Prix Nobel de la paix : libre détournement du discours d’Obama

ChrisAC - CC by-saNul ne l’ignore, Barack Obama a reçu récemment le prix Nobel de la paix 2009, déclenchant au passage une petite polémique quant à la légitimité d’un choix représentant alors bien plus un encouragement à poursuivre une action qu’une récompense couronnant l’ensemble d’une longue et fructueuse carrière.

Certains, parmi les plus critiques, sont même allés jusqu’à affirmer que Barack Obama méritait bien plus le « prix Nobel des discours » que celui de la paix ! Loin de moi l’idée de participer au débat, mais force est de reconnaitre qu’effectivement côté discours, Barack Obama est souvent au dessus de la mêlée. Je garde ainsi encore en mémoire l’exceptionnel discours de Philadelphie (vidéo 1 et 2) sur la question raciale le 18 mars 2008, lorsqu’en pleine campagne il était contesté par la découverte des propos radicaux de son ancien pasteur Jeremiah Wright.

Le discours de remerciement du président américain apprenant qu’on lui avait fait l’honneur du prix Nobel de la paix n’a pas fait exception : sobre, humble et rassembleur.

Soit, mais où veut-il en venir à nous parler d’Obama sur un blog censé nous parler de logiciel libre ?

Point d’impatience, nous y voilà. Il se trouve que le célèbre informaticien Jon « maddog » Hall[1] s’est amusé, ci-dessous, à transposer ce dernier discours au logiciel libre. Et vous constaterez peut-être avec moi que loin d’être anachronique, cette émouvante substitution est porteuse de sens…

Je n’ai jamais gagné le Prix Nobel de la Paix

I never won a Nobel Peace Prize

Jon maddog Hall – 11 octobre 2009 – Linux-Magazine.com
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler)

C’est à mon réveil, le 9 octobre que j’ai appris que le président Obama avait gagné le Prix Nobel de la Paix.

Les discussions allaient bon train quant au « mérite » du président Obama, on argumentait beaucoup sur le fait que le Prix Nobel de la Paix n’est pas nécessairement décerné comme une récompense pour un accomplissement passé, mais plutôt comme un encouragement à poursuivre les efforts déjà entrepris.

En lisant son discours de remerciement, j’ai joué à un petit jeu en le transposant à mon sujet de prédilection : les logiciels libres et open source.

« Soyons clair, ce prix n’est pas pour moi la reconnaissance de mes mérites propres. »

Beaucoup de personnes m’ont déjà dit « merci pour tout ce que vous faites pour le logiciel libre ». Je leur réponds que je suis juste la bonne personne au bon endroit, au bon moment. J’ai simplement fait fait ce que je pensais qu’il fallait faire, ce pour quoi j’avais les compétences.

Et s’ils veulent voir la personne la plus importante du monde des logiciels libres, je leur dis qu’ils n’ont qu’à regarder dans le miroir… le logiciel libre a besoin de tout le monde… chacun peut apporter sa contribution.

« Des hommes et des femmes qui m’ont inspirés, moi comme le reste du monde. »

Moi aussi j’ai été inspiré par certains des meilleurs ingénieurs informatiques de tous les temps, j’ai même eu la chance de pouvoir rencontrer et discuter avec la plupart d’entre eux. Le contre-amiral Grace Murray Hopper, Maurice Wilkes, Douglas McIlroy, Ken Thompson, Dennis Ritchie… et la liste ne s’arrête pas là.

Ce sont, eux aussi, des héros contemporains… tout comme chaque programmeur sacrifiant sa nuit pour corriger ce vilain bogue dans un logiciel libre. Celui qui traduit la documentation pour permettre à d’autres d’utiliser le programme est un héros. Tout comme celui qui organise une démonstration pour faire découvrir les logiciels libres aux autres et qu’ils puissent eux aussi les partager. Ce sont tous des « héros » pour moi.

« Ce prix reflète le monde que ces hommes et ces femmes, ainsi que tous les américains, veulent bâtir. »

Un monde de collaboration, où les gens bâtissent, en s’appuyant sur les travaux de leurs prédécesseurs… où ils ne « réinventent pas la roue » et où ils ne perdent pas leur temps à contourner les brevets logiciels. La Liberté d’étudier le fonctionnement des programmes et d’essayer de les améliorer.

« Il a aussi servi à donner une nouvelle dynamique à des causes déjà existantes. »

Le président Obama énumère alors une liste de causes, que nous connaissons tous, mais certaines d’entre-elles sont pour moi plus marquantes :

  • accepter nos responsabilités et modifier notre manière de consommer l’énergie
  • le droit à l’éducation et à une vie honorable
  • la crise économique mondiale

Je pense que les logiciels libres peuvent jouer un rôle dans ces domaines et je vais m’employer à les traiter grâce aux logiciels libres.

« Je sais que nous pouvons vaincre ces difficultés, du moment que nous reconnaissons qu’elles ne pourront être vaincues par une seule personne ou par un seul pays. Cette récompense ne couronne pas simplement les efforts de mon administration, elle couronne les efforts courageux de gens partout dans le monde. C’est pourquoi cette récompense revient également à chaque personne œuvrant pour la justice et la dignité. »

Nous ne pourrons affronter les difficultés actuelles sans l’effort de toute la communauté du logiciel libre. Nous ne pouvons évidemment pas régler les problèmes du monde tous seuls, mais le principe de collaboration régissant le logiciel libre se diffuse et sera l’une des clés de ces problèmes.

Peut-être un jour y aura-t-il un « Prix Logiciel Libre de la Paix ».

Carpe Diem !

Notes

[1] Crédit photo : ChrisAC (Creative Commons By-Sa)




Logiciel libre : L’analogie de la voiture

Hamed Saber - CC byLe concept de logiciel libre n’étant pas toujours très simple à expliquer, la tentation est alors forte de lui trouver quelques comparaisons plus parlantes et signifiantes aux yeux du grand public.

La plus cèlèbre d’entre elles est la comparaison dite de la recette de cuisine. Selon le principe du libre, vous avez obtenu légalement cette recette par différentes sources (des revues, le bouche à oreille…), vous avez le droit de préparer cette recette à qui vous voulez et vous pouvez la modifier puis la redistribuer comme il vous plaît. Selon le principe du logiciel non libre, vous n’avez pas accès à la recette, mais uniquement au plat déjà fait, vous ne pouvez manger le plat que dans une seule cuisine, et personne d’autre que vous ne peut en manger. Quand bien même la recette serait fournie avec le plat, toute copie ou modification serait interdite[1]

Nous vous proposons aujourd’hui une comparaison avec l’achat et l’utilisation d’une voiture[2], que nous devons à Tal Schechter de la Free Software Foundation. Comparaison d’autant plus pertinente que, dans le monde automobile, l’électronique a pris désormais le pas sur la mécanique avec toutes les conséquences que cela implique sur la réparation, la garantie et le contrôle de la marque.

La comparaison avec une voiture

The car analogy

Tal Schechter – 13 octobre 2009 – FSF.org
(Traduction Framalang : Kovalsky et Goofy)

Et si nous comparions l’achat d’une nouvelle nouvelle voiture avec l’utilisation de logiciels non libres ? Même si l’exemple suivant peut sembler quelque peu tiré par les cheveux, c’est une très bonne analogie pour comprendre l’importance de la liberté des utilisateurs dans les logiciels.

Imaginez que vous voilà parti pour acheter une nouvelle voiture. Après avoir choisi une marque, vous allez chez le concessionnaire et commencez à regarder ce qu’on peut vous proposer. Vous vous décidez pour un modèle qui vous plaît, et le vendeur essaie de vous vendre toutes sortes de choses dont vous n’avez pas besoin, et d’autres qui vous laissent sceptique. Une sous-couche de peinture ? Est-ce bien nécessaire ? Après avoir signé un contrat avec le vendeur, vous avez vos clés en mains.

Vous avez refusé de payer pour l’usage du coffre. Comme il y a un coffre intégré, ils ont essayé de vous vendre l’option d’avoir une copie de la clé, « Je n’ai pas réellement besoin d’un coffre », pensez-vous. « Je l’ajouterai plus tard si j’en ai besoin »

En ouvrant la porte, vous trouvez une énorme pile de papiers attachés par une pince au siège avant. La première page dit « Merci d’avoir acheté cette nouvelle voiture PaLibre. Nous espérons que vous l’apprécierez pendant de nombreuses années à venir. En déverrouillant et en ouvrant la porte, vous avez implicitement accepté les termes de ce contrat. Merci de prendre le temps de lire la notice d’utilisation ». Outré, vous retournez au bureau du vendeur. « Qu’est ce que ça veut dire, que j’ai implicitement accepté les termes du contrat ? Ne suis-je pas supposé lire le contrat avant de le signer ? ». Il vous répond que tout le monde trouve que le contrat est très ennuyeux, et que pour satisfaire pleinement la clientèle, on le signe à votre place. Satisfait de cette réponse, vous ramenez votre voiture flambant neuve à la maison.

