« Va te faire foutre, Twitter ! » dit Aral Balkan

Avec un ton acerbe contre les géants du numérique, Aral Balkan nourrit depuis plusieurs années une analyse lucide et sans concession du capitalisme de surveillance. Nous avons maintes fois publié des traductions de ses diatribes.

Ce qui fait la particularité de ce nouvel article, c’est qu’au-delà de l’adieu à Twitter, il retrace les étapes de son cheminement.

Sa trajectoire est mouvementée, depuis l’époque où il croyait (« quel idiot j’étais ») qu’il suffisait d’améliorer le système. Il revient donc également sur ses années de lutte contre les plateformes prédatrices et les startups .

Il explique quelle nouvelle voie constructive il a adoptée ces derniers temps, jusqu’à la conviction qu’il faut d’urgence « construire l’infrastructure technologique alternative qui sera possédée et contrôlée par des individus, pas par des entreprises ou des gouvernements ». Dans cette perspective, le Fediverse a un rôle important à jouer selon lui.

Article original : Hell Site

Traduction Framalang : Aliénor, Fabrice, goofy, Susy, Wisi_eu

Le site de l’enfer

par Aral Balkan

Sur le Fédiverse, ils ont un terme pour Twitter.
Ils l’appellent « le site de l’enfer ».
C’est très approprié.

Lorsque je m’y suis inscrit, il y a environ 15 ans, vers fin 2006, c’était un espace très différent. Un espace modeste, pas géré par des algorithmes, où on pouvait mener des discussions de groupe avec ses amis.
Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que Twitter, Inc. était une start-up financée avec du capital risque.
Même si j’avais su, ça n’aurait rien changé, vu que je n’avais aucune idée sur le financement ou les modèles commerciaux. Je pensais que tout le monde dans la tech essayait simplement de fabriquer les nouvelles choses du quotidien pour améliorer la vie des gens.

Même six ans après, en 2012, j’en étais encore à me concentrer sur l’amélioration de l’expérience des utilisateurs avec le système actuel :

« Les objets ont de la valeur non par ce qu’ils sont, mais par ce qu’ils nous permettent de faire. Et, en tant que personnes qui fabriquons des objets, nous avons une lourde responsabilité. La responsabilité de ne pas tenir pour acquis le temps limité dont chacun d’entre nous dispose en ce monde. La responsabilité de rendre ce temps aussi beau, aussi confortable, aussi indolore, aussi exaltant et aussi agréable que possible à travers les expériences que nous créons.
Parce que c’est tout ce qui compte.
Et il ne tient qu’à nous de le rendre meilleur. »
– C’est tout ce qui compte.

C’est tout ce qui compte.

Quel idiot j’étais, pas vrai ?
Vous pouvez prendre autant de temps que nécessaire pour me montrer du doigt et ricaner.
Ok, c’est fait ? Continuons…

Privilège est simplement un autre mot pour dire qu’on s’en fiche

À cette époque, je tenais pour acquis que le système en général est globalement bon. Ou du moins je ne pensais pas qu’il était activement mauvais 1.
Bien sûr, j’étais dans les rues à Londres, avec des centaines de milliers de personnes manifestant contre la guerre imminente en Irak. Et bien sûr, j’avais conscience que nous vivions dans une société inégale, injuste, raciste, sexiste et classiste (j’ai étudié la théorie critique des médias pendant quatre ans, du coup j’avais du Chomsky qui me sortait de partout), mais je pensais, je ne sais comment, que la tech existait en dehors de cette sphère. Enfin, s’il m’arrivait de penser tout court.

Ce qui veut clairement dire que les choses n’allaient pas assez mal pour m’affecter personnellement à un point où je ressentais le besoin de me renseigner à ce sujet. Et ça, tu sais, c’est ce qu’on appelle privilège.
Il est vrai que ça me faisait bizarre quand l’une de ces start-ups faisait quelque chose qui n’était pas dans notre intérêt. Mais ils nous ont dit qu’ils avaient fait une erreur et se sont excusés alors nous les avons crus. Pendant un certain temps. Jusqu’à ce que ça devienne impossible.

Et, vous savez quoi, j’étais juste en train de faire des « trucs cools » qui « améliorent la vie des gens », d’abord en Flash puis pour l’IPhone et l’IPad…
Mais je vais trop vite.
Retournons au moment où j’étais complètement ignorant des modèles commerciaux et du capital risque. Hum, si ça se trouve, vous en êtes à ce point-là aujourd’hui. Il n’y a pas de honte à avoir. Alors écoutez bien, voici le problème avec le capital risque.

Ce qui se passe dans le Capital Risque reste dans le Capital Risque

Le capital risque est un jeu de roulette dont les enjeux sont importants, et la Silicon Valley en est le casino.
Un capital risqueur va investir, disons, 5 millions de dollars dans dix start-ups tout en sachant pertinemment que neuf d’entre elles vont échouer. Ce dont a besoin ce monsieur (c’est presque toujours un « monsieur »), c’est que celle qui reste soit une licorne qui vaudra des milliards. Et il (c’est presque toujours il) n’investit pas son propre argent non plus. Il investit l’argent des autres. Et ces personnes veulent récupérer 5 à 10 fois plus d’argent, parce que ce jeu de roulette est très risqué.

Alors, comment une start-up devient-elle une licorne ? Eh bien, il y a un modèle commercial testé sur le terrain qui est connu pour fonctionner : l’exploitation des personnes.

Voici comment ça fonctionne:

1. Rendez les gens accros

Offrez votre service gratuitement à vos « utilisateurs » et essayez de rendre dépendants à votre produit le plus de gens possible.
Pourquoi?
Parce qu’il vous faut croître de manière exponentielle pour obtenir l’effet de réseau, et vous avez besoin de l’effet de réseau pour enfermer les gens que vous avez attirés au début.
Bon dieu, des gens très importants ont même écrit des guides pratiques très vendus sur cette étape, comme Hooked : comment créer un produit ou un service qui ancre des habitudes.
Voilà comment la Silicon Valley pense à vous.

2. Exploitez-les

Collectez autant de données personnelles que possible sur les gens.
Pistez-les sur votre application, sur toute la toile et même dans l’espace physique, pour créer des profils détaillés de leurs comportements. Utilisez cet aperçu intime de leurs vies pour essayer de les comprendre, de les prédire et de les manipuler.
Monétisez tout ça auprès de vos clients réels, qui vous paient pour ce service.
C’est ce que certains appellent le Big Data, et que d’autres appellent le capitalisme de surveillance.

3. Quittez la scène (vendez)

Une start-up est une affaire temporaire, dont le but du jeu est de se vendre à une start-up en meilleure santé ou à une entreprise existante de la Big Tech, ou au public par le biais d’une introduction en Bourse.
Si vous êtes arrivé jusque-là, félicitations. Vous pourriez fort bien devenir le prochain crétin milliardaire et philanthrope en Bitcoin de la Silicon Valley.
De nombreuses start-ups échouent à la première étape, mais tant que le capital risque a sa précieuse licorne, ils sont contents.

Des conneries (partie 1)

Je ne savais donc pas que le fait de disposer de capital risque signifiait que Twitter devait connaître une croissance exponentielle et devenir une licorne d’un milliard de dollars. Je n’avais pas non plus saisi que ceux d’entre nous qui l’utilisaient – et contribuaient à son amélioration à ce stade précoce – étaient en fin de compte responsables de son succès. Nous avons été trompés. Du moins, je l’ai été et je suis sûr que je ne suis pas le seul à ressentir cela.

Tout cela pour dire que Twitter était bien destiné à devenir le Twitter qu’il est aujourd’hui dès son premier « investissement providentiel » au tout début.
C’est ainsi que se déroule le jeu du capital risque et des licornes dans la Silicon Valley. Voilà ce que c’est. Et c’est tout ce à quoi j’ai consacré mes huit dernières années : sensibiliser, protéger les gens et construire des alternatives à ce modèle.

Voici quelques enregistrements de mes conférences datant de cette période, vous pouvez regarder :

Dans le cadre de la partie « sensibilisation », j’essayais également d’utiliser des plateformes comme Twitter et Facebook à contre-courant.
Comme je l’ai écrit dans Spyware vs Spyware en 2014 : « Nous devons utiliser les systèmes existants pour promouvoir nos alternatives, si nos alternatives peuvent exister tout court. » Même pour l’époque, c’était plutôt optimiste, mais une différence cruciale était que Twitter, au moins, n’avait pas de timeline algorithmique.

Les timelines algorithmiques (ou l’enfumage 2.0)

Qu’est-ce qu’une timeline algorithmique ? Essayons de l’expliquer.
Ce que vous pensez qu’il se passe lorsque vous tweetez: « j’ai 44 000 personnes qui me suivent. Quand j’écris quelque chose, 44 000 personnes vont le voir ».
Ce qui se passe vraiment lorsque vous tweetez : votre tweet pourrait atteindre zéro, quinze, quelques centaines, ou quelques milliers de personnes.

Et ça dépend de quoi?
Dieu seul le sait, putain.
(Ou, plus exactement, seul Twitter, Inc. le sait.)

Donc, une timeline algorithmique est une boîte noire qui filtre la réalité et décide de qui voit quoi et quand, sur la base d’un lot de critères complètement arbitraires déterminés par l’entreprise à laquelle elle appartient.
En d’autres termes, une timeline algorithmique est simplement un euphémisme pour parler d’un enfumage de masse socialement acceptable. C’est de l’enfumage 2.0.

L’algorithme est un trouduc

La nature de l’algorithme reflète la nature de l’entreprise qui en est propriétaire et l’a créé.

Étant donné que les entreprises sont sociopathes par nature, il n’est pas surprenant que leurs algorithmes le soient aussi. En bref, les algorithmes d’exploiteurs de personnes comme Twitter et Facebook sont des connards qui remuent la merde et prennent plaisir à provoquer autant de conflits et de controverses que possible.
Hé, qu’attendiez-vous exactement d’un milliardaire qui a pour bio #Bitcoin et d’un autre qui qualifie les personnes qui utilisent sont utilisées par son service de « pauvres cons » ?
Ces salauds se délectent à vous montrer des choses dont ils savent qu’elles vont vous énerver dans l’espoir que vous riposterez. Ils se délectent des retombées qui en résultent. Pourquoi ? Parce que plus il y a d’« engagement » sur la plateforme – plus il y a de clics, plus leurs accros («utilisateurs») y passent du temps – plus leurs sociétés gagnent de l’argent.

Eh bien, ça suffit, merci bien.

Des conneries (partie 2)

Certes je considère important de sensibiliser les gens aux méfaits des grandes entreprises technologiques, et j’ai probablement dit et écrit tout ce qu’il y a à dire sur le sujet au cours des huit dernières années. Rien qu’au cours de cette période, j’ai donné plus d’une centaine de conférences, sans parler des interviews dans la presse écrite, à la radio et à la télévision.
Voici quelques liens vers une poignée d’articles que j’ai écrits sur le sujet au cours de cette période :

Est-ce que ça a servi à quelque chose ?
Je ne sais pas.
J’espère que oui.
J’ai également interpellé d’innombrables personnes chez les capitalistes de la surveillance comme Google et Facebook sur Twitter et – avant mon départ il y a quelques années – sur Facebook, et ailleurs. (Quelqu’un se souvient-il de la fois où j’ai réussi à faire en sorte que Samuel L. Jackson interpelle Eric Schmidt sur le fait que Google exploite les e-mails des gens?) C’était marrant. Mais je m’égare…
Est-ce que tout cela a servi à quelque chose ?
Je ne sais pas.
J’espère que oui.
Mais voici ce que je sais :
Est-ce que dénoncer les gens me rend malheureux ? Oui.
Est-ce que c’est bien ? Non.
Est-ce que j’aime les conflits ? Non.
Alors, trop c’est trop.
Les gens viennent parfois me voir pour me remercier de « parler franchement ». Eh bien, ce « parler franchement » a un prix très élevé. Alors peut-être que certaines de ces personnes peuvent reprendre là où je me suis arrêté. Ou pas. Dans tous les cas, j’en ai fini avec ça.

Dans ta face

Une chose qu’il faut comprendre du capitalisme de surveillance, c’est qu’il s’agit du courant dominant. C’est le modèle dominant. Toutes les grandes entreprises technologiques et les startups en font partie2. Et être exposé à leurs dernières conneries et aux messages hypocrites de personnes qui s’y affilient fièrement tout en prétendant œuvrer pour la justice sociale n’est bon pour la santé mentale de personne.

C’est comme vivre dans une ferme industrielle appartenant à des loups où les partisans les plus bruyants du système sont les poulets qui ont été embauchés comme chefs de ligne.

J’ai passé les huit dernières années, au moins, à répondre à ce genre de choses et à essayer de montrer que la Big Tech et le capitalisme de surveillance ne peuvent pas être réformés.
Et cela me rend malheureux.
J’en ai donc fini de le faire sur des plates-formes dotées d’algorithmes de connards qui s’amusent à m’infliger autant de misère que possible dans l’espoir de m’énerver parce que cela «fait monter les chiffres».

Va te faire foutre, Twitter !
J’en ai fini avec tes conneries.

"fuck twitter" par mowl.eu, licence CC BY-NC-ND 2.0
« fuck twitter » par mowl.eu, licence CC BY-NC-ND 2.0

Et après ?

À bien des égards, cette décision a été prise il y a longtemps. J’ai créé mon propre espace sur le fediverse en utilisant Mastodon il y a plusieurs années et je l’utilise depuis. Si vous n’avez jamais entendu parler du fediverse, imaginez-le de la manière suivante :
Imaginez que vous (ou votre groupe d’amis) possédez votre propre copie de twitter.com. Mais au lieu de twitter.com, le vôtre se trouve sur votre-place.org. Et à la place de Jack Dorsey, c’est vous qui fixez les règles.

Vous n’êtes pas non plus limité à parler aux gens sur votre-place.org.

Je possède également mon propre espace sur mon-espace.org (disons que je suis @moi@mon-espace.org). Je peux te suivre @toi@ton-espace.org et aussi bien @eux@leur.site et @quelquun-dautre@un-autre.espace. Ça marche parce que nous parlons tous un langage commun appelé ActivityPub.
Donc imaginez un monde où il y a des milliers de twitter.com qui peuvent tous communiquer les uns avec les autres et Jack n’a rien à foutre là-dedans.

Eh bien, c’est ça, le Fediverse.
Et si Mastodon n’est qu’un moyen parmi d’autres d’avoir son propre espace dans le Fediverse, joinmastodon.org est un bon endroit pour commencer à se renseigner sur le sujet et mettre pied à l’étrier de façon simple sans avoir besoin de connaissances techniques. Comme je l’ai déjà dit, je suis sur le Fediverse depuis les débuts de Mastodon et j’y copiais déjà manuellement les posts sur Twitter.
Maintenant j’ai automatisé le processus via moa.party et, pour aller de l’avant, je ne vais plus me connecter sur Twitter ou y répondre3.
Vu que mes posts sur Mastodon sont maintenant automatiquement transférés là-bas, vous pouvez toujours l’utiliser pour me suivre, si vous en avez envie. Mais pourquoi ne pas utiliser cette occasion de rejoindre le Fediverse et vous amuser ?

Small is beautiful

Si je pense toujours qu’avoir des bonnes critiques de la Big Tech est essentiel pour peser pour une régulation efficace, je ne sais pas si une régulation efficace est même possible étant donné le niveau de corruption institutionnelle que nous connaissons aujourd’hui (lobbies, politique des chaises musicales, partenariats public-privé, captation de réglementation, etc.)
Ce que je sais, c’est que l’antidote à la Big Tech est la Small Tech.

Nous devons construire l’infrastructure technologique alternative qui sera possédée et contrôlée par des individus, pas par des entreprises ou des gouvernements. C’est un prérequis pour un futur qui respecte la personne humaine, les droits humains, la démocratie et la justice sociale.

Dans le cas contraire, nous serons confrontés à des lendemains sombres où notre seul recours sera de supplier un roi quelconque, de la Silicon Valley ou autre, « s’il vous plaît monseigneur, soyez gentil ».

Je sais aussi que travailler à la construction de telles alternatives me rend heureux alors que désespérer sur l’état du monde ne fait que me rendre profondément malheureux. Je sais que c’est un privilège d’avoir les compétences et l’expérience que j’ai, et que cela me permet de travailler sur de tels projets. Et je compte bien les mettre à contribution du mieux possible.
Pour aller de l’avant, je prévois de concentrer autant que possible de mon temps et de mon énergie à la construction d’un Small Web.

Si vous avez envie d’en parler (ou d’autre chose), vous pouvez me trouver sur le Fediverse.
Vous pouvez aussi discuter avec moi pendant mes live streams S’update et pendant nos live streams Small is beautiful avec Laura.

Des jours meilleurs nous attendent…

Prenez soin de vous.

Portez-vous bien.

Aimez-vous les uns les autres.

