Un Internet plus ouvert pour lutter contre le terrorisme.

À l’heure où l’on publie les décrets d’application d’une loi permettant la censure de sites sans passer par le pouvoir judiciaire… À l’heure où le choc émotionnel après les actes barbares est suivi de velléités politiques d’un Patriot Act à la française

…nous avons retrouvé et traduit une déclaration qui date de 2005.

Il y a près de dix ans, 60 chef d’états et le secrétaire général des Nations unies se retrouvaient à Madrid pour un sommet s’inscrivant dans une semaine d’hommages aux victimes des attentats de 2004.

Il y a donc près de dix ans, Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU y déclarait :

Je dois malheureusement dire que les spécialistes des droits de l’homme, y compris ceux du système des Nations unies, considèrent tous, sans exception, que nombre de mesures qu’adoptent actuellement les États pour lutter contre le terrorisme constituent une atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.

Il y a près de dix ans, le sous-groupe Internet de ce sommet formulait une série de recommandations pour lutter contre le terrorisme en tenant compte de ce formidable outil d’expression et d’interconnexion qu’est Internet.

C’était il y a près de dix ans : une éternité en « temps Internet »… Et ce n’a jamais été autant d’actualité.

Pouhiou.

madrid summit on democracy - CC-BY Wendy Seltzer
Madrid summit on democracy – CC-BY Wendy Seltzer

L’infrastructure de la démocratie.

Renforcer l’ouverture d’Internet pour un monde plus sûr.

Source.

Traduction framalang : Narcisse, Tim, Monsieur Tino, audionuma et les anonymes…

Recommandations proposées par le groupe de travail sur Internet du Sommet international sur la démocratie, le terrorisme et la sécurité.

I. Au XXIe siècle, Internet fait partie des piliers d’une société démocratique, parce que les valeurs au cœur d’Internet et de la démocratie sont très proches.
  1. Les fondements d’Internet sont : ouverture, participation et liberté d’expression pour tous, ce qui augmente la diversité et la portée des informations et idées diffusées.
  2. Internet permet de communiquer et de collaborer entre différents pays et différentes croyances.
  3. Internet rapproche des familles et des cultures dispersées à travers le monde, met les citoyens en relation et les aide à créer des sociétés civiles
  4. Internet peut favoriser le développement économique en connectant ses utilisateurs à l’information et à des marchés.
  5. Internet présente des idées et des points de vue différents aux personnes isolées qui pourraient être séduites par la violence politique.
  6. Internet n’échappe pas à la loi et les principes législatifs qui sont appliqués dans le monde réel doivent l’être également aux activités humaines sur Internet.
II. Les systèmes décentralisés — le pouvoir du nombre — peuvent vaincre un adversaire centralisé.
  1. Les réseaux terroristes sont très décentralisés et distribués. Une action centralisée ne peut donc en elle-même lutter contre le terrorisme.
  2. Le terrorisme est l’affaire de tous. Internet nous relie tous. Des citoyens connectés sont la meilleure défense contre la propagande terroriste.
  3. Comme nous l’avons vu à la suite des attaques du 11 mars, la réponse a été spontanée et rapide car les citoyens ont pu utiliser Internet pour s’organiser entre eux.
  4. Comme nous pouvons le constater sur les blogs et les autres médias citoyens, ce sont des discussions ouvertes, entre interlocuteurs dont les avis divergent, qui font émerger la vérité.
III. La meilleure sanction contre l’abus d’ouverture : plus d’ouverture.
  1. Les environnements ouverts et transparents sont plus sûrs et plus stables que ceux qui sont fermés et opaques.
  2. Même si certains services en ligne peuvent être interrompus, Internet est un système planétaire très résistant aux attaques, même les plus sophistiquées et les plus distribuées.
  3. Les interconnexions humaines qui ont lieu via Internet mettent en échec les divisions que les terroristes essayent de susciter.
  4. Le fait qu’Internet soit ouvert peut être exploité par les terroristes, mais tout comme dans les gouvernements démocratiques, l’ouverture réduit les risques d’actes terroristes et augmente l’efficacité des réponses au terrorisme.
IV. La régulation bien intentionnée de l’Internet dans les démocraties en place pourrait menacer le développement des démocraties émergentes.
  1. Le terrorisme ne peut détruire Internet, mais une réponse législative trop zélée face au terrorisme le pourrait. Les gouvernements devraient faire preuve d’une extrême prudence avant d’imposer des modifications des fonctionnalités au cœur d’Internet.
  2. Certaines initiatives gouvernementales qui pourtant semblent raisonnables violent les principes de base qui ont fait le succès d’Internet.
  3. Certains prônent par exemple la fin de l’anonymat, ce qui n’arrêtera certainement aucun terroriste déterminé, mais aura un effet dissuasif sur les actions politiques ce qui aura pour conséquence de réduire la liberté et la transparence. Ainsi par un effet boule de neige inattendu, la restriction de l’anonymat menacera la liberté d’expression, en particulier dans les pays en pleine transition démocratique.
V. En conclusion, nous prions l’ensemble des délégués réunis ici à Madrid de :
  1. Soutenir la cause d’un Internet ouvert, pilier de la démocratie du XXIe siècle et outil essentiel à la lutte contre le terrorisme
  2. Considérer Internet comme un moyen de communication indispensable et investir dans sa consolidation contre les attaques et sa capacité à refonctionner rapidement en cas de dégâts.
  3. Favoriser un accès plus large et plus égalitaire à Internet, en s’employant à réduire la fracture numérique.
  4. Protéger la liberté d’expression et d’association, soutenir la mise à disposition pour tous de moyens communication anonymes.
  5. Résister aux tentatives de gouvernance internationale d’Internet, qui pourraient avoir des conséquences indésirables et vont à l’encontre de la nature démocratique d’Internet : privilégier les initiatives qui partent de la base.



Best of

Tigr - CC byLe Framablog a ouvert ses portes en septembre 2006 et dépasse désormais le millier d’articles !

Il y a des billets circonstanciés et directement liés à l’actualité qui perdent de leur acuité avec le temps. Mais il en est d’autres qui conservent selon nous leur intérêt et qu’il nous semble dommage de définitivement ranger dans les limbes des archives et du temps qui passe[1].

Surtout si vous êtes un nouveau lecteur.

En voici une petite sélection non exhaustive. Quelqu’un qui aurait le courage de tous les parcourir bénéficierait d’une formation accélérée en logiciel et culture libres 😉

2012

2011

2010

  • Quand le hacker se découvre parasite ! : À l’intérieur du Net le hacker est pour certains une sorte de héros des temps modernes. Mais que se passe-t-il si on rejette en bloc cette modernité ? Grosse discussion dans les commentaires.
  • Le Loup et le Chien : De la (modeste) poésie sur le Framablog ? Si, si, c’est possible !

2009

2008

2007

2006

  • Framablog is open : Le tout premier billet qui annonce une couleur qui s’est un peu transformée depuis.

Notes

[1] Crédit photo : Tigr (Creative Commons By)




Qui agit pour nos libertés numériques ?

On trouvera de la provocation, de l’ironie et du sarcasme, mais aussi de l’amertume et de la lassitude dans ce billet de Peter Sunde, le cofondateur de The Pirate Bay et, plus récemment, de Flattr. Il estime sans doute qu’il a conquis sa légitimité pour houspiller les manifestants virtuels, les commentateurs tellement malins et les militants par délégation, lui qui a donné de son énergie et mis en jeu sa propre liberté pour la cause qu’il défend : il sort de cinq mois de prison pour avoir facilité la violation de droit d’auteur…
Peu importe au fond s’il nous paraît prendre un peu trop la pose du martyr revenu de tout, il nous adresse ici de vraies questions sur la façon dont nous agissons ou non pour nos libertés numériques.
Certes tout le monde n’a pas le courage de Snowden ou Assange et chacun peut avoir à son modeste niveau son propre engagement. Mais notre soutien financier aux associations militantes actives (comme la Quadrature, l’April, Framasoft et bien d’autres qui sont sur le terrain…), s’il est nécessaire et vital pour mener des combats toujours à reprendre, est-il suffisant ? N’est-ce pas considérer à bon compte que d’autres agiront pour nous, à notre place ?
Voici peut-être ce que suggère ci-dessous Peter Sunde : ne perdons plus d’énergie à débattre avec des imprécateurs en carton-pâte, cessons de prendre des clics pour des actions et des retweets pour des opinions. Et si nous nous sortions plutôt les doigts du clavier ?

« Je suis allé en prison pour avoir défendu ma cause. Et vous, qu’avez-vous fait ? »

Article original publié dans le magazine Wired sous le titre Peter Sunde: I went to jail for my cause. What did you do?
Traduction Framalang : Narcisse, Sphinx, Bussy, goofy, Monsieur Tino, Sphinx, Penguin, smonff

Sunde.pngIl y a certains moments décisifs dans la vie qui vous touchent profondément. Recevoir son diplôme, échanger un premier baiser, écrire son premier livre, publier son premier article scientifique, vivre la mort d’un être cher, accueillir votre premier client dans votre café… Aux yeux des autres, ce ne sont que des petits épisodes sans importance mais pour vous ils ont une importance cruciale et sont comme un tournant dans votre vie.

Aujourd’hui j’ai eu une impression de ce genre, j’ai eu le sentiment que nous avions atteint une certaine masse critique. Une masse critique qui est furieuse contre l’état actuel de l’Internet ou plutôt contre l’état actuel de contrôle de l’Internet et ce que cela signifie pour le monde. Une masse critique qui comprend enfin que nous sommes sur la voie d’une démocratie « en pyramide », qui accorde bien peu de participation à sa base.

Le site « The Pirate Bay » a été fermé[1]. Dans la tête des gens, ça a fait tilt de savoir que demain, ils devraient télécharger leur émission de télévision favorite autre part. En y réfléchissant, ils ont décidé que c’était le début d’une pente glissante. Ils comprennent que ça veut peut-être dire que ce contenu alternatif sera probablement d’accès difficile voire impossible. Que les langoliers[2] nous rattrapent plus vite que nous ne l’imaginions. Que ce que nous faisons, c’est-à-dire centraliser Internet, n’avoir qu’une poignée de services centralisés, appartenant pour la plupart à des entreprises d’un seul et même pays, pays qui ne se soucie pas tellement des frontières lorsqu’il s’agit de ses propres intérêts, n’est pas la meilleure des idées.

Mais un mouvement prend forme, un mouvement en-dehors de tout ça. Et demain, quand vous vous réveillerez, il aura atteint une taille gigantesque, une masse de peut-être un million de personnes, qui verront le groupe « Arrêtez de détruire Internet » ou « Rendez-nous notre Pirate Bay » sur Facebook. Ils cliqueront sur « J’aime » et se sentiront fiers. Ils l’auront finalement fait. Ils auront stoppé la destruction de l’Internet.

Honnêtement, j’ai vraiment l’impression que nous avons atteint un point culminant. C’est l’impression que près de 100 % de la communauté internet pense « oh, ce n’est pas mon problème, quelqu’un d’autre s’en chargera ». Mais ce n’est pas seulement l’actualité autour de The Pirate Bay qui m’a conduit à cette idée. Ça a pris du temps à mûrir. En fait, il ne reste que quelques militants actifs qui font réellement quelque chose. Nos ressources financières sont plus qu’amenuisées, nous vieillissons et nous devenons paresseux. Nous essayons de travailler de façon intelligente tout en continuant à avoir une vie de famille, gérant nos vies avec nos compagnes ou compagnons, nous pensons à nos carrières. La plupart des militants les plus engagés finissent par travailler à plein temps sur les projets dans des organisations comme l’EFF, qui peuvent obtenir un certain financement. La communauté finance ces organisations et c’est ainsi que la communauté a l’impression que si elle le fait, ces chouettes personnes résoudront les problèmes à leur place.

Nous avons stoppé ACTA. Nous avons stoppé SOPA, PIPA. Nous travaillons à stopper le TTIP. Nous sommes présents dans certains parlements. Parce que c’est ainsi que nous travaillons désormais. Internet fait partie de la vie de tous les jours, nous ne pouvons plus jouer aux activistes sauvages et faire comme bon nous semble. Nous devons agir de façon organisée. Nous devons écouter les autres personnes. Il ne s’agit plus du Far West. Alors nous nous rangeons en ordre de bataille. Et nous discutons. En attendant, nos opposants deviennent de plus en plus forts. Ils ont déjà corrompu leurs amis politiciens pour nous rogner les ailes. Nous jouons sur leur propre terrain et nous voulons vraiment obtenir notre dû, nous en avons fait plus que n’importe qui. Dans le même temps, plusieurs accords du type de ACTA/SOPA/PIPA/TTIP sont passés sans que nous en sachions quoi que ce soit. Nous stoppons un accord et trois passent inaperçus. Malgré notre victoire à la Cour suprême européenne, nous devons toujours nous battre contre la rétention des informations. C’est un combat sans fin.

