Google Code ferme ses portes ? Nous, on les ouvre.

C’est officiel : Google Code, qui permettait aux développeurs de déposer, partager, et collaborer sur du code logiciel (libre ou pas), va bientôt fermer ses portes.

Il va donc rejoindre le mémorial des projets sabordés par Google.

La raison la plus probable, c’est que GitHub (une plateforme concurrente) attire bien plus de développeurs, et donc de code, que Google Code. Non seulement grâce à une interface plus intuitive, mais aussi par une facilité bien plus grande pour les développeurs à collaborer ensemble (plus on est de fous, plus il y a de code produit).

D’ailleurs, Google ne s’en cache pas et propose, dans le courrier annonçant la clôture prochaine du service, un outil permettant de transférer votre projet logiciel de Google Code à GitHub.

Quelles réflexions cela devrait-il nous inspirer ?

D’abord, que malgré sa puissance financière massive, Google n’est pas systématiquement le meilleur dans son domaine. Et qu’une « petite » entreprise (267 salariés, tout de même) comme GitHub, Inc, peut amener le géant de Mountain View à fermer un service qui hébergeait malgré tout plus de 250 000 projets logiciels.

Cela pourrait paraître pour une bonne nouvelle : la diversité et l’innovation resteraient possibles ! L’argent n’achèterait pas tout ! Skynet (pardon, Googleternet) n’aurait pas encore un pouvoir absolu !

Ensuite, que Google continue à être une entreprise qui ne s’entête pas. Si un projet fonctionne, tant mieux (et autant devenir le meilleur au monde dessus). Sinon, tant pis, c’est que le marché n’est pas mûr, que les technologies utilisées n’étaient pas les bonnes, que les équipes n’étaient pas les meilleures, ou que les utilisateurs n’étaient pas prêts. Google Plus étant pour l’instant l’exception à la règle.

Cependant, peut-on considérer cela comme un fait positif ?

Pas vraiment. Car cela concentre encore un peu plus les utilisateurs sur GitHub.

Alors certes, il est toujours possible de quitter GitHub, de reprendre son code et d’aller le déposer ailleurs. Mais si tous les développeurs sont sur GitHub, il y aura une forme de pression sociale à continuer d’utiliser cette plateforme.

Donc, cela soulève deux questions.

1. Les développeurs de logiciels libres ont-il intérêt à utiliser GitHub ?

La plateforme est extrêmement pratique, confortable et performante, il faut le reconnaître.

Mais le code de GitHub n’est pas libre.

Ce manque de transparence peut avoir des conséquences importantes.

D’abord, GitHub pourrait peu à peu se garnir de publicités, tel un sapin de Noël. Cela serait désagréable, mais pas bloquant.

Ensuite, GitHub pourrait modifier les données hébergées sans les accords des auteurs. Par exemple, intégrer des fichiers (publicitaires, malveillants, etc.) dans les .zip téléchargés par millions quotidiennement sur la plateforme. Ca serait peut-être se tirer une balle dans le pied pour la société, mais cela n’a pas empêché Sourceforge, alors plus importante forge logicielle mondiale, de le faire. Et rien que le fait que GitHub puisse le faire est inquiétant et devrait interroger tout développeur de logiciel libre.

Enfin, nous, utilisateurs, n’avons pas le pouvoir sur les choix technologiques ou ergonomiques de GitHub. Si, demain, GitHub décide de modifier l’interface de telle ou telle façon, les développeurs seront tels des consommateurs dans un supermarché qui changerait ses produits d’allées, ou qui supprimerait tel ou tel produit : pris au piège de la volonté d’un tiers.

2. Quel est le modèle économique de GitHub ?

Certes, GitHub est une boite « sympa » (comme l’était Google à ses débuts). L’entreprise est toujours en mode start-up : largement financée par des fonds levés auprès de sociétés de capital-risque. Sans cet argent, GitHub serait déficitaire. Or, si des entreprises comme Andreessen Horowitz (fondées par des anciens de<span lang="en" Netscape) investissent 100 millions de dollars dans GitHub, elles espèrent probablement un retour sur investissement.

Or, la valeur de GitHub (en dehors de l’argent gagné sur les comptes privés), repose essentiellement sur le nombre de comptes utilisateurs (plus de 9 millions) et la quantité de code hébergé (plus de 20 millions de projets). Un peu comme la valeur de Facebook est largement déterminée par leur milliard d’utilisateurs.

GitHub étant en forte croissance, l’entreprise n’est pas à vendre. Cependant, rien ne permet d’affirmer qu’une fois une masse critique atteinte (et l’argent frais épuisé), GitHub ne se déclarera pas ouverte à un rachat. Et là, nul doute que Google pourrait être intéressé.

Alors, que faire ?

Pas touche à MES données.

S’autohéberger.

Participer à la résistance à ce mouvement centripète de « centralisation du web » ou les plus gros services deviennent toujours plus gros, mettant ainsi en péril — sous prétexte de confort — l’équilibre d’un Internet qui pourrait bien finir aux mains de quelques entreprises.

Mais autohéberger son code, ce n’est pas toujours simple, notamment lorsqu’il faut interagir avec de nombreux développeurs.

De nombreuses forges logicielles, aux codes sources libres, existent déjà. Citons par exemple (liste non exhaustive) :

  • Savannah (maintenu par la Free Software Foundation)
  • Gna! (fork de Savannah, mais qui ne propose pas git)
  • les amis de TuxFamilly
  • la forge de l’Adullact, dédiée aux projets des collectivités
  • Gitlab.com (dont on va vous reparler plus bas 😉 )
  • Gitorious (qui vient de se faire racheter par… Gitlab, fait plutôt rare dans le milieu du logiciel libre)

Et Framasoft, dans tout ça ?

Forge logicielle Gitlab

Comme vous le savez (ou non), Framasoft s’est fixé comme objectif – en toute modestie ! – de « Dégoogliser Internet ». Oui, rien que ça.

Il s’agit d’un programme sur 3 ans, visant à :

  • sensibiliser le grand public sur les questions de centralisation du Web, de concentration/exploitation des données, et de vie privée ;
  • démontrer que notre meilleure chance de résistance se trouve dans le logiciel libre, en mettant en place une trentaine d’alternatives à des services fermés (Google Docs, Skype, Doodle, etc.), suivant une charte de services Libres, Éthiques, Décentralisés et Solidaires ;
  • essaimer, en encourageant et en accompagnant les structures qui, après avoir testé les services Frama*, souhaiteraient les mettre en place pour elles-mêmes (en clair, nous ne souhaitons pas recentraliser le Web « chez » Framasoft, mais bien aider les gens qui le souhaitent à s’auto-héberger).

Google Code, et plus largement GitHub, rentrent bien dans les critères de services au code source fermé, qui cherchent à attirer un maximum d’utilisateurs.

Dans notre démarche « Quitter Google », nous annoncions en mai 2014 que nous avions mis en place notre propre forge, basée sur le projet libre Gitlab.

Announcing : git.framasoft.org

Aujourd’hui, nous sommes heureux de pouvoir vous annoncer que la forge git.framasoft.org est désormais ouverte à tous.

Comme pour nos autres services (Framapad, Framadate, etc), nous vous encourageons à tester le service, sur lequel nous prenons les engagements de notre charte L.E.D.S.

Et, si ce dernier vous plaît, nous vous encourageons à… le quitter ! Par exemple en installant gitlab (nous proposerons dans les jours qui viennent une documentation en français, comme pour nos autres services).

https://git.framasoft.org permet la création de 42 dépôts maximum par compte (encore une fois, si vous avez besoin de plus, songez sérieusement à vous auto-héberger). En revanche, petits plus par rapport à GitHub, vous pouvez parfaitement créer des dépôts privés.

Par ailleurs, il est possible de « mirrorer » automatiquement vos dépôts sur GitHub : vous continuez à « engraisser la bête », mais vous êtes déjà moins dépendant, et vous conservez une visibilité auprès des presque 10 millions d’inscrits sur GitHub. Votre dépôt sur notre Gitlab est automatiquement poussé sur votre dépôt Github. C’est d’ailleurs la solution retenue par Framasoft, qui dispose toujours d’un compte GitHub, alors que les développements sont réalisés sur notre forge.

Pour mettre en place ce « mirroring », il suffit de nous écrire un petit mail sur http://contact.framasoft.org/, nous vous expliquerons la marche à suivre et nous nous occuperons du reste.

Comme on dit chez nous : « La route est longue, mais la voie est libre… »

EDIT : notre administrateur système vient de réparer la page d’import des dépôts Github sur notre Gitlab (accessible depuis l’interface de création de projet). Il n’a jamais été aussi facile de passer sur une solution libre !

 

Mise à jour du 5/08/2016 :
Le tutoriel d’installation de Gitlab est -enfin- disponible sur le Framacloud.
Notez que cette installation est conjointe à celle de Mattermost (Framateam) puisque c’est ainsi que nous avons procédé 😉



To Do : ouvrir le Web une bonne fois pour toutes.

C’est bientôt le week-end. On le sait, les libristes s’ennuient durant les week-end, tant ils croulent sous le temps libre, tant elles n’ont rien d’autre à faire que jouer à SuperTuxKart.

C’est là que Brewster Kahle entre en scène. Oh, ce n’est pas quelqu’un de très connu, rien qu’un bibliothécaire du Web. Simplement le fondateur de Internet Archive (et de la fondation Internet Memory), le projet qui a pour ambition de sauvegarder Internet… Le genre de monsieur à donner un discours au rassemblement NetGain de la Ford Foundation devant un parterre de financiers, dirigeantes et autres huiles essentielles qui veulent du bien au Web.

