Désinformation, le rapport – 2

La traduction suivante est la suite et la continuation du travail entamé la semaine dernière sur le long rapport final élaboré par le comité « Digital, Culture, Media and Sport » du Parlement britannique, publié le 14 février dernier, sur la désinformation et la mésinformation.

Il s’agit cette fois de poser le décor. Participants, méthodes de travail, acteurs audités. Une bonne mise en bouche qui vous rendra impatient⋅e de lire les articles suivants.

Le groupe Framalang a en effet entrepris de vous communiquer l’intégralité du rapport en feuilleton suivant l’avancement de la traduction.

Vous trouverez le texte intégral en suivant ce lien vers le PDF original (3,8 Mo).

La traduction est effectuée par le groupe Framalang, avec l’aide de toutes celles et ceux qui veulent bien participer et pour cet opus :
Lumibd, maximefolschette, Alio, wazabyl, Khrys, serici, Barbara + 1 anonyme

Introduction et contexte

1. Le Rapport Provisoire du Comité DCMS, « Désinformation et infox », a été publié en juillet 2018 1. Depuis l’été 2018, le Comité a tenu trois audiences supplémentaires pour y entendre témoigner les organismes de réglementation du Royaume-Uni et le gouvernement, et nous avons reçu 23 autres témoignages écrits 2. Nous avons également tenu un “International Grand Commitee”3 en novembre 2018, auquel ont participé des parlementaires de neuf pays : Argentine, Belgique, Brésil, Canada, France, Irlande, Lettonie, Singapour et Royaume-Uni.

2. Notre longue enquête sur la désinformation et la mésinformation a mis en lumière le fait que les définitions dans ce domaine sont importantes. Nous avons même changé le titre de notre enquête de « infox » à « désinformation et infox », car le terme “infox” a développé sa propre signification très connotée. Comme nous l’avons dit dans notre rapport préliminaire les “infox” ont été utilisées pour décrire un contenu qu’un lecteur pourrait ne pas aimer ou désapprouver. Le président américain Donald Trump a qualifié certains médias de « faux médias d’information » et d’être « les véritables ennemis du peuple »4.

3. Nous sommes donc heureux que le gouvernement ait accepté les recommandations de notre rapport provisoire et, au lieu d’utiliser l’expression “infox”, il utilise l’expression « désinformation » pour décrire « la création et le partage délibérés de renseignements faux ou manipulés qui visent à tromper et à induire en erreur le public, soit dans le but de nuire, soit pour leur procurer un avantage politique, personnel ou financier »5.

4. Ce rapport final s’appuie sur les principales questions mises en évidence dans les sept domaines couverts dans le rapport provisoire : la définition, le rôle et les responsabilités juridiques des plateformes de médias sociaux ; le mauvais usage des données et le ciblage, fondé sur les allégations Facebook, Cambridge Analytica et Aggregate IQ (AIQ), incluant les preuves issues des documents que nous avons obtenus auprès de Six 4 Three à propos de la connaissance de Facebook de donnés de partages et sa participation dans le partage de données ; les campagnes électorales ; l’influence russe dans les élections étrangères l’influence des SCL dans les élections étrangères; et la culture numérique. Nous intégrons également les analyses réalisées par la société de conseil 89up, les données litigieuses relatives à la base de données AIQ que nous avons reçues de Chris Vickery.

5. Dans le présent rapport final, nous nous appuyons sur les recommandations fondées sur des principes formulés dans le rapport provisoire. Nous avons hâte d’entendre la réponse du gouvernement à ces recommandations d’ici deux mois. Nous espérons que cette réponse sera beaucoup plus complète, pratique et constructive que leur réponse au rapport provisoire publié en octobre 2018. 6 Plusieurs de nos recommandations n’ont pas reçu de réponse substantielle et il est maintenant urgent que le gouvernement y réponde. Nous sommes heureux que le Secrétaire d’État, le très honorable député Jeremy Wright, ait décrit nos échanges comme faisant partie d’un « processus itératif » et que ce rapport soit « très utile, franchement, pour pouvoir alimenter nos conclusions futures avant la rédaction du Livre Blanc » et que nos opinions fassent partie des considérations du gouvernement. 7 Nous attendons avec impatience le livre blanc du gouvernement dénommé Online Harms, rédigé par le Ministère du Numérique, de la Culture, des Médias et des Sports et le Ministère de l’Intérieur, qui sera publié au début de 2019, et qui abordera les questions des préjudices en ligne, y compris la désinformation. 8 Nous avons réitéré plusieurs des recommandations figurant dans notre rapport provisoire, demeurées sans réponse de la part du gouvernement auxquelles le gouvernement n’a pas répondu. Nous présumons et nous nous espérons que le gouvernement réponde à la fois aux recommandations du présent rapport final et à celles du rapport provisoire restées sans réponse.

6. Ce rapport final est le fruit de plusieurs mois de collaboration avec d’autres pays, organisations, parlementaires et particuliers du monde entier. Au total, le Comité a tenu 23 séances d’audiences, reçu plus de 170 mémoires écrits, entendu 73 témoins, posé plus de 4 350 questions lors de ces audiences et eu de nombreux échanges de correspondance publique et privée avec des particuliers et des organisations.

7. Il s’agit d’une enquête collaborative, dans le but de s’attaquer aux questions techniques, politiques et philosophiques complexes qui sont en jeu et de trouver des solutions pratiques à ces questions. Comme nous l’avons fait dans notre rapport provisoire, nous remercions les nombreuses personnes et entreprises, tant nationales qu’internationales, y compris nos collègues et associés en Amérique, d’avoir bien voulu nous partager leurs opinions et informations. 9

8. Nous aimerions également souligner le travail réalisé par d’autres parlementaires qui se sont penchés sur des questions semblables en même temps que notre enquête. Le Comité permanent canadien de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique a publié en décembre 2018 un rapport intitulé « Démocratie menacée : risques et solutions à l’ère de la désinformation et du monopole des données » 10 . Ce rapport souligne l’étude du Comité canadien sur la violation des données personnelles impliquant Cambridge Analytica et Facebook, et les questions concernant plus largement l’utilisation faite des données personnelles par les média sociaux et leur responsabilité dans la diffusion d’information dites fake news ou dans la désinformation . Leurs recommandations concordent avec bon nombre des nôtres dans le présent rapport.

9. La commission du Sénat américain sur le renseignement mène actuellement une enquête sur l’ampleur de l’ingérence de la Russie dans les élections américaines de 2016. Grâce à l’ensemble des données fournis par Facebook, Twitter et Google au Comité du renseignement, sous la direction de son groupe de conseillers techniques, deux rapports tiers ont été publiés en décembre 2018. New Knowledge , une société travaillant sur l’intégrité de l’information, a publié “The Tactics and Tropes of the Internet Research Agency” (La stratégie et la rhétorique de l’agence de renseignement sur internet), qui met en lumière les tactiques et les messages utilisés par ladite agence pour manipuler et influencer les américains, rapport qui inclus un ensemble de présentations, des statistiques éclairantes, des infographies et un présentation thématique de mèmes 11. The Computational Propaganda Research Project (Le projet de recherche sur la propagande informatique) et Graphikap ont publié le second rapport, qui porte sur les activités de comptes connus de l’Internet Research Agency, utilisant Facebook, Instagram, Twitter et YouTube entre 2013 et 2018, afin d’influencer les utilisateurs américains 12. Ces deux rapports seront intégrés au rapport du Comité du renseignement en 2019.

10. La réunion du Grand Comité International qui s’est tenue en novembre 2018 a été le point culminant de ce travail collaboratif. Ce Grand Comité International était composé de 24 représentants démocratiquement élus de neuf pays, incluant 11 membres du Comité du DCMS, qui représentent au total 447 millions de personnes. Les représentants ont signé un ensemble de principes internationaux lors de cette réunion. 13 Nous avons échangé des idées et des solutions en privé et en public, et nous avons tenu une séance de témoignage oral de sept heures. Nous avons invité Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, l’entreprise de média social qui compte plus de 2,25 milliards d’utilisateurs et qui a réalisé un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars en 2017, à témoigner devant nous et devant ce Comité ; il a choisi de refuser, par trois fois14. Cependant, dans les 4 heures qui ont suivi la publication des documents obtenus auprès de Six4Three – concernant la connaissance et la participation au partage de données par Facebook, M. Zuckerberg a répondu par un message sur sa page Facebook 15. Nous remercions nos collègues du “International Grand Commitee” pour leur participation à cette importante session, et nous espérons pouvoir continuer notre collaboration cette année.

 




Désinformation, le rapport – 1

La traduction suivante est la brève présentation initiale du long rapport final élaboré par le comité « Digital, Culture, Media and Sport » du Parlement britannique, publié le 14 février dernier, sur la désinformation.

Ce rapport interpelle les plus hauts responsables politiques du Royaume-Uni sur de nombreux sujets d’actualité qu’il aborde sans concessions :

  • Le profilage et l’utilisation des données d’utilisateur de service
  • La non-régulation des géants d’Internet dont Facebook
  • Les scandales liés au Brexit, Aggregate IQ, SCL et Cambridge Analytica
  • Les publicités politiques et la manipulation d’élections
  • La campagne de désinformation de la Russie
  • Les lacunes des citoyens dans leurs pratiques et compétences numériques, voire leur illectronisme.

Le groupe Framalang a entrepris de vous communiquer l’intégralité du rapport en feuilleton suivant l’avancement de la traduction.

Vous trouverez le texte intégral en suivant ce lien vers le PDF original (3,8 Mo) : https://publications.parliament.uk/pa/cm201719/cmselect/cmcumeds/1791/1791.pdf

La traduction est effectuée par le groupe Framalang, avec l’aide de toutes celles et ceux qui qui veulent bien participer : Penguin, Lumibd, goofy, maximefolschette, Maestox, Mika, Khrys, serici, Barbara, Cyrilus, simon

Page de couverture du rapport des Commons britanniques sur la désinformation.
Page de couverture du rapport des Commons britanniques sur la désinformation.

Résumé

Voici le rapport final d’une enquête sur la désinformation qui s’est étalée sur 18 mois. Elle couvre les droits des individus concernant leur vie privée, la manière dont leurs choix politiques peuvent être influencés par l’information en ligne et l’ingérence dans les scrutins politiques, tant au Royaume-Uni que dans le monde, animée par des forces malveillantes qui sèment la confusion et la discorde.

Nous nous sommes appuyés sur les pouvoirs du système de Comités, en exigeant des preuves et en obtenant des documents sous scellés dans les systèmes juridiques d’autres pays. Nous avons invité les représentants démocratiquement élus de huit autres pays à rejoindre notre comité au Royaume-Uni afin de créer un « Grand Comité international », le premier du genre, pour promouvoir davantage de coopération transnationale et endiguer la diffusion de la désinformation et sa capacité pernicieuse à dénaturer, perturber et déstabiliser. Au travers de cette enquête nous avons bénéficié de la coopération d’autres parlements. Ce travail est continu, avec de nouvelles sessions planifiées en 2019. Il s’agit de mettre en avant une volonté d’agir à l’échelle mondiale pour s’attaquer à des problématiques similaires à celles que nous avons identifiées dans d’autres juridictions.

C’est le rapport final de notre enquête, mais ce ne sera pas notre dernier mot.

Nous avons toujours connu la propagande et les préjugés politiques, qui se targuent d’être de l’information, mais cette activité a pris de nouvelles formes et a été grandement amplifiée par les technologies de l’information et l’omniprésence des réseaux sociaux. Dans cet environnement, les utilisateurs acceptent et accordent du crédit aux informations qui confortent leur point de vue, même si elles sont déformées ou fausses, tout en rejetant le contenu contradictoire comme des fake news. Cela a un effet de polarisation qui réduit la base commune de faits objectifs sur laquelle un débat raisonné peut s’appuyer. On a beaucoup parlé de la grossièreté du débat public mais lorsque ces éléments interfèrent directement avec les processus électoraux, les fondements mêmes de notre démocratie se trouvent menacés.

Il est peu probable que la situation change. Une évolution nécessaire serait la mise en application d’une plus grande transparence dans la sphère numérique, afin de s’assurer de connaître la source de ce que nous sommes en train de lire, de savoir qui a payé pour cela et pourquoi cette information nous a été envoyée.

