Pirates De l’Internet, Unissez-Vous !

Hillman54 - CC by« Mais qu’est-ce que tu fous encore devant ton ordi ! N’oublie pas que tu m’avais promis d’aller avec moi au MAXXI ! Remue-toi, on est déjà en retard… »

Fichtre alors, je ne m’en souvenais effectivement pas ! De plus ou moins bonne grâce me voici donc en train d’accompagner N. au MAXXI.

Mais qu’est-ce donc que ce MAXXI ? Situé à Rome, il s’agit du nom donné au tout nouveau « musée national des arts du XXIe siècle » – contracté, ça donne donc MAXXI – dédié à toutes les formes de création de l’art contemporain[1].

Avant de poursuivre, il faut que je vous dise que l’Art Contemporain a toujours été un vif sujet de débat entre N. et moi. J’ai bien saisi qu’on a pu parler d’avant-garde à certaines époques du passé mais aujourd’hui j’ai peine à ne pas y voir avant tout une grande supercherie où argent, marketing et petits arrangements entre amis du microcosme sont rois. Du coup l’Art Contemporain, au mieux cela me divertit (et ne dépasse pas le stade du divertissement), au pire cela m’ennuie voire me scandalise. Elle me répond calmement et invariablement que c’est parce que je ne le connais pas bien, ce qui est tout à fait vrai au demeurant, et que de toutes les façons je suis resté bloqué à Marcel Duchamp ! Elle ne le dit jamais ouvertement mais le pense très fort : le « syndrome du vieux con » me guette.

Ceci étant dit, j’étais quand même curieux de voir ce que donnait ce musée. D’abord parce que je trouvais cela bien ambitieux, pour ne pas dire pompeux, de la définir déjà comme un musée des « arts du XXIe siècle ». Et puis on m’avait dit le plus grand bien de son architecture signée Zaha Hadid. Dans une ville où règne la vieille pierre, un peu de modernité fait toujours contraste.

Je confirme. C’est une bâtisse impressionnante. Beaux volumes et beaux espaces, comme on peut s’en rendre compte sur cette vidéo (cf aussi ce reportage AFP).

Le contenant est donc intéressant. Je n’en dirai pas tant du contenu. Comme d’habitude, une succession d’installations à l’originalité convenue qui veulent toutes nous dire simultanément quelque chose sur le moi profond de l’artiste et le monde profane ou sacré qui nous entoure. On appelle cela le « message » de l’œuvre, et cela fait le bonheur des critiques d’art des beaux quartiers.

Mais force est de constater que cela ne fait pas le mien.

Finalement, l’intérêt principal reste encore de partager cela avec quelqu’un en lui demandant à chaque fois ce qu’il en pense. On n’apprendra pas forcément grand chose sur l’exposition, mais on peut en apprendre beaucoup sur la personne qui nous accompagne…

Tiens, voilà justement N. qui me demande mon impression générale au sortir de la dernière salle. Je m’y attendais. Et voulant moi aussi faire mon original, je commence ainsi ma réponse : « c’est bien gentil tout ça, mais si tu veux mon avis, ce n’est pas une bonne idée d’avoir ignoré la culture libre quand on la prétention de présenter l’art du XXIe siècle… ».

Et c’est à ce moment-là que je remarque une bien étrange affiche qui recouvre tout le mur de la cafétéria du musée.

Elle est signée de l’artiste Miltos Manetas et n’avait pas encore été traduite en français.

Piracy Manifesto - MAXXI

Pirates de l’Internet, unissez-vous !

Pirates of the Internet Unite!

Miltos Manetas – Juillet 2009 – MAXXI
(Traduction Framalang : Don Rico, Martin, Barbidule et Goofy)

Extrait d’un journal du futur : « Un homme a été contrôlé hier à la frontière franco-italienne. L’inspection de son ordinateur a permis de découvrir que celui-ci recelait des produits piratés, principalement des logiciels Adobe et de la musique des Beatles. L’homme a été arrêté sur-le-champ ».

Qu’il s’agisse d’un poème ou d’un médicament, d’un logiciel ou d’un disque, d’un film ou d’un livre, tout ce qui est populaire et rentable doit la majeure partie de sa valeur économique à la manipulation des Foules. Nul n’a demandé à savoir à quoi ressemble le logo Coca-Cola, ni à connaître le refrain de « Like a Virgin ». L’Éducation, les Médias et la Propagande nous les font avaler de force, en les martelant à l’envi ou en spéculant sur notre soif, notre faim, notre besoin de communication et de divertissement, et surtout sur notre sentiment de solitude et notre mal-être. À l’ère d’Internet, ce qui peut être copié peut être partagé. Pour ce qui est des contenus, on peut tout distribuer, à tout le monde en même temps.

À l’aune de cette constatation, une nouvelle classe sociale émerge. Il ne s’agit pas d’une classe laborieuse mais d’une classe de Producteurs. Par essence, ces Producteurs sont des pirates et des hackers ; ils réutilisent les images, les sons, et les idées du Monde. Ils en créent certains, mais pour la plupart ils les empruntent à d’autres.

L’information est aujourd’hui partie intégrante de notre organisme, elle est littéralement « installée » dans notre cerveau, et l’on ne peut l’effacer sur demande. C’est pourquoi nous avons le droit de posséder l’information qu’on nous projette : nous sommes en droit d’être maîtres de nous-mêmes ! Parce que nous vivons dans des sociétés mondialisées construites sur l’inégalité et le profit, parce que le contenu d’une chanson, d’un film ou d’un livre représentent des atouts dans une lutte sans merci pour survivre, tout citoyen possède le droit moral de s’approprier une copie numérique d’une œuvre quelle qu’elle soit. Parce que l’informatique est un langage international, les secrets du monde sont de nos jours écrits en Adobe et en Microsoft, il est légitime de vouloir les hacker. Enfin, parce que la pauvreté est le champ expérimental de l’industrie pharmaceutique, la médecine devrait être libre de tout brevet.