Voilà que Brewster Kahle nous lance un défi. Des devoirs pour remplir notre week-end désœuvré. Il nous propose, rien de moins, que de verrouiller le Web en mode ouvert en inscrivant cette ouverture dans le code même…

…alors, vous faites quoi, ce week-end ?

Pouhiou.

Ouvrir le Web pour de bon, un appel pour un Web distribué.

par Brewster Kahle (source), article sous licence CC-BY-NC (à la demande de l’auteur)

Traduction : Docendo, goofy, yog, Vincent, nilux, r0u, Asta, et les anonymes.

Bonjour, je suis Brewster Kahle, fondateur d’Internet Archive. Depuis 25 ans, nous construisons cette fabuleuse chose qu’est le Web. Aujourd’hui, je veux vous expliquer comment nous pouvons ouvrir le Web pour de bon.

Pour reprendre une célèbre phrase de Larry Lessig, l’une de mes idoles, « Le code est la loi. » La façon dont nous programmons le Web déterminera la façon dont nous vivons en ligne. Nous avons donc besoin d’incorporer nos valeurs à l’intérieur de notre code.

La liberté d’expression a besoin d’être incorporée à la base de notre code. La vie privée devrait être incorporée à la base de notre code. Un accès universel à toutes les connaissances. Mais aujourd’hui, ces valeurs ne sont pas intégrées au Web.

Reverse of the cover sheet CC-BY Carl Malamud
Reverse of the cover sheet CC-BY Carl Malamud

Il s’avère que notre World Wide Web est très fragile. Mais il est énorme. Chez Internet Archive, nous sauvegardons chaque semaine 1 milliard de pages. Nous savons aujourd’hui que les pages web existent en moyenne 100 jours avant de changer ou disparaître. Elles clignotent sur leurs serveurs.

De plus le Web est extrêmement accessible, à moins que vous ne viviez en Chine. Le gouvernement chinois a bloqué les sites d’Internet Archive, du New York Times et d’autres encore. D’autres pays le font aussi de temps en temps.

Donc le Web n’est pas fiable — et le Web n’est pas privé. Des particuliers, des sociétés, des pays peuvent observer en douce ce que vous êtes en train de lire. Et ils le font. Nous savons désormais que les lecteurs de Wikileaks ont été ciblés par le GCHQ (NdT : Government Communications Headquarters, le service de renseignements électroniques du gouvernement britannique) et la NSA. Dans le monde bibliothécaire, nous connaissons l’importance de la vie privée du lecteur.

En revanche le Web est amusant. Nous avons au moins une bonne chose sur trois. Nous avons donc besoin d’un Web fiable, privé, mais toujours amusant. Je crois qu’il est temps de franchir un nouveau cap. Et c’est à notre portée.

Imaginez des « sites web distribués » tout aussi fonctionnels que des blogs WordPress, des sites Wikimédia, ou même Facebook. Mais comment est-ce possible ?

Comparez le Web actuel à l’Internet (le réseau de « tuyaux » par lequel transite le Web). Internet a été conçu pour pouvoir fonctionner même quand une partie de lui-même tombe en panne. Internet est un système véritablement distribué. Nous avons besoin d’un Web Nouvelle Génération; un Web véritablement distribué.

Voici une autre façon de le concevoir : prenez le Cloud Amazon. Le Cloud Amazon distribue vos données, les déplace d’ordinateur en ordinateur, remplace les machines lorsqu’elles tombent en panne, les rend disponibles aux utilisateurs, et les réplique quand leur utilisation augmente. C’est une excellente idée. Et si nous rendions le Web Nouvelle Génération semblable à un gigantesque Cloud Amazon, mais qui fonctionnerait sur l’Internet lui-même ?

Il fonctionnerait en partie sur la technologie pair à pair (peer-to-peer), qui permet à des systèmes de ne pas dépendre d’un hébergeur central ou de la politique d’un pays. Dans un modèle peer-to-peer, les personnes qui utilisent le Web distribué fournissent aussi une partie du stockage et de le bande passante pour le faire fonctionner.

Au lieu de n’avoir qu’un serveur web par site web, nous en aurions un grand nombre. Plus il y aurait de gens et d’organisations impliquées dans le Web distribué,  plus il serait rapide et sécurisé. Le Web nouvelle génération nécessiterait aussi un système d’authentification sans connexion et mots de passes centralisés. C’est là que le chiffrement entre en jeu.

Il doit aussi être privé : pour que personne ne sache ce que vous lisez. Les bouts d’information seront distribués à travers Internet ; personne ne pourrait donc vous pister depuis un portail central.

Et cette fois le Web aurait une mémoire. Nous y intégrerions un mécanisme de versionnage pour qu’il s’archive au fur et à mesure. Le Web ne serait plus condamné à rester dans le présent.

Et puis il devrait être amusant : suffisamment malléable pour stimuler l’imagination de milliers d’inventeurs. Comment savons-nous que cela pourrait fonctionner ? Il suffit de voir les nombreuses avancées du Web depuis sa naissance en 1992.

Nos ordinateurs sont 1000 fois plus puissants qu’à cette époque. Le JavaScript permet de faire tourner dans nos navigateurs des programmes sophistiqués, grâce auxquels les lecteurs actuels du web distribué en deviendraient les bâtisseurs. Le chiffrement à clé publique est désormais légal, nous pouvons donc l’utiliser à des fins d’authentification et de vie privée. Nous avons également la technologie Block Chain, qui permet à la communauté Bitcoin d’avoir une base de données globale sans point de contrôle central.

J’ai vu chacun de ces éléments fonctionner indépendamment, mais pas rassemblés en un nouveau Web. C’est le défi que je nous lance.

Financeurs, leaders, visionnaires ! Cela pourrait être notre coup d’éclat. Et tout reste à faire ! Si nous savons où nous allons, nous pouvons paver le chemin.

code is law CC-BY-SA FSCONS
code is law CC-BY-SA FSCONS

Selon l’équation de Larry Lessig, « Le Code = La Loi ». Nous pouvons incorporer le premier Amendement à la base du code d’une nouvelle génération du Web.

Nous pouvons ouvrir le Web une bonne fois pour toutes.

Faire de son ouverture quelque chose d’irrévocable.

Nous pouvons le construire

Nous pouvons le faire ensemble.

 




Best of

Tigr - CC byLe Framablog a ouvert ses portes en septembre 2006 et dépasse désormais le millier d’articles !

Il y a des billets circonstanciés et directement liés à l’actualité qui perdent de leur acuité avec le temps. Mais il en est d’autres qui conservent selon nous leur intérêt et qu’il nous semble dommage de définitivement ranger dans les limbes des archives et du temps qui passe[1].

Surtout si vous êtes un nouveau lecteur.

En voici une petite sélection non exhaustive. Quelqu’un qui aurait le courage de tous les parcourir bénéficierait d’une formation accélérée en logiciel et culture libres 😉

2012

2011

2010

  • Quand le hacker se découvre parasite ! : À l’intérieur du Net le hacker est pour certains une sorte de héros des temps modernes. Mais que se passe-t-il si on rejette en bloc cette modernité ? Grosse discussion dans les commentaires.
  • Le Loup et le Chien : De la (modeste) poésie sur le Framablog ? Si, si, c’est possible !

2009

2008

2007

2006

  • Framablog is open : Le tout premier billet qui annonce une couleur qui s’est un peu transformée depuis.

Notes

[1] Crédit photo : Tigr (Creative Commons By)




Patriot Act à la française  ? — Pour nous, c’est NON !

Comme une immense majorité de personnes qui se sont rassemblées, en France et dans le monde, à plusieurs reprises, depuis le 7 janvier, nous avons été sous le choc et dans l’incrédulité. Quels que soient nos parcours, quelles que soient nos positions, nos croyances, nos parti-pris, nous n’acceptons pas que l’on assassine 17 personnes au nom d’une conception du monde qu’il serait dangereux ou interdit de ne pas partager, de questionner, de moquer. Nous n’acceptons pas que l’on ait fait taire des voix et des plumes et que l’on ait pris pour cible ceux qui incarnaient Charlie Hebdo.
Nous ne l’acceptons pas mais il y a des morts aujourd’hui. Et les cadavres n’étaient même pas froids que déjà commençaient à se faire entendre les voix charognardes qui, au nom de la défense de la liberté et des valeurs républicaines, sont prêtes à restreindre nos libertés individuelles et collectives, comme par effet d’aubaine, comme s’ils n’attendaient que ça. [1]

Ils n’ont pas même attendu la fin du deuil officiel. Plus rapides que les événements en cours pour s’emparer de la tragédie et l’instrumentaliser, les politiques glapissants de l’obsession sécuritaire ont commencé à se répandre : « il nous faut renforcer notre arsenal sécuritaire », « il faudra bien entendu un Patriot Act à la française » (le tweet historique de Valérie Pécresse ), ou encore François Baroin qui laisse entendre au journal de France 2 ce dimanche qu’il va falloir mesurer quel degré d’acceptation aura la population de la restriction des libertés individuelles au profit de la sécurité (journal TV de 13h, vers la minute 48) etc. On peut être sûr que dès ce lundi, la surenchère sécuritaire va battre son plein.