 




Les médias sociaux ne sont pas des espaces démocratiques

On peut rêver d’une solution technologique ou juridique pour limiter ou interdire l’utilisation d’un logiciel à des groupes ou personnes qui ne partagent pas les valeurs auxquelles on tient ou pire veulent les détruire.
L’entreprise est bien plus délicate qu’il n’y paraît, y compris pour les réseaux alternatifs décentralisés (ou plutôt acentrés) qu’on regroupe sous le terme de Fediverse. Il ne suffit pas en effet de dire que chaque instance décide de ses propres règles pour se débarrasser des difficultés.

Dans l’article qui suit, Christophe Masutti prend acte de la fin d’une illusion : l’idéal d’un grand espace de communication démocratique, égalitaire et ouvert à tous n’existe pas plus avec les Gafam qu’avec le Fediverse et ses réseaux alternatifs.

Face aux grandes plateformes centralisées de médias sociaux qui ne recherchent nullement à diffuser ou promouvoir le débat démocratique éclairé comme elles le prétendent mais à monétiser le spectacle d’un pseudo-débat, nous sommes confrontées au grand fourre-tout où distinguer le pire du meilleur renvoie chacun à une tâche colossale et indéfiniment renouvelée.

Cependant ce qui change la donne avec le Fediverse, c’est que la question de la fermeture à d’autres ne prend en compte ni le profit ni le facteur nombre : les instances sans objectif lucratif ont leurs qualités et leurs défauts propres, qu’elles aient deux ou deux cent mille utilisatrices. Et selon Christophe, les rapports entre les instances restent à écrire, à la manière dont les rapports variables entre les habitants d’un quartier déterminent leurs rapports individuels et collectifs…

Les médias sociaux ne sont pas des espaces démocratiques

par Christophe Masutti

Lors d’une récente interview avec deux autres framasoftiennes à propos du Fediverse et des réseaux sociaux dits « alternatifs », une question nous fut posée :

dans la mesure où les instances de service de micro-blogging (type Mastodon) ou de vidéo (comme Peertube) peuvent afficher des « lignes éditoriales » très différentes les unes des autres, comment gérer la modération en choisissant de se fédérer ou non avec une instance peuplée de fachos ou comment se comporter vis-à-vis d’une instance communautaire et exclusive qui choisit délibérément de ne pas être fédérée ou très peu ?

De manière assez libérale et pour peu que les conditions d’utilisation du service soient clairement définies dans chaque instance, on peut répondre simplement que la modération demande plus ou moins de travail, que chaque instance est tout à fait libre d’adopter sa propre politique éditoriale, et qu’il s’agit de choix individuels (ceux du propriétaire du serveur qui héberge l’instance) autant que de choix collectifs (si l’hébergeur entretient des relations diplomatiques avec les membres de son instance). C’est une évidence.

La difficulté consistait plutôt à expliquer pourquoi, dans la conception même des logiciels (Mastodon ou Peertube, en l’occurrence) ou dans les clauses de la licence d’utilisation, il n’y a pas de moyen mis en place par l’éditeur du logiciel (Framasoft pour Peertube, par exemple) afin de limiter cette possibilité d’enfermement de communautés d’utilisateurs dans de grandes bulles de filtres en particulier si elles tombent dans l’illégalité. Est-il légitime de faire circuler un logiciel qui permet à ♯lesgens de se réunir et d’échanger dans un entre-soi homogène tout en prétendant que le Fediverse est un dispositif d’ouverture et d’accès égalitaire ?

Une autre façon de poser la question pourrait être la suivante : comment est-il possible qu’un logiciel libre puisse permettre à des fachos d’ouvrir leurs propres instance de microblogging en déversant impunément sur le réseau leurs flots de haine et de frustrations ?1

Bien sûr nous avons répondu à ces questions, mais à mon avis de manière trop vague. C’est qu’en réalité, il y a plusieurs niveaux de compréhension que je vais tâcher de décrire ici.

Il y a trois aspects :

  1. l’éthique du logiciel libre n’inclut pas la destination morale des logiciels libres, tant que la loyauté des usages est respectée, et la première clause des 4 libertés du logiciel libre implique la liberté d’usage : sélectionner les utilisateurs finaux en fonction de leurs orientations politique, sexuelles, etc. contrevient fondamentalement à cette clause…
  2. … mais du point de vue technique, on peut en discuter car la conception du logiciel pourrait permettre de repousser ces limites éthiques2,
  3. et la responsabilité juridique des hébergeurs implique que ces instances fachos sont de toute façon contraintes par l’arsenal juridique adapté ; ce à quoi on pourra toujours rétorquer que cela n’empêche pas les fachos de se réunir dans une cave (mieux : un local poubelle) à l’abri des regards.

Mais est-ce suffisant ? se réfugier derrière une prétendue neutralité de la technique (qui n’est jamais neutre), les limites éthiques ou la loi, ce n’est pas une bonne solution. Il faut se poser la question : que fait-on concrètement non pour interdire certains usages du Fediverse, mais pour en limiter l’impact social négatif ?

La principale réponse, c’est que le modèle économique du Fediverse ne repose pas sur la valorisation lucrative des données, et que se détacher des modèles centralisés implique une remise en question de ce que sont les « réseaux » sociaux. La vocation d’un dispositif technologique comme le Fediverse n’est pas d’éliminer les pensées fascistes et leur expression, pas plus que la vocation des plateformes Twitter et Facebook n’est de diffuser des modèles démocratiques, malgré leur prétention à cet objectif. La démocratie, les échanges d’idées, et de manière générale les interactions sociales ne se décrètent pas par des modèles technologiques, pas plus qu’elles ne s’y résument.

Prétendre le contraire serait les restreindre à des modèles et des choix imposés (et on voit bien que la technique ne peut être neutre). Si Facebook, Twitter et consorts ont la prétention d’être les gardiens de la liberté d’expression, c’est bien davantage pour exploiter les données personnelles à des fins lucratives que pour mettre en place un débat démocratique.

 

Exit le vieux rêve du global village ? En fait, cette vieille idée de Marshall McLuhan ne correspond pas à ce que la plupart des gens en ont retenu. En 1978, lorsque Murray Turoff et Roxanne Hiltz publient The Network Nation, ils conceptualisent vraiment ce qu’on entend par « Communication médiée par ordinateur » : échanges de contenus (volumes et vitesse), communication sociale-émotionnelle (les émoticônes), réduction des distances et isolement, communication synchrone et asynchrone, retombées scientifiques, usages domestiques de la communication en ligne, etc. Récompensés en 1994 par l’EFF Pioneer Award, Murray Turoff et Roxanne Hiltz sont aujourd’hui considérés comme les « parents » des systèmes de forums et de chat massivement utilisés aujourd’hui. Ce qu’on a retenu de leurs travaux, et par la suite des nombreuses applications, c’est que l’avenir du débat démocratique, des processus de décision collective (M. Turoff travaillait pour des institutions publiques) ou de la recherche de consensus, reposent pour l’essentiel sur les technologies de communication. C’est vrai en un sens, mais M. Turoff mettait en garde3 :

Dans la mesure où les communications humaines sont le mécanisme par lequel les valeurs sont transmises, tout changement significatif dans la technologie de cette communication est susceptible de permettre ou même de générer des changements de valeur.

Communiquer avec des ordinateurs, bâtir un système informatisé de communication sociale-émotionnelle ne change pas seulement l’organisation sociale, mais dans la mesure où l’ordinateur se fait de plus en plus le support exclusif des communications (et les prédictions de Turoff s’avéreront très exactes), la communication en réseau fini par déterminer nos valeurs.

Aujourd’hui, communiquer dans un espace unique globalisé, centralisé et ouvert à tous les vents signifie que nous devons nous protéger individuellement contre les atteintes morales et psychiques de celleux qui s’immiscent dans nos échanges. Cela signifie que nos écrits puissent être utilisés et instrumentalisés plus tard à des fins non souhaitées. Cela signifie qu’au lieu du consensus et du débat démocratique nous avons en réalité affaire à des séries de buzz et des cancans. Cela signifie une mise en concurrence farouche entre des contenus discursifs de qualité et de légitimités inégales mais prétendument équivalents, entre une casserole qui braille La donna è mobile et la version Pavarotti, entre une conférence du Collège de France et un historien révisionniste amateur dans sa cuisine, entre des contenus journalistiques et des fake news, entre des débats argumentés et des plateaux-télé nauséabonds.

Tout cela ne relève en aucun cas du consensus et encore moins du débat, mais de l’annulation des chaînes de valeurs (quelles qu’elles soient) au profit d’une mise en concurrence de contenus à des fins lucratives et de captation de l’attention. Le village global est devenu une poubelle globale, et ce n’est pas brillant.


Là où les médias sociaux centralisés impliquaient une ouverture en faveur d’une croissance lucrative du nombre d’utilisateurs, le Fediverse se fout royalement de ce nombre, pourvu qu’il puisse mettre en place des chaînes de confiance.


Dans cette perspective, le Fediverse cherche à inverser la tendance. Non par la technologie (le protocole ActivityPub ou autre), mais par le fait qu’il incite à réfléchir sur la manière dont nous voulons conduire nos débats et donc faire circuler l’information.

On pourrait aussi bien affirmer qu’il est normal de se voir fermer les portes (ou du moins être exclu de fait) d’une instance féministe si on est soi-même un homme, ou d’une instance syndicaliste si on est un patron, ou encore d’une instance d’un parti politique si on est d’un autre parti. C’est un comportement tout à fait normal et éminemment social de faire partie d’un groupe d’affinités, avec ses expériences communes, pour parler de ce qui nous regroupe, d’actions, de stratégies ou simplement un partage d’expériences et de subjectivités, sans que ceux qui n’ont pas les mêmes affinités ou subjectivités puissent s’y joindre. De manière ponctuelle on peut se réunir à l’exclusion d’autre groupes, pour en sortir à titre individuel et rejoindre d’autre groupes encore, plus ouverts, tout comme on peut alterner entre l’intimité d’un salon et un hall de gare.

Dans ce texte paru sur le Framablog, A. Mansoux et R. R. Abbing montrent que le Fediverse est une critique de l’ouverture. Ils ont raison. Là où les médias sociaux centralisés impliquaient une ouverture en faveur d’une croissance lucrative du nombre d’utilisateurs, le Fediverse se fout royalement de ce nombre, pourvu qu’il puisse mettre en place des chaînes de confiance.

Un premier mouvement d’approche consiste à se débarrasser d’une conception complètement biaisée d’Internet qui fait passer cet ensemble de réseaux pour une sorte de substrat technique sur lequel poussent des services ouverts aux publics de manière égalitaire. Évidemment ce n’est pas le cas, et surtout parce que les réseaux ne se ressemblent pas, certains sont privés et chiffrés (surtout dans les milieux professionnels), d’autres restreints, d’autres plus ouverts ou complètement ouverts. Tous dépendent de protocoles bien différents. Et concernant les médias sociaux, il n’y a aucune raison pour qu’une solution technique soit conçue pour empêcher la première forme de modération, à savoir le choix des utilisateurs. Dans la mesure où c’est le propriétaire de l’instance (du serveur) qui reste in fine responsable des contenus, il est bien normal qu’il puisse maîtriser l’effort de modération qui lui incombe. Depuis les années 1980 et les groupes usenet, les réseaux sociaux se sont toujours définis selon des groupes d’affinités et des règles de modération clairement énoncées.

À l’inverse, avec des conditions générales d’utilisation le plus souvent obscures ou déloyales, les services centralisés tels Twitter, Youtube ou Facebook ont un modèle économique tel qu’il leur est nécessaire de drainer un maximum d’utilisateurs. En déléguant le choix de filtrage à chaque utilisateur, ces médias sociaux ont proposé une représentation faussée de leurs services :

  1. Faire croire que c’est à chaque utilisateur de choisir les contenus qu’il veut voir alors que le système repose sur l’économie de l’attention et donc sur la multiplication de contenus marchands (la publicité) et la mise en concurrence de contenus censés capter l’attention. Ces contenus sont ceux qui totalisent plus ou moins d’audience selon les orientations initiales de l’utilisateur. Ainsi on se voit proposer des contenus qui ne correspondent pas forcément à nos goûts mais qui captent notre attention parce de leur nature attrayante ou choquante provoquent des émotions.
  2. Faire croire qu’ils sont des espaces démocratiques. Ils réduisent la démocratie à la seule idée d’expression libre de chacun (lorsque Trump s’est fait virer de Facebook les politiques se sont sentis outragés… comme si Facebook était un espace public, alors qu’il s’agit d’une entreprise privée).

Les médias sociaux mainstream sont tout sauf des espaces où serait censée s’exercer la démocratie bien qu’ils aient été considérés comme tels, dans une sorte de confusion entre le brouhaha débridé des contenus et la liberté d’expression. Lors du « printemps arabe » de 2010, par exemple, on peut dire que les révoltes ont beaucoup reposé sur la capacité des réseaux sociaux à faire circuler l’information. Mais il a suffi aux gouvernements de censurer les accès à ces services centralisés pour brider les révolutions. Ils se servent encore aujourd’hui de cette censure pour mener des négociations diplomatiques qui tantôt cherchent à attirer l’attention pour obtenir des avantages auprès des puissances hégémoniques tout en prenant la « démocratie » en otage, et tantôt obligent les GAFAM à se plier à la censure tout en facilitant la répression. La collaboration est le sport collectif des GAFAM. En Turquie, Amnesty International s’en inquiète et les exemples concrets ne manquent pas comme au Vietnam récemment.

Si les médias sociaux comme Twitter et Facebook sont devenus des leviers politiques, c’est justement parce qu’ils se sont présentés comme des supports technologiques à la démocratie. Car tout dépend aussi de ce qu’on entend par « démocratie ». Un mot largement privé de son sens initial comme le montre si bien F. Dupuis-Déri4. Toujours est-il que, de manière très réductrice, on tient pour acquis qu’une démocratie s’exerce selon deux conditions : que l’information circule et que le débat public soit possible.

Même en réduisant la démocratie au schéma techno-structurel que lui imposent les acteurs hégémoniques des médias sociaux, la question est de savoir s’il permettent la conjonction de ces conditions. La réponse est non. Ce n’est pas leur raison d’être.

Alors qu’Internet et le Web ont été élaborés au départ pour être des dispositifs égalitaires en émission et réception de pair à pair, la centralisation des accès soumet l’émission aux conditions de l’hébergeur du service. Là où ce dernier pourrait se contenter d’un modèle marchand basique consistant à faire payer l’accès et relayer à l’aveugle les contenus (ce que fait La Poste, encadrée par la loi sur les postes et télécommunications), la salubrité et la fiabilité du service sont fragilisés par la responsabilisation de l’hébergeur par rapport à ces contenus et la nécessité pour l’hébergeur à adopter un modèle économique de rentabilité qui repose sur la captation des données des utilisateurs à des fins de marketing pour prétendre à une prétendue gratuité du service5. Cela implique que les contenus échangés ne sont et ne seront jamais indépendants de toute forme de censure unilatéralement décidée (quoi qu’en pensent les politiques qui entendent légiférer sur l’emploi des dispositifs qui relèveront toujours de la propriété privée), et jamais indépendants des impératifs financiers qui justifient l’économie de surveillance, les atteintes à notre vie privée et le formatage comportemental qui en découlent.

Paradoxalement, le rêve d’un espace public ouvert est tout aussi inatteignable pour les médias sociaux dits « alternatifs », où pour des raisons de responsabilité légale et de choix de politique éditoriale, chaque instance met en place des règles de modération qui pourront toujours être considérées par les utilisateurs comme abusives ou au moins discutables. La différence, c’est que sur des réseaux comme le Fediverse (ou les instances usenet qui reposent sur NNTP), le modèle économique n’est pas celui de l’exploitation lucrative des données et n’enferme pas l’utilisateur sur une instance en particulier. Il est aussi possible d’ouvrir sa propre instance à soi, être le seul utilisateur, et néanmoins se fédérer avec les autres.

De même sur chaque instance, les règles d’usage pourraient être discutées à tout moment entre les utilisateurs et les responsables de l’instance, de manière à créer des consensus. En somme, le Fediverse permet le débat, même s’il est restreint à une communauté d’utilisateurs, là où la centralisation ne fait qu’imposer un état de fait tout en tâchant d’y soumettre le plus grand nombre. Mais dans un pays comme le Vietnam où l’essentiel du trafic Internet passe par Facebook, les utilisateurs ont-ils vraiment le choix ?

Ce sont bien la centralisation et l’exploitation des données qui font des réseaux sociaux comme Facebook, YouTube et Twitter des instruments extrêmement sensibles à la censure d’État, au service des gouvernements totalitaires, et parties prenantes du fascisme néolibéral.

L’affaire Cambridge Analytica a bien montré combien le débat démocratique sur les médias sociaux relève de l’imaginaire, au contraire fortement soumis aux effets de fragmentation discursive. Avant de nous demander quelles idéologies elles permettent de véhiculer nous devons interroger l’idéologie des GAFAM. Ce que je soutiens, c’est que la structure même des services des GAFAM ne permet de véhiculer vers les masses que des idéologies qui correspondent à leurs modèles économiques, c’est-à-dire compatibles avec le profit néolibéral.