Nous avons besoin de comprendre comment les géants de l’Internet travaillent et ce qu’il advient de nos données. Facebook opère sa surveillance à la fois sur ceux qui l’utilisent et sur ceux qui ne l’utilisent pas, en pistant leurs activités et en conservant leurs données. Cette entreprise gagne de l’argent en vendant l’accès aux données de ses utilisateurs à travers ses outils à visée publicitaire. Elle accroît davantage encore sa valeur via un échange de données réciproque et global avec des développeurs d’applications majeures qui font leurs affaires à travers la plateforme de Facebook.

Pendant ce temps, parmi les innombrables messages inoffensifs avec des photos de vacances ou d’anniversaires, des forces malveillantes utilisent Facebook pour menacer et harceler, pour divulguer des images intimes par représailles, pour répandre des propos haineux et de propagande de toute sorte ainsi que pour influencer des élections et des processus démocratiques, autant de choses que Facebook, et les autres réseaux sociaux, ne veulent pas ou ne peuvent pas enrayer. Nous devons appliquer les principes démocratiques universels aux outils de l’ère numérique.

Les géants de l’Internet ne doivent pas être autorisés à croître exponentiellement, sans contrainte ni surveillance réglementaire appropriée. Mais seuls les gouvernements et les lois sont suffisamment puissants pour les y contraindre. Les outils législatifs existent déjà. Il faut maintenant les appliquer au numérique à l’aide d’outils tels que les lois sur la protection de la vie privée, les lois sur la protection des données, les lois antitrust et les lois sur le droit de la concurrence.

Si les entreprises deviennent des monopoles, elles peuvent être démantelées, dans n’importe quel domaine. Le traitement des données personnelles par Facebook et leur utilisation dans le cadre de campagnes politiques sont les domaines primordiaux que les organismes de réglementation doivent légitimement inspecter. Facebook ne devrait pas être en mesure de se soustraire à toute responsabilité éditoriale pour les contenus partagés par ses utilisateurs sur ses plateformes.

Dans une démocratie, nous devons faire l’expérience de la pluralité des voix et, surtout, posséder les compétences, l’expérience et les connaissances nécessaires pour évaluer la véracité de ces voix. Bien qu’Internet ait apporté de nombreuses libertés dans le monde entier et une capacité de communication sans précédent, il comporte également la capacité insidieuse de déformer, d’induire en erreur et de produire haine et instabilité. Il fonctionne à une échelle et à une vitesse sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

L’un des témoins à notre enquête, Tristan Harris, du Center for Humane Technology, basé aux États-Unis, décrit l’utilisation actuelle de la technologie comme un « détournement de nos esprits et de notre société ». Nous devons plutôt utiliser la technologie pour libérer nos esprits et recourir à la réglementation pour rétablir la responsabilité démocratique. Nous devons nous assurer que les humains restent aux commandes des machines.




La Fée diverse déploie ses ailes

Il n’est pas si fréquent que l’équipe Framalang traduise un article depuis la langue italienne, mais la récapitulation bien documentée de Cagizero était une bonne occasion de faire le point sur l’expansion de la Fediverse, un phénomène dont nous nous réjouissons et que nous souhaitons voir gagner plus d’amplitude encore, tant mieux si l’article ci-dessous est très lacunaire dans un an !

Article original : Mastodon, il Fediverso ed il futuro decentrato delle reti sociali

Traduction Framalang : alainmi, Ezelty, goofy, MO

Mastodon, la Fediverse et l’avenir des réseaux décentralisés

par Cagizero

Peu de temps après une première vue d’ensemble de Mastodon il est déjà possible d’ajouter quelques observations nouvelles.

Tout d’abord, il faut noter que plusieurs personnes familières de l’usage des principaux médias sociaux commerciaux (Facebook, Twitter, Instagram…) sont d’abord désorientées par les concepts de « décentralisation » et de « réseau fédéré ».

En effet, l’idée des médias sociaux qui est répandue et bien ancrée dans les esprits est celle d’un lieu unique, indifférencié, monolithique, avec des règles et des mécanismes strictement identiques pour tous. Essentiellement, le fait même de pouvoir concevoir un univers d’instances séparées et indépendantes représente pour beaucoup de gens un changement de paradigme qui n’est pas immédiatement compréhensible.

Dans un article précédent où était décrit le média social Mastodon, le concept d’instance fédérée était comparé à un réseau de clubs ou cercles privés associés entre eux.

Certains aspects exposés dans l’article précédent demandent peut-être quelques éclaircissements supplémentaires pour celles et ceux qui abordent tout juste le concept de réseau fédéré.

1. On ne s’inscrit pas « sur Mastodon », mais on s’inscrit à une instance de Mastodon ! La comparaison avec un club ou un cercle s’avère ici bien pratique : adhérer à un cercle permet d’entrer en contact avec tous ceux et celles qui font partie du même réseau : on ne s’inscrit pas à une plateforme, mais on s’inscrit à l’un des clubs de la plateforme qui, avec les autres clubs, constituent le réseau. La plateforme est un logiciel, c’est une chose qui n’existe que virtuellement, alors qu’une instance qui utilise une telle plateforme en est l’aspect réel, matériel. C’est un serveur qui est physiquement situé quelque part, géré par des gens en chair et en os qui l’administrent. Vous vous inscrivez donc à une instance et ensuite vous entrez en contact avec les autres.

2. Les diverses instances ont la possibilité technique d’entrer en contact les unes avec les autres mais ce n’est pas nécessairement le cas. Supposons par exemple qu’il existe une instance qui regroupe 500 utilisateurs et utilisatrices passionné⋅e⋅s de littérature, et qui s’intitule mastodon.litterature : ces personnes se connaissent précisément parce en tant que membres de la même instance et chacun⋅e reçoit les messages publics de tous les autres membres.
Eh bien, chacun d’entre eux aura probablement aussi d’autres contacts avec des utilisateurs enregistrés sur difFerentes instances (nous avons tous des ami⋅e⋅s qui ne font pas partie de notre « cercle restreint », n’est-ce pas ?). Si chacun des 500 membres de maston.litterature suit par exemple 10 membres d’une autre instance, mastodon.litterature aurait un réseau local de 500 utilisateurs, mais aussi un réseau fédéré de 5000 utilisateurs !
Bien. Supposons que parmi ces 5000 il n’y ait même pas un seul membre de l’instance japonaise japan.nuclear.physics dont le thème est la physique nucléaire : cette autre instance pourrait avoir peut-être 800 membres et avoir un réseau fédéré de plus de 8000 membres, mais si entre les réseaux « littérature » et « physique nucléaire » il n’y avait pas un seul ami en commun, ses membres ne pourraient en théorie jamais se contacter entre eux.
En réalité, d’après la loi des grands nombres, il est assez rare que des instances d’une certaine taille n’entrent jamais en contact les unes avec les autres, mais l’exemple sert à comprendre les mécanismes sur lesquels repose un réseau fédéré (ce qui, en se basant justement sur la loi des grands nombres et les principes des degrés de séparation, confirme au contraire l’hypothèse que plus le réseau est grand, moins les utilisateurs et instances seront isolés sur une seule instance).

3. Chaque instance peut décider volontairement de ne pas entrer en contact avec une autre, sur la base des choix, des règles et politiques internes qui lui sont propres. Ce point est évidemment peu compris des différents commentateurs qui ne parviennent pas à sortir de l’idée du « réseau social monolithique ». S’il y avait sur Mastodon une forte concentration de suprémacistes blancs en deuil de Gab, ou de blogueurs porno en deuil de Tumblr, cela ne signifie pas que ce serait l’ensemble du réseau social appelé Mastodon qui deviendrait un « réseau social pour suprémacistes blancs et porno », mais seulement quelques instances qui n’entreraient probablement jamais en contact avec des instances antifascistes ou ultra-religieuses. Comme il est difficile de faire comprendre un tel concept, il est également difficile de faire comprendre les potentialités d’une structure de ce type. Dans un réseau fédéré, une fois donnée la possibilité technique d’interagir entre instances et utilisateurs, chaque instance et chaque utilisateur peut ensuite choisir de façon indépendante l’utilisation qui en sera faite.

Supposons qu’il existe par exemple :

  • Une instance écologiste, créée, maintenue et soutenue financièrement par un groupe de passionnés qui veulent avoir un lieu où échanger sur la nature et l’écologie, qui pose comme principe qu’on n’y poste ni liens externes ni images pornographiques.
  • Une instance commerciale, créée par une petite entreprise qui dispose d’un bon serveur et d’une bande passante très confortable, et celui ou celle qui s’y inscrit en payant respecte les règles fixées auparavant par l’entreprise elle-même.
  • Une instance sociale, créée par un centre social et dont les utilisateurs sont surtout les personnes qui fréquentent ledit centre et se connaissent aussi personnellement.
  • Une instance vidéoludique, qui était à l’origine une instance interne des employés d’une entreprise de technologie mais qui dans les faits est ouverte à quiconque s’intéresse aux jeux vidéos.

Avec ce scénario à quatre instances, on peut déjà décrire quelques interactions intéressantes : l’instance écologiste pourrait consulter ses utilisateurs et utilisatrices et décider de bannir l’instance commerciale au motif qu’on y diffuse largement une culture contraire à l’écologie, tandis que l’instance sociale pourrait au contraire maintenir le lien avec l’instance commerciale tout en choisissant préventivement de la rendre muette dans son propre fil, laissant le choix personnel à ses membres d’entrer ou non en contact avec les membres de l’instance commerciale. Cependant, l’instance sociale pourrait bannir l’instance de jeu vidéo à cause de la mentalité réactionnaire d’une grande partie de ses membres.

En somme, les contacts « insupportables/inacceptables » sont spontanément limités par les instances sur la base de leurs différentes politiques. Ici, le cadre d’ensemble commence à devenir très complexe, mais il suffit de l’observer depuis une seule instance, la nôtre, pour en comprendre les avantages : les instances qui accueillent des trolls, des agitateurs et des gens avec qui on n’arrive vraiment pas à discuter, nous les avons bannies, alors que celles avec lesquelles on n’avait pas beaucoup d’affinités mais pas non plus de motif de haine, nous les avons rendues muettes. Ainsi, si quelqu’un parmi nous veut les suivre, il n’y a pas de problème, mais ce sera son choix personnel.

4. Chaque utilisateur peut décider de rendre muets d’autres utilisateurs, mais aussi des instances entières. Si vous voulez particulièrement éviter les contenus diffusés par les utilisateurs et utilisatrices d’une certaine instance qui n’est cependant pas bannie par l’instance qui vous accueille (mettons que votre instance ne ferme pas la porte à une instance appelée meme.videogamez.lulz, dont la communauté tolère des comportements excessifs et une ambiance de moquerie  lourde que certains trouvent néanmoins amusante), vous êtes libres de la rendre muette pour vous seulement. En principe, en présence de groupes d’utilisateurs indésirables venant d’une même instance/communauté, il est possible de bloquer plusieurs dizaines ou centaines d’utilisateurs à la fois en bloquant (pour vous) l’instance entière. Si votre instance n’avait pas un accord unanime sur la manière de traiter une autre instance, vous pourriez facilement laisser le choix aux abonnés qui disposent encore de ce puissant outil. Une instance peut également choisir de modérer seulement ses utilisateurs ou de ne rien modérer du tout, laissant chaque utilisateur complètement libre de faire taire ou d’interdire qui il veut sans jamais interférer ou imposer sa propre éthique.

La Fediverse

symbole coloré de la fédération, comme un hexagone dont chaque sommet est relié aux autres, en étoile.
logo de la Fediverse

 

Maintenant que nous nous sommes mieux concentrés sur ces aspects, nous pouvons passer à l’étape suivante. Comme déjà mentionné dans le post précédent, Mastodon fait partie de quelque chose de plus vaste appelé la Fediverse (Fédération + Univers).

En gros, Mastodon est un réseau fédéré qui utilise certains outils de communication (il existe plusieurs protocoles mais les principaux sont ActivityPub, Ostatus et Diaspora*, chacun ayant ses avantages, ses inconvénients, ses partisans et ses détracteurs), utilisés aussi par et d’autres réalités fédérées (réseaux sociaux, plateformes de blogs, etc.) qui les mettent en contact pour former une galaxie unique de réseaux fédérés.