Nous avons nos propres célébrités. Nous avons eu Wikileaks. Nous avons eu Snowden. Nous avons eu Manning. Nous avons eu Aaron Swartz. Certains sont morts, d’autres sont en prison pour toujours. Certains se cachent, craignant pour leur vie. Les révélations de ces personnes, les combats de ces personnes sont des causes importantes. Liberté d’information. Liberté d’opinion. Démocratie. Transparence gouvernementale et droit à une procédure judiciaire régulière. Des éléments que nous prenons pour acquis, qui sont les bases de notre société moderne. Nous en parlons beaucoup. Nous sommes déçus. Nous pleurons, nous crions. Parfois, nous manifestons. Nous avons nos t-shirts. Nous avons nos symboles. Nous avons nos masques, nos conférences et nos débats. Nous attirons quelquefois l’attention. En général, les gens nous apprécient. Nos adversaires sont des bâtards, engraissés, vendus, prostitués. La plupart sont des hommes, riches, vivant aux États-Unis. Ils sont corrompus. Ils sont facilement haïssables. On dirait un vieux film hollywoodien. Le genre de film que ces hommes réalisent pour obtenir l’argent avec lequel ils nous combattent.

Mais même dans ces films, ce sont les gentils qui gagnent à la fin. Et nous savons qui sont les gentils. Nous savons que nous avons nos droits. Nous savons que nous sommes protégés par la loi. Nous comprenons aussi que la loi ne pourra pas grand-chose pour nous protéger si les méchants viennent nous chercher. Le truc, c’est que nous n’avons rien fait de mal donc ça ne nous inquiète pas.

Des journalistes me contactent quotidiennement. La plupart sont intelligents, bien formés et très compétents sur le plan professionnel. Travaillant dans la presse, ils sont protégés. Dans la plupart des pays, la loi leur permet de protéger leurs sources. Ils ont tous lu les documents de Manning. Ils ont lu ce que Snowden a fait fuiter. Ils sont au courant de la surveillance exercée par la NSA. Mais eux aussi, au fond, pensent qu’ils font partie des gentils. Après tout, ce truc là, le PGP, ça tient plus de la prise de tête qu’autre chose. Gmail est si simple à utiliser, ça fonctionne partout. Ils n’ont jamais aucun problème auparavant et ils ne veulent pas finir paranos comme Glenn Greenwald.

On ne m’invite plus à des soirées. Ce n’est pas que je sois ennuyeux — au contraire, je suis plutôt un invité divertissant, avec des histoires dingues à raconter, Je fais mon numéro de clown cintré qui raconte les histoires de fous par lesquelles il est passé. J’ai rencontré la présidente du Brésil, je suis allé en prison avec des tueurs et des trafiquants de drogue. Mais c’est tellement embêtant que je ne sois pas sur Facebook, alors, quand quelqu’un organise une fête, il suppose que quelqu’un d’autre va m’inviter, et tout le monde suppose que quelqu’un d’autre l’a fait. Ils pensent que je suis trop parano parce que je ne suis pas sur Facebook.

Je suis toujours fâché contre certains de mes collègues de travail. Ils sont trop difficile à joindre. La plupart d’entre eux n’ont pas de téléphone portable. Nous devons décider d’une heure et d’un lieu pour avoir une conversation sur un chat chiffré, parce qu’ils ne veulent pas être pistés. S’ils ont un imprévu je ne peux pas le savoir. Quelquefois, j’ai attendu 6 à 7 heures à cause de problèmes de trains/bateaux/voitures. Pour qui ils se prennent à vouloir être aussi anonymes ? Je n’ai pas envie de finir comme eux, ils sont si paranoïaques. Je présume que mon téléphone n’est pas sur écoute, je ne suis pas intéressant. Il ne suffit pas que je connaisse beaucoup de gens qui pourraient être intéressants aux yeux de certains gouvernements pour que ça signifie qu’ils ont un mandat pour m’espionner.

Hier, j’ai lu des tas de commentaires sur un nombre incalculable de fils de discussion portant sur une déclaration où je souhaitais que The Pirate Bay soit fermé pour de bon, pour que quelque chose de nouveau puisse apparaître. Quelque chose de nouveau et frais. C’est fou comme la plupart des commentaires sont incroyablement perspicaces. Ils expliquent à quel point je suis paresseux de ne rien faire au lieu de gueuler que TPB est devenu merdique. Que je devrais ouvrir un nouveau site au lieu d’accepter de laisser fermer TPB. Qu’ils veulent récupérer le colis qu’ils m’ont envoyés pendant que j’étais en prison pour avoir milité. Puisque je suis trop mauvais pour ne pas faire revenir TPB. Je présume que tous ces mecs et leur superbe ortographe[3] (oui, ce sont tous des mecs) sont eux aussi des activistes qui font leur part de boulot pour la communauté libre et open source. Si c’est le cas, alors je dois me tromper en pensant que nous ne sommes que quelques-uns — Il y a apparemment des dizaines de milliers de personnes qui font en réalité un travail important que je devrais apprécier.

Mon impression d’être à un moment crucial n’est peut être qu’un tas de ruminations sur la partie pourrie, naïve et paresseuse de notre chère communauté internet. Et peut-être que j’utilise ces termes uniquement pour faire un peu plus chier le monde. Mais bon. Je suis allé en prison pour avoir défendu ma cause et vos émissions télé. Et vous, qu’avez-vous fait ? Vous voulez qu’on vous renvoie un des 25 exemplaires de 1984 d’Orwell qui m’ont été envoyés quand j’étais en prison ? Je vais en prendre un et vous le ferai parvenir. Peut-être le lirez-vous plutôt que de l’envoyer à quelqu’un d’autre en espérant qu’on le lise à votre place.

fightGAFAM.png

Notes

[1] Bien sûr nous ne serons pas à court de sites miroirs (http://oldpiratebay.org/search.php?q=&=on par exemple) mais ce serait une erreur de se satisfaire d’astuces techniques alors que la question des droits d’auteur demande une action politique.

[2] Allusion à des monstres dans un roman de Stephen King : « des créatures rondes avec seulement une énorme bouche et des dents aiguisées », voyez la page Wikipédia du roman.

[3] La faute est intentionnelle, elle figure dans le texte original.

Crédits

  • photo Peter Sunde : Flickr.com/Share Conference/CC By SA 2.0
  • image : Gégé le Geektionnerd Generator – licence WTFPL-2.0



Le Libre (et Framasoft) à la Fête de l’Huma, entretien avec Yann Le Pollotec

Fête de l'Humanité 2014

Le Libre revient explicitement et concrètement à la Fête de l’Humanité, grâce à l’initiative de Yann Le Pollotec et toute son équipe.

En effet, cette année, un espace sera consacré « aux logiciels libres, aux hackers et aux fablabs », au sein du Village de l’économie sociale et solidaire, avec notamment la présence de l’April, FDN, La Quadrature ou encore Ubuntu. Des débats seront également proposés avec Richard Stallman le vendredi 12 septembre, Bernard Stiegler le samedi 13 et une table ronde animée par Sebastien Broca le dimanche 14. Les temps étant difficiles une campagne de financement a été lancée pour couvrir les frais occasionnés.

Framasoft en sera, en tenant un stand pendant les 3 jours et en participant à la table-ronde du dimanche avec son président Christophe Masutti.

En attendant, nous sommes allés à la rencontre de Yann Le Pollotec (informaticien, membre du conseil national et animateur de la réflexion sur la révolution numérique.au PCF), afin d’avoir de plus amples informations sur l’événement, afin aussi de savoir ce que le logiciel libre avait à dire à la gauche et réciproquement.

Yann Le Pollotec

Entretien avec Yann Le Pollotec

Entrons tout de suite dans le vif du sujet : le logiciel libre est-il de gauche ?

Les quatre libertés du logiciel libre, de par les valeurs de partage et la notion de biens communs qu’elles portent, ne peuvent que rejoindre ce pourquoi les hommes et les femmes sincèrement de gauche se battent. Je pense en particulier à la notion de « Commun » qui me semble être la seule voie d’avenir pour que la gauche sorte du mortifère dilemme entre le marché et l’État.

Certes certains libéraux et libertariens s’en réclament également, car contradictoirement, malgré sa tendance à tout vouloir privatiser, le capitalisme pour se développer a toujours eu besoin de biens communs à exploiter.

Tu fais partie de ceux qui réfléchissent à la « révolution numérique » au sein du PCF. Est-il possible de résumer les positions du parti sur le sujet et plus particulièrement sur le logiciel libre ?

Le PCF s’est battu pour le logiciel libre depuis 1994, ainsi que contre toutes les tentatives de brevets logiciels au Parlement européen.

Le texte suivant adopté lors du dernier Congrès du PCF résume notre position : « Sous la crise du capitalisme émergent déjà les prémisses d’une troisième révolution industrielle avec les logiciels libres, les machines auto-réplicatives libres, l’open source hardware, les mouvements hackers et maker. Ainsi se créent et se développent des lieux de conception et de proximité en réseau, ouverts et gratuits, où l’on partage savoir et savoir-faire, où l’on crée plutôt qu’on ne consomme, où l’on expérimente et apprend collectivement, où le producteur n’est plus dépossédé de sa création, tels les Fab Lab, qui sont les moteurs de ce mouvement. Toutes ces avancées portent en elles des possibilités de mise en commun, de partage et de coopération inédites. »

Lorsque tu communiques avec tes camarades du parti, vois-tu souvent passer des adresses en gmail et de pièces jointes en .doc ?

Oui malheureusement en cela les militants communistes ne sont pas différents de la majorité de la population.

Mais les choses progressent, ainsi au siège national du Parti, et dans la plupart des fédérations départementales, nous sommes équipés de LibreOffice, de Thunderbird, et Firefox, et nous avons notre propre nom de domaine : pcf.fr. Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure ainsi que la peur de perdre ses sacro-saintes « macro excel ». C’est pourquoi l’espace à la Fête de l’Huma est aussi une occasion de les faire régresser par l’exemple et la pédagogie.

Nous sommes nombreux à vouloir re-décentraliser le Web plutôt que céder nos données à « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon). Le mouvement des fablabs et du DIY va-t-il re-décentraliser le capital ?

Oui parce que s’ils socialisent la conception via les échanges sur le Net et les bases de données disponibles, et ils décentralisent dans le même temps la production. Les petites unités de production que sont les fablabs, les hackerspaces et les makerspaces, impliquent une dispersion du capital qui va à l’encontre de la tendance atavique du capitalisme à le concentrer. La démocratisation et le partages des connaissances techniques et des moyens de créer et de produire dans le cadre de ces tiers lieux démentent les prédictions de Jacques Ellul sur l’équivalence entre développement des technologies et concentration du pouvoir, des ressources et du capital.

Favorable au revenu de base universel ? Et comme le souhaite Bernard Stiegler : demain, tous intermittents du spectacle ?

La révolution numérique dans le cadre économique actuel est une machine à détruire l’emploi salarié et à faire baisser les salaires. Par contre cette même révolution numérique, dans le cadre d’un autre partage des richesses et là c’est un combat politique, peut permettre, comme Marx l’appelait de ses vœux dans les Grundrissel émergence d’une humanité libérée du salariat et où « la distribution des moyens de paiement devra correspondre au volume de richesses socialement produites et non au volume du travail fourni. ».

C’est pourquoi je suis persuadé à l’instar de Bernard Stiegler que les batailles politiques pour instaurer un revenu universel et une baisse drastique du temps de travail, en lien avec la question de la propriété, seront fondamentales. Après on peut bien sûr débattre pour savoir si on résout le problème avec un « salaire socialisé » comme le propose Bernard Friot, un système de « sécurité d’emploi et de formation tout au long de la vie» comme y invite Paul Boccara, ou sous la forme de revenu universel de base conditionnel ou non.

Alors cette année, le Libre est à l’honneur et à l’affiche à la Fête de l’Huma. QQOQCCP ? (Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Et pourquoi ?)