En reprenant des méthodes d’analyse des années 1970-80, le marketing psychographique et la socio-démographie6, Cambridge Analytica illustre parfaitement les trente dernières années de perfectionnement de l’analyse des données comportementales des individus en utilisant le big data. Ce qui intéresse le marketing, ce ne sont plus les causes, les déterminants des choix des individus, mais la possibilité de prédire ces choix, peu importent les causes. La différence, c’est que lorsqu’on applique ces principes, on segmente la population par stéréotypage dont la granularité est d’autant plus fine que vous disposez d’un maximum de données. Si vous voulez influencer une décision, dans un milieu où il est possible à la fois de pomper des données et d’en injecter (dans les médias sociaux, donc), il suffit de voir quels sont les paramètres à changer. À l’échelle de millions d’individus, changer le cours d’une élection présidentielle devient tout à fait possible derrière un écran.

Trump at hospital - Public domain. Source : White House

C’est la raison pour laquelle les politiques du moment ont surréagi face au bannissement de Trump des plateformes comme Twitter et Facebook (voir ici ou ). Si ces plateformes ont le pouvoir de faire taire le président des États-Unis, c’est que leur capacité de caisse de résonance accrédite l’idée qu’elles sont les principaux espaces médiatiques réellement utiles aux démarches électoralistes. En effet, nulle part ailleurs il n’est possible de s’adresser en masse, simultanément et de manière segmentée (ciblée) aux populations. Ce faisant, le discours politique ne s’adresse plus à des groupes d’affinité (un parti parle à ses sympathisants), il ne cherche pas le consensus dans un espace censé servir d’agora géante où aurait lieu le débat public. Rien de tout cela. Le discours politique s’adresse désormais et en permanence à chaque segment électoral de manière assez fragmentée pour que chacun puisse y trouver ce qu’il désire, orienter et conforter ses choix en fonction de ce que les algorithmes qui scandent les contenus pourront présenter (ou pas). Dans cette dynamique, seul un trumpisme ultra-libéral pourra triompher, nulle place pour un débat démocratique, seules triomphent les polémiques, la démagogie réactionnaire et ce que les gauches ont tant de mal à identifier7 : le fascisme.

Face à cela, et sans préjuger de ce qu’il deviendra, le Fediverse propose une porte de sortie sans toutefois remettre au goût du jour les vieilles représentations du village global. J’aime à le voir comme une multiplication d’espaces (d’instances) plus où moins clos (ou plus ou moins ouverts, c’est selon) mais fortement identifiés et qui s’affirment les uns par rapport aux autres, dans leurs différences ou leurs ressemblances, en somme dans leurs diversités.

C’est justement cette diversité qui est à la base du débat et de la recherche de consensus, mais sans en constituer l’alpha et l’oméga. Les instances du Fediverse, sont des espaces communs d’immeubles qui communiquent entre eux, ou pas, ni plus ni moins. Ils sont des lieux où l’on se regroupe et où peuvent se bâtir des collectifs éphémères ou non. Ils sont les supports utilitaires où des pratiques d’interlocution non-concurrentielles peuvent s’accomplir et s’inventer : microblog, blog, organiseur d’événement, partage de vidéo, partage de contenus audio, et toute application dont l’objectif consiste à outiller la liberté d’expression et non la remplacer.

Angélisme ? Peut-être. En tout cas, c’est ma manière de voir le Fediverse aujourd’hui. L’avenir nous dira ce que les utilisateurs en feront.

 

 


  1. On peut se référer au passage de la plateforme suprémaciste Gab aux réseaux du Fediverse, mais qui finalement fut bloquée par la plupart des instances du réseau.
  2. Par exemple, sans remplacer les outils de modération par du machine learning plus ou moins efficace, on peut rendre visible davantage les procédures de reports de contenus haineux, mais à condition d’avoir une équipe de modérateurs prête à réceptionner le flux : les limites deviennent humaines.
  3. Turoff, Murray, and Starr Roxane Hiltz. 1994. The Network Nation: Human Communication via Computer. Cambridge: MIT Press, p. 401.
  4. Dupuis-Déri, Francis. Démocratie, histoire politique d’un mot: aux États-Unis et en France. Montréal (Québec), Canada: Lux, 2013.
  5. Et même si le service était payant, l’adhésion supposerait un consentement autrement plus poussé à l’exploitation des données personnelles sous prétexte d’une qualité de service et d’un meilleur ciblage marketing ou de propagande. Pire encore s’il disposait d’une offre premium ou de niveaux d’abonnements qui segmenteraient encore davantage les utilisateurs.
  6. J’en parlerai dans un article à venir au sujet du courtage de données et de la société Acxiom.
  7. …pas faute d’en connaître les symptômes depuis longtemps. Comme ce texte de Jacques Ellul paru dans la revue Esprit en 1937, intitulé « Le fascisme fils du libéralisme », dont voici un extrait : « [Le fascisme] s’adresse au sentiment et non à l’intelligence, il n’est pas un effort vers un ordre réel mais vers un ordre fictif de la réalité. Il est précédé par tout un courant de tendances vers le fascisme : dans tous les pays nous retrouvons ces mesures de police et de violence, ce désir de restreindre les droits du parlement au profit du gouvernement, décrets-lois et pleins pouvoirs, affolement systématique obtenu par une lente pression des journaux sur la mentalité courante, attaques contre tout ce qui est pensée dissidente et expression de cette pensée, limitation de liberté de parole et de droit de réunion, restriction du droit de grève et de manifester, etc. Toutes ces mesures de fait constituent déjà le fascisme. ».



Détruire le capitalisme de surveillance (3)

Voici une troisième partie de l’essai que consacre Cory Doctorow au capitalisme de surveillance (parcourir sur le blog les épisodes précédents – parcourir les trois premiers épisodes en PDF : doctorow-1-2-3). Il s’attache ici à démonter les mécanismes utilisés par les Gafam pour lutter contre nos facultés à échapper aux messages publicitaires, mais aussi pour faire croire aux publicitaires que leurs techniques sont magiquement efficaces. Il insiste également sur la quasi-impunité dont bénéficient jusqu’à présent les géants de la Tech…

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Traduction Framalang :  Claire, Fabrice, Gangsoleil, Goofy, Jums, Laure, Retrodev

Si les données sont le nouvel or noir, alors les forages du capitalisme de surveillance ont des fuites

par Cory Doctorow

La faculté d’adaptation des internautes explique l’une des caractéristiques les plus alarmantes du capitalisme de surveillance : son insatiable appétit de données et l’expansion infinie de sa capacité à collecter des données au travers de la diffusion de capteurs, de la surveillance en ligne, et de l’acquisition de flux de données de tiers.

Zuboff étudie ce phénomène et conclut que les données doivent valoir très cher si le capitalisme de surveillance en est aussi friand (selon ses termes : « Tout comme le capitalisme industriel était motivé par l’intensification continue des moyens de production, le capitalisme de surveillance et ses acteurs sont maintenant enfermés dans l’intensification continue des moyens de modification comportementale et dans la collecte des instruments de pouvoir. »). Et si cet appétit vorace venait du fait que ces données ont une demi-vie très courte, puisque les gens s’habituent très vite aux nouvelles techniques de persuasion fondées sur les données au point que les entreprises sont engagées dans un bras de fer sans fin avec notre système limbique ? Et si c’était une course de la Reine rouge d’Alice dans laquelle il faut courir de plus en plus vite collecter de plus en plus de données, pour conserver la même place ?

Bien sûr, toutes les techniques de persuasion des géants de la tech travaillent de concert les unes avec les autres, et la collecte de données est utile au-delà de la simple tromperie comportementale.

Si une personne veut vous recruter pour acheter un réfrigérateur ou participer à un pogrom, elle peut utiliser le profilage et le ciblage pour envoyer des messages à des gens avec lesquels elle estime avoir de bonnes perspectives commerciales. Ces messages eux-mêmes peuvent être mensongers et promouvoir des thèmes que vous ne connaissez pas bien (la sécurité alimentaire, l’efficacité énergétique, l’eugénisme ou des affirmations historiques sur la supériorité raciale). Elle peut recourir à l’optimisation des moteurs de recherche ou à des armées de faux critiques et commentateurs ou bien encore au placement payant pour dominer le discours afin que toute recherche d’informations complémentaires vous ramène à ses messages. Enfin, elle peut affiner les différents discours en utilisant l’apprentissage machine et d’autres techniques afin de déterminer quel type de discours convient le mieux à quelqu’un comme vous.

Chacune des phases de ce processus bénéficie de la surveillance : plus ils possèdent de données sur vous, plus leur profilage est précis et plus ils peuvent vous cibler avec des messages spécifiques. Pensez à la façon dont vous vendriez un réfrigérateur si vous saviez que la garantie de celui de votre client potentiel venait d’expirer et qu’il allait percevoir un remboursement d’impôts le mois suivant.

De plus, plus ils ont de données, mieux ils peuvent élaborer des messages trompeurs. Si je sais que vous aimez la généalogie, je n’essaierai pas de vous refourguer des thèses pseudo-scientifiques sur les différences génétiques entre les « races », et je m’en tiendrai plutôt aux conspirationnistes habituels du « grand remplacement ».

Facebook vous aide aussi à localiser les gens qui ont les mêmes opinions odieuses ou antisociales que vous. Il permet de trouver d’autres personnes avec qui porter des torches enflammées dans les rues de Charlottesville déguisé en Confédéré. Il peut vous aider à trouver d’autres personnes qui veulent rejoindre votre milice et aller à la frontière pour terroriser les migrants illégaux. Il peut vous aider à trouver d’autres personnes qui pensent aussi que les vaccins sont un poison et que la Terre est plate.

La publicité ciblée profite en réalité uniquement à ceux qui défendent des causes socialement inacceptables car elle est invisible. Le racisme est présent sur toute la planète, et il y a peu d’endroits où les racistes, et seulement eux, se réunissent. C’est une situation similaire à celle de la vente de réfrigérateurs là où les clients potentiels sont dispersés géographiquement, et où il y a peu d’endroits où vous pouvez acheter un encart publicitaire qui sera principalement vu par des acheteurs de frigo. Mais acheter un frigo est acceptable socialement, tandis qu’être un nazi ne l’est pas, donc quand vous achetez un panneau publicitaire ou quand vous faites de la pub dans la rubrique sports d’un journal pour vendre votre frigo, le seul risque c’est que votre publicité soit vue par beaucoup de gens qui ne veulent pas de frigo, et vous aurez jeté votre argent par la fenêtre.

Mais même si vous vouliez faire de la pub pour votre mouvement nazi sur un panneau publicitaire, à la télé en première partie de soirée ou dans les petites annonces de la rubrique sports, vous auriez du mal à trouver quelqu’un qui serait prêt à vous vendre de l’espace pour votre publicité, en partie parce qu’il ne serait pas d’accord avec vos idées, et aussi parce qu’il aurait peur des retombées négatives (boycott, mauvaise image, etc.) de la part de ceux qui ne partagent pas vos opinions.

Ce problème disparaît avec les publicités ciblées : sur Internet, les encarts de publicité peuvent être personnalisés, ce qui veut dire que vous pouvez acheter des publicités qui ne seront montrées qu’à ceux qui semblent être des nazis et pas à ceux qui les haïssent. Quand un slogan raciste est diffusé à quelqu’un qui hait le racisme, il en résulte certaines conséquences, et la plateforme ou la publication peut faire l’objet d’une dénonciation publique ou privée de la part de personnes outrées. Mais la nature des risques encourus par l’acheteur de publicités en ligne est bien différente des risques encourus par un éditeur ou un propriétaire de panneaux publicitaires classiques qui pourrait vouloir publier une pub nazie.

Les publicités en ligne sont placées par des algorithmes qui servent d’intermédiaires entre un écosystème diversifié de plateformes publicitaires en libre-service où chacun peut acheter une annonce. Ainsi, les slogans nazis qui s’immiscent sur votre site web préféré ne doivent pas être vus comme une atteinte à la morale mais plutôt comme le raté d’un fournisseur de publicité lointain. Lorsqu’un éditeur reçoit une plainte pour une publicité gênante diffusée sur un de ses sites, il peut engager une procédure pour bloquer la diffusion de cette publicité. Mais les nazis pourraient acheter une publicité légèrement différente auprès d’un autre intermédiaire qui diffuse aussi sur ce site. Quoi qu’il en soit, les internautes comprennent de plus en plus que quand une publicité s’affiche sur leur écran, il est probable que l’annonceur n’a pas choisi l’éditeur du site et que l’éditeur n’a pas la moindre idée de qui sont ses annonceurs.
Ces couches d’indétermination entre les annonceurs et les éditeurs tiennent lieu de tampon moral : il y a aujourd’hui un large consensus moral selon lequel les éditeurs ne devraient pas être tenus pour responsables des publicités qui apparaissent sur leurs pages car ils ne choisissent pas directement de les y placer. C’est ainsi que les nazis peuvent surmonter d’importants obstacles pour organiser leur mouvement.

Les données entretiennent une relation complexe avec la domination. La capacité à espionner vos clients peut vous alerter sur leurs préférences pour vos concurrents directs et vous permettre par la même occasion de prendre l’ascendant sur eux.

Mais surtout, si vous pouvez dominer l’espace informationnel tout en collectant des données, alors vous renforcez d’autres stratégies trompeuses, car il devient plus difficile d’échapper à la toile de tromperie que vous tissez. Ce ne sont pas les données elles-mêmes mais la domination, c’est-à-dire le fait d’atteindre, à terme, une position de monopole, qui rend ces stratégies viables, car la domination monopolistique prive votre cible de toute alternative.

Si vous êtes un nazi qui veut s’assurer que ses cibles voient en priorité des informations trompeuses, qui vont se confirmer à mesure que les recherches se poursuivent, vous pouvez améliorer vos chances en leur suggérant des mots-clefs à travers vos communications initiales. Vous n’avez pas besoin de vous positionner sur les dix premiers résultats de la recherche décourager électeurs de voter si vous pouvez convaincre vos cibles de n’utiliser que les mots clefs voter fraud (fraude électorale), qui retourneront des résultats de recherche très différents.

Les capitalistes de la surveillance sont comme des illusionnistes qui affirment que leur extraordinaire connaissance des comportements humains leur permet de deviner le mot que vous avez noté sur un bout de papier plié et placé dans votre poche, alors qu’en réalité ils s’appuient sur des complices, des caméras cachées, des tours de passe-passe et de leur mémoire développée pour vous bluffer.

Ou peut-être sont-ils des comme des artistes de la drague, cette secte misogyne qui promet d’aider les hommes maladroits à coucher avec des femmes en leur apprenant quelques rudiments de programmation neurolinguistique, des techniques de communication non verbale et des stratégies de manipulation psychologique telles que le « negging », qui consiste à faire des commentaires dévalorisant aux femmes pour réduire leur amour-propre et susciter leur intérêt.

Certains dragueurs parviennent peut-être à convaincre des femmes de les suivre, mais ce n’est pas parce que ces hommes ont découvert comment court-circuiter l’esprit critique des femmes. Le « succès » des dragueurs vient plutôt du fait qu’ils sont tombés sur des femmes qui n’étaient pas en état d’exprimer leur consentement, des femmes contraintes, des femmes en état d’ébriété, des femmes animées d’une pulsion autodestructrice et de quelques femmes qui, bien que sobres et disposant de toutes leurs facultés, n’ont pas immédiatement compris qu’elles fréquentaient des hommes horribles mais qui ont corrigé cette erreur dès qu’elles l’ont pu.

Les dragueurs se figurent qu’ils ont découvert une formule secrète qui court-circuite les facultés critiques des femmes, mais ce n’est pas le cas. La plupart des stratégies qu’ils déploient, comme le negging, sont devenues des sujets de plaisanteries (tout comme les gens plaisantent à propos des mauvaises campagnes publicitaires) et il est fort probable que ceux qui mettent en pratique ces stratégies avec les femmes ont de fortes chances d’être aussitôt démasqués, jetés et considérés comme de gros losers.

Les dragueurs sont la preuve que les gens peuvent croire qu’ils ont développé un système de contrôle de l’esprit même s’il ne marche pas. Ils s’appuient simplement sur le fait qu’une technique qui fonctionne une fois sur un million peut finir par se révéler payante si vous l’essayez un million de fois. Ils considèrent qu’ils ont juste mal appliqué la technique les autres 999 999 fois et se jurent de faire mieux la prochaine fois. Seul un groupe de personnes trouve ces histoires de dragueurs convaincantes, les aspirants dragueurs, que l’anxiété et l’insécurité rend vulnérables aux escrocs et aux cinglés qui les persuadent que, s’ils payent leur mentorat et suivent leurs instructions, ils réussiront un jour. Les dragueurs considèrent que, s’ils ne parviennent pas à séduire les femmes, c’est parce qu’ils ne sont pas de bons dragueurs, et non parce que les techniques de drague sont du grand n’importe quoi. Les dragueurs ne parviennent pas à se vendre auprès des femmes, mais ils sont bien meilleurs pour se vendre auprès des hommes qui payent pour apprendre leurs prétendues techniques de séduction.

« Je sais que la moitié des sommes que je dépense en publicité l’est en pure perte mais je ne sais pas de quelle moitié il s’agit. » déplorait John Wanamaker, pionnier des grands magasins.