Pour vous donner une idée, c’est comme si Mastodon était un système planétaire qui tourne autour d’une étoile (Mastodon est l’étoile et chaque instance est une planète), cependant ce système planétaire fait partie d’un univers dans lequel existent de nombreux systèmes planétaires tous différents mais qui communiquent les uns avec les autres.

Toutes les planètes d’un système planétaire donné (les instances, comme des « clubs ») tournent autour d’un soleil commun (la plate-forme logicielle). L’utilisateur peut choisir la planète qu’il préfère mais il ne peut pas se poser sur le soleil : on ne s’inscrit pas à la plateforme, mais on s’inscrit à l’un des clubs qui, avec tous les autres, forme le réseau.

Dans cet univers, Mastodon est tout simplement le « système planétaire » le plus grand (celui qui a le plus de succès et qui compte le plus grand nombre d’utilisateurs) mais il n’est pas certain qu’il en sera toujours ainsi : d’autres « systèmes planétaires » se renforcent et grandissent.

[NB : chaque plate-forme évoquée ici utilise ses propres noms pour définir les serveurs indépendants sur lesquels elle est hébergée. Mastodon les appelle instances, Hubzilla les appelle hubs et Diaspora* les appelle pods. Toutefois, par souci de simplicité et de cohérence avec l’article précédent, seul le terme « instance » sera utilisé pour tous dans l’article]

La structure d’ensemble de la Fediverse

Les interactions de Mastodon avec les autres médias

Sur Kumu.io on peut trouver une représentation interactive de la Fediverse telle qu’elle apparaît actuellement. Chaque « nœud » représente un réseau différent (ou « système planétaire »). Ce sont les différentes plateformes qui composent la fédération. Mastodon n’est que l’une d’entre elles, la plus grande, en bas au fond. Sur la capture d’écran qui illustre l’article, Mastodon est en bas.

En sélectionnant Mastodon il est possible de voir avec quels autres médias ou systèmes de la Fediverse il est en mesure d’interagir. Comme on peut le voir, il interagit avec la plupart des autres médias mais pas tout à fait avec tous.

Les interactions de Gnu social avec les autres médias

En sélectionnant un autre réseau social comme GNU Social, on observe qu’il a différentes interactions : il en partage la majeure partie avec Mastodon mais il en a quelques-unes en plus et d’autres en moins.

Cela dépend principalement du type d’outils de communication (protocoles) que chaque média particulier utilise. Un média peut également utiliser plus d’un protocole pour avoir le plus grand nombre d’interactions, mais cela rend évidemment leur gestion plus complexe. C’est, par exemple, la voie choisie par Friendica et GNU Social.

En raison des différents protocoles utilisés, certains médias ne peuvent donc pas interagir avec tous les autres. Le cas le plus important est celui de Diaspora*, qui utilise son propre protocole (appelé lui aussi Diaspora), qui ne peut interagir qu’avec Friendica et Gnu Social mais pas avec des médias qui reposent sur ActivityPub tels que Mastodon.

Au sein de la Fediverse, les choses sont cependant en constante évolution et l’image qui vient d’être montrée pourrait avoir besoin d’être mise à jour prochainement. En ce moment, la plupart des réseaux semblent s’orienter vers l’adoption d’ActivityPub comme outil unique. Ce ne serait pas mal du tout d’avoir un seul protocole de communication qui permette vraiment tout type de connexion !

Mais revenons un instant à l’image des systèmes planétaires. Kumu.io montre les connexions techniquement possibles entre tous les « systèmes planétaires » et, pour ce faire, relie génériquement les différents soleils. Mais comme nous l’avons bien vu, les vraies connexions ont lieu entre les planètes et non entre les soleils ! Une carte des étoiles montrant les connexions réelles devrait montrer pour chaque planète (c’est-à-dire chaque « moustache » des nœuds de Kum.io), des dizaines ou des centaines de lignes de connexion avec autant de planètes/moustaches, à la fois entre instances de sa plateforme et entre instances de différentes plateformes ! La quantité et la complexité des connexions, comme on peut l’imaginer, formeraient un enchevêtrement qui donnerait mal à la tête serait graphiquement illisible. Le simple fait de l’imaginer donne une idée de la quantité et de la complexité des connexions possibles.

Et cela ne s’arrête pas là : chaque planète peut établir ou interrompre ses contacts avec les autres planètes de son système solaire (c’est-à-dire que l’instance Mastodon A peut décider de ne pas avoir de contact avec l’instance Mastodon B), et de la même manière elle peut établir ou interrompre les contacts avec des planètes de différents systèmes solaires (l’instance Mastodon A peut établir ou interrompre des contacts avec l’instance Pleroma B). Pour donner un exemple radical, nous pouvons supposer que nous avons des cousins qui sont des crétins, mais d’authentiques crétins, que nous avons chassés de notre planète (mastodon.terre) et qu’ensuite ils ont construit leur propre instance (mastodon.saturne) dans notre voisinage parce que ben, ils aiment bien notre soleil « Mastodon ». Nous décidons de nous ignorer les uns les autres tout de suite. Ces cousins, cependant, sont tellement crétins que même nos parents et amis proches des planètes voisines (mastodon.jupiter, mastodon.venus, etc.) ignorent les cousins crétins de mastodon.saturne.

Aucune planète du système Mastodon ne les supporte. Les cousins, cependant, ne sont pas entièrement sans relations et, au contraire, ils ont beaucoup de contacts avec les planètes d’autres systèmes solaires. Par exemple, ils sont en contact avec certaines planètes du système planétaire PeeeTube: peertube.10287, peertube.chatons, peertube.anime, mais aussi avec pleroma.pizza du système Pleroma et friendica.jardinage du système Friendica. En fait, les cousins crétins sont d’accord pour vivre sur leur propre petite planète dans le système Mastodon, mais préfèrent avoir des contacts avec des planètes de systèmes différents.

Nous qui sommes sur mastodon.terre, nous ne nous soucions pas moins des planètes qui leur sont complaisantes : ce sont des crétins tout autant que nos cousins et nous les avons bloquées aussi. Sauf un. Sur pleroma.pizza, nous avons quelques ami⋅e⋅s qui sont aussi des ami⋅e⋅s de certains cousins crétins de mastodon.saturne. Mais ce n’est pas un problème. Oh que non ! Nous avons des connexions interstellaires et nous devrions nous inquiéter d’une chose pareille ? Pas du tout ! Le blocage que nous avons activé sur mastodon.saturne est une sorte de barrière énergétique qui fonctionne dans tout le cosmos ! Si nous étions impliqués dans une conversation entre un ami de pleroma.pizza et un cousin de mastodon.saturne, simplement, ce dernier ne verrait pas ce qui sort de notre clavier et nous ne verrions pas ce qui sort du sien. Chacun d’eux saura que l’autre est là, mais aucun d’eux ne pourra jamais lire l’autre. Bien sûr, nous pourrions déduire quelque chose de ce que notre ami commun de pleroma.pizza dira, mais bon, qu’est-ce qu’on peut en espérer ? 😉

Cette image peut donner une idée de la façon dont les instances (planètes) se connectent entre elles. Si l’on considère qu’il existe des milliers d’instances connues de la Fediverse, on peut imaginer la complexité de l’image. Un aspect intéressant est le fait que les connexions entre une instance et une autre ne dépendent pas de la plateforme utilisée. Sur l’image on peut voir l’instance mastodon.mercure : c’est une instance assez isolée par rapport au réseau d’instances Mastodon, dont les seuls contacts sont mastodon.neptune, peertube.chatons et pleroma.pizza. Rien n’empêche mastodon.mercure de prendre connaissance de toutes les autres instances de Mastodon non par des échanges de messages avec mastodon.neptune, mais par des commentaires sur les vidéos de peertube.chatons. En fait, c’est d’autant plus probable que mastodon.neptune n’est en contact qu’avec trois autres instances Mastodon, alors que peertube.chatons est en contact avec toutes les instances Mastodon.

Essayer d’imaginer comment les différentes instances de cette image qui « ne se connaissent pas » peuvent entrer en contact nous permet d’avoir une idée plus précise du niveau de complexité qui peut être atteint. Dans un système assez grand, avec un grand nombre d’utilisateurs et d’instances, isoler une partie de celui-ci ne compromettra en aucune façon la richesse des connexions possibles.
Une fois toutes les connexions possibles créées, il est également possible de réaliser une expérience différente, c’est-à-dire d’imaginer interrompre des connexions jusqu’à la formation de deux ou plusieurs réseaux parfaitement séparés, contenant chacune des instances Mastodon, Pleroma et Peertube.

Et pour ajouter encore un degré de complexité, on peut faire encore une autre expérience, en raisonnant non plus à l’échelle des instances mais à celle des utilisateurs⋅rices individuel⋅le⋅s des instances (faire l’hypothèse de cinq utilisateurs⋅rices par instance pourrait suffire pour recréer les différentes situations). Quelques cas qu’on peut imaginer :

1) Nous sommes sur une instance de Mastodon et l’utilisatrice Anna vient de découvrir par le commentaire d’une vidéo sur Peertube l’existence d’une nouvelle instance de Pleroma, donc maintenant elle connaît son existence mais, choisissant de ne pas la suivre, elle ne fait pas réellement connaître sa découverte aux autres membres de son instance.

2) Sur cette même instance de Mastodon l’utilisateur Ludo bloque la seule instance Pleroma connue. Conséquence : si cette instance Pleroma devait faire connaître d’autres instances Pleroma avec lesquelles elle est en contact, Ludo devrait attendre qu’un autre membre de son instance les fasse connaître, car il s’est empêché lui-même d’être parmi les premiers de son instance à les connaître.

3) En fait, la première utilisatrice de l’instance à entrer en contact avec les autres instances Pleroma sera Marianne. Mais elle ne les connaît pas de l’instance Pleroma (celle que Ludo a bloquée) avec laquelle ils sont déjà en contact, mais par son seul contact sur GNU Social.

Cela semble un peu compliqué mais en réalité ce n’est rien de plus qu’une réplique de mécanismes humains auxquels nous sommes tellement habitué⋅e⋅s que nous les tenons pour acquis. On peut traduire ainsi les différents exemples qui viennent d’être exposés :

1) Notre amie Anna, habituée de notre bar, rencontre dans la rue une personne qui lui dit fréquenter un nouveau bar dans une ville proche. Mais Anna n’échange pas son numéro de téléphone avec le type et elle ne pourra donc pas donner d’informations à ses amis dans son bar sur le nouveau bar de l’autre ville.

2) Dans le bar habituel, Ludo de Nancy évite Laura de Metz. Quand Laura amène ses autres amies Solène et Louise de Metz au bar, elle ne les présente pas à Ludo. Ce n’est que plus tard que les amis du bar, devenus amis avec Solène et Louise, pourront les présenter à Ludo indépendamment de Laura.

3) En réalité Marianne avait déjà rencontré Solène et Louise, non pas grâce à Laura, mais grâce à Stéphane, son seul ami à Villers.

Pour avoir une idée de l’ampleur de la Fediverse, vous pouvez jeter un coup d’œil à plusieurs sites qui tentent d’en fournir une image complète. Outre Kumu.io déjà mentionné, qui essaie de la représenter avec une mise en page graphique élégante qui met en évidence les interactions, il y a aussi Fediverse.network qui essaie de lister chaque instance existante en indiquant pour chacune d’elles les protocoles utilisés et le statut du service, ou Fediverse.party, qui est un véritable portail où choisir la plate-forme à utiliser et à laquelle s’enregistrer. Switching.software, une page qui illustre toutes les alternatives gratuites aux médias sociaux et propriétaires, indique également quelques réseaux fédérés parmi les alternatives à Twitter et Facebook.

Pour être tout à fait complet : au début, on avait tendance à diviser tout ce mégaréseau en trois « univers » superposés : celui de la « Fédération » pour les réseaux reposant sur le protocole Diaspora, La « Fediverse » pour ceux qui utilisent Ostatus et « ActivityPub » pour ceux qui utilisent… ActivityPub. Aujourd’hui, au contraire, ils sont tous considérés comme faisant partie de la Fediverse, même si parfois on l’appelle aussi la Fédération.