De nos jours, quiconque possède un ordinateur est à la fois Producteur et Pirate. Nous sommes tous citoyens de l’Internet, c’est notre nouvelle nation, le seul territoire qu’il soit justifié de défendre et de protéger. Internet est une terre d’information et de savoir. Chacun devrait être en mesure de la fouler sans contrepartie financière ; seules les grandes entreprises devraient payer pour l’utiliser.

Internet génère des « Internets », des situations qui existent non seulement en ligne, mais aussi dans le monde physique, déterminées par ce qui se passe sur le réseau. L’heure est venue de fonder un Mouvement du Piratage mondial. La liberté d’enfreindre le copyright, celle d’avoir accès sans restriction au savoir et aux traitements médicaux, voilà nos nouveaux « Biens communs ». Ce sont des Droits Universels, et en tant que tels, les Autorités ne les concéderont pas sans lutter, mais le combat à livrer sera inédit car pour la première fois, les Foules enfreignent spontanément la Loi à l’échelle planétaire.

Aujourd’hui, tout le monde copie : les jeunes gens, les adultes, nos aînés, les électeurs de gauche comme de droite. Quiconque possède un ordinateur copie quelque chose. Telle une nouvelle Athéna, l’Information jaillit toute armée du crâne ouvert de la Technologie pour nous aider dans notre quête.

Pirates de l’Internet, unissez-vous !

Piracy Manifesto - Manetas

Notes

[1] Crédit photo : Hillman54 (Creative Commons By)




Plaidoyer pour étudier le droit à l’école

Zara - CC by-saUn jour que je questionnais une élève sur ses pratiques numériques qui me semblaient un peu confuses, j’ai eu cette curieuse mais révélatrice réponse : « si je peux techniquement le faire, je ne vois pas pourquoi je me l’interdirais, de toutes les façons tout le monde le fait, et puis ça ne fait pas de mal à une mouche ».

L’élève étant manifestement de bonne foi (et bonne élève de surcroît), cet épisode me plongea dans un abîme de perplexité. Ici la possibilité de faire vaut droit de faire !

Effectivement, au sens propre du terme, on ne fait physiquement pas de mal à une mouche. Point besoin d’explication pour comprendre d’emblée que ce n’est pas bien de voler l’orange du marchand et que si d’aventure l’on s’y essayait on pourrait se faire prendre. Il en va autrement sur Internet où non seulement il est très facile et sans risque de voler l’orange, mais on ne sent pas spontanément que l’on est en train de commettre un délit puisqu’on ne dépossède pas le marchand de son orange, on ne fait que la copier[1].

J’eus alors l’idée de jeter un œil du côté des programmes officiels de l’institution scolaire. Et voici ce que je lus noir sur blanc dans celui de l’ECJS au lycée : « Le seul savoir nouveau auquel il faut initier les élèves, grâce à l’ECJS, concerne le droit, trop ignoré de l’enseignement scolaire français. Il s’agit de faire découvrir le sens du droit, en tant que garant des libertés, et non d’enseigner le droit dans ses techniques. »

Le droit serait donc trop souvent ignoré. Il est rare de voir l’Éducation nationale nous faire un tel aveu. Surtout lorsque, comme nous le rappelle l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi ». Et puis il y a cette phrase à graver dans le marbre : « Il s’agit de faire découvrir le sens du droit en tant que garant des libertés ».

À sa décharge, reconnaissons que du temps d’avant Internet, un jeune était bien peu souvent confronté directement et personnellement à des questions juridiques. Mais la situation a changé aujourd’hui avec l’avènement des nouvelles technologies. Pas un jour sans qu’il ne rencontre, implicitement ou explicitement, des problèmes de vie privée, de droits d’auteur, de contrats ou de licences d’utilisation. Et rien ne distingue à priori un adulte internaute connecté au Net d’un adolescent internaute connecté au Net.

Un Internet qui est par essence ouvert, permissif et partageur. Rappelons-nous ce qui a été joliment dit dans un article précédent : « La copie est pour les ordinateurs ce que la respiration est pour les organismes vivants ».

Nous voici donc projetés dans un nouveau monde étrange où la copie est naturelle et donne accès à un formidable univers de possibles. Elle est tellement naturelle qu’il est presque impossible d’ériger des barrières techniques pour la limiter. Tôt ou tard elles seront levées. Si pour diverses raisons vous voulez la contraindre ou l’abolir, l’arsenal technique est vain. Il n’y a que la loi qui puisse vous secourir. Une loi non coercitive qui n’apporte pas automatiquement avec elle ses verrous numériques. Elle dit simplement ce qui doit ou ne doit pas être. Elle demande avant tout une posture morale. C’est pourquoi, ici plus qu’ailleurs, elle nécessite une éducation.

Oui, dans la pratique, je peux tout faire ou presque sur Internet, mais ai-je le droit de tout faire ? Et si tel n’est pas le cas, ai-je bien compris pourquoi on me le refuse ?

Non pas une éducation passive qui se contenterait d’égréner les grandes lois en vigueur. Mais une éducation active qui met en avant celles que les jeunes rencontrent même sans le savoir au quotidien. Une éducation qui interroge ces lois en même temps qu’elle en donne connaissance. D’où viennent-elles ? Comment ont-elles évolué ? Sont-elles toujours pertinentes aujourd’hui ? Une éducation qui ne s’interdit pas l’analyse critique en prenant conscience qu’à l’heure du réseau on peut réellement le cas échéant se donner les moyens de participer à leurs « mises à jour »

Dans le cas contraire, nous prenons le risque que la réponse de mon élève devienne la réponse de toute une génération.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, alors c’est le chaos qui nous guette et vous obtenez une armée de « rebelles sans cause » sur laquelle vous ne pouvez pas vous appuyer. On a ainsi pu dire, lors du débat sur la loi Hadopi, que l’on était en face de la « génération du partage ». Rien n’est moins vrai malheureusement, le partage existant bien moins dans la tête des jeunes que dans le paramétrage par défaut de leurs logiciels de P2P. Preuve en est qu‘ils se ruent désormais sur les plateformes de direct download (RapidShare, MegaVideo…) où tout est centralisé sur un unique serveur, où le partage a pour ainsi dire disparu.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, comment voulez-vous de plus expliquer à un jeune ce qu’est un logiciel libre. Il n’y verra aucune différence avec un logiciel gratuit ou piraté. Il n’aura alors plus d’autres qualités que celle de son usage, et à ce petit jeu-là c’est souvent le logiciel commercial cracké qui l’emporte.