Le fait que Wanamaker considérait que la moitié seulement de ses dépenses publicitaires avait été gaspillée témoigne de la capacité de persuasion des cadres commerciaux, qui sont bien meilleurs pour convaincre de potentiels clients d’acheter leurs services que pour convaincre le grand public d’acheter les produits de leurs clients.

Qu’est-ce que Facebook ?

On considère Facebook comme l’origine de tous nos fléaux actuels, et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Certaines entreprises technologiques cherchent à enfermer leurs utilisateurs mais font leur beurre en gardant le monopole sur l’accès aux applications pour leurs appareils et en abusant largement sur leurs tarifs plutôt qu’en espionnant leurs clients (c’est le cas d’Apple). D’autres ne cherchent pas à enfermer leurs utilisateurs et utilisatrices parce que ces entreprises ont bien compris comment les espionner où qu’ils soient et quoi qu’elles fassent, et elles gagnent de l’argent avec cette surveillance (Google). Seul Facebook, parmi les géants de la tech, fait reposer son business à la fois sur le verrouillage de ses utilisateurs et leur espionnage constant.

Le type de surveillance qu’exerce Facebook est véritablement sans équivalent dans le monde occidental. Bien que Facebook s’efforce de se rendre le moins visible possible sur le Web public, en masquant ce qui s’y passe aux yeux des gens qui ne sont pas connectés à Facebook, l’entreprise a disposé des pièges sur la totalité du Web avec des outils de surveillance, sous forme de boutons « J’aime » que les producteurs de contenus insèrent sur leur site pour doper leur profil Facebook. L’entreprise crée également diverses bibliothèques logicielles et autres bouts de code à l’attention des développeurs qui fonctionnent comme des mouchards sur les pages où on les utilise (journaux parcourus, sites de rencontres, forums…), transmettant à Facebook des informations sur les visiteurs du site.

Les géants de la tech peuvent surveiller, non seulement parce qu’ils font de la tech mais aussi parce que ce sont des géants.

Facebook offre des outils du même genre aux développeurs d’applications, si bien que les applications que vous utilisez, que ce soit des jeux, des applis pétomanes, des services d’évaluation des entreprises ou du suivi scolaire enverront des informations sur vos activités à Facebook même si vous n’avez pas de compte Facebook, et même si vous n’utilisez ni ne téléchargez aucune application Facebook. Et par-dessus le marché, Facebook achète des données à des tiers pour connaître les habitudes d’achat, la géolocalisation, l’utilisation de cartes de fidélité, les transactions bancaires, etc., puis croise ces données avec les dossiers constitués d’après les activités sur Facebook, avec les applications et sur le Web général.

S’il est simple d’intégrer des éléments web dans Facebook – faire un lien vers un article de presse, par exemple – les produits de Facebook ne peuvent en général pas être intégrés sur le Web. Vous pouvez inclure un tweet dans une publication Facebook, mais si vous intégrez une publication Facebook dans un tweet, tout ce que vous obtiendrez est un lien vers Facebook qui vous demande de vous authentifier avant d’y accéder. Facebook a eu recours à des contre-mesures techniques et légales radicales pour que ses concurrents ne puissent pas donner la possibilité à leurs utilisateurs d’intégrer des fragments de Facebook dans des services rivaux, ou de créer des interfaces alternatives qui fusionneraient votre messagerie Facebook avec celle des autres services que vous utilisez.

Et Facebook est incroyablement populaire, avec 2,3 milliards d’utilisateurs annoncés (même si beaucoup considèrent que ce nombre est exagéré). Facebook a été utilisé pour organiser des pogroms génocidaires, des émeutes racistes, des mouvements antivaccins, des théories de la Terre plate et la carrière politique des autocrates les plus horribles et les plus autoritaires au monde. Des choses réellement alarmantes se produisent dans le monde et Facebook est impliqué dans bon nombre d’entre elles, il est donc assez facile de conclure que ces choses sont le résultat du système de contrôle mental de Facebook, mis à disposition de toute personne prête à y dépenser quelques dollars.

Pour comprendre le rôle joué par Facebook dans l’élaboration et la mobilisation des mouvements nuisibles à la société, nous devons comprendre la double nature de Facebook.

Parce qu’il a beaucoup d’utilisateurs et beaucoup de données sur ces utilisateurs, l’outil Facebook est très efficace pour identifier des personnes avec des caractéristiques difficiles à trouver, le genre de caractéristiques qui sont suffisamment bien disséminées dans la population pour que les publicitaires aient toujours eu du mal à les atteindre de manière rentable.

Revenons aux réfrigérateurs. La plupart d’entre nous ne remplaçons notre gros électro-ménager qu’un petit nombre de fois dans nos vies. Si vous êtes un fabricant ou un vendeur de réfrigérateurs, il n’y a que ces brèves fenêtres temporelles dans la vie des consommateurs au cours desquelles ils réfléchissent à un achat, et vous devez trouver un moyen pour les atteindre. Toute personne ayant déjà enregistré un changement de titre de propriété après l’achat d’une maison a pu constater que les fabricants d’électroménager s’efforcent avec l’énergie du désespoir d’atteindre quiconque pourrait la moindre chance d’être à la recherche d’un nouveau frigo.

Facebook rend la recherche d’acheteurs de réfrigérateurs beaucoup plus facile. Il permet de cibler des publicités à destination des personnes ayant enregistré l’achat d’une nouvelle maison, des personnes qui ont cherché des conseils pour l’achat de réfrigérateurs, de personnes qui se sont plaintes du dysfonctionnement de leur frigo, ou n’importe quelle combinaison de celles-ci. Il peut même cibler des personnes qui ont récemment acheté d’autres équipements de cuisine, en faisant l’hypothèse que quelqu’un venant de remplacer son four et son lave-vaisselle pourrait être d’humeur à acheter un frigo. La grande majorité des personnes qui sont ciblées par ces publicités ne seront pas à la recherche d’un nouveau frigo mais – et c’est le point crucial – le pourcentage de personnes à la recherche de frigo que ces publicités atteignent est bien plus élevé que celui du groupe atteint par les techniques traditionnelles de ciblage marketing hors-ligne.

Facebook rend également beaucoup plus simple le fait de trouver des personnes qui ont la même maladie rare que vous, ce qui aurait été peut-être impossible avant, le plus proche compagnon d’infortune pouvant se trouver à des centaines de kilomètres. Il rend plus simple de retrouver des personnes qui sont allées dans le même lycée que vous, bien que des décennies se soient écoulées et que vos anciens camarades se soient disséminés aux quatre coins de la planète.

Facebook rend également beaucoup plus simple de trouver des personnes ayant les mêmes opinions politiques minoritaires que vous. Si vous avez toujours eu une affinité secrète pour le socialisme, sans jamais oser la formuler à voix haute de peur de vous aliéner vos voisins, Facebook peut vous aider à découvrir d’autres personnes qui pensent la même chose que vous (et cela pourrait vous démontrer que votre affinité est plus commune que vous ne l’auriez imaginée). Il peut rendre plus facile de trouver des personnes qui ont la même identité sexuelle que vous. Et, à nouveau, il peut vous aider à comprendre que ce que vous considériez comme un secret honteux qui ne regarde que vous est en réalité un trait répandu, vous donnant ainsi le réconfort et le courage nécessaire pour en parler à vos proches.

Tout cela constitue un dilemme pour Facebook : le ciblage rend les publicités de la plateforme plus efficaces que les publicités traditionnelles, mais il permet également aux annonceurs de savoir précisément à quel point leurs publicités sont efficaces. Si les annonceurs sont satisfaits d’apprendre que les publicités de Facebook sont plus efficaces que celles de systèmes au ciblage moins perfectionné, les annonceurs peuvent aussi voir que, dans presque tous les cas, les personnes qui voient leurs publicités les ignorent. Ou alors, tout au mieux, que leurs publicités ne fonctionnent qu’à un niveau inconscient, créant des effets nébuleux impossibles à quantifier comme la « reconnaissance de marque ». Cela signifie que le prix par publicité est très réduit dans la quasi-totalité des cas.

Pour ne rien arranger, beaucoup de groupes Facebook n’hébergent que très peu de discussions. Votre équipe de football locale, les personnes qui ont la même maladie rare que vous et ceux dont vous partagez l’orientation politique peuvent échanger des rafales de messages dans les moments critiques forts mais, dans la vie de tous les jours, il n’y a pas grand-chose à raconter à vos anciens camarades de lycée et autres collectionneurs de vignettes de football.

S’il n’y avait que des discussions « saines », Facebook ne générerait pas assez de trafic pour vendre des publicités et amasser ainsi les sommes nécessaires pour continuellement se développer en rachetant ses concurrents, tout en reversant de coquettes sommes à ses investisseurs.

Facebook doit donc augmenter le trafic tout en détournant ses propres forums de discussion : chaque fois que l’algorithme de Facebook injecte de la matière à polémiques dans un groupe – brûlots politiques, théories du complot, faits-divers révoltants – il peut détourner l’objectif initial de ce groupe avec des discussions affligeantes et gonfler ainsi artificiellement ces échanges en les transformant en interminables disputes agressives et improductives. Facebook est optimisé pour l’engagement, pas pour le bonheur, et il se trouve que les systèmes automatisés sont plutôt performants pour trouver des choses qui vont mettre les gens en colère.

Facebook peut modifier notre comportement mais seulement en suivant quelques modalités ordinaires. Tout d’abord, il peut vous enfermer avec vos amis et votre famille pour que vous passiez votre temps à vérifier sans cesse sur Facebook ce qu’ils sont en train de faire. Ensuite, il peut vous mettre en colère ou vous angoisser. Il peut vous forcer à choisir entre être constamment interrompu par des mises à jour, un processus qui vous déconcentre et vous empêche de réfléchir, et rester indéfiniment en contact avec vos amis. Il s’agit donc d’une forme de contrôle mental très limitée, qui ne peut nous rendre que furieux, déprimés et angoissés.

C’est pourquoi les systèmes de ciblage de Facebook – autant ceux qu’il montre aux annonceurs que ceux qui permettent aux utilisateurs de trouver des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt – sont si modernes, souples et faciles à utiliser, tandis que ses forums de discussion ont des fonctionnalités qui paraissent inchangées depuis le milieu des années 2000. Si Facebook offrait à ses utilisateurs un système de lecture de messages tout aussi souple et sophistiqué, ceux-ci pourraient se défendre contre les gros titres polémiques sur Donald Trump qui leur font saigner des yeux.

Plus vous passez de temps sur Facebook, plus il a de pubs à vous montrer. Comme les publicités sur Facebook ne marchent qu’une fois sur mille, leur solution est de tenter de multiplier par mille le temps que vous y passez. Au lieu de considérer Facebook comme une entreprise qui a trouvé un moyen de vous montrer la bonne publicité en obtenant de vous exactement ce que veulent les annonceurs publicitaires, considérez que c’est une entreprise qui sait parfaitement comment vous noyer dans un torrent permanent de controverses, même si elles vous rendent malheureux, de sorte que vous passiez tellement de temps sur le site que vous finissiez par voir au moins une pub qui va fonctionner pour vous.

Les monopoles et le droit au futur

Mme Zuboff et ceux qui la suivent sont particulièrement alarmés par l’influence de la surveillance des entreprises sur nos décisions. Cette influence nous prive de ce qu’elle appelle poétiquement « le droit au futur », c’est-à-dire le droit de décider par vous-même de ce que vous ferez à l’avenir.

Il est vrai que la publicité peut faire pencher la balance d’une manière ou d’une autre : lorsque vous envisagez d’acheter un frigo, une publicité pour un frigo qui vient juste à point peut mettre fin tout de suite à vos recherches. Mais Zuboff accorde un poids énorme et injustifié au pouvoir de persuasion des techniques d’influence basées sur la surveillance. La plupart d’entre elles ne fonctionnent pas très bien, et celles qui le font ne fonctionneront pas très longtemps. Les concepteurs de ces outils sont persuadés qu’ils les affineront un jour pour en faire des systèmes de contrôle total, mais on peut difficilement les considérer comme des observateurs sans parti-pris, et les risques que leurs rêves se réalisent sont très limités. En revanche, Zuboff est plutôt optimiste quant aux quarante années de pratiques antitrust laxistes qui ont permis à une poignée d’entreprises de dominer le Web, inaugurant une ère de l’information avec, comme l’a fait remarquer quelqu’un sur Twitter, cinq portails web géants remplis chacun de captures d’écran des quatre autres.

Cependant, si l’on doit s’inquiéter parce qu’on risque de perdre le droit de choisir nous-mêmes de quoi sera fait notre avenir, alors les préjudices tangibles et immédiats devraient être au cœur de nos débats sur les politiques technologiques, et non les préjudices potentiels décrit par Zuboff.

Commençons avec la « gestion des droits numériques ». En 1998, Bill Clinton promulgue le Digital Millennium Copyright Act (DMCA). Cette loi complexe comporte de nombreuses clauses controversées, mais aucune ne l’est plus que la section 1201, la règle « anti-contournement ».

Il s’agit d’une interdiction générale de modifier les systèmes qui limitent l’accès aux œuvres protégées par le copyright. L’interdiction est si stricte qu’elle interdit de retirer le verrou de copyright même si aucune violation de copyright n’a eut lieu. C’est dans la conception même du texte : les activités, que l’article 1201 du DMCA vise à interdire, ne sont pas des violations du copyright ; il s’agit plutôt d’activités légales qui contrarient les plans commerciaux des fabricants.

Par exemple, la première application majeure de la section 1201 a visé les lecteurs de DVD comme moyen de faire respecter le codage par « région » intégré dans ces appareils. Le DVD-CCA, l’organisme qui a normalisé les DVD et les lecteurs de DVD, a divisé le monde en six régions et a précisé que les lecteurs de DVD doivent vérifier chaque disque pour déterminer dans quelles régions il est autorisé à être lu. Les lecteurs de DVD devaient avoir leur propre région correspondante (un lecteur de DVD acheté aux États-Unis serait de la région 1, tandis qu’un lecteur acheté en Inde serait de la région 5). Si le lecteur et la région du disque correspondent, le lecteur lira le disque ; sinon, il le rejettera.

Pourtant, regarder un DVD acheté légalement dans un autre pays que celui dans lequel vous vous situez n’est pas une violation de copyright – bien au contraire. Les lois du copyright n’imposent qu’une seule obligation aux consommateurs de films : vous devez aller dans un magasin, trouver un DVD autorisé, et payer le prix demandé. Si vous faites cela – et rien de plus – tout ira bien.

Le fait qu’un studio de cinéma veuille faire payer les Indiens moins cher que les Américains, ou sortir un film plus tard en Australie qu’au Royaume-Uni n’a rien à voir avec les lois sur le copyright. Une fois que vous avez légalement acquis un DVD, ce n’est pas une violation du copyright que de le regarder depuis l’endroit où vous vous trouvez.

Donc les producteurs de DVD et de lecteurs de disques ne pourraient pas employer les accusations de complicité de violations du copyright pour punir les producteurs de lecteurs lisant des disques de n’importe quelle région, ou les ateliers de réparation qui ont modifié les lecteurs pour vous laisser regarder des disques achetés hors de votre région, ou encore les développeurs de logiciels qui ont créé des programmes pour vous aider à le faire.
C’est là que la section 1201 du DCMA entre en jeu : en interdisant de toucher aux contrôles d’accès, la loi a donné aux producteurs et aux ayants droit la possibilité de poursuivre en justice leurs concurrents qui produisent des produits supérieurs avec des caractéristiques très demandées par le marché (en l’occurrence, des lecteurs de disques sans restriction de région).

C’est une arnaque ignoble contre les consommateurs, mais, avec le temps, le champ de la section 1201 s’est étendu pour inclure toute une constellation grandissante d’appareils et de services, car certains producteurs malins ont compris un certain nombre de choses :

  • Tout appareil doté d’un logiciel contient une « œuvre protégée par copyright » (le logiciel en question).
  • Un appareil peut être conçu pour pouvoir reconfigurer son logiciel et contourner le « moyen de contrôle d’accès à une œuvre protégée par copyright », un délit d’après la section 1201.
  • Par conséquent, les entreprises peuvent contrôler le comportement de leurs consommateurs après qu’ils ont rapporté leurs achats à la maison. Elles peuvent en effet concevoir des produits pour que toutes les utilisations interdites demandent des modifications qui tombent sous le coup de la section 1201.

Cette section devient alors un moyen pour tout fabricant de contraindre ses clients à agir au profit de leurs actionnaires plutôt que dans l’intérêt des clients.
Cela se manifeste de nombreuses façons : une nouvelle génération d’imprimantes à jet d’encre utilisant des contre-mesures qui empêchent l’utilisation d’encre d’autres marques et qui ne peuvent être contournées sans risques juridiques, ou des systèmes similaires dans les tracteurs qui empêchent les réparateurs d’échanger les pièces du fabricant, car elles ne sont pas reconnues par le système du tracteur tant qu’un code de déverrouillage du fabricant n’est pas saisi.