Tant de réseaux…

Examinons donc les principales plateformes/réseaux et leurs différences. Petites précisions : certaines de ces plateformes sont pleinement actives alors que d’autres sont à un stade de développement plus ou moins avancé. Dans certains cas, l’interaction entre les différents réseaux n’est donc pas encore pleinement fonctionnelle. De plus, en raison de la nature libre et indépendante des différents réseaux, il est possible que des instances apportent des modifications et des personnalisations « non standard » (un exemple en est la limite de caractères sur Mastodon : elle est de 500 caractères par défaut, mais une instance peut décider de définir la limite qu’elle veut ; un autre exemple est l’utilisation des fonctions de mise en favori ou de partage, qu’une instance peut autoriser et une autre interdire). Dans ce paragraphe, ces personnalisations et différences ne sont pas prises en compte.

Mastodon (semblable à : Twitter)

Copie d’écran, une instance de Mastodon, Framapiaf

Mastodon est une plateforme de microblogage assez semblable à Twitter parce qu’elle repose sur l’échange de messages très courts. C’est le réseau le plus célèbre de la Fediverse. Il est accessible sur smartphone à travers un certain nombre d’applications tant pour Android que pour iOS. Un de ses points forts est le design bien conçu et le fait qu’il a déjà un « parc d’utilisateurs⋅rices » assez conséquent (presque deux millions d’utilisateurs⋅rices dans le monde, dont quelques milliers en France). En version bureau, il se présente comme une série de colonnes personnalisables, qui montrent les différents « fils », sur le modèle de Tweetdeck. Pour le moment, Mastodon est la seule plateforme sociale fédérée accessible par des applications sur Android et iOS.

Pleroma (semblable à : Twitter et DeviantArt)

Copie d’écran, Pleroma

Pleroma est le réseau « sœur » de Mastodon : fondamentalement, c’est la même chose dans deux versions un peu différentes. Pleroma offre quelques fonctionnalités supplémentaires concernant la gestion des images et permet par défaut des messages plus longs. À la différence de Mastodon, Pleroma montre en version bureau une colonne unique avec le fil sélectionné, ce qui le rend beaucoup plus proche de Twitter. Actuellement, de nombreuses instances Pleroma ont un grand nombre d’utilisateurs⋅rices qui s’intéressent à l’illustration et au manga, ce qui, comme ambiance, peut vaguement rappeler l’ambiance de DeviantArt. Les applications pour smartphone de Mastodon peuvent également être utilisées pour accéder à Pleroma.

Misskey (semblable à : un mélange entre Twitter et DeviantArt)

Copie d’écran, Misskey

Misskey est une sorte de Twitter qui tourne principalement autour d’images. Il offre un niveau de personnalisation supérieur à Mastodon et Pleroma, et une plus grande attention aux galeries d’images. C’est une plateforme qui a eu du succès au Japon et parmi les passionnés de manga (et ça se voit !).

Friendica (semblable à : Facebook)

Friendica est un réseau extrêmement intéressant. Il reprend globalement la structure graphique de Facebook (avec les ami⋅e⋅s, les notifications, etc.), mais il permet également d’interagir avec plusieurs réseaux commerciaux qui ne font pas partie de la Fediverse. Il est donc possible de connecter son compte Friendica à Facebook, Twitter, Tumblr, WordPress, ainsi que de générer des flux RSS, etc. Bref, Friendica se présente comme une sorte de nœud pour diffuser du contenu sur tous les réseaux disponibles, qu’ils soient fédérés ou non. En somme, Friendica est le passe-partout de la Fediverse : une instance Friendica au maximum de ses fonctions se connecte à tout et dialogue avec tout le monde.

Osada (semblable à : un mélange entre Twitter et Facebook)

Image animée, réponse à un commentaire sur Osada

Osada est un autre réseau dont la configuration peut faire penser à un compromis entre Twitter et Facebook. De toutes les plateformes qui rappellent Facebook, c’est celle dont le design est le plus soigné.

GNUsocial (semblable à : un mélange entre Twitter et Facebook)

Copie d’écran : GNUsocial avec une interface en suédois.

GNUsocial est un peu le « grand-père » des médias sociaux listés ici, en particulier de Friendica et d’Osada, dont il est le prédécesseur.

Aardwolf (semblable à : Twitter, éventuellement)

 

Copie d’écran : logo et slogan d’Aardwolf

Aardwolf n’est pas encore prêt, mais il est annoncé comme une sorte d’alternative à Twitter. On attend de voir.

 

PeerTube (semblable à : YouTube)

Capture d’écran, une instance de PeerTube, aperi.tube

PeerTube est le réseau fédéré d’hébergement de vidéo vraiment, mais vraiment très semblable à YouTube, Vimeo et d’autres services de ce genre. Avec un catalogue en cours de construction, Peertube apparaît déjà comme un projet très solide.

Pixelfed (semblable à : Instagram)

Copie d’écran, Pixelfed

Pixelfed est essentiellement l’Instagram de la Fédération. Il est en phase de développement mais semble être plutôt avancé. Il lui manque seulement des applications pour smartphone pour être adopté à la place d’Instagram. Pixelfed a le potentiel pour devenir un membre extrêmement important de la Fédération !

NextCloud (semblable à : iCloud, Dropbox, GDrive)

Logo de Owncloud

NextCloud, né du projet plus ancien ownCloud, est un service d’hébergement de fichiers assez semblable à Dropbox. Tout le monde peut faire tourner NextCloud sur son propre serveur. NextCloud offre également des services de partage de contacts (CardDAV) ou de calendriers (CalDAV), de streaming de médias, de marque-page, de sauvegarde, et d’autres encore. Il tourne aussi sur Window et OSX et est accessible sur smartphone à travers des applications officielles. Il fait partie de la Fediverse dans la mesure où il utilise ActivityPub pour communiquer différentes informations à ses utilisateurs, comme des changements dans les fichiers, les activités du calendrier, etc.

Diaspora* (semblable à : Facebook, et aussi un peu Tumblr)

Copie d’écran, un « pod » de Diaspora*, Framasphere

Diaspora* est un peu le « cousin » de la Fediverse. Il fonctionne avec un protocole bien à lui et dialogue avec le reste de la Fediverse principalement via GNU social et Friendica, le réseau passe-partout, même s’il semble qu’il circule l’idée de faire utiliser à Diaspora* (l’application) aussi bien son propre protocole qu’ActivityPub. Il s’agit d’un grand et beau projet, avec une base solide d’utilisateurs⋅rices fidèles. Au premier abord, il peut faire penser à une version extrêmement minimaliste de Facebook, mais son attention aux images et son système intéressant d’organisation des posts par tag permet également de le comparer, d’une certaine façon, à Tumblr.

Funkwhale (semblable à : SoundCloud et Grooveshark)

Copie d’écran, Funkwhale

Funkwhale ressemble à SoundCloud, Grooveshark et d’autre services semblables. Comme une sorte de YouTube pour l’audio, il permet de partager des pistes audio mais au sein d’un réseau fédéré. Avec quelques fonctionnalités en plus, il pourrait devenir un excellent service d’hébergement de podcasts audio.

Plume, Write Freely et Write.as (plateformes de blog)

Copie d’écran, Write freely

Plume, Write Freely et Write.as sont des plateformes de blog assez minimalistes qui font partie de la Fédération. Elles n’ont pas toute la richesse, les fonctions, les thèmes et la personnalisation de WordPress ou de Blogger, mais elles font leur travail avec légèreté.

Hubzilla (semblable à : …TOUT !!)

Page d’accueil de Hubzilla

Hubzilla est un projet très riche et complexe qui permet de gérer aussi bien des médias sociaux que de l’hébergement de fichiers, des calendriers partagés, de l’hébergement web, et le tout de manière décentralisée. En bref, Hubzilla se propose de faire tout à la fois ce que font plusieurs des services listés ici. C’est comme avoir une seule instance qui fait à la fois Friendica, Peertube et NextCloud. Pas mal ! Un projet à surveiller !

GetTogether (semblable à : MeetUp)

Copie d’écran, GetTogether

GetTogether est une plateforme servant à planifier des événements. Semblable à MeetUp, elle sert à mettre en relation des personnes différentes unies par un intérêt commun, et à amener cet intérêt dans le monde réel. Pour le moment, GetTogether ne fait pas encore partie de la Fediverse, mais il est en train de mettre en place ActivityPub et sera donc bientôt des nôtres.

Mobilizon (semblable à : MeetUp)


Mobilizon est une nouvelle plateforme en cours de développement, qui se propose comme une alternative libre à MeetUp et à d’autres logiciels servant à organiser des réunions et des rencontres en tout genre. Dès le départ, le projet naît avec l’intention d’utiliser ActivityPub et de faire partie de la Fediverse, en conformité avec les valeurs de Framasoft, association française née avec l’objectif de diffuser l’usage des logiciels libres et des réseaux décentralisés. Voir la présentation de Mobilizon en italien.

Plugin ActivityPub pour WordPress

Plugin activityPub pour WordPress

On trouve plusieurs plugins pour WordPress qui en font un membre à part entière de la Fédération ! Il existe également des plugins comme Mastodon AutoPost, Mastodon Auto Share, mais aussi Mastodon Embed, Ostatus for WordPress, Pterotype, Nodeinfo et Mastalab comments.

Prismo (semblable à : Pocket, Evernote, Reddit)

Copie d’écran, Prismo

Prismo est une application encore en phase de développement, qui se propose de devenir un sorte de version décentralisée de Reddit, c’est-à-dire un média social centré sur le partage de liens, mais qui pourrait potentiellement évoluer en quelque chose qui ressemble à Pocket ou Evernote. Les fonctions de base sont déjà opérationnelles.

Socialhome

Capture d’écran, Socialhome

Socialhome est un média social qui utilise une interface par « blocs », affichant les messages comme dans un collage de photos de Pinterest. Pour le moment, il communique seulement via le protocole de Diaspora, mais il devrait bientôt mettre en place ActivityPub.

Et ce n’est pas tout !

Les recommandations du W3C pour ActivityPub, page d’accueil

Il existe encore d’autres applications et médias sociaux qui adoptent ou vont adopter ActivityPub, ce qui rendra la Fediverse encore plus structurée. Certains sont assez semblables à ceux déjà évoqués, alors que d’autres sont encore en phase de développement, on ne peut donc pas encore les conseiller pour remplacer des systèmes commerciaux plus connus. Il y a cependant des plateformes déjà prêtes et fonctionnelles qui pourraient entrer dans la Fediverse en adoptant ActivityPub : NextCloud en est un exemple (il était déjà constitué quand il a décidé d’entrer dans la Fediverse) ; le plugin de WordPress est pour sa part un outil qui permet de fédérer une plateforme qui existe déjà ; GetTogether est un autre service qui est en train d’être fédéré. Des plateformes déjà en place (je pense à Gitter, mais c’est juste un exemple parmi tant d’autres) pourraient trouver un avantage à se fédérer et à entrer dans une grande famille élargie. Bref : ça bouge dans la Fediverse et autour d’elle !

… un seul Grand Réseau !

Jusqu’ici, nous avons vu de nombreuses versions alternatives d’outils connus qui peuvent aussi être intéressant pris individuellement, mais qui sont encore meilleurs quand ils collaborent. Voici maintenant le plus beau : le fait qu’ils partagent les mêmes protocoles de communication élimine l’effet « cage dorée » de chaque réseau !

Maintenant qu’on a décrit chaque plateforme, on peut donner quelques exemples concrets :

Je suis sur Mastodon, où apparaît le message d’une personne que je « suis ». Rien d’étrange à cela, si ce n’est que cette personne n’est pas utilisatrice de Mastodon, mais de Peertube ! En effet, il s’agit de la vidéo d’un panorama. Toujours depuis Mastodon, je commente en écrivant « joli » et cette personne verra apparaître mon commentaire sous sa vidéo, sur Peertube.

Je suis sur Osada et je poste une réflexion ouverte un peu longue. Cette réflexion est lue par une de mes amies sur Friendica, qui la partage avec ses followers, dont certains sont sur Friendica, mais d’autres sont sur d’autres plateformes. Par exemple, l’un d’eux est sur Pleroma, il me répond et nous commençons à dialoguer.