En tant que membres d’une association qui vise à promouvoir le logiciel et la culture libres en s’efforçant de développer une éducation populaire, nous redoutons bien sûr de voir bridé et censuré ce qui est à nos yeux aujourd’hui le principal instrument de notre liberté à l’échelle de la planète : Internet.
Il nous semble donc urgent de dire avec force dès maintenant à quel point prendre pour cible cet outil précieux est à la fois inefficace et dangereux. Nous redoutons aussi l’usage immodéré qui pourrait être fait de nos données personnelles, notamment numériques, sans autorisation, sans que nous en soyons informés, sans qu’il soit possible d’exercer de contrôle. Déjà des voix s’élèvent parmi les défenseurs de nos libertés numériques (ne sont-elles pas devenues de facto des libertés fondamentales ?) mais seront-elles suffisantes pour contrebalancer le boucan médiatique qui va nous tympaniser ?

Un article récent du Point, pourtant peu suspect d’opinions gauchistes, expose bien ce qu’a été le Patriot Act et comment les dérives qui lui sont inhérentes, exposées par les révélations de Snowden, conduisent aujourd’hui l’opinion états-unienne à en remettre en question la nécessité :

le gouvernement avait une interprétation très vaste du Patriot Act qui lui permettait de collecter des informations sur des millions d’Américains sans lien avec le terrorisme. Selon un rapport du ministère de la Justice, les perquisitions secrètes servent surtout à coincer les trafiquants de drogue. En 2013, sur 11 129 demandes de perquisitions, seules 51 visaient des suspects de terrorisme.

Faut-il vraiment que les services qui veillent sur notre sécurité nationale aient un accès sans restriction ni contrôle judiciaire à toutes nos données personnelles ? Sans avoir à justifier que ces informations ont un quelconque rapport avec une enquête terroriste ? Faut-il croire aveuglément ou plutôt vouloir faire croire que le Patriot Act a été efficace, alors que nous avons encore en mémoire les attentats de Boston pour ne citer que ce terrible exemple ?

Que disent les responsables sérieux des forces de sécurité ? — Rien de tel : ils constatent qu’ils n’ont pas les moyens humains de surveiller et cibler le nombre à la fois limité mais inquiétant de personnes dangereuses susceptibles d’actes terroristes. Vous avez bien lu : ils ne réclament pas une surveillance généralisée ni la censure du Net (dont l’espace de communication leur est probablement au contraire un précieux moyen d’identifier les menaces) mais davantage de personnels formés et opérationnels pour mener cette lutte souterraine extrêmement compliquée et pour laquelle leur action est légitime et indispensable.
Alors qui veut vraiment que nous renoncions à nos libertés sous le prétexte d’obtenir davantage de sécurité ? Qui sont les vrais ennemis de notre liberté d’expression ?

Nous entamons aujourd’hui une série d’articles sur le sujet. Voici pour commencer une tribune libre de Christophe Masutti, à laquelle souscrit l’ensemble de l’association.
Les commentaires sont ouverts et seront modérés.

Aujourd’hui, tous au garde-à-vous — demain, chacun en garde à vue ?

Une tribune libre de Christophe Masutti

Mercredi dernier, c’était mon anniversaire, j’ai eu 40 ans. Eh bien, des jours comme ça, je m’en serais bien passé.
Hier, c’était la barbarie : c’est Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Honoré, et d’autres acteurs de Charlie Hebdo [2] qui ont été lâchement assassinés dans les locaux du journal par deux gros cons, des beaufs, des salauds. Ils s’en sont pris à des dessinateurs qui ont largement contribué à la formation de ma propre pensée critique à travers la lecture régulière du journal. Des copains, nos copains.
Ce matin, j’ai la tête en vrac. J’ai à l’esprit ces mots de Ricœur qui définissait la démocratie par le degré de maturation d’une société capable de faire face à ses propres contradictions et les intégrer dans son fonctionnement. Au centre, la liberté d’expression, outil principal de l’exercice de la démocratie. À travers nos copains assassinés, c’est cette liberté qui est en jeu aujourd’hui. Ils exerçaient cette liberté par le crayon et le papier. L’arme absolue.
La liberté est insupportable pour les pseudos-religieux sectaires — et pour tout dire, une grosse bande de crétins — qui tentent de la faire taire à grands coups de Kalachnikov et de bombes sournoises. La liberté est insupportable pour les fachos et autres réacs de tout poil qui ne manqueront pas de s’engouffrer dans le piège grossier du repli et de la haine. La liberté est insupportable pour celui qui a peur.

Le contre-pouvoir, c’est nous tous

Charlie Hebdo n’a pas vocation à incarner de grands symboles, au contraire, les dénoncer et faire tomber les tabous est leur principale activité. C’est justement parce que la mort de dessinateurs est aujourd’hui devenue un symbole universellement répété comme un mantra qu’il va falloir s’en méfier, car dans cette brèche s’engouffrent les tentatives protectionnistes et liberticides.
Car tel est le paradoxe de la peur appliqué aux outils de la liberté d’expression : ce qui menace vraiment la démocratie ne frappe pas forcément au grand jour…
Nous vivons depuis des années sous le régime des plans Vigipirate, des discours sécuritaires et du politiquement correct. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, la surveillance généralisée de nos moyens de communication s’est taillé une belle part de nos libertés, sans oublier les entreprises qui font leur beurre en vendant aux États (et pas toujours les plus démocratiques) des « solutions » clé en main. Des lois liberticides au nom de l’antiterrorisme sont votées sans réel examen approfondi par le Conseil Constitutionnel. En guise de contre-pouvoir, on nous refourgue généralement des administrations fantoches aux pouvoirs ridicules, des « Conseils » et des « Hauts Comités » des mes deux.
Mais le vrai contre-pouvoir, ce sont les copains de Charlie Hebdo et tous leurs semblables, journalistes ou caricaturistes, qui l’exercent, ou plutôt qui le formalisent pour nous, à travers leurs dessins et leurs textes. Le contre-pouvoir, c’est nous tous tant que nous n’oublions pas de penser et d’exprimer nos contradictions. Et pour maintenir la démocratie, nous devons disposer intégralement de nos moyens de communication dont il revient à l’État de garantir la neutralité et la libre disposition.
Demain, nous risquons de nous retrouver tous en garde à vue et pas seulement à cause des terroristes. C’est là tout le paradoxe. La terreur est aussi bien instrumentalisée par les assassins que par certains membres de la classe politique, et pas seulement à droite. Tous sont prêts à brider et tenir en laisse notre liberté pour maintenir leurs intérêts électoraux ou d’autres intérêts financiers. La contrainte à laquelle ils veulent nous soumettre, c’est l’obligation du choix : il faudrait choisir entre la liberté et la dictature, entre la liberté et la peur, entre la liberté et l’esclavage, avec à chaque fois un peu de nos libertés qui s’envolent. securiteLiberte2.png

Soyons les jihadistes de la liberté

Non ! Assez ! Stop ! je suis pour la liberté sans concession. Une liberté obligatoire, une liberté que l’on assène sans contrepartie. Je suis un radical du papier, un ayatollah de la liberté d’expression, un taliban des communications ouvertes, un nazi des protocoles informatiques libres, un facho de la révélation snowdenienne ! Du moins je voudrais l’être, nous devrions tous l’être. Et sans avoir peur.
Je suis né il y a 40 ans, et cela fait presque autant de temps que se sont développés autour de moi des supports de communication qui sont autant de moyens d’exercices de la liberté d’expression. Comme beaucoup, j’oublie souvent que rien n’est acquis éternellement, que nos libertés sont le fruit de luttes permanentes contre ceux qui voudraient nous en priver.
La boucherie de la semaine dernière nous l’a cruellement rappelé.

Crédit image
Photo d’un graf mural à Saint-Nazaire, par bmanolea (CC BY 2.0)

Notes

[1] Rappelons qu’il a été demandé aux candidats au 3e concours d’entrée à l’ENA 2014, de plancher sur une note « permettant d’évaluer les marges de manœuvre des pouvoirs publics pour restreindre les libertés publiques » (sic) Lien direct vers le PDF

[2] Sans oublier les policiers, un agent d’entretien puis d’autres victimes quelques jours après… cet article a initialement été rédigé jeudi matin, version sur le blog de Christophe Masutti




et pendant ce temps-là, du côté de l’open source…

Voilà des années qu’on nous prédit que l’année suivante sera celle de Linux sur le desktop mais on est encore bien loin de son adoption sur l’ordinateur familial des Dupuis-Morizeau[1]. D’autant que la ligne de front s’est maintenant déplacée vers les mobiles, les tablettes, les objets connectés…
Le tableau du champ de bataille serait plutôt sombre, le libre et l‘open source peinent à exister parmi les mastodontes qui s’affrontent. Mais voici comme pour nous consoler un petit lambeau de ciel bleu : le bilan que tire Glyn Moody de ce qu’il considère comme la domination victorieuse de l‘open source — Comment ça ? — On comprend mieux quand on remarque que son billet ici traduit est placé dans la rubrique Open Entreprise

2015 : l’Open Source a gagné, mais ce n’est qu’un début.