La Fête de l’humanité des 12, 13 et 14 septembre 2014 à la Courneuve, consacrera donc un espace aux cultures et aux valeurs du logiciel libre, des hackers et du mouvement émergent des Fablab. Cet espace sera un lieu d’éducation populaire par la démonstration et la pratique (Imprimante 3d, atelier soudure, installation de distributions GNU/Linux, fabrication de Jerry..). Mais il sera aussi un endroit où on mènera le débat politique au sens noble du terme sur tous les enjeux de la révolution numérique : le big-data, la neutralité du net, la propriété intellectuelle, les tiers-lieux, l’économie du partage et de la coopération,…

April, Ars Industrialis, Creative Commons France, Emmabuntüs, Fab-Lab Cité des sciences : Carrefour numérique, Fabrique du Ponan, Fac-Lab, FDN, Open Edge, Jerry Do It Together, La Quadrature du Net, Les petits débrouillards d’IDF, Mageia, Parinux, Ubuntu et Framasoft ont accepté d’être partie prenante en tant qu’exposants et acteurs de cet espace.

Il y aura également des débats avec des personnalités comme Bernard Stiegler ou Sebastien Broca, des structures comme l’April, la Quadrature du Net ou Framasoft et… Richard Stallman himself !

Oui trois grands moments de débats structureront la vie de cet espace :

  • « le Logiciel libre: les Droits de l’Homme dans votre ordinateur » avec Richard Stallman
  • « l’économie de la contribution et la révolution numérique » avec Bernard Stiegler, Laurent Ricard et Emmanuelle Roux.
  • « Le combat pour les libertés numériques : neutralité du Net, protection des données personnelles, licences libres, droits d’auteur… » avec Sébastien Broca, l’April, la Quadrature du Net, Framasoft et Creative Commons France.

FabLab Stand Blanc-Mesnil 2013

Il existait par le passé un « Village du Logiciel Libre » sous la houlette de Jérôme Relinger. Ainsi donc le logiciel libre revient à la Fête de l’Humanité. Mais peut-être est-il plus juste de dire qu’il ne l’a jamais quitté ?

À vrai dire, c’est toujours une affaire d’hommes et de femmes, le « village du logiciel libre » avait été créé par Jérôme Relinger et Jacques Coubard. Les aléas de la vie ont fait que Jérôme a vogué vers d’autres horizons et que Jacques est malheureusement décédé.

Mais les braises couvaient sous les cendres. À la fête de l’Humanité 2013, le stand du PC -Blanc-Mesnil, sous le thème de « Hackons le capitalisme » avait accueilli en démonstration un mini fablab avec entre autres une imprimante 3D et organisé un débat sur ce thème. Par le bouche à oreille, divers acteurs du monde du logiciel libre, des fablabs et des hackerspace ont spontanément participé à l’animation de ce mini-espace drainant ainsi sur les 3 jours de la Fête plusieurs centaines de curieux comme de passionnés. Le débat a lui aussi été un succès, tant en termes de participation que de qualité des échanges

Spontanément les acteurs comme les visiteurs de ce mini-espace en sont venus à souhaiter ardemment un véritable espace lors de la Fête de l’Humanité 2014 dédié aux mouvements des logiciels libres, aux hackers et aux fablabs, et sous la responsabilité officielle de la Fête de l’Humanité. Un collectif s’est donc constitué, de manière bénévole et militante, à partir des animateurs et des visiteurs du mini fablab de 2013, pour réaliser un espace du libre, des hackers et des Fab-Lab à la Fête de l’Humanité 2014.

Nouvelle dénomination : « Espace du libre, des hackers et des fablabs ». Pourquoi un tel choix ? Y a-t-il une forte différence entre les 3 dénominations ? Illustre-t-il une évolution et la situation actuelle ?

Oui car il s’agissait à la fois de se placer dans la filiation du village précédant, de casser les lieux communs que les médias dominants donnent des hackers en les assimilant aux crackers et d’attirer l’attention sur le mouvement émergent des fablabs avec le mariage des bits et des atomes. Bien sûr aux cœurs de ces trois mots, on retrouve un socle de valeurs communes et déjà une Histoire qui elle aussi est commune.

Fête de l'Humanité 2014 - Ulule

Une campagne de financement participatif a été lancée sur Ulule pour couvrir les frais de cet espace. Pourquoi ? Que peut-on faire pour aider, participer ?

La direction de la Fête de l’Huma a donné son accord pour la création de l’Espace mais à condition qu’hormis le terrain et l’électricité cela soit à coût zéro pour elle, en raison des graves difficultés financières du journal l’Humanité. D’où la nécessité de trouver un financement participatif pour les frais de transports, de location de mobiliers et de matériels, de réalisation d’une exposition pédagogique de présentation des enjeux de la révolution numérique,…

Vous pouvez participer personnellement à ce financement sur : http://fr.ulule.com/hackers-fablab/.

Par exemple : pour 60 euros, vous avez la vignette d’entrée pour les 3 jours (et tous les spectacles), le tee-shirt officiel, votre nom sur le panneau et une initiation à l’impression 3d. Et nous vous invitions également à populariser cette campagne autour de vous, dans vos réseaux et vos cercles de connaissances. Merci.

Le crowdfunding (financement participatif) est-il soluble dans les valeurs du communisme ?

Le crowdfunding est une réponse « bottom-up » aux dysfonctionnements majeurs des banques traditionnelles et du système financier dans son ensemble. L’existence et le développement du Crowdfunding n’empêche le combat politique pour mettre les banques et la monnaie au service du financement de l’intérêt général et du bien commun.

Où en est le projet de créer un fablab original et ambitieux au Blanc-Mesnil ?

Ce projet était porté par la municipalité communiste sortante. Malheureusement en mars, elle a été battue par une liste de l’UMP. Les priorités du nouveau maire sont de mettre en place une police municipale armée et des caméras de vidéo surveillance et non de favoriser l’installation d’un fablab. Aujourd’hui avec l’association « Fablab au Blanc-Mesnil » nous sommes en train de travailler à poursuivre notre projet dans le cadre de ces nouvelles conditions y compris en l’élargissant aux communes voisines.

FabLab Stand Blanc-Mesnil 2013




L’affaire Brandon Mayfield : une surveillance terrifiante

Dans l’œil du cyclone…

Au lendemain de « la journée de la riposte », nous vous proposons une édifiante histoire qui peut arriver à chacun d’entre nous.

Fabbio - CC by-sa

L’affaire Brandon Mayfield : une surveillance terrifiante

Face aux excès de la NSA, plus personne n’est à l’abri du biais de confirmation.

The terrifying surveillance case of Brandon Mayfield

Matthew Harwood – 8 février 2014 – America Aljazeera
(Traduction : bouzim, amha, Nemecle, Diab, Achille, Scailyna, z1tor, Robin Dupret, sinma, peupleLà + anonymes)

Fin janvier, dans un webchat en direct, Edward Snowden le lanceur d’alertes de la NSA, a exposé l’un des dangers les moins débattus à propos de la surveillance de masse. En balayant aveuglement les enregistrements de toutes les conversations téléphoniques et communications internationales des États-Uniens, le gouvernement a la possibilité d’initier une enquête rétroactive, autrement dit de rechercher dans les données passées des cibles n’importe quelle preuve d’activité suspecte, illégale ou seulement embarrassante. C’est une possibilité qui a de quoi déranger : même ceux qui sont persuadés d’être eux-mêmes des gens honnêtes devraient y réfléchir à deux fois avant de proclamer haut et fort : « Qu’ai-je à craindre puisque je n’ai rien à cacher ».

Mais il y a un autre danger que Snowden n’a pas mentionné, inhérent au fait que le gouvernement dispose facilement d’un accès aux énormes volumes de données que nous générons chaque jour : il peut insinuer la culpabilité là où il n’y en a pas. Quand des enquêteurs ont des montagnes de données sur une cible donnée, il est facile de ne retenir que les éléments qui confirment leurs théories — en particulier dans les enquêtes de contre-terrorisme où les enjeux sont si importants — tout en ignorant ou minimisant le reste. Nul besoin d’une quelconque malveillance de la part des enquêteurs ou des analystes, même s’il ne fait aucun doute que les préjugés sont de la partie : il s’agit seulement de preuves circonstancielles et de cette dangereuse croyance en leur intuition. Les chercheurs en sciences sociales nomment ce phénomène « biais de confirmation » : lorsque des personnes sont submergées de données, il est bien plus simple de tisser ces données dans une trame narrative qui confirme les croyances auxquelles elles adhèrent déjà. Le criminologue D. Kim Rossmo, un inspecteur de la police de Vancouver à la retraite, était tellement soucieux du biais de confirmation et des échecs qu’il entraîne dans les enquêtes qu’il a incité les officiers de police dans le Police Chief Magazine à toujours se montrer vigilants sur le sujet. « Les éléments du biais de confirmation », écrit-il, « comprennent le fait de ne pas chercher de preuves qui démantèleraient une théorie, de ne pas utiliser une telle preuve s’ils en trouvaient, de ne pas envisager d’hypothèses alternatives et de ne pas évaluer la recevabilité de la preuve ».

Pour nous faire une meilleure idée de ces dangers, examinons l’affaire Brandon Mayfield.

Une erreur d’identité

Le 11 mars 2004 à Madrid, des terroristes proches de la mouvance d’Al-Qaïda ont coordonné un attentat à la bombe sur plusieurs trains de banlieue durant l’heure de pointe matinale. 193 personnes furent tuées et environ 1 800 furent blessées. Deux empreintes digitales partielles découvertes sur un sac de détonateurs au cours de l’enquête par la Police Nationale Espagnole (PNE) furent partagées avec le FBI par le biais d’Interpol. Les deux empreintes furent entrées dans la base de données du FBI, qui retourna vingt concordances possibles pour l’une d’entre elles : sur ces vingt concordances, l’une appartenait à Brandon Mayfield. Ancien chef de peloton de l’armée américaine, Mayfield officiait alors à Portland, dans l’Oregon, comme avocat spécialisé dans les gardes d’enfants, les divorces et les lois sur l’immigration. Ses empreintes étaient répertoriées dans le système du FBI parce qu’il avait fait son service militaire mais aussi parce qu’il avait été arrêté sur un malentendu vingt ans auparavant. Les charges avaient ensuite été abandonnées.

Il se trouvait que l’empreinte de Mayfield ne concordait pas exactement avec l’empreinte laissée sur le sac de détonateurs. Malgré cela, les spécialistes des empreintes au FBI fournirent des justifications aux différences, selon un rapport du Bureau de l’inspecteur général du département de la Justice (OIG). D’après la règle de divergence unique, le laboratoire du FBI aurait dû conclure que Mayfield n’avait pas laissé les empreintes trouvées à Madrid — c’est la conclusion à laquelle était parvenu le PNE et qu’il avait communiquée au FBI à plusieurs reprises. Pourtant, le bureau local du FBI à Portland se servit de cette correspondance d’empreinte pour commencer à fouiller dans le passé de Mayfield. Certains détails de la vie de l’avocat ont convaincu les agents qu’ils tenaient leur homme. Mayfield s’était converti à l’Islam après avoir rencontré sa femme, une égyptienne. Il avait offert son aide juridique sur une affaire de garde d’enfant à l’un des « Portland Seven », un groupe d’hommes qui avait essayé d’aller en Afghanistan afin de combattre pour Al-Qaïda et les Talibans contre les États-Unis et leurs forces alliées. Il fréquentait aussi la même mosquée que les militants. À la suite des événements du 11 Septembre, ces innocentes associations et relations, quoique approximatives, étaient devenues pour les enquêteurs des preuves que Mayfield n’était pas un bon citoyen américain, mais un terroriste sanguinaire déterminé à détruire l’Occident.