Quelques mois passent sans aucun problème, et vous appréciez généralement votre voiture. Un jour, en conduisant, vous faites un saut sur l’autoroute. Vous aimez le son que fait votre voiture lorsque vous poussez un peu le moteur. Attendez une minute, vous ne semblez pas pouvoir aller à plus de 90 kms/heure ! Vous entendez une voix de synthèse qui vous dit : « À cause d’une mise à jour de sécurité du constructeur, vous ne pouvez pas dépasser 90 kms/heure. Bonne conduite ». Vous haussez les épaules et pensez, « Bon d’accord, c’est pour la sécurité. Ça pourrait être pire ». Vous prenez la sortie et rentrez chez vous.

Le matin suivant en allant au boulot, vous remarquez de drôles de bruits venant de sous le capot. Vous avez une amie qui s’y connaît en voiture, donc vous lui demandez si elle peut passer après le travail. Quand elle voit votre voiture, elle vous dit « Non. Je ne peux rien faire pour toi. C’est une de ces voitures PaLibres. Je ne peux même pas ouvrir le capot ».

Donc vous l’amenez chez votre garagiste, et il ne prend même pas la peine de vous faire payer un devis. « Désolé Monsieur. C’est une voiture PaLibre. Même si j’avais les bon outils, je ne pourrais pas déverrouiller le capot, et encore moins voir ce qui ne va pas. C’est contre la loi ». Estomaqué, vous retournez chez le concessionnaire pour demander « Quel est le problème? »

Après avoir attendu une éternité, finalement une employée du service après-vente appelle votre nom. Vous expliquez le bruit que fait la voiture et toutes les étapes que vous avez franchies pour essayer de la faire réparer. Elle explique que pour préserver la bonne image de PaLibre, ils ne laissent pas n’importe qui s’occuper de leurs voitures. Vous devez avoir une formation et une accréditation. Vous demandez à voir le contrat que vous avez signé. Une des clauses précise que tout ajout de pièce détachée non-homologuée annulera la garantie. Vous demandez à l’employée à quoi cela s’applique, et elle vous explique que même repeindre votre voiture avec une couleur non approuvée par le concessionnaire supprimerait la garantie.

Votre voiture va au garage du concessionnaire. Ils vous font payer un devis, ainsi qu’une « surtaxe de licence de réparation homologuée ». Ils vous appellent pour que vous alliez récupérer votre voiture, et ils vous disent qu’il n’ont rien trouvé. Vous récupérez votre voiture, et elle continue à faire ce bruit désagréable. Vous demandez au garagiste qui vous répond « Oh, parfois les voitures PaLibres font ce bruit. Il n’y a pas à s’inquiéter».

Même si l’histoire peut sembler ridicule, c’est exactement ce qu’il se passe lorsqu’une personne choisit d’utiliser un logiciel non libre. Vous choisissez le logiciel qui correspond le mieux à vos besoins, et parfois un vendeur vous aide. Vous acceptez un contrat que vous n’avez probablement pas lu, et parfois vous acceptez implicitement les termes d’utilisation du programme. Vous utilisez le logiciel. Cependant, vous pouvez utiliser le logiciel uniquement comme l’éditeur l’a autorisé (conduire dans notre comparaison). Quand le logiciel dysfonctionne, ou même lorsque vous voulez améliorez quelque chose, vous ne pouvez aller nulle part ailleurs que chez l’éditeur. Vous ne pouvez pas aller chez un ami qui s’y connaît en informatique. Vous ne pouvez pas demander à une autre entreprise de vous régler ça. Vous devez aller chez les développeurs. Lorsque vous leur expliquez votre problème, ils vous répondent peut-être « Nous ne pouvons pas faire ça pour vous ». Ils peuvent dire « On y pensera pour la prochaine version ». Il est plus probable encore qu’ils disent « C’est une fonctionnalité, il n’y a rien à réparer ».

Les logiciels libres, de leur côté, proclament les libertés des utilisateurs. Les logiciels libres sont définis ainsi : des logiciels que vous pouvez utiliser dans n’importe quel but (pour conduire, servir de presse-papier, d’objet d’art, etc.) ; des logiciels que vous avez la liberté d’étudier et de modifier si vous voulez, avec l’accès au code source (ouvrir le capot et regarder ce qu’il y a à l’intérieur, réparer et modifier de la façon dont vous l’entendez) ; des logiciels qui peuvent être redistribués ; des logiciels auxquels vous pouvez apporter des améliorations que vous pouvez publier (ajouter un évent sur le capot et un turbocompresseur, et mettre les plans de ce que vous avez fait sur votre site favori).

Nous n’acceptons pas les violations de nos libertés lorsque nous achetons une voiture, donc pourquoi devrions-nous le faire avec les logiciels ?

Notes

[1] Source Wikipédia.

[2] Crédit photo : Hamed Saber (Creative Commons By)




Quand la Fondation Codeplex de Microsoft déchire la communauté

A priori nous devrions tous nous réjouir de voir Microsoft faire un pas significatif vers le logiciel libre avec la toute récente création de la Fondation Codeplex, dont l’objectif affiché dès la page d’accueil du site est de « permettre l’échange de code et une entente entre les éditeurs de logiciels et les communautés open source ».

Sauf que, le diable est dans les détails, l’entente proposée concerne donc explicitement les communautés open source et non la communauté du logiciel libre.

A partir de là, méfiance et vigilance nous dit Richard Stallman[1] dans l’article que nous avons traduit ci-dessous, en égratignant au passage le mythique Miguel de Icaza[2] (GNOME, Mono…), membre initial de la Fondation, qui en prend pour son grade en étant qualifié « d’apologiste Microsoft ».

Réponse immédiate de l’intéressé (toujours traduite ci-dessous) qui reproche vertement à Stallman de s’attaquer ainsi à ses propres alliés et de se complaire dans la paranoïa Microsoft, pratique pour fédérer ses troupes mais néfaste si l’on souhaite réellement aller de l’avant.

Au delà du conflit personnel qui frise parfois l’outrage, nous sommes face à une énième opposition entre le logiciel libre et l’open source.

L’avantage de l’open source c’est qu’il rend le logiciel libre enfin fréquentable pour des sociétés comme Microsoft qui l’ont longtemps ignoré puis dénigré. L’inconvénient, rappelé en exergue de ce blog, c’est d’aboutir à ce que le logiciel libre ne finisse par ne plus rien libérer d’autre que du code…

Codeplex… Perplexe ?

Lest CodePlex perplex

Richard Stallman – 5 octobre 2009 – FSF.org
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler)

Eneko Astigarraga - CC by-saLa Codeplex Foundation ne fait pas l’unanimité au sein de notre communauté. En effet, le fait que des employés, ou ex-employés de Microsoft, plus l’apologiste Miguel de Icaza, dominent le comité de direction n’a rien de rassurant. Mais l’habit ne fait pas nécessairement le moine.

Le jour viendra où nous pourrons juger l’organisation pour ses actions (ainsi que sa communication). À l’heure d’aujourd’hui, nous pouvons seulement essayer d’anticiper ses actions, d’après ses déclarations et celles de Microsoft.

On remarque premièrement que l’organisation évite soigneusement de parler de la liberté des utilisateurs, elle emploie le terme « open source » et ne fait pas mention de « logiciel libre ». Ces deux termes définissent deux philosophies qui n’ont pas les mêmes valeurs : le logiciel libre promeut la liberté et la solidarité alors que l’open source s’intéresse uniquement aux aspects pratiques, telle que l’efficience et la fiabilité du logiciel par exemple. Voir Pourquoi l’« open source » passe à coté du problème que soulève le logiciel libre pour plus d’informations.

Il est évidemment préférable pour Microsoft d’affronter l’adversité concrète que représente l’open source plutôt que la position éthique que défend le mouvement du logiciel libre. En ne reconnaissant, et en ne critiquant, que l’open source, comme la société le fait depuis si longtemps, Microsoft poursuit deux objectifs : attaquer un concurrent tout en détournant l’attention d’un autre.

Codeplex applique strictement la même tactique. Son but déclaré est de convaincre les « éditeurs de logiciels commerciaux » de contribuer davantage à l’open source. Comme presque tous les logiciels open source sont aussi des logiciels libres, ces programmes seront certainement libres, mais la philosophie « open source » n’enseigne pas aux développeurs à défendre leurs libertés. S’ils ne comprennent pas l’importance de cette liberté, les développeurs seront plus enclins à succomber aux stratagèmes de Microsoft les encourageant à utiliser des licences plus faibles, ce qui reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage, à accepter la cooptation de brevets et à rendre ainsi les logiciels libres dépendant d’éléments privateurs.