Après les succès de 2014, jusqu’où ira-t-elle ?

par Glyn Moody

Article original : 2015: Open Source Has Won, But It Isn’t Finished
Traduction Framalang : Diab, sinma, goofy, AFS, lamessen, KoS, Narcisse, cpio

185px-Glyn_Moody_1__cropped_.jpgÀ l’aube d’une nouvelle année, la tradition veut que l’on fasse une rétrospective des 12 mois précédents. Mais en ce qui concerne cette rubrique, il est facile de résumer ce qui s’est passé : l‘open source a gagné. Reprenons depuis le début :

Les supercalculateurs. L’hégémonie de Linux dans le top 500 des supercalculateurs est telle que c’en est presque gênant. Les chiffres de novembre 2014 montrent que 485 des 500 premiers systèmes tournent sous une version de Linux ou une autre. Un seul d’entre eux tourne sous Windows. C’est encore plus impressionnant si l’on regarde le nombre de cœurs concernés. Là, on retrouve Linux sur 22 581 693 cœurs, tandis que Windows n’en fait tourner que 30 720 ; cela signifie que non seulement Linux domine, mais aussi que sa position est particulièrement forte sur les plus gros systèmes.

L’informatique dans le nuage. La Fondation Linux a proposé l’année dernière un rapport intéressant qui analysait l’utilisation de Linux dans le cloud par les grandes entreprises. Il montrait que 75 % d’entre elles utilisent Linux comme plateforme principale contre 23 % pour Windows. Il est difficile de traduire cela en parts de marché car les solutions hybrides doivent être prises en compte. Toutefois, en raison de la popularité actuelle de l’informatique délocalisée, il est évident que l’on peut considérer que l’utilisation de Linux est importante et croissante. Concrètement, la même étude a montré que le déploiement de Linux dans le cloud était passé de 65 % à 78 % quand Windows chutait de 45 % à 36 %. Bien entendu, certains considéreront que la Fondation Linux n’est pas totalement objective ici, mais malgré cela et compte tenu des incertitudes statistiques, on voit clairement dans quelle direction l’on va.

Les serveurs web. L‘open source domine ce secteur depuis près de 20 ans — une performance. Cependant la répartition des parts de marché à récemment évolué de façon intéressante : à un moment donné, IIS de Microsoft a réussi à dépasser Apache en nombre total de serveurs web, mais, comme l’explique Netcraft dans son analyse la plus récente, il faut y regarder à deux fois :

C’est le second mois d’affilée que l’on enregistre une forte baisse du nombre total de sites web, faisant de ce mois celui qui en totalise le moins depuis janvier. Comme c’était le cas en novembre, ces pertes se sont concentrées sur un nombre limité de sociétés d’hébergement, avec les dix plus fortes baisses qui représentent plus de 52 millions de noms de domaine. Les sites actifs et les ordinateurs visibles sur le web n’ont pas été affectés par ces pertes. Les sites concernés étaient essentiellement des fermes de liens, avec très peu de contenu unique. La majorité de ces sites fonctionnaient avec Microsoft IIS, l’amenant à dépasser Apache dans l’enquête de juillet 2014. Cependant, les récentes pertes ont entraîné une chute de 29.8 % des parts de marché de ce système d’exploitation, qui se situe désormais à plus de 10 points (en pourcentage) derrière Apache.

Ainsi, la « percée » de Microsoft est plus virtuelle que réelle, car elle repose en grande partie sur des sites de liens sans grand contenu utile. Du reste, les chiffres de Netcraft sur les sites actifs brossent un tout autre tableau : Apache aurait 50,57 % des parts de marché, suivi par Nginx avec 14,73 %. Microsoft IIS arriverait péniblement derrière avec un pourcentage assez faible de 11,72 %. Ce qui signifie que l‘open source représente environ 65 % du marché des serveurs Web actifs – pas tout à fait au niveau des supercalculateurs, mais c’est tout de même plutôt bien.

Les systèmes mobiles. Ici, l’avancée de l‘open source, à travers Android, se poursuit. Les derniers chiffres montrent que 83,6 % des smartphones livrés au troisième trimestre 2014 tournent sur Android, en augmentation par rapport aux 81,4 % du même trimestre l’année précédente. Apple baisse, passant de 13,4 % à 12,3 %. Sur le marché des les tablettes, Android suit une trajectoire identique : au second trimestre 2014, Android atteignait environ 75 % des ventes mondiales, alors que celles d’Apple se situaient aux alentours de 25 %.

Les systèmes embarqués. Bien qu’il soit plus difficile de quantifier les parts de marché de Linux sur l’important marché des systèmes embarqués, les chiffres d’une étude de 2013 indiquent qu’environ la moitié des systèmes embarqués utiliseraient ce système d’exploitation.

L’Internet des objets. À plus d’un titre, il s’agit simplement d’un autre avatar des systèmes embarqués, à la différence qu’ils sont conçus pour être connectés en permanence. Il est encore trop tôt pour parler de parts de marché, mais comme je l’ai récemment expliqué, le framework open source AllSeen arrive en tête. Ceux qui brillent par leur absence, de façon frappante, ce sont les concurrents propriétaires crédibles ; il semble extrêmement probable que l’Internet des objets verra l’adoption de l‘open source aux mêmes niveaux que les supercalculateurs.

Bien sûr, un tel niveau de réussite soulève toujours la question : quelle est l’étape suivante ? Étant donné que l‘open source approche de la saturation dans de nombreux secteurs, une baisse est-elle inévitable à l’avenir ? En réponse à cette question, je recommande la lecture d’un essai qui donne à réfléchir, écrit en 2013 par Christopher Kelty pour le Journal of peer production et bizarrement intitulé : « Il n’y a pas de logiciel libre ». Voici comment il débute :

Le logiciel libre n’existe pas. Cela m’attriste étant donné que j’ai écrit un livre entier sur le sujet. Mais il s’agit aussi d’un point que je tente de traiter dans mon livre. Le logiciel libre, et son frère jumeau l‘open source, est en constant devenir. Il n’existe pas sous une forme stable, permanente ni pérenne, et c’est ce qui fait une partie de sa force.

En d’autres termes, 2014 nous a déjà apporté toutes sortes de formidables logiciels libres, mais nous pouvons être sûrs que 2015 nous en apportera bien davantage, car ils poursuivent indéfiniment leur évolution. SpitefulCat.jpg

Crédit photo
Glyn Moody par Stuart Yeates – (CC BY-SA 2.0)

Note

[1] Notre sympathique famille-témoin de Normandie




Les empreintes de nos navigateurs nous identifient — et si on brouillait les pistes ?

Depuis un an ou deux une conscience floue de l’ubiquité du pistage est perceptible dans les conversations sous la forme de brèves remarques fatalistes :

— De toutes façons on est espionnés, alors…
— Ils peuvent savoir tout ce qu’on fait sur Internet, hein…

et chez les Dupuis-Morizeau :

— J’ai réservé la location moins cher avec le PC du boulot pour exactement la même chose… Faut croire que depuis qu’on fait des achats en ligne ils se figurent qu’on pourrait payer plus…

Vous qui savez, ne vous moquez pas trop vite : mieux vaut cette perception diffuse qu’une certitude naïve d’être protégé (« ah tu vois le petit s derrière http ça veut dire que c’est sécurisé ce site » hum) ou pire une ignorance dangereuse.
Certes le chemin est long encore avant de pouvoir susciter une plus large prise de conscience puis une évolution des comportements et des usages dans notre vie numérique. C’est à quoi Framasoft s’efforce de mener par étapes avec la campagne longue durée Dégooglisons Internet. Mais bien d’autres initiatives surgissent semaine après semaine, et nous sommes ravis de leur donner un écho.
Tel est le cas aujourd’hui avec le projet amiunique (non, ce n’est pas un site de rencontre pour trouver un seul ami pour la vie : Am I unique? signifie : « Suis-je unique ? »).
Nous sommes pistés, traqués, espionnés, piégés, profilés… d’accord, tout le monde en a désormais « entendu parler ». Mais que sait-on de nous au juste lorsqu’on va jeter coup d’œil sur un site web ?
Il existe déjà des moyens d’en avoir une idée, par exemple dans Firefox, de nombreux outils de développement proposent des fonctionnalités pour voir ce qui se passe sous les jupes de la connexion. Mais le site amiunique.org en facilite l’accès et explique de quoi il retourne.
On découvre ainsi que cette quantité importante d’informations permet le plus souvent de faire de vous un utilisateur « unique »
— Ah j’en vois qui se rengorgent de n’être pas comme tous les autres et qui sont tout fiers de se distinguer du supposé troupeau des internautes…[1]
Mais ne vous réjouissez pas trop vite, écoutez un peu ce que nous dit Benoît Baudry et voyez comment tout au contraire se fondre dans une masse d’empreintes numériques similaires pourrait être un moyen de ne plus être unique, donc de risquer moins d’être pisté !

Bonjour, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
baudry.pngJe suis chercheur depuis 2004 dans le domaine du génie logiciel. J’ai beaucoup travaillé sur des outils et algorithmes pour améliorer les activités de test logiciel dans le domaine des systèmes embarqués. Cette activité s’est ensuite élargie pour traiter de problèmes d’analyse de programme. Depuis février 2013 je coordonne un projet de recherche européen (DIVERSIFY) sur le thème de la diversification du logiciel pour faire des applications web plus robustes.
Dans ce contexte, nous avons démarré une activité sur le browser fingerprinting, c’est-à-dire les empreintes, les traces numériques que laissent nos plateformes quand nous nous connectons avec nos navigateurs.
La petite équipe qui se consacre à amiunique.org et aux technologies anti-fingerprint comprend un doctorant et bénéficie du conseil scientifique et technique de deux chercheurs en sécurité et génie logiciel.