Les détails biographiques de Mayfield, en particulier sa religion et l’image de terroriste qu’on lui prêtait, ont contribué à ce que les laboratoires du FBI se montrent réticents au réexamen de l’identification erronée. Selon l’OIG, « l’un des inspecteurs a clairement admis que si la personne identifiée n’avait pas eu ces caractéristiques, le laboratoire aurait pu revoir l’identification en se montrant plus sceptique et repérer l’erreur. »

Comme les agents du FBI n’avaient aucune preuve concrète que Mayfield était impliqué dans l’attentat à la bombe des trains de Madrid, ils décidèrent de ne pas faire une demande de mise sur écoute, qu’il faut justifier par un motif suffisant de croire à une activité ou intention criminelle. À la place, ils ont donc fait appel à un mandat FISA (NdT : Foreign Intelligence Surveillance Act, loi décrivant les procédures de surveillance sur des puissances étrangères) en affirmant qu’ils avaient des motifs suffisants de croire que Mayfield agissait pour le compte d’un groupe terroriste étranger. Ainsi, le FBI pouvait contourner le Quatrième Amendement : s’ils découvraient accidentellement au cours de leur activité de renseignement la preuve d’une activité criminelle; ils pourraient la partager avec les procureurs et les enquêteurs. La cour confidentielle de la FISA approuva la demande, comme elle le fait presque toujours, et c’est ainsi que le FBI a pu commencer la surveillance sous couverture de Mayfield et de sa famille, de manière clandestine et incroyablement intrusive.

Des théories inventées de toutes pièces

Des agents du FBI pénétrèrent par effraction dans la maison de Mayfield et dans son cabinet d’avocat. Ils fouillèrent dans des documents protégés par le secret professionnel entre un avocat et son client, ils mirent sur écoute ses téléphones, ils analysèrent sa comptabilité et son historique de navigation Internet, ils fouillèrent même ses poubelles. Ils le suivirent dans tous ses déplacements. Malgré tout cela, le FBI ne trouva pas le moindre indice qui puisse le relier aux événements de Madrid. Ils trouvèrent cependant, des recherches Internet sur des vols vers l’Espagne et découvrirent qu’il avait pris une fois des leçons de pilotage d’avion. Pour ces agents du FBI, d’ores et déjà convaincus de sa culpabilité, tout cela était la preuve que Mayfield était un terroriste en puissance. Ses recherches sur le web étaient cependant tout à fait banales : sa fille devait organiser des vacances fictives pour un projet scolaire. Quant aux leçons de vol, elles témoignaient de l’intérêt de Mayfield pour le vol en avion, et rien de plus.

Il peut sembler qu’il y a là un nombre bizarre de coïncidences. Mais quand on présenta les preuves qui démontraient l’innocence de Mayfield au FBI, le Bureau les déforma pour pouvoir soutenir la thèse première qui faisait de lui un coupable. Le passeport de Mayfield avait expiré, et le dernier enregistrement d’un passage de frontières remontait à son service militaire en 1994. En l’absence de preuves d’un voyage à l’étranger depuis des années, le FBI a tout simplement élaboré une théorie selon laquelle il avait forcément voyagé sous une fausse identité dans le cadre de ce complot terroriste .

Du fait des erreurs commises par le FBI — ils avaient laissé des empreintes de chaussures sur le tapis de la maison de Mayfield et fait irruption un jour où son fils était seul à la maison —, Mayfield en conclut qu’il était sous la surveillance des autorités fédérales. La paranoïa s’installa. Quand il était au volant, il vérifiait s’il n’était pas suivi par une voiture jusqu’à son domicile ou jusqu’à son bureau. Le FBI interpréta sa nervosité comme une preuve supplémentaire de culpabilité. Pensant que leur couverture avait sauté, les agents du FBI placèrent Mayfield en détention comme témoin matériel dans l’attentat de Madrid, au motif qu’ils craignaient un risque de fuite. Ils ne pouvaient pas l’arrêter car malgré leur surveillance intrusive ils n’avaient toujours aucune preuve tangible d’aucun crime. Il passa deux semaines en prison, terrifié à l’idée que ses codétenus apprennent qu’il était impliqué d’une manière ou d’une autre dans les attentats de Madrid et qu’ils ne l’agressent.

Lorsque l’OIG examina comment l’affaire Mayfield avait été traitée, il établit que les demandes déposées par le FBI pour auditionner des témoins matériels et pour obtenir des mandats de perquisitions « contenaient plusieurs inexactitudes qui reflétaient un manque regrettable d’attention aux détails ». Malgré toutes les preuves contraires, le FBI était tellement convaincu de tenir son homme qu’il fournit de fausses déclarations sous serment devant un juge. La seule raison pour laquelle Mayfield est un homme libre aujourd’hui, c’est que la police espagnole a répété à plusieurs reprises au FBI que l’empreinte récupérée sur le sac de détonateurs ne correspondait pas à celles de Mayfield. Pourtant, le FBI s’en est tenu obstinément aux résultats de ses laboratoires jusqu’à ce que les autorités espagnoles identifient de manière concluante les empreintes du vrai coupable, Ouhane Daoud, de nationalité algérienne. Ce n’est qu’alors que le voyage traumatisant de Mayfield dans les entrailles de la sécurité nationale prit fin.

Un récit édifiant

L’épreuve qu’a vécue Mayfield est un récit édifiant de ce qui peut arriver lorsqu’un gouvernement s’acharne sur ses suspects et refuse de desserrer son étau. Heureusement, dans le cas de Mayfield, le gouvernement a fini par le relâcher mais non sans que la procédure ait chamboulé son existence.

Près d’une décennie plus tard, les capacités du gouvernement en matière de surveillance confidentielle n’ont fait que croître, grâce aux médias sociaux, téléphones connectés et autres technologies. La collecte massive de données personnelles des États-Uniens augmente le risque que des faux positifs — des Mayfield innocents tombant sous l’examen approfondi du gouvernement – se produisent . Et quand ce faux positif est un musulman américain ou un anarchiste ou un féroce activiste écologiste, les agents du gouvernement et les analystes auront-ils la capacité de mettre de côté leurs préjugés et leur nervosité afin de soupeser chaque information, particulièrement les preuves contradictoires, avant de condamner ces quelques malheureux à des charges bidons et à la vindicte publique ?

Le biais de confirmation devrait nous rendre sceptiques quant à cette possibilité.

Crédit photo : Fabbio (Creative Commons By-Sa)




Mobilisons-nous le 11 février : The Day We Fight Back, contre la surveillance de masse

Comme nous l’avions annoncé il y a un mois ici, demain c’est la journée d’action The Day We Fight Back.

On peut toujours gloser sur la réelle portée d’un tel événement, mais il a le mérite de mettre le focus sur un sujet fondamental, pas assez relayé par les médias et peu pris à bras le corps par nos politiques. L’occasion justement d’en parler autour de nous et de faire avancer la sensibilisation.

Greenoid - CC by-sa

Le jour de la contre-attaque : un appel à la communauté internationale pour lutter contre la surveillance de masse

The Day We Fight Back: A Call To the International Community to Fight Against Mass Surveillance

Katitza Rodriguez – 27 janvier 2014 – EFF.org
(Traduction : nitot, Asta, amha, piero, GregR, maxauvy)

Les révélations de Snowden ont confirmé nos pires craintes au sujet de l’espionnage en ligne. Elles montrent que la NSA et ses alliés ont construit une infrastructure de surveillance globale pour « contrôler Internet » et espionner les conversations mondiales. Ces groupes de l’ombre ont sapé les normes de chiffrement de base, et criblé la dorsale Internet avec des équipements de surveillance. Ils ont collecté des centaines de millions d’enregistrements téléphoniques de personnes qui n’étaient soupçonnées d’aucun crime. Ils ont écouté les communications électroniques de millions de personnes, chez elles et à l’extérieur, sans distinction aucune, en exploitant les technologies numériques que nous utilisons pour échanger et nous informer. Ils espionnent les populations alliées, et partagent ces informations avec d’autres organisations, au mépris le plus complet des lois.

Nous n’allons pas laisser la NSA et ses alliés détruire Internet. Inspirée par la mémoire d’Aaron Swartz, alimentée par la victoire contre SOPA et ACTA, la communauté numérique tout entière est unie pour retourner au combat.

Le 11 février, le jour de la contre-attaque (NdT : The Day We Fight Back), le monde va exiger la fin de la surveillance de masse dans tous les pays, tous les états, quels que soient les frontières et les régimes politiques. Les manifestations contre SOPA et ACTA ont été un succès car nous avons tous participé en tant que communauté. Comme le disait Aaron Swartz, tout le monde est devenu « le héros de sa propre histoire ». Nous pouvons choisir une date, mais nous avons besoin de tout le monde, de tous les utilisateurs de l’Internet, pour faire de ceci un mouvement.

Voici une partie de notre plan (mais ce n’est que le début). L’an dernier, avant qu’Ed Snowden ne fasse ses révélations au monde, les militants des droits numériques se sont entendus sur 13 Principes. Ces Principes expliquaient clairement en quoi la surveillance généralisée représente une violation des Droits de l’Homme, et donnaient aux législateurs et juges une liste de correctifs qu’ils pouvaient appliquer aux barbouzes de l’Internet. Ce jour de la contre-attaque, nous voulons que le monde adhère à ces principes. Nous voulons que les politiciens s’engagent à les respecter. Nous voulons que le monde voie que nous sommes concernés.

Voici comment vous pouvez rejoindre le mouvement :

1. Nous encourageons les sites web à faire un lien vers le site The Day We Fight Back. Cela permettra à des personnes du monde entier d’apposer leur signature sous nos 13 Principes, en riposte à la surveillance de masse de la NSA, du GCHQ et d’autres agences de renseignement. Si vous pouvez informer vos collègues sur cette campagne et le site avant la fin de la journée, nous pourrons envoyer de l’information à ce sujet dans chaque pays.

2. Dites à vos amis de signer les 13 Principes ! Nous (NdT : EFF) sommes en train de nous organiser pour nous associer à la journée d’action. Nous allons continuer à utiliser ces Principes pour montrer à ceux qui nous gouvernent que le respect de la vie privée est un droit pour chacun et doit être protégé sans tenir compte des frontières.

3. Courriels : Si vous avez besoin d’un prétexte pour en parler à vos collègues ou à vos proches à ce sujet, le 11 février est pile le bon moment pour leur dire de contacter les politiques locaux sur des sujets comme l’espionnage via Internet. Il faut les encourager à agir et à comprendre l’importance du combat contre la surveillance de masse.

4. Réseaux sociaux : touittez ! Postez sur Facebook et Google Plus ! Nous voulons faire autant de bruit que possible. Nous voulons vraiment une campagne à l’échelle du globe, où tous les pays sont impliqués. Plus nous serons nombreux à signer les Principes, plus ceux qui nous gouvernent entendront nos exigences visant à arrêter l’espionnage de masse chez nous et dans d’autres pays.

5. Outils : développez des mèmes, des outils, des sites web et tout ce que vous pouvez pour encourager d’autres personnes à participer.

6. Soyez créatifs (NdT : exemple) : préparez vos propres actions et vos propres engagements. Descendez dans la rue. Faites la promotion des Principes dans votre pays. Ensuite, dites-nous ce que vous comptez faire, de façon à ce qu’on fasse un lien vers vos efforts et qu’on leur donne de la visibilité.

Ce serait génial si vous participiez de ces six façons (ou plus encore !) mais franchement, tout ce que vous pourrez faire aidera le mouvement.

Les espions d’Internet ont passé trop de temps à écouter nos pensées et peurs les plus privées. Il est maintenant temps qu’ils nous entendent vraiment à leur tour. Si vous partagez notre colère, partagez aussi nos principes et contre-attaquez.

Crédit photo : Greenoid (Creative Commons By-SA)




Comment créer un blog anonyme (à l’heure de la surveillance généralisée)

Blog vraiment anonyme : mode d’emploi !

« Et si vous me trouvez, je serai vraiment très impressionné. »

AndyRobertsPhotos - CC by

Comment créer un blog anonyme

How to Start an Anonymous Blog

Anonyme (évidemment) – 26 janvier 2014 – Untraceable
(Traduction : crendipt, aKa, Diab, Penguin, Omegax, amha, nanoPlink, Paul, Scailyna, Scailyna, Asta, Unnamed, goofy, lamessen)

Introduction

Je crois qu’en suivant les étapes que j’expose dans ce billet, personne ne sera capable de dévoiler mon identité. Mon domaine peut être saisi et mon blog peut être fermé, mais je reste persuadé que mon identité restera un mystère.

Si je dis cela, c’est principalement parce que j’ai confiance dans un outil très important appelé Tor. Les développeurs et administrateurs des nœuds de Tor travaillent pour que chacun puisse être anonyme sur Internet. Tor est une sérieuse épine dans le pied pour la NSA et pour les autres organisations et pays qui font de l’espionnage sur Internet.

Vu que le réseau Tor rend très difficile l’identification des adresses IP et que l’enregistrement de domaines est désormais possible via Bitcoin, je n’ai à aucun moment besoin de fournir une quelconque information personnelle pour la mise en place de ce blog.