Parce que si possibilité de faire vaut droit de faire, « l’Alternative Libre » ne sera ni comprise ni soutenue. Si adhésion, enthousiasme et énergie il y a chez ceux qui la défendent, c’est parce qu’ils savent que tout autour on érige des murs toujours plus hauts. Que ces murs puissent aujourd’hui facilement être franchis ou contournés n’est pas le plus important ici. C’est aussi en respectant scrupuleusement toutes les conditions d’utilisation, même les plus drastiques, des projets numériques que l’on découvre qu’il existe d’autres logiciels, d’autres encyclopédies, d’autres cartes du monde ou d’autres manières de faire de la musique.

Tout membre de la « Communauté du Libre » possède un minimum de connaissances juridiques. En face de la moindre ressource, son premier réflexe est de s’enquérir de sa licence. Quels sont mes droits et mes devoirs ? Quelles sont les conditions de son usage, de sa copie, de sa modification ? Il n’est ainsi guère étonnant qu’il soit l’un des seuls à réellement lire et respecter les contrats d’utilisation lorsqu’il installe un logiciel ou s’inscrit à un service Web. Ce savoir-là ne s’est pas construit grâce à l’école (parfois même malgré l’école). Il a été acquis sur le tas, en autodidacte, parce que, motivé, il a simplement cherché à comprendre de quoi il s’agissait. Se faisant notre membre s’est donné des clés pour mieux appréhender le monde contemporain, pour mieux y participer aussi.

On le retrouvera dès lors logiquement en première ligne de batailles DADVSI, Hadopi, ACTA, Brevets logiciels ou neutralité du réseau, qui sont autant des batailles politiques et techniques que des batailles juridiques qui ne peuvent être gagnées sans une connaissance précise et pointue de la legislation du moment. D’ailleurs, comme c’est curieux, ces batailles sont menées pour que le droit soit véritablement le « garant des libertés » et non l’inverse !

Ces batailles sont aussi menées au nom d’une certaine idée de la justice. On peut bien sûr s’y opposer parce qu’on en a une autre idée mais aussi longtemps que le droit sera ignoré à l’école, ce qui risque surtout d’arriver c’est de ne pas avoir d’idée du tout ! Méconnaissance et indifférence sont nos pires adversaires ici. Elles nous condamnent à faire partie d’une minorité d’initiés éclairés ne réussissant pas à trouver assez de renforts pour peser durablement sur le cours des évènements.

Oui, il y a urgence à démocratiser et « faire découvrir le sens du droit en tant que garant des libertés » à la jeune génération qui manque cruellement de répères en la matière, à un moment où, Internet oblige, de plus en plus de questions se posent tout de suite à elle. Différer à plus tard son étude revient non seulement à s’en remettre aveuglement entre les mains des experts mais surtout à prendre le risque de devenir un spectateur passif et inculte de l’évolution actuelle de nos sociétés.

Il est dit que « concourir à la formation de citoyens libres, autonomes, et exerçant leur raison critique dans une cité à laquelle ils participent activement est une des missions fondamentales du système éducatif ». Impossible de ne plus y inclure le droit dans ce noble et ambitieux objectif.

Notes

[1] Crédit photo : Zara (Creative Commons By-Sa)




Le Loup et le Chien

Simaje - CC byLe petit garçon s’ennuyait tout seul chez lui.

Il avait un devoir scolaire à faire pour le lendemain mais il préférait contempler le panorama, par la fenêtre du douzième étage de son appartement : trois barres d’immeuble identiques au sien entourant un parking et un parc, les murs de la résidence, plus loin la route et puis encore plus loin la rivière qu’il aimait bien, même si on ne pouvait plus s’y baigner l’été. Trop polluée avaient dit les autorités.

La vue n’avait rien d’extraordinaire en soi mais elle lui était familière. Et puis c’était amusant de voir tout ça de si haut perché.

Il y avait des enfants qui jouaient juste en bas, dans le parc. Il en connaissait quelques uns. Mais il n’avait pas le droit de les rejoindre. Sa maman disait que ce n’était pas sûr et que c’était de « mauvaises fréquentations ».

Il trouvait que sa maman exagérait parce que tout cela se passait à l’intérieur de la résidence. Une résidence protégée par une enceinte et contrôlée en son unique point d’entrée par un gardien et des caméras de surveillance. En plus chaque immeuble avait ses propres caméras, et pour y pénétrer il y avait un digicode puis un interphone. Le code changeait souvent mais en ce moment c’était « 3142 ». C’est drôle, non, la valeur approchée de Pi arrondie au millième ! Il était fier d’avoir trouvé cela tout seul.

Bon, alors, ce devoir scolaire… Il n’avait pas vraiment d’excuses parce que, contrairement à d’habitude, c’était pas mal intéressant. Il fallait apprendre par coeur la fable de La Fontaine Le Loup et le Chien.

C’est l’histoire d’un loup qui jalouse la vie tranquille et confortable d’un chien jusqu’à ce qu’il découvre que « le prix à payer pour sa sécurité c’est d’être tenu en laisse ». C’est la maîtresse qui disait cela comme ça et c’est vrai qu’elle formulait bien les choses la maîtresse.