Je publie une photo sur Pixelfed qui est vue et commentée par un de mes abonnés sur Mastodon.

En somme, chacun peut garder contact avec ses ami⋅e⋅s/abonné⋅e⋅s depuis son réseau préféré, mêmes si ces personnes en fréquentent d’autres.

Pour établir une comparaison avec les réseaux commerciaux, c’est comme si l’on pouvait recevoir sur Facebook les tweets d’un ami qui est sur Twitter, les images postées par quelqu’un d’autre sur Instagram, les vidéos d’une chaîne YouTube, les pistes audio sur SoundCloud, les nouveaux posts de divers blogs et sites personnels, et commenter et interagir avec chacun d’eux parce que tous ces réseaux collaborent et forment un seul grand réseau !

Chacun de ces réseaux pourra choisir la façon dont il veut gérer ces interactions : par exemple, si je voulais une vie sociale dans un seul sens, je pourrais choisir une instance Pixelfed où les autres utilisateurs⋅rices peuvent me contacter seulement en commentant les photos que je publie, ou bien je pourrais choisir une instance Peertube et publier des vidéos qui ne pourraient pas être commentées mais qui pourraient tourner dans toute la Fediverse, ou choisir une instance Mastodon qui oblige mes interlocuteurs à communiquer avec moi de manière concise.

Certains détails sont encore à définir (par exemple : je pourrais envoyer un message direct depuis Mastodon vers une plateforme qui ne permet pas à ses utilisateurs⋅rices de recevoir des messages directs, sans jamais être averti du fait que le/la destinataire n’aura aucun moyen de savoir que je lui ai envoyé quelque chose). Il s’agit de situations bien compréhensibles à l’intérieur d’un écosystème qui doit s’adapter à des réalités très diverses, mais dans la majorité des cas il s’agit de détails faciles à gérer. Ce qui compte, c’est que les possibilités d’interactions sont potentiellement infinies !

Connectivité totale, exposition dosée

Toute cette connectivité partagée doit être observée en gardant à l’esprit que, même si par simplicité les différents réseaux ont été traités ici comme des réseaux centralisés, ce sont en réalité des réseaux d’instances indépendantes qui interagissent directement avec les instances des autres réseaux : mon instance Mastodon filtrera les instances Peertube qui postent des vidéos racistes mais se connectera à toutes les instances Peertube qui respectent sa politique ; si je suis un certain ami sur Pixelfed je verrai seulement ses posts, sans que personne m’oblige à voir toutes les photos de couchers de soleil et de chatons de ses ami⋅e⋅s sur ce réseau.

La combinaison entre autonomie des instances, grande interopérabilité entre celles-ci et liberté de choix permet une série de combinaisons extrêmement intéressantes dont les réseaux commerciaux ne peuvent même pas rêver : ici, l’utilisateur⋅rice est membre d’un seul grand réseau où chacun⋅e peut choisir :

  • Son outil d’accès préféré (Mastodon, Pleroma, Friendica) ;
  • La communauté dans laquelle il ou elle se sent le plus à l’aise (l’instance) ;
  • La fermeture aux communautés indésirables et l’ouverture aux communautés qui l’intéressent.

Tout cela sans pour autant renoncer à être connecté à des utilisateurs⋅rices qui ont choisi des outils et des communautés différents. Par exemple, je peux choisir une certaine instance Pleroma parce que j’aime son design, la communauté qu’elle accueille, ses règles et la sécurité qu’elle procure mais, à partir de là, suivre et interagir principalement avec des utilisateurs⋅rices d’une instance Pixelfed particulière et en importer les contenus et l’esthétique dans mon instance.

À cela on peut ajouter que des instances individuelles peuvent littéralement être installées et administrées par chaque utilisateur individuel sur ses propres machines, ce qui permet un contrôle total du contenu. Les instances minuscules auto-hébergées « à la maison » et les instances de travail plus robustes, les instances scolaires et les instances collectives, les instances avec des milliers d’utilisateurs et les instances avec un seul utilisateur, les instances à l’échelle d’un quartier ou d’un immeuble, toutes sont unies pour former un réseau complexe et personnalisable, qui vous permet de vous connecter pratiquement à n’importe qui mais aussi de vous éviter la surcharge d’information.

C’est une sorte de retour aux origines d’Internet, mais un retour à un âge de maturité, celui du Web 2.0, qui a tiré les leçons de l’expérience : être passé par la centralisation de la communication entre les mains de quelques grands acteurs internationaux a renforcé la conviction que la structure décentralisée est la plus humaine et la plus enrichissante.

Rejoignez la fédération !




Nous devons nous passer de Chrome

Chrome, de navigateur internet novateur et ouvert, est devenu au fil des années un rouage essentiel de la domination d’Internet par Google. Cet article détaille les raisons pour lesquelles Chrome asphyxie le Web ouvert et pourquoi il faudrait passer sur un autre navigateur tel Vivaldi ou Firefox.

Article original : https://redalemeden.com/blog/2019/we-need-chrome-no-more

Traduction Framalang : mo, Khrys, Penguin, goofy, Moutmout, audionuma, simon, gangsoleil, Bullcheat, un anonyme

Nous n’avons plus besoin de Chrome

par Reda Lemeden

Il y a dix ans, nous avons eu besoin de Google Chrome pour libérer le Web de l’hégémonie des entreprises, et nous avons réussi à le faire pendant une courte période. Aujourd’hui, sa domination étouffe la plateforme même qu’il a autrefois sauvée des griffes de Microsoft. Et personne, à part Google, n’a besoin de ça.

Nous sommes en 2008. Microsoft a toujours une ferme emprise sur le marché des navigateurs web. Six années se sont écoulées depuis que Mozilla a sorti Firefox, un concurrent direct d’Internet Explorer. Google, l’entreprise derrière le moteur de recherche que tout le monde aimait à ce moment-là, vient d’annoncer qu’il entre dans la danse. Chrome était né.

Au bout de deux ans, Chrome représentait 15 % de l’ensemble du trafic web sur les ordinateurs fixes — pour comparer, il a fallu 6 ans à Firefox pour atteindre ce niveau. Google a réussi à fournir un navigateur rapide et judicieusement conçu qui a connu un succès immédiat parmi les utilisateurs et les développeurs Web. Les innovations et les prouesses d’ingénierie de leur produit étaient une bouffée d’air frais, et leur dévouement à l’open source la cerise sur le gâteau. Au fil des ans, Google a continué à montrer l’exemple en adoptant les standards du Web.

Avançons d’une décennie. Le paysage des navigateurs Web est très différent. Chrome est le navigateur le plus répandu de la planète, faisant de facto de Google le gardien du Web, à la fois sur mobile et sur ordinateur fixe, partout sauf dans une poignée de régions du monde. Le navigateur est préinstallé sur la plupart des téléphones Android vendus hors de Chine, et sert d’interface utilisateur pour Chrome OS, l’incursion de Google dans les systèmes d’exploitation pour ordinateurs fixe et tablettes. Ce qui a commencé comme un navigateur d’avant-garde respectant les standards est maintenant une plateforme tentaculaire qui n’épargne aucun domaine de l’informatique moderne.

Bien que le navigateur Chrome ne soit pas lui-même open source, la plupart de ses composantes internes le sont. Chromium, la portion non-propriétaire de Chrome, a été rendue open source très tôt, avec une licence laissant de larges marges de manœuvre, en signe de dévouement à la communauté du Web ouvert. En tant que navigateur riche en fonctionnalités, Chromium est devenu très populaire auprès des utilisateurs de Linux. En tant que projet open source, il a de nombreux adeptes dans l’écosystème open source, et a souvent été utilisé comme base pour d’autres navigateurs ou applications.

Tant Chrome que Chromium se basent sur Blink, le moteur de rendu qui a démarré comme un fork de WebKit en 2013, lorsque l’insatisfaction de Google grandissait envers le projet mené par Apple. Blink a continué de croître depuis lors, et va continuer de prospérer lorsque Microsoft commencera à l’utiliser pour son navigateur Edge.

La plateforme Chrome a profondément changé le Web. Et plus encore. L’adoption des technologies web dans le développement des logiciels PC a connu une augmentation sans précédent dans les 5 dernières années, avec des projets comme Github Electron, qui s’imposent sur chaque OS majeur comme les standards de facto pour des applications multiplateformes. ChromeOS, quoique toujours minoritaire comparé à Windows et MacOS, s’installe dans les esprits et gagne des parts de marché.

Chrome est, de fait, partout. Et c’est une mauvaise nouvelle

Don’t Be Evil

L’hégémonie de Chrome a un effet négatif majeur sur le Web en tant que plateforme ouverte : les développeurs boudent de plus en plus les autres navigateurs lors de leurs tests et de leurs débogages. Si cela fonctionne comme prévu sur Chrome, c’est prêt à être diffusé. Cela engendre en retour un afflux d’utilisateurs pour le navigateur puisque leurs sites web et applications favorites ne marchent plus ailleurs, rendant les développeurs moins susceptibles de passer du temps à tester sur les autres navigateurs. Un cercle vicieux qui, s’il n’est pas brisé, entraînera la disparition de la plupart des autres navigateurs et leur oubli. Et c’est exactement comme ça que vous asphyxiez le Web ouvert.

Quand il s’agit de promouvoir l’utilisation d’un unique navigateur Web, Google mène la danse. Une faible assurance de qualité et des choix de conception discutables sont juste la surface visible de l’iceberg quand on regarde les applications de Google et ses services en dehors de l’écosystème Chrome. Pour rendre les choses encore pires, le blâme retombe souvent sur les autres concurrents car ils « retarderaient l’avancée du Web ». Le Web est actuellement le terrain de jeu de Google ; soit vous faites comme ils disent, soit on vous traite de retardataire.

Sans une compétition saine et équitable, n’importe quelle plateforme ouverte régressera en une organisation dirigiste. Pour le Web, cela veut dire que ses points les plus importants — la liberté et l’accessibilité universelle — sont sapés pour chaque pour-cent de part de marché obtenu par Chrome. Rien que cela est suffisant pour s’inquiéter. Mais quand on regarde de plus près le modèle commercial de Google, la situation devient beaucoup plus effrayante.

La raison d’être de n’importe quelle entreprise est de faire du profit et de satisfaire les actionnaires. Quand la croissance soutient une bonne cause, c’est considéré comme un avantage compétitif. Dans le cas contraire, les services marketing et relations publiques sont mis au travail. Le mantra de Google, « Don’t be evil« , s’inscrivait parfaitement dans leur récit d’entreprise quand leur croissance s’accompagnait de rendre le Web davantage ouvert et accessible.

Hélas, ce n’est plus le cas.

Logos de Chrome

L’intérêt de l’entreprise a dérivé petit à petit pour transformer leur domination sur le marché des navigateurs en une croissance du chiffre d’affaires. Il se trouve que le modèle commercial de Google est la publicité sur leur moteur de recherche et Adsense. Tout le reste représente à peine 10 % de leur revenu annuel. Cela n’est pas forcément un problème en soi, mais quand la limite entre navigateur, moteur de recherche et services en ligne est brouillée, nous avons un problème. Et un gros.

Les entreprises qui marchent comptent sur leurs avantages compétitifs. Les moins scrupuleuses en abusent si elles ne sont pas supervisées. Quand votre navigateur vous force à vous identifier, à utiliser des cookies que vous ne pouvez pas supprimer et cherche à neutraliser les extensions de blocage de pub et de vie privée, ça devient très mauvais16. Encore plus quand vous prenez en compte le fait que chaque site web contient au moins un bout de code qui communique avec les serveurs de Google pour traquer les visiteurs, leur montrer des publicités ou leur proposer des polices d’écriture personnalisées.

En théorie, on pourrait fermer les yeux sur ces mauvaises pratiques si l’entreprise impliquée avait un bon bilan sur la gestion des données personnelles. En pratique cependant, Google est structurellement flippant, et ils n’arrivent pas à changer. Vous pouvez penser que vos données personnelles ne regardent que vous, mais ils ne semblent pas être d’accord.

