.

Une forme de profit parasite

L’équation : tout d’abord, il est impératif de faire pression pour obtenir plus d’utilisateurs et plus de canaux, des services, des dispositifs, des lieux et des espaces de manière à avoir accès à une gamme toujours plus large de surplus de comportement. Les utilisateurs sont la ressource humaine naturelle qui fournit cette matière première gratuite.

En second lieu, la mise en œuvre de l’apprentissage informatique, de l’intelligence artificielle et de la science des données pour l’amélioration continue des algorithmes constitue un immense « moyen de production » du XXIe siècle coûteux, sophistiqué et exclusif.

Troisièmement, le nouveau processus de fabrication convertit le surplus de comportement en produits de prévision conçus pour prédire le comportement actuel et à venir.

Quatrièmement, ces produits de prévision sont vendus dans un nouveau type de méta-marché qui fait exclusivement commerce de comportements à venir. Plus le produit est prédictif, plus faible est le risque pour les acheteurs et plus le volume des ventes augmente. Les profits du capitalisme de surveillance proviennent principalement, sinon entièrement, de ces marchés du comportement futur.

Alors que les annonceurs ont été les acheteurs dominants au début de ce nouveau type de marché, il n’y a aucune raison de fond pour que de tels marchés soient réservés à ce groupe. La tendance déjà perceptible est que tout acteur ayant un intérêt à monétiser de l’information probabiliste sur notre comportement et/ou à influencer le comportement futur peut payer pour entrer sur un marché où sont exposées et vendues les ressources issues du comportement des individus, des groupes, des organismes, et les choses. Voici comment dans nos propres vies nous observons le capitalisme se déplacer sous nos yeux : au départ, les bénéfices provenaient de produits et services, puis de la spéculation, et maintenant de la surveillance. Cette dernière mutation peut aider à expliquer pourquoi l’explosion du numérique a échoué, jusqu’à présent, à avoir un impact décisif sur la croissance économique, étant donné que ses capacités sont détournées vers une forme de profit fondamentalement parasite.

III. Un péché non originel

L’importance du surplus de comportement a été rapidement camouflée, à la fois par Google et mais aussi par toute l’industrie de l’Internet, avec des étiquettes comme « restes numériques », « miettes numériques », et ainsi de suite. Ces euphémismes pour le surplus de comportement fonctionnent comme des filtres idéologiques, à l’instar des premières cartes géographiques du continent nord-américain qui marquaient des régions entières avec des termes comme « païens », « infidèles », « idolâtres », « primitifs », « vassaux » ou « rebelles ». En vertu de ces étiquettes, les peuples indigènes, leurs lieux et leurs revendications ont été effacés de la pensée morale et juridique des envahisseurs, légitimant leurs actes d’appropriation et de casse au nom de l’Église et la Monarchie.

Nous sommes aujourd’hui les peuples autochtones dont les exigences implicites d’autodétermination ont disparu des cartes de notre propre comportement. Elles sont effacées par un acte étonnant et audacieux de dépossession par la surveillance, qui revendique son droit d’ignorer toute limite à sa soif de connaissances et d’influence sur les nuances les plus fines de notre comportement. Pour ceux qui s’interrogent sur l’achèvement logique du processus global de marchandisation, la réponse est qu’ils achèvent eux-mêmes la spoliation de notre réalité quotidienne intime, qui apparaît maintenant comme un comportement à surveiller et à modifier, à acheter et à vendre.

Le processus qui a commencé dans le cyberespace reflète les développements capitalistes du dix-neuvième siècle qui ont précédé l’ère de l’impérialisme. À l’époque, comme Hannah Arendt le décrit dans Les Origines du totalitarisme, « les soi-disant lois du capitalisme ont été effectivement autorisées à créer des réalités » ainsi on est allé vers des régions moins développées où les lois n’ont pas suivi. « Le secret du nouvel accomplissement heureux », a-t-elle écrit, « était précisément que les lois économiques ne bloquaient plus la cupidité des classes possédantes. » Là, « l’argent pouvait finalement engendrer de l’argent », sans avoir à passer par « le long chemin de l’investissement dans la production… »

Le péché originel du simple vol

Pour Arendt, ces aventures du capital à l’étranger ont clarifié un mécanisme essentiel du capitalisme. Marx avait développé l’idée de « l’accumulation primitive » comme une théorie du Big-Bang – Arendt l’a appelé « le péché originel du simple vol » – dans lequel l’appropriation de terres et de ressources naturelles a été l’événement fondateur qui a permis l’accumulation du capital et l’émergence du système de marché. Les expansions capitalistes des années 1860 et 1870 ont démontré, écrit Arendt, que cette sorte de péché originel a dû être répété encore et encore, « de peur que le moteur de l’accumulation de capital ne s’éteigne soudainement ».

Dans son livre The New Imperialism, le géographe et théoricien social David Harvey s’appuie sur ce qu’il appelle « accumulation par dépossession ». « Ce que fait l’accumulation par dépossession » écrit-il, « c’est de libérer un ensemble d’actifs… à un très faible (et dans certains cas, zéro) coût ». Le capital sur-accumulé peut s’emparer de ces actifs et les transformer immédiatement en profit… Il peut aussi refléter les tentatives de certains entrepreneurs… de « rejoindre le système » et rechercher les avantages de l’accumulation du capital.