Quand elle l’a lu pour la première fois devant nous, elle a posé le livre, s’est assurée que tout le monde avait bien compris et elle a demandé si on préférait le loup ou le chien. Au début, c’était un peu le silence dans la classe. On cherchait surtout à savoir ce que la maîtresse voulait qu’on réponde. Et quand on a pigé qu’elle voulait justement qu’on soit pas d’accord, alors on s’est détendu et on a répondu comme on voulait. Moi, j’ai choisi le chien mais j’étais bien content que la maîtresse ne me demande pas pourquoi.

Le problème, c’est que même quand je les aime bien, je ne suis pas très fort en poésie. Je retiens pas tout et j’ai du mal à me concentrer longtemps sur une tâche. Je le sais puisque c’est ce qu’on me dit depuis la maternelle.

Alors le petit garçon se remit à sa fenêtre. Et il vit alors plusieurs caravanes s’engager puis parcourir lentement la route…

Ils s’en vont, pensa-t-il spontanément. Et cela ne l’étonna pas.

C’est normal, non, pour des « gens du voyage » de s’en aller ailleurs au bout d’un moment ! Sauf que là, il en était sûr, le départ avait été un peu forcé. Et puis d’abord on ne dit pas gens du voyage mais Roms.

Il avait appris cela – et d’autres choses encore comme la signification des mots « nomade » et « sédentaire » – parce que depuis leur arrivée, un mois auparavant, on en parlait souvent dans le quartier, à l’école et même à table avec les parents. On en parlait souvent mais on n’en parlait pas avec eux.

Ils s’étaient installés pas loin, à quelques centaines de mètres, mais là encore interdiction familiale formelle d’aller y voir de plus près. Pourtant, maman, contrairement à papa, elle en disait plutôt du bien à table. Elle disait que c’était une communauté ancestrale, avec une riche culture, qui se montrait solidaire et ne s’était pas perdue dans l’individualisme et le consumérisme, et que c’était à nous de nous adapter et non l’inverse. Alors papa lui souriait et lui répondait qu’il ne tenait qu’à elle de tous les inviter ce soir à dormir dans notre salon. Et maman, ça n’avait pas l’air de l’amuser que papa dise ça. Elle répondait un peu énervée qu’il fallait qu’il arrête de faire son malin et que c’était de la « responsabilité des pouvoirs publics », expression que j’avoue je ne comprenais pas bien – « individualisme » et « consumérisme » non plus d’ailleurs – mais vu l’état de maman, ce n’était vraiment pas la peine d’en rajouter.

C’est dommage parce que je lui aurais bien aussi demandé sur le ton de la provocation pourquoi on disait souvent à la récré que « c’étaient tous des voleurs » ! Moi j’y croyais pas, même si je me demandais comment ils faisaient pour vivre. Faut dire que je me posais aussi d’autres questions moins importantes à leur sujet. Je me disais par exemple qu’ils n’avaient sûrement pas de connexion Internet et que ça doit faire bizarre aujourd’hui de vivre sans. D’ailleurs, nous aussi on est des voleurs. Ben oui, puisqu’on télécharge tous sur Internet !


En tout cas, ils avaient éprouvé toutes les peines du monde à s’installer de manière provisoire quelque part. Même quand le terrain était vide depuis des années, il possédait toujours un propriétaire. Et celui-ci ne tardait pas à se manifester pour refuser vigoureusement leur venue et leur demander plus ou moins gentiment de quitter les lieux. On les avait ainsi déjà déplacés quatre fois. Et c’était visiblement une fois de trop.

Voici donc tout ce que se disait le petit garçon, le nez collé à la fenêtre, en voyant défiler cet étrange cortège.

Il y avait des gens qui marchaient à côté des caravanes, sans se dire un mot, ou alors doucement parce qu’on n’entendait rien de loin. Lorsque la dernière caravane disparut de son champ de vision, il resta un moment suspendu puis se souvint qu’il avait une poésie à mémoriser.

À la réflexion, il se dit qu’il préférait peut-être le loup finalement.

Crédit photo : Simaje (Creative Commons By)




La vie n’est pas en lecture seule

Ciprian Ionescu - CC byUn fichier informatique est dit « en lecture seule » lorsque vous n’avez que le droit de l’exécuter et donc de le lire. Alors qu’un ficher disponible « en lecture/écriture » vous offre en plus la possibilité de le modifier.

Vous n’en ferez peut-être rien mais cette liberté supplémentaire change la donne puisque vous n’êtes plus condamné à être passif. Si un jour il vous prend l’envie d’ajouter du code à un logiciel libre ou de compléter un article de Wikipédia, vous pouvez le faire.

Par extrapolation, nous ne voulons pas d’une vie qui nous serait proposée par d’autres uniquement en lecture seule. Nous souhaitons pouvoir agir sur elle et y participer. « L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire », nous dit ainsi Benjamin Bayart.

Techniquement parlant, tout est en place pour que cela ait bien lieu et les nouvelles pratiques de la jeune génération témoignent tous les jours de cette aspiration[1].

Et pourtant, il semblerait que certains ne souhaitent pas nous voir profiter pleinement de ce progrès. Et d’ériger alors toujours plus de barrières et de péages artificiels.

Comme nous le signale son auteur en fin d’article, ce petit texte rédigé dans le train en 2006 « a pour simple but de vous faire réflechir aux politiques des grands groupes des médias et/ou de votre gouvernement ». De nombreux bits ont beau avoir coulé sous les ponts d’Internet depuis, il garde toute son acuité. Jusqu’à y voir parfois modestement une sorte de manifeste de la jeunesse du début de ce nouveau siècle.

La vie n’est pas en lecture seule

Life is not read-only

Olivier Cleynen – 2006 – Licence Creative Commons By
(Traduction Framalang : Olivier, Pablo, Djidane et Siltaar)

Pour eux, c’est de la piraterie. Carrément du vol, voilà ce qu’est le téléchargement. Vous prenez quelque chose qui a un prix, sans le payer. Volez-vous à l’étalage ou cambriolez-vous des maisons ? Pourquoi alors télécharger gratuitement ?

Créer du contenu est très difficile : rien que pour remasteriser, créer l’emballage et faire de la publicité pour la dernière compilation, il faut aligner trois millions de dollars. Comment les artistes peuvent-ils s’en sortir ? Comment la vraie culture peut-elle encore survivre ?