Le modèle économique de Google requiert un flot régulier de données qui puissent être analysées et utilisées pour créer des publicités ciblées. Du coup, tout ce qu’ils font a pour but ultime d’accroître leur base utilisateur et le temps passé par ces derniers sur leurs outils. Même quand l’informatique s’est déplacée de l’ordinateur de bureau vers le mobile, Chrome est resté un rouage important du mécanisme d’accumulation des données de Google. Les sites web que vous visitez et les mots-clés utilisés sont traqués et mis à profit pour vous offrir une expérience plus « personnalisée ». Sans une limite claire entre le navigateur et le moteur de recherche, il est difficile de suivre qui connaît quoi à votre propos. Au final, on accepte le compromis et on continue à vivre nos vies, exactement comme les ingénieurs et concepteurs de produits de Google le souhaitent.

En bref, Google a montré à plusieurs reprises qu’il n’avait aucune empathie envers ses utilisateurs finaux. Sa priorité la plus claire est et restera les intérêts des publicitaires.

Voir au-delà

Une compétition saine centrée sur l’utilisateur est ce qui a provoqué l’arrivée des meilleurs produits et expériences depuis les débuts de l’informatique. Avec Chrome dominant 60 % du marché des navigateurs et Chromium envahissant la bureautique sur les trois plateformes majeures, on confie beaucoup à une seule entreprise et écosystème. Un écosystème qui ne semble plus concerné par la performance, ni par l’expérience utilisateur, ni par la vie privée, ni par les progrès de l’informatique.

Mais on a encore la possibilité de changer les choses. On l’a fait il y a une décennie et on peut le faire de nouveau.

Mozilla et Apple font tous deux un travail remarquable pour combler l’écart des standards du Web qui s’est élargi dans les premières années de Chrome. Ils sont même sensiblement en avance sur les questions de performance, utilisation de la batterie, vie privée et sécurité.

Si vous êtes coincés avec des services de Google qui ne marchent pas sur d’autres navigateurs, ou comptez sur Chrome DevTools pour faire votre travail, pensez à utiliser Vivaldi17 à la place. Ce n’est pas l’idéal —Chromium appartient aussi à Google—, mais c’est un pas dans la bonne direction néanmoins. Soutenir des petits éditeurs et encourager la diversité des navigateurs est nécessaire pour renverser, ou au moins ralentir, la croissance malsaine de Chrome.

Je me suis libéré de Chrome en 2014, et je n’y ai jamais retouché. Il est probable que vous vous en tirerez aussi bien que moi. Vous pouvez l’apprécier en tant que navigateur. Et vous pouvez ne pas vous préoccuper des compromissions en termes de vie privée qui viennent avec. Mais l’enjeu est bien plus important que nos préférences personnelles et nos affinités ; une plateforme entière est sur le point de devenir un nouveau jardin clos. Et on en a déjà assez. Donc, faisons ce que nous pouvons, quand nous le pouvons, pour éviter ça.

Sources & Lectures supplémentaires

 




Permaculture et logiciels libres ?

Vous ne voyez pas le rapport ? Eh bien eux, si. La petite association allemande qui anime le projet Permaculture Commons a de modestes ambitions :  changer le monde.

Voici les objectifs que se donnent ses membres :

Nous voulons soutenir la transformation de la société vers une culture plus durable. En collaboration avec une vaste communauté, nous aimerions rendre les modes de vie durables et la permaculture aussi accessibles que possible. Nous croyons que la permaculture est la voie à suivre et que les outils numériques, les licences libres et la collaboration mondiale sont la voie à suivre pour diffuser le message.

Oui c’est rafraîchissant et un poil utopique diront les plus sceptiques. Mais après tout, chez Framasoft, nous voulons aussi changer le monde un octet à la fois et nous aimons présenter les CHATONS que nous sommes comme « des AMAP du logiciel libre ». De sorte qu’au-delà de l’analogie, ce rapprochement entre les militants écologistes et la culture libre a éveillé l’attention du groupe Framalang.

Ah et puis, vous avez vu le thème des Journées du Logiciel Libre cette année ? Oui, vous y verrez pas mal de membres de Framasoft — et la conférence de Pyg : Numérique et effondrement : est-il encore temps de faire du libre sans vision politique et écologique ? (non)

Voilà pourquoi nous avons traduit pour vous le rapide survol de deux domaines qui ont peut-être un intérêt mutuel à contribuer. Ce n’est pas une longue réflexion théorique mais quelques suggestions. Le prétexte à une réflexion que nous vous proposons d’entamer dans les commentaires, lesquels demeurent ouverts et modérés.

Traduction Framalang : Docendo, goofy, Cyrilus, Mika, Das, Lumi

page d’accueil du site permaculture commons avec un slogan sur fond de forêt illuminée de rayons de soleil : Œuvrer à l'édification d'un patrimoine commun de connaissances pour les peuples du monde entier qui veulent vivre une vie durable et autodéterminée.
Page d’accueil du site Permaculture Commons : «Travailler à un patrimoine commun de connaissances pour les peuples du monde entier qui veulent mener une vie durable et autodéterminée.»

 

Le terme « permaculture » est un mot-valise qui vient de l’association des deux mots « permanente » et « agriculture ». Il décrit une agriculture soutenable et respectueuse de l’environnement.
La notion a progressivement évolué pour englober maintenant des domaines comme les systèmes économiques, l’habitat et beaucoup d’autres formes de « culture permanente ».
L’objectif de la permaculture est de faire en sorte que les êtres humains soient à nouveau en phase avec les processus et les cycles de la nature, pour que nous puissions faire un usage efficace de la nature sans lui causer de dommages, mais en y contribuant.

Contexte

Le concept a été développé par Bill Mollison et David Holmgren dans les années 70 et comprend trois règles essentielles et douze principes de conception.
La Permaculture est un terme fluide et vague. Il inclut une grande variété de techniques, d’outils de conception et de modes de vie qui sont liés aux mêmes idéaux.
La plupart des idées viennent de l’observation de la nature. Les écosystèmes naturels, comme les forêts, n’ont pas besoin de fertilisants et ne produisent aucun déchet. Tous les éléments du système collaborent étroitement et remplissent des missions importantes. De telles observations peuvent souvent être appliquées au systèmes agricoles.

Citations

« Je suis sûr que je ne sais pas ce qu’est la permaculture. C’est ce que j’aime ; ce n’est pas dogmatique. […]

La permaculture a pour philosophie le travail avec la nature, plutôt que contre elle ; l’observation prolongée et attentive plutôt que le travail de la terre prolongé et irréfléchi ; et une façon de voir les plantes et les animaux dans toutes leurs fonctions, plutôt que traiter chaque élément naturel comme un système mono-produit. »

– Bill Molisson

Le droit d’auteur est une loi qui protège la propriété intellectuelle. Pour les auteurs c’était assez compliqué d’autoriser certains usages, tout en conservant d’autres droits. Les licences libres autorisent les auteurs à avoir plus de contrôle sur l’utilisation de leur contenu. Avec les licences bien connues Creative Commons les auteurs ont trois possibilités basiques :

  • Autoriser ou non les adaptations de leur travail pour qu’il soit partagé
  • Autoriser ou non les adaptations à la seule condition qu’elles soient sous la même licence
  • Autoriser ou non l’utilisation commerciale de leur travail

Avec l’aide de ce petit outil de sélection sur le site Creative Commons il ne faut que quelques secondes et trois clics pour choisir la licence valide la plus appropriée pour vous. Cette petite vidéo18 détaille la marche à suivre :

Donc les licences libres (ou permissives, domaine public, copyleft) sont facilement utilisables pour partager et utiliser les contenus. Wikipédia est l’un des succès typiques de l’utilisation des licences Creative Commons. La version anglophone dépasse les 5 millions d’articles et la version francophone propose plus de 2 millions d’articles sous licence CC-BY-SA
Cela semble logique puisque ces licences aident le grand public et les biens collectifs.

D’accord, mais comment le savoir libre et la permaculture sont-ils liés ?

La permaculture et le mouvement de la culture libre ont plus en commun qu’on ne pourrait le croire.
Par exemple :
* Les deux mouvements sont mondiaux, conduits par des convictions communes, très hétérogènes, décentralisés et travaillent fondamentalement pour le bien commun.
* Les deux mouvements se réfèrent à une série modeste de principes et règles (les 4 libertés), les 12 principes  et 3 points éthiques. Au-delà, les projets peuvent être très différents.
* Les solutions ou réalisations sont testées de façon indépendante, adaptées aux conditions de chacun et constamment améliorées. Dans les deux mouvements les personnes font preuve de curiosité et d’inventivité.
En particulier dans la sphère de la coopération (grâce à Internet), la culture libre a nettement plus d’expérience, et le mouvement de la permaculture pourrait en profiter.

L’idée

Imaginez davantage de documents sur la permaculture en licences libres et une promotion du libre échange des connaissances. Imaginez les connaissances communes pour les personnes du monde entier qui voudraient vivre une vie durable et autodéterminée : les communs de la permaculture.

Voici quelques idées dérivées des principes de la permaculture.

Fragments, photos, objets abandonnés, vieux livres… Internet et les bibliothèques débordent de contenus qui pourraient contribuer à des projets pratiques et vivants, mais qui tombent dans l’oubli.
Les licences libres peuvent aider à transformer les déchets en contribution. Si ces éléments oubliés peuvent être utilisés sans galère, ils seront utilisés. À vrai dire, les déchets ça n’existe pas.

« À plusieurs le travail est plus facile »
Écrire un livre : travail difficile. Coder un logiciel de planification pour la permaculture : pfff, c’est du lourd.
Commençons petit, travaillons ensemble. Les licences libres sont faites pour la coopération et rendent d’énormes projets possibles.
Le système d’exploitation GNU/Linux est un bon exemple. Commencé par une seule personne, amélioré par 100 000 autres et en fait utilisé par tous les internautes aujourd’hui. Une incroyable success story qui est rendue possible par les licences libres.
Au fait : le Permablitz permet à un groupe d’accomplir plus en un jour que vous ne pourriez réussir à faire seul en plusieurs semaines. Et cela a un équivalent direct dans le monde de la culture libre : dans un Book Sprint les auteurs se rassemblent et rédigent un livre entier en 3-5 jours, c’est assez excitant et des résultats sont de grande qualité.

Il est vrai que l’écriture est un travail solitaire, mais vous seriez surpris par toute l’amitié que peut offrir un groupe de personnages imaginaires une fois que vous vous êtes mis à les connaître.
– Anne Tyler

L’image de l’auteur solitaire est solidement ancrée dans notre culture. Mais les bénéfices de la collaboration de plusieurs personnes avec différentes approches, expertises et même fuseaux horaires sont énormes.
Pour atteindre de nombreuses personnes, vous avez besoin d’une variété de supports, langues et styles. La collaboration et les licences libres permettent une variété inattendue.

Quand le vent de changement souffle, certains construisent des murs de protection, d’autres fabriquent des éoliennes.
– Proverbe chinois

Le livre imprimé perd de son importance, les livres sont scannés, partagés et téléchargés illégalement. Les éditeurs et les auteurs ne gagnent pas assez d’argent. On le constate jour après jour.
Il semble hautement improbable que ces choses changeront dans un avenir proche. Des lois sur le droit d’auteur plus strictes et une protection de la copie élaborée pourraient ralentir ces tendances négatives, mais elles ne les arrêteront pas.
Les auteurs peuvent décider de lutter ou de reconnaître de nouvelles éventualités et les utiliser.




Windows 10 : plongée en eaux troubles

Vous avez sans doute remarqué que lorsque les médias grand public évoquent les entreprises dominantes du numérique on entend « les GAFA » et on a tendance à oublier le M de Microsoft. Et pourtant…On sait depuis longtemps à quel point Microsoft piste ses utilisateurs, mais des mesures précises faisaient défaut. Le bref article que Framalang vous propose évoque les données d’une analyse approfondie de tout ce que Windows 10 envoie vers ses serveurs pratiquement à l’insu de ses utilisateurs…

Article original : 534 Ways that Windows 10 Tracks You – From German Cyber Intelligence

Traduction Framalang : Khrys, goofy, draenog, Sphinx

Selon les services allemands de cybersécurité, Windows 10 vous surveille de 534 façons

par Derek Zimmer

L’Office fédéral de la sécurité des technologies de l’information (ou BSI) a publié un rapport 19 (PDF, 3,4 Mo) qui détaille les centaines de façons dont Windows 10 piste les utilisateurs, et montre qu’à moins d’avoir la version Entreprise de Windows, les multiples paramètres de confidentialité ne font pratiquement aucune différence.