Brèche dans le « système »

Le processus qui permet que le « surplus de comportement » conduise à la découverte du capitalisme de surveillance illustre cette tendance. C’est l’acte fondateur de la spoliation au profit d’une nouvelle logique du capitalisme construite sur les bénéfices de la surveillance, qui a ouvert la possibilité pour Google de devenir une entreprise capitaliste. En effet, en 2002, première année rentable Google, le fondateur Sergey Brin savoura sa percée dans le « système », comme il l’a dit à Levy,

« Honnêtement, quand nous étions encore dans les jours du boom dot-com, je me sentais comme un idiot. J’avais une startup – comme tout le monde. Elle ne générait pas de profit, c’était le cas des autres aussi, était-ce si dur ? Mais quand nous sommes devenus rentables, j’ai senti que nous avions construit une véritable entreprise « .

Brin était un capitaliste, d’accord, mais c’était une mutation du capitalisme qui ne ressemblait à rien de tout ce que le monde avait vu jusqu’alors.

Une fois que nous comprenons ce raisonnement, il devient clair qu’exiger le droit à la vie privée à des capitalistes de la surveillance ou faire du lobbying pour mettre fin à la surveillance commerciale sur l’Internet c’est comme demander à Henry Ford de faire chaque modèle T à la main. C’est comme demander à une girafe de se raccourcir le cou ou à une vache de renoncer à ruminer. Ces exigences sont des menaces existentielles qui violent les mécanismes de base de la survie de l’entité. Comment pouvons-nous nous espérer que des entreprises dont l’existence économique dépend du surplus du comportement cessent volontairement la saisie des données du comportement ? C’est comme demander leur suicide.

Toujours plus de surplus comportemental avec Google

Les impératifs du capitalisme de surveillance impliquent qu’il faudra toujours plus de surplus comportemental pour que Google et d’autres les transforment en actifs de surveillance, les maîtrisent comme autant de prédictions, pour les vendre dans les marchés exclusifs du futur comportement et les transformer en capital. Chez Google et sa nouvelle société holding appelée Alphabet, par exemple, chaque opération et investissement vise à accroître la récolte de surplus du comportement des personnes, des organismes, de choses, de processus et de lieux à la fois dans le monde virtuel et dans le monde réel. Voilà comment un jour de soixante-sept heures se lève et obscurcit un ciel d’émeraude. Il faudra rien moins qu’une révolte sociale pour révoquer le consensus général à des pratiques visant à la dépossession du comportement et pour contester la prétention du capitalisme de surveillance à énoncer les données du destin.

Quel est le nouveau vaccin ? Nous devons ré-imaginer comment intervenir dans les mécanismes spécifiques qui produisent les bénéfices de la surveillance et, ce faisant, réaffirmer la primauté de l’ordre libéral dans le projet capitaliste du XXIe siècle. Dans le cadre de ce défi, nous devons être conscients du fait que contester Google, ou tout autre capitaliste de surveillance pour des raisons de monopole est une solution du XXe siècle à un problème du 20e siècle qui, tout en restant d’une importance vitale, ne perturbe pas nécessairement l’équation commerciale du capitalisme de surveillance. Nous avons besoin de nouvelles interventions qui interrompent, interdisent ou réglementent : 1) la capture initiale du surplus du comportement, 2) l’utilisation du surplus du comportement comme matière première gratuite, 3) des concentrations excessives et exclusives des nouveaux moyens de production, 4) la fabrication de produits de prévision, 5) la vente de produits de prévision, 6) l’utilisation des produits de prévision par des tiers pour des opérations de modification, d’influence et de contrôle, et 5) la monétisation des résultats de ces opérations. Tout cela est nécessaire pour la société, pour les personnes, pour l’avenir, et c’est également nécessaire pour rétablir une saine évolution du capitalisme lui-même.

IV. Un coup d’en haut

Dans la représentation classique des menaces sur la vie privée, le secret institutionnel a augmenté, et les droits à la vie privée ont été érodés. Mais ce cadrage est trompeur, car la vie privée et le secret ne sont pas opposés, mais plutôt des moments dans une séquence. Le secret est une conséquence ; la vie privée est la cause. L’exercice du droit à la vie privée a comme effet la possibilité de choisir, et l’on peut choisir de garder quelque chose en secret ou de le partager. Les droits à la vie privée confèrent donc les droits de décision, mais ces droits de décision ne sont que le couvercle sur la boîte de Pandore de l’ordre libéral. À l’intérieur de la boîte, les souverainetés politiques et économiques se rencontrent et se mélangent avec des causes encore plus profondes et plus subtiles : l’idée de l’individu, l’émergence de soi, l’expérience ressentie du libre arbitre.

Le capitalisme de surveillance ne dégrade pas ces droits à la décision – avec leurs causes et leurs conséquences – il les redistribue plutôt. Au lieu de nombreuses personnes ayant quelques « droits », ces derniers ont été concentrés à l’intérieur du régime de surveillance, créant ainsi une toute nouvelle dimension de l’inégalité sociale. Les implications de cette évolution me préoccupent depuis de nombreuses années, et mon sens du danger s’intensifie chaque jour. L’espace de cet essai ne me permet pas de poursuivre jusqu’à la conclusion, mais je vous propose d’en résumer l’essentiel.