En fait. Peut-être que vous n’avez pas vraiment dépossédé quelqu’un de quelque chose. Peut-être ne vous êtes-vous pas vraiment servi dans un rayon. Peut-être que vous n’auriez de toute façon pas dépensé un centime pour ce truc « protégé contre la copie ».

Et tous ces trucs ont la peau dure. De la musique que vous n’avez pas le droit de copier, des films que vous n’avez pas le droit d’enregistrer, des fichiers protégés par des restrictions et des bibliothèques musicales qui disparaissent lorsque vous changez de baladeur… Certaines entreprises produisent même des téléphones et des ordinateurs sur lesquels elles restent maîtresses des programmes que vous pouvez installer.
Les choses empirent lorsque la loi est modifiée pour soutenir ces pratiques : dans de nombreux pays il est devenu illégal de contourner ces restrictions.

Qu’attendez-vous de la vie ? Quelles sont les choses qui comptent vraiment ? Lorsque vous faites le bilan de votre année, qu’en retenez-vous ? Les bons moments passés entre amis ou en famille ? La découverte d’un album génial ? Exprimer votre amour, ou votre révolte ? Apprendre de nouvelles choses ? Avoir une super idée ? Un e-mail de la part de quelqu’un qui compte pour vous ?

Et des choses passent au second plan : un grand nombre de pixels, le tout dernier iPod… déjà dépassé, un abonnement « premium », une augmentation vite dépensée, profiter de sa toute nouvelle télévision HD… Tout le monde apprécie ces trucs, mais si on y réfléchit un peu, c’est pas si important.

Vous ne deviendrez certainement pas un astronaute exceptionnel. Vous ne traverserez pas l’Atlantique à la nage. Vous ne serez pas leader international. La vie c’est maintenant. Et c’est quand on partage ses idées, ses pensées et sentiments.

La vie n’est pas en lecture seule. Elle est faite de petites choses qui ne peuvent être vendues avec des verrous. Si l’on ne peut plus choisir, essayer, goûter, assister, penser, découvrir, faire découvrir, exprimer, partager, débattre, ça ne vaut pas grand chose. La vie devrait être accessible en lecture et en écriture.

Peut-être que le droit d’auteur n’est pas aussi légitime que certains voudraient nous faire croire. En fait, le discours de Martin Luther King « I have a Dream © » est toujours protégé par le droit d’auteur. Vous ne pouvez pas chanter la chanson « Joyeux anniversaire © » dans un film sans payer de droits. L’expression « Liberté d’expression™ » est une marque déposée.

Le partage de fichiers est criminalisé. Certains sont jugés et emprisonnés pour avoir développé des technologies qui permettent d’échanger des fichiers (la loi réprime le fait « d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public des copies non-autorisées d’œuvres ou objets protégés »).
Mais qu’en est-il de ceux qui ont inventé et vendu les magnétoscopes, les photocopieurs, les lecteurs de cassette munis d’un bouton d’enregistrement ? Et d’ailleurs, où sont les personnes qui ont inventé les baladeurs numériques ?

Vous avez dit deux poids, deux mesures ? Des milliers de personnes gagnent leur vie en poussant nos enfants à fumer ou en développant l’export de mines anti-personnelles. Et à coté de ça, le partage de fichier, ces mêmes fichiers que l’on peut voir sur YouTube, est puni par une amende compensatoire pouvant atteindre 150 000 dollars par fichier.

Et on dit que l’industrie de la musique est en danger.
Qui veut d’une industrie musicale ? Et plus particulièrement telle qu’elle existe ? Laissons l’industrie, aux boîtes de conserve et aux voitures.

La culture ne se meurt pas dès que vous téléchargez un fichier. La créativité n’est pas diminuée lorsque vous découvrez quelque chose. C’est toute la société qui en profite lorsqu’on peut apprendre et s’exprimer.

Participez. Appréciez. Découvrez. Exprimez. Partagez.

Donc. Une société équilibrée où les artistes peuvent gagner leur vie et où le partage de fichiers n’est pas criminalisé est possible. Voici quelques suggestions :

Musique

  • Allez voir les artistes en concerts (sauf s’ils vendent leurs places 200€)
  • Que pensent et font vos artistes favoris ? Renseignez-vous, vous découvrirez peut-être quelque chose
  • Achetez intelligemment votre musique
  • Si l’artiste est mort maintenant, gardez votre argent pour le dépenser autrement
  • Ne vous contentez pas d’écouter, chantez !
  • Ne racheter pas la musique que vous possédez déjà en CD ou vinyl.

Participez

Films

  • Fréquentez les petites salles (qui se soucient surement plus de l’artiste que de l’industrie)
  • Fuyez les MTP (DRM) et les lecteurs « labellisés »
  • Partagez les bons films avec vos amis, ceux qui sont pour vous immanquables.

Logiciel

Tous les jours

LifesNotReadOnly.net a pour simple but de vous faire réflechir aux politiques des grands groupes des médias et/ou de votre gouvernement. Ça n’est qu’un petit manifeste rédigé dans le train en 2006. Olivier Cleynen en est l’auteur. Vous êtes libre de répliquer le contenu de ce site Web, même pour des applications commerciales, sous les termes de la license CC-by.

Notes

[1] Crédit photo : Ciprian Ionescu (Creative Commons By)




Geektionnerd : Kindle Surprise

En référence directe à une récente annonce d’Amazon décryptée par Le Monde : Le livre numérique a-t-il détrôné le livre papier aux Etats-Unis ?

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Imagine there is no copyright – Traducthon 2.0 – RMLL 2010

Imagine there is no CopyrightLors de la dernière Ubuntu Party à Paris, les framalinguistes ont lancé avec succès le premier « Traducthon ». Ce coup d’essai réussi ne pouvant rester orphelin, Framalang relève son propre gant. La deuxième édition du Traducthon (ou Traducthon 2.0) aura donc lieu du 6 au 9 juillet prochain à Bordeaux au cours des fameuses et célèbres Rencontres Mondiales du Logiciel Libre[1].