Seules les versions Entreprise peuvent les arrêter

Les versions normales de Windows ont seulement trois niveaux différents de télémétrie. Le BSI a trouvé qu’entre la version Basic et la version Full on passe de 503 à 534 procédés de surveillance. La seule véritable réduction de télémétrie vient des versions Entreprise de Windows qui peuvent utiliser un réglage supplémentaire de « sécurité » pour leur télémétrie qui réduit le nombre de traqueurs actifs à 13.

C’est la première investigation approfondie dans les processus et dans la base de registre de Windows pour la télémétrie

L’analyse est très détaillée, et cartographie le système Event Tracing for Windows (ETW), la manière dont Windows enregistre les données de télémétrie, comment et quand ces données sont envoyées aux serveurs de Microsoft, ainsi que la différence entre les différents niveaux de paramétrage de la télémétrie.

Cette analyse va jusqu’à montrer où sont contrôlés les réglages pour modifier individuellement les composants d’enregistrement dans la base de registre de Windows, et comment ils initialisent Windows.

Voici quelques faits intéressants issus de ce document :

• Windows envoie vos données vers les serveurs Microsoft toutes les 30 minutes ;
• La taille des données enregistrées équivaut à 12 à 16 Ko par heure sur un ordinateur inactif (ce qui, pour donner une idée, représente chaque jour à peu près le volume de données d’un petit roman comme Le Vieil homme et la mer d’Hemingway) ;
• Il envoie des informations à sept endroits différents, y compris l’Irlande, le Wyoming et la petite ville de Boston en Virginie.
C’est la première « plongée en eaux profondes » que je voie où sont énumérés tous les enregistrements, ainsi que les endroits où va le trafic et à quelle fréquence.
Logiquement l’étape suivante consiste à découvrir ce qui figure dans ces 300 Ko de données quotidiennes. J’aimerais aussi savoir à quel point l’utilisation de Windows Media Player, Edge et les autres applications intégrées influe sur l’empreinte laissée par les données, ainsi que le nombre d’éléments actifs d’enregistrement.

Difficile de se prémunir

Au sein des communautés dédiées à l’administration des systèmes ou à la vie privée, la télémétrie Windows est l’objet de nombreuses discussions et il existe plusieurs guides sur les méthodes qui permettent de la désactiver complètement.

Comme toujours, la meilleure défense consiste à ne pas utiliser Windows. La deuxième meilleure défense semble être d’utiliser la version de Windows pour les entreprises où l’on peut désactiver la télémétrie d’une manière officielle. La troisième est d’essayer de la bloquer en changeant les paramètres et clefs de registre ainsi qu’en modifiant vos pare-feux (en dehors de Windows, parce que le pare-feu Windows ignorera les filtres qui bloquent les IP liées à la télémétrie Microsoft) ; en sachant que tout sera réactivé à chaque mise à jour majeure de Windows.

À propos de Derek Zimmer
Derek est cryptanalyste, expert en sécurité et militant pour la protection de la vie privée. Fort de douze années d’expérience en sécurité et six années d’expérience en design et implémentation de systèmes respectant la vie privée, il a fondé le Open Source Technology Improvement Fund (OSTIF, Fond d’Amélioration des Technologies Open Source) qui vise à créer et améliorer les solutions de sécurité open source par de l’audit, du bug bounty, ainsi que par la collecte et la gestion de ressources.




Glyn Moody sur l’article 13 – Une aberration judiciaire

Glyn Moody est infatigable dans son combat contre les dispositions néfastes de la directive européenne sur le droit d’auteur dont le vote est maintenant imminent. Il y consacre une série d’articles dont nous avons déjà proposé deux traductions.

Voici un troisième volet où l’auteur expose notamment le danger de plaintes injustifiées et automatisées de la part de cyberdélinquants.

Article original par dans Copybuzz : Article 13 is Not Just Criminally Irresponsible, It’s Irresponsibly Criminal

Traduction Framalang : jums , Khrys, goofy, Barbara

L’article 13 est criminel et irresponsable

par Glyn Moody

Dans un éditorial précédent, j’ai souligné qu’il existe un gros mensonge au cœur de l’Article 13 de la proposition de directive européenne au sujet du droit d’auteur : il est possible de vérifier les téléversements de matériels non-autorisés sans pouvoir inspecter chaque fichier. L’UE s’est retrouvée dans cette position absurde car elle sait que de nombreux parlementaires européens rejetteraient l’idée d’imposer une obligation de suivi général sur les services en ligne, ne serait-ce que parce que la directive sur le commerce en ligne l’interdit de manière explicite. Au lieu de cela, le texte de l’article 13 prétend simplement que des alternatives techniques peuvent être trouvées, sans les préciser. La session parue récemment de « Q & R sur la proposition de directive au sujet du Copyright numérique » par le Parlement Européen explique encore que si les services ne sont pas assez intelligents pour trouver des solutions et utiliser des filtres sur les téléversements de contenu, c’est forcément de leur faute.

vue à la loupe d’un fragment de lettre anonyme d’extorsion avec des lettres découpées
Image par Sheila Sund.

 

Imposer des obligations légales qu’il est impossible de remplir, c’est avoir une conception totalement irresponsable de la chose judiciaire. Mais il existe un autre aspect de l’article 13 qui est pire encore : c’est qu’il va encourager une nouvelle vague de criminalité. On a du mal à imaginer un plus grand échec qu’une loi qui augmente l’absence de loi.

Une fois encore, le problème vient de l’idée erronée qu’il faut contraindre les entreprises à installer des filtres d’upload (c’est-à-dire de mise en ligne par téléversement). De même que les législateurs européens semblent incapables de comprendre l’idée que les services en ligne seront obligés de mener une surveillance généralisée pour se conformer à l’article 13, de même leur manque de connaissances techniques les rend incapables de comprendre les immenses défis pratiques que représente l’implémentation de cette forme de surveillance généralisée.

Au moins le gouvernement français est bien plus cohérent et honnête sur ce point. Il veut aller encore plus loin que l’accord conclu avec le gouvernement allemand, qui a fini par donner la base de l’article 13 sous le nouveau mandat de la présidence roumaine du Conseil, adopté le vendredi 8 février. La France veut supprimer les références à l’article 15 de la directive sur le e-commerce, qui interdit aux États membres d’imposer des obligations de contrôle généralisé, de manière à rendre plus « clair » que ces catégories d’obligations sont parfaitement justifiées quand il s’agit de protéger des contenus sous droits d’auteur.

Un autre éditorial soulignait certains des défis pratiques que pose la mise en œuvre de cette forme de surveillance généralisée. L’article 13 s’appliquera à tous les supports imaginables. Cela signifie que les services en ligne auront besoin de filtres pour le texte, la musique, l’audio, les images, les cartes, les diagrammes, les photos, les vidéos, les films, les logiciels, les modèles 3D, etc. L’article ne peut être filtré que s’il existe une liste de choses qui doivent être bloquées. Ainsi, dans la pratique, l’article 13 signifie que tout site important acceptant les téléversements d’utilisateurs doit avoir des listes de blocage pour chaque type de matériel. Même lorsqu’elles existent, ces listes sont incomplètes. Pour de nombreux domaines – photos, cartes, logiciels, etc. – elles n’existent tout simplement pas. En outre, pour une grande partie du contenu qui devrait être surveillé, les filtres n’existent pas non plus. En un nouvel exemple de législation irresponsable et paresseuse, l’article 13 demande l’impossible.

Que feront les services en ligne dans une telle situation ? La directive sur le droit d’auteur n’est d’aucune aide, elle dit seulement ce qui doit être fait, pas comment le faire. Cela incitera les entreprises à mettre en place des systèmes susceptibles d’offrir la meilleure protection lorsqu’elles seront confrontées à d’inévitables poursuites judiciaires. La principale préoccupation sera de bloquer avec un matériel d’une efficacité maximale ce qui est censé être bloqué, plutôt que de choisir les approches les moins intrusives possible qui maximisent la liberté d’expression pour les utilisateurs. L’absence de systèmes pour se protéger de cette responsabilité pourrait également signifier que certaines plateformes utiliseront le géoblocage, disparaîtront ou s’éloigneront de l’UE, et que d’autres ne seront, en premier lieu, jamais créées en Europe.

Cette injonction va encourager la mise en place de systèmes permettant à quiconque de soumettre des réclamations sur du contenu, qui sera ensuite bloqué. En adoptant ce système, les entreprises seront en mesure de traiter du contenu pour lequel il n’existe pas de listes de blocage générales et pourront ainsi éviter toute responsabilité en cas de téléchargement non autorisé. En plus d’être le seul moyen pratique de relever l’énorme défi que représente le filtrage de tous les types de contenus protégés par le droit d’auteur, cette approche a l’avantage d’avoir déjà été utilisée ailleurs, bien qu’à une plus petite échelle.

Par exemple, YouTube permet à quiconque de prétendre qu’il est le détenteur des droits d’auteur du contenu qui a été posté sur le service Google, et de le faire supprimer automatiquement. Les conséquences négatives de cette fonctionnalité ont été discutées précédemment ; il suffit de dire ici que le matériel légitime est souvent retiré par erreur, et que faire appel contre ces décisions est difficile et prend du temps, et les résultats sont très imprévisibles. La même chose se produira inévitablement avec les filtres de téléchargement de l’article 13, avec ce détail supplémentaire que le contenu sera bloqué avant même qu’il ne soit affiché, alors que le système automatisé de retrait créé par la Digital Millennium Copyright Act (DMCA) des États-Unis ne fonctionne qu’après que le contenu soit affiché en ligne. Cependant, un article récent sur TorrentFreak révèle une autre possibilité troublante :

Par un horrible abus du système de copyright de YouTube, un YouTubeur rapporte que des arnaqueurs utilisent le système des « 3 coups »20 de la plate-forme pour extorquer de l’argent. Après avoir déposé deux fausses plaintes contre ObbyRaidz, les escrocs l’ont contacté et exigé de l’argent comptant pour éviter un troisième – et la résiliation de son canal.

Avec l’article 13, trois avertissements ne sont même pas nécessaires : si votre téléchargement est repéré par le filtre, votre contenu sera bloqué à jamais. On semble penser qu’il importe peu que des erreurs soient commises, parce que les gens peuvent tout bonnement faire appel. Mais comme nous l’avons déjà mentionné, les processus d’appel sont lents, ne fonctionnent pas et ne sont pas utilisés par les gens ordinaires, qui sont intimidés par le processus dans son ensemble. Ainsi, même la menace de revendiquer du contenu sera beaucoup plus forte avec l’article 13 qu’avec YouTube.

Ce qui veut dire que personne ne peut garantir que son contenu pourra seulement paraître en ligne, sauf pour les grosses sociétés de droits de diffusion (américaines) qui forceront les principales plateformes américaines à passer des accords de licence. Même si votre contenu arrive à passer le filtre sur les téléversements, vous allez encore courir le risque d’être racketté par les arnaqueurs au droit d’auteur qui abusent du système. Les obligations de suspension de l’article 13, qui impliquent que le matériel protégé par le droit d’auteur qui a été signalé par les titulaires de droits (ou les arnaqueurs) ne puisse plus être re-téléchargé, rendent les tentatives de réclamer du contenu ou de remettre quelque chose en ligne avec l’article 13 plus difficiles qu’elles ne le sont actuellement sur YouTube.

C’est vraiment une mauvaise nouvelle pour les nouveaux artistes, qui ont absolument besoin de visibilité et qui n’ont pas les poches pleines pour payer des avocats qui règlent ce genre de problèmes, ou pas assez de temps pour s’en occuper eux-mêmes. Les artistes plus établis perdront des revenus à chaque fois que leur contenu sera bloqué, donc ils décideront peut-être aussi de payer des arnaqueurs qui déposeront des fausses plaintes d’infraction au droit d’auteur. Avec cette nouvelle menace, les militants qui utilisent des sites permettant le téléversement public seront aussi sérieusement touchés : beaucoup de campagnes en ligne sont liées à des événements ou des journées particulières. Elles perdent la majeure partie de leur efficacité si leurs actions sont retardées de plusieurs semaines ou même de plusieurs jours, ce que les procédures d’appel ne manqueront pas de faire valoir. C’est plus simple de payer celui qui vous fait chanter.