Cette fondation n’est pas le premier projet Microsoft à porter le nom de « Codeplex ». On retrouve aussi codeplex.com, une forge qui ne recense pas parmi les licences autorisées, la troisième version de la GNU GPL. Peut-être est-ce dû au fait que la GNU GPL v3 a été créée pour protéger les logiciels libres de la menace que représentent les brevets Microsoft au travers d’accords comme celui conclu entre Novell et Microsoft. Les intentions de la Codeplex Foundation vis à vis de la GPL v3 nous sont encore inconnues, mais le passif de Microsoft n’incite pas à l’optimisme.

Le terme « éditeurs de logiciels commerciaux » est lui-même ambigu. Par définition, toute entreprise a un but commercial, donc tout logiciel développé par une entreprise, qu’il soit libre ou privateur, est automatiquement commercial. Mais beaucoup associent faussement « logiciel commercial » et « logiciel privateur » (voir Termes prêtant à confusion, que vous devriez éviter (ou utiliser avec précaution)).

Cette confusion est grave, puisqu’elle implique qu’on ne peut pas faire commerce de logiciels libres. De nombreux éditeurs de logiciels contribuent déjà aux logiciels libres, et ces contributions commerciales sont très utiles. Peut-être que Microsoft souhaite ici renforcer cette fausse impossibilité dans l’esprit des gens.

Toutes ces considérations prises en compte, il nous apparait que Codeplex encouragera les développeurs à ne pas penser à la liberté. Il instillera subtilement l’idée que le commerce de logiciel libre ne peut se faire sans l’appui des éditeurs de logiciels privateurs commme Microsoft. Il pourrait aussi, cependant, convaincre certains fabricants de logiciels privateurs de publier plus de logiciels libres. Cette contribution servira-t-elle la liberté des utilisateurs ?

Ça ne pourra être le cas que si le logiciel libéré fonctionne correctement sur des plateformes libres, dans des environnements libres. Mais c’est à l’opposé de ce que Microsoft cherche à accomplir.

Sam Ramji, maintenant président de Codeplex, annonçait il y a quelques mois que Microsoft (son employeur d’alors) souhaitait promouvoir le développement d’applications libres qui encourageaient l’usage de Microsoft Windows. Peut-être que Codeplex cherche à corrompre les développeurs de logiciels libres pour qu’ils fassent de Windows leur plateforme principale. Codeplex.com héberge désormais de nombreux projets qui sont des extensions de logiciels privateurs. Ces programmes sont pris dans un piège similaire au Piège Java (voir Libre mais entravé – Le Piège Java).

Mais, même en cas de succès, les implications seraient limitées puisqu’un programme qui ne fonctionne pas (ou mal) dans le Monde Libre ne contribue pas à notre liberté. Un programme non-libre prive ses utilisateurs de leur liberté. Pour éviter de se retrouver ainsi lésés, nous devons rejeter les systèmes privateurs ainsi que les applications privatrices. Les extensions libres pour des programmes privateurs que l’on trouve sur Codeplex accroissent notre dépendance vis à vis de ces programmes privateurs, l’exact opposé de ce dont nous avons besoin.

Les développeurs de logiciels libres sauront-ils résister à ce travail de sape de nos efforts pour gagner plus de liberté ? C’est là que leur éthique devient cruciale. Les développeurs adeptes de la philosophie « open source », pour laquelle la liberté n’est que secondaire, n’attachent peut-être que peu d’importance à la liberté de l’environnement dans lequel leur logiciel est exécuté. Mais les développeurs se battant pour la liberté, la leur comme celle des autres, peuvent reconnaître le piège et l’éviter. Pour rester libre, la liberté doit être notre but.

Si la Codeplex Foundation souhaite devenir un vrai contributeur de la communauté du logiciel libre, elle ne peut se contenter d’extensions libres pour des paquets non-libres. Elle doit encourager le développement de logiciels portables capables de fonctionner sur des plateformes libres basées sur GNU/Linux et d’autres systèmes d’exploitation libres. Si elle essaie de nous leurrer dans une direction opposée, il nous faut absolument nous y refuser.

Mais que les actions de la Codeplex Foundation soient bonnes ou mauvaises, elles ne peuvent excuser les actes d’agression dont Microsoft s’est rendu coupable envers notre communauté. De sa tentative récente de vendre des brevets à des intermédiaires pour qu’ils fassent le sale boulot contre GNU/Linux, à sa croisade pour la promotion des menottes numériques (DRM), Microsoft n’a de cesse de s’en prendre à nous. Nous serions bien naïfs de le perdre de vue.

Copyright 2009 Richard Stallman
La reproduction exacte et la distribution intégrale de cet article est permise sur n’importe quel support d’archivage, pourvu que cette notice soit préservée.

Chacun sa vision

World Views

Miguel de Icaza – 5 octobre 2009 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler)

Storem - CC by-saApparemment, Richard Stallman n’a rien de mieux à faire que de m’attaquer personnellement. Dans son dernier texte, il s’est trouvé une nouvelle lubie : me traiter d’apologiste de Microsoft car je ne participe pas à sa chasse aux sorcières.

J’ai simplement un point de vue différent du sien au sujet de Microsoft. Certains de ses employés sont des personnes vraiment bien, et je sais qu’ils sont nombreux au sein de l’entreprise à essayer de lui faire prendre une meilleure voie. Cela fait maintenant quelques années que j’en parle sur mon blog.

Au fond, nous voulons tous les deux la même chose : le succès du logiciel libre. Mais Richard, plutôt que d’utiliser son temps pour défendre sa cause, s’en prend à ses propres alliés car ils ne sont pas pareils que lui. À ses yeux, débiter des inepties, telles que Linus « ne croit pas en la Liberté », est tout à fait normal[3].

Tout est une question de point de vue

Il y a de cela quelques années, j’ai eu la chance d’échanger avec Benjamin Zander sur son monde des possibles. Son livre, « L’art des possibilités » m’a profondément marqué.

Benjamin y raconte cette histoire :

Deux vendeurs de chaussures sont envoyés en Afrique au début du XXe siècle en prospection.

Le premier envoie son télégramme : « Situation désespérée. Stop. Personne ne porte de chaussures ».

L’autre envoie : « Opportunité d’affaires. Stop. Ils n’ont pas de chaussures ».

Notre temps sur Terre étant limité, j’ai décidé d’occuper le mien à essayer de faire comme le deuxième vendeur. J’essaie de voir des possibilités quand d’autres ne voient aucun débouché.

J’aime mon boulot pour cette raison précise, parce que je travaille avec des amis qui défient sans cesse les probabilités et parce que nous avons toujours su faire mentir ceux qui nous critiquent. Chacun de mes collègues veut changer le monde et aucun d’entre nous ne se laisse décourager par la peur.

La peur est un frein puissant et empêche trop souvent les gens de proposer des solutions créatives. Je préfère largement travailler à l’élaboration de solutions constructives plutôt que de me plaindre.

La paranoïa est un secteur très actif. C’est la solution de facilité pour ceux qui ne savent pas mener leurs troupes en donnant l’exemple. Créez un bouc émissaire, enrobez votre histoire, mentez, ou propagez des semi-vérités, satanisez, voilà une bonne recette pour fédérer votre base.

La paranoïa de Richard

Le documentaire « Le pouvoir des cauchemars » offre une description passionnante de l’économie de la « sécurité », de ces entreprises qui vendent de la « sureté » aux personnes effrayées, de ces dirigeants qui se servent de la peur des gens pour atteindre leurs buts. La paranoïa de Richard n’est en rien différente.

Richard Stallman fait souvent appelle à des bouc émissaire pour rassembler ses troupes. Parfois il s’en prend à Microsoft, d’autres fois il invente des faits, ou sinon il s’en prend à sa propre communauté[4]. Ses élocutions simplistes n’ont rien à envier à celle de Georges W. Bush : le Bien contre le Mal, Nous contre Eux.

La Codeplex Foundation est née de l’effort de ceux, chez Microsoft, qui croit en l’open source. Ils s’acharnent, au sein de l’entreprise, à la changer. Encourager Codeplex est une formidable opportunité d’encourager Microsoft dans la bonne direction.

Mais Richard n’arrive pas à le comprendre.

Aux yeux de Richard, il n’y a rien de bon à tirer de ce monde. Moi, à l’opposé, j’y vois des possibilités et des opportunités.

Non seulement on a jamais attrapé de mouches avec du vinaigre, mais il y a aussi beaucoup de chaussures à vendre.

Notes

[1] Crédit photo : Eneko Astigarraga (Creative Commons By-Sa)

[2] Crédit photo : Storem (Creative Commons By-Sa)

[3] Votre ami Google vous donnera de nombreux exemples d’attaques contre les défenseurs et développeurs de l’open source / logiciel libre.

[4] Le problème « open source » contre « logiciel libre » qui n’en est pas un et la guerre « Linux » contre « GNU/Linux » débutée dans les années 90 mais qui nous poursuit encore.




Devenir chasseur de primes pour la FSF (en débusquant du code non libre)

FSF - GNU BuckPeut-être ignoriez-vous que la Free Software Foundation (FSF) maintient une liste de ce qu’elle considère selon ses propres critères comme des distributions GNU/Linux libres.