L’ambition est cette fois plus grande. La gourmandise des framalinguistes n’ayant pas de limite, nous ne pouvions donc nous limiter à un article. 4 jours d’intenses traductions, relectures, reformulations, mise en page, bières s’offrent à nous. Le texte sélectionné se devait donc d’être à la hauteur.

Le choix de Framalang s’est porté sur un livre au cœur de l’actualité : Imagine there is no copyright and no cultural conglomerates too / An essay (ce qui donne en français et en chantonnant du John Lennon : Imaginez qu’il n’y ait ni droit d’auteur ni industrie culturelle / un essai).

Ce document des néerlandais Joost Smiers et Marieke Van Schijndel analyse dans le détail les raisons du déclin du droit d’auteurs tel qu’il a été conçu à une époque d’avant l’immatériel, et pourquoi il ne peut survivre à l’univers numérique dont la présence est croissante dans nos vies quotidiennes. Cet essai propose par ailleurs un certain nombre de pistes, permettant de transformer le marché hyper-dominé de l’industrie culturelle en marché de micro-entrepreneurs de cette même culture, permettant une ouverture maximale du marché, en libérant les créateurs et en leur permettant de se rapprocher de leur public.

When a limited number of conglomerates control our common area of cultural communication to a substantial degree, then that undermines democracy. The freedom to communicate for everyone and everyone’s right to participate in his or her society’s cultural life, as promised in the Universal Declaration of Human Rights, can become diluted to the unique right of a few heads of companies and investors and the ideological and economic agendas to which they work.

Ce qui pourrait se traduire par :

Lorsqu’un nombre réduit de groupes industriels contrôle à un certain point notre univers commun de communication culturelle, il sape alors la démocratie. La liberté de chacun de communiquer et le droit de chacun de participer à la vie culturelle de sa propre société, tels que promis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, peuvent se trouver dilués dans le droit unique de quelques dirigeants d’entreprises ou de quelques investisseurs, et dans les priorités idéologiques et économiques pour lesquelles ils travaillent.

Tous ceux qui le souhaitent peuvent participer à cette aventure avec nous. La traduction aura lieu sur le Pad de Framasoft. L’exercice de la traduction nécessite des compétences aussi variées que la maîtrise de l’anglais, la capacité de reformulation ou celle d’assurer la cohérence du style, une relecture attentive, mais surtout une grande ouverture d’esprit.

Toutes les bonnes volontés sont donc les bienvenues, sur place ou à distance. Et, as usual, dans la joie et dans la bonne humeur 😉

Notes

[1] Le week-end (10 et 11 juillet), les RMLL auront lieu en centre ville, et ne nous permettront pas de poursuivre la traduction en direct.




Les logiciels libres ne sont pas les bienvenus dans l’App Store d’Apple

Annia316 - CC byNous avons déjà eu l’occasion d’en parler, Apple enferme les utilisateurs dans une prison dorée et les développeurs de logiciels dans une prison tout court !

Pour que votre application soit en effet proposée dans l’App Store, il est d’abord nécessaire qu’elle convienne à Apple qui se réserve le droit de la refuser sans fournir d’explication (et gare à vous si un bout de sein dépasse !)[1].

Mais une fois cet obstacle franchi, il faut aussi et surtout accepter les conditions d’utilisation de la plateforme.

Or ces conditions sont restrictives et donc discriminantes si on les observe avec le prisme des quatre libertés d’un logiciel libre. Elles interdisent donc aujourd’hui à un logiciel libre de pouvoir faire partie du catalogue parce que sa licence se télescope alors avec les termes du contrat d’Apple.

Un logiciel libre simulant le jeu de Go, GNU Go, s’est pourtant retrouvé récemment dans l’App Store. Et qu’a fait Apple lorsque la FSF lui a écrit pour soulever la contradiction et voir ensemble comment améliorer la situation ? Elle a purement simplement retiré GNU Go de sa plateforme, manière pour le moins radicale de résoudre le problème !

C’est l’objet de notre traduction du jour, qui constate au passage que cela se passe pour le moment mieux dans le store Android de Google.

On est en plein dans la problématique d’un billet précédent opposant la liberté à la gratuité. Ce n’est pas le fait que GNU Go soit gratuit qui contrarie Apple. C’est bien qu’il soit libre. Libre d’échapper au contrôle et aux contraintes imposés aux utilisateurs, sachant que c’est justement pour cela qu’il a été créé !

Apple préfère supprimer une application plutôt que s’encombrer d’une licence Open Source

Apple would rather remove app than leave open-source license

Amy Vernon – 11 juin 2010 – NetworkWorld
(Traduction Framalang : Don Rico, Joan et Goofy)


Pourquoi GNU Go a disparu de l’App Store d’iTunes, et pourquoi Apple a tort.


Qu’ils soient gratuits ou payants, ce sont les jeux qui rencontrent le plus grand succès dans les app-stores pour mobiles. Rien de surprenant, donc, que GNU Go, version libre du Go, jeu aussi ancien que populaire, ait été disponible gratuitement sur la boutique en ligne de l’iTunes. Jusqu’à récemment en tout cas.

Sa disparition est le résultat direct d’une plainte de la Free Software Foundation, qui reprochait aux conditions d’utilisation d’Apple d’enfreindre la licence du logiciel.

GNU Go est placé sous licence GPLv2, dont la Section 6 interdit expressément d’ajouter la moindre « restriction supplémentaire » à une licence qui permet à tout un chacun de copier, distribuer ou modifier le logiciel. Mais ce sont précisément les faits reprochés aux conditions d’utilisation de l’App Store, qui restreignent les supports sur lesquels on peut installer le programme.

La FSF a envoyé un courrier à Apple pour demander à l’entreprise de permettre à GNU Go (et toute autre application sous licence GPL) d’être distribuée en respectant les termes non-restrictifs de la licence, mais Apple a préféré retirer l’application.