Il n’est pas si fréquent qu’un labo de recherche universitaire entame un projet qui peut toucher un assez vaste public et potentiellement l’ensemble des utilisateurs du Web. Alors pourquoi s’intéresser au fingerprinting ?
Tous nos travaux de recherche sont inspirés par des problèmes réels rencontrés lors de la construction de systèmes logiciels. La nouveauté dans ce cas tient sans doute au fait que le problème ne touche pas seulement les développeurs de logiciels, mais que tout internaute peut se sentir concerné.
Dans le cadre de DIVERSIFY, nous étudions la diversité logicielle et la manière dont elle peut être exploitée, voire amplifiée par des procédures automatiques. L’idée de ce projet c’est que l’augmentation de la diversité logicielle augmente également la résilience et la sécurité des applis webs.
Par ailleurs, nous avons découvert que dans le cas du browser fingerprinting la très grande diversité et la richesse de l’écosystème web sont devenues un problème pour la vie privée : cet écosystème très très riche permet à chacun de disposer d’une plateforme qui correspond parfaitement à ses envies et à son confort, mais c’est ce même phénomène qui rend chaque plateforme unique et donc traçable. La question qui nous a alors intéressés est la suivante :

Peut-on exploiter la diversité qui est à l’origine du problème de fingerprint pour lutter contre le traçage, en modifiant automatiquement et régulièrement la plateforme logicielle d’un internaute ?

La première étape pour répondre à cette question consiste à étudier de près la diversité des plateformes qu’on peut trouver sur le web, ce qui nous a amené à développer le site amiunique.org

Bon alors de quoi s’agit-il au juste ? Pourquoi devrais-je me demander si je suis unique ? C’est inquiétant d’être unique sur le Net ?

Une première remarque à propos de l’unicité : quand le site affiche « Êtes-vous unique ? Oui ! », ce qu’il faut comprendre c’est que la plateforme logicielle (navigateur, OS, polices, plugins, etc.) que vous avez utilisée pour aller sur le site est unique parmi toutes celles observées jusqu’à présent. 

Un clic pour essayer…

test_empreinte.png

et voici le résultat :

unique.png
Quand vous visitez un site web, celui-ci peut facilement récolter un grand nombre d’informations à propos de votre plateforme. Certaines de ces informations sont systématiquement fournies au site web par le navigateur (user agent et en-têtes http), et pour le reste le serveur peut interroger les interfaces Flash, JavaScript et toute autre interface offerte par le navigateur et ses plugins.

Une longue liste de données que l’on peut récolter… (cliquer pour agrandir)

Am_I_unique__2014-12-23_14-32-33.png

Le problème d’avoir une plateforme unique c’est que les sites marchands peuvent personnaliser leur contenu en fonction de la plateforme (pratiques tarifaires en fonction des clients ou publicités ciblées). Par exemple, les sites peuvent varier les prix en fonction de la localisation de l’internaute, déduite approximativement par l’adresse IP (voyez cet exemple), ou en fonction du système d’exploitation (un autre exemple). Une étude a montré que le site de voyages Orbitz propose des prix plus élevés aux utilisateurs de Mac OS (exemple d’Orbitz).

Mais ce que vous proposez de faire, ça commence bien comme du pistage non ? Vous voulez qu’on vous donne toutes les informations sur notre navigateur pour votre recherche, vous êtes sympathique avec votre bonne tête de nerd barbu mais comment puis-je avoir confiance ? Et puis vous allez faire quoi de cette bientôt énorme base de données récoltées, mmh ? 

La politique de confidentialité d’amiunique.org établit très clairement ce qui advient des données récoltées : elles sont stockées sur une machine sécurisée et nous les utilisons à des fins d’analyse statistique. Par ailleurs, nous ne récoltons absolument aucune information qui nous permette de relier une empreinte à une personne, les donnée sont donc anonymes par construction. Les analyses statistiques d’empreintes réelles sont essentielles pour établir des procédures qui modifient automatiquement la plateforme d’un internaute de manière réaliste. Dans cet objectif, 2 défis à relever : réussir à modifier la plateforme de manière transparente, mais suffisamment pour changer l’empreinte ; modifier la plateforme tout en la faisant ressembler à une vraie plateforme pour éviter d’être repéré comme un usager qui essaie de se cacher.

Quelle est selon vous la masse critique d’empreintes collectées qui vous permettra de passer à la phase suivante du projet ?

Il est important pour nous de rassembler un maximum d’empreintes pour que le verdict que nous rendons aux visiteurs (oui / non vous êtes unique) soit vraiment significatif. À l’échelle du Web, être unique parmi quelques dizaines de milliers d’internautes, ce n’est pas forcément très impressionnant, alors qu’être unique parmi quelques millions c’est déjà plus surprenant. Pour nos travaux futurs sur le brouillage c’est surtout important de récupérer une très grande diversité d’empreintes (diversité géographique, diversité de navigateur, polices, etc.). Un échantillon étendu et diversifié nous permettra d’identifier quelles sont les caractéristiques les plus discriminantes, qui devront être la cible principale pour le brouillage.

goofy-inquiet.jpget euh… je ne risque rien si je “triche” en envoyant finalement des données trompeuses ? C’est bien légal ça ?

Il n’y a rien d’illégal à modifier/changer/envoyer des fausses informations. Cependant, deux problèmes peuvent se poser avec les extensions de navigateurs qui renvoient de fausses informations dans le user agent (par exemple User agent switcher).
Le premier vient du fait que les informations que vous envoyez à un serveur sont censées être utilisées pour vous renvoyer une page web qui est parfaitement adaptée à votre navigateur et à sa configuration. Si vous mentez, la page web peut présenter de nombreux défauts et certaines fonctionnalités peuvent ne pas être opérationnelles.
Le second problème vient du fait que si vous mentez, il se peut que votre empreinte soit incohérente et cela vous rend tout de suite identifiable. Par exemple, sur une des empreintes récoltées sur amiunique, le navigateur annonce dans son User Agent qu’il tourne sous Windows alors que le moteur de rendu JavaScript nous indique que la machine en question est un Mac. Cette configuration qui n’est pas censée exister dans la réalité vous rend identifiable car vous serez une des seules personnes au monde à avoir cette configuration incohérente.
Ce n’est donc pas illégal de mentir, mais ça peut engendrer des problèmes à la fois liés à la navigation et au traçage par empreinte.

Par ailleurs, il n’y a rien d’illégal à modifier charger / supprimer des nouvelles polices à chaque lancement de votre navigateur ou à utiliser régulièrement une version différente d’un navigateur.
Nous pensons qu’un avantage de *modifier la plateforme* (plutôt que de renvoyer de fausses informations) c’est qu’on ne prendra pas le risque d’être identifié comme un menteur ou comme une plateforme qui tente d’envoyer des données trompeuses.

C’est astucieux tout ça mais vous ne craignez pas que ceux qui nous pistent trouvent une parade à votre dispositif ?

Certainement et c’est toute la difficulté de tout dispositif pour la vie privée : dès qu’un nouveau dispositif apparaît, il fixe également les nouvelles barrières à franchir pour ceux qui veulent nous pister. Ce que nous espérons surtout c’est que ce genre de mécanisme rende le pistage plus difficile et plus coûteux.

Est-ce qu’on peut espérer que cette expérience “de laboratoire” aura une utilité pour nous les internautes concernés par le pistage de nos empreintes ? Pour votre équipe c’est un intéressant objet de recherche, mais sous quelle forme finale pourrait aboutir votre projet pour la famille Dupuis-Morizeau[2]  ?

Nous l’espérons vraiment. Pour l’instant, il faudrait idéalement que la famille Dupuis-Morizeau ait des PC sous Linux, et dans ce cas nous visons une solution qui puisse être téléchargée et utilisée à la place du navigateur standard. En gros, ça devrait être un conteneur qui isole le navigateur et tous les éléments de plateforme, qui est lancé à chaque fois que quelqu’un veut naviguer sur Internet. Au lancement de ce conteneur, un navigateur, des polices, des plugins, voire quelques éléments de configurations système sont sélectionné aléatoirement, assemblés et démarrés. L’internaute peut alors naviguer avec une plateforme différente de celle utilisée la dernière fois.

Bon, on y voit un peu plus clair et ce projet a de quoi intéresser. Que peuvent faire les lecteurs de cet article s’ils souhaitent contribuer ?

Distribuer l’URL pour augmenter le nombre d’empreintes c’est déjà une énorme contribution. Toute idée de forums internationaux pour augmenter la diversité des empreintes est aussi tout à fait bienvenue. Enfin, le code du site est open source et nous serions ravis d’avoir des contributions à ce projet sous forme de traduction de pages, revue de code (architecture du site, sécurité, etc.) ou toute idée pour mieux valoriser les données auprès des visiteurs.

amiunique_geektionnerd.png

Liens

Notes

[1] Si vous pensez que les internautes moyens sont Mme Michu, une dinde ménopausée, et son mari tonton Roger, que ses gros doigts de pêcheur de brochet empêchent d’appuyer sur la bonne touche, cet article n’est pas pour vous.

[2] L’authentique Mme Michu a demandé qu’on cesse de la mentionner. Le Framablog a décidé d’employer désormais l’exemple des Dupuis-Morizeau, une sympathique famille recomposée qui vit à Rouen en Normandie.




Qui agit pour nos libertés numériques ?