Ses critères sont stricts, voire drastiques. Rares sont celles qui ont passé l’examen avec succès. Ubuntu, Fedora, Mandriva, openSUSE… les plus connus des distributions grand public n’en font pas partie ! Même Debian n’y est pas, c’est vous dire !

L’idée, me semble-t-il, n’est pas de désigner ces distributions comme le mal absolu, en nous invitant à nous en détourner, mais plutôt, en alertant ainsi publiquement l’opinion, d’inciter les développeurs à ne plus inclure du code non libre dans leurs distributions (que cette inclusion soit effective ou potentielle).

Et pour garantir que ces distributions soient bien libres et surtout le demeurent, la FSF vient d’annoncer une originale campagne visant à récompenser toute personne qui trouverait du code non libre accidentellement inclus dans les distributions de la fameuse liste.

Une campagne qui se veut pragmatique mais non dénuée d’un certain humour hacker.

FSF Gnu Bucks

FSF announces new bounty program, offering "GNU Bucks" for finding nonfree works in free distributions

Communiqué de presse – 1 octobre – FSF.org
(Traduction Framalang : Quentin et Claude)

La Free Software Foundation annonce un nouveau programme de récompenses, en offrant des « GNU Bucks » à toute personne qui découvrirait des travaux non libres dans les distributions libres.

BOSTON, Massachussets, USA, Jeudi 1er Octobre 2009. La Free Software Foundation (FSF) a annoncé aujourd’hui qu’elle allait récompenser, d’une reconnaissance publique accompagnée d’une rémunération honorifique en « GNU Buck », ceux qui débusqueraient des composants non-libres contenus dans les distributions de systèmes d’exploitation libres. La FSF tient une liste de directives définissant ce qui, selon elle, est une distribution libre, et approuve les distributions qui s’engagent à suivre ces directives.

« En incitant les utilisateurs à trouver et à rapporter les problèmes, ce nouveau programme de récompenses aidera à s’assurer que les distributions GNU/Linux approuvées par la FSF demeurent réellement libres », dit Peter Brown le directeur exécutif de la FSF.

« Depuis que nous avons publié les directives nécessaires pour être une distribution libre, nous avons cherché des solutions pratiques pour nous assurer que des composants non libres n’étaient pas inclus accidentellement dans ces distributions (dans la mesure de nos moyens et de ceux des responsables de distribution). Cette nouvelle initiative est un bon moyen de participer à la recherche de ces composants. » dit Brett Smith, l’ingénieur en charge de la conformité des licences pour la FSF.

Les personnes retenues pour les récompenses recevront des billets « GNU Buck », d’un montant égal au nombre Pi et signé par Richard Stallman, le président de la Free Software Foundation et « Chef de la GNUisance ».

Pour avoir droit à une récompense GNU Buck, la personne doit initialement envoyer à la FSF et aux responsables de la distribution, un rapport détaillé concernant l’élément non libre trouvé. Si ce rapport est confirmé, la personne recevra sa récompense et l’option d’une reconnaissance publique. La FSF avertira alors les autres distributions libres impactées pour s’assurer qu’elles traitent également du problème.

Ces récompenses s’inscrivent dans la tradition des chèques que le légendaire ingénieur informatique Donald Knuth envoyait à ceux qui trouvaient des erreurs dans son livre phare The Art of Computer Programming. Recevoir un chèque de Donald Knuth était un tel honneur qu’il était la plupart du temps affiché sur les murs du bureau et non encaissé. (Knuth a arrêté d’envoyer des chèques en 2008 pour cause de fraude.)

À propos de la Free Software Foundation

La Fondation pour le Logiciel Libre, fondée en 1985, est dédiée à la promotion des droits des utilisateurs d’ordinateurs à utiliser, copier, modifier et redistribuer les programmes informatiques. La FSF encourage le développement et l’emploi de logiciels libres, particulièrement du système d’exploitation GNU et de ses variantes et de la documentation libre pour le logiciel libre. La FSF renforce également la sensibilisation autour des problèmes éthiques et politiques de la liberté dans l’usage des logiciels.

Son site Internet, http://www.fsf.org/, est une importante source d’information sur GNU/Linux. Des contributions pour soutenir son travail peuvent être faites à http://donate.fsf.org/. Son siège est à Boston, MA, USA.

À propos du Logiciel Libre et de l’Open Source

Le mouvement du logiciel libre a pour but la liberté des utilisateurs. Certains, plus spécialement des sociétés, soutiennent un point de vue différent, connu sous le nom d‘open source, qui évoquent seulement les buts pratiques comme construire un logiciel solide et sûr, se concentrant sur les modèles de développement, et évitant les discussions d’éthiques et de liberté. Ces deux points de vue sont profondément différents.

Pour en savoir plus : http://www.gnu.org/philosophy/open-source-misses-the-point.html.

À propos du système d’exploitation GNU et de Linux

Richard Stallman annonça en Septembre 1983 le projet de développer un logiciel libre semblable au système d’exploitation Unix qui s’appelerait GNU. GNU est le seul système d’exploitation développé spécifiquement pour la liberté des utilisateurs.

Pour en savoir plus : http://www.gnu.org/gnu/the-gnu-project.html.

En 1992, les composants de GNU étaient complets, à une expression près : le noyau. Quand en 1992, le noyau Linux a été re-publié sous GNU GPL, faisant de lui un logiciel libre, la combinaison de GNU et de Linux a formé un système d’exploitation complètement libre, qui donnait la possibilité pour la première fois de faire tourner un PC sans logiciel non-libre. Leur combinaison est le système d’exploitation GNU/Linux.

Pour en savoir plus : http://www.gnu.org/gnu/gnu-linux-faq.html.




Le logiciel libre est mort, longue vie à l’open source ?

Squacco - CC by-saVous n’êtes pas un familier du Framablog et de ses thèmes de prédilection ? Alors ce billet risque de vous sembler destiné à une chapelle de spécialistes, susceptibles et pointilleux, toujours prompts à s’enflammer pour d’obscures querelles de clochers[1] (autrement appelés trolls dans le milieu).

Or, c’est peut-être plus significatif que cela.

En effet, ceux qui découvrent « le logiciel libre », en ayant déjà eu du mal à saisir toute la finesse du concept, sont parfois étonnés de constater la présence d’une autre expression, qu’ils jugent de prime abord synonyme : « l’open source ».

Par exemple, l’Open World Forum 2009, qui se déroule en ce moment même à Paris, est ainsi présenté en accueil du site : « Au coeur de la révolution de l‘Open Source, l’Open World Forum 2009 permettra de cross-fertiliser les initiatives pour favoriser la croissance économique : Les logiciels libres au coeur de la relance économique ». Quant à son président, il évoque, rien que ça, un « Davos des logiciels libres et de l’innovation ouverte »[2].

Les deux expressions semblent ici interchangeables. Et pourtant, pour paraphraser Wikipédia : « La principale critique issue du Mouvement du Logiciel Libre (de Richard Stallman) est le fait que l’open source ne communique presque exclusivement que sur les caractéristiques techniques des logiciels (la liberté d’accès au fonctionnement du logiciel) en occultant les motivations premières dont elles sont issues, au risque de les perdre. Ils accusent l’open source d’être mû par une dynamique économique et commerciale, l’opposant au logiciel libre mû par des idéaux d’ordre philosophique et politique. »

Critique renforcée par cet article de Richard Stallman : Pourquoi l’« open source » passe à coté du problème que soulève le logiciel libre.

Avec cette grille de lecture, on pourrait reprendre l’exemple de l’Open World Forum et en conclure qu’il aurait été peut-être plus pertinent et cohérent de permuter les associations : « révolution du logiciel libre », « Davos de l’open source ».

Or le titre de mon billet laisse à penser que la donne a changé puisque l’un l’emporterait désormais clairement sur l’autre, jusqu’à prendre acte de sa disparition. C’est en tout cas la thèse de Matt Asay qui a réveillé les antagonismes dans un récent article intitulé justement : Free software is dead. Long live open source.

Réponse immédiate de Glyn Moody dans un autre article, qui est celui que nous avons choisi de traduire ci-dessous.

Parce que si le pragmatisme et le compromis ont leurs vertus, il serait dommage que le souci de « suivre le courant dominant » en vienne à sacrifier la liberté sur l’autel de l’open source.

Sans le logiciel libre, l’open source perdrait tout son sens

Without Free Software, Open Source Would Lose its Meaning

Glyn Moody – 28 septembre 2009 – LinuxJournal.com
(Traduction Framalang : Claude)

Je suis un grand fan des écrits de Matt Asay sur le logiciel libre. Il associe une fine intelligence analytique avec cette chose rare : une longue expérience de terrain dans le monde du business open source. Mais alors que j’attendais généralement avec intérêt la lecture de ses billets, je redoutais particulièrement l’apparition de celui qu’il, je le savais, écrirait un jour… car il aurait tort. Voilà, ce billet est maintenant écrit, et avec un titre pour le moins explicite : « Le logiciel libre est mort, longue vie à l’open source ».