Outils et ressources

Tails / Tor

Tails est lancé depuis une clé USB qui inclut une partition chiffrée. Cette partition contient un porte-monnaie Bitcoin, le code source du blog et une base de données Keepass. Mes mots de passe pour des services tiers sont des mots de passe très forts générés aléatoirement. Avec Tails, il est difficile de se tromper, car toutes les connexions doivent obligatoirement passer par Tor. Par exemple, pour développer ce blog en local, je dois ajuster les règles du pare-feu pour autoriser les connexions locales au port 4000, télécharger un navigateur différent (Midori) et régler celui-ci pour qu’il n’utilise pas de serveur proxy. Le pare-feu bloque toutes les requêtes externes de Midori, mais je peux accéder à http://localhost:4000.

Donc, à moins d’agir de manière insensée, par exemple me connecter à StackOverflow au moyen de mon vrai compte Google et utiliser l’identifiant de « untraceableblog », je pense qu’il est quasiment impossible de me pister.

Je fais une sauvegarde de la clé USB sur mon ordinateur principal, sur un volume caché TrueCrypt. J’aime le concept des volumes cachés, j’ai l’impression d’être un putain d’espion. L’idée, c’est d’avoir un mot de passe factice qui déverrouille un faux dossier chiffré et un mot de passe réel pour déverrouiller le vrai dossier chiffré, sans qu’il y ait aucun moyen pour les autres de savoir lequel vous déverrouillez. Dans mon faux dossier chiffré, je garde ma base personnelle de Keypass, de cartes de crédit, et des scans de mon passeport et permis de conduire. Donc si quelqu’un me force à entrer mon mot de passe pour déverrouiller mon ordinateur et découvre que j’ai un volume TrueCrypt, il n’aura aucun moyen de savoir si j’ai entré le mot de passe réel ou bidon.

Cette fonctionnalité autorise une légère protection contre les tentatives d’extorsion de votre mot de passe par la force.

XKCD

La plupart du temps, je cache la clé dans un endroit secret de la maison. Quand je dois aller quelque part et que je veux pouvoir mettre à jour ce blog, je le sauvegarde sur le volume caché, puis j’efface la clé de manière sécurisée et je peux l’emporter avec moi sans aucune crainte. C’est ce que je devrai faire jusqu’à ce que Tails intègre sa propre fonction pour les « volumes cachés ».

Messagerie électronique

J’ai créé un compte de messagerie gratuit sur Outlook.com et j’utilise anonymousspeech.com pour la vérification et la sauvegarde.

J’ai d’abord essayé Gmail, mais Google rend la création de compte très difficile quand on utilise Tor, à cause de la vérification par téléphone. C’est compréhensible, à cause des gens qui aiment créer un grand nombre de faux comptes pour envoyer du spam.

Blog

Ce blog est libre sur les pages GitHub, il utilise Octopress pour créer un site statique et j’ai installé le thème Page Turner. J’ai envoyé le contenu sur GitHub avec une clé SSH, bien entendu chiffrée et stockée sur ma clé USB.

Il me vient à l’esprit deux vecteurs susceptibles de vous donner des informations sur mon identité :


L’horodatage des messages

Le système d’exploitation Tails dispose d’une bonne stratégie pour forcer l’heure du système à être systématiquement en UTC. Mais si j’écris une série de billets dans les années à venir, vous pourriez en analyser l’horodatage pour déterminer mon fuseau horaire. Cependant, le site compilé indique uniquement la date. Par ailleurs, je voyage beaucoup (ou pas ?) 😉

Analyse de la fréquence des mots et caractères

Vous pourriez être capables de déterminer mon pays d’origine ou mon identité grâce à mes mots et mes phrases. Vous pourriez même trouver une corrélation avec les autres contenus que j’ai publiés en ligne sous ma véritable identité. Je contre cette possibilité en passant tous mes billets dans Google Translate. Je traduis dans une autre langue, puis en anglais et je corrige ensuite les erreurs. C’est parfait pour diversifier mon vocabulaire, mais j’aurais aimé que ça ne casse pas autant le Markdown et le HTML. Jusqu’ici vous pourriez croire que l’anglais est ma seconde langue. Mais laissez-moi vous assurer d’une chose : je n’ai jamais affirmé ni infirmé ce point.

Un des problèmes, c’est que Google peut voir mes messages originaux et probablement aussi la NSA. Si je voulais l’éviter, je pourrais poster des demandes de traductions anonymes et payer les traducteurs en bitcoins.

Statistiques

Les raisons de l’indisponibilité de Google Analytics vous sont données sous « Messagerie électronique ». À la place, j’ai choisi StatCounter.

Mais même si Google Analytics avait été disponible, je n’aurais pas utilisé une ID de suivi liée à mon identité réelle. Beaucoup de blogueurs anonymes ont été trahis par l’annuaire d’ID inversé proposé par Google.

Acheter des bitcoins avec le maximum d’anonymat

J’ai acheté les bitcoins en utilisant un compte anonyme créé via Tor. J’ai trouvé un vendeur qui souhaitait me rencontrer en personne et nous avons convenu d’un rendez-vous. Nous nous sommes rencontrés, je lui ai donné l’argent et il m’a transféré les bitcoins en utilisant son téléphone.

Acheter un nom de domaine avec des bitcoins

IT Itch est un registrar qui accepte les paiements via BitPay. Leurs noms de domaine sont assez chers,15 USD chacun, mais permettent un enregistrement totalement anonyme. Ce fut une démarche facile, mais il a fallu du temps pour que le domaine devienne actif (plus d’une heure). Une fois activé, j’ai configuré les enregistrements DNS pour GitHub Pages, et ensuite mon blog était accessible sur http://untraceableblog.com.

IT Itch a fait la grosse erreur de m’envoyer mon mot de passe en texte clair après la création du compte. PAS BIEN ! Si quelqu’un parvient à accéder à mon compte Outlook, il peut se connecter et détruire mon site. Donc j’ai effacé le message et changé mon mot de passe, et heureusement ils ne l’ont pas renvoyé par e-mail.

Comment je pourrais être découvert, 1ère partie

Pister les Bitcoins

En théorie, vous pouvez suivre la trace des transactions Bitcoins et découvrir mon identité. Toutefois, dans ce cas, il est très peu probable que même l’organisation la plus sophistiquée et la mieux financée puisse me découvrir.

Voyez-vous, j’ai acheté ces Bitcoins en utilisant un compte anonyme sur localbitcoins.com (créé en utilisant Tor). Nous avons convenu, le vendeur et moi, de nous rencontrer en personne, et j’ai payé en liquide. Pour dévoiler mon identité, il faudrait que vous puissiez casser les défenses de tous les services que j’ai utilisés ou bien travailler chez eux. Il faudrait par exemple :

  1. Accéder à la base de données de ititch.com et trouver l’identifieur de la transaction BitPay pour untraceableblog.com
  2. Accéder à la base de données de BitPay et trouver l’adresse Bitcoin qui a envoyé les Bitcoins pour cette transaction
  3. Accéder à la base de données de localbitcoins.com. Trouver l’adresse Bitcoin qui a envoyé les Bitcoins à BitPay, retracer la transaction jusqu’à ce que vous trouviez l’adresse localbitcoins du dépôt fiduciaire.
  4. À partir de l’adresse du dépôt fiduciaire, vous pourrez trouver le compte localbitcoins, et retrouver les messages que nous avons échangés pour nous rencontrer.
  5. Vous devrez vous rendre au point de rendez-vous et espérer qu’il existe des caméras de surveillance qui auraient pu nous enregistrer ce jour-là.
  6. Vous aurez enfin besoin d’accéder à la société de sécurité qui possède les enregistrements des caméras de surveillance, obtenir une bonne image de mon visage et faire tourner d’une façon ou d’une autre un logiciel de reconnaissance faciale pour découvrir mon identité. Travailler pour Facebook ou la NSA pourrait aider si vous avez réussi à parvenir à ce point.
Comment je pourrais être découvert, 2ème partie
Tout est hacké. Absolument tout.

Internet est une machine basée sur la confiance et il existe de nombreuses manières de briser cette confiance. Quelqu’un peut générer des certificats SSL de confiance pour n’importe quel domaine, exiger que son FAI route l’intégralité du trafic au travers de ces certificats, ou contrôler un grand nombre de nœuds Tor et réaliser des attaques par analyse de trafic. Je n’entrerai pas dans les détails mais si vous êtes intéressés, vous pouvez en apprendre davantage sur les attaques Tor :

Conclusion

Je n’ai fait ce blog que comme un exercice amusant d’anonymat, même si j’y posterai probablement des choses dans le futur. J’ai simplement utilisé des outils créés par des gens bien plus intelligents que moi et je ne suis sûrement pas le premier blogueur anonyme, mais j’espère vous avoir appris quelque chose.

Bien évidemment, on peut aller beaucoup plus loin que ça. J’aurais pu héberger ce blog sur un VPS que j’aurais loué avec des Bitcoins et installer le serveur comme un service Tor masqué. L’adresse IP du serveur aurait été totalement protégée mais, de ce fait, vous n’auriez pu consulter ce blog qu’au travers du réseau Tor, et les liens de nœud Tor (TBR) ça ne fait pas très chouette en page d’accueil. J’aurais également pu faire toutes mes actions depuis un cybercafé, juste au cas où Tor serait compromis, mais je n’aurais pas été découvert. Enfin, j’aurais pu choisir un domaine en « .se » si j’avais eu peur de l’intervention du gouvernement américain. C’est ce qui est actuellement utilisé par The Pirate Bay, et les Suédois leur laissent toute liberté d’action.

N’hésitez pas à m’envoyer quelques Satoshis (fractions de Bitcoins) si vous aimez ce billet : 146g3vSB64KxxnjWbb2vnjeaom6WYevcQb.

Et si vous me trouvez, je serai vraiment très impressionné.

Crédit illustrations : AndyRobertsPhotos (Creative Commons By) et XKCD




La NSA vous souhaite une bonne année 2041

La référence au célèbre roman d’Orwell 1984 a déjà beaucoup servi, on a pu en abuser pour alarmer inutilement et inversement pour rassurer de façon un peu rapide[1], tout comme on a tendance à voir partout des situations kafkaïennes, surréalistes ou ubuesques.

Pourtant lorsque ce sont des lanceurs d’alerte qui aujourd’hui font clairement appel à la dystopie d’Orwell, on est contraint de se poser sérieusement la question de la dérive totalitaire d’une société de surveillance de masse dont semaine après semaine ils dévoilent l’impressionnante étendue.

Voici par exemple un extrait des vœux d’Edward Snowden (à voir sur dailymotion) :

L’écrivain britannique Georges Orwell nous a avertis des dangers de ce type de surveillance. Mais les moyens de surveillance décrits dans son livre : les micros, les caméras, la télé qui nous espionnent, ne sont rien à côté des moyens disponibles aujourd’hui.

Le journaliste Glenn Greenwald, intervenant récemment au 30e Chaos Communication Congress et qui a contribué activement à la diffusion des révélations d’Edward Snowden, nous livre ci-dessous une analyse assez alarmante et optimiste tout à la fois de ce qu’il appelle l’état de la surveillance, qui est aussi en l’occurrence la surveillance de l’état…

Pas de nouvelles révélations ici mais une réflexion sur la conscience de l’enjeu chez les lanceurs d’alerte devenus pour beaucoup des héros de la défense de nos libertés numériques, des considérations décapantes sur la servilité des médias à l’égard de la parole institutionnelle, la nécessité d’adopter un solide chiffrement, et l’urgence de l’action nécessaire également pour tous ceux qui sont en capacité de brider les appétits de nos surveillants.

La conclusion assez glaçante est selon lui que la compulsion à la surveillance qui anime la NSA et les autres services de renseignement vise en réalité la disparition totale de toute vie privée.

Est-ce une vision paranoïaque ? À vous d’en juger. Gardons en tête toutefois que ce sont les mêmes personnes qui nous traitaient de paranoïaques il y a dix ans qui nous disent aujourd’hui : « bah, tout le monde le savait que nous étions espionnés, je ne vois pas ce que ça change », « moi je n’ai rien à cacher, etc. »

Le courage de Snowden, de Poitras, de Greenwald, d’Assange et de quelques autres activistes déterminés, dont on veut croire qu’ils sont de plus en plus nombreux, nous donne l’exemple d’une lutte active pour nos libertés à laquelle chacun à sa manière peut et doit contribuer.