Plus proches des particuliers, les iPhones d’Apple utilisent ces mesures pour empêcher à la fois les services de tierce partie et l’installation de logiciels tiers. Cela permet à Apple, et non à l’acheteur de l’iPhone, de décider quand celui-ci est irréparable et doit être réduit en pièces et jeté en déchetterie (l’entreprise Apple est connue pour sa politique écologiquement catastrophique qui consiste à détruire les vieux appareils électroniques plutôt que de permettre leur recyclage pour en récupérer les pièces). C’est un pouvoir très utile à exercer, surtout à la lumière de l’avertissement du PDG Tim Cook aux investisseurs en janvier 2019 : les profits de la société sont en danger si les clients choisissent de conserver leur téléphone plutôt que de le remplacer.
L’utilisation par Apple de verrous de copyright lui permet également d’établir un monopole sur la manière dont ses clients achètent des logiciels pour leurs téléphones. Les conditions commerciales de l’App Store garantissent à Apple une part de tous les revenus générés par les applications qui y sont vendues, ce qui signifie qu’Apple gagne de l’argent lorsque vous achetez une application dans son magasin et continue à gagner de l’argent chaque fois que vous achetez quelque chose en utilisant cette application. Cette situation retombe au final sur les développeurs de logiciels, qui doivent soit facturer plus cher, soit accepter des profits moindres sur leurs produits.

Il est important de comprendre que l’utilisation par Apple des verrous de copyright lui donne le pouvoir de prendre des décisions éditoriales sur les applications que vous pouvez ou ne pouvez pas installer sur votre propre appareil. Apple a utilisé ce pouvoir pour rejeter les dictionnaires qui contiennent des mots obscènes ; ou pour limiter certains discours politiques, en particulier les applications qui diffusent des propos politiques controversés, comme cette application qui vous avertit chaque fois qu’un drone américain tue quelqu’un quelque part dans le monde ; ou pour s’opposer à un jeu qui commente le conflit israélo-palestinien.

Apple justifie souvent son pouvoir monopolistique sur l’installation de logiciels au nom de la sécurité, en arguant que le contrôle des applications de sa boutique lui permet de protéger ses utilisateurs contre les applications qui contiennent du code qui surveille les utilisateurs. Mais ce pouvoir est à double tranchant. En Chine, le gouvernement a ordonné à Apple d’interdire la vente d’outils de protection de vie privée, comme les VPN, à l’exception de ceux dans lesquels des failles de sécurité ont délibérément été introduites pour permettre à l’État chinois d’écouter les utilisateurs. Étant donné qu’Apple utilise des contre-mesures technologiques – avec des mesures de protection légales – pour empêcher les clients d’installer des applications non autorisées, les propriétaires chinois d’iPhone ne peuvent pas facilement (ou légalement) se connecter à des VPN qui les protégeraient de l’espionnage de l’État chinois.

Zuboff décrit le capitalisme de surveillance comme un « capitalisme voyou ». Les théoriciens du capitalisme prétendent que sa vertu est d’agréger des informations relatives aux décisions des consommateurs, produisant ainsi des marchés efficaces. Le prétendu pouvoir du capitalisme de surveillance, de priver ses victimes de leur libre‑arbitre grâce à des campagnes d’influence surchargées de calculs, signifie que nos marchés n’agrègent plus les décisions des consommateurs parce que nous, les clients, ne décidons plus – nous sommes aux ordres des rayons de contrôle mental du capitalisme de surveillance.

Si notre problème c’est que les marchés cessent de fonctionner lorsque les consommateurs ne peuvent plus faire de choix, alors les verrous du copyright devraient nous préoccuper au moins autant que les campagnes d’influence. Une campagne d’influence peut vous pousser à acheter une certaine marque de téléphone, mais les verrous du copyright sur ce téléphone déterminent où vous pouvez l’utiliser, quelles applications peuvent fonctionner dessus et quand vous devez le jeter plutôt que le réparer.

Le classement des résultats de recherche et le droit au futur

Les marchés sont parfois présentés comme une sorte de formule magique : en découvrant des informations qui pourraient rester cachées mais sont transmises par le libre choix des consommateurs, les connaissances locales de ces derniers sont intégrées dans un système auto‑correcteur qui améliore les correspondances entre les résultats – de manière plus efficace que ce qu’un ordinateur pourrait calculer. Mais les monopoles sont incompatibles avec ce processus. Lorsque vous n’avez qu’un seul magasin d’applications, c’est le propriétaire du magasin, et non le consommateur, qui décide de l’éventail des choix. Comme l’a dit un jour Boss Tweed « peu importe qui gagne les élections, du moment que c’est moi qui fais les nominations ». Un marché monopolistique est une élection dont les candidats sont choisis par le monopole.

Ce trucage des votes est rendu plus toxique par l’existence de monopoles sur le classement des résultats. La part de marché de Google dans le domaine de la recherche est d’environ 90 %. Lorsque l’algorithme de classement de Google place dans son top 10 un résultat pour un terme de recherche populaire, cela détermine le comportement de millions de personnes. Si la réponse de Google à la question « Les vaccins sont-ils dangereux ? » est une page qui réfute les théories du complot anti-vax, alors une partie non négligeable du grand public apprendra que les vaccins sont sûrs. Si, en revanche, Google envoie ces personnes sur un site qui met en avant les conspirations anti-vax, une part non-négligeable de ces millions de personnes ressortira convaincue que les vaccins sont dangereux.

L’algorithme de Google est souvent détourné pour fournir de la désinformation comme principal résultat de recherche. Mais dans ces cas-là, Google ne persuade pas les gens de changer d’avis, il ne fait que présenter quelque chose de faux comme une vérité alors même que l’utilisateur n’a aucune raison d’en douter.

C’est vrai peu importe que la recherche porte sur « Les vaccins sont-ils dangereux ? » ou bien sur « meilleurs restaurants près de chez moi ». La plupart des utilisateurs ne regarderont jamais au-delà de la première page de résultats de recherche, et lorsque l’écrasante majorité des gens utilisent le même moteur de recherche, l’algorithme de classement utilisé par ce moteur de recherche aura déterminé une myriade de conséquences (adopter ou non un enfant, se faire opérer du cancer, où dîner, où déménager, où postuler pour un emploi) dans une proportion qui dépasse largement les résultats comportementaux dictés par les techniques de persuasion algorithmiques.

Beaucoup des questions que nous posons aux moteurs de recherche n’ont pas de réponses empiriquement correctes : « Où pourrais-je dîner ? » n’est pas une question objective. Même les questions qui ont des réponses objectives (« Les vaccins sont-ils dangereux ? ») n’ont pas de source empiriquement supérieure pour ces réponses. De nombreuses pages confirment l’innocuité des vaccins, alors laquelle afficher en premier ? Selon les règles de la concurrence, les consommateurs peuvent choisir parmi de nombreux moteurs de recherche et s’en tenir à celui dont le verdict algorithmique leur convient le mieux, mais en cas de monopole, nos réponses proviennent toutes du même endroit.

La domination de Google dans le domaine de la recherche n’est pas une simple question de mérite : pour atteindre sa position dominante, l’entreprise a utilisé de nombreuses tactiques qui auraient été interdites en vertu des normes antitrust classiques d’avant l’ère Reagan. Après tout, il s’agit d’une entreprise qui a développé deux produits majeurs : un très bon moteur de recherche et un assez bon clone de Hotmail. Tous ses autres grands succès, Android, YouTube, Google Maps, etc., ont été obtenus grâce à l’acquisition d’un concurrent naissant. De nombreuses branches clés de l’entreprise, comme la technologie publicitaire DoubleClick, violent le principe historique de séparation structurelle de la concurrence, qui interdisait aux entreprises de posséder des filiales en concurrence avec leurs clients. Les chemins de fer, par exemple, se sont vus interdire la possession de sociétés de fret qui auraient concurrencé les affréteurs dont ils transportent le fret.

Si nous craignons que les entreprises géantes ne détournent les marchés en privant les consommateurs de leur capacité à faire librement leurs choix, alors une application rigoureuse de la législation antitrust semble être un excellent remède. Si nous avions refusé à Google le droit d’effectuer ses nombreuses fusions, nous lui aurions probablement aussi refusé sa domination totale dans le domaine de la recherche. Sans cette domination, les théories, préjugés et erreurs (et le bon jugement aussi) des ingénieurs de recherche et des chefs de produits de Google n’auraient pas eu un effet aussi disproportionné sur le choix des consommateurs..

Cela vaut pour beaucoup d’autres entreprises. Amazon, l’entreprise type du capitalisme de surveillance, est évidemment l’outil dominant pour la recherche sur Amazon, bien que de nombreuses personnes arrivent sur Amazon après des recherches sur Google ou des messages sur Facebook. Évidemment, Amazon contrôle la recherche sur Amazon. Cela signifie que les choix éditoriaux et intéressés d’Amazon, comme la promotion de ses propres marques par rapport aux produits concurrents de ses vendeurs, ainsi que ses théories, ses préjugés et ses erreurs, déterminent une grande partie de ce que nous achetons sur Amazon. Et comme Amazon est le détaillant dominant du commerce électronique en dehors de la Chine et qu’elle a atteint cette domination en rachetant à la fois de grands rivaux et des concurrents naissants au mépris des règles antitrust historiques, nous pouvons reprocher à ce monopole de priver les consommateurs de leur droit à l’avenir et de leur capacité à façonner les marchés en faisant des choix raisonnés.

Tous les monopoles ne sont pas des capitalistes de surveillance, mais cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas capables de façonner les choix des consommateurs de multiples façons. Zuboff fait l’éloge d’Apple pour son App Store et son iTunes Store, en insistant sur le fait qu’afficher le prix des fonctionnalités de ses plateformes était une recette secrète pour résister à la surveillance et ainsi créer de nouveaux marchés. Mais Apple est le seul détaillant autorisé à vendre sur ses plateformes, et c’est le deuxième plus grand vendeur d’appareils mobiles au monde. Les éditeurs de logiciels indépendants qui vendent sur le marché d’Apple accusent l’entreprise des mêmes vices de surveillance qu’Amazon et autres grands détaillants : espionner ses clients pour trouver de nouveaux produits lucratifs à lancer, utiliser efficacement les éditeurs de logiciels indépendants comme des prospecteurs de marché libre, puis les forcer à quitter tous les marchés qu’ils découvrent.

Avec l’utilisation des verrous de copyright, les clients qui possèdent un iPhone ne sont pas légalement autorisés à changer de distributeurs d’applications. Apple, évidemment, est la seule entité qui peut décider de la manière dont elle classe les résultats de recherche sur son store. Ces décisions garantissent que certaines applications sont souvent installées (parce qu’elles apparaissent dès la première page) et d’autres ne le sont jamais (parce qu’elles apparaissent sur la millionième page). Les décisions d’Apple en matière de classement des résultats de recherche ont un impact bien plus important sur les comportements des consommateurs que les campagnes d’influence des robots publicitaires du capitalisme de surveillance.

 

Les monopoles ont les moyens d’endormir les chiens de garde

Les idéologues du marché les plus fanatiques sont les seuls à penser que les marchés peuvent s’autoréguler sans contrôle de l’État. Pour rester honnêtes, les marchés ont besoin de chiens de garde : régulateurs, législateurs et autres représentants du contrôle démocratique. Lorsque ces chiens de garde s’endorment sur la tâche, les marchés cessent d’agréger les choix des consommateurs parce que ces choix sont limités par des activités illégitimes et trompeuses dont les entreprises peuvent se servir sans risques parce que personne ne leur demande des comptes.

Mais ce type de tutelle réglementaire a un coût élevé. Dans les secteurs concurrentiels, où la concurrence passe son temps à grappiller les marges des autres, les entreprises individuelles n’ont pas les excédents de capitaux nécessaires pour faire pression efficacement en faveur de lois et de réglementations qui serviraient leurs objectifs.

Beaucoup des préjudices causés par le capitalisme de surveillance sont le résultat d’une réglementation trop faible ou même inexistante. Ces vides réglementaires viennent du pouvoir des monopoles qui peuvent s’opposer à une réglementation plus stricte et adapter la réglementation existante pour continuer à exercer leurs activités telles quelles.

Voici un exemple : quand les entreprises collectent trop de données et les conservent trop longtemps, elles courent un risque accru de subir une fuite de données. En effet, vous ne pouvez pas divulguer des données que vous n’avez jamais collectées, et une fois que vous avez supprimé toutes les copies de ces données, vous ne pouvez plus risquer de les fuiter. Depuis plus d’une décennie, nous assistons à un festival ininterrompu de fuites de données de plus en plus graves, plus effrayantes les unes que les autres de par l’ampleur des violations et la sensibilité des données concernées.

Mais les entreprises persistent malgré tout à moissonner et conserver en trop grand nombre nos données pour trois raisons :

1. Elles sont enfermées dans cette course aux armements émotionnels (évoquée plus haut) avec notre capacité à renforcer nos systèmes de défense attentionnelle pour résister à leurs nouvelles techniques de persuasion. Elles sont également enfermées dans une course à l’armement avec leurs concurrents pour trouver de nouvelles façons de cibler les gens. Dès qu’elles découvrent un point faible dans nos défenses attentionnelles (une façon contre-intuitive et non évidente de cibler les acheteurs potentiels de réfrigérateurs), le public commence à prendre conscience de la tactique, et leurs concurrents s’y mettent également, hâtant le jour où tous les acheteurs potentiels de réfrigérateurs auront été initiés à cette tactique.

2. Elles souscrivent à cette belle croyance qu’est le capitalisme de surveillance. Les données sont peu coûteuses à agréger et à stocker, et les partisans, tout comme les opposants, du capitalisme de surveillance ont assuré aux managers et concepteurs de produits que si vous collectez suffisamment de données, vous pourrez pratiquer la sorcellerie du marketing pour contrôler les esprits ce qui fera grimper vos ventes. Même si vous ne savez pas comment tirer profit de ces données, quelqu’un d’autre finira par vous proposer de vous les acheter pour essayer. C’est la marque de toutes les bulles économiques : acquérir un bien en supposant que quelqu’un d’autre vous l’achètera à un prix plus élevé que celui que vous avez payé, souvent pour le vendre à quelqu’un d’autre à un prix encore plus élevé.

3. Les sanctions pour fuite de données sont négligeables. La plupart des pays limitent ces pénalités aux dommages réels, ce qui signifie que les consommateurs dont les données ont fuité doivent prouver qu’ils ont subi un préjudice financier réel pour obtenir réparation. En 2014, Home Depot a révélé qu’ils avaient perdu les données des cartes de crédit de 53 millions de ses clients, mais a réglé l’affaire en payant ces clients environ 0,34 $ chacun – et un tiers de ces 0,34 $ n’a même pas été payé en espèces. Cette réparation s’est matérialisée sous la forme d’un crédit pour se procurer un service de contrôle de crédit largement inefficace.

Mais les dégâts causés par les fuites sont beaucoup plus importants que ce que peuvent traiter ces règles sur les dommages réels. Les voleurs d’identité et les fraudeurs sont rusés et infiniment inventifs. Toutes les grandes fuites de données de notre époque sont continuellement recombinées, les ensembles de données sont fusionnés et exploités pour trouver de nouvelles façons de s’en prendre aux propriétaires de ces données. Toute politique raisonnable, fondée sur des preuves, de la dissuasion et de l’indemnisation des violations ne se limiterait pas aux dommages réels, mais permettrait plutôt aux utilisateurs de réclamer compensation pour ces préjudices à venir.

Quoi qu’il en soit, même les réglementations les plus ambitieuses sur la protection de la vie privée, telles que le règlement général de l’UE sur la protection des données, sont loin de prendre en compte les conséquences négatives de la collecte et de la conservation excessives et désinvoltes des données par les plateformes, et les sanctions qu’elles prévoient ne sont pas appliquées de façon assez agressive par ceux qui doivent les appliquer.

Cette tolérance, ou indifférence, à l’égard de la collecte et de la conservation excessives des données peut être attribuée en partie à la puissance de lobbying des plateformes. Ces plateformes sont si rentables qu’elles peuvent facilement se permettre de détourner des sommes gigantesques pour lutter contre tout changement réel – c’est-à-dire un changement qui les obligerait à internaliser les coûts de leurs activités de surveillance.
Et puis il y a la surveillance d’État, que l’histoire du capitalisme de surveillance rejette comme une relique d’une autre époque où la grande inquiétude était d’être emprisonné pour un discours subversif, et non de voir son libre‑arbitre dépouillé par l’apprentissage machine.

Mais la surveillance d’État et la surveillance privée sont intimement liées. Comme nous l’avons vu lorsque Apple a été enrôlé par le gouvernement chinois comme collaborateur majeur de la surveillance d’État. La seule manière abordable et efficace de mener une surveillance de masse à l’échelle pratiquée par les États modernes, qu’ils soient « libres » ou autocratiques, est de mettre sous leur coupe les services commerciaux.

Toute limitation stricte du capitalisme de surveillance paralyserait la capacité de surveillance d’État, qu’il s’agisse de l’utilisation de Google comme outil de localisation par les forces de l’ordre locales aux États-Unis ou du suivi des médias sociaux par le Département de la sécurité intérieure pour constituer des dossiers sur les participants aux manifestations contre la politique de séparation des familles des services de l’immigration et des douanes (ICE).