Matt précise dans son premier paragraphe quel est le problème principal :

L’une des choses les plus exaltantes, à laquelle j’ai assisté pendant plus de dix années dans l’open source, est son adhésion progressive au pragmatisme. Par « pragmatisme », je ne veux pas dire « capitulation » au sens où l’open source en vienne à ressembler au monde propriétaire qu’il chercherait à remplacer. Plus précisément, je sous-entends que, plus l’open source suit le courant dominant (NdT : going mainstream), plus il apprend à faire des compromis : compromis qui le rendent plus fort, pas plus faible.

Quand j’ai interviewé Richard Stallman en 1999, voici ce qu’il avait à dire à ce sujet :

Si nous avons aujourd’hui un système d’exploitation entièrement libre, c’est grâce au Mouvent du Logiciel Libre qui affirmait que nous voulions un système d’exploitation entièrement libre, et non libre à 90%.

L’open source existe parce que des créateurs de programmes libres ont refusé tout compromis. Le « pragmatisme » exalté par Matt est une option pour l’open source uniquement parce que ceux qui firent tout le travail difficile de création du logiciel libre, ont refusé initialement toute compromission.

Il y a dix ans, Stallman stigmatisait les dangers de la compromission :

Si vous n’avez pas la liberté pour principe, vous trouverez toujours une bonne raison de faire une exception. Il y aura toujours des moments où, pour une raison ou pour une autre, vous trouverez un avantage pratique à faire une exception.

La compromission est une pente glissante : une fois que vous commencez à la descendre, il n’existe pas d’endroit précis où s’arrêter. C’est alors un bel instrument entre les mains d’un Microsoft : sa stratégie actuelle est de diluer le sens « d’open source », la classique stratégie « adopte, étend et étouffe » (NdT : « embrace, extend and extinguish »), jusqu’à ce qu’il devienne une nouvelle expression marketing à la mode, systématiquement employée , ayant perdu toute sa substance et au bout du compte sans réelle valeur.

Et alors ? pourriez-vous demander. Si, comme l’écrit Matt, toute la question est de « suivre le courant dominant », alors un telle dilution de la ligne séparant logiciel libre et non-libre n’est sûrement qu’un faible prix à payer pour parvenir à un usage plus large de l’open source. Ceci pourrait être vrai à court terme, mais je ne pense pas que ce soit une stratégie judicieuse à long terme, même d’un point de vue purement pragmatique.

Par exemple les compromissions actuelles, incluant le travail sur des technologies développées par Microsoft (dont elle pourrait détenir les brevets sous certaines conditions juridiques), signifient qu’en fin de compte les développeurs open source prennent des risques et fragilisent leur autonomie et pouvoir d’autodétermination futur.

Qui plus est, si le terme « open source » perd de sa valeur, de nombreux codeurs et utilisateurs deviendront désabusés et commenceront à l’abandonner. Ceux-ci trouveront le partage de plus en plus asymétrique, leurs contributions n’ayant que peu de retour en échange (ce qui pourrait très bien arriver aux sociétés Open Source utilisant la licence GNU/GPL si elles demandent, comme cela arrive de plus en plus souvent, aux contributeurs de céder leurs droits d’auteurs). De la même manière, les utilisateurs découvriront que certaines de ces nouvelles et « troubles » applications open source ne fournissent plus les bénéfices promis de contrôle, personnalisation et réduction du coût.

Or la question n’est pas de « suivre le courant dominant » mais, comme le rappelle Stallman, d’avoir la « liberté comme principe ». Diffuser du logiciel libre concerne la diffusion de logiciel libre pas la libération du logiciel : le programme n’est que le moyen, pas la fin. C’est ce que disait déjà Stallman, il y a dix ans :

Il y a des problèmes de liberté plus importants. Des problèmes de liberté dont tout le monde a entendu parlé et qui sont bien plus importants que cela : la liberté de parole, la liberté de la presse, la liberté de se réunir.

Mais pourquoi donc Stallman se préoccupe-t-il autant du logiciel libre ?

Je ne vois pas comment je pourrais faire quelque chose de plus important dans un autre domaine.

Stallman continue farouchement sa croisade pour la liberté par le biais du logiciel libre car, comme il le reconnaît humblement, c’est là qu’il peut apporter sa plus grande contribution.

Puique c’est cette absence de compromission qui caractérise sa manière de lutter pour la liberté, il est prêt à faire et dire des choses (NdT : comme d’accuser récemment Miguel de Icaza de traîtrise) que les gens du monde pragmatique de l’open source trouvent regrettables voire choquantes. Et comme Stallman contrarie ainsi leur souhait de « suivre le courant dominant », ils en éprouvent souvent un grand ressentiment à son égard. Mais ils oublient que les combattants de la liberté (puisque c’est ainsi que se définit Stallman lui-même ) ont toujours été si concentrés sur leurs objectifs essentiels, que les affaires triviales comme le confort ou les bonnes manières ont tendance à être mises de côté.

En fin de compte, la raison pour laquelle le logiciel libre ne peut se compromettre, est que toute compromission liée à la liberté se fait à nos dépends : il n’y a rien de libre à 50%. Comme nous l’apprend l’histoire, la liberté n’est pas obtenue en « suivant le courant dominant », mais par une infime minorité de monomaniaques têtus, souvent agaçants qui refusent toute compromission tant qu’ils n’ont pas eu ce qu’ils souhaitent. Chose merveilleuse, nous pouvons tous partager les libertés qu’ils ont gagnées, que nous les ayons ou pas aidé, que nous soyons ou pas à la hauteur de leurs exigences de rigueur.

De la même manière, sans leur obstination, leurs efforts constants et leurs éventuelles victoires, nous perdrions toutes ces libertés, car elles sont toutes temporaires et doivent être en permanence reconquises. En particulier, sans la question précise de l’intégrité du logiciel libre , l’open source se diluerait vite d’elle-même dans un courant inconsistant qui ne trouverait plus de sens.

Notes

[1] Crédit photo : Squacco (Creative Commons By-Sa)

[2] Davos de l’open source et/ou Porto Alegre du logiciel libre ? Telle pourrait d’ailleurs être l’ironique question ! Ou encore : Les RMLL sont au logiciel libre ce que l’Open World Forum est à l’open source !




Appel de soutien de la FSF à l’occasion des 25 ans du projet GNU

Appenz - CC byDans un récent entretien que nous avions traduit, Richard Stallman évoquait le fait d’être parfois marginalisé au sein d’une communauté qu’il a lui même contribué à construire.

Son regret ne concerne bien entendu pas l’efficience, la qualité et les succès toujours plus nombreux que remportent le logiciel libre. Mais celui de constater que certains en chemin minimisent voire écartent le mouvement social et éthique qui sous-tend à ses yeux le logiciel libre.

C’est l’historique et classique opposition entre « open source » et « free software ». Et il serait dommage que le premier phagocyte le second sous prétexte qu’il est bien plus politiquement correct.

Voici très grossièrement synthétisé pourquoi nous soutenons la Free Software Foundation, et ne manquons pas de traduire et relayer bon nombre de ses appels et communiqués[1].

25 ans de GNU – Soutenons la liberté du logiciel

25 years of GNU – support software freedom!

Peter Brown – 29 septembre 2009 – FSF.org
(Traduction Framalang : Quentin et Goofy)

Chers supporters du logiciel libre,

Demain s’achèvera une année de célébrations du 25ème anniversaire du projet GNU. Une célébration démarrée en trombe en septembre 2008 avec l’excellente vidéo de l’auteur et comédien Stephen Fry.

Aujourd’hui, nous célébrons le fait que nous avons passé le cap des 25 000 personnes inscrites à notre newsletter mensuelle, la Free Software Supporter, et nous remercions les 3 200 personnes qui ont rejoint la Free Software Foundation comme membres associés pour financer notre travail. Vous pouvez rejoindre leur rang tout de suite et arborer fièrement votre carte de membre en :

Je suis fier que la FSF ait autant d’activistes et de membres dévoués, qui chaque jour proclament leur soutien à notre cause et plaident pour une société libre.

Le mouvement du logiciel libre a passé une excellente année, et son importance sur le plan éthique est de plus en plus reconnue. Ensemble, nous combattons le fléau du logiciel propriétaire, des brevets logiciels, des DRM, et de l’informatique pleine de chausse-trappes, dans un effort pour construire un monde de logiciels libres où nous, les utilisateurs, nous serons libres.

« J’aurais pu gagner de l’argent (en rejoignant le monde des logiciels propriétaires), et peut-être pris du bon temps à écrire du code. Mais je savais qu’à la fin de ma carrière, j’aurais fait le bilan de ces années passées à ériger des murs entre les individus, et j’aurais eu le sentiment d’avoir gâché ma vie en rendant le monde pire qu’il n’aurait pu l’être. »

Richard Stallman, projet GNU.

Aidez-nous à finir en beauté cette année faste pour le GNU en devenant membre ou en effectuant un don, et merci pour votre soutien sans faille !