Traduction Framasoft des extraits essentiels de la conférence : sinma, goofy, Bruno, KoS, Asta, Pol, + anonymes

* * * * *

Présentateur : …ces applaudissements étaient pour vous, Glenn ! bienvenue au 30ème Chaos Communication Congress à Hambourg. À vous de jouer.

Glenn Greenwald : Merci, merci beaucoup.

Merci à tous pour cet accueil chaleureux, et merci également aux organisateurs de ce congrès pour m’avoir invité à prendre la parole. Ma réaction, quand j’ai appris qu’on me demandait de faire le discours inaugural de cette conférence, a été la même que celle que vous auriez peut-être eue à ma place, c’est-à-dire : « hein, quoi ? »

La raison en est que mes compétences cryptographiques et de hacker ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, reconnues mondialement. Vous le savez, on a déjà raconté plusieurs fois comment la couverture de la plus importante histoire de sécurité nationale de la dernière décennie a failli me filer entre les doigts, parce que je trouvais l’installation de PGP d’une difficulté et d’un ennui insurmontables.

Il existe une autre anecdote, très semblable, qui illustre le même problème, et qui je pense n’a pas encore été racontée, la voici : avant de me rendre à Hong Kong, j’ai passé de nombreuses heures avec Laura Poitras et Edward Snowden, à essayer de me mettre à niveau très vite sur les technologies basiques de sécurité qui m’étaient nécessaires pour rendre compte de cette histoire. Ils ont essayé de me guider dans l’usage de toutes sortes d’applications, pour finalement arriver à la conclusion que la seule que je pouvais maîtriser, du moins à l’époque et à ce moment-là, était TrueCrypt.

Ils m’ont appris les rudiments de TrueCrypt, et quand je suis arrivé à Hong Kong, avant d’aller dormir, j’ai voulu jouer un peu avec. J’ai appris par moi-même quelques fonctionnalités qu’ils ne m’avaient pas indiquées et j’ai vraiment gagné en confiance. Le troisième ou quatrième jour, je suis allé les rencontrer tous les deux, tout gonflé de fierté. Je leur ai montré toutes les choses nouvelles que j’avais appris à faire tout seul avec TrueCrypt et je me voyais déjà le Grand Gourou de la crypto. J’avais atteint un niveau vraiment avancé. Je les ai regardés tous les deux sans déceler la moindre admiration à mon égard. En fait, ce que j’ai vu, c’est qu’ils faisaient de gros efforts pour ne pas se regarder l’un l’autre avec les yeux qui leur sortaient de la tête.

Glenn Greenwald journaliste et activiste

Glenn Greenwald, photo par gage skidmore (CC BY-SA 2.0)


l’un des résultats les plus importants de ces six derniers mois… c’est le nombre croissant de personnes qui mesurent l’importance de la protection de la sécurité de leurs communications.

Je leur ai demandé : « Pourquoi réagissez-vous ainsi ? Ce n’était pas un exploit de réussir ça ? ». Il y a eu un grand blanc. Aucun ne voulait me répondre, puis finalement Snowden a rompu le silence : « TrueCrypt est un truc que peut maîtriser votre petit frère, rien de bien impressionnant. »

Je me souviens avoir été très déconfit, et me suis remis au travail. Bon, c’était il y a six mois. Entre-temps, les technologies de sécurité et de confidentialité sont devenues d’une importance primordiale dans tout ce que j’ai pu entreprendre. J’ai véritablement acquis des masses considérables de connaissances, à la fois sur leur importance et sur la façon dont elles fonctionnent. Je suis d’ailleurs loin d’être le seul. je pense que l’un des résultats les plus importants de ces six derniers mois, mais dont on a très peu débattu, c’est le nombre croissant de personnes qui mesurent l’importance de la protection de la sécurité de leurs communications.

Si vous regardez ma boîte mail depuis le mois de juillet, on y trouvait peut-être seulement 3 à 5 % des messages reçus chiffrés avec PGP. Ce pourcentage est passé à présent nettement au dessus des 50 %, voire plus. Quand nous avons débattu de la façon de monter notre nouvelle entreprise de presse, nous avons à peine passé quelques instants sur la question. Il était tout simplement implicite que nous allions tous faire usage des moyens de chiffrement les plus sophistiqués disponibles pour communiquer entre nous.

Et ce qui est à mon avis encore plus encourageant, c’est que toutes les fois où je suis contacté par des journalistes ou des activistes, ou quelqu’un qui travaille dans ce domaine, soit ils utilisent le chiffrement, soit ils sont gênés et honteux de ne pas savoir le faire, et dans ce cas s’excusent de leur méconnaissance et souhaitent apprendre à s’en servir bientôt.

C’est un changement radical vraiment remarquable, car même au cours de l’année dernière, toutes les fois où j’ai eu à discuter avec des journalistes spécialisés sur le sujet de la sécurité nationale dans le monde qui travaillaient sur quelques-unes des données les plus sensibles pratiquement aucun d’entre eux ne savait ce qu’était PGP ni OTR, ni n’avait connaissance des meilleures technologies qui permettent le renforcement de la confidentialité, et ne parlons même pas de savoir les utiliser. C’est vraiment encourageant de voir ces technologies se propager de façon généralisée.

Le gouvernement des États-Unis et ses alliés ne vont sûrement pas volontairement restreindre leur propre pouvoir de surveillance de manière significative.

Je pense que cela souligne un point extrêmement important, un de ceux qui me rend très optimiste. On me demande souvent si je pense que tout ce que nous avons appris au cours des six derniers mois, les déclarations et les débats qui ont été soulevés vont finalement changer quoi que ce soit et imposer une limite quelconque à l’état de la surveillance par les États-Unis.

Typiquement, quand les gens pensent que la réponse à cette question est oui, la chose qu’ils répètent le plus communément et qui est sans doute la moins significative, c’est qu’il se produira une sorte de débat, et que nos représentants, dans un régime démocratique, seront en mesure d’apporter des réponses à nos interrogations, et qu’ainsi ils vont imposer des limites en réformant la législation.

Rien de tout cela ne va probablement arriver. Le gouvernement des États-Unis et ses alliés ne vont sûrement pas volontairement restreindre leur propre pouvoir de surveillance de manière significative. En fait, la tactique du gouvernement états-unien que nous voyons sans cesse à l’œuvre, et que nous avons toujours constatée, consiste à faire exactement l’inverse : lorsque ces gens sont pris sur la main dans le sac et que cela jette le discrédit sur eux en provoquant scandales et polémiques, ils sont très habiles pour faire semblant de se réformer par eux-mêmes avec des gestes symboliques. Mais dans le même temps, ils ne font qu’apaiser la colère des citoyens et souvent augmenter leurs propre pouvoirs, qui pourtant sont à l’origine du scandale.

On l’a vu au milieu des années 70, quand on s’est sérieusement inquiété aux États-Unis, au moins autant qu’aujourd’hui, des capacités de surveillance et d’abus du gouvernement. La réaction du gouvernement a été de déclarer : « d’accord, nous allons nous engager dans toutes ces réformes, qui vont imposer des garde-fous à ces pouvoirs. Nous allons créer un tribunal spécial que le gouvernement devra saisir pour en avoir la permission avant de cibler les gens à surveiller. »

Cela sonnait bien, mais ils ont créé le tribunal de la façon la plus tordue possible. C’est un tribunal secret, devant lequel seul le gouvernement comparaît, où seuls les juges les plus pro-sécurité nationale sont nommés. Donc, ce tribunal donnait l’apparence d’une supervision quand, en réalité, c’était la chambre d’enregistrement la plus grotesque de tout le monde occidental. Il ne s’opposait quasiment jamais à quoi que ce soit. Ça créait simplement l’illusion qu’il existait un contrôle judiciaire.

Ils ont aussi prétendu qu’ils allaient créer des commissions au Congrès. Des commissions « de surveillance » qui auraient pour principal objectif de superviser les commissions sur le renseignement pour s’assurer qu’elles n’abusaient pas de leurs pouvoirs. Ce qu’ils ont fait en réalité c’est nommer immédiatement à la tête de ces commissions « de surveillance » les plus serviles des loyalistes.

Voilà des décennies que cela dure, et aujourd’hui nous avons deux membres les plus serviles et pro-NSA du Congrès à la tête de ces comités, qui sont là en réalité pour soutenir et justifier tout et n’importe quoi de la part de la NSA plutôt que de s’engager dans un véritable contrôle. Donc, encore une fois, tout est fait pour embellir le processus sans entamer de véritable réforme.

Ce processus est maintenant en train de se reproduire. Vous voyez le Président nommer une poignée de ses plus proches partisans dans ce « comité indépendant de la Maison Blanche » qui fait semblant de publier un rapport très équilibré et critique sur la surveillance étatique, mais en réalité, propose toute une gamme de mesures qui, au mieux, aboutiraient tout simplement à rendre ces programmes un peu plus acceptables aux yeux du public, et dans de nombreux cas, accroîtraient encore les capacités de la surveillance étatique, plutôt que de la brider de manière significative.

Alors pour savoir si nous aurons ou non des réformes significatives, il ne faut pas compter sur le processus classique de la responsabilité démocratique que nous avons tous appris à respecter. Il faut chercher ailleurs. Il est possible que des tribunaux imposeront des restrictions significatives en jugeant les programmes de surveillance contraires à la constitution.

Il est beaucoup plus probable que d’autres pays dans le monde qui sont vraiment indignés par les violations de la sécurité de leur vie privée sauront s’unir et créer des alternatives, soit en termes d’infrastructures, soit en termes juridiques pour empêcher les États-Unis d’exercer leur hégémonie sur Internet ou faire en sorte que le prix en soit beaucoup trop élevé. Je pense, c’est encore plus prometteur, que les grandes sociétés privées, les entreprises de l’Internet et bien d’autres commenceront enfin à payer le prix de leur collaboration avec ce régime d’espionnage.

…savoir si oui ou non Internet sera réellement cet outil de libération et de démocratisation ou s’il deviendra le pire outil de l’oppression humaine de toute l’histoire de l’humanité.

Nous avons déjà vu comment cela se passe quand leurs actions sont exposées au grand jour ; c’est alors qu’ils sont obligés de rendre des comptes pour tout ce qu’ils font, et ils prennent conscience que leurs intérêts économiques sont mis en péril par le système d’espionnage. Ils utilisent leur puissance inégalée pour exiger qu’il soit freiné. Je pense que tous ces éléments pourront vraisemblablement imposer de sérieuses limites à la surveillance d’état.

Mais en fin de compte je pense que les plus grands espoirs résident dans les personnes qui sont dans cette salle de conférence et dans les compétences que vous tous possédez. Les technologies de protection de la vie privée qui ont déjà été développées, telles que le navigateur Tor, PGP, OTR et toute une série d’autres applications, constituent autant de réels progrès pour empêcher le gouvernement des USA et ses alliés de faire intrusion dans le sanctuaire de nos communications privées.

Aucune de ces technologies n’est parfaite. Aucune n’est invulnérable, mais elles représentent toutes un sérieux obstacle aux capacités du gouvernement des États-Unis à s’attaquer toujours davantage à notre vie privée. Et en fin de compte, le combat pour la liberté d’Internet, la question qui va se jouer je pense, principalement, sur le terrain de guerre technologique, est de savoir si oui ou non Internet sera réellement cet outil de libération et de démocratisation ou s’il deviendra le pire outil de l’oppression humaine de toute l’histoire de l’humanité.

La NSA et le gouvernement américain le savent certainement. C’est pourquoi Keith Alexander enfile son petit déguisement, ses jeans de papa, son tee-shirt noir de rebelle et va aux conférences de hackers.

Et c’est pour cela que les entreprises de la Silicon Valley, comme Palantir Technologies, déploient tant d’efforts à se dépeindre comme des rebelles luttant pour les libertés civiles, alors qu’elles passent la plupart de leur temps à travailler main dans la main avec les agences de renseignement et la CIA pour accroître leurs capacités. Elles cherchent en effet à attirer les jeunes cerveaux de leur côté, du côté de la destruction de la vie privée et de la mise d’Internet au service des organisations les plus puissantes du monde.