Sans Palantir, Amazon, Google et autres grands entrepreneurs technologiques, les flics états-uniens ne pourraient pas espionner la population noire comme ils le font, l’ICE ne pourrait pas gérer la mise en cage des enfants à la frontière américaine et les systèmes d’aides sociales des États ne pourraient pas purger leurs listes en déguisant la cruauté en empirisme et en prétendant que les personnes pauvres et vulnérables n’ont pas droit à une aide. On peut attribuer à cette relation symbiotique une partie de la réticence des États à prendre des mesures significatives pour réduire la surveillance. Il n’y a pas de surveillance d’État de masse sans surveillance commerciale de masse.

Le monopole est la clé du projet de surveillance massive d’État. Il est vrai que les petites entreprises technologiques sont susceptibles d’être moins bien défendues que les grandes, dont les experts en sécurité font partie des meilleurs dans leur domaine, elles disposent également d’énormes ressources pour sécuriser et surveiller leurs systèmes contre les intrusions. Mais les petites entreprises ont également moins à protéger : moins d’utilisateurs, des données plus fragmentées sur un plus grand nombre de systèmes et qui doivent être demandées une par une par les acteurs étatiques.

Un secteur technologique centralisé qui travaille avec les autorités est un allié beaucoup plus puissant dans le projet de surveillance massive d’État qu’un secteur fragmenté composé d’acteurs plus petits. Le secteur technologique états-unien est suffisamment petit pour que tous ses cadres supérieurs se retrouvent autour d’une seule table de conférence dans la Trump Tower en 2017, peu après l’inauguration de l’immeuble. La plupart de ses plus gros acteurs candidatent pour remporter le JEDI, le contrat à 10 milliards de dollars du Pentagone pour mettre en place une infrastructure de défense commune dans le cloud. Comme d’autres industries fortement concentrées, les géants de la tech font pantoufler leurs employés clés dans le service public. Ils les envoient servir au Ministère de la Défense et à la Maison Blanche, puis engagent des cadres et des officiers supérieurs de l’ex-Pentagone et de l’ex-DOD pour travailler dans leurs propres services de relations avec les gouvernements.

Ils ont même de bons arguments pour ça : après tout, quand il n’existe que quatre ou cinq grandes entreprises dans un secteur industriel, toute personne qualifiée pour contrôler la réglementation de ces entreprises a occupé un poste de direction dans au moins deux d’entre elles. De même, lorsqu’il n’y a que cinq entreprises dans un secteur, toute personne qualifiée pour occuper un poste de direction dans l’une d’entre elles travaille par définition dans l’une des autres.

 

(à suivre… )




[Photo Novel] Guided tour of Mobilizon

« OK, so, what is Mobilizon? How can this free and federated tool help me to progressively do without Facebook for my groups, pages and events? And where do I go to get started, where do I sign up? »

Let’s answer these questions with a lot of pictures, and (relatively) few words.

This is Rȯse, the mascot of Mȯbilizon

Conceived and designed by David Revoy (the author-illustrator of Pepper and Carott, who has just self published albums of his webcomic), Rȯse represents the people for whom we designed Mobilizon.

Meet Rȯse, Mobilizon’s mascot.
illustration : David Revoy (CC-By)

A fennec whose wicks recall the star of a compass rose, Rȯse is autonomous, voluntary and lives in a beautiful but arid, sometimes hostile landscape. Rȯse needs to get together with her fellow fennecs beings to organize and mobilize themselves around actions that can change her world, one grain of sand at a time.

If you don’t recognize yourself in Rȯse, don’t panic: Mobilizon might still work for you! However, this service might surprise and confuse. You won’t find any ads, influencers, or the hobby where we watch the lives of our loved ones staged like a reality TV show.

To better understand our intentions and the choices behind Mobilizon, you can visit joinmobilizon.org (short version), or read our lengthy introductory article on the Framablog (detailed version).

illustration : David Revoy (CC-By)

Our photo novel: Rȯse Mobilize

Rȯse discovers an event on Mobilizon

Rȯse feels that the hyper-consumerist society in which we live is destroying the planet. One day, on one of her usual social media platform, Rȯse comes across a link to an event called « More trees, less ads! « The title amuses and challenges her, so she clicks.

She arrives on a website she has never seen before which seems to be called « Mobilizon ». She is invited to go and hide an advertising videoscreen by standing in front of it with an umbrella. She learns that those screens are not only polluting our public spaces with images that capture our attention, but they are also equipped with cameras and sensors that analyze the number of passers-by, their reactions, etc.

She would like to participate in the event presented but doesn’t want to create a new account on yet another site. Rȯse decides to participate « anonymously » in the event.

You do not need an account to participate in an event published on Mobilizon: the site simply asks Rȯse to confirm her participation by email. That’s OK, she already has a « trash » email address that she uses for her online shopping, and unfamiliar sites that may resell her contact information.

#gallery-1 { margin: auto; } #gallery-1 .gallery-item { float: left; margin-top: 10px; text-align: center; width: 50%; } #gallery-1 img { border: 2px solid #cfcfcf; } #gallery-1 .gallery-caption { margin-left: 0; } /* see gallery_shortcode() in wp-includes/media.php */

A few days later, Rȯse goes to the event site and meets the group of ContribUtopists. They invite her to exchange a quarter of an hour of her time, blocking the advertising screen with an umbrella, for a tree cutting that she could plant at home. Rȯse loves the idea and spends the morning sympathizing with the ContribUtopists.

Rȯse registers on Mobilizon

Benedict, the group’s organiser, explains to Rȯse that these screens work like Facebook: they impose advertising in our lives while capturing our behaviors and data. He advises Rȯse to go to mobilizon.org to find out for herself about the alternative that the ContribUtopists have chosen.

Rȯse is convinced, she wants to try Mobilizon. She understands she needs to find an instance, i.e. a Mobilizon website that will host her account and data. She tells herself that if she has to entrust her data, she wants to find a trusted host. So she goes to the « about » page of several Mobilizon instances to see how these hosts present themselves and what their rules are.

Rȯse has found her instance, and off she goes. She suspects that she is not going to leave Facebook overnight, but thinks that she can start by registering on Mobilizon, even if it means having to publish the links to the Mobilizon events and groups she wants to promote on Facebook.

 

Rȯse wants to join a group

Once her account is confirmed and her profile complete (finally a site that doesn’t require acres profile information!) Rȯse goes to the ContribUtopists page to join the group.

Unfortunately, the « join the group » button does not work and is grayed out. Obviously, you can’t ask to join a group, you have to be invited. When Rȯse looks into the matter, she realizes that it’s just a matter of time before this feature is added to the site.

She looks for ways to get invited to the ContribUtopists group and sees that there is a post « Join the ContribUtopists! » on the group’s page. These posts look a bit like a blog.

She follows the instructions and goes to the page of the event she attended and adds a comment reminding everyone who she is and asking to be invited to the group.

The surprise birthday of Rȯse’s mother

Rȯse’s mother’s birthday is coming up. Narcisse Boréal, her dad, asks her daughter how to organize a surprise party without using Facebook, so as not to blow the whistle. Rȯse, the family geek, explains to her dad how to create an account on Mobilizon.

Narcisse creates an event to invite family and friends to his partner’s surprise birthday party. It’s a fairly short form, and the options are self-explanatory.

Rȯse goes to her Mobilizon instance, but does not see the event created by her father. She realizes that he has registered on another Mobilizon website, another instance. Fortunately, these instances are federated: using the search bar of her instance, Rȯse can find the event that her father has created on his instance.

Rȯse compartmentalizes family and activism

Rȯse hesitates to register for her father’s event. She doesn’t want her family to see that she used this account for her activism within the ContribUtopists! So she decides to go to her account settings to create a new profile.

Rȯse registers for her dad’s event with this new profile, which she will use only for family events.

She takes the opportunity to share the event with a few family members and then exports the event to add the date to her online calendar.

Rȯse mobilizes for the ContribUtopists

In her notifications, Rȯse notices that the ContribUtopists have read her message and invited her to join the group. She goes back to her activist profile to accept the invitation.

In the group, she sees a new discussion about the lessons learned from the previous event and the group’s next initiative.

After a few weeks, Rȯse’s involvement and commitment did not go unnoticed. Benedict, the administrator of the ContribUtopists group on Mobilizon, decides to promote Rȯse as moderator of the group.

Rȯse makes collective intelligence work!

Becoming a moderator will allow Rȯse to organize the next ContribUtopists event. She creates a draft of the event « Another Collage on the Wall » to discuss it with the group.

However, Rȯse does not know how to best describe the event. She decides to make collective intelligence work for her and create a collaborative writing pad. On Mobilizon, this is done in two clicks, from the group’s Resources space.

The group worked well, the text is great. Rȯse just has to put it in the Another Collage on the Wall event description and publish it!

Prologue: Fennecs don’t fall far from the burrow

A few days later, Rȯse goes to the event. What a joy to see so many people registered! Suddenly, as she was reading the comments of the event, Rȯse utters a little cry of surprise:

Several members of her family registered for the Another Collage on the Wall event, without knowing that it was Rȯse who had organized it! There’s even her father asking to join the ContribUtopists.

With a smile, Rȯse thinks that she will have to show them how to create several profiles on Mobilizon, if they are interested.

illustration : David Revoy (CC-By)

Mobilizon.org, our gateway to Mobilizon

Not everyone is like Rȯse and everyone will have their own way of approaching Mobilizon: some will want to sign up right away, others will want to understand the political concepts behind the digital tool, and yet others will want to know how it works.

That’s why we created Mobilizon.org: it’s THE site to remember and share, which will direct you to

illustration : David Revoy (CC-By)

It took time and hard work to create all these tools. Our small association (35 members, 10 employees) is financed almost exclusively by donations. If you would like to support this work and encourage us to continue, you can do so by making a donation, which is tax deductible for French taxpayers.

Support Framasoft

Another way to support our actions is to take them over, use them and make them known. From now on, it is up to you to get together, organize and mobilize… with Mobilizon!

Get started on Mobilizon.org




[Roman Photo] Visite guidée de Mobilizon

« Concrètement, c’est quoi Mobilizon ? Comment cet outil libre et fédéré peut-il m’aider à progressivement me passer de Facebook pour mes groupes, pages et événements ? Et où je vais pour m’y retrouver, pour m’inscrire ? »

Répondons à ces questions avec beaucoup d’images, et (relativement) peu de mots.

Voici Rȯse, la mascotte de Mȯbilizon

Conçue et dessinée par David Revoy (l’auteur-illustrateur de Pepper and Carott, qui vient d’auto-publier des albums de son webcomic), Rȯse représente les personnes pour qui nous avons conçu Mobilizon.

Voici Rȯse, la mascotte de Mobilizon.
illustration : David Revoy (CC-By)

Fennec dont les mèches rappellent l’étoile d’une rose des vents, Rȯse est autonome, volontaire et vit dans un paysage beau mais aride, parfois hostile. Rȯse a besoin de se rassembler avec ses semblables et de s’organiser ensemble pour se mobilizer autour d’actions qui peuvent changer son monde, ne serait-ce qu’un grain de sable à la fois.

Si vous ne vous reconnaissez pas en Rȯse, pas de panique : vous restez libres d’utiliser Mobilizon ! Seulement, ce service risque de vous désarçonner et vous surprendre : vous n’y trouverez ni pubs, ni influenceurs, ni un passe-temps où on regarde la vie de nos proches mise en scène comme une émission de TV-réalité.

Pour mieux comprendre nos intentions et choix derrière Mobilizon, vous pouvez consulter le site joinmobilizon.org (version courte), ou lire notre long article de présentation sur le Framablog (version détaillée).

illustration : David Revoy (CC-By)

Notre photoroman : Rȯse Mobilize

Rȯse découvre un événement sur Mobilizon

Rȯse sent bien que la société d’hyper-consommation dans laquelle nous vivons est en train de détruire la planète. Un jour, sur un de ses médias sociaux habituels, Rȯse tombe sur un lien vers un événement « Plus d’arbres, moins de Pub ! » Le titre l’amuse et l’interpelle, alors elle clique.

Elle arrive sur un site qu’elle n’a jamais vu et qui semble s’appeler « Mobilizon ». On lui propose de venir cacher un écran de publicité vidéo en se tenant devant avec un parapluie. Elle apprend qu’en plus de polluer nos espaces publics avec des images qui captent notre attention, ces écrans sont munis de caméras et de capteurs qui analysent le nombre de passant·es, leurs réactions, etc.

Elle voudrait bien participer à l’événement présenté mais elle n’a pas envie de se créer un nouveau compte sur un énième site. Rȯse décide de participer « anonymement » à l’événement.

 

Pour participer anonymement à un événement, pas besoin de compte sur Mobilizon : le site demande juste à Rȯse de confirmer sa participation par email. Ça tombe bien, elle a créé une adresse email « poubelle » qui lui sert pour son shopping en ligne, et tous les sites qu’elle ne connaît pas et qui pourraient revendre ses coordonnées.

#gallery-2 { margin: auto; } #gallery-2 .gallery-item { float: left; margin-top: 10px; text-align: center; width: 50%; } #gallery-2 img { border: 2px solid #cfcfcf; } #gallery-2 .gallery-caption { margin-left: 0; } /* see gallery_shortcode() in wp-includes/media.php */

Quelques jours plus tard, Rȯse se rend sur les lieux de l’événement et rencontre le groupe des ContribUtopistes. Iels lui proposent d’échanger un quart d’heure de son temps, à bloquer l’écran de pub avec un parapluie, contre une bouture d’arbre qu’elle pourra planter chez elle. Rȯse adore l’idée et passe la matinée à sympathiser avec les ContribUtopistes.

Rȯse s’inscrit sur Mobilizon

Bénédicte, la référente du groupe, explique à Rȯse que ces écrans fonctionnent comme Facebook : ils imposent de la pub dans notre vie tout en captant nos comportements et nos données. Bénédicte conseille à Rȯse d’aller sur mobilizon.org pour se renseigner par elle-même sur l’alternative que les ContribUtopistes ont choisie.

Rȯse est convaincue, elle a envie d’essayer Mobilizon. Elle comprend qu’elle doit se trouver une instance, c’est à dire un site web Mobilizon qui va héberger son compte et ses données. Elle se dit que si elle doit confier ses données, elle veut trouver un hébergeur de confiance. Elle va donc voir la page « à propos » de plusieurs instances Mobilizon pour voir comment ces hébergeurs se présentent et quelles sont leurs règles.

Rȯse a trouvé son instance, elle se lance. Elle se doute bien qu’elle ne va pas quitter Facebook du jour au lendemain, mais elle se dit qu’elle peut commencer par s’inscrire sur Mobilizon, quitte à devoir publier sur Facebook les liens vers les événements et groupes qu’elle veut promouvoir.

 

Rȯse veut rejoindre un groupe

Une fois son compte confirmé et son profil rempli (enfin un site qui ne demande pas beaucoup d’informations de profil !) Rȯse va sur la page des ContribUtopistes pour rejoindre le groupe.

Malheureusement, le bouton « rejoindre le groupe » ne marche pas, il est grisé. Visiblement, on ne peut pas demander à rejoindre un groupe, il faut y être invité. Lorsqu’elle se penche sur la question, Rȯse se rend compte que c’est juste une question de temps avant que cette fonctionnalité ne soit ajoutée au site.

Elle cherche comment faire pour se faire inviter au groupe des ContribUtopistes et voit qu’il y a un article « Devenez Contributopistes ! » sur la page du groupe. En fait, ces articles, c’est un peu comme un blog, se dit-elle.

Elle suit les instructions et va sur la page de l’événement auquel elle a participé et ajoute un commentaire rappelant qui elle est et demandant à être invitée au groupe.

L’anniversaire surprise de la maman de Rȯse

C’est bientôt l’anniversaire de la maman de Rȯse. Narcisse Boréal, son papa, demande à sa fille comment organiser une fête surprise sans passer par Facebook, pour ne pas vendre la mèche. Rȯse, la geek de la famille, explique à son papa comment se créer un compte sur Mobilizon.

Tout à son enthousiasme, Narcisse crée aussi l’événement pour inviter famille et ami·es à l’anniversaire surprise de sa compagne. C’est un formulaire assez court, et les options sont explicites :

Rȯse va sur son instance Mobilizon, mais n’y voit pas l’événement créé par son père. Elle se rend compte qu’il s’est inscrit sur un autre site web Mobilizon, une autre instance. Heureusement, ces instances sont fédérées : depuis la barre de recherche de son instance à elle, Rȯse peut trouver l’événement que son père a créé sur son instance à lui.

Rȯse cloisonne ses activités familiales et militantes

Rȯse hésite à s’inscrire sur l’événement de son père… Elle n’a pas envie que sa famille voie qu’elle a utilisé ce compte pour aller militer avec les ContribUtopistes ! Elle décide donc d’aller dans les paramètres de son compte pour se créer un nouveau profil.

Rȯse s’inscrit donc à l’événement de son papa avec ce nouveau profil, qu’elle utilisera uniquement pour les événements familiaux.

Elle en profite pour partager l’événement auprès de quelques membres de la famille, puis elle exporte l’événement pour ajouter la date dans son agenda en ligne.