Notes

[1] Crédit photo : Appenz (Creative Commons By)




La liberté ambigüe du paramétrage par défaut

Manuel Cernuda - CC byMon lycée a, depuis un certain temps déjà, opté pour un déploiement massif de la suite bureautique libre OpenOffice.org. Sauf que notre informaticien l’installe sur les postes en modifiant systématiquement l’option du format d’enregistrement « par défaut », substituant au format natif et ouvert ODF la famille de formats fermés bien connus de la suite Microsoft Office (le .DOC pour Word, le .XLS pour Excel et le .PPT pour Powerpoint).

Et lorsque je lui signifie, outré, mon mécontentement, il me répond qu’il convient de ne surtout pas perturber les enseignants, qui ont tous MS Office chez eux, et qui sont habitués à travailler dessus depuis des années (« Tu comprends, sinon ils vont rentrer à la maison avec leurs fichiers ODF dans leur clé, cliquer dessus pour ouvrir le document et… ça va être le bordel parce qu’aucune application ne sera trouvée par le système. Ils vont râler, m’assaillir de questions et c’est bibi qui assurera la hotline ! »).

Et c’est ainsi que l’on passe à côté de toute la problématique des formats (excellente porte d’entrée pour engager une discussion plus générale sur « le libre »). En tirant un peu le trait, on pourrait presque dire que l’on ne réalise finalement ici qu’une « fausse » migration, ou tout du moins que l’on s’est arrêté au milieu du chemin.

Fin de l’anecdote qui n’avait pour but que d’introduire le sujet (et la traduction) du jour : le paramétrage par défaut.

Lorsqu’on découvre un logiciel (ou carrément un système d’exploitation) pour la première fois, un certain nombre de choix ont été réalisés pour nous, afin, en théorie, de nous faciliter la tâche pour que nous soyons de suite opérationnels. Mais ces choix ne sont pas forcément neutres. D’abord parce que nous sommes tous différents (« l’utilisateur lambda » n’existe pas). Mais aussi, voire surtout, parce que nous savons fort bien qu’une forte majorité d’utilisateurs, pour de multiples raisons (inertie, crainte…) ne modifieront jamais ces options de démarrage.

Vous êtes un utilisateur désormais aguerri de GNU/Linux. Vous avez choisi votre distribution (Ubuntu, Mandriva, Fedora…), vous avez choisi votre environnement graphique (GNOME, KDE…), vous avez configuré le tout aux petits oignons en rivalisant d’esthétisme et d’ergonomie pour vous offrir un magnifique bureau personnalisé (illustration[1]). Vous naviguez sur un Firefox bourré d’extensions toutes plus utiles les unes que les autres eu égard à vos propres besoins et intérêts… Alors, félicitations, vous baignez dans l’univers culturel numérique de la richesse, de la diversité et de l’autonomie. Vous y êtes même tellement habitué que vous avez certainement oublié le nombre de paramétrages par défaut qu’il vous aura fallu lever pour arriver à cette situation qui est la vôtre aujourd’hui.

Parce que votre univers est malheureusement passablement éloigné de celui de Madame Michu (qui, je suis d’accord, n’existe pas non plus). Elle a acheté un ordinateur avec « par défaut » Windows à l’intérieur, dans lequel se trouvait « par défaut » Internet Explorer (page d’accueil Microsoft, Google ou FAI, inchangée), Outlook Express, Windows Media Player etc. et elle s’y tient. Elle s’y cramponne même, en résistant dur comme fer si jamais on s’en vient lui montrer, avec pourtant moultes précautions, qu’un « autre monde informatique est possible » (dans ce contexte là j’en arrive même parfois à me demander, un brin provocateur, si ce n’est pas « l’utilisateur par défaut » qu’il convient de paramétrer plutôt que ses logiciels !). C’est frustrant et dommage, parce que si il y a paramétrage par défaut, cela signifie également qu’il y a liberté de changer ces paramètres. Comme dirait l’autre, la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas…

Mais je m’égare, puisqu’il s’agissait juste de présenter l’article ci-dessous qui, bien que ne se souciant nullement des conséquences du paramétrage par défaut sur le logiciel libre, nous offre ici un exposé original et intéressant.

Remarque (à la lisière du troll) : C’est peut-être aussi là que réside le succès d’Ubuntu, dont la relative absence de choix à l’installation (un seul bureau, un seul logiciel par application, etc.) a grandement rassuré les nouveaux venus issus de Windows. De là à affirmer qu’Ubuntu est devenue « la distribution par défaut de l’OS GNU/Linux », il n’y a qu’un pas que je me garderais bien de franchir 😉

Le triomphe du « par défaut »

Triumph of the Default

Kevin Kelly – 22 juin 2009 – The Technium
(Traduction Framalang : Olivier et Julien R.)

Peu reconnu, le « par défaut » est l’une des plus grandes inventions de l’ère moderne. « Par défaut » est un concept technique introduit par l’informatique dans les années 1960 pour désigner les réglages pré-sélectionnés (comme par exemple dans « Ce programme accepte par défaut les dates au format jj/mm/aa, et non jj/mm/aaaa »). De nos jours, la notion de réglage par défaut dépasse le simple cadre de l’informatique et s’est répandue dans la vie de tous les jours. Aussi insignifiant que cela puisse paraître, l’idée de réglage par défaut est fondamentale pour « The Technium » (NdT : le livre qu’est en train de rédiger l’auteur dont cet article fait partie).

Difficile de concevoir aujourd’hui une époque où le « par défaut » n’existait pas. Mais le « par défaut » n’a gagné en popularité qu’à mesure que l’informatique s’est démocratisée ; c’est l’héritage de systèmes technologiques complexes. Le « par défaut » n’existait pas sous l’ère industrielle. À l’aube de l’ère moderne, quand les ordinateurs plantaient souvent et qu’entrer les variables était un vrai calvaire, une valeur par défaut était la valeur que le système s’assignait automatiquement si le programme échouait ou s’il était démarré pour la première fois. C’était une idée brillante. Sauf si l’utilisateur ou un programmeur prenait la peine de le modifier, le réglage par défaut régnait, assurant ainsi que le système hôte fonctionne. Chaque produit électronique et chaque logiciel était livré dans sa configuration par défaut. Les réglages par défaut répondent aux normes attendues par les acheteurs (par exemple la tension des appareils électriques aux États-Unis), ou à ce qu’ils attendent d’un produit (les sous-titres désactivés pour les films), ou encore aux questions de bon sens (anti-virus activé). La plupart du temps les réglages par défaut satisfont les clients, et ils ont maintenant envahi tout ce qui est personnalisable : automobiles, assurances, réseaux, téléphones, assurance maladie, cartes de crédit, etc.

En effet, chaque objet contenant un tant soit peu d’intelligence informatique (c’est à dire tout équipement moderne) est paramétré par défaut. Ces présélections sont autant de partis pris implantés dans le gadget, le système ou l’institution. Mais les réglages par défaut ne sont pas que des hypothèses silencieuses matérialisées dans tout objet manufacturé. Par exemple, tous les outils manuels sont faits, par défaut, pour les droitiers. Faire l’hypothèse que l’utilisateur sera droitier étant simplement normal, pas besoin d’en faire étalage. De même, la forme des outils est généralement faite pour des mains d’hommes. Mais ça ne se limite pas qu’aux outils : les premières automobiles étaient construites sur l’hypothèse que le conducteur serait un homme. Pour toute chose manufacturée, le constructeur doit faire des hypothèses sur ses clients potentiels et leurs motivations ; ces hypothèses trouvent naturellement leur place aussi dans tout ce qui est technologique. Plus le système est vaste, plus le constructeur doit faire des hypothèses. En examinant attentivement une infrastructure technologique particulière vous pouvez deviner les hypothèses cachées dans sa conception. Ainsi, on retrouve dans des domaines aussi variés que le réseau électrique, le système ferroviaire, les autoroutes ou l’enseignement certaines caractéristiques du citoyen américain : optimisme, importance de l’individu et penchant pour le changement.

Mais, alors que ces choix arbitraires, communs à toutes les technologies, sont à bien des égards semblables au concept de « défaut », ce n’est plus vrai aujourd’hui et ce pour une raison essentielle : les réglages par défaut sont des hypothèses qui peuvent être modifiées. Vous ne pouvez pas adapter des outils faits pour les droitiers à l’usage des gauchers. À l’époque, l’hypothèse que le conducteur était un homme se retrouvait dans la position du siège dans les automobiles. En changer n’était pas simple. Mais ce que l’on ne pouvait faire hier est désormais permis par la technologie actuelle. En effet presque tous les systèmes technologiques d’aujourd’hui ont en commun la facilité à être rebranchés, modifiés, reprogrammés, adaptés et changés pour convenir à de nouveaux usages ou à de nouveaux utilisateurs. Beaucoup (pas toutes) des hypothèses faites ne sont pas immuables et définitives. La multiplication des paramètres par défauts et leur modularité offre aux utilisateurs un vrai choix, s’ils le désirent. Les technologies peuvent être adaptées à vos préférences et optimisées pour mieux vous correspondre.