Le capitalisme de surveillance va au-delà du terrain institutionnel classique de l’entreprise privée. Il accumule non seulement les actifs de surveillance et des capitaux, mais aussi des droits. Cette redistribution unilatérale des droits soutient un régime de conformité administré en privé fait de récompenses et des punitions en grande partie déliée de toute sanction. Il opère sans mécanismes significatifs de consentement, soit sous la forme traditionnelle d’un « exit, voice or loyalty »3 associé aux marchés, soit sous la forme d’un contrôle démocratique exprimé par des lois et des règlements.

Un pouvoir profondément antidémocratique

En conséquence, le capitalisme de surveillance évoque un pouvoir profondément anti-démocratique que l’on peut qualifier de coup d’en haut : pas un coup d’état, mais plutôt un coup contre les gens, un renversement de la souveraineté du peuple. Il défie les principes et les pratiques de l’autodétermination – dans la vie psychique et dans les relations sociales, le politique et la gouvernance – pour lesquels l’humanité a souffert longtemps et sacrifié beaucoup. Pour cette seule raison, ces principes ne doivent pas être confisqués pour la poursuite unilatérale d’un capitalisme défiguré. Pire encore serait leur forfait par notre propre ignorance, impuissance apprise, inattention, inconvenance, force de l’habitude, ou laisser aller. Tel est, je crois, le terrain sur lequel notre lutte pour l’avenir devra se dérouler.

Hannah Arendt a dit un jour que l’indignation est la réponse naturelle de l’homme à ce qui dégrade la dignité humaine. Se référant à son travail sur les origines du totalitarisme, elle a écrit : « Si je décris ces conditions sans permettre à mon indignation d’y intervenir, alors j’ai soulevé ce phénomène particulier hors de son contexte dans la société humaine et l’ai ainsi privé d’une partie de sa nature, privé de l’une de ses qualités intrinsèques importantes. »

C’est donc ainsi pour moi et peut-être pour vous : les faits bruts du capitalisme de surveillance suscitent nécessairement mon indignation parce qu’ils rabaissent la dignité humaine. L’avenir de cette question dépendra des savants et journalistes indignés attirés par ce projet de frontière, des élus et des décideurs indignés qui comprennent que leur autorité provient des valeurs fondamentales des communautés démocratiques, et des citoyens indignés qui agissent en sachant que l’efficacité sans l’autonomie n’est pas efficace, la conformité induite par la dépendance n’est pas un contrat social et être libéré de l’incertitude n’est pas la liberté.

—–

1. Shoshana Zuboff, « Big other : surveillance capitalism and the prospects of an information civilization », Journal of Information Technology, 30, 2015, p. 81.

2. Le 6 octobre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne invalide l’accord Safe Harbor. La cour considère que les États-Unis n’offrent pas un niveau de protection adéquat aux données personnelles transférées et que les états membres peuvent vérifier si les transferts de données personnelles entre cet état et les États-Unis respectent les exigences de la directive européenne sur la protection des données personnelles.

3. Référence aux travaux de A. O. Hirschman sur la manière de gérer un mécontentement auprès d’une entreprise : faire défection (exit), ou prendre la parole (voice). La loyauté ayant son poids dans l’une ou l’autre décision.




Framaslides : reprenez en main votre Power, Point !

Pour le meilleur ou pour le pire, les diaporamas, slides et autres présentations font partie de notre quotidien. Quitte à devoir en faire et en voir, seul·e ou en groupe, autant disposer d’un outil en ligne pratique et respectueux de nos vies numériques, non ?

Ceci n’est pas un Powerpoint®

Commençons par un point vocabulaire : demander un diaporama en prononçant les mots « Tu me fais un Powerpoint ? » c’est un peu comme si on disait « Tu me fais un Subway ? » lorsqu’on veut un sandwich. Non seulement on fait de la pub gratos à une marque (si encore Microsoft vous payait…) ; mais en plus on court le risque de se polluer les cerveaux en apprenant à nos subconscients que sandwich = Subway.

Et puis il faut être francs, le format de documents .ppt ou .pptx (utilisé par Microsoft pour enchaîner vos diaporamas à leur logiciel Powerpoint), ben c’est une plaie. Un format fermé, difficilement compatible avec d’autres logiciels, et dépassé. Et cher, en plus, si vous voulez l’utiliser en ligne avec la suite « Office 365 »…

10 € par mois pour avoir le droit de vous filer mes données ?
C’est payant et je suis quand même le produit ?
Microsoft, vous êtes des génies.

 

Car aujourd’hui, les langages qui permettent de faire des sites web (le HTML, bien sûr, mais aussi ses copaings CSS et Javascript), permettent de produire et de lire hyper facilement des présentations (même complexes), sans toucher à une seule ligne de code, sans installer de logiciel ni d’application, juste à l’intérieur de nos navigateurs web.