Rȯse se mobilize pour les ContribUtopistes

Dans ses notifications, Rȯse s’aperçoit que les ContribUtopistes ont lu son message et l’ont invitée à rejoindre le groupe. Elle repasse sur son profil militant pour accepter l’invitation.

Dans le groupe, elle aperçoit une nouvelle discussion sur les leçons de l’événement précédent et la prochaine initiative du groupe

Au bout de quelques semaines, l’implication et la volonté de Rȯse ne passent pas inaperçus. Bénédicte, l’administratrice du groupe Les Contributopistes sur Mobilizon, décide de promouvoir Rȯse en tant que modératrice du groupe.

Rȯse fait fonctionner l’intelligence collective !

Devenir modératrice va permettre à Rȯse de prendre en charge l’organisation du prochain événement des ContribUtopistes. Elle crée un brouillon de l’événement « Collages pas sages » pour en discuter avec le groupe.

Cependant, Rȯse ne parvient pas à décrire l’événement toute seule. Elle décide de faire marcher l’intelligence collective et de créer un pad d’écriture collaborative. Sur Mobilizon, cela se fait en deux clics depuis l’espace Ressources du groupe.

Le groupe a bien travaillé, le texte est top. Rȯse n’a plus qu’à le mettre en page dans la description de l’événement des Collages Pas Sages et à le publier !

Prologue : les fennecs ne font pas des lapins

Quelques jours plus tard, Rȯse se rend sur l’événement. Quelle joie de voir que de nombreuses personnes s’y sont inscrites ! Soudain, alors qu’elle lisait les commentaires de l’événement, Rȯse pousse un petit cri de suprise :

Plusieurs membres de sa famille se sont inscrits à l’événement des collages pas sages, sans savoir que c’était Rȯse qui l’avait organisé ! Il y a même son père qui demande à rejoindre les ContribUtopistes.

Dans un sourire, Rȯse se dit qu’il faudra qu’elle leur montre comment se créer plusieurs profils sur Mobilizon, si jamais ça les intéresse.

illustration : David Revoy (CC-By)

Mobilizon.org, la porte d’entrée vers Mobilizon

Tout le monde n’est pas comme Rȯse. En vérité, chaque personne va avoir sa manière d’aborder Mobilizon : certaines vont vouloir s’inscrire tout de suite, d’autres vont chercher à comprendre les concepts politiques derrière l’outil numérique, alors que les derniers vont vouloir savoir comment cela fonctionne.

C’est pour cela que nous avons créé Mobilizon.org : c’est LE site à retenir et partager, qui vous aiguillera vers

illustration : David Revoy (CC-By)

Tous ces outils nous ont demandé du temps et du travail. Notre petite association (35 membres, 10 salarié·es) est financée quasi-exclusivement par les dons des particuliers. Si vous voulez soutenir ce travail et nous encourager à poursuivre, vous pouvez le faire par un don, déductible des impôts pour les contribuables français.

Soutenir Framasoft

Une autre manière de soutenir nos actions, c’est de vous en emparer, les utiliser et les faire connaître. Désormais, c’est à vous de vous rassembler, vous organiser et vous mobilizer… grâce à Mobilizon !

Premiers pas avec Mobilizon.org




Mobilizon. Your events. Your groups. Your data.

Mobilizon is our free-libre and federated tool to free events and groups from the clutches of Facebook. After two years of work, today we are releasing the first version of this software, along with a whole series of tools so that you can quickly get started.

Delayed because of pandemic

Announced almost two years ago on the Framablog (FR), Mobilizon was born  of our need to offer a solid alternative to Facebook to friends who organize climate walks, LGBT+ association organisations and new educational workshops with that platform’s limited options.

The success of our fundraising campaign (spring 2019) reinforced our belief that there was great demand for such an alternative. To this end, we worked with designers to understand the expectations of activists who use Facebook to gather and organize.

illustration: David Revoy (CC-By)

We planned to launch the first version (the « v1 ») of Mobilizon this summer. Life, however, has other plans. A global pandemic and a French quarantine induced a rush on the online collaboration services our small association offers. Our entire team, including the developer who carries the Mobilizon project on his shoulders, put their activities on hold to contribute to the collective effort.

However, the stakes behind Mobilizon are high. In our opinion, to be successful, Mobilizon must be :

  • Emancipatory. It is a software that we want to be free, federated and separate from the attention economy.
  • Practical. Mobilizon is above all a tool for managing your events, your profiles and your groups.
  • Welcoming. We have created and incorporated tools explaining how to use its features, to find your Mobilizon instance or even hos to install it yourself.

illustration : David Revoy (CC-By)

Building the freedoms that Facebook denies us

Federate to foster diversity

There is not one but several Mobilizons. By going to Mobilizon.org you will find a selection of instances: websites created by those who have installed Mobilizon software on their server. Each of these instances offers you the same service, but from a different host.

Multiplying Mobilizon instances is healthier for the Internet as it avoids the formation of web giants. Decentralizing usage over multiple Mobilizon instances prevents the creation of huge datasets that could be exploited for surveillance or mass manipulation.

It is also healthier for you: it allows you to find your host, the one whose management, terms of use, business model, moderation charter, etc. match your values.

Each of these Mobilizon instances can federate with others, as well as interacting with them. For example, if the « UniMobilized » and « MobilizedSports » instances are federated, UniMobilized user Camille will be able to register for the karate course her teacher has created on the MobilizedSports instance.

An event on Mobilizon

A software that respects your freedoms

Mobilizon is a free-libre software, so it respects your freedoms. This means for example, that its source code, the « recipe » that allows one to concoct Mobilizon, is made public for transparency’s sake. People who know how to code are free to browse the source code as they wish, to see for themselves whether there are hidden features (spoiler alert: there aren’t!).

Moreover, the culture of free-libre software is a community-driven culture of contribution. Mobilizon should therefore be seen as a digital commons, that everyone can use and to which everyone can contribute. Your remarks, feedback, skills (in translation, tests, explanations, code, etc.) will be considered as contributions to the common project.

Finally, if the direction given to the Mobilizon code does not suit you, you are completely free to create your own team and « fork » the software. Thus, several governances and directions can be given to the same initial project, which is a strong defence against any monopolization.

illustration : David Revoy (CC-By)

Saving your attention from the economy

The truth is, Mobilizon may feel confusing. Where most platforms gamble on your user experience and flatter your ego to better capture your attention and data, Mobilizon is a tool. It is not a hobby where you can scroll endlessly, simply a service to organize your events and groups.

Mobilizon is designed to not monopolize your attention: no infinite scrolling, no running to check likes and new friends.

Mobilizon makes it futile to inflate the number of participants in your event or the number of members in your group. When each account can create an infinite number of profiles, the numbers displayed by the membership counters are no longer an influencer’s badge.

Mobilizon is designed so that you can follow the news of a group, but not of an individual: it is impossible to follow a single profile. In Mobilizon, profiles have no « wall », « thread » or « story »: only groups can publish posts. The goal is to get rid of the self-promotional reflexes where we stage our lives to be the person at the center of our followers. With Mobilizon, it is not the ego but the collective that counts.

Finally, if there is no ability to like a comment or a message in a group discussion, it keeps the exchanges informative. This prevents the common exchange from turning into a dialogue-duel where you have to keep and save face.

In fact… we have to stop comparing Mobilizon to a free-libre Facebook clone. If user engagement is the new oil the giants of the web drill for, Mobilizon is an attempt, at our small level, of a tool designed for attentional sobriety.

« Do I have a Facebook face? »
— Mobilizon, freeing itself from the comparison

A service for your events, your profiles, your groups.

Mobilizon allows you to register for events

On Mobilizon instances you can find many events published by organizers: date, location (geographical or online), description… The event form gives you quick access to essential information, as well as the ability to register, add the event to your calendar or share it.

The search bar will give you results that match your keywords, your location or a specific time. This search is done within the events on the Mobilizon website you are browsing, but also across all events on other Mobilizon websites to which yours is linked, or « federated ».

When the organizers allow it, you can participate anonymously in an event: no need to log in a Mobilizon account, only a confirmation email will be required!

illustration : David Revoy (CC-By)

One account, one instance, several profiles

If you wish to participate more actively in events and groups (or even organize them yourself), you will need to create an account on one of the existing Mobilizon instances.

Before signing up, remember to find out about the instance you are interested in (starting with its « about » page). By looking at who administers this instance, their content moderation policy, their business model, who they choose to federate with or not, etc., you will know if the governance they apply to their Mobilizon website is right for you.

A single account will allow you to create as many profiles as you want. Note that multiple profiles are not a cyber security measure (which should be provided by other tools and practices). It is a social partitioning tool, allowing you to display different facets of yourself depending on the social groups you are involved with.

This will allow you, for example, to reserve one profile to register for family birthdays and another for work-related conferences, or to distinguish between groups related to your hobbies and those where you organize your activist activities.

In the left column you can see that this is Rȯse’s second profile.

Groups to discuss and organize

Currently, you must wait until you have been invited into a Mobilizon group before selecting one of your profiles to join. You can also create and organize your own group to invite whoever you want and define roles (and therefore permissions) of the new members of the group you administer.

In Mobilizon, groups have a public page where you can display a short presentation of the group, upcoming events and the latest posts published.

In the group members’ area, members can (depending on their permission level) start and participate in discussions, create new events and public messages or add new resources (link to a collaborative writing pad, online survey, etc.) in the group resources page.

A group page as seen by one of the members of this group

Mobilizon.org, the site to share

To help you find your way around and choose your instance, we designed Mobilizon.org. It’s a site that will guide you on your first steps, whether you want to get some info, test Mobilizon, find your instance, learn more, or contribute to Mobilizon’s future.

There you will find links to our facilitation tools, in French and English, such as :

illustration : David Revoy (CC-By)

Mobilizon, a common contributor

Meet Rȯse, Mobilizon’s mascott.
illustration : David Revoy (CC-By)

From the very start, Mobilizon has been a collective adventure. Framasoft would first of all like to thank and congratulate the developer, an employee of the association, who has devoted nearly two years of his professional life to making this tool a reality.

Of course our thanks also go to all the members, volunteers and employees, who contributed to the project, as well as to Marie-Cécile Godwin (conception, UX design), Geoffrey Dorne (graphic & UI design) and David Revoy (illustrations).

Finally, we would like to thank all the people who believed in this project and supported it through their sharing, their attention and their money, especially during the fundraising that helped finance this first version.

In the coming months, Framasoft is eager to see the creation of a community that will take over the Mobilizon code and, in the long term, take charge of its maintenance. This will be done according to good will and over time, but we hope that this new chick will one day be strong enough from your contributions to leave the nest of our association.

In the meantime, we are going to be very attentive to your feedback, your corrections and your desires on the evolutions to be brought to this tool. We also have a few ideas on our side and we have no doubt that Mobilizon will grow in the coming months.

Support Framasoft

This work can be acheived thanks to the support and donations that finance our association. Donations represent 95% of our income and give us our freedom of action. As Framasoft is recognized as being in the public interest, a donation of 100 € from a French taxpayer will, after deduction, be reduced to 34 €.

In the meantime, it is now up to you to mobilize to make Mobilizon known!

Get started on Mobilizon.org




Mobilizon. Vos événements. Vos groupes. Vos données.

Mobilizon, c’est notre outil libre et fédéré pour libérer nos événements et nos groupes des griffes de Facebook. Après deux ans de travail, nous publions aujourd’hui la première version de ce logiciel, accompagnée de toute une série d’outils pour que vous puissiez rapidement le prendre en main.

Retardé pour cause de pandémie

Décrit pour la première fois il y a près de deux ans sur le Framablog, Mobilizon est né de notre besoin de proposer une alternative solide à Facebook à nos ami·es qui y organisent des marches pour le climat, des permanences d’associations LGBT+ et des ateliers d’éducation nouvelle.

Le succès de la collecte lancée au printemps 2019 pour financer ce développement nous a conforté.e.s dans le fait qu’un tel outil était attendu et désiré. Nous avons donc travaillé avec des designers pour comprendre les attentes et les usages des militant·es qui utilisent Facebook pour se rassembler.

illustration : David Revoy (CC-By)

Si nous pensions finaliser et publier la première version (la « v1 ») de Mobilizon cet été, c’était sans compter sur une pandémie mondiale et un confinement français qui a induit une ruée sur les services de collaboration en ligne que notre petite association propose. L’ensemble de notre équipe, dont le développeur qui porte le projet Mobilizon sur ses épaules, a dû mettre entre parenthèses ses activités pour contribuer à l’effort collectif.

Pourtant, les enjeux derrière Mobilizon sont grands. À nos yeux, pour être réussi, Mobilizon doit être :

  • Émancipateur. C’est un logiciel que nous voulons libre, fédéré et hors de l’économie de l’attention.
  • Pratique. C’est avant tout un outil pour gérer vos événements, vos profils et vos groupes.
  • Accueillant. Donc accompagné d’outils expliquant comment l’utiliser, trouver votre hébergement Mobilizon ou l’installer vous-même.

Illustration : David Revoy (CC-By)

S’offrir les libertés que Facebook nous refuse

Fédérer pour favoriser la diversité

Il n’y a pas un mais des Mobilizon. En allant sur Mobilizon.org, vous trouverez une sélection d’instances, donc de sites web créés par des personnes qui ont installé le logiciel Mobilizon sur leur serveur. Chacune de ces instances vous propose le même service, mais chez un hébergeur différent.

Multiplier les instances Mobilizon est plus sain pour Internet : cela permet d’éviter la formation de géants du web. Décentraliser les usages sur de multiples instances Mobilizon empêche la création d’énormes jeux de données qui pourraient être exploités pour de la surveillance ou de la manipulation des masses.

C’est aussi plus sain pour vous : cela vous permet de trouver votre hébergeur, celui dont la gestion, les conditions d’utilisation, le modèle économique, la charte de modération, etc. correspondent à vos valeurs.

Chacune de ces instances Mobilizon peut se fédérer aux autres, et ouvrir les interactions. Par exemple, si les instances « MobilizTaFac » et « SportMobilizé » sont fédérées, Camille qui a un compte d’étudiante sur MobilizTaFac pourra s’inscrire au stage de karaté, alors que son prof l’a créé sur l’instance SportMobilizé.

Présentation d’un événement sur Mobilizon

Un logiciel qui respecte vos libertés

Mobilizon est un logiciel libre, donc qui respecte vos libertés. Cela signifie par exemple que son code source, la « recette de cuisine » qui permet de concocter Mobilizon, est rendu public, dans un souci de transparence. Les personnes qui savent coder, par exemple, sont libres d’aller y jeter un œil et de dire s’il y a des fonctionnalités cachées (divulgâchis : il n’y en a pas !)

Par ailleurs, la culture du logiciel libre est une culture communautaire de la contribution. Il faut donc considérer Mobilizon comme un commun numérique, dont chacun peut s’emparer et auquel chacune peut contribuer. Vos remarques, retours, participations (en traduction, tests, explications, code, etc.) seront considérées comme autant d’apports au projet commun.

Enfin, si la direction donnée au code de Mobilizon ne vous convient pas, vous êtes tout à fait libre de créer votre propre équipe et de « fourcher » le logiciel. Ainsi, plusieurs gouvernances et plusieurs directions peuvent être données à un même projet initial, ce qui est un rempart fort contre toute volonté de monopolisation.

Illustration : David Revoy (CC-By)

Vous laisser en maîtrise de votre attention

À vrai dire, Mobilizon risque de vous bousculer dans vos habitudes. Là où la plupart des plateformes gamifient votre expérience d’utilisation et flattent votre ego pour mieux capter votre attention et vos données, Mobilizon est un outil. Pas un passe-temps où l’on peut scroller à l’infini, juste un service pour organiser vos événements et vos groupes.

Mobilizon est conçu pour ne pas capter votre attention : pas de scroll infinis, de course aux likes et aux amis.

Mobilizon rend futile toute envie de gonfler le nombre de participant·es à votre événement ou de membres dans votre groupe. Lorsque chaque compte peut se créer une infinité de profils, alors les nombres affichés par compteurs d’inscrit·es ne sont plus un signe extérieur d’influence.

Mobilizon est conçu pour que vous puissiez y suivre les actualités d’un groupe, mais pas d’une personne : il est impossible de suivre les actualités d’un profil. Car dans Mobilizon, les profils n’ont pas de « mur », de « fil » ni de « story » : seuls les groupes peuvent publier des billets. L’objectif est de se défaire des réflexes d’auto-promotion où l’on se met en scène pour être la personne au centre de ses followers. Avec Mobilizon, ce n’est pas l’ego mais la construction du collectif qui compte.

Enfin, s’il n’y a pas la possibilité de liker un commentaire ou un message dans une discussion de groupe, c’est pour garder les échanges informatifs. Cela évite que l’échange en commun ne tourne au dialogue-duel où il faut faire bonne figure.

En fait… il faut qu’on arrête de comparer Mobilizon à un clone libre de Facebook. Si votre attention est le nouveau pétrole que s’arrachent les géants du web, Mobilizon est une tentative, à notre petit niveau, d’un outil conçu pour la sobriété attentionnelle.

« Est-ce que j’ai une gueule de Facebook ? »
— Mobilizon, qui s’émancipe de la comparaison.