Je me suis donc demandé quelle était la politique de Google concernant son app-store Android. Le charabia juridique a manqué me donner la migraine, mais après plusieurs lectures, il semblerait qu’un simple extrait des conditions d’utilisation de Google élimine ce problème (c’est moi qui souligne) :

10.2 Vous n’êtes autorisé (et vous ne pouvez autoriser quiconque) à copier, modifier, créer une œuvre dérivée, pratiquer de l’ingénierie inverse, décompiler ou tenter de quelque façon que ce soit d’extraire le code source du Logiciel ou toute partie dudit Logiciel, sauf si cela est expressément autorisé ou requis par la loi, ou sauf si Google vous en donne l’autorisation expresse par écrit.

Dans l’ensemble, les conditions d’utilisation de Google semblent aussi restrictives que celles d’Apple. Et on n’a probablement pas fini d’avoir de mauvaises surprises en examinant le copyright et la licence. Mais au détour de ce petit bout de phrase, voici au fond ce que dit Google : « Oh là ! Si la licence de ce logiciel dit que tu peux en faire ce que tu veux, vas-y. Sinon, pas touche ! »

Voilà la formule magique. C’est elle qui permet à Google de protéger ses produits sous copyright et ceux de ses développeurs, mais qui permet également aux logiciels d’être diffusés dans la licence de leur choix.

Apple a le droit le plus absolu de règlementer les applications en vente ou téléchargées sur son App Store. Mais l’entreprise outrepasse ses droits si elle impose des restrictions plus importantes à l’usage d’un logiciel. Bon d’accord, peut-être que légalement, l’entreprise est juste dans son droit, il n’empêche que ce n’est pas…juste.

J’aimerais croire que la formulation choisie par Google est la conséquence directe de la nature open source d’Android et de l’investissement de l’entreprise dans le monde de l’open source. Mais je suis perplexe quand je vois qu’Apple, tout populaire qu’il soit parmi les utilisateurs et défenseurs de l’open source, ne se donne pas la peine d’une simple rectification qui permettrait aux applications libres et open source d’être diffusées partout dans les mêmes conditions.

C’est juste une petite décision à prendre. Mais c’est une décision juste.

Notes

[1] Crédit photo : Annia316 (Creative Commons By)




Et l’homme créa la vie… mais déposa un brevet dans la foulée

Liber - CC by-saGrande première : des chercheurs américains sont récemment parvenus à créer une cellule bactérienne vivante dont le génome est synthétique.

Il n’en fallait pas plus pour que la presse vulgarise l’évènement en nous posant cette spectaculaire question : et si l’homme venait de créer la vie ?

C’est aller un peu vite en besogne nous précise le célèbre scientifique français Joël de Rosnay : « Craig Venter, l’auteur de la fameuse publication dans Science, n’a pas créé la vie, il a fait un copier coller du génome d’une bactérie qui existe dans la nature ». Mais il reconnaît cependant que « c’est la première fois qu’un être vivant n’a pas d’ancêtre, qu’il a pour père un ordinateur ».

Nous voici donc en présence d’un être vivant dont le père serait partiellement un ordinateur. Or qui manipule cet ordinateur ? Craig Venter et son équipe, et si l’homme est avant tout un biologiste c’est également un homme d’affaire, ce ne sont pas des fonds publics mais privés qui financent ses recherches. Ainsi Le Monde nous révèle que « Venter, qui aurait déjà investi 40 millions de dollars dans ce projet, a déposé un portefeuille de brevets pour protéger son concept de Mycoplasma laboratorium, hypothétique machine à tout faire des biotechnologies ».

Une vie qui n’est alors qu’information et données entrées dans un ordinateur mais dont l’exploitation et l’accès sont strictement contrôlés et réservés aux entreprises qui l’ont enfantée. Cela ressemble à de la mauvaise science-fiction. C’est pourtant peut-être le monde qui nous attend demain. Et l’Apocalypse arrivera plus tôt que prévu[1].

Sauf si… sauf si on insuffle là aussi un peu d’esprit « open source », nous dit cet article du The Economist traduit ci-dessous.

Avoir ou non la possibilité de « hacker la vie », telle sera l’une des questions fondamentales de ce siècle.

Et l’homme créa la vie…

And man made life

20 mai 2010 – The Economist Newspaper
(Traduction Framalang : Martin, Olivier et Don Rico)

La vie artificielle, porteuse de rêves et de cauchemars, est arrivée.

Créer la vie est la prérogative des dieux. Au plus profond de sa psyché, malgré les conclusions rationnelles de la physique et de la chimie, l’homme a le sentiment qu’il en est autrement pour la biologie, qu’elle est plus qu’une somme d’atomes en mouvement et en interaction les uns avec les autres, d’une façon ou d’une autre insufflée d’une étincelle divine, d’une essence vitale. Quel choc, alors, d’apprendre que de simples mortels ont réussi à créer la vie de façon artificielle.

Craig Venter et Hamilton Smith, les deux biologistes américains qui en 1995 ont démêlé pour la première fois la séquence d’ADN d’un organisme vivant (une bactérie), ont fabriqué une bactérie qui possède un génome artificiel – en créant une créature vivante sans ascendance (voir article). Les plus tatillons pourraient chipoter sur le fait que c’est seulement l’ADN d’un nouvel organisme qui a été conçu en laboratoire, les chercheurs ayant dû utiliser l’enveloppe d’un microbe existant pour que l’ADN fasse son travail. Néanmoins, le Rubicon a été franchi. Il est désormais possible de concevoir un monde où les bactéries (et à terme des animaux et des plantes) seront conçues sur ordinateur et que l’on développera sur commande.