C’est justement, ce que permet le logiciel libre Strut. C’est donc à ce logiciel que nous avons contribué afin qu’il ait toutes les fonctionnalités dont nous rêvions pour mieux vous proposer Framaslides !

Framaslides présenté en une framaslide !

Nous pourrions énumérer les fonctionnalités qu’offre Strut : formatage de texte et choix de couleurs, intégration d’images, vidéos, sites web et formes, transitions, etc. Mais le plus simple, c’est encore de vous les montrer, non ?

Cliquez sur le cadre ci dessous et naviguez grâce aux flèches droite et gauche (ou haut et bas) de votre clavier ;).

Cliquez, puis faites défiler les slides avec ↑ ↓ → ←

Déjà, vous allez nous dire, c’est beau (et on vous remercie de nous le dire). Oui. Le seul souci c’est que Struts a été conçu comme un logiciel « perso ». On l’installe sur son ordinateur ou sur un coin de serveur (une brique inter.net, par exemple), on l’utilise, et il enregistre notre ou nos présentation(s) dans le cache de notre navigateur web. Mais si on change d’ordinateur, de navigateur, ou si on nettoie l’historique et le cache de son navigateur web, pfuiiit ! Tout est perdu !

Tout ceci est normal : Strut a été conçu comme cela, et il faut rendre grâce à Matt Crinklaw-Vogt, son développeur, pour le travail fourni. En revanche, si vous voulons que ce logiciel ait de nouvelles fonctionnalités permettant d’autres utilisations, on fait comme tout·e libriste qui se respecte : on se relève les manches et on contribue au code 😉 !

Framaslides, un service collaboratif

Nous avons donc demandé à Thomas (que nous avons embauché suite à son stage où il a mené à bien Framagenda) de relever le défi ! Un peu comme une liste au père Noël, qui s’allonge au fur et à mesure que la date approche…

Thomas, face à ces demandes…

Dis, Thomas, ce serait pas génial si on pouvait…

  • … enregistrer ses diaporamas en ligne ?
  • … du coup envoyer nos images à Framaslides ?
  • … pour ça il me faut un compte, non ? Tu nous fais le gestionnaire de compte ?
  • … ben alors il nous permettra de gérer nos présentations ?
  • … genre de créer un lien public pour celle-ci ?
  • … ou de proposer celle-là comme modèle ?
  • … ah mais j’aime pas ce que j’ai changé, tu peux nous faire un système de révisions, hein, hein ?
  • … obah si on peut revenir en arrière, ce serait bien de pouvoir collaborer ensemble, s’te plééééé ???

Et le plus beau, c’est que le résultat est là. Autour de l’outil d’édition de présentations qu’offre Strut, Thomas a conçu un outil permettant de créer, présenter et collaborer sur ses présentations, en gérant aisément son compte, ses images, ses groupes, et bien entendu ses Framaslides !

Et un aperçu du résultat de son travail, un !

Pour les plus techos d’entre nous, Thomas a même pris le temps de faire un code propre, facile d’accès, documenté et de le déposer sur un Git aux petits oignons avec les tags et issues kivonbien… bref : un code qui est un appel aux contributions et collaborations ! Du coup, si vous maîtrisez du ImpressJS, du BackboneJS et du Handlebars (qui font tourner Strut) ; ou si vous êtes virtuose du Symphony3 (qui se trouve derrière la surcouche « Framaslides » de Thomas), vos contributions seront grandement appréciées 😉 !

Manuel change le monde avec Framaslides

Manuel Dupuis-Morizeau veut changer le monde. Il se dit que la première étape, c’est de convaincre d’autres personnes de le rejoindre dans son envie… Et pour cela, rien de tel qu’une présentation de derrière les fagots ! Ne voulant pas que ses idées soient confiées aux mains de Google Slides ou Microsoft Powerpoint 365, Manuel décide de se lancer sur Framaslides.

Pour cela, il lui faut un compte Framaslides. C’est facile : dès la page d’accueil, il clique sur le bouton « Se créer un compte », remplit le formulaire assez classique, puis attend l’email de confirmation (en vérifiant de temps en temps dans son dossier courriers indésirables, sait-on jamais)

On lui dit, à Manuel, que 8 caractères dans un mot de passe c’est bien trop peu ?

Une fois son compte validé, Manuel est impatient de s’y mettre, il clique donc directement sur « Créer une présentation ». Là, il découvre l’interface d’édition des diaporama de Struts.

  • La colonne des diapositives (1) ;
  • Le mode expert (2) (s’il veut trifouiller du code) ;
  • Les boutons d’ajout de contenu (3) ;
  • Les boutons de choix des couleurs (4) ;
  • Les vues panorama et aperçu (5).

Il décide donc de créer ses premières diapositives, ou slides, comme on dit !

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Alors c’est bien gentil tout cela, mais il ne voit toujours pas comment faire les transitions… C’est là qu’il active le mode Panorama. Cela demande une petite gymnastique mentale, mais il voit vite comment ça peut marcher !

En fait, il faut s’imaginer qu’on déplace ses slides dans l’espace !

Bon, après avoir regardé un aperçu, ce début semble prometteur à Manuel, alors faut-il le sauvegarder en utilisant le menu en haut à gauche.