L’inconvénient de toutes cette personnalisation, cependant, est qu’on se retrouve un peu noyé sous le choix. Trop d’alternatives et pas assez de temps (sans parler de l’envie) de toutes les tester. Ne vous-êtes vous pas déjà retrouvé paralysé par l’indécision devant les 99 variétés de moutardes sur les étalages du supermarché, ou devant les 2 536 options de votre assurance santé, ou encore devant les 36 000 coupes de cheveux différentes pour votre avatar dans un monde virtuel ? Il existe une solution toute simple à cette sur-abondance délirante de choix : les paramètres par défaut. Les « défauts » vous permettent de choisir quand choisir. Votre avatar par défaut pourrait pas exemple être un avatar quelconque, un gamin en jean par exemple. Vous pouvez vous soucier de la personnalisation plus tard. C’est un peu un choix guidé. Ces milliers de variables, de vrais choix, peuvent être guidés en optant pour un choix par défaut intelligent, un choix fait à notre place, mais qui ne nous prive pas de notre liberté de le changer dans le futur, à notre convenance. Mes libertés ne sont pas restreintes, mais sont étalées dans le temps. Quand je me sens plus à l’aise, je peux revenir sur mes préférences pour mieux les adapter, en ajouter ou en retirer, en changer ou les personnaliser. Dans les systèmes par défaut bien pensés, je conserve toujours mon entière liberté, mais les choses me sont présentées de telle sorte que je peux prendre mon temps pour faire mes choix, au fur et à mesure et quand je me sens mieux à même de les faire.

Comparez maintenant cette sur-abondance de choix à ce que vous propose un marteau, une automobile ou le réseau téléphonique des années 1950. L’utilisation de ces outils vous était imposée. Les meilleurs ingénieurs ont planché des années pour proposer une conception qui s’adapte le mieux à la majorité, de nos jours encore, certains sont des chef-d’œuvre d’ingéniosité. Si ces objets et infrastructures étaient peu modulables, ils étaient remarquablement conçus pour être utilisés par la majorité des personnes. Peut-être qu’aujourd’hui vous ne personnalisez pas plus votre téléphone qu’il y a cinquante ans, mais la possibilité existe. Et les options disponibles sont toujours plus nombreuses. Cette myriade de choix possibles reflète la nature adaptative des téléphones portables et des réseaux. Les choix s’offrent à vous quand vous faites appel à eux, ce qui n’était pas possible quand toutes les décisions étaient prises pour vous.

Les paramètres par défaut ont fait leur apparition dans le monde complexe de l’informatique et des réseaux de communication, mais il n’est pas ridicule pour autant d’envisager leur utilisation pour les marteaux, les voitures, les chaussures, les poignées de portes, etc. En rendant ces objets personnalisables, en y injectant une pincée de puces informatiques et de matériaux intelligents, nous leur ouvrons le monde des paramètres par défaut. Imaginez le manche d’un marteau qui se moulerait automatiquement pour s’adapter à votre prise en main de gaucher, ou à la main d’une femme. On peut très bien envisager d’entrer son genre, son âge, son expertise ou son environnement de travail directement dans les petits neurones du marteau. Si un tel marteau existait, il serait livré avec des paramètres par défauts pré-programmés.

Mais les paramètres par défauts sont tenaces. De nombreuses études psychologiques ont montré que le petit effort supplémentaire demandé pour modifier les paramètres par défaut est souvent de trop et les utilisateurs s’en tiennent aux pré-réglages, malgré la liberté qui leur est offerte. Ils ne prennent pas la peine de régler l’heure sur leur appareil photo, le « 12:00 » entré par défaut continue de clignoter, ou encore ils ne s’embettent pas à changer le mot de passe temporaire qui leur est attribué. La dure vérité, n’importe quel ingénieur vous le confirmera, est que souvent les paramètres par défaut restent inchangés. Prenez n’importe quel objet, 98 options sur 100 seront celles préconfigurées en usine. Je reconnais que, moi-même, j’ai très rarement touché aux options qui m’étaient offertes, je m’en suis tenu aux paramètres par défaut. J’utilise un Macintosh depuis le début, voilà plus de 25 ans, et je découvre encore des paramètres par défaut et des préférences dont je n’avais jamais entendu parler. Du point de vue de l’ingénieur, cette inertie est un signe de réussite, cela signifie que les paramètres par défaut sont bien choisis. Leurs produits sont utilisés sans beaucoup de personnalisation et leurs systèmes ronronnent doucement.

Décider d’une valeur par défaut est synonyme de puissance et d’influence. Les paramètres par défaut ne sont pas qu’un outil pour aider les utilisateurs à apprivoiser leurs options, c’est aussi un levier puissant dont disposent les fabricants, ceux qui décident de ces valeurs, pour diriger le système. Les orientations profondes que traduisent ces valeurs par défaut façonnent l’usage que l’on fait du système. Même le degré de liberté qui vous est accordé, avec les choix occasionnels que l’on vous demande de faire, est primordial. Tout bon vendeur sait ça. Ils agencent magasins et sites Web pour canaliser vos décisions et ainsi augmenter leurs ventes. Disons que vous laissez des étudiants affamés choisir leur dessert en premier plutôt qu’en dernier, cet ordre par défaut a une influence énorme sur leur nutrition.

Chaque rouage d’une technologie complexe, du langage de programmation, à l’aspect de l’interface utilisateur, en passant par la sélection de périphériques, renferme d’innombrables paramètres par défaut. L’accès est-il anonyme ? Les intentions des utilisateurs sont-elles bonnes ou mauvaises ? Les paramètres par défaut encouragent-ils l’échange ou le secret ? Les règles devraient-elles expirer à une période donnée ou le renouvellement est-il tacite ? Avec quelle facilité peut-on revenir sur une décision ? Telle décision devrait-elle être activée par défaut ou l’utilisateur doit-il la valider lui-même ? Rien que la combinaison de quatre ou cinq choix par défaut engendre des centaines de possibilités.

Prenez deux infrastructures technologiques, disons deux réseaux d’ordinateurs basés sur le même matériel et sur les mêmes logiciels. L’expérience sur les deux réseaux peut être complètement différente selon les options par défaut imposées. Leur influence est telle qu’on peut presque parler d’effet papillon. En modifiant légèrement un paramètre par défaut, on peut transformer des réseaux gigantesques. Par exemple, la plupart des plans épargne retraite, comme le plan « Corporate 401k », demandent des mensualités très basses, en partie parce qu’ils proposent un choix phénoménal d’options. L’économiste/comportementaliste Richard Thaler rapporte des expériences où les épargnants amélioraient nettement leur épargne lorsque les options étaient sélectionnées par défaut (« choix guidé »). Chacun avait la possiblité de résilier leur programme quand il le désirait et ils étaient libres de modifier leur contrat quand bon leur semblait. Mais le simple fait de passer de « souscription » à « inscription automatique » changeait complètement l’intérêt du système. On peut prendre également l’exemple du don d’organe. Si on déclarait que chacun est donneur à moins qu’il n’émette le souhait contraire, le nombre d’organes donnés augmenterait largement.

Chaque paramètre par défaut est un levier pour façonner le déploiement d’une innovation. L’élaboration d’une infrastructure à l’échelle d’un continent, par exemple, comme le réseau électrique 110V aux États-Unis, peut s’imposer à mesure qu’elle reçoit le soutien d’autres infrastructures (comme les générateurs diesels ou les lignes d’assemblage dans les usines). Ainsi il peut obtenir le suffrage nécessaire pour s’imposer face à une technologie pré-existante, mais à chaque nœud du réseau électrique se cache un paramètre par défaut. Tous ces petits choix par défaut définissent la nature du réseau, ouvert et évolutif mais plus fragile ou fermé et plus sûr. Chaque paramètre par défaut est un levier permettant de façonner le réseau, s’il peut s’accroître facilement ou pas, s’il accepte les sources de puissance non-conventionnelle ou pas, s’il est centralisé ou décentralisé… La technologie définit les systèmes technologiques, mais c’est à nous d’en établir la nature.

Aucun système n’est neutre. Chacun a ses options naturels. On dompte les choix en cascade engendrés par l’accélération de la technologie par petites touches, en adoptant nos propres options afin de les faire tendre vers nos objectifs communs, ce qui a pour conséquence d’augmenter la diversité, la complexité, la spécialisation, la sensibilité et la beauté.

Le « par défaut » nous rappelle également une autre vérité. Par définition, le « par défaut » entre en jeu lorsque nous — utilisateur, consommateur ou citoyen — ne faisons rien. Mais ne rien faire n’est pas neutre, car cela entraîne une option par défaut. Ce qui signifie que « ne pas faire de choix » est un choix lui-même. Il n’y a rien de neutre, même, ou surtout, dans l’absence d’action. Malgré ce que certains veulent bien nous faire croire, la technologie n’est jamais neutre. Même quand vous ne choisissez pas ce que vous en faites, un choix est fait. Un système s’orientera dans une direction plutôt qu’une autre selon que l’on agit ou non sur lui. Le mieux que l’on puisse faire est de lui donner la direction qui va dans notre sens.