Cette capacité devrait prouver combien l’Homme maîtrise la nature, de façon plus frappante encore que l’explosion de la première bombe atomique. La bombe, bien que justifiée dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, n’avait qu’une fonction de destruction. La biologie, elle, s’attache à « mettre en culture » et « faire croître ». La biologie synthétique, terme sous lequel on regroupe cette technologie et des tas d’autres moins spectaculaires, est très prometteuse. À court terme, elle devrait permettre d’obtenir de meilleurs médicaments, des récoltes moins gourmandes en eau (voir article), des carburants plus écologiques, et donner une nouvelle jeunesse à l’industrie chimique. À long terme, qui peut bien savoir quels miracles elle pourrait permettre d’accomplir ?

Dans cette perspective, la vie artificielle semble être une chose merveilleuse. Pourtant, nombreux sont ceux qui verront cette annonce d’un mauvais œil. Pour certains, ces manipulations relèveront plus de la falsification que de la création. Les scientifiques n’auraient-ils plus les pieds sur terre ? Leur folie conduira-t-elle à l’Apocalypse ? Quels monstres sortiront des éprouvettes des laboratoires ?

Ces questionnements ne sont pas infondés et méritent réflexion, même au sein de ce journal, qui de manière générale accueille les progrès scientifiques avec enthousiasme. La nouvelle science biologique a en effet le potentiel de faire autant de mal que de bien. « Prédateur » et « maladie » appartiennent autant au champ lexical du biologiste que « mettre en culture » et « faire croître ». Mais pour le meilleur et pour le pire, nous y voilà. Créer la vie n’est désormais plus le privilège des dieux.

Enfants d’un dieu mineur

Il est encore loin le temps où concevoir des formes de vie sur un ordinateur constituera un acte biologique banal, mais on y viendra. Au cours de la décennie qui a vu le développement du Projet Génome Humain, deux progrès qui lui sont liés ont rendu cet événement presque inévitable. Le premier est l’accélération phénoménale de la vitesse, et la chute du coût, du séquençage de l’ADN qui détient la clé du « logiciel » naturel de la vie. Ce qui par le passé prenait des années et coûtait des millions prend maintenant quelques jours et coûte dix fois moins. Les bases de données se remplissent de toutes sortes de génomes, du plus petit virus au plus grand des arbres.

Ces génomes sont la matière première de la biologie synthétique. Tout d’abord, ils permettront de comprendre les rouages de la biologie, et ce jusqu’au niveau atomique. Ces rouages pourront alors êtres simulés dans des logiciels afin que les biologistes soient en mesure de créer de nouvelles constellations de gènes, en supposant sans grand risque de se tromper qu’elles auront un comportement prévisible. Deuxièmement, les bases de données génomiques sont de grands entrepôts dans lesquels les biologistes synthétiques peuvent piocher à volonté.

Viendront ensuite les synthèses plus rapides et moins coûteuses de l’ADN. Ce domaine est en retard de quelques années sur l’analyse génomique, mais il prend la même direction. Il sera donc bientôt à la portée de presque tout le monde de fabriquer de l’ADN à la demande et de s’essayer à la biologie synthétique.

C’est positif, mais dans certaines limites. L’innovation se porte mieux quand elle est ouverte à tous. Plus les idées sont nombreuses, plus la probabilité est élevée que certaines porteront leurs fruits. Hélas, il est inévitable que certaines de ces idées seront motivées par une intention de nuire. Et le problème que posent les inventions biologiques nuisibles, c’est que contrairement aux armes ou aux explosifs par exemple, une fois libérées dans la nature, elles peuvent proliférer sans aide extérieure.

La biologie, un monde à part

Le club informatique Home Brew a été le tremplin de Steve Jobs et d’Apple, mais d’autres entreprises ont créé des milliers de virus informatiques. Que se passerait-il si un club similaire, actif dans le domaine de la biologie synthétique, libérait par mégarde une bactérie nocive ou un véritable virus ? Imaginez qu’un terroriste le fasse délibérément…

Le risque de créer quelque chose de néfaste par accident est sans doute faible. La plupart des bactéries optent pour la solution de facilité et s’installent dans de la matière organique déjà morte. Celle-ci ne se défend pas, les hôtes vivants, si. Créer délibérément un organisme nuisible, que le créateur soit un adolescent, un terroriste ou un État-voyou, c’est une autre histoire. Personne ne sait avec quelle facilité on pourrait doper un agent pathogène humain, ou en choisir un qui infecte un certain type d’animal et l’aider à passer d’une espèce à une autre. Nous ne tarderons toutefois pas à le découvrir.

Difficile de savoir comment répondre à une telle menace. Le réflexe de restreindre et de bannir a déjà prouvé son efficacité (tout en restant loin d’être parfait) pour les armes biologiques plus traditionnelles. Mais celles-ci étaient aux mains d’états. L’omniprésence des virus informatiques montre ce qu’il peut se produire lorsque la technologie touche le grand public.

Les observateurs de la biologie synthétique les plus sensés favorisent une approche différente : l’ouverture. C’est une manière d’éviter de restreindre le bon dans un effort tardif de contrer le mal. Le savoir ne se perd pas, aussi le meilleur moyen de se défendre est-il de disposer du plus d’alliés possible. Ainsi, lorsqu’un problème se présente, on peut rapidement obtenir une réponse. Si l’on peut créer des agents pathogènes sur ordinateur, il en va de même pour les vaccins. Et à l’instar des logiciels open source qui permettent aux « gentils sorciers » de l’informatique de lutter contre les « sorciers maléfiques » (NdT : white hats vs black hats), la biologie open source encouragerait les généticiens œuvrant pour le bien.

La réglementation et, surtout, une grande vigilance seront toujours nécessaires. La veille médicale est déjà complexe lorsque les maladies sont d’origine naturelle. Dans le cas le la biologie synthétique, la surveillance doit être redoublée et coordonnée. Alors, que le problème soit naturel ou artificiel, on pourra le résoudre grâce à toute la puissance de la biologie synthétique. Il faut encourager le bon à se montrer plus malin que le mauvais et, avec un peu de chance, on évitera l’Apocalypse.

Notes

[1] Crédit photo : Liber (Creative Commons By-Sa)