Le menu, un grand classique indémodable.

Puis clique sur « retourner aux présentations », dans ce même menu.

Manuel se retrouve alors devant l’interface de gestion de ses Framaslides. L’outil a l’air assez explicite, en fait…

Au centre, il retrouve ses présentations, ses modèles et ses collaborations, chacun sous leur onglet.

Et en haut à droite une barre de recherche et d’outils qui lui permet de :

  • créer une nouvelle présentation ;
  • voir ses présentations (donc retourner à l’écran principal de son compte) ;
  • gérer ses groupes de collaboration ;
  • gérer les images qu’il a téléversées en utilisant Framaslides ;
  • gérer les paramètres de son compte (mot de passe, etc.) ;
  • et se déconnecter.

Tout cela rend Manuel assez curieux, il va donc aller voir son gestionnaire d’images, mais comme il n’en a téléchargé qu’une, cela ne lui sert pas encore beaucoup. Il est quand même rassuré de savoir qu’il peut en effacer à tout moment et garder la maîtrise de ses fichiers.

Par contre, Manuel a une idée brillante… se faire aider pour commencer à changer le monde. Il décide d’aller directement créer un nouveau groupe afin d’y inviter toute la famille Dupuis Morizeau !

Non, sérieusement Manuel : le mot de passe, plus il est long, plus il est bon…

Bon, l’histoire ne dit pas si Manuel réussira à changer le monde, mais on peut croire qu’il réussira facilement à créer sa présentation avec d’autres membres de la famille et à la partager le plus largement possible 😉

Pour aller plus loin :




Framalibre : l’annuaire du libre renaît entre vos mains

Notre projet historique, l’annuaire de Framasoft, renaît de ses cendres… pour ouvrir encore plus grandes les portes du Libre.

Au commencement était l’annuaire…

OK : pas besoin de prendre un ton biblique non plus, mais il est vrai que c’est avec une émotion toute particulière qu’on vous présente cette refonte complète du tout premier projet, celui qui a fait naître Framasoft ; et qui, mine de rien, a défini notre identité.

Il y a 16 ans, en 2001, une prof de FRAnçais (Caroline d’Atabekian) et un prof de MAths (Alexis Kauffmann) commencent à s’échanger des listes de logiciels gratuits pour les salles d’ordinateurs de leurs établissements dont le budget informatique était grevé par les licences Windows.

Le projet plaît, et il évolue. On se rend compte que derrière certains logiciels gratuits, il existe des licences libres, des contrats garants de nos libertés et du respect de certaines valeurs. Alors on découvre le monde du Logiciel Libre, fait d’entraide (pour adapter les serveurs au succès croissant du site) et de collaboration (à côté des fiches pour les logiciels fleurissent les tutoriels d’utilisation).

Il faut attendre 2004 pour que ce premier site devienne un annuaire collaboratif de logiciels libres tel qu’on le connaît aujourd’hui. Un outil pratique, fait par et pour des « non-pros » de l’informatique, conçu comme une porte d’entrée vers ce monde numérique où les êtres humains et leurs libertés sont respectés. On y vient pour un besoin logiciel précis, on y retourne pour la chaleur de la communauté, et on se fait délicieusement contaminer par les valeurs du Libre.

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« Framalibre – le reboot ? Euh… Hum… Oui-oui ! C’est pour… demain ! »

Cela fait bien cinq ans que nous savons l’annuaire vieillissant, avec des notices trop détaillées qui deviennent vite obsolètes. Cinq ans que d’atermoiements en hésitations (« Faut-il vraiment repartir de zéro ? », se demandait-on avec des yeux de Chat Potté), d’avancées en marches à reculons, nous nous rendons compte qu’il n’est plus adapté ni au Libre (qui désormais déborde largement du champ des seuls logiciels), ni à nos usages (avec des contributions passant par un wiki, un forum, puis un Spip… c’est pas lourd du tout du tout -_-).

Sauf que voilà : on a toujours une urgence qui vient de tomber (entraînée par un de nos serveurs), un nouveau Framabook ou une nouvelle Framakey sur le feu, un Internet à Dégoogliser… Et puis il est difficile d’admettre que le SPIP qui a vaillamment permis notre annuaire (et donc notre page d’accueil) depuis tant d’années n’était plus l’outil le mieux adapté et le plus accessible pour cet usage précis…

Il nous a donc fallu cinq ans (et de multiples abandons/blocages/coup de fouet/reprises du projet) pour vous proposer cette refonte, cette remise à zéro de l’annuaire. Ne vous inquiétez pas, si vous aimez l’ancien, nous en avons gardé une archive juste à cette adresse archive.framalibre.org 😉 ! Cinq ans, et le travail conjoint de nombreux membres, salariés, mais surtout partenaires : Smile, dans un premier temps, pour leurs templates de visualisation… Mais surtout Makina Corpus, entreprise toulousaine bien connue des visiteurs du Capitole du Libre, qui nous a fait un design et une intégration Drupal aux petits oignons et nous a accompagnés (avec Framatophe tenant vaillamment le cap) sur les derniers efforts que nous ne savions pas fournir nous-mêmes.

Grâce à ce mécénat de compétences, voici un projet mené à terme !