Notes

[1] Crédit photo : Manuel Cernuda (Creative Commons By-Sa)




« Le droit de lire » de Richard Stallman… 13 ans après !

Marfis75 - CC by-saÀ l’heure où le feuilleton Hadopi poursuit ses aventures parlementaires, il nous a semblé intéressant de déterrer un énième écrit de Richard Stallman.

D’abord parce que ce n’est pas tous les jours que Stallman verse dans la nouvelle de science-fiction (et nous parle… d’amour, dans un univers orwellien à souhait[1]). Mais aussi et surtout parce que, bien que rédigé en 1996, ce texte n’est pas loin d’avoir aujourd’hui des petits accents prophétiques (à commencer par la récente affaire Kindle).

Malheureusement…

Le droit de lire

Richard Stallman – février 1997 – GNU.org
(Traduction : Pierre Sarrazin)

URL d’origine du document

(extrait de « The Road to Tycho », une collection d’articles sur les antécédents de la Révolution lunaire, publiée à Luna City en 2096)

Pour Dan Halbert, la route vers Tycho commença à l’université — quand Lissa Lenz lui demanda de lui prêter son ordinateur. Le sien était en panne, et à moins qu’elle puisse en emprunter un autre, elle échouerait son projet de mi-session. Il n’y avait personne d’autre à qui elle osait demander, à part Dan.

Ceci posa un dilemme à Dan. Il se devait de l’aider — mais s’il lui prêtait son ordinateur, elle pourrait lire ses livres. À part le fait que vous pouviez aller en prison pour plusieurs années pour avoir laissé quelqu’un lire vos livres, l’idée même le choqua au départ. Comme à tout le monde, on lui avait enseigné dès l’école primaire que partager des livres était malicieux et immoral — une chose que seuls les pirates font.

Et il était improbable que la SPA — la Software Protection Authority — manquerait de le pincer. Dans ses cours sur les logiciels, Dan avait appris que chaque livre avait un moniteur de copyright qui rapportait quand et où il était lu, et par qui, à la Centrale des licences. (Elle utilisait ces informations pour attraper les lecteurs pirates, mais aussi pour vendre des renseignements personnels à des détaillants.) La prochaine fois que son ordinateur serait en réseau, la Centrale des licences se rendrait compte. Dan, comme propriétaire d’ordinateur, subirait les punitions les plus sévères — pour ne pas avoir tout tenté pour éviter le délit.

Bien sûr, Lissa n’avait pas nécessairement l’intention de lire ses livres. Elle pourrait ne vouloir l’ordinateur que pour écrire son projet. Mais Dan savait qu’elle venait d’une famille de classe moyenne et qu’elle arrivait difficilement à payer ses frais de scolarité, sans compter ses frais de lecture. Lire les livres de Dan pourrait être sa seule façon d’obtenir son diplôme. Il comprenait cette situation; lui-même avait eu à emprunter pour payer pour tous les articles scientifiques qu’il avait eu à lire. (10% de ces frais allaient aux chercheurs qui écrivaient ces articles; puisque Dan visait une carrière académique, il pouvait espérer que si ses propres articles scientiques étaient souvent lus, il gagnerait un revenu suffisant pour rembourser sa dette).

Par la suite, Dan apprendrait qu’il y eut un temps où n’importe qui pouvait aller à la bibliothèque et lire des articles de journaux, et même des livres, sans avoir à payer. Il y avait des universitaires indépendants qui lisaient des milliers de pages sans subventions des bibliothèques gouvernementales. Mais dans les années 1990, les éditeurs aussi bien commerciaux qu’à but non lucratif avaient commencé à facturer l’accès. En 2047, les bibliothèques offrant un accès public gratuit à la littérature scientifique n’étaient qu’un pâle souvenir.

Il y avait des façons, bien sûr, de contourner la SPA et la Centrale des licences. Elles étaient elles-mêmes illégales. Dan avait eu un compagnon de classe dans son cours sur les logiciels, Frank Martucci, qui avait obtenu un outil illégal de déboguage, et l’avait utilisé pour outrepasser le code du moniteur de copyright quand il lisait des livres. Mais il en avait parlé à trop d’amis, et l’un d’eux l’a dénoncé auprès de la SPA pour une récompense (des étudiants criblés de dettes pouvaient facilement être tentés par la trahison). En 2047, Frank était en prison, non pas pour lecture pirate, mais pour possession d’un débogueur.

Dan apprendrait plus tard qu’il y eut un temps où n’importe qui pouvait posséder des outils de déboguage. Il y avait même des outils de déboguage disponibles gratuitement sur des CD ou qu’on pouvait télécharger du Net. Mais des usagers ordinaires commencèrent à s’en servir pour outrepasser les moniteurs de copyright, et finalement un juge a décidé que c’était devenu leur principale utilisation en pratique. Ceci voulait dire qu’ils étaient illégaux; les développeurs de ces débogueurs furent envoyés en prison.

Les programmeurs avaient encore besoin d’outils pour déboguer, bien sûr, mais les vendeurs de débogueurs en 2047 ne distribuaient que des copies numérotées, et seulement à des programmeurs officiellement licenciés et soumis. Le débogueur que Dan utilisait dans son cours sur les logiciels était gardé derrière un garde-barrière spécial afin qu’il ne puisse servir que pour les exercices du cours.

Il était aussi possible de contourner les moniteurs de copyright en installant un noyau système modifié. Dan apprendrait finalement l’existence de noyaux libres, et même de systèmes d’exploitation entièrement libres, qui avaient existé au tournant du siècle. Mais non seulement étaient-ils illégaux, comme les débogueurs, mais vous ne pouviez en installer un, si vous en aviez un, sans connaître le mot de passe de l’usager superviseur de votre ordinateur. Or, ni le FBI ni l’Aide technique Microsoft ne vous le révèlerait.

Dan conclut qu’il ne pouvait simplement prêter son ordinateur à Lissa. Mais il ne pouvait refuser de l’aider, car il l’aimait. Chaque chance de lui parler le remplissait d’aise. Et le fait qu’elle l’avait choisi pour demander de l’aide pouvait signifier qu’elle l’aimait aussi.

Dan résolut le dilemme en faisant une chose encore plus impensable — il lui prêta l’ordinateur, et lui dit son mot de passe. Ainsi, si Lissa lisait ses livres, la Centrale des licences penserait que c’était lui qui les lisait. C’était quand même un délit, mais la SPA ne s’en rendrait pas compte automatiquement. Ils ne s’en rendraient compte que si Lissa le dénonçait.

Bien sûr, si l’école devait un jour apprendre qu’il avait donné son propre mot de passe à Lissa, ce serait la fin de leurs études, peu importe ce à quoi le mot de passe aurait servi. La politique de l’école était que toute interférence avec ses mécanismes de surveillance de l’utilisation des ordinateurs par les étudiants était punissable. Il n’importait pas qu’aucun mal n’ait été fait — l’offense était de se rendre difficile à surveiller par les administrateurs. Ils supposaient que ça signifiait que vous faisiez quelque chose d’autre qui était interdit, et ils n’avaient pas besoin de savoir de quoi il s’agissait.

Les étudiants n’étaient habituellement pas expulsés pour cela — pas directement. Ils étaient plutôt bannis des systèmes informatiques de l’école, et échouaient inévitablement leurs cours.

Plus tard, Dan apprendrait que ce genre de politique n’a commencé dans les universités que dans les années 1980, quand des étudiants commencèrent à être nombreux à utiliser des ordinateurs. Avant, les universités avaient une approche différente au sujet de la discipline auprès des étudiants; elles punissaient des activités qui causaient du tort, et non pas simplement celles qui soulevaient des doutes.

Lissa ne dénonça pas Dan à la SPA. La décision de Dan de l’aider mena à leur mariage, et les amena aussi à remettre en question ce qu’on leur avait enseigné durant leur enfance au sujet du piratage. Le couple se mit à lire sur l’histoire du copyright, sur l’Union soviétique et ses restrictions sur la copie, et même sur la Constitution originale des États-Unis. Ils déménagèrent à Luna, où ils trouvèrent d’autres gens qui comme eux avaient pris leurs distances par rapport au bras long de la SPA. Quand la révolte de Tycho commença en 2062, le droit universel de lire devint bientôt un de ses buts principaux.

Copyright © 1996 Richard Stallman
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Cet article a été publié dans la parution de février 1997 de Communications of the ACM (volume 40, numéro 2). Il a fait l’objet d’une intéressante note de l’auteur mise à jour en 2007 que nous n’avons pas reproduite ici.

Notes

[1] Crédit photo : Marfis75 (Creative Commons By-Sa)