Quelle sera l’issue de ce conflit, que deviendra Internet ? Nous ne pouvons pas encore répondre de façon définitive à ces questions. Cela dépend beaucoup de ce que nous, en tant qu’êtres humains, pourrons faire. L’une des questions les plus urgentes est de savoir si les personnes comme celles qui sont dans cette pièce — les personnes qui ont les pouvoirs que vous avez maintenant et aurez à l’avenir — succomberont à la tentation et travailleront pour les entités qui tentent de détruire la vie privée dans le monde, ou si vous mettrez vos talents, vos compétences et vos ressources au service de la défense du genre humain contre ces intrusions et continuerez à créer des technologies destinées à protéger notre vie privée. Je suis très optimiste car ce pouvoir est vraiment entre vos mains.

Je veux aborder une autre de mes raisons d’être optimiste : la coalition de ceux qui militent pour la défense de la vie privée est beaucoup plus solide et plus dynamique. Elle est à mon avis beaucoup plus grande et plus forte que beaucoup d’entre nous, même ceux qui en font partie, ne l’estiment ou n’en ont conscience. Plus encore, elle est en croissance rapide. Et je pense que cette croissance est inexorable.

Laura Poitras journaliste et activiste de la fondation pour la presse libre

Laura Poitras, image de Kris Krug via Wikimedia (CC-BY-SA)

Je suis conscient, en ce qui me concerne, que tout ce que j’ai pu faire sur tout ce dossier au cours des six derniers mois, toutes les tribunes qu’on m’a offertes, comme ce discours et les honneurs que j’ai reçus, et les éloges que j’ai reçus, je dois le partager entièrement avec deux personnes qui ont été d’une importance capitale pour tout ce que j’ai fait. L’une d’elles est ma collaboratrice incroyablement courageuse et extrêmement brillante, Laura Poitras.

Vous savez, Laura n’attire pas énormément l’attention, elle aime qu’il en soit ainsi, mais elle mérite vraiment la plus grande reconnaissance, les plus grands honneurs et les récompenses parce que même si ça sonne cliché, c’est vraiment l’occasion de le dire : sans elle, rien de tout cela n’aurait été possible.

Nous avons pris la parole pratiquement tous les jours, au cours des six derniers mois. Nous avons pris presque toutes les décisions, en tout cas toutes celles qui étaient les plus importantes, en partenariat complet et de façon collaborative. Être capable de travailler avec quelqu’un qui a ce niveau élevé de compréhension de la sécurité sur Internet, sur les stratégies de protection de la vie privée, a été complètement indispensable à la réussite de ce que nous avons pu réaliser.

Et puis, la deuxième personne qui a été tout à fait indispensable et mérite les plus grands éloges, et de partager les plus hautes récompenses, c’est mon héros toutes catégories, Edward Snowden.

Il est vraiment difficile de trouver des mots pour dire à quel point son choix a eu de l’impact sur moi, sur Laura, sur les personnes avec qui nous avons travaillé directement ou indirectement, et encore sur des millions et des millions de personnes à travers le monde. Le courage dont il a fait preuve et les actions qu’il a menées selon des principes dictés par sa conscience vont me façonner et m’inspirer pour le reste de ma vie, et vont inspirer et convaincre des millions et des millions de personnes de prendre toutes sortes d’initiatives qu’elles n’auraient pas prises si elles n’avaient pas vu quel bien un seul individu peut faire au monde entier.

Photo par PM Cheung (CC BY 2.0)

Mais je pense que le plus important est de comprendre, et pour moi, c’est le point décisif, qu’aucun d’entre nous, nous trois, n’a fait ce que nous avons fait à partir de rien. Nous avons tous été inspirés par des gens qui ont fait des choses semblables dans le passé. Je suis absolument certain que Edward Snowden a été inspiré de toutes sortes de façons par l’héroïsme et l’abnégation de Chelsea Manning.

Je suis persuadé que, d’une façon ou d’une autre, elle a été inspirée par toute la cohorte des lanceurs d’alertes et par qui possèdent cette même conscience et l’ont précédée, en dénonçant les niveaux extrêmes de corruption, les méfaits et les illégalités commises par les institutions les plus puissantes de ce monde. Ils ont été inspirés à leur tour, je suis sûr, par l’un de mes plus grands héros politiques, Daniel Ellsberg, qui a fait la même chose quarante ans plus tôt.

Mais au-delà de tout cela, je pense qu’il est réellement important de prendre conscience de ceci : tout ce qu’il nous a été permis de faire tout au long de ces six derniers mois, et je pense, tous ces types de fuites significatives et révélations de documents classés secret défense à l’ère du numérique, à la fois dans le passé et le futur, tout cela nous incite à la plus grande des reconnaissances pour l’organisation qui a donné la première l’exemple à suivre, il s’agit de WikiLeaks.

(…)

Edward Snowden a été sauvé, lorsqu’il était à Hong Kong, du risque d’arrestation et d’emprisonnement aux États-unis pour les trente prochaines années, non par le seul fait de WikiLeaks, mais aussi par une femme d’un courage et d’un héroïsme extraordinaires, Sarah Harrison.

Il existe un vaste réseau de personnes à travers le monde, qui croient en cette cause, et ne se contentent pas d’y croire, mais aussi sont de plus en plus nombreux à vouloir lui vouer leur énergie, leurs ressources, leur temps, et à se sacrifier pour elle. Il y a une raison décisive, et cela m’est apparu au cours d’une conversation téléphonique avec Laura, il y a probablement deux mois. (…) Elle a énuméré une liste de gens qui se sont dévoués personnellement à la transparence et au prix qu’ils ont eu à payer. Elle a dit qu’Edward Snowden était coincé en Russie, sinon il devrait faire face à 30 années de prison, Chelsea Manning est en prison, Aaron Swartz s’est suicidé. D’autres comme Jeremy Hammond et Barrett Brown font l’objet de poursuites judiciaires tellement excessives qu’elles en sont grotesques au nom d’actions de transparence pour lesquelles ils se sont engagés. Même des gens comme Jim Risen, qui appartient à une institution comme le New York Times, doivent affronter le risque d’un emprisonnement pour les informations qu’ils ont publiées.

D’innombrables juristes nous ont informés, Laura et moi, que nous ne serions pas en sécurité en voyageant, même pour retourner dans notre propre pays, et elle a dit : « voilà bien un symptôme de la maladie qui affecte notre avenir politique, quand on voit que pour avoir mis en lumière ce que fait le gouvernement et avoir fait le travail que ni les médias ni le Congrès ne font, le prix à payer est une forme extrême de punition. »

(…)

Les États-Unis savent que leur seul espoir pour continuer à maintenir le régime du secret, derrière lequel ils s’abritent pour mener des actions radicales et illégales, consiste à intimider, dissuader et menacer les lanceurs d’alerte potentiels et les militants pour la transparence. Il s’agit de les empêcher de se lever pour faire ce qu’ils font, en leur montrant qu’ils seraient soumis aux plus extrêmes châtiments et que personne ne peut rien y faire.

C’est une tactique efficace. Elle fonctionne pour certains, non pas parce qu’ils sont lâches mais parce qu’ils font un calcul rationnel. (…) Il y a donc des activistes qui en concluent rationnellement que le prix à payer pour leur engagement dans ce combat est pour eux trop élevé. Et c’est pourquoi les gouvernements peuvent continuer. Mais le paradoxe c’est qu’il existe un grand nombre de personnes, elle sont même je crois plus nombreuses, qui réagissent de façon totalement inverse.

les États-Unis et leurs plus proches alliés sèment malgré eux les germes de l’opposition, et nourrissent eux-mêmes la flamme de l’activisme à cause de leur propre comportement abusif.

Quand ils voient que les gouvernements britannique et états-unien révèlent leur véritable visage, en montrant à quel point ils sont déterminés à abuser de leurs pouvoirs, ils ne sont pas effrayés ni dissuadés, leur courage en est même au contraire renforcé. En voici la raison : quand vous voyez que ces gouvernements sont réellement capables d’un tel niveau d’abus de pouvoir, vous prenez conscience que vous ne pouvez plus en toute conscience rester là sans rien faire. Il devient pour vous encore plus impératif de mettre en pleine lumière ce que font les gouvernements, et si vous écoutez tous ces lanceurs d’alerte ou activistes, ils vous diront la même chose.

Il a fallu un long processus pour prendre conscience que les actions qu’ils entreprenaient étaient justifiées, mais en définitive ce sont les actions de ces gouvernements qui les ont convaincus. C’est d’une ironie savoureuse, et je pense que ça peut rendre vraiment optimiste, de savoir que les États-Unis et leurs plus proches alliés sèment malgré eux les germes de l’opposition, et nourrissent eux-mêmes la flamme de l’activisme à cause de leur propre comportement abusif.

Maintenant, à propos de tentatives d’intimidation et de dissuasion, et autres manœuvres, je voudrais simplement passer quelques minutes à parler de l’attitude actuelle du gouvernement des États-Unis envers Edward Snowden. Il est devenu très clair, à ce stade, que le gouvernement des États-Unis, du plus haut niveau jusqu’au plus bas, est totalement déterminé à poursuivre un seul résultat. Ce résultat est qu’Edward Snowden finisse par passer plusieurs décennies, sinon le reste de sa vie, dans une petite cage, probablement coupée, en termes de communication, du reste du monde.

Et la raison pour laquelle ils ont cette intention n’est pas difficile à comprendre. Ce n’est pas parce qu’ils sont furieux, ou parce que la société doit être protégée d’Edward Snowden, ou pour l’empêcher de recommencer. Je crois qu’on peut parier à coup sûr que le niveau de sécurité d’Edward Snowden est révoqué de façon plus ou moins permanente.

La raison pour laquelle ils sont tellement résolus c’est qu’ils ne peuvent pas laisser Edward Snowden mener la moindre vie décente et libre parce qu’ils sont tétanisés à l’idée que cela va inciter d’autres personnes à suivre son exemple, et à ne plus vouloir garder le secret qui les lie et qui ne sert à rien d’autre que dissimuler leur conduite illégale et dommageable à ceux qui en sont les plus victimes.

Et ce que je trouve le plus étonnant à ce sujet n’est pas que le gouvernement des États-Unis soit en train de faire ça, car ils le font. C’est ce qu’ils sont. Ce que je trouve étonnant, c’est qu’il y ait de si nombreux gouvernements à travers le monde, y compris ceux qui sont en mesure de protéger les droits de l’homme, et qui ont été les plus grands bénéficiaires des révélations héroïques de Snowden, qui sont pourtant prêts à rester là à regarder ses droits individuels être foulés aux pieds, à le laisser emprisonner pour avoir commis le crime de dévoiler aux gens du monde entier ce qu’on fait de leur vie privée.

C’était vraiment surprenant d’observer les gouvernements, y compris certains des plus grands en Europe, et leurs dirigeants, exprimer en public une intense indignation parce que la vie privée de leurs citoyens est systématiquement violée, et une véritable indignation quand ils apprennent que leur propre vie privée a également été pris pour cible[2].

Pourtant, dans le même temps, la personne qui s’est sacrifiée pour défendre leurs droits fondamentaux, leur droit à la vie privée, voit maintenant ses propres droits visés et menacés en rétorsion. Et je me rends compte que pour un pays comme l’Allemagne ou la France, ou le Brésil, ou tout autre pays dans le monde, défier les diktats des États-Unis, ça coûte relativement cher. Mais le prix à payer était bien plus élevé pour Edward Snowden quand il a choisi de se manifester et de faire ce qu’il a fait pour la défense de vos droits, et pourtant il l’a fait malgré tout.

Je pense qu’il est réellement important de prendre conscience que les pays ont les obligations légales et internationales, en vertu des traités qu’ils ont signés, qui leur rend difficile de défendre Edward Snowden des poursuites judiciaires, de l’empêcher d’être en cage pour le restant de ses jours, pour avoir fait la lumière sur les atteintes systématiques à la vie privée, et d’autres formes d’abus relatifs au secret. Mais ces pays ont également les obligations morales et éthiques en tant que bénéficiaires de ses actions, de ce qu’il a fait pour eux, et cela consiste à protéger ses droits en retour.

Je veux prendre une petite minute pour parler de l’un de mes thèmes favoris, le journalisme. Quand j’étais à Hong Kong, avec Laura et Edward Snowden, et que j’ai eu pas mal à réfléchir à ce sujet pour l’écriture d’un livre sur les évènements des derniers mois, une des choses dont j’ai pris conscience avec le recul et aussi en discutant avec Laura, était que nous avions passé au moins autant de temps à aborder des questions de journalisme et de presse libre que la question de la surveillance. Car nous savions que ce que nous étions en train de faire déclencherait autant de débats sur le rôle propre du journaliste vis-à-vis de l’état et d’autres puissantes institutions qu’il y en aurait sur l’importance de la liberté et de la vie privée sur Internet et les menaces de la surveillance d’état.