Un outil pratique pour vos événements, vos profils, vos groupes.

Mobilizon permet de s’inscrire à des événements

Sur les instances de Mobilizon, vous pouvez trouver de nombreux événements publiés par des organisateur·ices : date, lieu (géographique ou en ligne), description… La fiche d’un événement vous donne accès au plus vite aux informations essentielles, ainsi que la possibilité de vous inscrire, d’ajouter l’événement à votre agenda ou de le partager.

La barre de recherche vous donnera des résultats qui correspondent à vos mots-clés, à votre localisation ou à un moment précis. Cette recherche se fait dans les événements du site web Mobilizon où vous naviguez, mais aussi parmi tous les événements des autres sites web Mobilizon auquel le vôtre s’est relié, ou « fédéré ».

Lorsque les organisateur·ices le permettent, vous pouvez participer anonymement à un événement : pas besoin de se créer un compte Mobilizon, seul un email de confirmation sera nécessaire !

Illustration : David Revoy (CC-By)

Un compte, un hébergement, mais plusieurs profils

Si vous désirez participer plus activement à des événements et des groupes (voire les organiser vous-même), il faudra vous créer un compte sur une des instances Mobilizon existantes.

Avant de vous inscrire, pensez à vous renseigner sur l’instance qui vous intéresse (en commençant par sa page « à propos »). C’est en regardant qui sont les personnes qui administrent cette instance, leur politique de modération des contenus, leur modèle économique, avec qui iels choisissent de se fédérer ou non, etc. que vous saurez si la gouvernance qu’iels appliquent à leur site web Mobilizon vous correspond.

Un seul et unique compte vous permettra de créer autant de profils que vous voudrez. Notez que ces profils multiples ne sont pas une mesure de cyber-sécurité (qui doit être assurée par d’autres outils et pratiques). Il s’agit d’un outil de cloisonnement social, permettant d’afficher différentes facettes de votre personne suivant les groupes sociaux où vous agissez.

Cela vous permettra, par exemple, de réserver un profil pour vous inscrire aux anniversaires familiaux et un autre pour des conférences liées au travail, ou encore de distinguer les groupes liés à vos loisirs de ceux vous permettant d’organiser vos activités militantes.

Sur la colonne de gauche, on voit que c’est le deuxième profil de Rȯse.

Des groupes pour discuter et s’organiser ensemble

Pour l’instant, il vous faut attendre d’avoir été invité·e dans un groupe Mobilizon avant de sélectionner un de vos profils pour rejoindre ce groupe. Vous pouvez aussi créer et organiser votre propre groupe pour y inviter qui bon vous semble et définir les rôles (et donc les autorisations) des nouveaux membres du groupe que vous administrez.

Dans Mobilizon, ce sont les groupes qui disposent d’une page publique où vous pouvez exposer une courte présentation du groupe, les événements à venir et les derniers billets publiés par le groupe.

Dans l’espace réservé aux personnes inscrites au groupe, les membres peuvent (suivant leur niveau d’autorisation) ouvrir et participer aux discussions, créer de nouveaux événements et billets ou ajouter de nouvelles ressources externes (lien vers un pad d’écriture collaborative, un sondage en ligne, etc.) dans la page des ressources du groupe.

La page d’un groupe vue par une des membres de ce groupe

Mobilizon.org, le site à partager

Pour vous aider à vous y retrouver et à choisir votre instance, nous avons conçu Mobilizon.org. C’est un site qui vous aiguillera selon vos besoins, que vous vouliez en savoir plus, tester, trouver votre instance, approfondir vos connaissances ou contribuer au futur de Mobilizon.

Vous y trouverez des liens vers nos outils de facilitation, en français et en anglais, tels que :

Illustration : David Revoy (CC-By)

Mobilizon, un commun contributif

Voici Rȯse, la mascotte de Mobilizon.
illustration : David Revoy (CC-By)

Mobilizon est, depuis le début, une aventure collective. Framasoft tient avant tout à remercier et féliciter le développeur, salarié de l’association, qui a consacré près de deux ans de sa vie professionnelle à concrétiser cet outil.

Bien entendu nos remerciements vont aussi à l’ensemble des membres, bénévoles et salarié·es, qui ont contribué au projet, ainsi qu’à Marie-Cécile Godwin (conception, UX design), Geoffrey Dorne (graphisme, design UI), David Revoy (illustrations).

Enfin, nous voulons remercier toutes les personnes qui ont cru à ce projet et l’ont soutenu par leurs partages, leur attention et leur argent, notamment lors de la collecte qui a permis de financer cette v1.

Dans les prochains mois, Framasoft souhaite vivement que se crée une communauté qui s’empare du code de Mobilizon et, à terme, prenne en charge son maintien. Cela se fera en fonction des bonnes volontés et sur la durée, mais nous espérons que ce nouvel oisillon sera un jour assez fort de vos contributions pour quitter le nid de notre association.

En attendant, nous allons être très attentives et attentifs, dans les prochaines semaines, à vos retours, vos correctifs et vos envies sur les évolutions à apporter à cet outil. Nous avons aussi quelques idées de notre côté et nous ne doutons pas que Mobilizon va s’étoffer dans les mois à venir.

Soutenir Framasoft

Ce travail ne se fera que grâce aux soutiens et aux dons qui financent les actions de notre association. En effet, les dons des personnes qui nous soutiennent représentent 95 % de nos revenus et nous offrent notre liberté d’action. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.

En attendant, c’est désormais à vous de vous mobilizer pour faire connaître Mobilizon !

Premiers pas avec Mobilizon.org




Laurent Chemla propose : exigeons des GAFAM l’interopérabilité

« Il est évidemment plus qu’urgent de réguler les GAFAM pour leur imposer l’interopérabilité. » écrit Laurent Chemla. Diable, il n’y va pas de main morte, le « précurseur dans le domaine d’Internet » selon sa page Wikipédia.

Nous reproduisons ici avec son accord l’article qu’il vient de publier sur son blog parce qu’il nous paraît tout à fait intéressant et qu’il est susceptible de provoquer le débat : d’aucuns trouveront sa proposition nécessaire pour franchir une étape dans la lutte contre des Léviathans numériques et le consentement à la captivité. D’autres estimeront peut-être que sa conception a de bien faibles chances de se concrétiser : est-il encore temps de réguler les Gafam ?

Nous souhaitons que s’ouvre ici (ou sur son blog bien sûr) la discussion. Comme toujours sur le Framablog, les commentaires sont ouverts mais modérés.

Interopérabilitay

« Interopérabilité » : ce mot m’ennuie. Il est moche, et beaucoup trop long.

Pourtant il est la source même d’Internet. Quasiment sa définition, au moins sémantique puisqu’il s’agit de faire dialoguer entre eux des systèmes d’information d’origines variées mais partageant au sein d’un unique réseau de réseaux la même « lingua franca » : TCP/IP et sa cohorte de services (ftp, http, smtp et tant d’autres) définis par des standards communs. Des machines « interopérables », donc.

Faisons avec.

L’interopérabilité, donc, est ce qui a fait le succès d’Internet, et du Web. Vous pouvez vous connecter sur n’importe quel site Web, installé sur n’importe quel serveur, quelle que soit sa marque et son système d’exploitation, depuis votre propre ordinateur, quelle que soit sa marque, son système d’exploitation, et le navigateur installé dessus.

Avant ça existaient les silos. Compuserve, AOL, The Microsoft Network en étaient les derniers représentants, dinosaures communautaires enterrés par la comète Internet. Leur volonté d’enfermer le public dans des espaces fermés, contrôlés, proposant tant bien que mal tous les services à la fois, fut ridiculisée par la décentralisation du Net.

Ici vous ne pouviez échanger qu’avec les clients du même réseau, utilisant le même outil imposé par le vendeur (« pour votre sécurité »), là vous pouviez choisir votre logiciel de mail, et écrire à n’importe qui n’importe où. Interopérabilité.

Ici vous pouviez publier vos humeurs, dans un format limité et imposé par la plateforme (« pour votre sécurité »), là vous pouviez installer n’importe quel « serveur web » de votre choix et y publier librement des pages accessibles depuis n’importe quel navigateur. Interopérabilité.

Bref. Le choix était évident, Internet a gagné.

Il a gagné, et puis… Et puis, selon un schéma désormais compris de tous, le modèle économique « gratuité contre publicité » a envahi le Web, en créant – une acquisition après l’autre, un accaparement de nos données après l’autre – de nouveaux géants qui, peu à peu, se sont refermés sur eux-mêmes (« pour votre sécurité »).

Il fut un temps où vous pouviez écrire à un utilisateur de Facebook Messenger depuis n’importe quel client, hors Facebook, respectant le standard (en l’occurrence l’API) défini par Facebook. Et puis Facebook a arrêté cette fonctionnalité. Il fut un temps où vous pouviez développer votre propre client Twitter, qui affichait ses timelines avec d’autres règles que celles de l’application officielle, pourvu qu’il utilise le standard (encore une API) défini par Twitter. Et puis Twitter a limité cette fonctionnalité. De nos jours, il devient même difficile d’envoyer un simple email à un utilisateur de Gmail si l’on utilise pas soi-même Gmail, tant Google impose de nouvelles règles (« pour votre sécurité ») à ce qui était, avant, un standard universel.

On comprend bien les raisons de cette re-centralisation : tout utilisateur désormais captif devra passer davantage de temps devant les publicités, imposées pour pouvoir utiliser tel ou tel service fermé. Et il devra – pour continuer d’utiliser ce service – fournir toujours davantage de ses données personnelles permettant d’affiner son profil et de vendre plus cher les espaces publicitaires. Renforçant ainsi toujours plus les trésoreries et le pouvoir de ces géants centralisateurs, qui ainsi peuvent aisément acquérir ou asphyxier tout nouveau wanabee concurrent, et ainsi de suite.

C’est un cercle vertueux (pour les GAFAM) et vicieux (pour nos vies privées et nos démocraties), mais c’est surtout un cercle « normal » : dès lors que rien n’impose l’interopérabilité, alors – pour peu que vous soyez devenu assez gros pour vous en passer – vous n’avez plus aucun intérêt à donner accès à d’autres aux données qui vous ont fait roi. Et vous abandonnez alors le modèle qui a permis votre existence au profit d’un modèle qui permet votre croissance. Infinie.

Imaginez, par exemple, qu’à l’époque des cassettes vidéo (respectant le standard VHS) un fabricant de magnétoscopes ait dominé à ce point le marché qu’on ait pu dire qu’il n’en existait virtuellement pas d’autres : il aurait évidemment modifié ce standard à son profit, en interdisant par exemple l’utilisation de cassettes d’autres marques que la sienne (« pour votre sécurité »), de manière à garantir dans le temps sa domination. C’est un comportement « normal », dans un monde libéral et capitaliste. Et c’est pour limiter ce comportement « normal » que les sociétés inventent des régulations (standards imposés, règles de concurrence, lois et règlements).

Et il est évidemment plus qu’urgent de réguler les GAFAM pour leur imposer l’interopérabilité.

Nous devons pouvoir, de nouveau, écrire depuis n’importe quel logiciel de messagerie à un utilisateur de Facebook Messenger, pourvu qu’on respecte le standard défini par Facebook, comme nous devons écrire à n’importe quel utilisateur de Signal en respectant le standard de chiffrement de Signal. Il n’est pas question d’imposer à Signal (ou à Facebook) un autre standard que celui qu’il a choisi (ce qui empêcherait toute innovation), pourvu que le standard choisi soit public, et libre d’utilisation. Mais il est question de contraindre Facebook à (ré)ouvrir ses API pour permettre aux utilisateurs d’autres services d’interagir de nouveau avec ses propres utilisateurs.

Au passage, ce point soulève une problématique incidente : l’identité. Si je peux écrire à un utilisateur de Messenger, celui-ci doit pouvoir me répondre depuis Messenger. Or Messenger ne permet d’écrire qu’aux autres utilisateurs de Messenger, identifiés par Facebook selon ses propres critères qu’il n’est pas question de lui imposer (il a le droit de ne vouloir admettre que des utilisateurs affichant leur « identité réelle », par exemple : ce choix est le sien, comme il a le droit de limiter les fonctionnalités de Messenger pour lui interdire d’écrire à d’autres : ce choix est aussi le sien).

Il est donc cohérent d’affirmer que – pour pouvoir écrire à un utilisateur de Messenger depuis un autre outil – il faut avoir soi-même un compte Messenger. Il est donc logique de dire que pour pouvoir lire ma timeline Twitter avec l’outil de mon choix, je dois avoir un compte Twitter. Il est donc évident que pour accéder à mon historique d’achat Amazon, je dois avoir un compte Amazon, etc.

capture d’écran, discussion sur Twitter
capture d’écran, discussion avec L. Chemla sur Twitter. cliquez sur cette vignette pour agrandir l’image

L’obligation d’avoir une identité reconnue par le service auquel on accède, c’est sans doute le prix à payer pour l’interopérabilité, dans ce cas (et – au passage – c’est parce que la Quadrature du Net a décidé d’ignorer cette évidence que j’ai choisi de quitter l’association).

Ce qui ne doit évidemment pas nous obliger à utiliser Messenger, Amazon ou Twitter pour accéder à ces comptes: l’interopérabilité doit d’accéder à nos contacts et à nos données depuis l’outil de notre choix, grâce à l’ouverture obligatoire des API, pourvu qu’on dispose d’une identité respectant les standards du service qui stocke ces données.

On pourrait résumer ce nouveau type de régulation avec cette phrase simple :

« si ce sont MES données, alors je dois pouvoir y accéder avec l’outil de MON choix ».

Je dois pouvoir lire ma timeline Twitter depuis l’outil de mon choix (et y publier, si évidemment j’y ai un compte, pour que les autres utilisateurs de Twitter puissent s’y abonner).

Je dois pouvoir consulter mon historique d’achats chez Amazon avec l’outil de mon choix.

Je dois pouvoir écrire à (et lire les réponses de) mes contacts Facebook avec l’outil de mon choix.

Il y aura, évidemment, des résistances.

On nous dira (« pour votre sécurité ») que c’est dangereux, parce que nos données personnelles ne seront plus aussi bien protégées, dispersées parmi tellement de services décentralisés et piratables. Mais je préfère qu’une partie de mes données soit moins bien protégée (ce qui reste à démontrer) plutôt que de savoir qu’une entreprise privée puisse vendre (ou perdre) la totalité de ce qui est MA vie.

On nous dira que c’est « excessivement agressif pour le modèle économique des grandes plateformes », alors qu’évidemment c’est justement le modèle économique des grandes plateformes qui est excessivement agressif pour nos vies privées et nos démocraties, d’une part, et que d’autre part l’interopérabilité ne modifie en rien ce modèle économique : dès lors qu’elles stockent toujours une partie de nos données elles restent (hélas) en capacité de les vendre et/ou de les utiliser pour « éduquer » leurs IA. Tout au plus constateront-elles un manque-à-gagner comptable, mais ne gagnent-elles pas déjà largement assez ?

À ce jour, l’interopérabilité s’impose comme la seule solution réaliste pour limiter le pouvoir de nuisance de ces géants, et pour rétablir un peu de concurrence et de décentralisation dans un réseau qui, sinon, n’a plus d’autre raison d’être autre chose qu’un simple moyen d’accéder à ces nouveaux silos (qu’ils devraient donc financer, eux, plutôt que les factures de nos FAI).

À ce jour, l’ARCEP, la Quadrature du Net (même mal), l’EFF, le Sénat, et même l’Europe (Margrethe Vestager s’est elle-même déclarée en faveur de cette idée) se sont déclarés pour une obligation d’intéropérabilité. C’est la suite logique (et fonctionnelle) du RGPD.

Qu’est-ce qu’on attend ?

Édit. de Laurent suite à la publication de l’article sur son blog

Suite à ce billet des discussions sur Twitter et Mastodon, indépendamment, m’ont amené à préciser ceci : prenons par exemple mamot.fr (l’instance Mastodon de la Quadrature) et gab.ai (l’instance Mastodon de la fachosphère). Mamot.fr, comme nombre d’autres instances, a refusé de se fédérer avec Gab. C’est son droit. En conséquence, les utilisateurs de Gab ne peuvent pas poster sur Mamot, et inversement.

Pour autant, les deux sont bel et bien interopérables, et pour cause : elles utilisent le même logiciel. Gab pourrait parfaitement développer un bout de code pour permettre à ses utilisateurs de publier sur Mamot, pour peu qu’ils s’y soient identifiés (via une OAuth, pour les techniciens) prouvant ainsi qu’ils en acceptent les CGU.

Ce qu’elles ne sont pas, c’est interconnectées : il n’est pas possible de publier sur l’une en s’identifiant sur l’autre, et inversement.

Je crois qu’au fond, les tenants de l’idée qu’on devrait pouvoir publier n’importe quoi n’importe où, sans identification supplémentaire, confondent largement ces deux notions d’interconnexion et d’interopérabilité. Et c’est fort dommage, parce que ça brouille le message de tous.

 

Pour aller plus loin dans la technique, vous pouvez aussi lire cette réponse de Laurent dans les commentaires de NextINpact.