Voici Framalibre, 2e du nom…

Bon, c’est pas tout ça, mais est-ce que ça valait le coup d’attendre ? Que va-t-on trouver en guise d’annuaire Framasoft ?

Déjà on revient à quelque chose de simple. Les notices sont claires, concises, et vous mènent au plus vite vers le lien officiel de la ressource que vous consultez. Finies les notices hyper-détaillées et trop longues qui deviennent désuètes à la moindre mise à jour 😉 ! L’idée principale, c’est de trouver aisément et comme on le souhaite : on peut rechercher une notice selon sa catégorie, utiliser le système de tags, ou même se laisser porter par les suggestions, recommandations, les notices mises en avant, etc.

C’est aussi un annuaire qui facilite la collaboration. Avec un simple compte, vous pouvez voter pour les ressources que vous préférez (et donc les mettre en valeur), corriger ou mettre à jour une notice, en créer une nouvelle dans l’annuaire, ou plus simplement écrire une chronique (un tutoriel, un témoignage, ou bien votre avis sur telle ressource…). Cet annuaire, c’est vous qui le ferez, nous avons donc fait en sorte qu’il vous soit le plus ouvert possible. Et, avec Drupal, gageons que nous pourrons, ensuite, ouvrir les données engrangées via un système d’API (ceci est un souhait, pas une promesse — mais ce serait cool, hein ?)…

Enfin et surtout, Framalibre se veut un annuaire du Libre, en général, et non pas seulement du Logiciel Libre. Car nos vies numériques ne sont plus uniquement « virtuelles », et les libertés que nous défendons et nourrissons vont au-delà du logiciel.

Et voilà le visage du nouvel annuaire !

Désormais, vous pouvez rentrer dans l’annuaire et y trouver :

  • des outils informatifs, catégorie S’informer,
  • des logiciels, du matériel et des jeux de données libres, dans S’équiper,
  • des livres, albums, films et autres œuvres culturelles dans Se cultiver,
  • et même les entreprises, collectifs, associations et autres initiatives du monde du Libre dans pour bien S’entourer.

Depuis 2004, le monde du Libre a bien grandi… Il était temps d’en agrandir une des portes d’entrée ;).

Ouvrons les portes et nos communautés !

Un annuaire, c’est un bouquet de fleurs capiteuses… Attiré·e par la douce odeur de THE information pratique que l’on vient y chercher, on s’enivre du nectar des autres notices à disposition, on se perd dans la navigation et finit par découvrir un nouveau champ de possibilités et de libertés.

Nous ne comptons plus le nombre de fois, sur le stand d’une convention libriste, où nous rencontrons un·e convaincu·e, arborant fièrement le logo de sa « distro GNUnux » favorite sur son T-Shirt, et qui s’écrie plein·e de nostalgie :

« Oooh ! Framasoft ! Je me souviens, c’est sur votre site, là, que j’ai découvert mes premiers logiciels libres ! »

Nous, à l’écoute de telles exclamations (allégorie.)

C’est à nous, désormais, de préparer le terrain pour que les futures générations de libristes tombent dans la marmite de potion magique ! D’ailleurs, un énorme merci aux personnes qui ont saisi les 400 premières notices avant la mise en production <3 ! Oh et au fait : vos comptes beta.framalibre.org fonctionnent désormais sur framalibre.org 😉

C’est à nous, donc, de contribuer à cet annuaire et de le nourrir de ce qui nous intéresse et que l’on souhaite partager. Que ce soit des notices, des chroniques, des corrections ou de simples votes : ce sont toutes vos contributions qui pourront faire le succès de cette renaissance…

Une équipe de modération est déjà en place (mais aura vite besoin de nouveaux bras) et des ateliers de contribution commencent à s’organiser (dont un sur Toulouse, le 22 mars, avec le GULL Toulibre). En cette période où le Libre est en fête, faites-vous une joie de mettre en valeur des œuvres (logicielles, culturelles, matérielles, etc.) libres, parce que vous y contribuez ou en bénéficiez, ou simplement parce que vous les aimez et souhaitez les partager avec le plus grand nombre.

Nous, on va écraser une petite larmichette d’émotion sur cette page qui se tourne, et se remettre au boulot !

Allez, une nouvelle marmite pour tonton Richard !

Pour aller plus loin :




28 ans d’existence du World Wide Web : vous reprendrez bien un peu d’exploitation ?

À l’occasion du 28e anniversaire du World Wide Web, son inventeur Tim Berners-Lee a publié une lettre ouverte dans laquelle il expose ses inquiétudes concernant l’évolution du Web, notamment la perte de contrôle sur les données personnelles, la désinformation en ligne et les enjeux de la propagande politique.

Aral Balkan, qui n’est plus à présenter sur ce blog, lui répond par cet article en reprenant le concept de Capitalisme de surveillance. Comment pourrions-nous arrêter de nous faire exploiter en coopérant avec des multinationales surpuissantes, alors que cela va à l’encontre de leurs intérêts ? Réponse : c’est impossible. À moins de changer de paradigme…

Article original d’Aral Balkan sur son blog :  We did not lose control, it was stolen

Traduction Framalang : Dark Knight, audionuma, bricabrac, dominix, mo, Jerochat, Luc, goofy, lyn, dodosan et des anonymes

Aral Balkan est un militant, concepteur et développeur. Il détient 1/3 de Ind.ie, une petite entreprise sociale qui travaille pour la justice sociale à l’ère du numérique.