On trouvera de la provocation, de l’ironie et du sarcasme, mais aussi de l’amertume et de la lassitude dans ce billet de Peter Sunde, le cofondateur de The Pirate Bay et, plus récemment, de Flattr. Il estime sans doute qu’il a conquis sa légitimité pour houspiller les manifestants virtuels, les commentateurs tellement malins et les militants par délégation, lui qui a donné de son énergie et mis en jeu sa propre liberté pour la cause qu’il défend : il sort de cinq mois de prison pour avoir facilité la violation de droit d’auteur…
Peu importe au fond s’il nous paraît prendre un peu trop la pose du martyr revenu de tout, il nous adresse ici de vraies questions sur la façon dont nous agissons ou non pour nos libertés numériques.
Certes tout le monde n’a pas le courage de Snowden ou Assange et chacun peut avoir à son modeste niveau son propre engagement. Mais notre soutien financier aux associations militantes actives (comme la Quadrature, l’April, Framasoft et bien d’autres qui sont sur le terrain…), s’il est nécessaire et vital pour mener des combats toujours à reprendre, est-il suffisant ? N’est-ce pas considérer à bon compte que d’autres agiront pour nous, à notre place ?
Voici peut-être ce que suggère ci-dessous Peter Sunde : ne perdons plus d’énergie à débattre avec des imprécateurs en carton-pâte, cessons de prendre des clics pour des actions et des retweets pour des opinions. Et si nous nous sortions plutôt les doigts du clavier ?

« Je suis allé en prison pour avoir défendu ma cause. Et vous, qu’avez-vous fait ? »

Article original publié dans le magazine Wired sous le titre Peter Sunde: I went to jail for my cause. What did you do?
Traduction Framalang : Narcisse, Sphinx, Bussy, goofy, Monsieur Tino, Sphinx, Penguin, smonff

Sunde.pngIl y a certains moments décisifs dans la vie qui vous touchent profondément. Recevoir son diplôme, échanger un premier baiser, écrire son premier livre, publier son premier article scientifique, vivre la mort d’un être cher, accueillir votre premier client dans votre café… Aux yeux des autres, ce ne sont que des petits épisodes sans importance mais pour vous ils ont une importance cruciale et sont comme un tournant dans votre vie.

Aujourd’hui j’ai eu une impression de ce genre, j’ai eu le sentiment que nous avions atteint une certaine masse critique. Une masse critique qui est furieuse contre l’état actuel de l’Internet ou plutôt contre l’état actuel de contrôle de l’Internet et ce que cela signifie pour le monde. Une masse critique qui comprend enfin que nous sommes sur la voie d’une démocratie « en pyramide », qui accorde bien peu de participation à sa base.

Le site « The Pirate Bay » a été fermé[1]. Dans la tête des gens, ça a fait tilt de savoir que demain, ils devraient télécharger leur émission de télévision favorite autre part. En y réfléchissant, ils ont décidé que c’était le début d’une pente glissante. Ils comprennent que ça veut peut-être dire que ce contenu alternatif sera probablement d’accès difficile voire impossible. Que les langoliers[2] nous rattrapent plus vite que nous ne l’imaginions. Que ce que nous faisons, c’est-à-dire centraliser Internet, n’avoir qu’une poignée de services centralisés, appartenant pour la plupart à des entreprises d’un seul et même pays, pays qui ne se soucie pas tellement des frontières lorsqu’il s’agit de ses propres intérêts, n’est pas la meilleure des idées.

Mais un mouvement prend forme, un mouvement en-dehors de tout ça. Et demain, quand vous vous réveillerez, il aura atteint une taille gigantesque, une masse de peut-être un million de personnes, qui verront le groupe « Arrêtez de détruire Internet » ou « Rendez-nous notre Pirate Bay » sur Facebook. Ils cliqueront sur « J’aime » et se sentiront fiers. Ils l’auront finalement fait. Ils auront stoppé la destruction de l’Internet.

Honnêtement, j’ai vraiment l’impression que nous avons atteint un point culminant. C’est l’impression que près de 100 % de la communauté internet pense « oh, ce n’est pas mon problème, quelqu’un d’autre s’en chargera ». Mais ce n’est pas seulement l’actualité autour de The Pirate Bay qui m’a conduit à cette idée. Ça a pris du temps à mûrir. En fait, il ne reste que quelques militants actifs qui font réellement quelque chose. Nos ressources financières sont plus qu’amenuisées, nous vieillissons et nous devenons paresseux. Nous essayons de travailler de façon intelligente tout en continuant à avoir une vie de famille, gérant nos vies avec nos compagnes ou compagnons, nous pensons à nos carrières. La plupart des militants les plus engagés finissent par travailler à plein temps sur les projets dans des organisations comme l’EFF, qui peuvent obtenir un certain financement. La communauté finance ces organisations et c’est ainsi que la communauté a l’impression que si elle le fait, ces chouettes personnes résoudront les problèmes à leur place.

Nous avons stoppé ACTA. Nous avons stoppé SOPA, PIPA. Nous travaillons à stopper le TTIP. Nous sommes présents dans certains parlements. Parce que c’est ainsi que nous travaillons désormais. Internet fait partie de la vie de tous les jours, nous ne pouvons plus jouer aux activistes sauvages et faire comme bon nous semble. Nous devons agir de façon organisée. Nous devons écouter les autres personnes. Il ne s’agit plus du Far West. Alors nous nous rangeons en ordre de bataille. Et nous discutons. En attendant, nos opposants deviennent de plus en plus forts. Ils ont déjà corrompu leurs amis politiciens pour nous rogner les ailes. Nous jouons sur leur propre terrain et nous voulons vraiment obtenir notre dû, nous en avons fait plus que n’importe qui. Dans le même temps, plusieurs accords du type de ACTA/SOPA/PIPA/TTIP sont passés sans que nous en sachions quoi que ce soit. Nous stoppons un accord et trois passent inaperçus. Malgré notre victoire à la Cour suprême européenne, nous devons toujours nous battre contre la rétention des informations. C’est un combat sans fin.

Nous avons nos propres célébrités. Nous avons eu Wikileaks. Nous avons eu Snowden. Nous avons eu Manning. Nous avons eu Aaron Swartz. Certains sont morts, d’autres sont en prison pour toujours. Certains se cachent, craignant pour leur vie. Les révélations de ces personnes, les combats de ces personnes sont des causes importantes. Liberté d’information. Liberté d’opinion. Démocratie. Transparence gouvernementale et droit à une procédure judiciaire régulière. Des éléments que nous prenons pour acquis, qui sont les bases de notre société moderne. Nous en parlons beaucoup. Nous sommes déçus. Nous pleurons, nous crions. Parfois, nous manifestons. Nous avons nos t-shirts. Nous avons nos symboles. Nous avons nos masques, nos conférences et nos débats. Nous attirons quelquefois l’attention. En général, les gens nous apprécient. Nos adversaires sont des bâtards, engraissés, vendus, prostitués. La plupart sont des hommes, riches, vivant aux États-Unis. Ils sont corrompus. Ils sont facilement haïssables. On dirait un vieux film hollywoodien. Le genre de film que ces hommes réalisent pour obtenir l’argent avec lequel ils nous combattent.

Mais même dans ces films, ce sont les gentils qui gagnent à la fin. Et nous savons qui sont les gentils. Nous savons que nous avons nos droits. Nous savons que nous sommes protégés par la loi. Nous comprenons aussi que la loi ne pourra pas grand-chose pour nous protéger si les méchants viennent nous chercher. Le truc, c’est que nous n’avons rien fait de mal donc ça ne nous inquiète pas.

Des journalistes me contactent quotidiennement. La plupart sont intelligents, bien formés et très compétents sur le plan professionnel. Travaillant dans la presse, ils sont protégés. Dans la plupart des pays, la loi leur permet de protéger leurs sources. Ils ont tous lu les documents de Manning. Ils ont lu ce que Snowden a fait fuiter. Ils sont au courant de la surveillance exercée par la NSA. Mais eux aussi, au fond, pensent qu’ils font partie des gentils. Après tout, ce truc là, le PGP, ça tient plus de la prise de tête qu’autre chose. Gmail est si simple à utiliser, ça fonctionne partout. Ils n’ont jamais aucun problème auparavant et ils ne veulent pas finir paranos comme Glenn Greenwald.

On ne m’invite plus à des soirées. Ce n’est pas que je sois ennuyeux — au contraire, je suis plutôt un invité divertissant, avec des histoires dingues à raconter, Je fais mon numéro de clown cintré qui raconte les histoires de fous par lesquelles il est passé. J’ai rencontré la présidente du Brésil, je suis allé en prison avec des tueurs et des trafiquants de drogue. Mais c’est tellement embêtant que je ne sois pas sur Facebook, alors, quand quelqu’un organise une fête, il suppose que quelqu’un d’autre va m’inviter, et tout le monde suppose que quelqu’un d’autre l’a fait. Ils pensent que je suis trop parano parce que je ne suis pas sur Facebook.

Je suis toujours fâché contre certains de mes collègues de travail. Ils sont trop difficile à joindre. La plupart d’entre eux n’ont pas de téléphone portable. Nous devons décider d’une heure et d’un lieu pour avoir une conversation sur un chat chiffré, parce qu’ils ne veulent pas être pistés. S’ils ont un imprévu je ne peux pas le savoir. Quelquefois, j’ai attendu 6 à 7 heures à cause de problèmes de trains/bateaux/voitures. Pour qui ils se prennent à vouloir être aussi anonymes ? Je n’ai pas envie de finir comme eux, ils sont si paranoïaques. Je présume que mon téléphone n’est pas sur écoute, je ne suis pas intéressant. Il ne suffit pas que je connaisse beaucoup de gens qui pourraient être intéressants aux yeux de certains gouvernements pour que ça signifie qu’ils ont un mandat pour m’espionner.