Nous savions, en particulier, que nos plus formidables adversaires n’allaient pas être seulement les agences de renseignements sur lesquelles nous enquêtions, et dont nous tentions de révéler les pratiques, mais aussi leurs plus loyaux et dévoués serviteurs, j’ai nommé : les médias américains et britanniques.

(…)

Une des choses les plus remarquables qui me soit arrivées est l’interview que j’ai livrée, il y a environ trois semaines sur la BBC, c’était pendant ce programme appelé Hard Talk, et personnellement, à un moment donné, j’ai pensé (…) que les officiels de la sécurité nationale mentaient de façon routinière à la population dans le but de protéger leur pouvoir et de faire avancer leur agenda, et que le but et devoir d’un journaliste est d’être le contradicteur de ces gens de pouvoir, que les déclarations que mon intervieweur énonçait — pour dire à quel point ces programmes gouvernementaux sont essentiels pour empêcher les terroristes de nuire — ne devraient pas être crues à moins qu’il ne produise une preuve tangible de leur véracité.

Lorsque j’ai dit ceal il m’a interrompu (désolé, j’imite mal l’accent britannique, alors vous allez devoir l’imaginer) et a dit : « Je dois vous interrompre, vous venez de dire quelque chose d’étonnant ! » Il était comme un prêtre victorien scandalisé en voyant une femme soulever sa jupe au dessus de ses chevilles.

Il a dit : « J’ai peine à croire que vous suggériez que des hauts fonctionnaires, des généraux des États-Unis et du gouvernement britannique, font en réalité de fausses déclarations au public ! Comment vous est-il possible de dire cela ? »

Et ceci n’est pas aberrant. C’est vraiment le point de vue des grands noms des médias états-uniens et britanniques, particulièrement lorsque des gens avec des tas de médailles épinglées sur la poitrine, qu’on appelle des généraux, mais aussi des officiels hauts placés du gouvernement, font des déclarations, et que leurs affirmations sont à priori traitées comme vraies sans la moindre preuve, et qu’il est presque indécent de les remettre en question, ou de s’interroger sur leur véracité.

Évidemment, nous avons connu la guerre en Irak, sur laquelle deux gouvernements très moraux ont particulièrement et délibérément menti à plusieurs reprises à leur peuple, pendant deux années entières, pour justifier une guerre d’agression qui a détruit un pays de 26 millions de personnes.

Mais nous l’avons vu aussi en permanence au cours des six derniers mois. Le tout premier document qu’Edward Snowden m’a montré contenait une information dont il m’a expliqué qu’elle révélerait le mensonge incontestable d’un responsable du renseignement national senior du président Obama, le directeur du renseignement national, James Clapper. C’est le document qui a révélé que l’administration Obama a réussi à convaincre un tribunal secret d’obliger les compagnies de téléphone à communiquer à la NSA chaque enregistrement de conversation téléphonique, de chaque appel téléphonique unique, local et international, de chaque Américain.

Et pourtant ce fonctionnaire de la sécurité nationale, James Clapper, devant le Sénat, quelques mois plus tôt, auquel on a demandé : « Est-ce que la NSA recueille des données complètes sur les communications des Américains ? » a répondu : «Non, monsieur » mais nous savons tous maintenant que c’était un parfait mensonge.

La NSA et les hauts responsables du gouvernement américain ont raconté bien d’autres mensonges. Et par « mensonge » je veux dire qu’ils ont menti sciemment, en racontant des choses qu’ils savaient pourtant être fausses pour convaincre les gens de ce qu’ils voulaient leur faire croire. Keith Alexander, le chef de la NSA, a déclaré à maintes reprises qu’ils étaient incapables de rendre compte du nombre exact d’appels et de courriels interceptés sur le système de télécommunications américain, alors même que le programme que nous avons fini par révéler, Boundless Informant, dénombre avec une précision mathématique exactement les données qu’il a dit être incapable de fournir.

Autre exemple, la NSA et le GCHQ ont déclaré à plusieurs reprises que le but de ces programmes est de protéger les gens contre le terrorisme, et de protéger la sécurité nationale, et qu’ils ne seraient jamais, contrairement à ce que font ces méchants Chinois, utilisés pour de l’espionnage à des fins économiques.

Et pourtant, au fil des rapports qui nous sont révélés, depuis l’espionnage du géant pétrolier brésilien Petrobas en passant par l’espionnage de l’organisation des états américains et des sommets économiques où des accords économiques d’envergure ont été négociés, par l’espionnage des sociétés d’énergie à travers le monde ou en Europe, en Asie et en Amérique latine, le gouvernement américain continue de nier toutes ces allégations et les considère comme des mensonges.

Et puis nous avons le président Obama qui a fait à plusieurs reprises des déclarations telles que « Nous ne pouvons pas et n’effectuons pas de surveillance ou d’espionnage sur les communications des Américains sans l’existence d’un mandat » et ceci alors même que la loi de 2008 adoptée par le Congrès dont il faisait partie permet au gouvernement des États-Unis d’intercepter les conversations et les communications des Américains sans mandat.

Et ce que vous voyez ici, c’est un mensonge complet. Pourtant, dans le même temps, les mêmes médias qui le constatent poussent les hauts cris si vous suggérez que leurs déclarations ne doivent pas être prises pour argent comptant, sans preuve, parce que leur rôle n’est pas d’être des contradicteurs. Leur rôle est d’être les porte-paroles fidèles de ces puissantes institutions qui prétendent exercer un contrôle.

Vous pouvez très bien allumer la télévision, à tout moment, ou visiter un site web, et voir de très courageux journalistes qualifier Edward Snowden de criminel et demander qu’il soit extradé aux États-Unis, poursuivi et emprisonné. Ils sont très très courageux quand il s’agit de s’attaquer à des personnes qui sont méprisées à Washington, qui n’ont aucun pouvoir et sont marginalisées. Ils font preuve de beaucoup de courage pour les condamner, se dresser contre eux et exiger que les lois s’appliquent à eux avec rigueur.« Il a transgressé les lois, il doit en payer les conséquences ».

Et pourtant, le responsable de la sécurité nationale au plus haut niveau du gouvernement états-unien est allé au Sénat et leur a menti les yeux dans les yeux, chacun le sait maintenant, ce qui constitue au moins un crime aussi grave que n’importe quel délit dont Edward Snowden est accusé.

Vous serez bien en peine de trouver ne serait-ce qu’un seul de ces intrépides et résolus journalistes, pour oser imaginer et encore moins exprimer l’idée que le directeur du renseignement national James Clapper devrait être soumis à la rigueur de la loi, poursuivi et emprisonné pour les crimes qu’il a commis, parce que le rôle des médias américains et de leurs homologues britanniques est d’être la voix de ceux qui ont le plus de pouvoir, de protéger leurs intérêts et de les servir.

Tout ce que nous avons fait au cours des six derniers mois, et tout ce que nous avons décidé le mois dernier pour fonder une nouvelle organisation médiatique, consiste à essayer de renverser ce processus et à ranimer la démarche journalistique pour ce qu’elle était censé être, c’est-à-dire une véritable force de contradiction, de contrôle de ceux qui ont le plus grand pouvoir.

le but de la NSA, et de ses complices anglo-saxons, le Canada, la Nouvelle Zélande, l’Australie et plus spécialement le Royaume-Uni, c’est d’éliminer la vie privée de la surface du globe.

Je veux simplement terminer par un dernier point, il s’agit de la nature de cet état de surveillance que nous avons dévoilé ces six derniers mois. Dès que je donne une interview, les gens me posent des questions comme : quelle est l’histoire la plus importante que j’ai eu à révéler, ou que nous apprend la dernière histoire que je viens de publier. Et ce que j’ai commencé à répondre pour de bon, c’est qu’il n’y a véritablement qu’un seul point primordial que toutes ces histoires ont révélé.

Et voici ce qu’il en est, je l’affirme sans la moindre hyperbole ni dramatiser, ce n’est ni métaphorique ni caricatural, c’est littéralement la vérité : le but de la NSA, et de ses complices anglo-saxons, le Canada, la Nouvelle Zélande, l’Australie et plus spécialement le Royaume-Uni, c’est d’éliminer la vie privée de la surface du globe. Pour s’assurer qu’il ne subsiste aucune communication numérique humaine qui échappe à leur réseau de surveillance.

Ils veulent s’assurer que toute forme humaine de communication, que cela soit par téléphone ou Internet ou toute activité en ligne, puisse être collectée, contrôlée, enregistrée, et analysée par cette agence, et par leurs alliés. Décrire cela revient à décrire une omniprésence de l’état de surveillance. Il n’est pas nécessaire d’user d’hyperboles pour évoquer ce point, et vous n’avez pas besoin de me croire quant je dis que c’est leur but. Document après document, les archives livrées par Edward Snowden affirment que tel est bien leur objectif. Ils sont obsédés par la recherche de la plus petite faille sur cette terre par laquelle pourrait passer une communication échappant à leur interception.

(…) la NSA et la GCHQ enragent à l’idée que vous pouvez monter dans un avion et faire l’usage de certains téléphones portables ou services internet tout en étant à l’abri de leur regards indiscrets pour quelques heures d’affilée. Ils s’obstinent à chercher des moyens de s’introduire dans les systèmes embarqués dédiés aux services mobiles et internet. La simple idée que les êtres humains puissent communiquer, même pour un court instant, sans qu’il puisse y avoir de collecte, de stockage, d’analyses et de surveillance sur ce que nous disons, leur est tout simplement intolérable. Les institutions les ont mandatés pour ça.

Quand vous réfléchissez sur le monde dans lequel on a le droit d’éliminer la vie privée, vous parlez en réalité d’éliminer tout ce qui donne sa valeur à la liberté individuelle.

Et quand on me pose des questions, quand je donne des interviews dans différents pays, eh bien c’est du genre : « Pourquoi voudraient-ils espionner cet officiel ? » ou « Pourquoi voudraient-ils espionner la Suède ? » ou « Pourquoi voudraient-ils cibler cette entreprise-là ? ». Le postulat de cette question est vraiment erroné. Le postulat de cette question est que la NSA et le GCHQ ont besoin d’une raison spécifique pour cibler quelqu’un pour le surveiller. Or ce n’est pas comme cela qu’ils pensent. Ils ciblent chaque forme de communication sur laquelle ils peuvent mettre la main. Et si vous pensez à l’utilité de la vie privée pour nous, en tant qu’êtres humains, sans même aborder son utilité au plan politique, c’est vraiment ce qui nous permet d’explorer les limites et de nous engager dans la créativité, et utiliser les mécanismes de dissidence sans crainte. Quand vous réfléchissez sur le monde dans lequel on a le droit d’éliminer la vie privée, vous parlez en réalité d’éliminer tout ce qui donne sa valeur à la liberté individuelle.

L’état de surveillance, est nécessairement, par son existence même, un générateur de conformisme, car lorsque des êtres humains savent qu’ils sont toujours susceptibles d’être observés, même s’ils ne sont pas systématiquement surveillés, les choix qu’ils font sont de loin beaucoup plus contraints, beaucoup plus limités, se coulent plus étroitement dans le moule de l’orthodoxie qu’ils ne le feraient dans leur véritable vie privée.

Voilà précisément pourquoi la NSA et la GCHQ , et les tyrannies les plus puissantes de ce monde, actuellement et tout au long de l’histoire, ont toujours eu comme premier objectif en haut de leur agenda, l’éradication de la vie privée : cela leur garantit que les individus ne pourront plus résister longtemps aux diktats qu’ils leur imposent.

Eh bien, encore une fois, merci beaucoup.

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Notes

[1] Un moment de recyclage très troublant rétrospectivement est le clip promotionnel d’Apple en 1984 (une minute à regarder sur YouTube) qui s’achevait par « vous allez voir pourquoi 1984 ne ressemblera pas à “1984” »

[2] [Note de l’éditeur] On ne peut s’empêcher d’opérer un rapprochement avec un élément d’actualité récente : le président Hollande réclamant (à juste titre) le respect de sa vie privée, tandis qu’il y a quelques semaines à peine le parlement votait pour une loi de programmation militaire dont un des articles faisait bien peu de cas de la vie privée des citoyens ordinaires