Ce problème révèle une autre faille de l’Article 13 : il n’y a aucune pénalité pour avoir injustement prétendu être le détenteur des droits sur un contenu, ce qui empêche la mise en ligne de contenus légitimes bloqués par les filtres. Cela veut dire qu’il n’existe presque aucun obstacle si l’on veut envoyer des milliers, voire des millions, de menaces contre des artistes, des militants et autres. Il est clair que c’est de l’extorsion, évidemment illégale. Mais comme les forces de police sont dépassées aujourd’hui, il est à parier qu’elles ne dédieront que des ressources réduites à chasser les fantômes sur Internet. Il est facile pour les gens de se cacher derrière de faux noms, des comptes temporaires et d’utiliser des systèmes de paiement anonymisés tels que le Bitcoin. Avec assez de temps, il est possible d’établir qui se trouve derrière ces comptes, mais si la somme demandée est trop faible, les autorités ne s’en occuperont pas.

En d’autres termes, la nature trop peu réfléchie de l’Article 13 sur les filtres à l’upload crée une nouvelle catégorie de « crime parfait » en ligne. D’une part, tout le monde peut déposer plainte, pourvu d’avoir une connexion Internet, et ce depuis n’importe où dans le monde, et de l’autre cette plainte est prise sans aucun risque pratiquement. Une combinaison particulièrement séduisante et mortelle. Loin d’aider les artistes, la Directive Copyright pourrait créer un obstacle majeur sur la route de leurs succès.

 

[MISE À JOUR 13/02 22:50]

Dernières nouvelles de l’article 13 : Julia Reda (Parti Pirate européen) explique ici juliareda.eu/2019/02/eu-copyri où on en est et termine en expliquant ce qu’on peut faire (=intervenir auprès des parlementaires européens)
Voir aussi ce que propose saveyourinternet.eu/fr/




Glyn Moody sur l’article 13 – Mensonges et mauvaise foi

Glyn Moody est un journaliste, blogueur et écrivain spécialisé dans les questions de copyright et droits numériques. Ses combats militants le placent en première ligne dans la lutte contre l’article 13 de la directive européenne sur le droit d’auteur, dont le vote final est prévu ce mois-ci. Cet article a été combattu par des associations en France telles que La Quadrature du Net, dénoncé pour ses effet délétères par de nombreuses personnalités (cette lettre ouverte par exemple, signée de Vinton Cerf, Tim Berners-lee, Bruce Schneier, Jimmy Wales…) et a fait l’objet de pétitions multiples.

Dans une suite d’articles en cours (en anglais) ou dans diverses autres interventions (celle-ci traduite en français) que l’on parcourra avec intérêt, Glyn Moody démonte un à un les éléments de langage des lobbyistes des ayants droit. Le texte que Framalang a traduit pour vous met l’accent sur la mauvaise foi des défenseurs de l’article 13 qui préparent des réponses biaisées aux objections qui leur viennent de toutes parts, et notamment de 4 millions d’Européens qui ont manifesté leur opposition.

Pour Glyn Moody, manifestement l’article 13 est conçu pour donner des pouvoirs exorbitants (qui vont jusqu’à une forme de censure automatisée) aux ayants droit au détriment des utilisateurs et utilisatrices « ordinaires »

Billet original paru dans Copybuzz : Why Article 13 is not just dangerous law-making, but deeply dishonest too
Traduction Framalang : Penguin, Lumi, Moutmout, FranBAG, Suzy, Mika, pyg, Barbara, gangsoleil, Mannik, Barbara, Cyrilus, Khrys, Goofy

L’article 13 n’est pas seulement un travail législatif dangereux, mais aussi foncièrement malhonnête

par Glyn Moody

La directive sur Copyright de l’Union Européenne est maintenant en phase d’achèvement au sein du système législatif européen. Étant donné la nature avancée des discussions, il est déjà très surprenant que le comité des affaires juridiques (JURI), responsable de son pilotage à travers le Parlement Européen, ait récemment publié une session de « Questions et Réponses » sur la proposition de « Directive au sujet du Copyright numérique ». Mais il n’est pas difficile de deviner pourquoi ce document a été publié maintenant. De plus en plus de personnes prennent conscience que la directive sur le Copyright en général, et l’Article 13 en particulier, vont faire beaucoup de tort à l’Internet en Europe. Cette session de Q & R tente de contrer les objections relevées et d’étouffer le nombre grandissant d’appels à l’abandon de l’Article 13.

personnage en costume gris, les doigts de la main droite croisés dans le dos
Crédit image peter67.

La première question de cette session de Q & R, « En quoi consiste la directive sur le Copyright ? », souligne le cœur du problème de la loi proposée.

La réponse est la suivante : « La proposition de directive sur le Copyright dans le marché unique numérique » cherche à s’assurer que les artistes (en particulier les petits artistes, par exemple les musiciens), les éditeurs de contenu ainsi que les journalistes, bénéficient autant du monde connecté et d’Internet que du monde déconnecté. »

Il n’est fait mention nulle part des citoyens européens qui utilisent l’Internet, ou de leurs priorités. Donc, il n’est pas surprenant qu’on ne règle jamais le problème du préjudice que va causer la directive sur le Copyright à des centaines de millions d’utilisateurs d’Internet, car les défenseurs de la directive sur le Copyright ne s’en préoccupent pas. La session de Q & R déclare : « Ce qu’il est actuellement légal et permis de partager, restera légal et permis de partager. » Bien que cela soit sans doute correct au sens littéral, l’exigence de l’Article 13 concernant la mise en place de filtres sur la mise en ligne de contenus signifie en pratique que c’est loin d’être le cas. Une information parfaitement légale à partager sera bloquée par les filtres, qui seront forcément imparfaits, et parce que les entreprises devant faire face à des conséquences juridiques, feront toujours preuve d’excès de prudence et préféreront trop bloquer.

La question suivante est : « Quel impact aura la directive sur les utilisateurs ordinaires ? ».

Là encore, la réponse est correcte mais trompeuse : « Le projet de directive ne cible pas les utilisateurs ordinaires. »

Personne ne dit qu’elle cible les utilisateurs ordinaires, en fait, ils sont complètement ignorés par la législation. Mais le principal, c’est que les filtres sur les chargements de contenu vont affecter les utilisateurs ordinaires, et de plein fouet. Que ce soit ou non l’intention n’est pas la question.

« Est-ce que la directive affecte la liberté sur Internet ou mène à une censure d’Internet ? » demande la session de Q & R.

La réponse ici est « Un utilisateur pourra continuer d’envoyer du contenu sur les plateformes d’Internet et (…) ces plateformes / agrégateurs d’informations pourront continuer à héberger de tels chargements, tant que ces plateformes respectent les droits des créateurs à une rémunération décente. »

Oui, les utilisateurs pourront continuer à envoyer du contenu, mais une partie sera bloquée de manière injustifiable parce que les plateformes ne prendront pas le risque de diffuser du contenu qui ne sera peut-être couvert par l’une des licences qu’elles ont signées.
La question suivante concerne le mensonge qui est au cœur de la directive sur le Copyright, à savoir qu’il n’y a pas besoin de filtre sur les chargements. C’est une idée que les partisans ont mise en avant pendant un temps, et il est honteux de voir le Parlement Européen lui-même répéter cette contre-vérité. Voici l’élément de la réponse :

« La proposition de directive fixe un but à atteindre : une plateforme numérique ou un agrégateur de presse ne doit pas gagner d’argent grâce aux productions de tierces personnes sans les indemniser. Par conséquent, une plateforme ou un agrégateur a une responsabilité juridique si son site diffuse du contenu pour lequel il n’aurait pas correctement rémunéré le créateur. Cela signifie que ceux dont le travail est illégalement utilisé peuvent poursuivre en justice la plateforme ou l’agrégateur. Toutefois, le projet de directive ne spécifie pas ni ne répertorie quels outils, moyens humains ou infrastructures peuvent être nécessaires afin d’empêcher l’apparition d’une production non rémunérée sur leur site. Il n’y a donc pas d’obligation de filtrer les chargements.

Toutefois, si de grandes plateformes ou agrégateurs de presse ne proposent pas de solutions innovantes, ils pourraient finalement opter pour le filtrage. »

La session Q & R essaye d’affirmer qu’il n’est pas nécessaire de filtrer les chargements et que l’apport de « solutions innovantes » est à la charge des entreprises du web. Elle dit clairement que si une entreprise utilise des filtres sur les chargements, on doit lui reprocher de ne pas être suffisamment « innovante ». C’est une absurdité. D’innombrables experts ont signalé qu’il est impossible « d’empêcher la diffusion de contenu non-rémunéré sur un site » à moins de vérifier, un à un, chacun les fichiers et de les bloquer si nécessaire : il s’agit d’un filtrage des chargements. Aucune “innovation” ne permettra de contourner l’impossibilité logique de se conformer à la directive sur le Copyright, sans avoir recours au filtrage des chargements.

En plus de donner naissance à une législation irréfléchie, cette approche montre aussi la profonde inculture technique de nombreux politiciens européens. Ils pensent encore manifestement que la technologie est une sorte de poudre de perlimpinpin qui peut être saupoudrée sur les problèmes afin de les faire disparaître. Ils ont une compréhension médiocre du domaine numérique et sont cependant assez arrogants pour ignorer les meilleurs experts mondiaux en la matière lorsque ceux-ci disent que ce que demande la Directive sur le Copyright est impossible.

Pour couronner le tout, la réponse à la question : « Pourquoi y a-t-il eu de nombreuses contestations à l’encontre de cette directive ? » constitue un terrible affront pour le public européen. La réponse reconnaît que : « Certaines statistiques au sein du Parlement Européen montrent que les parlementaires ont rarement, voire jamais, été soumis à un tel niveau de lobbying (appels téléphoniques, courriels, etc.). » Mais elle écarte ce niveau inégalé de contestation de la façon suivante :

« De nombreuses campagnes antérieures de lobbying ont prédit des conséquences désastreuses qui ne se sont jamais réalisées.

Par exemple, des entreprises de télécommunication ont affirmé que les factures téléphoniques exploseraient en raison du plafonnement des frais d’itinérance ; les lobbies du tabac et de la restauration ont prétendu que les personnes allaient arrêter d’aller dans les restaurants et dans les bars suite à l’interdiction d’y fumer à l’intérieur ; des banques ont dit qu’elles allaient arrêter de prêter aux entreprises et aux particuliers si les lois devenaient plus strictes sur leur gestion, et le lobby de la détaxe a même argué que les aéroports allaient fermer, suite à la fin des produits détaxés dans le marché intérieur. Rien de tout ceci ne s’est produit. »

Il convient de remarquer que chaque « contre-exemple » concerne des entreprises qui se plaignent de lois bénéficiant au public. Mais ce n’est pas le cas de la vague de protestation contre la directive sur le Copyright, qui vient du public et qui est dirigée contre les exigences égoïstes de l’industrie du copyright. La session de Q & R tente de monter un parallèle biaisé entre les pleurnichements intéressés des industries paresseuses et les attentes d’experts techniques inquiets, ainsi que de millions de citoyens préoccupés par la préservation des extraordinaires pouvoirs et libertés de l’Internet ouvert.

Voici finalement la raison pour laquelle la directive sur le Copyright est si pernicieuse : elle ignore totalement les droits des usagers d’Internet. Le fait que la nouvelle session de Q & R soit incapable de répondre à aucune des critiques sérieuses sur la loi autrement qu’en jouant sur les mots, dans une argumentation pitoyable, est la confirmation que tout ceci n’est pas seulement un travail législatif dangereux, mais aussi profondément malhonnête. Si l’Article 13 est adopté, il fragilisera l’Internet dans les pays de l’UE, entraînera la zone dans un marasme numérique et, par le refus réitéré de l’Union Européenne d’écouter les citoyens qu’elle est censée servir, salira le système démocratique tout entier.

 

Pour agir en envoyant des messages aux députés européens (n’oublions pas que les élections européennes approchent…) : https://saveyourinternet.eu/fr/#ActNowMEPs

Pour en savoir plus sur le débat et son actualité récente