Hier, j’ai lu des tas de commentaires sur un nombre incalculable de fils de discussion portant sur une déclaration où je souhaitais que The Pirate Bay soit fermé pour de bon, pour que quelque chose de nouveau puisse apparaître. Quelque chose de nouveau et frais. C’est fou comme la plupart des commentaires sont incroyablement perspicaces. Ils expliquent à quel point je suis paresseux de ne rien faire au lieu de gueuler que TPB est devenu merdique. Que je devrais ouvrir un nouveau site au lieu d’accepter de laisser fermer TPB. Qu’ils veulent récupérer le colis qu’ils m’ont envoyés pendant que j’étais en prison pour avoir milité. Puisque je suis trop mauvais pour ne pas faire revenir TPB. Je présume que tous ces mecs et leur superbe ortographe[3] (oui, ce sont tous des mecs) sont eux aussi des activistes qui font leur part de boulot pour la communauté libre et open source. Si c’est le cas, alors je dois me tromper en pensant que nous ne sommes que quelques-uns — Il y a apparemment des dizaines de milliers de personnes qui font en réalité un travail important que je devrais apprécier.

Mon impression d’être à un moment crucial n’est peut être qu’un tas de ruminations sur la partie pourrie, naïve et paresseuse de notre chère communauté internet. Et peut-être que j’utilise ces termes uniquement pour faire un peu plus chier le monde. Mais bon. Je suis allé en prison pour avoir défendu ma cause et vos émissions télé. Et vous, qu’avez-vous fait ? Vous voulez qu’on vous renvoie un des 25 exemplaires de 1984 d’Orwell qui m’ont été envoyés quand j’étais en prison ? Je vais en prendre un et vous le ferai parvenir. Peut-être le lirez-vous plutôt que de l’envoyer à quelqu’un d’autre en espérant qu’on le lise à votre place.

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Notes

[1] Bien sûr nous ne serons pas à court de sites miroirs (http://oldpiratebay.org/search.php?q=&=on par exemple) mais ce serait une erreur de se satisfaire d’astuces techniques alors que la question des droits d’auteur demande une action politique.

[2] Allusion à des monstres dans un roman de Stephen King : « des créatures rondes avec seulement une énorme bouche et des dents aiguisées », voyez la page Wikipédia du roman.

[3] La faute est intentionnelle, elle figure dans le texte original.

Crédits

  • photo Peter Sunde : Flickr.com/Share Conference/CC By SA 2.0
  • image : Gégé le Geektionnerd Generator – licence WTFPL-2.0



Vu à la télé : le lobbying de Microsoft à l’école dévoilé dans un documentaire

Alexis Kauffmann - Spécial Investigation - Canal+« Le logiciel libre, c’est la hantise des entreprises high-techs… »

Le 8 septembre a été diffusé sur Canal+ le documentaire « École du futur : la fin des profs ? » dans le cadre de l’émission Spécial Investigation. Il nous montre des expériences innovantes dans des classes en France et aux USA, s’intéresse aux marchés des manuels scolaires et accorde une large part à l’offre et aux stratégies commerciales de géants comme Apple ou Microsoft.

Pour avoir, ici-même sur le Framablog, souvent dénoncé des liens trop forts entre Microsoft et l’éducation au détriment de la nécessaire et légitime place à donner au Libre, j’ai été contacté par la réalisatrice Pascale Labout. Du coup j’apparais dans le documentaire (dont vous trouverez un extrait signifiant ci-dessous), tout comme la députée Isabelle Attard qui fait partie de ces trop rares politiques qui prennent le relais et interpellent les pouvoirs publics sur ces questions (le travail d’une structure comme l’April n’y étant pas pour rien).

Merci à la journaliste d’avoir estimé qu’il était important d’informer sur certaines pratiques un peu troubles, de questionner le ministère à ce sujet et d’accorder une place au logiciel libre dans son travail d’enquête.

Un extrait à voir et faire circuler si vous pensez comme nous que cela a assez duré.

Transcript

URL d’origine du document
Merci au groupe de travail transcriptions de l’April

Prof devant TBI : Vous ne voyez pas très bien, j’en suis navré. OK. Ces verbes sont au présent

Journaliste : La France entame aujourd’hui son virage numérique. Il va donc falloir acheter du matériel informatique : tablettes, ordinateurs, tableaux interactifs, mais aussi des logiciels éducatifs quasiment inexistants dans l’hexagone. Le marché anglo-saxon, en revanche, en déborde déjà. Nous sommes à Londres, au BETT, le salon des technologies de l’éducation. Tout le monde du numérique à l’école s’y est donné rendez-vous.

Des élèves anglais, en uniforme, chantent autour de tablettes.

Journaliste : On y retrouve madame Becchetti-Bizot, la toute nouvelle responsable du numérique au sein de l’Éducation nationale.

Intervenant : Je vous présente la société Education City.

Journaliste : Elle est venue découvrir ce qui pourrait demain équiper nos écoles.

Jamie Southerington, commercial d’Education City : Je voudrais vous montrer ce qu’on peut proposer en français. On a des activités pour les élèves de trois ans. Si vous avez un tableau blanc interactif dans vos classes, on a ce logiciel qui permet aux enfants d’apprendre l’alphabet en chantant. Voilà, il suffit d’appuyer là.

Catherine Becchetti-Bizot, responsable de la direction pour le numérique éducatif : Je suis très surprise par la richesse et la diversité de ce qui est proposé, par la vitalité des petites entreprises qui sont là et qui cherchent vraiment à s’adapter aux besoins de la communauté enseignante.

Journaliste : Aujourd’hui le ministère de l’Éducation nationale est prêt à fournir tous les enfants en tablettes ?

Madame Becchetti-Bizot : Le Ministère n’est pas prêt à acheter pour l’ensemble, ce serait impossible, vous imaginez le prix que ça représenterait ! En revanche il est prêt à nouer des partenariats, à imaginer des consortiums avec les collectivités et les entreprises, peut-être, peut-être ! Je ne sais pas si on va le faire, mais on va essayer de faire ça, pour qu’effectivement on puisse encourager, faciliter l’équipement.

Journaliste : Des partenariats qui font rêver les industriels car le marché à conquérir est énorme. Sur le plan mondial, il est estimé à 100 milliards d’euros et les prévisions de croissance donnent le tournis : plus de 1500 % pour les dix ans à venir.

Aujourd’hui le leader sur le marché de la tablette éducative, c’est Apple. Pourtant la marque n’a pas de stand officiel sur le salon, elle préfère mettre en avant ses partenaires fournisseurs de contenus, les fameux logiciels éducatifs.

Pourquoi la société Apple est-elle absente du salon ?

Mark Herman, directeur d’Albion : Parce qu’on n’a plus besoin d’expliquer ce qu’est un iPad. Tout le monde sait ce que c’est. En revanche on doit prendre les gens par la main et leur faire des démonstrations pour leur montrer le potentiel éducatif de nos logiciels. Ensuite ils pourront décider si ça les intéresse ou s’ils veulent acheter chez nos concurrents et c’est là qu’on est utile. On est là pour conseiller des écoles, pas pour leur forcer la main. Mais vous savez, dans les écoles qu’on a équipées, on a pu constater des changements incroyables et c’est une vraie motivation pour nous.

Journaliste : Pour les industriels, ces logiciels sont les meilleurs moyens d’attirer les clients dans leurs filets. Une fois achetés, vous devenez dépendants de leur système informatique. Dans la plupart des cas, votre logiciel Mac, n’est utilisable que par un ordinateur ou une tablette Mac. Idem pour les PC. Nous sommes allés voir l’autre géant du numérique, Microsoft. Pour découvrir leur stratégie de vente, ils nous invitent dans un showroom de logiciels et matériels éducatifs à Paris. Ce lieu a été baptisé la classe immersive.

Enseignante : Voilà. Vous vous asseyez par parterre, là.

Journaliste : Mis en place il y a deux ans au siège de l’entreprise, ici les profs et leurs élèves sont invités à découvrir l’école de demain selon Microsoft.

Robot Nao : Bonjour. Je suis Nao, un robot humanoïde. Je viens de la planète Saturne.

Journaliste : Ce jour-là, une prof à la retraite, engagée par la multinationale, nous fait une petite démonstration devant quelques cobayes.

Prof : Qu’est-ce que c’est ça ?

Enfants : C’est la terre.

Prof : Il va falloir écrire le nom des planètes. Vous prenez ce stylo,là, vous choisissez une couleur.

Journaliste : Le but : séduire les élèves et leurs profs pour vendre aux établissements scolaires une classe du futur, clefs en main.

Prof : On va aller sortir une image d’un livre.

Enfants : Oh ! De la lave et de la fumée !

Prof : Voilà, qui sort. Après ça sort d’où ?

Journaliste : L’homme qui a eu l’idée de showroom c’est Thierry de Vulpillières, le responsable éducation chez Microsoft France.

Thierry de Vulpillières, responsable éducation de Microsoft France : On est chez Microsoft. Notre sujet c’est d’aider la passion pour l’éducation des enseignants et des élèves. 55 % des enfants français s’ennuient à l’école. C’est dommage. Eh bien c’est parce qu’on va déplacer la façon d’enseigner et on va impliquer davantage les élèves que ces outils viennent naturellement s’insérer dans ce nouveau mode d’apprentissage. Ce qu’on souhaite c’est qu’effectivement l’ensemble des élèves puisse bénéficier du numérique. Moi je serais enchanté qu’il y ait 11 millions de tablettes entre les mains de chaque élève.