Nous n’avons pas perdu le contrôle du Web — on nous l’a volé

12 mars 2017. Le Web que nous avons fonctionne bien pour Google et Facebook. Celles et ceux qui nous exploitent ne respectent pas nos vies privées et en sont récompensé·e·s chaque année par des chiffres d’affaires atteignant des dizaines de milliards de dollars. Comment pourraient-ils être nos alliés ?

Le Web que nous connaissons fait parfaitement l’affaire pour Google. Crédit photo : Jeff Roberts 

Pour marquer le vingt-huitième anniversaire du World Wide Web, son inventeur Tim Berners-Lee a écrit une lettre ouverte distinguant trois « tendances » principales qui l’inquiètent de plus en plus depuis douze mois :

1.    Nous avons perdu le contrôle de nos données personnelles

2.    Il est trop facile de répandre la désinformation sur le Web

3.    La propagande politique en ligne doit être transparente et comprise

Il est important de noter qu’il ne s’agit pas seulement de tendances et que ce phénomène est en gestation depuis bien plus de douze mois. Ce sont des symptômes inextricablement liés à l’essence même du Web tel qu’il existe dans le contexte socio-technologique où nous vivons aujourd’hui, que nous appelons le capitalisme de surveillance.

C’est le résultat d’un cercle vicieux entre l’accumulation d’informations et celle du capital, qui nous a laissé une oligarchie de plateformes en situation de monopole qui filtrent, manipulent et exploitent nos vies quotidiennes.

Nous n’avons pas perdu le contrôle du Web — on nous l’a volé

Google et Facebook ne sont pas des alliés dans notre combat pour un futur juste : ils sont l’ennemi.

Tim dit que nous avons « perdu le contrôle de nos données personnelles ».

C’est inexact.

Nous n’avons pas perdu le contrôle : la Silicon Valley nous l’a volé.

Ceux qui nous exploitent, les Google et les Facebook du monde entier, nous le volent tous les jours.

Vous vous le faites voler par une industrie de courtier·e·s de données, la publicité l’industrie de la publicité comportementale (« adtech ») et une longue liste de startups de la Silicon Valley qui cherchent une porte de sortie vers un des acteurs les plus établis ou essaient de rivaliser avec eux pour posséder une partie de votre personnalité.

Tim touche au cœur du problème dans son billet : « Le modèle commercial actuel appliqué par beaucoup de sites Web est de vous offrir du contenu en échange de vos données personnelles. » (1)

En revanche, aucun exemple ne nous est donné. Aucun nom. Aucune responsabilité n’est attribuée.

Ceux qu’il ne veut pas nommer – Google et Facebook – sont là, silencieux et en retrait, sans être jamais mentionnés, tout juste sont-ils décrits un peu plus loin dans la lettre comme des alliés qui tentent de « combattre le problème » de la désinformation. Il est peut-être stupide de s’attendre à davantage quand on sait que Google est un des plus importants contributeurs aux standards récents du Web du W3C et qu’avec Facebook ils participent tous les deux au financement de la Web Foundation ?

Ceux qui nous exploitent ne sont pas nos alliés

Permettez-moi d’énoncer cela clairement : Google et Facebook ne sont pas des alliés dans notre combat pour un futur juste, ils sont l’ennemi.

Ces plateformes monopolistiques font de l’élevage industriel d’êtres humains et nous exploitent pour extraire jusqu’à la moindre parcelle qu’ils pourront tirer de nous.

Si, comme le déclare Tim, le principal défi pour le Web aujourd’hui est de combattre l’exploitation des personnes, et si nous savons qui sont ces exploiteurs, ne devrions-nous pas légiférer fermement pour refréner leurs abus ?

Le Web, à l’instar du capitalisme de surveillance, a remarquablement réussi.

La Web Foundation va-t-elle enfin encourager une régulation forte de la collecte, de la conservation et de l’utilisation des données personnelles par les Google, Facebook et consorts ? Va-t-elle promouvoir une forme de réglementation visant à interdire la privatisation des données du monde entier par ces derniers de façon à encourager les biens communs ? Aura-t-elle le cran, dont nous avons plus que jamais besoin, de rejeter la responsabilité à qui de droit et de demander à contrer les violations quotidiennes de nos droits humains perpétrées par les partenaires du W3C et de la Web Foundation elle-même ? Ou est-il insensé de s’attendre à de telles choses de la part d’une organisation qui est si étroitement liée à ces mêmes sociétés qu’elle ne peut paraître indépendante de quelque manière que ce soit ?

Le Web n’est pas cassé, il est perdu.

Le Web est perdu mais il n’est pas cassé. La distinction est essentielle.

Le Web, tout comme le capitalisme de surveillance lui-même, a réussi de façon spectaculaire et fonctionne parfaitement pour les entreprises. En revanche, la partie est perdue pour nous en tant qu’individus.