Journaliste : La difficulté pour Thierry de Vulpillières : la loi interdit de faire de la pub dans les écoles. Alors pour contourner le problème, Microsoft a trouvé une autre stratégie. Nous allons vous montrer comment, depuis des années, l’entreprise américaine noyaute l’Éducation nationale pour vendre ses produits. L’homme qui a découvert le pot aux roses, c’est Alexis Kauffmann, un professeur de mathématiques. En 2008 il se rend sur le site du forum des enseignants innovants, un forum, parrainé par l’Éducation nationale, où les profs présentent des projets pédagogiques. Alexis y découvre une photo qui l’intrigue, celle de cette petite fille asiatique assise dans une classe.

Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques : J’ai pu montrer que le site du premier forum des enseignants innovants utilisait les images qu’on retrouvait sur les sites officiels de Microsoft. On voit qu’ils ont un petit bâclé le travail, ils n’ont même pas pris le soin de maquiller, le soin de changer les images.

Journaliste : Ah si, ils l’ont renversée.

Alexis Kauffmann : C’est vrai ils l’ont renversée.

Journaliste : Alexis veut savoir pourquoi une photo de Microsoft se retrouve sur le site. Il découvre alors que la multinationale est à l’origine de ces forums et qu’elle continue de les financer en toute discrétion.

Nous nous sommes rendus au dernier forum des enseignants innovants. Cette année il se tient au Conseil régional d’Aquitaine. Dans le hall, des professeurs présentent leurs projets.

Enseignant : Il n’y a pas de classe, en fait, c’est un espace qui est totalement ouvert sur la vie. On sort dans la vie…

Journaliste : Sur l’estrade des représentants des professeurs, du Conseil régional et du ministère de l’Éducation nationale

Jean-Yves Capul, sous-directeur du développement numérique, Éducation nationale : La direction du numérique pour l’éducation a été voulue par le ministre comme une direction à vocation pédagogique. C’est la pédagogie et pas la technique qui est au cœur de cette direction, même si l’ambition était de réunir les deux aspects, la pédagogie et les systèmes d’information et la technologie.

Journaliste : Dans l’auditoire, au premier rang, assis derrière la plante, Thierry de Vulpillières, monsieur Microsoft. Alexis Kauffmann est venu lui demander plus de transparence sur l’implication financière de la multinationale dans le forum.

Alexis Kauffmann : Quelle est la somme allouée par Microsoft à ce type d’événement, par exemple ?

Thierry de Vulpillières : Moi je ne donne pas de chiffre. La somme est marginale aujourd’hui sur l’organisation de ce forum. Malheureusement. Je suis très content que tu me demandes…

Alexis Kauffmann : Puisque la première fois, Serge Pouts-Lajus avait lancé un chiffre, c’était quasiment 50 % du budget.

Thierry de Vulpillières : Je pense qu’on n’a jamais excédé les 50 %, mais effectivement on a été dans l’ordre de 50 %.

Alexis Kauffmann : C’est quand même assez fort !

Thierry de Vulpillières : Absolument ! Et on est très fier de soutenir cet événement-là.

Alexis Kauffmann : D’accord.

Journaliste : Thierry de Vulpillières n’en dira pas plus. Son parrainage reste discret. Certains professeurs n’en ont même pas connaissance.

C’est un événement qui est en grande partie financé par Microsoft. Ça vous inspire quoi ?

Christophe Viscogliosi, professeur d’économie : Ça je ne savais pas, déjà, d’une part. Et d’autre part ça aurait été mieux que l’Éducation nationale finance intégralement ce type de forum.

Journaliste : Pourquoi ?

Professeur d’économie : Il y a un risque de conflit d’intérêt. Je n’ai pas envie nécessairement d’être obligé d’utiliser les produits Microsoft en cours.

Journaliste : Thierry de Vulpillières est le seul industriel du monde numérique présent ici. De stand en stand, il entretient son réseau avec le corps enseignant.

Thierry de Vulpillières : Laurence Juin. Ce n’est pas son premier forum.

Laurence Juin, professeur de français : Non.

Thierry de Vulpillières : Et donc paradoxalement on a l’impression qu’on est dans un stand de travaux manuels. Vous voyez des fils et de la laine. C’est une enseignante qui a été une des premières enseignantes à utiliser Twitter.

Professeur de français : Twitter ça permet aux élèves de communiquer, c’est-à-dire qu’on est dans une salle de classe mais ça permet d’ouvrir. On a fait des projets de communication où on communiquait avec des hommes politiques, des écrivains, des journalistes. Des échanges courts, qui nous ont amenés à faire des projets plus larges, des rencontres, des écrits, des échanges.

Journaliste : Adepte d’Internet, l’enseignante devient une cible pour le représentant de Microsoft. Ce matin même il a offert dix tablettes à sa classe Professeur de français : On a la chance d’avoir quinze postes informatiques, ce n’est pas le cas tout le temps. On va peut-être avoir des tablettes.

Journaliste : Microsoft ?

Laurence Juin, professeur de français : Oui.

Thierry de Vulpillières : Les petites surfaces vont débarquer chez elle.

Professeur de français : Les bonnes nouvelles. Les forums permettent aussi ces échanges-là.

Journaliste : Dix tablettes offertes pour essayer d’emporter le marché dans un établissement de sept cents élèves. Microsoft a mis en place un lobby bien rodé avec le corps enseignant et sa hiérarchie. Nous avons pu récupérer cette invitation envoyée à certains fonctionnaires de l’Éducation nationale. L’académie de Paris les invite à découvrir l’innovation numérique au siège de Microsoft. Au programme la classe immersive. Souvenez-vous, le showroom de Microsoft, inventé pour faire la promo de la classe du futur. Pour Alexis Kauffmann c’est la neutralité de l’école qui est mise à mal.

Alexis Kauffmann : Ce qui est scandaleux c’est qu’une journée académique d’information, formation, étude, autour du numérique se retrouve chez Microsoft. Elle n’a absolument rien à faire chez Microsoft, tout simplement. Est-ce qu’on imagine le ministère de l’Agriculture organiser ses journées d’étude chez Monsanto par exemple ? Non !

Journaliste : Nous sommes allés présenter l’invitation à la nouvelle directrice du numérique éducatif.

Le 28 mai il y avait l’académie de Paris qui organisait une journée sur l’innovation au siège de Microsoft.

Catherine Becchetti-Bizot : Oui, effectivement, le rectorat de Paris a fait cette manifestation au siège de Microsoft.

Journaliste : Vous ne trouvez pas que ça fait un peu beaucoup, il y a peut-être une collusion d’intérêt.

Catherine Becchetti-Bizot : Effectivement, moi je l’ai découvert le jour même.

Journaliste : Vous y étiez ?

Catherine Becchetti-Bizot : Ah je n’y étais pas ! Je n’y serais pas allée, parce que je pense que là on une confusion des genres. Je ne désapprouve pas le recteur, je pense qu’il y a une forme de naïveté, qu’il n’y avait pas la volonté de promouvoir Microsoft. Journaliste : Mais vous êtes contre ?

Catherine Becchetti-Bizot : Je ne suis ni pour ni contre. Je pense que ça n’est pas du tout une politique du ministère de l’Éducation nationale que d’organiser, avec Microsoft en particulier, des choses de ce type-là, et qu’il faudra cadrer effectivement. Ça fait d’ailleurs partie des projets immédiats que j’ai en ouvrant cette direction, c’est de cadrer clairement nos partenariats avec les entreprises.

Journaliste : Les multinationales ont des lobbies puissants et rien ne semble les arrêter dans leur conquête de l’école du futur. Récemment ils se sont attaqués à un amendement de la loi de refondation de l’école. L’amendement proposait que notre école utilise en priorité les logiciels libres. Les logiciels libres c’est la hantise des entreprises high-tech. Ils peuvent être créés, partagés, et modifiés par n’importe qui et ils sont presque toujours gratuits. Un système qui vient concurrencer les géants du numérique. C’est la députée écologiste Isabelle Attard qui propose à l’Assemblée cet amendement en faveur des logiciels libres.

Isabelle Attard, députée du Calvados : Cet amendement a été entièrement validé par la Commission culture et éducation en première lecture à l’Assemblée, au Sénat également. Et lorsque le texte revient en deuxième lecture à l’Assemblée, on s’aperçoit que le syndicat du secteur du numérique, le Syntec, vient d’envoyer un communiqué de presse qui alerte, justement sur cette amendement accepté par l’Assemblée et le Sénat, sur la loi refondation de l’école.

Journaliste : Voici ce communiqué du syndicat des entreprises du numérique. Un communiqué très alarmiste : « Ces dispositions handicaperont gravement la plupart des entreprises déjà présentes sur cette filière ». Il a été envoyé à la presse, à tous les députés et au ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Vincent Peillon. Alors que l’amendement d’Isabelle Attard aurait permis à l’État de faire des économies importantes, Vincent Peillon recule.

Comment vous expliquez cette situation ?

Isabelle Attard : Parce qu’il y a un lobby et une pression incroyable de la part des plus gros éditeurs de logiciels propriétaires et, comme je le disais, Microsoft est le plus gros.

Journaliste : Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre l’ancien ministre pour qu’il nous explique sa marche arrière. Il a refusé.

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Alexis Kauffmann