Google, Facebook, et les autres « licornes » multimilliardaires sont toutes des success stories du capitalisme de surveillance. Le capitalisme de surveillance est un système dont, comme le cancer, la réussite se mesure à la capacité d’évolution rapide et infinie dans un contexte de ressources finies. Et tout comme le cancer à son paroxysme, le succès du capitalisme de surveillance aujourd’hui est sur le point de détruire son hôte. D’ailleurs, là encore comme le cancer, non sans nous avoir volé d’abord notre bien-être, notre pouvoir et notre liberté. Le problème est que parmi les critères de réussite du capitalisme de surveillance ne figurent absolument pas notre équité, notre bien-être, notre capacité d’action ni notre liberté individuelle. Nous ne sommes que du bétail à exploiter, une source infinie de matières premières.

Le Web que nous avons n’est pas cassé pour Google et Facebook. Ceux qui nous exploitent sont récompensés à hauteur de dizaines de milliards de chiffre d’affaires pour s’être introduits dans nos vies. Comment pourraient-ils être nos alliés ?

Tim suggère que « nous devons travailler avec les entreprises du Web pour trouver un équilibre qui redonne aux personnes un juste niveau de contrôle de leurs données. »

Quoi de plus naïf que de nous suggérer de travailler avec les plus gros exploiteurs du Web pour leur rendre cette tâche plus difficile et donc réduire leurs bénéfices ? (2)
Quelle raison Google ou Facebook pourraient-ils avoir de réparer le Web que nous avons alors qu’il n’est pas cassé pour eux ? Aucune. Absolument aucune.

Tim écrit : « Pour construire le web, il a fallu notre participation à tous, et c’est à nous tous, désormais, de construire le web que nous voulons – pour tous. »

Je ne suis pas d’accord.

Il a fallu la Silicon Valley (subventionnée par le capital-risque et suivant le modèle commercial de l’exploitation des personnes) pour construire le Web que nous avons.

Et maintenant c’est à nous, qui n’avons aucun lien avec ces entreprises, nous qui ne sommes pas de mèche ou qui ne sommes pas sponsorisé·e·s par ces entreprises, nous qui comprenons que le Big Data est le nouveau nerf de la guerre, de faire pression pour une réglementation forte, de contrer les abus des exploiteurs et de jeter un pont entre le Web que nous avons et celui que nous voulons : du capitalisme de surveillance vers un monde de souveraineté individuelle et de biens communs.

Pour aller plus loin

Notes

(1) Le problème est que même si vous payez effectivement pour des produits ou des services, il est très probable qu’ils violeront tout de même votre identité numérique, à moins qu’ils ne soient conçus par éthique pour être décentralisés et/ou amnésiques.^^

(2) Avant de vous laisser croire que je m’en prends à Tim, je précise que ce n’est pas le cas. Par deux fois je l’ai rencontré et nous avons discuté, je l’ai trouvé sincèrement honnête, passionné, humble, attentionné, quelqu’un de gentil. Je pense réellement que Tim se soucie des problèmes qu’il soulève et veut les résoudre. Je pense vraiment qu’il veut un Web qui soit un moyen d’encourager la souveraineté individuelle et les communs. Je ne crois pas, néanmoins, qu’il soit humainement possible pour lui, en tant qu’inventeur du Web, de se détacher assez du Web que nous avons afin de devenir le défenseur du Web que nous voulons. Les entreprises qui ont fait du Web ce qu’il est aujourd’hui (un poste de surveillance) sont sensiblement les mêmes qui composent le W3C et soutiennent la Web Foundation. En tant que leader des deux, les conflits d’intérêts sont trop nombreux pour être démêlés. Je ne suis pas jaloux de la position peu enviable de Tim, dans laquelle il ne peut pas délégitimer Google et Facebook sans délégitimer les organisations qu’il conduit et au sein desquelles leur présence est si importante.

En outre, je crois sincèrement que Tim pensait avoir conçu le Web en lien avec sa philosophie sans réaliser qu’une architecture client/serveur, une fois immergée dans un bain de culture capitaliste, aurait pour résultat des pôles (les serveurs) se structurant verticalement et s’unifiant — pour finalement devenir des monopoles — comme les Google et Facebook que nous connaissons aujourd’hui. A posteriori, tout est clair et il est facile de faire la critique de décisions d’architecture qui ont été prises 28 ans plus tôt en soulignant les défauts d’un système que personne n’aurait cru capable de grandir autant ni de prendre un rôle central dans nos vies. Si j’avais conçu le Web à l’époque, non seulement j’aurais été un prodige, mais j’aurais probablement pris exactement les mêmes décisions, sans doute en moins bien. Je ne possède rien qui ressemble au cerveau de Tim. Tim a suivi son intuition, et il l’a fait de façon très élégante en élaborant les choses les plus simples qui pourraient fonctionner. Cela, ainsi que le fait de l’avoir partagé avec le monde entier, et sa compatibilité avec l’architecture du capitalisme, ont été les raisons du succès du Web. S’il y a une leçon à retenir de cela, c’est que les protocoles sociaux et économiques sont au moins aussi importants que les protocoles réseau et que nous devons leur consacrer autant de réflexion et de notoriété dans nos alternatives.^^